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Le CNR en 2004 ?
A propos de la commémoration de l'Appel du Conseil National de la Résistance
par le groupe Neuf (Nantes est une fête)


Le CNR c’était il y a 60 ans. Aujourd’hui vous nous proposez un appel à la résistance contre le Medef. Est-ce une tentative de refonder la gauche ?
La résistance s’était construite contre l’envahisseur et contre le nazisme. Aujourd’hui peut-on parler de résistance ?

Est-ce que nous sommes face au fascisme ? Un ennemi extérieur qui nous domine ?

Parler de dérive sécuritaire, me paraît plus juste. Il y a bien un ennemi, mais c’est un ennemi intérieur. Les patrons sont français, il existe des multinationales françaises. La Bourse, que vous connaissez bien fonctionne, ici en France avec des personnes françaises.
L’Appel du CNR aurait l’avantage de lier l’anticapitalisme à l’antifascisme. Une voie radicale selon vous.

Mais pourquoi maintenant ? Sommes-nous face à un saut qualitatif dans l’évolution de notre société ? N’est-ce pas plutôt une façon d’exister dans un contexte qui n’a plus de repères ?

La gauche est discréditée. La droite est ouvertement capitaliste et sécuritaire. Tout le monde semble avoir admis que l’on ne peut plus agir sur le plan économique. Pour garder le pouvoir et les privilèges, les dominants essaient de gérer les populations par l’apartheid social. Mais la droite et la gauche se disent antiracistes. Leurs valeurs sont issues de 1945. Si on peut parler de saut qualitatif ce serait en ce domaine, me semble-t-il.
Qu’est-ce qui fait que l’on peut voter et appliquer des lois racistes en gardant une bonne conscience antiraciste ? C’est la nouvelle droite qui a fait sauter les verrous symboliques du racisme. Ses thèmes principaux sont le relativisme et le différentialisme, ce sont les deux axes de la domination contemporaine.

Si les promoteurs du CNR n’ont pas critiqué la gauche pour sa mise en œuvre de la xénophobie d’État, c’est pour cette raison. La xénophobie d’État est celle qui est contenue dans l’arsenal législatif sur le contrôle de l’immigration. Elle est appliquée par toute l’administration française. La police est la face visible d’un ensemble institutionnel qui traite de façon différentielle les étrangers et les enfants d’étrangers, qu’ils soient de la seconde, de la troisième ou de la quatrième génération. La gauche a couvert et utilisé la police. Celle-ci est raciste et violente, ce n’est un secret pour personne. Le CNR n’a pas protesté. Parmi les figures de cette époque, seul Maurice Rajfus crie et tente de mobiliser sur ce point.

Le relativisme énonce que “ tout se vaut ! ”, hormis la différence des places de fait. Le CNR n’évoque pas cette question. Sa légitimation, qui date de 1945, énonce au contraire que certaines valeurs sont à défendre : égalité, solidarité, …

La posture, utilisée dans cet appel, est une sorte de recours à une figure tutélaire paternelle. En pleine crise de l’autorité classique, le recours aux grands ancêtres est pathétique, mais elle est vouée à l’échec. Pour moi, ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’autorité paternelle et étatique, mais c’est de savoir comment être humain hors de la domination patriarcale et étatique.

Si l’anticapitalisme, s’il s’agit bien de cela, reste indexé au renforcement de l’État, il restera prisonnier d’une double contrainte visible dans la schizophrénie social-démocrate. D’un côté, on affirme désirer aller vers plus d’égalité et de justice, de l’autre, on ne peut pas critiquer la gauche gestionnaire du capitalisme.

A mon avis, la tentative de réhabiliter le CNR et de le mettre en avant correspond à une envie de refonder la gauche malgré elle. Implicitement cela s’appuie sur la croyance que l’on peut gérer le capitalisme d’une bonne manière. Si cela était possible, pourquoi la gauche ne l’a pas fait depuis 1981 ? Pourquoi la taxe Tobin n’a-t-elle pas été mise en place par Jospin ? Il a choisi de favoriser le développement des stocks options. Pourquoi la gauche ne fait-elle pas de réformes ? Pourquoi refuser de voir que la gestion étatique est structurée de telle façon, qu’elle bloque toute possibilité d’une quelconque réforme. Si les choses évoluent c’est suite aux luttes.

L’État est une institution qui existe pour maintenir la domination. Le fait qu’elle continue de fonctionner, alors que la marchandise et le spectacle sont la règle, montre simplement qu’elle est assez souple pour s’adapter aux mutations du capitalisme. Souvent, elle récupère au passage les énoncés des diverses contestations qui l’attaquent. Sa façon de fonctionner est basée sur la reproduction du pouvoir et le maintien des privilèges (par exemple mon chef de bureau gagne plus de 6 000 Euros par mois - 15 fois le RMI, un inspecteur des finances c’est 10 000 Euros, soit 24 fois le RMI). Messier était inspecteur des finances justement. L’Ena et Polytechnique sont des pépinières de chefs assez bien adaptés à notre monde.

Votre tentative de refonder la gauche, fait l’impasse sur tout cela. Au mieux, ce sera un élément du spectacle comme un autre. La différence c’est qu’il est important pour votre existentiel, il vous donne bonne conscience. C’est une façon d’exister en reproduisant des croyances du passé. La solidarité et les luttes pour l’égalité n’ont pas besoin de déclamations solennelles, c’est au quotidien que cela se réalise, c’est ingrat, sans garanties et très souvent peu visible, hors du champ des médias.

La situation actuelle est celle de la postmodernité. Le recours aux idéaux des Lumières est une façon de retrouver une stabilité et des certitudes dans un contexte d’incertitude et mouvant. De plus, cette croyance ne s’assume pas comme telle.

La légitimité de l’anticapitalisme, non indexé à la social-démocratie, est une croyance qui s’assume comme telle. C’est une croyance dans les possibilités de l’humanité. C’est une attitude, qui sait que nous sommes dans une situation inédite et qu’en conséquence nous devons inventer de nouveaux possibles sans leaders autoproclamés.

Philippe Coutant Nantes le 14 mars 2004


Ce texte a été écrit pour servir de support à un débat sur Alternantes enregistré le Jeudi 18 Mars 2004