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Origine :
http://www.contretemps.eu/lectures/bonnes-feuilles-nouvelle-%C3%A9cole-capitaliste-p-cl%C3%A9ment-g-dreux-c-laval-f-vergne
Chapitre 4
Concurrence scolaire et reproduction sociale
Certains historiens, sociologues et pédagogues continuent
de penser que le combat pour une école démocratique
ne nécessite aucune révision en profondeur des analyses
faites dans les années 1960 et 1970. L’« appareil
scolaire », l’« élitisme républicain
» restent l’ennemi, semblent-ils dire, sans tenir apparemment
compte de l’érosion progressive de l’«
éthique du service public » (Max Weber) qui fait du
républicanisme non plus l’idéologie triomphante
d’hier, mais la justification fatiguée d’un ordre
scolaire de plus en plus transformé par les attaques néolibérales
[1]. Cette inertie dans l’analyse est liée à
un certain aveuglement quant aux nouvelles modalités de la
reproduction sociale à l’âge de la massification
scolaire. En se focalisant exclusivement sur les mécanismes
classiques qui excluent les enfants des classes populaires des positions
professionnelles et sociales supérieures, elle empêche
de considérer les mécanismes nouveaux qui accentuent
la reproduction sociale en en renouvelant les modalités.
La logique de marché, qui tend à devenir la forme
de régulation du système scolaire et universitaire,
modifie peu à peu les manières de trier les élèves,
alors même que les modalités anciennes de reproduction
reposant sur les inégalités de capital culturel transmis
dans le milieu familial, loin de disparaître, se métabolisent
et se renforcent dans la nouvelle école capitaliste.
Dans l’ancien régime de scolarisation bureaucratique,
l’institution portait très tôt un jugement catégorique
sur la valeur scolaire des élèves. Ce verdict, aveugle
aux facteurs sociaux des inégalités scolaires, conduisait
à des destins différents dans des filières,
des sections et des établissements aux caractéristiques
sociales opposées. Comme le montraient Christian Baudelot
et Roger Establet dans L’École capitaliste en France,
la séparation entre les deux filières scolaires, qu’ils
appelaient secondaire-supérieur et primaire-professionnel,
recoupait et reproduisait un clivage de classe [2]. Précocement,
dès l’école primaire, les élèves
étaient placés dans des voies différentes d’où
ils ne pouvaient sortir. Avec la suppression des petites classes
des lycées et l’unification progressive de l’enseignement
post-élémentaire, cette séparation précoce
s’altère progressivement, sans disparaître tout
à fait. La nouvelle forme de tri tend dès lors à
s’opérer là même où tous les élèves
sont censés suivre un enseignement commun : à l’école
primaire et au collège. La massification conduit à
un réaménagement des modes de reproduction sur la
triple base d’une différenciation sociale des établissements,
d’une distinction plus fine des parcours scolaires, d’un
recours de plus en plus fréquent à l’enseignement
privé et à la scolarisation parallèle proposée
par des entreprises d’aide et de soutien personnalisés.
La structure sociale des établissements est ainsi de plus
en plus souvent affectée par les stratégies de distinction
des familles qui sont en mesure de choisir leur école tandis
que les « nouveaux publics », trompés par l’ouverture
« démocratique » de l’école, connaissent
une élimination différée dont la responsabilité
leur est imputée. La concurrence devient à la fois
le mode de régulation du système scolaire et l’un
des facteurs de la reproduction sociale.
De façon générale, la concurrence s’impose
à toutes les activités et dans toutes les professions
comme la « solution » universelle pour diminuer les
coûts de fonctionnement des services publics et augmenter
la productivité des professionnels. Mais cette transposition
de la logique de marché à toutes les activités
ne se fait pas naturellement du fait des « lois immanentes
» du capitalisme. Présentée comme une obligation,
elle suppose une institutionnalisation politique de la concurrence.
En l’absence d’un véritable marché scolaire,
la politique néolibérale crée une configuration
qui oblige les agents sociaux à se comporter selon la norme
du marché et à adapter leur conduite aux impératifs
concurrentiels. Ce que l’on appelle désormais dans
la littérature sociologique des « marchés scolaires
» sont, d’un point de vue économique, des «
quasi-marchés ». Et ces « marchés scolaires
» ou « quasi-marchés » ne sont pas le fruit
d’une logique spontanée, mais le résultat d’une
construction politique.
Les partisans de la logique de marché dans le champ scolaire
ont attendu les mêmes effets vertueux que les économistes
attribuent à la concurrence dans le domaine économique.
Cette transposition suppose que l’éducation, même
si l’on veut bien lui reconnaître des caractéristiques
spécifiques, est un bien dont la production ne peut que bénéficier
des pressions et des arbitrages que les consommateurs exercent sur
les entreprises. L’un des premiers bénéfices
est précisément obtenu en obligeant les directions
d’établissement à gérer les écoles
comme des entreprises soumises aux demandes de clients désireux
de disposer d’un service de qualité. Le marché
scolaire est censé imposer des normes plus contraignantes
sur le travail des enseignants et la gestion des directions. Dans
une situation concurrentielle, selon la doctrine, tous les acteurs
se sentent nécessairement plus concernés par la qualité
de l’enseignement, l’efficacité pédagogique,
l’encadrement des élèves. Les écoles
qui, pour fonctionner, doivent capter et garder une clientèle
et qui, pour cela, doivent lui apporter satisfaction grâce
à une offre éducative compétitive, vont nécessairement
chercher à innover, à diminuer leurs frais, à
se débarrasser de leurs mauvais enseignants. De proche en
proche, espère-t-on, les « meilleures pratiques »
se diffuseront dans le champ scolaire et tout le monde finira par
y gagner, exactement comme dans n’importe quel secteur de
l’économie de marché. Les familles sont également
incitées à « optimiser » leur choix d’établissement,
à s’informer, à comparer, à devenir plus
responsables et à accroître autant qu’elles le
peuvent les investissements éducatifs en faveur de leurs
enfants. Comme l’expliquent les théoriciens néolibéraux
de l’éducation, à commencer par Milton Friedman,
le marché scolaire permet d’augmenter l’efficacité
de l’école en déplaçant le véritable
centre de gravité du pouvoir : ce ne sont plus ni la bureaucratie
d’État ni les syndicats enseignants qui doivent faire
valoir leurs intérêts, mais le client seul. Et c’est
parce que « le client en veut toujours pour son argent »
que le pouvoir qu’il peut exercer sur le marché scolaire
aura des effets bénéfiques sur la performance du système
d’enseignement dans son ensemble [3]. Certes, il se peut que
le client en question ne dispose pas des moyens suffisants pour
l’éducation de ses enfants. N’ignorant pas qu’il
serait bien peu efficace de ne compter que sur la demande solvable
dans une activité qui produit tant d’« externalités
positives », c’est-à-dire, dans la langue économique,
des effets positifs sur le bien-être de ceux qui ne participent
pas ou ne peuvent participer directement au financement de cette
activité, le gouvernement doit lui-même financer la
production éducative. Ainsi il est invité à
distribuer des vouchers, ou chèques-éducation, aux
familles afin qu’elles puissent exercer librement leur choix
sans être rationnées dans leur consommation de biens
éducatifs par un manque éventuel de ressources. On
voit dans cet argumentaire que la source de progrès n’est
pas tant l’espoir de profit privé que l’incitation
faite aux agents d’être plus efficaces lorsqu’ils
sont soumis à un cadre concurrentiel contraignant et aux
pressions de clients qui sont eux-mêmes en situation de rivalité
pour accéder aux meilleures écoles. La concurrence
est, pour les néolibéraux, le type de régulation
le plus à même de produire des effets vertueux.
Pourtant, c’est au moment où, en France, il est de
plus en plus question de parachever la construction du marché
scolaire en supprimant complètement la carte scolaire que
l’on dispose du recul suffisant pour prendre conscience des
effets réels de ce mode de régulation. Cet argumentaire,
qui établit un lien étroit entre concurrence et efficacité,
n’est pas vérifié par les enquêtes menées
aussi bien au niveau international que national. Et ceci pour une
raison fondamentale : les travaux de recherche et parfois même
des rapports officiels de l’IGEN [4] s’accordent à
montrer qu’il y a surtout un lien fort entre logique de la
concurrence et accroissement des inégalités. Ou, plutôt,
le seul « gain d’efficacité » auquel conduit
l’essor de la concurrence dans le champ scolaire est celui
de la reproduction sociale, qui est obtenu par la séparation
scolaire accrue des publics selon leur origine sociale et ethnique
[5].
Une école de masse à plusieurs vitesses
Si l’on veut comprendre pourquoi le système éducatif
connaît une transformation des modes de reproduction scolaire
à l’époque de sa massification, deux considérations
préliminaires doivent être présentes à
l’esprit : jamais l’enjeu social de l’école
n’a été aussi grand pour une masse croissante
de la population, et jamais les inégalités entre établissements
n’ont été aussi fortes. Avec la massification,
comme le montraient dès le début des années
1990 les travaux de Pierre Bourdieu, les « exclus »
d’hier sont désormais à l’intérieur
de l’espace scolaire [6]. L’école de masse accroît
donc en son sein la lutte pour l’obtention des « meilleurs
» diplômes et des « meilleures » carrières.
Cette lutte interne à l’école, qui ne va pas
sans souffrances et désillusions, n’a cessé
de s’intensifier avec la crise de l’emploi et le rôle
accru des titres scolaires sur le marché du travail. Les
nouvelles classes moyennes ont ainsi augmenté leurs investissements
scolaires et rationalisé leur souci pédagogique pour
tenter d’échapper aux risques de déclassement,
de chômage et de précarisation de leurs enfants. Le
choix décisif du lieu de résidence comme de l’établissement
scolaire participe d’une peur que ressentent les nouvelles
classes moyennes salariées qui doivent leur ascension sociale
au diplôme délivré par l’école.
Cette peur a d’ailleurs gagné progressivement certains
secteurs des classes populaires qui veulent éviter à
leurs enfants le risque de la relégation scolaire et sociale
au contact des groupes sociaux les plus discriminés, en particulier
des enfants issus de l’immigration. Tous les moyens leur paraissent
bons pour éviter la contamination de l’exclusion, pour
protéger les enfants de tout ce qui pourrait leur nuire,
pour les éloigner des « mauvaises fréquentations
» et des « mauvaises habitudes » qui risqueraient
de les faire échouer. On conçoit alors la différence
avec le système ancien, qui fonctionnait selon le principe
de la séparation des réseaux de scolarisation propres
aux différentes classes sociales [7]. L’institution
scolaire séparait dès l’enseignement primaire
les franges étroites d’élus et les grandes cohortes
d’exclus. Or l’école dite « unique »
change la donne : désormais, c’est à l’intérieur
de l’espace scolaire que les séparations sociales s’opèrent
entre filières nobles et roturières, entre établissements
bourgeois et établissements populaires.
L’un des signes majeurs de cette « particularisation
sociale » des établissements est l’importance
prise par le contournement de la carte scolaire [8]. Les chiffres
disponibles, qui sont sans doute sous-estimés du fait des
multiples astuces d’évitement (fausses adresses, domiciliations
de complaisance, « pistons »…), indiquent que
« le phénomène est à la fois massif et
en progression constante [9] ». Les données fournies
par Catherine Barthon et Brigitte Monfroy pour la ville de Lille
sont éloquentes : 59 % de la population scolarisée
en collège le sont dans un établissement hors secteur
(23 % dans un autre établissement public et 36 % dans un
établissement privé). Si ces stratégies d’évitement
concernent tous les groupes sociaux, elles sont surtout le fait
des classes supérieures, dont seulement 19 % des enfants
sont scolarisés dans le collège de secteur (23 % dans
un autre établissement public et 58 % dans un établissement
privé) [10]. Ces chiffres indiquent un phénomène
plus complexe que la seule fuite des établissements à
recrutement populaire. En réalité, la concurrence
s’exerce entre tous les établissements dont les positions
relatives sur le marché déterminent les forces d’attraction
et de répulsion dont ils sont l’objet. La dérogation
dans le public et le recours au privé sont les moyens pour
beaucoup de familles de « choisir » leur école,
lorsque existe encore un cadre administré d’affectation
des élèves. Le privé fonctionne d’ailleurs
moins comme un choix spirituel ou moral que comme une solution provisoire
à un problème d’orientation ou comme un moyen
d’échapper plus durablement à une école
jugée dangereuse et mal fréquentée [11]. Si
en France le privé scolarise 18 % des élèves,
40 % d’une classe d’âge y ont recours au moins
une fois au cours de leur carrière scolaire. Non seulement
le privé permet de se soustraire, ne serait-ce que momentanément,
à une sectorisation jugée défavorable, mais
il peut rassurer du fait d’un encadrement jugé plus
présent et plus rigoureux et d’un recrutement de meilleure
qualité sociale.
Rappelons que la carte scolaire a été mise en place
en 1963 par le pouvoir gaulliste pour accompagner la scolarisation
obligatoire dans les collèges. Il subsistait alors des types
d’établissements différents ayant des histoires
et des images différentes. Le but de cette sectorisation
était d’obliger les familles à scolariser leurs
enfants dans le collège de proximité, « qu’il
s’agisse d’un ancien premier cycle de lycée,
d’un ancien CEG, ou encore d’un CES nouvellement ouvert
[12] ». L’intention était de supprimer les premiers
cycles de lycée avant 1971. Or, cette année-là,
21 % des élèves y étaient toujours scolarisés.
Aujourd’hui encore, environ trente « cités scolaires
» (notamment dans les quartiers chics de Paris) sont restées
en place et ont gardé leur « petit lycée ».
Puis, en 1984, la gauche a assoupli la carte scolaire. Selon une
enquête menée par Robert Ballion à la demande
de Jean-Pierre Chevènement, trois quarts des parents étaient
favorables à cet assouplissement mais seuls 8 à 20
% d’entre eux ont demandé une dérogation. L’expérience
est ensuite passée de trois à six départements.
René Monory à son tour a voulu renforcer la «
désectorisation » au nom de la « liberté
de choix des familles » [13]. Et c’est en 2007 que Xavier
Darcos a annoncé l’intention du gouvernement de supprimer
complètement la carte scolaire d’ici 2010. La justification
est encore de donner une nouvelle liberté aux familles, de
favoriser l’égalité des chances, d’améliorer
la diversité… Les élèves handicapés
et boursiers figurent en tête des critères pour obtenir
une désectorisation [14]. Avant toute suppression éventuelle
de la carte scolaire [15], de multiples possibilités de dérogations
ont été mises en œuvre par les parents, et le
choix de la « bonne école » passe également
par des moyens qui ne tiennent pas aux seules opportunités
légales internes au secteur public. Diverses formes d’évitement
existent dans les zones urbaines et périurbaines, du changement
d’adresse obtenu grâce à des membres de la famille
mieux « situés » géographiquement au choix
d’options rares ou de certaines langues, quand ce n’est
pas l’achat d’une chambre de bonne dans un « beau
quartier ». Il existe en vérité un « marché
noir » de l’école, sur lequel se rencontrent
les stratégies des familles, incluant le choix du lieu de
résidence ou la mobilisation familiale et relationnelle,
et les établissements qui désirent attirer les bons
élèves par le jeu des options et les garder par la
constitution de « bonnes classes », selon une stratégie
défensive souvent pratiquée par les établissements
les moins bien placés sur le marché. Cependant, en
l’absence d’une politique volontariste visant à
équilibrer la composition sociale des établissements
et à égaliser les conditions concrètes d’enseignement,
les marges laissées aux choix des familles renforcent inexorablement
la polarisation. La politique française est en somme un libéralisme
par omission.
L’assouplissement puis la suppression annoncée de
la carte scolaire ne font que favoriser une tendance préexistante.
Comme le signalait un rapport d’études d’un organisme
dépendant de l’OCDE, cette utilisation différenciée
des choix se retrouve à l’identique dans la plupart
des pays où elle est devenue possible : « Quand les
politiques facilitent le choix, soit en offrant la possibilité
de s’inscrire librement dans les écoles publiques,
soit en rendant l’enseignement privé moins coûteux,
voire gratuit, un nombre non négligeable d’individus
en profitent pour choisir leurs écoles. » Et le rapport
ajoutait : « À l’expérience, il s’avère
que la proportion de “décideurs actifs” ne doit
pas nécessairement être énorme pour avoir un
impact significatif sur les systèmes scolaires [16]. »
La conclusion du rapport était sans appel : « Le résultat
de l’élargissement du choix est d’accentuer les
différences entre des collèges s’adressant à
des populations différentes. Ceci est particulièrement
évident aux deux extrêmes : d’une part, dans
les écoles privilégiées préparant une
élite à entrer dans des lycées orientés
vers la réussite intellectuelle, d’autre part, dans
les écoles des quartiers pauvres qui se consacrent à
l’enseignement des enfants en difficulté ou proposent
des cours aux immigrés dans leur langue maternelle [17].
» Les comparaisons internationales réalisées
depuis confirment le diagnostic [18]. On ne s’étonnera
pas des constats qui ont été faits par divers organismes
ou associations français depuis : le libre choix contribue
à la polarisation sociale et ethnique des établissements.
Le marché très spécial de l’école
Sans même que l’idéologie néolibérale
ne devienne ouvertement hégémonique dans le système
éducatif, une logique concurrentielle s’impose à
tous, au point que même ceux qui s’y opposent ne peuvent
pas ne pas en tenir compte. Il n’y a là nulle perversité
des « acteurs », mais une conduite qui a sa cohérence
dans la situation qui a été créée :
dans un univers organisé selon un principe de compétition,
chercher à obtenir les meilleures conditions de scolarisation
apparaît comme une contrainte dans un « jeu stratégique
». Le « libre choix » est en réalité
une obligation de jouer, quand bien même on réprouverait
les règles du jeu et que l’on aurait les plus grandes
craintes quant à ses conséquences sociales et politiques.
Le marché n’est pas l’espace du choix libre d’un
individu rationnel, mais une règle des relations sociales
qui s’impose aux différents sujets sociaux disposant
d’atouts inégaux dans le « jeu » compétitif
[19]. Cet univers de concurrence favorise ceux qui sont dotés
des meilleurs leviers économiques, sociaux, culturels et
relationnels, qui leur permettent de choisir, ou plus exactement
de se faire choisir par, les établissements prestigieux et
d’« optimiser » leurs atouts relatifs. Il est
essentiel de comprendre que ce mécanisme de différenciation
vient s’ajouter aux autres déterminants classiques
de la reproduction des classes bien étudiés par la
sociologie de l’éducation. Tout se passe comme si,
en dissimulant ces nouveaux rouages derrière la « démocratisation
», l’école avait intériorisé de
plus en plus la division sociale et, en l’intériorisant,
fonctionnait selon un nouveau mode de production des inégalités
dont le facteur principal est le « sens du placement »
que les familles les plus aptes à définir une stratégie
sont en mesure de déployer [20].
Tous les groupes sociaux n’ont pas les mêmes dispositions,
atouts et intérêts au regard des stratégies
scolaires. On sait que les dérogations à la carte
scolaire ont été le fait de groupes minoritaires,
notamment les catégories sociales les plus privilégiées.
Sharon Gewirtz, Stephen J. Ball et Richard Bowe distinguaient trois
grands types de « choosers ». Les privileged/skilled
choosers, les semi-skilled choosers et les disconnected choosers.
Les premiers appartiennent aux milieux favorisés, les deuxièmes
se partagent entre milieux favorisés et milieux populaires,
et les troisièmes se recrutent presque exclusivement dans
la classe ouvrière. On sait également que certaines
familles n’ont aucun intérêt à contourner
la carte scolaire quand leur lieu de résidence correspond
à l’emplacement de bons établissements. La stratégie
de placement scolaire est le fruit de considérations multiples,
parmi lesquelles le choix d’un « meilleur » établissement
est pondéré par sa distance géographique. Ainsi,
beaucoup de familles populaires semblent se résigner à
l’école du quartier non par absence d’intérêt
pour la scolarité de leurs enfants, mais du fait de la difficulté
qu’il y aurait à se déplacer hors de zones de
résidence mal desservies par les transports en commun. Ce
qui est en jeu ne se réduit pas à un évitement
des mauvaises fréquentations mais relève de stratégies
plus complexes, qui ne concernent pas seulement les plus mauvais
établissements de la périphérie et dont la
finalité indirecte est de placer son enfant dans un milieu
« stimulant », « porteur », dans lequel
celui-ci puisse trouver l’« ambiance de travail »
qui maximisera ses chances de réussite individuelle. Le choix
n’est, quant à lui, pas motivé par des raisons
exactement semblables selon les différentes fractions d’une
même classe sociale. Parmi les classes moyennes des communes
urbaines qui ont la plus grande propension au choix, Agnès
van Zanten distingue quatre sous-groupes (les technocrates, les
intellectuels, les techniciens, les médiateurs) aux valeurs
différentes plus ou moins en harmonie avec la recherche d’un
entre-soi social lui aussi plus ou moins radical [21].
La logique concurrentielle ne conduit pas à une «
diversification de l’offre » telle que chaque type de
consommateurs trouverait sa « niche », comme le supposaient
les théoriciens du néolibéralisme scolaire
John Chubb et Terry Moe. Elle ne conduit pas plus à la «
différenciation pédagogique » qui permettrait
à chaque type d’élève de trouver une
réponse adaptée à ses « besoins »
spécifiques, comme l’espéraient les militants
pédagogiques des années 1960 et 1970 qui, sans être
des adeptes de la logique de la concurrence, faisaient de la logique
de la différence un moyen de démocratisation des apprentissages.
La logique concurrentielle conduit bien plutôt à une
sélection de plus en plus dure dans les « bonnes écoles
» et à une hiérarchisation accrue, à
la fois scolaire et sociale, des établissements. Elle devient
tellement puissante qu’elle en vient à affecter le
marché du logement – comme en témoignent les
agents et les promoteurs immobiliers – dans de nombreuses
villes. La ségrégation scolaire est sans doute pour
une part le reflet de la ségrégation résidentielle,
mais les relations sont complexes du fait que l’offre scolaire
est plus riche et variée dans les zones les plus bourgeoises
[22]. La polarisation sociale des établissements est renforcée
par l’accroissement des ségrégations de résidence,
mais elle est aussi productrice de différences dans le lieu
d’habitat, comme semblent l’indiquer de plus en plus
les motifs d’acquisition de logements [23].
Les motifs des choix
Les partisans du « libre choix » de l’école
supposent que celui-ci se fait essentiellement en fonction de critères
scolaires. Cela supposerait que les bons élèves cherchent
à aller dans une école de bon niveau quand les autres
devraient se contenter d’écoles moins bonnes. Compte
tenu de la corrélation entre réussite scolaire et
classes sociales, ce serait déjà une première
cause de différenciation sociale des établissements.
Mais les logiques de choix sont loin de relever d’une telle
rationalité, comme l’ont cru naïvement tous les
créateurs des instruments du marché, et notamment
ceux qui ont créé des indicateurs quantitatifs censés
rendre compte de la « qualité » des établissements
[24]. Il s’agissait alors pour les responsables ministériels
de mieux informer les familles par des indicateurs supposés
leur fournir la « valeur ajoutée [25] » que l’établissement
pouvait apporter à leurs enfants afin que, « consommateurs
» de services scolaires, elles soient bien renseignées
sur le « produit » qu’ils demandaient. Or c’est
moins cette « valeur ajoutée » qui est déterminante
pour le choix des familles que les valeurs sociales des élèves
et, par là, des familles des élèves scolarisés
dans les établissements. Les représentations des familles
ne sont pas d’abord une « représentation appauvrie
» (Robert Ballion) à laquelle on pourrait opposer une
connaissance objective de la valeur d’une école. Ce
sont avant tout des représentations sociales qui «
résument » le point de vue socialement déterminé
de ceux qui sont amenés à estimer cette valeur. La
démarche technocratique qui consiste à fournir des
indicateurs supposés irréprochables pour combattre
les représentations sociales (que l’on laisse jouer
par ailleurs librement) est pour le moins problématique.
Les parents ne désirent pas nécessairement une «
usine à examen », mais un « endroit où
l’on travaille », « un lieu où l’enfant
s’épanouit », une école « où
règne une certaine harmonie ». Ils désirent
surtout une école où leurs enfants retrouveront d’autres
enfants qui seront proches des leurs, voire mieux que les leurs,
en tout cas qui seront pour leur progéniture une «
bonne fréquentation [26] ». La vision sociologiquement
naïve des « évaluateurs » oublie donc que
le choix d’une école dépend de signes et de
l’interprétation de ces signes qui ne sont pas tous
parfaitement conscients ou avouables ni, a fortiori, rationnels.
Les « sentiments », les « impressions »,
les « goûts » des parents et des enfants sont
des produits sociaux. Parmi les « signes » que les écoles
voudraient maîtriser par leur politique de communication,
celui sur lequel elles peuvent le moins immédiatement jouer
lorsqu’elles sont en mauvaise position sur le marché
est la fréquentation des écoles, c’est-à-dire
la présence plus ou moins voyante des élèves
d’origines ethniques variées et la présence
connue ou seulement réputée de « mauvais éléments
», laquelle est plus que tout autre élément
un facteur de « mauvaise impression », donc de choix
négatif [27]. Il en va de même des familles, comme
le rappelle Choukri Ben Ayed, pour qui « les meilleurs résultats
de l’établissement n’apparaissent pas, loin s’en
faut, comme la raison principale du choix de l’établissement
scolaire. Demême la proximité du domicile, le choix
d’options ou les “convictions personnelles” ne
sont pas non plus les éléments les plus déterminants.
C’est la “bonne fréquentation” de l’établissement
qui l’emporte et ceci, quelle que soit l’appartenance
sociale des familles (à des degrés divers néanmoins)
[28] ». Si, pour les familles des classes supérieures,
la logique de performance reste très affirmée, pour
les autres groupes sociaux, y compris et de plus en plus les classes
populaires, chercher à mettre son enfant dans un bon, voire
un très bon établissement procède d’une
logique de protection. Derrière la hantise de la violence
en milieu scolaire, il y a surtout la crainte de mettre son enfant
« en danger », non pas seulement physiquement, mais
aussi socialement. Le choix, quand il est fait, est souvent celui
de ne pas mêler son enfant avec des enfants dont on se méfie,
c’est-à-dire celui de l’entre-soi, ou même,
si possible, celui d’accéder à un établissement
de recrutement scolaire supérieur à son propre milieu
social.
C’est donc un marché étrange puisque ce sont
les « consommateurs » eux-mêmes qui font la valeur
d’un établissement. Le « capital social »
propre à un espace résidentiel ou à un établissement
scolaire relève en réalité de la logique du
club sélectif qui fonctionne par cooptation. La valeur des
écoles résultant du libre jeu du marché dépend
ainsi de la « qualité » sociale et culturelle
des élèves qui y sont recrutés et, selon les
corrélations connues, de celle des parents.
Ce double phénomène d’autosélection et
d’éloignement des catégories que l’on
ne veut pas côtoyer à l’école conduit
à une homogénéisation sociale croissante des
établissements et à des contextes de scolarisation
de plus en plus opposés quant à leurs effets sur les
acquisitions scolaires et la socialisation morale des élèves
[29].
La massification ségrégative
L’une des premières conséquences de ces pratiques
d’évitement est le phénomène de séparation
des groupes socialement les plus opposés : les jeunes des
classes les plus pauvres, souvent issus de l’immigration maghrébine
et africaine d’un côté, les jeunes issus des
groupes les plus favorisés de l’autre côté.
Cette polarisation se voit particulièrement bien dans les
zones à forte densité scolaire qui favorisent une
division spatiale particulièrement marquée des populations
scolarisées. Les enquêtes de l’OCDE montrent
que, dans la plupart des pays, la logique du marché scolaire
conduit à la disparition des établissements polyvalents
et accentue la polarisation sociale et raciale, que ce soit aux
Pays-Bas, en Angleterre, en France ou aux États-Unis.
Par un engrenage infernal, si les conduites d’évitement
accentuent cette polarisation, elles en sont aussi l’effet.
Et plus la situation réelle ou fantasmée entre établissements
paraît inégale, plus se développent les comportements
qui la rendent effectivement de plus en plus inégale, du
moins dans le cadre du laisser-faire. Robert Ballion annonçait
au début des années 1990 que « certains établissements
tiendront objectivement le rôle d’“abcès
de fixation”. Ils seront ces ghettos dont l’existence
protège le reste du corps de la contamination [30] ».
Et il ajoutait que « la politique de ségrégation
qui consiste à séparer le bon grain de l’ivraie
suffira à “protéger” la plupart des lycées
; elle évitera qu’ils ne deviennent, par l’action
d’une minorité incontrôlable, des mécaniques
déglinguées [31] ». C’était voir
juste et loin.
On a pu parler à ce propos d’« apartheid scolaire
[32] ». Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle
Perroton, dans leur enquête sur les collèges de l’académie
de Bordeaux, ont mis en évidence l’ampleur prise par
ces phénomènes de ségrégation ethnique
: 10 % des collèges de l’académie scolarisent
40 % des élèves immigrés ou issus de l’immigration.
Les conduites stratégiques diverses, d’excellence et
de protection, produisent un effet massif : la constitution de «
poches de difficultés », d’« établissements
sensibles », d’« abcès de fixation »,
peu importe comment on les nomme, qui enferment dans des établissements
de relégation les élèves que les autres établissements
« rejettent ». Les enquêtes sur les différenciations
sociales et scolaires témoignent de l’ampleur du phénomène.
Celles qui ont été menées par Danièle
Trancart au cours des années 1990 ont ainsi montré
que les recrutements entre collèges publics avaient tendance
à devenir de plus en plus ségrégatifs [33].
Dans les grandes villes et en particulier à Paris, la différenciation
sociale des établissements s’est accélérée
à la faveur de la désectorisation. Les syndicats ont
commencé à réagir, des grèves ont éclaté
à l’hiver 2000 et au printemps 2001 dans plusieurs
« établissements- ghettos » pour enrayer une
telle tendance. L’interaction entre classes et lieux de résidence
n’est en tout cas pas une relation de simple reflet direct
[34]. Il faut prendre en compte, pour comprendre, les conduites
des individus et examiner leurs effets.
La concurrence permet la mise en œuvre par les familles de
ce que Pierre Bourdieu appelait un « sens du placement »,
composé de stratégies fines, aux multiples dimensions,
dans un contexte concurrentiel local à chaque fois spécifique.
C’est ce « sens » qui guide les parents, conscients
que, au-delà de la « bonne école », le
choix a pour enjeu le bon établissement dans un enseignement
supérieur, la « bonne » formation professionnelle
et le « bon » métier. La question pour les familles
n’est pas seulement de fuir les pires établissements
mais d’accéder à l’établissement
optimal, compte tenu des atouts dont elles disposent, des ambitions
qu’elles ont pour leurs enfants. En un mot, les parents, quoiqu’ils
ne se rencontrent pas physiquement, mènent entre eux une
lutte pour l’appropriation des biens scolaires rares. Comme
le montrent Franck Poupeau et Jean-Christophe François [35],
les beaux quartiers connaissent aussi des phénomènes
d’évitement importants, qui aliment des flux allant
des établissements publics vers les établissements
privés, de ceux qui sont bons vers les très bons,
et des très bons vers les excellents. Autrement dit, la concurrence
scolaire concerne tout le monde, y compris ceux qui sont déjà
les mieux lotis dans les espaces résidentiels les plus chics.
Pour rendre compte de la généralité du phénomène,
on peut faire l’hypothèse, avec Georges Felouzis et
Joëlle Perroton, que nous avons affaire à un marché
segmenté, assez comparable à la segmentation du marché
du travail observée dans les années 1970 par les économistes
américains [36]. Au centre du système dual, nous aurions
le marché de la « bonne école », qui concerne
les élèves destinés à faire une carrière
longue dans le système scolaire. Ce marché central
comprend les établissements les plus choisis, c’est-à-dire
les « mieux fréquentés » socialement.
On y trouve les établissements privés et publics d’excellence,
recrutant dans les milieux « aisés », ainsi que
de bons établissements qui risquent de perdre des élèves
attirés par les deux autres types. Dans le marché
périphérique, les échanges se font depuis les
établissements de relégation vers d’autres établissements
publics et privés « populaires », mais considérés
comme meilleurs. Dans le premier marché, la logique qui préside
au choix serait plutôt celle de l’excellence, quand,
dans le second, elle serait plutôt celle de la protection.
Cette dualisation du marché scolaire est un puissant levier
de reproduction sociale qui, d’un côté, vient
relayer et renforcer la transmission familiale du capital culturel
et, de l’autre, nuire aux apprentissages scolaires de ceux
qui ne bénéficient pas à domicile de cette
transmission. Mais lorsque les familles sont conduites à
fuir un établissement de relégation, lorsqu’elles
veulent choisir un établissement de protection ou d’excellence,
ne se trompent-elles pas si elles n’ont pour norme de jugement
que la composition sociale de l’établissement ?
Le choix et la reproduction sociale
La constitution de ghettos scolaires réservés aux
enfants pauvres et étrangers, la détérioration
des conditions d’enseignement que l’on y observe, ne
sont pas des « accidents » malheureux ou des «
dysfonctionnements » involontaires. Elles témoignent
d’un mode renouvelé de reproduction des positions des
groupes les plus favorisés [37]. En d’autres termes,
l’instauration du marché scolaire s’inscrit dans
les modalités offertes aujourd’hui à ceux qui
le peuvent de mettre en œuvre des stratégies plus ou
moins conscientes de reproduction sociale qui mobilisent toutes
les formes de capital, économique, social, culturel. Plus
que jamais l’éducation est un « bien positionnel
[38] ».
Pour montrer que les mécanismes concurrentiels contribuent
à la reproduction sociale, il faut se demander quelles sont
les conséquences, sur les parcours scolaires, des polarisations
sociales observées. Ce sont les réflexions sur l’«
efficacité de l’école » qui, dans les
pays anglo-saxons notamment, ont attiré l’attention
sur les conséquences sociales de l’apparition des marchés
scolaires en montrant que la croissance des inégalités
entre établissements allait à l’encontre de
l’efficacité globale du système d’enseignement.
Au niveau international d’abord, le recensement très
complet des enquêtes sur le sujet, réalisé dès
2000 par les chercheurs de l’IREDU, montrait que la compétition
entre établissements s’accompagnait le plus généralement
d’une polarisation sociale et ethnique accrue et non pas d’une
amélioration de l’efficacité des systèmes
d’enseignement, comme le prétendaient les défenseurs
de ce mode de régulation [39]. Ceci a conduit les chercheurs
à déplacer la question : non plus se demander, à
la manière des économistes néolibéraux,
quel est le résultat de la concurrence entre entreprises
scolaires sur leur « efficacité » individuelle,
mais quelles sont les conséquences de l’« entre-soi
» scolaire sur les inégalités et les mécanismes
de reproduction sociale, et donc sur l’efficacité d’ensemble
du système éducatif.
Cette question éminemment critique a été abordée
avec retard en France, et non sans hésitation, du fait même
de la domination à partir des années 1980 de la problématique
de l’« efficacité de l’école »
dans de nombreux travaux, qui conduisait à s’intéresser
de façon décontextualisée à l’«
effet établissement » ou à l’« effet
enseignant » sur les réussites des élèves
[40]. En revanche, elle a été précocement très
débattue dans la littérature anglo-saxonne à
la suite des travaux pionniers du Néo-Zélandais Martin
Thrupp sur le school mix effect, terme qui désigne l’effet
de la composition du public scolaire [41]. On sait que l’une
des principales leçons à tirer de la sociologie critique
des années 1960 est la mise en évidence des effets
de l’origine sociale sur la réussite scolaire du fait
de la transmission de ce que Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron
ont appelé le « capital culturel ». Dans ce modèle
d’analyse, il n’était pas directement question
de l’effet que pouvait avoir le contexte de scolarisation,
qu’il s’agisse de la classe, de l’établissement
ou des relations d’interdépendance locale entre les
écoles. Ce qui l’emportait dans l’explication
des inégalités de résultats constatées
entre élèves de milieux sociaux différents
était pour l’essentiel la différence de socialisation
familiale et la plus ou moins grande distance qui pouvait exister
entre la culture familiale et la culture scolaire. Les travaux les
plus récents mettent en lumière des aspects jusque-là
négligés qui, sans remettre en question le rôle
déterminant de l’origine sociale, permettent de comprendre
comment le contexte de scolarisation vient renforcer les écarts
culturels familiaux et surtout « durcir le mur » qui
sépare les jeunesses populaires, dont celles issues de l’immigration,
et les autres. Comme on n’apprend pas seul, le groupe de socialisation
a des effets très directs sur les apprentissages de connaissances.
Si cela a été depuis longtemps démontré
aux États-Unis avec le fameux rapport Coleman de 1966, qui
a débouché sur des politiques de déségrégation
scolaire, un certain nombre d’enquêtes encore rares
tendent à attester que pour la France aussi « le contexte
fait des différences [42] ».
Georges Felouzis a ainsi montré que la ségrégation
sociale et ethnique a des effets négatifs sur les performances
des élèves les plus faibles ; mettre les plus faibles
ensemble les rend encore plus faibles ; mettre les forts ensemble
les rend encore plus forts. L’enquête, déjà
citée, qui a été menée dans l’académie
de Bordeaux montrait que, si le niveau des connaissances des élèves
dans les collèges de relégation était plus
faible, le taux de passage de ces élèves faibles était
plus élevé que s’ils avaient été
dans un collège d’un niveau moyen supérieur.
Cela procède de la composition sociale même des établissements.
D’une part, les apprentissages se font dans de plus mauvaises
conditions du fait du poids des élèves faibles, moins
motivés, parfois résistants ou hostiles aux normes
scolaires. Quant aux professeurs, ils s’adaptent aux élèves,
leurs cours sont moins denses, moins rapides, leurs objectifs moins
ambitieux et leurs notes plus généreuses à
qualité de devoir égale. D’où le fait
que les élèves de ces collèges sont surnotés
et surorientés par rapport à d’autres établissements.
Ce phénomène avait déjà été
mis en évidence pour les classes homogènes faibles
par Marie Duru-Bellat et Alain Mingat [43]. Si l’on rassemble
dans une même classe des élèves faibles scolairement,
la progression des élèves sera elle-même plus
faible. Ce qui signifie simplement que le niveau moyen des élèves
affecte les progrès de chacun et que ceci vaut dans les deux
sens [44].
Un établissement socialement homogène fait réussir
un peu mieux ceux qui ont déjà les atouts pour réussir.
C’est donc une prime pour les établissements bourgeois.
Mais il fait réussir nettement moins bien ceux qui n’ont
que peu d’atouts préalables pour réussir. La
ségrégation sociale des établissements est
donc un avantage supplémentaire pour les uns et un handicap
de plus pour les autres. De sorte que les familles qui optent pour
des stratégies séparatistes ne font pas nécessairement
un mauvais choix pour leur propre progéniture [45]. Elles
perçoivent en tout cas intuitivement l’effet de composition
sociale sur les résultats individuels.
De façon générale, on sait depuis longtemps
que les systèmes éducatifs les plus « efficaces
», c’est-à-dire ceux qui ont les résultats
scolaires en moyenne les plus élevés, sont les moins
inégalitaires. Les meilleurs résultats se trouvent
ainsi dans les pays qui retardent le plus possible la sélection
dans des filières hiérarchisées. Sur ce plan,
on peut opposer classiquement la Finlande et l’Allemagne.
Nico Hirtt a réalisé une comparaison entre le degré
de liberté de choix des établissements et les inégalités
de résultats scolaires en fonction du milieu social en se
servant de l’enquête PISA. Il montre que plus cette
liberté est grande, plus l’influence sociale sur les
résultats scolaires est grande, ce qui fait apparaître
que plus on fait « école commune », moins l’influence
du milieu d’origine est marquée [46].
Ces comparaisons internationales sont corroborées par des
travaux récents qui ont confronté les résultats
scolaires dans les départements français selon le
degré de ségrégation des établissements
scolaires. Les travaux menés par une équipe de sociologues
autour de Sylvain Broccolichi, de Choukri Ben Ayed et de Dominique
Trancard distinguent ainsi les départements en surréussite
de ceux en sous-réussite par rapport à ce qui est
attendu compte tenu des origines sociales des élèves.
Les départements où la réussite scolaire moyenne
est la plus importante sont plutôt ceux où la densité
d’établissements est peu élevée et où
les évitements sont rares. Dans ces départements à
établissements mixtes, on observe un niveau moyen plus élevé
que dans les départements très urbanisés où
la densité d’établissements a provoqué
une forte hiérarchie entre eux. C’est le cas de Paris
par exemple, dont les résultats sont moins bons que dans
l’académie de Rennes. En somme, là où
il y a des établissements « ordinaires », qui
mélangent les populations, la réussite scolaire moyenne
est plus forte. Ces travaux établissent donc un résultat
très important ; plus il y a de mixité sociale, plus
le niveau d’ensemble est bon ; plus il y a de ségrégation,
plus le niveau d’ensemble se dégrade. Comme l’écrit
Choukri Ben Ayed, « un département composé d’une
majorité d’établissements moyens obtiendra une
moyenne plus élevée qu’un département
composé de quelques établissements d’excellence
et de nombreux établissements en grande difficulté
scolaire ». Il montre également que la concurrence
nuit à tout le monde, du moins quand on considère
les niveaux moyens obtenus par catégories sociales. Dans
les départements qui réussissent le mieux, qui connaissent
le moins de ségrégation, les enfants d’ouvriers
ou de cadres y sont, en moyenne, meilleurs que les élèves
de même origine dans les départements qui réussissent
moins bien. Le marché scolaire et la polarisation sociale
qu’il entraîne ne constituent donc pas une réponse
optimale d’un point de vue collectif. Sur le plan de l’efficacité
globale, il n’y a pas de « main invisible » qui
fasse que l’intérêt individuel conduise à
la meilleure situation pour tous. Les travaux en ce sens montrent
que les doctrines néolibérales qui prétendent
que le choix scolaire est source d’efficacité ne sont
pas vérifiées. Par contre, le marché scolaire
garantit une reproduction sociale protégée dans les
« pépinières » scolaires que les membres
des classes supérieures et moyennes habitent, colonisent,
contrôlent du mieux qu’ils peuvent, avec l’aide
parfois zélée des administrations locales.
Avec la massification, la compétition entre les classes
se joue dans l’espace scolaire et aboutit à un séparatisme
social. Si l’école reste la grande trieuse, ce sont
les manières d’opérer et les façons de
le dissimuler qui ont changé. Le marché contribue
au renforcement des divisions et inégalités sociales
dans l’école, il ne les crée pas mais en renouvelle
le mode de production, il ne les crée pas. Si, dans le premier
âge de l’école républicaine, la question
de la division était réglée par la différence
même des ordres scolaires (l’enseignement secondaire
était presque exclusivement bourgeois), dans un second moment,
celui que la sociologie des années 1960 analysait, c’est
l’institution qui faisait le tri entre élèves,
entre ceux qui pouvaient rester et les autres, entre les sections
prestigieuses et les autres. C’est l’école qui
fixait des règles aussi bien en termes d’affectation
locale qu’en termes de résultats scolaires objectivés.
Cette institutionnalisation scolaire de la division sociale –
le fait que les inégalités sociales de départ
devaient se transmuer en inégalités scolaires pour
que ces dernières se convertissent à leur tour en
inégalités sociales d’arrivée –
permettait cependant, dans certains cas statistiquement rares 47
[47], aux jeunes de milieux populaires de bénéficier
de moyens et de contextes scolaires plus favorables qu’aujourd’hui
pour continuer leurs études. Dans le troisième âge,
celui dans lequel nous sommes entrés, le mode de division
et d’exclusion devient plus complexe. La sélection
dans l’institution scolaire massifiée continue de se
faire entre des sections et entre des filières plus ou moins
valorisées dès le niveau du lycée. À
cette ségrégation institutionnelle s’en ajoute
une autre, plus précoce, qui consiste dans la différenciation
sociale et ethnique de plus en plus prononcée des établissements.
Ce changement tient ici à ce que ce n’est pas seulement
dans l’école que se fait le partage entre les classes,
mais de plus en plus entre les écoles elles-mêmes,
formellement égales mais réellement différenciées
sur le plan social. Comme le disent les chercheurs anglo-saxons,
les familles sont convoquées à un « social matching
», un arbitrage social, entre les différents établissements.
À la violence brutale des décisions institutionnelles
issues de jugements professoraux fondés sur des principes
prétendument « au-dessus des classes » et portant
sur la seule valeur scolaire des élèves, succède
la violence plus anonyme des discriminations invisibles du marché,
issues de multiples décisions individuelles, et comme telles
insaisissables, des familles qui ont la capacité stratégique
de placer leurs enfants dans les « bons établissements
». Se combine une logique de tri institutionnel avec une logique
de choix social. La logique de marché, qui conduit à
séparer les classes et à écarteler le système
d’enseignement entre des lieux et des logiques opposés
sur le plan des conditions d’enseignement et des acquisitions
de savoir, aboutit à une crise de confiance de plus en plus
prononcée à l’égard de l’«
école unique ». Cette crise, par une spirale infernale,
renforce les comportements objectivement ségrégatifs.
Plus les « produits » offerts sur le marché sont
socialement différenciés, plus la logique de marché
se renforce du fait même des comportements stratégiques
auxquels conduit cette différenciation. La politique de communication
des « palmarès » donnant à voir les différences
« objectives » n’a fait à cet égard
qu’officialiser cette tendance et ériger en norme sociale
légitime la pratique du choix. Il ne suffit donc pas de voir
dans le marché la cause des inégalités ; il
faut également voir en ces dernières ce qui pousse
de plus en plus d’individus à choisir et, par là,
contribue à ancrer le néolibéralisme dans les
têtes.
La gestion sociale des « exclus de l’intérieur
»
La plupart des conduites d’évitement de la part des
parents ne sont pas difficiles à déchiffrer. Elles
témoignent de la hantise d’un contexte social qui pénaliserait
leurs enfants, de la peur des mauvaises influences que risqueraient
d’exercer des élèves peu aptes, voire hostiles,
au travail scolaire dans les écoles populaires quand elles
sont le « réceptacle des problèmes sociaux du
quartier [48] ». Il n’y a en effet plus grand-chose
de commun entre les regroupements d’élèves dans
les classes qui fonctionnent « normalement » et celles
dans lesquelles règne de façon chronique une anomie
qui empêche les acquisitions scolaires solides et durables.
Certaines classes d’écoles, de collèges et de
lycées sont parfois paralysées par une norme collective
déviante face à laquelle les enseignants sont mal
préparés et souvent peu soutenus par leur administration
sous prétexte que l’école publique doit «
accueillir tout le monde [49] ». Il arrive parfois que la
situation dans laquelle se trouvent les « exclus de l’intérieur
» les conduise à vouloir imposer une norme de conduite
a- ou antiscolaire aux élèves les plus mobilisés
par les études et à les pousser à abandonner
tout effort. Comme les enfants des classes supérieures et
moyennes ont depuis longtemps quitté ce genre d’établissements,
de filières ou de classes, les principales victimes des phénomènes
d’anomie et d’agitation sont les jeunes de milieux populaires
eux-mêmes, qui perdent ainsi toutes leurs chances de progression.
Le poids croissant du groupe adolescent dans la socialisation des
jeunes, cette « tyrannie de la majorité » qui
s’impose à chaque individu [50], est devenu l’un
des éléments clés de la neutralisation de l’effet
positif de l’institution scolaire sur les parcours scolaires
et les destins sociaux des enfants des milieux populaires, tandis
qu’au contraire, « grandir entre pairs à l’école
» renforce les chances des enfants les mieux dotés
culturellement [51].
Les contradictions de la ségrégation touchent de
plein fouet le travail enseignant. Malgré les investissements
psychologiquement coûteux d’enseignants de plus en plus
menacés de burn out [52], le contenu de la communication
pédagogique et la mobilisation intellectuelle des élèves
y sont souvent très insuffisants. Si tous les établissements
à recrutement populaire ne sont pas dans ces situations extrêmes,
les problèmes de discipline, de calme, d’attention
sont devenus, dans nombre d’entre eux, tellement prégnants
qu’ils en viennent à occuper énergie, temps,
moyens, au détriment de l’acquisition réelle
des connaissances. Ce « dérèglement »,
intuitivement perçu par les élèves et les familles,
devient la source principale des conduites de fuite. Un discours
officiel lénifiant, quand ce n’est pas un aveuglement
volontaire sur l’anomie dans laquelle est plongée une
partie de la jeunesse populaire, a jusqu’à présent
empêché de comprendre les processus en cours. La gauche
aurait pourtant trouvé dans cette reconnaissance l’occasion
de relier le néolibéralisme dominant et la crise que
connaît le lien social dans les quartiers pauvres. Au lieu
de cela, et contre la réalité, elle a continué
à vouloir faire de l’école la « solution
» bien illusoire à des inégalités sociales
qu’elle a renoncé à combattre.
L’homogénéité sociale qui résulte
de l’ensemble des processus ségrégatifs empêche
non seulement les jeunes des classes populaires d’imaginer
d’autres parcours sociaux que ceux auxquels ils semblent voués
par leur faciès et le nom qu’ils portent, mais elle
les condamne de ce fait même à cultiver des conduites
de rupture avec le reste de la société, conduites
« inciviles », voire délinquantes, qui les stigmatisent
toujours plus aux yeux des autres et les enferment dans le cercle
infernal de l’exclusion et de l’anomie. Ces mécanismes,
fondés sur l’identité négative de l’exclu,
risquent de conduire à la constitution toujours plus affirmée
de « communautés », et à l’ethnicisation
croissante de l’habitat et de l’école. Du fait
même de cette « fracture » sociale et de ces séparations
spatiales qui se sont mises en place, l’école fragmentée
et inégale s’installe à tous les niveaux, opposant
les lieux où les conditions d’enseignement permettent
d’apprendre à ceux où l’on essaie de calmer
et de faire tenir des élèves en place, avec entre
les deux toute une gamme de situations possibles, plus ou moins
gouvernées par la logique de protection. Ce dualisme traduit
la dérégulation profonde du système scolaire,
source de désarroi pour les enseignants et d’une très
grande anomie pour les élèves. Tout se passe en effet
comme si une gestion « libérale » des flux, de
l’école primaire jusqu’à l’Université,
permettait à des cohortes de jeunes issus des classes les
plus pauvres de poursuivre une scolarité intellectuellement
peu efficace, socialement démoralisante, sans qu’ils
puissent être mis en situation de sortir d’un univers
aussi troublé [53]. Des élèves qui ne parviennent
pas à le devenir vraiment, qui développent des comportements
constants de refus et de chahut, qui ne peuvent pas établir
de lien entre travail, niveau et certification, peuvent ainsi passer
de classe en classe sans jamais connaître de réelle
vérification des acquis, sans que jamais leurs lacunes ne
soient réellement prises en charge, sans que leurs comportements
ne soient sanctionnés avec une suffisante clarté.
Tout se passe comme si l’institution scolaire se trouvait,
dans certains établissements au moins, incapable de dire
la norme, aussi bien en termes intellectuels que moraux, et de la
faire appliquer, et comme si elle finissait par abandonner de facto
ces jeunes à une déréliction d’autant
plus poussée que leur impuissance sociale et économique
réelle leur est quotidiennement rappelée par le lieu
où ils vivent. Le résultat nocif de cette situation
est assez connu : à l’inégalité des atouts
culturels de départ s’ajoute de plus en plus l’inégalité
des conditions concrètes d’enseignement, lesquelles
constituent un facteur de discrimination scolaire, sociale et même
résidentielle encore trop peu pris en compte. Si les scolarités
s’allongent, les conditions sociales mais aussi scolaires
de réussite deviennent de plus en plus inégales.
L’hypothèse faite par Agnès van Zanten de l’existence
d’une « valeur ajoutée négative »
de la ségrégation, qui affecterait principalement
ce qu’elle appelle l’« école périphérique
», doit être prise au sérieux [54]. Dans les
zones périphériques, les enseignants ne peuvent faire
autrement, pour des raisons de « survie », que de fuir
ou d’adapter leur style d’enseignement et le contenu
des connaissances. L’énergie et le temps nécessaires
pour asseoir une écoute et une activité scolaire normale
sont particulièrement importants dans ces situations «
difficiles ». La sélection, la simplification, la mise
en scène orale des éléments du cours y prennent
une place très grande. Les attentes des enseignants se concentrent
sur les comportements en classe et les rapports au travail. Les
évaluations ne portent plus essentiellement sur la qualité
du travail mais sur sa quantité apparente et sur la motivation
des élèves. N’en auraient-ils pas le goût,
beaucoup d’enseignants qui ne partagent sans doute pas les
idéologies prônant une conception adaptative de l’enseignement
sont amenés, du fait de cette extrême difficulté
de l’exercice quotidien de leur métier, à «
ajuster » localement leurs cours, leurs évaluations
et leurs attentes au public majoritairement représenté
dans les classes. Cette adaptation au contexte, nécessaire
jusqu’à un certain point, n’en risque pas moins
de déboucher sur une dualisation de plus en plus accentuée
des établissements ou des classes d’élèves
si elle n’est encadrée par des objectifs de savoir
clairement réaffirmés. Or une grande part des savoirs
peuvent perdre toute légitimité aux yeux mêmes
des enseignants proportionnellement aux craintes de leur éloignement
avec la vie vécue par les élèves. En un mot,
les relations interpersonnelles, l’immédiateté
des intérêts et des soucis, la « régulation
des comportements » peuvent, dans les écoles périphériques,
avoir tendance à l’emporter sur les acquisitions culturelles,
tandis qu’au centre du système scolaire ces dernières
demeurent au centre du rapport pédagogique [55]. Les discours
pédagogiques et « sociologiques » qui prescrivent
une conduite plus éducative qu’instructionnelle de
la part des enseignants, plus affective et compréhensive
que formatrice, ne font souvent que théoriser le déplacement
contraint des buts de l’école scolarisant majoritairement
des élèves de milieux populaires [56].
De ce point de vue, certaines ZEP ont plutôt exercé
un « traitement social de l’échec scolaire »
et se sont plutôt constituées en « lieux d’accompagnement
social pour les publics défavorisés » qu’elles
n’ont constitué une réponse adaptée à
la scolarisation des milieux populaires. Les écoles «
sociales » ou les « lycées sociaux », ne
se caractérisent plus par un enseignement spécifique
mais par une action en partenariat avec les services municipaux
ou régionaux où l’on pratique des « pédagogies
d’attente » – comme on en pratiquait dans les
années 1960 pour les élèves de six ans qui
n’arrivaient pas à apprendre à lire –
et où l’on « allège » les programmes
[57]. On retrouve parfois ce paupérisme et ce misérabilisme
dans la façon dont on parle des élèves «
en difficulté », et en particulier des handicapés,
dont on attend qu’ils parviennent à « être
avec les autres » dans une « démarche citoyenne
». L’important serait le « vivre-ensemble »
plutôt que l’accès à la culture. Cette
visée socialisatrice devient première [58]. Le développement
des « profils de poste » et du recrutement, par les
chefs d’établissement, des nouveaux enseignants en
ZEP, la diffusion de « référentiels de compétences
» spécifiques pour cet enseignement témoignent
d’une institutionnalisation croissante de cette segmentation
[59]. Cette dérive vers les solutions locales d’adaptation,
encouragée par l’administration et une partie de l’expertise
pédagogique, s’avère aujourd’hui particulièrement
problématique dans une période de fragmentation du
système éducatif et d’affaiblissement des valeurs
culturelles et politiques centrales portées par le monde
politique, syndical et associatif. Si la création des ZEP
il y a vingt ans a permis de freiner, au moins dans un premier temps,
la segmentation du marché scolaire, ce dispositif a vite
montré ses limites. La nature managériale des solutions,
la technicisation et la dépolitisation des missions et des
contenus de l’enseignement dans les territoires marginalisés,
l’extrême timidité des moyens affectés
aux établissements en crise n’ont pas été
en mesure d’empêcher la polarisation sociale d’exercer
ses pleins effets négatifs [60]. Une « démocratisation
» de ce genre est évidemment fallacieuse puisqu’elle
supprime de façon illusoire le problème qui consiste
à faire passer des enfants issus de « dynasties manuelles
» à des positions et dispositions sociales et professionnelles
qui requièrent une formation intellectuelle plus poussée.
Or l’une des thèses défendues par beaucoup
de réformateurs consiste à dire qu’il ne s’agit
surtout pas de « faire des intellectuels », qu’il
faut cesser cette « violence symbolique » à l’égard
des jeunes de classes populaires qui consiste à imposer des
normes culturelles qui leur sont étrangères, qu’il
faut au contraire s’adapter à leur culture propre,
respecter les différents « milieux », selon un
moralisme considéré comme progressiste. L’usage
perverti de la sociologie conduit ici à voir la culture comme
un « luxe » que ne peuvent se permettre les jeunes «
exclus ». On abandonne l’école aux particularismes
en soutenant qu’elle est d’autant plus démocratique
qu’elle est plus proche socialement et ethniquement du quartier.
Ouverte aux cultures dominées, elle doit devenir «
multiculturelle » et renoncer à être l’instrument
de l’« impérialisme culturel », selon une
pente qui risque fort de n’être autre chose qu’une
« assignation à résidence culturelle »
[61]. Il va sans dire que ce refus faussement radical de la norme
culturelle aboutit à laisser jouer les différenciations
sociales spontanées et à faire reposer plus directement
encore le « tri scolaire » sur l’origine sociale.
Si la dénonciation du caractère aveugle, parce que
implicite, de la sélection sociale par des connivences entre
la culture familiale et la culture de l’école pouvait
avoir des conséquences démocratiques, le fait d’accuser
la formation intellectuelle d’être intrinsèquement
bourgeoise ou « reproductrice » renverse le sens de
la critique et la transforme en alibi pour ne plus instruire les
enfants des classes populaires. Cet usage relativiste de la sociologie,
qui prolonge certaines dérives en faveur de la déscolarisation
des années 1970, se tourne volontiers contre les enseignants
accusés d’intellectualisme, d’être coupés
de la « vie réelle » et de la « vraie vie
» des quartiers et des cités que sont censés
connaître leurs élèves. Mais il est une autre
tentation, encore plus désespérée peut-être,
qui est de « sécuriser » les établissements,
de multiplier les dispositifs de surveillance, de hausser les murs
de l’école, de renforcer les mesures de punition destinées
aux parents et aux élèves. La droite conservatrice
excelle dans cet autre mode de traitement des « exclus de
l’intérieur ». Les dispositifs informatiques
et juridiques de contrôle et de sanction de l’absentéisme,
la présence policière dans les établissements,
les systèmes de vidéosurveillance constituent les
principales réponses à l’anomie qui règne
dans les établissements dits « difficiles » ou
« sensibles ». Le risque existe de se satisfaire d’une
école qui enseigne moins mais qui surveille et punisse plus.
Reproduction et ségrégation
Avec l’assouplissement de plus en plus poussé de la
carte scolaire conçu comme une étape vers sa disparition,
la droite et la gauche néolibérale auront mis une
trentaine d’années à réaliser le libre
marché scolaire. Cette réalisation est pour une part
le fruit du climat politique général en faveur du
« libre choix » en toutes choses, du refus des contraintes
administratives et même institutionnelles. Elle est plus précisément
le fruit du principe général de la concurrence qui
anime l’action publique dans toutes ses composantes, et qui
est particulièrement bien exprimé dans la philosophie
de la construction européenne en matière de services
publics « ouverts à la concurrence ». Cet objectif
ne pouvait être atteint directement par une argumentation
trop ouvertement néolibérale et par des mesures actives
en faveur du marché qui auraient été trop facilement
déchiffrables. En France, il est bien connu que les politiques,
et spécialement les politiques scolaires, procèdent
de la République. Il fallait donc atteindre un certain point
de non-retour dans la dégradation des conditions d’enseignement
de nombreux établissements, il fallait voir se développer
l’inquiétude générale des familles à
l’endroit de l’école, il fallait assister à
la progression des conduites d’évitement de certains
établissements et à l’insatisfaction à
l’égard des affectations contraintes dans un contexte
de ségrégation urbaine bien installé pour que
la situation soit suffisamment mûre pour abandonner la carte
scolaire et entrer de plain-pied dans une logique de marché.
Si les responsables politiques savent depuis la fin des années
1980 et le début des années 1990 quelles sont les
conséquences des politiques de marché scolaire, il
convient de prendre en compte le faisceau de raisons qui expliquent
que l’on continue à l’instituer. Il y a pour
une part des motifs électoralistes, tant il semble que les
parents soient désireux de pouvoir exercer leur « liberté
de choix ». Il y a ensuite des raisons sociologiques, qui
expliquent que l’on ait favorisé les établissements
des « centres-villes » et des « beaux quartiers
» où se reproduit l’élite. Il y a également,
et de façon plus profonde, la mise en œuvre d’une
rationalité globale incompatible avec une véritable
lutte volontariste pour l’égalité dans le domaine
de l’école. L’école, comme on l’a
vu, est conçue comme une entreprise fournissant des services
sur un marché concurrentiel dans le cadre d’une recherche
de compétitivité globale de l’action publique.
Ce modèle néolibéral entrave une politique
sans doute plus « efficace », mais qui supposerait que
l’État soit resté fidèle à des
objectifs sociaux, culturels et politiques d’avant le tournant
néolibéral.
Cette mise en marché de l’école tend à
devenir le mode typique de reproduction sociale à l’époque
néolibérale en tant qu’elle favorise partout
une ségrégation sociale et ethnique qui apparaît
comme le résultat « naturel » de la concurrence.
La tendance à la séparation des groupes sociaux et
ethniques dans l’espace, dans l’habitat, entre lieux
de scolarisation n’est pas nouvelle ; elle est même
sans doute inhérente à toute société
de classes. Mais, passé un certain seuil, la séparation
devient une modalité centrale de la reproduction sociale.
Le mélange de compassion misérabiliste et de sécuritarisme
policier qui caractérise le discours officiel non seulement
ne changera rien, mais il aura probablement pour effet de maintenir
le plus longtemps possible une « règle du jeu »
qui favorise toujours plus les favorisés.
P. Clément, G. Dreux, C. Laval et F. Vergne, La nouvelle
école capitaliste, La Découverte, 2011.
Notes
[1] L’ouvrage de Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET, L’Élitisme
républicain. L’école française à
l’épreuve des comparaisons internationales, «
La République des idées », Seuil, Paris, 2009,
en est une bonne illustration.
[2] Christian BAUDELOT et Roger ESTABLET, L’École
capitaliste en France, op. cit.
[3] Cf. sur ce point le texte classique de Milton FRIEDMAN, The
Role of Government in Education, rééd. in Robert A.
SOLOW (dir.), Economics and The Public Interest, Rutgers University
Press, Piscataway, 1955 ; ainsi que l’ouvrage de référence
du néolibéralisme en matière scolaire : John
E. CHUBB et Terry M. MOE, Politics, Markets and America’s
Schools, The Brookings Institution, Washington DC, 1990.
[4] http://www.educinfo.info/uploads/DOCS/3302_20080620_Obin_carte_scolaire.pdf
[3].
[5] Cf. Choukri BEN AYED et Franck POUPEAU, « École
ségrégative, école reproductive », Actes
de la recherche en sciences sociales, nº 180, décembre
2009, p. 5-10.
[6] Cf. Pierre BOURDIEU (dir.), La Misère du monde, Seuil,
Paris, 1993.
[7] La reproduction sociale n’y était pas assurée
principalement par la scolarisation : les fils remplaçaient
les pères dans le même métier sans que la réussite
scolaire ne change en général beaucoup les trajectoires.
Le baccalauréat était bien souvent la consécration
d’un héritage social perçu en dehors de l’école.
Cette reproduction se réalisant principalement selon la lignée
et non selon le « mérite » individuel, l’école
ne jouait pas le rôle si important qu’elle a pris aujourd’hui
dans les parcours professionnels et les occasions de la mobilité
sociale. En revanche, comme le soulignait Edmond GOBLOT, l’enseignement
secondaire et supérieur avait une fonction symbolique et
politique primordiale (cf. La Barrière et le Niveau. Étude
sociologique sur la bourgeoisie française moderne (1925),
rééd. PUF, Paris, 1967).
[8] Cf. Jean-Pierre OBIN et Agnès VAN ZANTEN, La Carte scolaire,
PUF, Paris, 2008, et l’article de Choukri BEN AYED, «
La mixité sociale dans l’espace scolaire », Actes
de la recherche en sciences sociales, 2009/5, nº 180, p. 17
et sq.
[9] Choukri BEN AYED, Carte scolaire et Marché scolaire,
Institut de recherches de la FSU/Éditions du Temps, Pornic,
2009, p. 29.
[10] Catherine BARTHON et Brigitte MONFROY, « Les Espaces
locaux d’interdépendance entre collèges : le
cas de Lille », Rapport pour la Commission européenne,
2003, cité par Choukri BEN AYED, « La mixité
sociale dans l’espace scolaire », loc. cit., p. 29.
[11] Gabriel LANGOUËT (dir.), Public ou privé ? Élèves,
parents, enseignants, Fabert, Paris, 2002.
[12] Agnès VAN ZANTEN, La Carte scolaire, op. cit.
[13] En 1991, Robert BALLION publiait La Bonne École (Hatier),
où il soulignait que tout cela ne profitait qu’aux
plus favorisés.
[14] Dans les années 1990, 30 % des élèves
étaient hors secteur. La loi actuelle prévoit que
le conseil général intervienne dans la définition
des secteurs pour les collèges, mais avec un regard de l’administration
de l’Éducation nationale qui, elle, de toute façon,
choisit les affectations.
[15] Contrairement à certains effets d’annonce, à
la rentrée 2011 la carte scolaire, sauf exceptions géographiques
ou sectorielles, n’a pas disparu totalement. Elle a plutôt
connu une nouvelle réglementation qui renforce les stratégies
de « placement » des familles les plus aptes à
faire reconnaître les critères retenus par les inspecteurs
d’académie. C’est le cas des « élèves
qui doivent suivre un parcours scolaire particulier », la
« particularité » pouvant tout à fait
être pensée et préparée en amont.
[16] Rapport du CERI (Centre pour la recherche et l’innovation
dans l’enseignement), p. 27.
[17] Ibid., p. 159.
[18] Cf. Ken JONES (dir.), L’École en Europe. Politiques
néolibérales et résistances collectives, La
Dispute, Paris, 2011.
[19] Pour une critique documentée de la thèse du
choix rationnel en matière scolaire, cf. Agnès VAN
ZANTEN, Choisir son école. Stratégies familiales et
médiations locales, PUF, Paris, 2009.
[20] Yves CAREIL, École libérale, école inégale,
Éditions Nouveaux Regards/Syllepse, Paris, 2002.
[21] Cf. Agnès VAN ZANTEN, Choisir son école, op.
cit. Il est important de noter aussi que ces logiques de placement
semblent sans limite ; des communes très aisées et
très protégées, comme Neuilly, connaissent
des taux d’évitement extrêmement élevés,
« justifiés » par la concurrence de proches lycées
parisiens plus prestigieux encore.
[22] Cf. Marco OBERTI, L’École dans la ville. Ségrégation,
mixité, carte scolaire, Les Presses de Sciences po, Paris,
2007.
[23] Cf. Gabrielle FACK et Julien GRENET, « Sectorisation
des collèges et prix des logements à Paris »,
Actes de la recherche en sciences sociales, nº 180, décembre
2009, p. 45-62.
[24] Robert Ballion a montré dans ses travaux que les parents
se fient souvent à des indicateurs beaucoup plus grossiers
pour déterminer ce qu’est une « bonne école
» pour leurs enfants, par exemple le taux de réussite
à l’examen final. D’après le sociologue,
ils confondraient par là le niveau moyen des élèves
et ce qui serait bon pour le parcours scolaire de leur propre enfant.
[25] Rappelons que la « valeur ajoutée » des
établissements tient compte des résultats bruts (de
réussite aux examens), mais pondérés par les
origines sociales des élèves. Aussi, la capacité
d’un établissement à « emmener »
un élève jusqu’au baccalauréat, c’est-à-dire
à limiter les réorientations, est prise en compte.
[26] Cf. C. CHAUSSERON, « Le choix de l’établissement
au début des études secondaires », Note d’information,
MEN, 2001.
[27] Ibid., p. 34.
[28] Choukri BEN AYED, Carte scolaire et Marché scolaire,
op. cit., p. 33.
[29] Sharon GEWIRTZ, Stephen J. BALL, Richard BOWE, Markets, Choice
and Equity in Education, Open University Press, Buckingham, Philadelphie,
1995, p. 162.
[30] Robert BALLION, La Bonne École, op. cit., p. 56.
[31] Ibid., p. 56 et sq.
[32] Georges FELOUZIS, Françoise LIOT et Joëlle PERROTON,
L’Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation
ethnique dans les collèges, Seuil, Paris, 2005.
[33] Danièle TRANCART, « L’évolution
des disparités entre collèges publics », Revue
française de pédagogie, nº 124, 1998, p. 43-54.
[34] Cf. Agnès VAN ZANTEN, L’École de la périphérie,
PUF, Paris, 2001, p. 8 et sq.
[35] Franck POUPEAU et Jean-Christophe FRANÇOIS, Le Sens
du placement. Ségrégation résidentielle et
ségrégation scolaire, « Cours et travaux »,
Raisons d’agir, Paris, 2008.
[36] Georges FELOUZIS et Joëlle PERROTON, « Les “marchés
scolaires” : une analyse en termes d’économie
de la qualité », Revue française de sociologie,
octobre-décembre 2007, 48-2, p. 712.
[37] Sur tous ces points, voir le livre fondamental d’Yves
CAREIL, De l’école publique à l’école
libérale. Sociologie d’un changement, Presses universitaires
de Rennes, 1998.
[38] Agnès VAN ZANTEN, Choisir son école, op. cit.
[39] Denis MEURET, Sylvain BROCCOLICHI, Marie DURU-BELLAT, Autonomie
et choix des établissements scolaires. Finalités,
modalités, effets, CNRE, IREDU, Dijon, 2000. Marie Duru-Bellat,
à l’occasion des auditions de la Commission Thélot,
en a fait une synthèse particulièrement éclairante.
[40] Voir l’analyse qu’en fait Franck POUPEAU, in Une
sociologie d’État. L’école et ses experts
en France, « Cours et travaux », Raisons d’agir,
Paris, 2003.
[41] Martin THRUPP, Schools Making a Difference. Let’s Be
Realistic ! School Mix, School Effectiveness and the Social Limits
of Reform, Open University Press, 1999.
[42] Georges FELOUZIS, « La ségrégation ethnique
au collège et ses conséquences », Revue française
de sociologie, 44-3, p. 413-447.
[43] Marie DURU-BELLAT et AlainMINGAT, « La constitution
de classes de niveau dans les collèges. Les effets pervers
d’une pratique à visée égalisatrice »,
Revue française de sociologie, XXXVIII, 1997, p. 759-789.
[44] Georges FELOUZIS, Françoise LIOT et Joëlle PERROTON,
L’Apartheid scolaire, op. cit., p. 49 et sq.
[45] Encore que le résultat des choix ait lieu après,
et il arrive que mettre son enfant dans un établissement
d’élite ne soit pas si profitable.
[46] Nico HIRTT, « Impact de la liberté de choix sur
l’équité des systèmes éducatifs
ouest-européens », Appel pour une école démocratique,
2007.
[47] On pense ici aux « miraculés » de Pierre
Bourdieu. Voir aussi Smaïn LAACHER, L’Institution scolaire
et ses miracles, La Dispute, Paris, 2005. L’auteur insiste
sur l’importance des « petits capitaux » et des
« substituts aux capitaux scolaires » dans la réussite
scolaire des enfants issus de milieux très modestes.
[48] Yves CAREIL, « L’école publique à
l’encan », Le Monde diplomatique, novembre 1998.
[49] Marie-Hélène BACQUÉ et Yves SINTOMER,
« Affiliations et désaffiliations en banlieue. Réflexions
à partir des exemples de Saint-Denis et d’Aubervilliers
», Revue française de sociologie, avril-juin 2001,
42-2.
[50] Dominique PASQUIER, Cultures lycéennes. La tyrannie
de la majorité, Autrement, Paris, 2005.
[51] Georges FELOUZIS et Joëlle PERROTON, « Grandir
entre pairs à l’école », loc. cit., p.
93-100.
[52] Cet effet d’épuisement au travail analysé
par Christophe Dejours concerne les salariés qui, du fait
de la situation objective, ne peuvent accomplir ce qu’on leur
demande pourtant de faire sans leur en donner les moyens.
[53] Voir Stéphane BEAUD, 80 % au bac… et après
? Les enfants de la démocratisation scolaire, La Découverte,
Paris, 2003, p. 314-315.
[54] Agnès VAN ZANTEN, L’École de la périphérie,
op. cit., p. 32. On peut même parler de « discrimination
négative » dans les ZEP, tout particulièrement
dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis, dont
on sait que non seulement ils n’ont pas été
traités en « zones d’éducation prioritaires
», mais qu’ils ont au contraire eu à subir des
années durant un sous-équipement et une sous-dotation
tout à fait éclairants quant à la nature du
système scolaire.
[55] Recentrer le métier d’enseignant sur l’acquisition
des connaissances ne veut pas dire que des programmes parfois pléthoriques
qui correspondent plus à l’élève idéal
qu’aux élèves réels doivent constituer
une norme absolue.
[56] Cette évolution n’est pas sans rappeler les évolutions
de l’école américaine de masse au début
du XXe siècle dans laquelle la priorité devait être
donnée au « contrôle du comportement humain »
parce qu’il fallait d’abord aider l’élève
à devenir bon citoyen, bon travailleur et bon père
ou mère de famille, comme le disait Harl DOUGLASS dans son
ouvrage Secondary Education for Youth in Modern America en 1937.
CARR, dans The Purposes of education in American Democracy, expliquait
quant à lui que l’école avait pour but l’«
auto réalisation », les « relations humaines
», l’« efficience économique » et
la « responsabilité civique ». Cf. Diane RAVITCH,
The Troubled Crusade. American Education, 1945-1980, Basic Books,
New York, 1983, p. 60.
[57] Voir Robert BALLION, « Les lycées sociaux »,
Migrants Formation, nº 92, 1993, et Gérard CHAUVEAU
et Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, À l’école
des banlieues, ESF, 1995, p. 73-74.
[58] On peut ainsi se demander si la forte proportion des enseignants
(qu’ils soient en ZEP ou non) qui pensent que l’enseignement
en ZEP n’est pas le même métier que l’enseignement
hors ZEP ne correspond pas à la représentation de
cette dualité de plus en plus prononcée du système
scolaire. Voir Catherine MOISAN, « Résultats des enquêtes
et des forums académiques », Assises nationales des
ZEP, Rouen, 5 et 6 juin 1998.
[59] Comme le dit Élisabeth Bautier, « si on déconnecte
les contenus d’enseignement de la socialisation, ce qui est
le cas lorsqu’on dit que les enfants doivent être socialisés
afin de pouvoir apprendre, cela peut conduire à creuser les
écarts entre les élèves, à s’éloigner
d’un objectif de démocratisation effective de l’enseignement
», Élisabeth BAUTIER, « De la politique en éducation
», Nouveaux Regards, nº 14, été 2001, p.
33.
[60] Voir Bernard CHARLOT, « Quelle relance pour les ZEP
? », Assises nationales des ZEP, Rouen, 5 et 6 juin 1998,
et Gérard CHAUVEAU et Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU, À
l’école des banlieues, op. cit., p. 40. Sur l’analyse
des politiques de ZEP, voir Patrick BOUVEAU et Jean-Yves ROCHEX,
Les ZEP, entre école et société, Hachette éducation,
Paris, 1997.
[61] Gérard CHAUVEAU et Éliane ROGOVAS-CHAUVEAU,
À l’école des banlieues, op. cit., p. 86.
Date : 05/09/2011 - 23:22
http://www.contretemps.eu/lectures/bonnes-feuilles-nouvelle-%C3%A9cole-capitaliste-p-cl%C3%A9ment-g-dreux-c-laval-f-vergne
Liens :
[1] http://www.contretemps.eu/lectures
[2]
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[3] http://www.educinfo.info/uploads/DOCS/3302_20080620_Obin_carte_scolaire.pdf
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