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Jean-Marie Brohm : la compétition sportive comme pendant à la compétition du marché ?

Origine : Cahier N°14, Sport et société : pour une critique du sport
Une édition : Collectif Formation Société – CFS asbl Rue de la Victoire 26 – 1060 Bruxelles Tél. 02 543 03 00 – cfs (at) cfsasbl.be www.cfsasbl.be
www.universitepopulaire.be/wp-content/uploads/2011/10/cahier14.pdf

Deux sources idéologiques permettraient de placer la compétition comme moteur de nos vies : la théorie de l’évolution ou sa lecture particulière, et la théorie libérale de l’économie. On a regardé, avec Albert Jacquard, la première et ses liens avec le sport. Nous allons maintenant nous occuper de la seconde en suivant les analyses de Jean-Marie Brohm.

Ces travaux suivent une certaine continuité. L’intention d’Albert Jacquard était de dénoncer la justification de la compétition sportive par la théorie de l’évolution et de montrer que non seulement la compétition n’était pas un moteur pour le progrès, mais qu’au contraire, elle appauvrissait nos vies. Les travaux de Jean-Marie Brohm, visent, eux, à comprendre pourquoi le sport et la compétition s’agencent si bien et pourquoi ils se potentialisent si bien l’un l’autre.

Les deux auteurs dénoncent la compétition. Mais, chez Jacquard il y aurait une erreur « de lecture » à corriger, alors que, comme nous le verrons par la suite, Brohm parle au contraire d’une adéquation très forte du sport avec notre société capitaliste.

Selon Jean-Marie Brohm le point de départ est la réification du corps dans le sport où le corps est perçu comme une chose, comme une machine. Mais pour lui, cette vision du corps, qu’il dénonce, dépasse le domaine sportif : « De même que Marx a dénoncé sans cesse les effets du machinisme capitaliste sur l’ouvrier, il nous faut aussi critiquer les effets sur l’individu de la pratique sportive telle qu’elle tend à s’établir de manière dominante : la compétition. Le sportif est enchainé à son activité, le sport l’aliène, le rive à ses mécanismes ». 1 Le type de rapport au corps est le même :

« ... le travailleur voit ses gestes rationalisés, ils deviennent une concrétisation, une cristallisation de l’espace, c’est-à-dire qu’ils sont canalisés dans l’espace, qu’ils sont codifiés. Cette rationalisation mécanique se retrouve dans le sport, qui est la rationalisation la plus extrême du geste naturel » 2.

Jean-Marie Brohm va même encore plus loin, car la réification n’est pas une simple coïncidence ou une déviance dans le sport, il s’agit – selon lui – du véritable rôle social du sport, de sa vocation...

« La manipulation du corps s’inscrit dans un double processus : celui de la sublimation répressive, celui de la désublimation répressive. Ces processus concernent le contrôle et la domestication des pulsions et des aspirations de l’organisme, notamment son énergie érotique. Ils aboutissent à la question centrale de la culturalisation de l’individu ; la répression du principe de plaisir, dont le corps est l’agent et le porteur... la subordination au principe de réalité, dont le contenu est le condensé des impératifs et des normes de la société de classe. Si la sphère du travail exploité est le domaine de la répression pure, le domaine des loisirs, de la culture de masse est le règne de l’auto répression « librement consentie » 3.

La compétition sportive, avec son exigence de performance, permet de garder le corps productif pendant le temps libre. Selon Brohm, le sport n’est pas une forme de jeu, au contraire, il s’y oppose.

En effet, la place pour le plaisir, pour l’amusement y est inexistante. Plus encore, le sport est un rapport aliéné au corps prenant une forme ludique, c’est-à-dire un rapport qui se détourne du corps-sujet de désirs pour passer à un corps objet performant.

Cette analyse débouche donc sur une conclusion beaucoup plus radicale : sport et compétition sont quasi indissociables. De surcroît, c’est plus largement toute recherche de performances qu’il faut bannir du sport. En effet, on peut certes faire du jogging tout seul. Or, dès que l’on chronomètre son parcours, dès que l’on cherche à dépasser une performance, on rentre de nouveau dans un rapport productif au corps, en mettant de côté le principe du plaisir.

1 BROHM, Jean-Marie. « Sociologie politique du sport » in Partisans, Nº sport culture et répression, Maspero, p. 17.

2 BROHM, Jean-Marie. Ibid., p. 27.

3 BROHM, Jean-Marie. « La sublimation et la désublimation répressive » in Partisans, N° 43 sport culture et répression, Maspero, p. 67.