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Brohm Jean-Marie, « L'olympisme ou la continuité d'une idéologie totalitaire » 

Origine : http://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2009-1-page-75.htm

Outre-Terre, 2009/1 n° 21, p. 75-87

Personne ne peut plus feindre de l'ignorer : la « flamme olympique », la  « trêve olympique », la « paix olympique », « l'amitié entre les peuples », la  « grande fête de la jeunesse sportive » et autres fadaises idéologiques massivement véhiculées par l'institution olympique 2, de concert avec tous les appareils  de propagande nationaux ou transnationaux mobilisés pour célébrer les JO de  Pékin 2008, ont eu pour seul et unique effet de légitimer la politique criminelle  du régime totalitaire de Pékin sur la scène diplomatique mondiale 3. Le barnum  olympique encensé jusqu'à la nausée par les journalistes alignés et les « intellectuels » vautrés dans le populisme sportif ­ avec son folklore infantile, ses  anecdotes débilitantes, ses mythologies régressives, ses rituels archaïques ­ a  fonctionné comme un gigantesque paravent ou écran de fumée derrière lequel  la « clique » dominante du Parti communiste chinois et ses « laquais », pour  reprendre la terminologie maoïste de naguère, ont organisé la répression systématique des militants des Droits de l'homme, des minorités ethniques, des cyberdissidents, des avocats aux pieds nus, des syndicalistes, des pratiquants de  Falun gong, des religieux, tous qualifiés de « forces hostiles à l'État » 4. Ce sont  les prétendues « valeurs » de l'olympisme 5 qui ont permis au Parti communiste  chinois (PCC) de faire des JO un instrument de manipulation, de désinformation  et de propagande à grande échelle, comme le firent autrefois le régime national-socialiste lors des JO de Berlin en 1936 6 et la bureaucratie stalinienne des  Kossyguine, Gromyko, Brejnev (KGB) lors des JO de Moscou en 1980.

1. Professeur de sociologie à l'université Montpellier iii.

2. Voir Jean-Marie Brohm, Le Mythe olympique, Paris, Christian Bourgeois, 1981.

3. Voir la revue Quel Sport ?, n o 1, septembre 2007 ; n o 2/3, janvier 2008 ; n o 4/5, mai 2008 ;  n o 6/7, juillet 2008. La seule revue militante ayant impulsé et organisé le boycott des Jeux de  la honte de Pékin 2008. La seule revue surtout qui a publié toute une série de documents, de  photos et de déclarations concernant la contestation des JO de Pékin ; également Fabien Ollier,  Marc Perelman, Le Livre noir des JO de Pékin. Pourquoi il faut boycotter les jeux de la honte,  Saint Victor d'Épine, City Éditions, 2008. On peut aussi consulter le numéro hors-série de  Science et Vie, « Édition spéciale Pékin 2008. La face cachée des JO », juillet 2008.

4. Parmi tant d'autres articles « Tour de vis olympique », Libération, 8 juillet 2008.

5. Pierre Rousselin, éditorialiste du Figaro, n'hésite pas à parler des « valeurs universelles de  l'olympisme » en souhaitant « le succès des Jeux de Pékin », Le Figaro, 8 juillet 2008.

En impulsant une mobilisation nationaliste de masse sans précédent, en exaltant l'hégémonisme de grande puissance vis-à-vis du Tibet, des minorités ethniques et  des autres voisins, particulièrement Taiwan, en brandissant l'arme de dissuasion  olympique contre les « ennemis du peuple », « asociaux », « sécessionnistes » et  « contre-révolutionnaires », et pour finir en raffinant un instrument de contrôle  social 7 d'autant plus efficace qu'il était appuyé sur l'adhésion volontaire d'une  population matraquée depuis des mois par les slogans militaro-sportifs de la  campagne officielle de promotion de la « Chine nouvelle » 8, la bureaucratie  post-maoïste s'est inscrite dans la lignée de ces pouvoirs impérialistes de parti  unique qui ont toujours utilisé le sport, particulièrement l'olympisme, à la fois  comme moyen d'encadrement totalitaire de la population et comme vecteur de  prestige sur la scène diplomatique internationale 9.

6. La référence à Berlin 1936 gêne évidemment les idéologues aux ordres du régime, tel Pan  Wei, professeur de sciences politiques à l'université de Pékin et comme tel porte-parole du  PCC : « En Europe, beaucoup veulent comparer les Jeux de Pékin à ceux de 1936 à Berlin.
C'est absurde. Pour la Chine c'est une grande fête. Peut-être certains étrangers vont-ils manifester contre ces jeux, mais ce n'est pas très grave, nous pouvons vivre avec. Et si quelques-uns  disent qu'ils ne veulent pas venir, on s'en moque. Il n'y a aucune implication politique, les JO  à Pékin, c'est exactement comme à Paris ou ailleurs », Libération, 8 juillet 2008.

7. Que les idéologues du sport ­ des sociologues postbourdieusiens aux historiens des « pratiques sportives » ­ banalisent et dépolitisent outrageusement en évoquant de manière indécente  les « passions sportives », les « vibrations émotionnelles » ou « l'immense bonheur collectif »  des meutes sportives enragées par la haine de l'adversaire, le chauvinisme, le racisme, la xénophobie, l'enthousiasme guerrier. Sur cette apologie postmoderne cynique de l'endoctrinement sportif, cf. Jean-Marie Brohm, Les Meutes sportives. Critique de la domination, Paris,  L'Harmattan, 1993 ; id., La Tyrannie sportive. Théorie critique d'un opium du peuple, Paris,  Beauchesne, 2006.

8. À propos des fonctions politiques du sport-spectacle de compétition, cf. Jean-Marie Brohm,  Sociologie politique du sport, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992 ; Jean-Marie Brohm, La Machinerie sportive. Essais d'analyse institutionnelle, Paris, Anthropos, 2002.

9. De nombreux régimes militaro-policiers, dictatures bananières, États bouchers, théocraties  islamiques utilisent également le sport comme slogan patriotique unanimiste ou drapeau de  ralliement au pouvoir en place. L'union sacrée autour des champions d'État est aujourd'hui  l'un des facteurs les plus puissants de l'identification pulsionnelle et idéologique des opprimés  à leurs oppresseurs.

10. Voir Jean-Marie Brohm, 1936 Les Jeux olympiques à Berlin, Bruxelles, André Versaille  éditeur, 2008.

Mais comme naguère pour Berlin 1936 10 et Moscou 1980, le Comité international olympique (CIO) n'a émis aucune critique ni réserve à propos de cette  normalisation olympique cynique menée tambour battant par la mafia du Parti  communiste dont les ambitions et les méthodes ne sont guère différentes de celles des autres honorables sociétés du crime organisé capitaliste qui se disputent l'hégémonie sur le marché mondial (trusts, monopoles, lobbies financiers, multinationales, associations d'initiés, syndicats de l'économie souterraine, cartels de  la drogue, oligarques russes, réseaux occultes de blanchiment, yakusas japonais,  groupes chinois de contrefaçon, etc.). Bien au contraire, le président du CIO, Jacques Rogge, n'a pas hésité à affirmer que « ce serait une erreur de juger la Chine  trop tôt et trop facilement. Des exemples ont montré par le passé que les bénéfices sociaux et économiques peuvent survenir dans les années qui suivent l'organisation des Jeux ». Il s'est même dit « convaincu que les Jeux vont permettre aux  Chinois d'avoir une nouvelle vision de leur société et qu'ils aideront athlètes et  visiteurs à avoir une vision plus juste de la Chine » 11. En fait le CIO ­ par intérêt,  cynisme et lâcheté ­ a surtout refusé de voir que les Jeux étaient utilisés par le  PCC comme un instrument de propagande agressive à l'extérieur, de répression  impitoyable à l'intérieur. Au nom de l'idée olympique supposée promouvoir en  vrac un « monde meilleur », la « compréhension entre les peuples », le « progrès  de l'humanité » et la « paix dans le monde », le CIO et ses notables cooptés  ont prétendu refuser la « politisation des Jeux » tout en cautionnant avec zèle  le vernis olympique de la politique chinoise et en légitimant de facto le régime  totalitaire de Pékin. Alors que la Charte olympique affirme pompeusement que  le « but de l'olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l'homme en vue de promouvoir une société pacifique soucieuse de  préserver la dignité humaine » (article 2), que « l'esprit olympique exige la compréhension mutuelle, l'esprit d'amitié, de solidarité et de fair-play » (article 4)  et que « toute forme de discrimination à l'égard d'un pays ou d'une personne  fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autres  est incompatible avec l'appartenance au Mouvement olympique » (article 5),  les hiérarques du CIO n'ont eu de cesse de légitimer des régimes autoritaires,  despotiques, totalitaires qui ont mis la mystification idéaliste de la phraséologie  olympique au service de leur politique répressive. En affirmant un humanisme  de pacotille, Jacques Rogge 12, comme tous ses prédécesseurs, a ainsi justifié la  dissociation schizophrénique entre le sport et la politique, expliquant en fait que  l'olympisme est une entité hors monde, pure, désincarnée, apolitique, qui n'a  jamais été compromise par sa collaboration organique avec les dictatures, et qui  permet de surcroît de pacifier les conflits entre les nations : « Nous ne devons  pas entrer dans des domaines politiques », expliquait-il pour contrecarrer la campagne de boycott des JO de Pékin, « si nous le faisions, nous nous aliénerions  la possibilité de ce trait d'union entre tous les peuples. En 1980, les plus grands  gouvernements et ceux qui faisaient l'opinion ne voulaient pas d'une participation des athlètes aux Jeux de Moscou.

11. AFP, 15 janvier 2008.

12. Rogge développera une pitoyable défense et illustration des positions du CIO dans un  entretien donné au Temps du 2 mai 2008.

Nous avons été attaqués sauvagement et  nous avons répondu : nous ne sommes là ni pour cautionner ni pour critiquer la  présence de l'URSS en Afghanistan. Aujourd'hui nous allons à Pékin, nous ne  cautionnons pas le gouvernement chinois » 13. La fausse dissociation idéologique  du réel était là à son comble : accepter de coorganiser des festivités olympiques  pharaoniques (plus de 60 milliards de dollars de dépenses...) avec un régime  totalitaire était supposé n'avoir aucun sens politique ! La répression sanglante  au Tibet, les exécutions capitales à la chaîne ­ très souvent dans les stades ­, la  mise au pas systématique de toute expression démocratique, les méthodes mafieuses d'intimidation des populations (expropriation des paysans, menaces sur  les ouvriers réclamant justice), l'exploitation esclavagiste d'une main-d'oeuvre  parquée dans des camps de rééducation (Laogai, Laojiao), tout cela n'était qu'un  « détail » de l'histoire qui n'avait aucune signification politique au yeux du PDG  de la multinationale olympique. Rogge s'imaginait sans doute qu'il pouvait se  rendre à Pékin sans se rendre complice d'un État liberticide ou, pire encore, en  faisant mine d'oublier que les flonflons rutilants de la mise en scène olympique  camouflaient la sinistre réalité de la plus grande dictature de la planète. Cette attitude de Ponce Pilate n'était d'ailleurs que la copie conforme de l'attitude de son  prédécesseur, l'ex-franquiste Juan Antonio Samaranch, qui lui aussi avait voulu  « dépasser les idéologies » au nom de l'idéologie olympique : « Nous avons déjà  maintes fois démontré que le sport peut être aussi une occasion de rapprocher  les peuples et d'améliorer la coopération et le respect que l'on doit avoir les uns  envers les autres » 14. C'est d'ailleurs probablement au nom de ce « respect » que  Hein Verbruggen, président de la Commission de coordination de Pékin-2008 du  CIO, s'était métamorphosé en zélé petit télégraphiste de la bureaucratie chinoise,  estimant regrettable que « les Jeux de Pékin soient utilisés comme une plate-forme par des groupes qui ont des objectifs politiques et sociaux ». Loin de dénoncer les abus de pouvoir, exactions, répressions et crimes du pays organisateur, ce  vénérable représentant de l' « idéal olympique » critiquait au contraire les organisations de défense des Droits de l'homme : « Nous ne pouvons pas permettre  que ces préoccupations nous distraient de notre but principal qui est de réussir  les Jeux olympiques ». Aussi encourageait-il les autorités chinoises à agir dans  un sens bien peu conforme aux idéaux dont prétend pourtant se réclamer le CIO :  « Le BoCog [Comité d'organisation] doit prendre des mesures pour empêcher  ces revendications » 15. Le CIO est « apolitique » bien sûr, sauf lorsqu'il s'agit de  prêter main-forte à un État voyou...

13. Le Figaro, 11 mars 2008.

14. L'équipe, 7 novembre 1983.

15. AFP, 6 juillet 2007.

À tous les amis de l'olympisme que la transformation des JO en machinerie de mise au pas, de normalisation et de répression ne dérange pas outre mesure, on  peut rappeler qu'en 1936 déjà, à Berlin, ce furent les notables olympiques, Avery  Brundage, Theodor Lewald et Henri Baillet de Latour en tête, qui légitimèrent  non seulement les mesures de répression contre les Juifs et les « peuples dégénérés » mises en oeuvre par le iiie Reich, mais aussi les campagnes de diffamation  contre le mouvement international de boycott, en particulier en France. En 1935  Avery Brundage expliquait dans une brochure officielle du Comité olympique  américain que « certains Juifs doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas utiliser  ces Jeux [ceux de Berlin 1936] comme une arme dans leur boycott contre les  nazis » 16.

Comme le CIO semble vouloir oublier ses compromissions politiques passées  et présentes, on peut lui rafraîchir la mémoire à propos des positions de nombre  de ses idéologues. Il faut d'abord souligner que la quasi totalité des membres du  CIO sont des représentants d'institutions officielles, toutes liées, directement ou  indirectement, aux instances dominantes des puissants de ce monde : princes,  émirs, aristocrates, banquiers, ex-ministres, hommes d'affaires, diplomates ou  ambassadeurs recyclés, fonctionnaires internationaux, sportifs reconvertis dans  le lobbying. Cette camarilla réactionnaire 17, à la fois gérontocratie, oligarchie  et bureaucratie, gère non seulement des intérêts financiers gigantesques, mais  développe également une diplomatie expansionniste destinée à étendre l'empire olympique dans un double jeu de séduction commerciale et d'allégeance  politique vis-à-vis des institutions internationales (Onu, G8, UnesCo, etc.), des  bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale) et des grandes puissances, et tout  particulièrement des nations émergentes ou de ce que l'on nomme maintenant  le « BriC » (Brésil, Russie, Inde, Chine). Il faut ensuite se souvenir que les principaux dirigeants olympiques ont tous été des personnalités ultra conservatrices, ouvertement réactionnaires pour ne pas dire plus, et pour certains même des  partisans de l'extrême droite fascisante ou sympathisants du nazisme. Le baron  16. Fair Play for American athletes, publié par l'American Olympic Committee, 1935. Sur  l'attitude du CIO, ouvertement complice du régime national-socialiste, cf. Jean-Marie Brohm, 1936 Les Jeux olympiques à Berlin, op. cit. Cet ouvrage rarement cité, mais largement  pillé par les « historiens » du sport, documente de manière accablante l'attitude de Coubertin,  Diem, Baillet-Latour, Lewald, Brundage et autres admirateurs du « sport allemand » lors de la  xie olympiade nazie.

17. Cf. notamment Dwight H. Zakus, « Le Comité international olympique : tragédie, farce  et hypocrisie », Les Cahiers de l'IRSA, n o 1, « L'illusion sportive. Sociologie d'une idéologie  totalitaire », Université Montpellier iii, février 1998 ; Alan Tomlinson, Garry Whannel (dir.),  Five Ring Circus : Money, Power and Politics at the Olympic Games, Londres, Pluto, 1984 ;  Vyv Simson, Andrew Jennings, Main basse sur les JO, Paris, Flammarion, 1992 ; Richard Askwith, Stephen Aris, « Barons du sport, princes des stades et seigneurs des anneaux », Courrier  international, n o 86, 25 juin 1992 ; Andrew Jennings, La Face cachée des Jeux olympiques,  Paris, L'Archipel, 2000.

Pierre de Coubertin lui-même, le père fondateur de la horde olympique, admirera  publiquement en 1935-1936 les réalisations olympiques de l'Allemagne nazie  et il félicitera « hautement M. Hitler, en qui il salue un des plus grands esprits  constructeurs de ce temps, d'avoir su éviter le danger [la propagande] et d'avoir  magnifiquement servi, sans le défigurer, l'idéal olympique » 18. Coubertin qui  remerciera servilement Hitler à la fin de sa vie 19 persistera obstinément dans son  approbation sans nuance de l'olympisme hitlérien et des Jeux de la croix gammée. Il confirmera ainsi son enthousiasme pour les réalisations olympiques du  Reich dans un entretien avec Fernand Lomazzi : « Ils [les Jeux de Berlin 1936]  ont été, très exactement, ce que j'ai souhaité qu'ils fussent [...]. À Berlin on a  vibré pour une idée que nous n'avons pas à juger [sic], mais qui fut l'excitant  passionnel que je recherche constamment. On a, d'autre part, organisé la partie  technique avec tout le soin désirable et l'on ne peut faire aux Allemands nul reproche de déloyauté sportive. Comment voudriez-vous dans ces conditions que  je répudie la célébration de la xie olympiade ? Puisque aussi bien cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement  immense qu'ils ont connu » 20. Glorifier les régimes totalitaires : exacte définition  des fonctions de l'olympisme ! Carl Diem, l'épigone nazi de Coubertin et l'organisateur zélé des Jeux de la  croix gammée de Berlin 1936 ira encore plus loin dans l'affirmation fasciste de  l'opium olympique. En pleine occupation allemande en France, Diem célébrera  en effet l'Idée olympique sous l'uniforme national-socialiste en soutenant que  « même pendant la guerre, on a le droit de poursuivre l'idée olympique » et il exposera ses « efforts pour entretenir la flamme olympique ». S'adressant aux Français, particulièrement aux collaborateurs de la Wehrmacht, Diem résumera en  ces termes l'esprit olympique revu et corrigé par le Führer et l'Institut olympique  de Berlin : « Je crois me conformer à l'esprit de votre grand compatriote Pierre  de Coubertin, qui fut le rénovateur des Jeux olympiques de l'Antiquité. C'est lui  qui m'a confié cette tâche ; dans ses dernières volontés, il m'a confié le soin de  publier ses oeuvres posthumes, du moins celles qui intéressent le sport. Permettez-moi d'abord de constater un simple fait : l'idée olympique est restée vivante  pendant la guerre actuelle [sic], par opposition à ce qui s'est produit durant la  Grande Guerre [celle de 14-18], et non seulement sous forme d'espoir en un  avenir pacifique, mais dans ses réalisations pratiques.

18. « Coubertin et les Jeux olympiques, une lettre de M. André Lang », L'Auto,  29 août 1936.

19. Lettre de Coubertin à Hitler, Genève, 17 mars 1937, citée par Hans Joachim Teichler,  « Coubertin und das Dritte Reich », Sportwissenschaft, mars 1982, p. 53.

20. « Comment M. de Coubertin conçoit les Jeux olympiques, par Fernand Lomazzi », L'Auto,  4 septembre 1936.

Dès le premier mois de la  guerre, l'activité sportive internationale a repris et n'a cessé de s'accroître depuis 
[...]. L'effort olympique est né dans un monde à l'esprit guerrier [...], il ne peut  donc rester étranger à une époque où les peuples défendent leurs droits vitaux les  armes à la main. En revanche, leur réalisation suppose une époque de paix et ce  sont, en effet, les fêtes de la paix [sic] ». Citant, de première main en quelque sorte, « l'oeuvre de Coubertin et le côté grandiose et génial de son entreprise », Diem  soulignera la filiation entre les Jeux « héroïques », « virils » et « guerriers » de  l'Antiquité grecque ­ où les concurrents étaient « bien de véritables soldats [...],  souvenir qui éveille en nous celui des soldats de nos jours qui, derrière les chars  d'assaut [sic], s'élancent pour occuper le terrain que ceux-ci ont conquis » ­ et  l'olympisme moderne, rénové par Coubertin, où « revit cet esprit militaire des  Jeux olympiques ». « Coubertin », écrira-t-il encore, « leur rénovateur, avait  du sang de soldat dans les veines. Il abhorrait le pacifisme et toute nébuleuse  utopie de paix. Ses oeuvres pédagogiques, historiques, politiques nous montrent  un caractère intrépide, celui du véritable guerrier. Il était absurde, déclarait-il,  de vouloir que les peuples s'aiment, mais il fallait leur apprendre à se respecter.

Il réclamait une éducation virile. L'un des premiers il préconisa dans son livre  Où va l'Europe ? le service ouvrier que réalisèrent plus tard l'Allemagne et la  Bulgarie. Il demandait pour la France une organisation militaire sous la devise :  «Idéal et amour de la Patrie». Le sport lui semblait un moyen d'élever une génération virile ». Synthétisant la trajectoire historique de ce « glorieux enfant » de  la France « que nous avons toujours vénéré en Allemagne », Diem insistera sur  le rôle nationaliste du sport : « Voyant l'inutilité de ses efforts pour que dans les  écoles de France l'éducation physique obtienne une place égale à celle de l'enseignement intellectuel, l'idée lui vint de faire renaître les Jeux olympiques sous  forme de compétition internationale, afin que tous les quatre ans sa patrie se vît  dans l'inéluctable obligation de montrer ce dont était capable sa jeunesse. Ainsi,  dès le principe, Coubertin a conçu les Jeux olympiques comme une lutte entre  nations, à l'image des Jeux de la civilisation grecque, qui furent des compétitions  entre cités-États. Il en ouvrait l'accès à tous les peuples de la terre, sous la réserve  toute naturelle [sic] qu'ils appartinssent au cercle de la civilisation occidentale.

Ainsi créée sous d'heureux auspices, son oeuvre a surmonté toutes les difficultés  du début, l'ignorance, le mauvais vouloir ; elle a bravé les dangers de la Grande  Guerre et je puis dire que, malgré la guerre actuelle [sic], son souvenir reste profondément ancré dans les coeurs de la jeunesse du monde entier ». Qu'en termes  galants ces choses fascistes, racistes et impérialistes-là sont dites ! Et celui qui  allait devenir ultérieurement le guide spirituel de l'Institut Carl Diem de Cologne en Allemagne fédérale, à la Deutsche Sporthochschule, fixait pour finir « la  mission des Jeux olympiques, mission européenne, tâche que la vieille Europe  n'a pas su résoudre et dont la réalisation est réservée à la nouvelle Europe » 21, c'est-à-dire sous la domination des bottes allemandes ! 

21. Carl Diem, L'Idée olympique dans la nouvelle Europe, Berlin, Institut Terramare, 1943,  pp. 5, 54.

Ce morceau d'anthologie  national-socialiste proféré en pleine offensive des armées hitlériennes sur toute  l'Europe est révélateur de la nature exacte de l'olympisme et de sa fonction politique réactionnaire : justifier l'ethos guerrier, l'esprit de conquête impérialiste au  nom de la paix olympique généralement synonyme de paix des cimetières. À cet  égard les Jeux de Moscou en 1980 et ceux de Pékin en 2008 n'auront pas dérogé  à la règle : propagande d'État, embrigadement généralisé, volonté agressive de  puissance, chauvinisme, menaces bellicistes, mobilisation policière...

Les démocraties occidentales, même si elles ne sont évidemment en rien comparables aux États totalitaires, sont pourtant, elles aussi, tentées par le quadrillage  olympique, comme on a pu le constater lors des Jeux olympiques d'Athènes en  2004 avec une présence policière impressionnante déployée au nom de l'impératif sécuritaire « antiterroriste » 22, un déferlement médiatique et un matraquage  publicitaire sans précédent. Mais on a aussi pu le vérifier en France lors de la  campagne pour l'attribution des Jeux de 2012, qui furent finalement attribués  à Londres. À l'image de ce qu'est devenu depuis fort longtemps déjà l'olympisme ­ une machinerie d'accumulation du capital, une centrifugeuse commerciale, une foire-exposition 23 des logos, annonceurs et sponsors ­, la concurrence  médiatique, publicitaire et diplomatique pour les Jeux de 2012 a été l'illustration  parfaite du slogan actuel de la mondialisation néo-libérale : le monde est une  marchandise et l'olympisme, avec ses cinq anneaux, est son sigle commercial.

La ville de Paris, qui avait déjà organisé les Jeux de 1900 et de 1924, s'était lancée dans la course en organisant une opération de marketing politique de grande  ampleur doublée d'un battage publicitaire inouï impulsé par la Mairie de Paris,  le gouvernement et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF).

« Toute la France assemblée derrière les Jeux », ce slogan de l'union sacrée olympique signé par les présidents des quatre grands groupes parlementaires ­ UMP,  Parti socialiste, UDF et Parti communiste ­ et largement diffusé dans la presse  avait donné le ton de la déferlante organisée comme une campagne unanimiste  de mobilisation patriotique. Tout y était passé : illuminations de l'Assemblée nationale, des bâtiments publics, de la Tour Eiffel et des ponts avec le logo « Paris  2012 », oriflammes publicitaires omniprésentes, affichages massifs, spots télé  permanents, transports en commun transformés en véhicules de communication olympique, sportifs de renoms, personnalités du showbiz, de la politique et des  médias enrôlés dans la caravane olympique destinée à « mobiliser les Parisiens  et les Français jusqu'à la date de la décision finale du Comité international olympique » et bien entendu constitution d'un consortium de sponsors officiels, le  « Club des entreprises Paris 2012 » comprenant notamment Lagardère, Lafarge,  Bouygues, Carrefour, Suez, Accor, c'est-à-dire des « humanistes » partisans du  capitalisme du CAC 40, des licenciements boursiers et des mérites de « l'esprit sportif », frère jumeau de « l'esprit d'entreprise ». Carrefour clamait ainsi :  « Effort, respect, partage, esprit d'équipe, solidarité, ces valeurs de l'olympisme  guident aussi l'action de notre groupe au quotidien ».

22. Plus de 50 000 policiers, militaires et autres agents de sécurité avaient été rassemblés pour  un coût total de 1,2 milliard d'euros, « La Grèce, terrain de jeux sécuritaires », Libération,  9 août 2004.

23. Où l'on exhibe également, comme au salon de l'agriculture, quelques monstrueux spécimens de bestiaux anabolisés, de coureurs anorexiques, d'humanoïdes transgéniques, de gladiateurs au cerveau reptilien, de cyberanthropes à la musculature hypertrophiée, de bisons peu  futés, de batraciens survitaminés et autres molosses des aires de lancer...

Lors de la venue de la Commission d'évaluation du CIO à la mi-mars 2005,  de nombreuses voix sportives, politiques ­ à droite comme à gauche ­ et même  syndicales s'étaient élevées pour déplorer « l'agitation sociale » et particulièrement la journée d'action syndicale du 10 mars qui pouvait « nuire à l'image  de la France » et menacer « nos chances de succès ». Dans une période où le  patronat et le gouvernement menaçaient de restreindre le droit de grève dans les  transports au nom de la « gêne occasionnée aux usagers pris en otages » et de  la « nécessaire continuité du service public », ces appels à la « responsabilité et  à la modération » syndicales ne pouvaient pas ne pas sonner comme un avertissement : la « trêve olympique » devait être aussi une trêve sociale et la « paix  olympique » se ferait au prix du maintien ­ de gré ou de force ­ de la paix sociale.

François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sans doute au nom du syndicalisme d'accompagnement cher aux partisans de la collaboration de classe,  prônait préventivement l'union sacrée olympique qui permet de « garantir la  paix sociale durant les Jeux » en « laissant les conflits aux vestiaires » 24. Dans un  tel climat de réquisition préventive ou d'état de siège idéologique l'« amour des  Jeux » était devenu une injonction normative, presque un ordre de mobilisation  générale. Les citoyens français avaient alors subi l'une de ces manipulations de  l'opinion publique orchestrée par tous les appareils idéologiques de la société  du spectacle que l'on a l'habitude de condamner dans les régimes totalitaires.

Les chaînes de télévision, les administrations, les entreprises publiques (SNCF,  France Telecom, RATP), la Mairie de Paris et l'Assemblée nationale s'étaient  en effet liguées en un véritable front unique pour organiser le rouleau compresseur du conditionnement olympique : tout le monde, il est gentil, tout le monde  doit aimer les Jeux ! Les citoyens n'ayant jamais été véritablement consultés,  il était facile de prétendre que plus de 80 % de Français étaient favorables à la  candidature de Paris (selon les sondages de L'équipe...). Le comble fut atteint  lors de la « fête spontanée » organisée le dimanche 5 juin 2005 par la Mairie  de Paris et le Comité de la candidature sur les Champs-Élysées parisiens baptisés pour le coup « Champs olympiques ».

24. Le Parisien, 9 mars 2005.

À l'image de certaines républiques  bananières, plusieurs centaines de milliers de personnes furent ainsi conviées à  jouer le rôle de figurants d'une immense foule d'acclamation et à admirer des  démonstrations sportives en tous genres sur la célèbre avenue transformée en  champ de manoeuvre. L'objectif était d'amener les Parisiens à soutenir « leur  candidature », déclarée par Bertrand Delanoë « fraternelle pour la jeunesse du  monde entier » et à clamer leur « amour des Jeux », qualifiés de « populaires,  solidaires, écologiques et éthiques » 25. Le maire social-libéral de Paris osait ainsi  soutenir que « l'olympisme peut être un moyen de vivre la mondialisation de  manière intelligente [...]. Je ne suis pas naïf, je connais le poids de l'argent et la  réalité du dopage, mais organiser les Jeux dans l'honneur [sic] ouvre de vraies  perspectives » 26. Et malgré ces deux détails gênants ­ l'argent et le dopage ­ il  ajoutait sans sourciller : « L'olympisme mobilise des valeurs qui ont un sens, une  portée, une légitimité dans le monde du xxie siècle » 27. Christophe Girard, maire  adjoint de Paris (Verts) et Philippe Besson, écrivain, plus lyriques ou plus naïfs  encore, récitaient eux aussi sans broncher le catéchisme sportif : « Il est frappant  de constater combien les valeurs de l'olympisme sont celles qui structurent le  discours républicain et recouvrent le champ culturel [...]. C'est en effet un formidable brassage de peuples, de nationalités, d'origines, de sensibilités qui nous est  proposé tous les quatre ans, le métissage s'effectuant dans un strict respect des  identités et un souci constant de neutralité [...]. Cet idéal de fraternité figure au  fronton de nos édifices [...]. Comment occulter l'idéal de beauté que proposent  les athlètes ? [...]. Les Jeux olympiques ne constituent-ils pas le plus grand des  spectacles populaires qui nous soient offerts ? Qui n'a pas été saisi par la beauté,  le rêve et la magie de telles cérémonies ? » 28.

Exaltant naïvement les « Jeux solidaires », le Comité Paris 2012 avait toutefois scotomisé la campagne internationale (« Play Fair at the Olympics ») de plusieurs ONG (dont en France le collectif « L'Éthique sur l'étiquette ») dénonçant  les conditions dans lesquelles sont produits les articles de sport, en particulier par  les sous-traitants de Nike, Adidas et Puma dans sept pays (Bulgarie, Cambodge,  Chine, Taiwan, Indonésie, Thaïlande et Turquie) : « Très faibles salaires, heures  supplémentaires non payées, journées de travail durant jusqu'à seize heures [...],  violations des Droits de l'homme, et surtout de la femme puisqu'elles sont majoritaires dans les usines [...]. Une pétition de 540 000 signatures a été remise  au CIO, mais celui-ci a refusé de la recevoir » 29. « L'éthique » célébrée avec  emphase par Bertrand Delanoë et le CIO avait le visage sinistre de l'exploitation, de l'oppression et du cynisme parce que « les principes éthiques » du CIO ne  brassent manifestement que du vent et représentent un parfait alibi pour légitimer l'ordre inique du monde avec lequel le mouvement olympique a toujours  pactisé.

25. Le Monde, 7 juin 2005.

26. Libération, 3 mars 2005.

27. Le Monde, 10 mars 2005.

28. Libération, 11 mars 2005.

29. Le Monde, 14 août 2004.

Autre farce mensongère : le mythe des « Jeux propres », que les responsables  sportifs et politiques rafraîchissent à chaque olympiade, mais qui a fait long feu  à l'épreuve des innombrables et sordides scandales qui émaillent de plus en plus  l'actualité sportive. Le cyclisme, l'athlétisme, l'haltérophilie, la natation, le judo,  l'escrime, la lutte, le football, le tennis, pour ne prendre que ces quelques grands  sports des Jeux d'été, sont régulièrement cités dans des affaires de dopage qui  mettent gravement en jeu la santé des athlètes mais aussi leur vie et ridiculisent  les pathétiques gesticulations de la « lutte anti-dopage ». Même les plus hautes  autorités sportives, l'Agence Mondiale Anti-dopage (AMA) en tête, sont bien  obligées de reconnaître que le fléau du dopage est aujourd'hui industriellement  organisé par des filières mafieuses internationales qui n'hésitent même plus à  offrir leurs « produits » sur Internet. Le dopage, alias « préparation biologique  intensive », était naguère scientifiquement administré dans des camps de préparation olympique en ex-RDA et en ex-URSS, il l'est toujours à Cuba et en  Chine, devenus des experts de la course aux « armements biologiques », tandis  qu'il est médicalement assisté ou « chimiquement dosé » à l'Ouest par d'honorables centres médicaux spécialisés, tel le célèbre laboratoire américain Balco,  au coeur du scandale du nouveau dérivé de stéroïde, la THG, qui met notamment en cause les « méthodes » d'une grande partie de l'athlétisme américain 30.

L'opium sportif, expression de la toxicomanie athlétique et de l'addiction biologique (utilisation de divers engrais musculaires, stimulants, calmants, excitants,  diurétiques : stéroïdes anabolisants, éphédrine, érythropoïétine, corticoïdes,  transfusions sanguines, « vitamines de l'effort », « suppléments nutritionnels »,  et bientôt manipulations génétiques 31), est bel et bien le résultat de la logique  (auto)-destructrice de la compétition à tout prix, de l'aliénation liée au productivisme sportif. « L'inflation des compétitions, la surmédicalisation des athlètes, la  pression du sport spectacle via les télévisions, l'Audimat, les énormes sommes  d'argent en jeu, le «toujours plus» poussent le champion vers le surmenage, le  dopage, la dépression » 32. Chacun sait aussi que la « réalité du dopage », pour  parler comme le maire de Paris, est exacerbée par les enjeux olympiques et que les contrôles antidopage sont à géométrie variable.

30. « Dopage : nouvelles techniques, nouveaux produits », Courrier International, n o 695,  26 février 2004 ; et Jean-Pierre de Mondenard, « Dossier dopage », Quel Sport ?, n o 2/3, janvier 2008.

31. Voir l'ouvrage de référence du docteur Jean-Pierre de Mondenard, Dictionnaire du dopage. Substances, procédés, conduites, dangers, Paris, Masson, 2004, préface de Jean-Marie  Brohm.

32. « Sport, spectacle, dopage, l'alchimie infernale », Le Figaro, 18 février 2004.

À Athènes « les coupables  épinglés ­ bulgares, grecs, hongrois ­ font partie de pays où les labos sont un peu  vétustes et les substances utilisées pour ce dopage du pauvre sont préhistoriques  [...]. Contrairement aux pays de l'ex-Europe de l'Est, les États-Unis ont présenté  à Athènes des champions d'une "propreté" immaculée, malgré le scandale du laboratoire Balco qui éclabousse outre-Atlantique quelques-uns de leurs meilleurs  athlètes... Alors, dopage du riche, dopage du pauvre ? » 33.

On voit mal comment les mains sales des Jeux de Pékin n'auraient pas été  « propres », elles aussi, ou plus exactement « blanchies » par la sainte congrégation de la foi olympique, béate d'admiration devant les « prodigieux exploits »  des Dieux du stade. Mais l'illusion sportive envahit à ce point les cervelles qu'elle incite soit à scotomiser massivement la réalité (« ils ont des yeux, mais ils ne  voient pas » ou ne veulent pas voir...), soit à nager dans la pensée désirante qui  permet d'oublier le cauchemar. On citera ici un « historien du sport » qui non  seulement ignore (ou occulte) bien des travaux historiques sur le sport, mais qui  de surcroît se permettait dans un livre paru avant les Jeux de la honte de Pékin  2008 de dévider quelques voeux pieux dignes d'un patronage de sous-préfecture : « Faisons le rêve que le CIO fasse monter simultanément sur le podium  les vainqueurs des compétitions et leurs concurrents malchanceux qui auraient  investi leur temps dans des actions humanitaires au lieu de se contenter de faire  la charité. Faisons le rêve qu'il ne mesure pas seulement la force ou la vitesse,  ce qui a pour effet indirect d'encourager le dopage, mais la créativité corporelle  [sic]. Faisons un rêve qu'il crée un tournoi transnational sans aucune référence  aux drapeaux. Faisons le rêve qu'il favorise l'égalité entre hommes et femmes  en imposant des équipes mixtes dans les sports collectifs » 34.

33. Le Canard enchaîné, 1er septembre 2004.

34. Patrick Clastres, Jeux olympiques. Un siècle de passions, Paris, Les Quatre chemins, 2008,  p. 117.

On se demande bien comment cet auteur, « chercheur rattaché au Centre d'histoire  de Sciences po », a pu ainsi rêver à haute voix. Il semble bien que cette nouvelle génération  d' « historiens » du sport se soit fixé pour tâche de simplement déplorer les « excès », « dérives », « dénaturations », « déviations » du sport, sans analyser les dynamiques fondamentales  du capitalisme qui ont permis l'hypercroissance de l'olympisme et du sport, du football en  particulier. Au passage ces « historiens » oublient, par ignorance ou censure, de mentionner  les analyses de la Théorie critique du sport ou alors ils les récupèrent pour les édulcorer insidieusement. Par exemple, Georges Vigarello, Du jeu ancien au show sportif. La naissance  d'un mythe, Paris, Éditions du Seuil, 2002 ; Pierre Milza, François Jéquier, Philippe Tétard  (dir.), Le Pouvoir des anneaux. Les Jeux olympiques à la lumière de la politique, Paris, Vuibert,  2004 ; Philippe Tétard (dir.), Histoire du sport en France, 2 volumes, Paris, Vuibert, 2007 ;  La Revue pour l'intelligence du monde, n o 15, « Jeux olympiques : le revers des médailles »,  juillet-août 2008 ; Les Collections de l'histoire, « Les Jeux olympiques d'Athènes à Pékin »,  juillet-septembre 2008, en particulier l'entretien avec Georges Vigarello, « La religion des  temps modernes », une énumération euphémisée de bonnes intentions (« le CIO doit s'ouvrir à  des procédures plus démocratiques ») et de lieux communs « le sport serait-il un des derniers  lieux de ferveur fusionnelle ? »).

Que les doux rêveurs rêvent en effet ! Pierre Bourdieu rêvait lui aussi, mais de manière apparemment plus « sociologique », à des Jeux olympiques rénovés, restaurés, en somme  relégitimés. En 1994 il imaginait ainsi « une Charte olympique définissant les  principes auxquels doivent [sic] obéir les agents engagés dans la production du  spectacle [...] ou un serment olympique qui engagerait non seulement les athlètes (leur interdisant par exemple les manifestations nationalistes comme celle  qui consiste à s'envelopper du drapeau national pour faire un tour d'honneur),  mais aussi ceux qui produisent et commentent les images de leurs exploits » 35.

En 1998, sans doute porté par la vague patriotique qui avait littéralement envoûté la France après la « victoire historique » des Bleus dans le Mondial de  football 36, Bourdieu proposait, au nom bien sûr de l' « objectivité » de la science  sociologique, de « restaurer, dans le monde du sport, les valeurs que le monde du  sport exalte verbalement et qui sont très semblables [sic] à celles de l'art et de la  science (gratuité, finalité sans fin, désintéressement, valorisation du fair-play et  de la «manière» par opposition à la course au résultat » 37.

Nul doute qu'à Pékin on aura assisté à cette restauration des « valeurs »  de l'olympisme : le classement boutiquier des médailles, la dissimulation ou  l'euphémisation du dopage généralisé, l'« Idéal olympique » noyé dans les eaux  glacées du calcul intéressé des multinationales, la propagande impérialiste du  Parti communiste chinois et la « finalité sans fin » de la répression policière. En  somme la « fête » dans le « meilleur des mondes »...

35. Cf. Pierre Bourdieu, « Les Jeux olympiques. Programme pour une analyse », Actes de la  recherche en sciences sociales, n o 103, « Les enjeux du football », juin 1994, p. 103.

36. Cf. Jean-Marie Brohm, Marc Perelman, Le Football, une peste émotionnelle. La barbarie  des stades, Paris, Gallimard, 2006.

37. Cf. Pierre Bourdieu, « L'État, l'économie et le sport », Sociétés et représentations, n o 7,  « Football et sociétés », décembre 1998, p. 19.