"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Le «coup de boule» de Zidane et les nouvelles limites de la violence sportive
Par Jean-Marie Brohm et Marc Perelman*
Publié le 14/07/2006

Origine : http://www.lefigaro.fr/debats/2006/07/14/01005-20060714ARTFIG90039-le_coup_de_boule_de_zidane_et_les_nouvelles_limites_de_la_violence_sportive.php

Tout s'est terminé ce dimanche soir par une curieuse victoire de l'équipe italienne, après un acting out violent et tout aussi curieux de Zidane. Provocations, injures et un «coup de boule» fatidique. Carton rouge. Zidane est expulsé du terrain. Il rejoint, tête basse, les vestiaires, inconsolable. Plus tard, on le verra, crispé, le visage fermé, saluer la foule venue place de la Concorde lui rendre un dernier hommage. «On n'excuse pas, mais on comprend», dira Raymond Domenech. Dans un sondage d'après-finale, les Français à 61% ont pardonné son geste à Zidane. SOS-Racisme, de son côté, s'est empressé de demander une enquête à la Fifa parce que «le joueur italien serait l'auteur d'un propos raciste».

D'autres âmes charitables, compassionnelles, se sont émues, prenant fait et cause pour Zidane, celui par qui la «fête» pour tous les Français, sans distinction, a été possible. Le bonheur d'une finale tant espérée ne pouvait être terni si vite. La liesse populaire ne serait donc pas suspendue. Mieux encore, l'allégresse d'un peuple mise à mal serait relancée, justement par ce geste, certes inacceptable, mais finalement compréhensible. L'exultation et la dépression avant, pendant et après-match n'ont cessé d'alterner ; elles se sont mélangées, accélérant la contagion émotionnelle des pulsions les plus grégaires.

Que nous dit cet acte ? Et au-delà de ce geste stupide, comment l'analyser autrement qu'à travers la violence primaire qui s'exerce partout : sur le terrain, dans les gradins, dans la rue, devant les écrans de télévision géants généreusement proposés aux foules assoiffées de sport, demanderesses d'idoles et d'icônes, des masses sous l'emprise de l'opium sportif ? La logique intrinsèque des compétitions provoque, et désormais nécessite, une violence sur les terrains de football qui est devenue le quotidien le plus banal. La violence est verbale : injures, insultes, mots grossiers et vulgaires, propos orduriers et scatologiques entre les joueurs et vis-à-vis de l'arbitre.

La violence est physique : des intimidations aux fortes poussées sur l'adversaire, des pressions aux bourrades, coups en tout genre, tacles appuyés, crachats, manchettes, gestes obscènes. Ces violences constituent la vérité du football actuel. Un match de football est une tempête, la lente agonie de joueurs poussés dans leur extrême limite physique, la mise en tension provoquée par le choc d'équipes-commandos en crampons prêtes à en découdre. Il participe de cette crétinisation des esprits contaminés par le fléau émotionnel du football à travers un projet d'identification collective à un nouveau Dieu. Mais Dieu ne donne pas de «coup de boule»...

Le geste de Zidane, après tant d'autres tout aussi condamnables, est symbolique des limites que le football est en train de franchir : la mise en oeuvre d'une violence visible par tous et désormais acceptable. L'atmosphère de ce match devenait irrespirable tant la pression était forte. Et cet acting out du capitaine de l'équipe de France, une forme d'abréaction, c'est-à-dire de décharge émotionnelle, est venu comme une conclusion «naturelle», eu égard aux enjeux immenses et à la pression que subissait ce groupe de combat en opération sportive.

Le geste de Zidane, dans les dernières minutes du match, autodestructeur et infantile, est un symptôme, soit en termes analytiques, le substitut d'une satisfaction pulsionnelle qui n'a pas eu lieu : la gagne à tout prix, la fin heureuse d'un match qui ne parvenait pas à se dénouer. «On vit ensemble, on meurt ensemble», terrible et inquiétante devise par quoi le scandale est survenu.

* Respectivement professeur de sociologie, université Paul-Valéry, Montpellier-III et architecte, professeur en esthétique, université Paris-X-Nanterre, coauteurs du Football, une peste émotionnelle (Gallimard, Folio, 2006).

Par Jean-Marie Brohm et Marc Perelman*