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Origine : http://www.liberation.fr/tribune/2008/08/06/jo-2008-promesses-non-tenues-et-marchands-d-illusions_77613
Les promesses du gouvernement chinois ne seront pas tenues ! Quelle surprise ! Personne ne pouvait pourtant ignorer que le régime totalitaire de Pékin ne lâcherait pas prise, mais utiliserait au contraire les Jeux pour renforcer sa chape de plomb répressive : dissidents harcelés et systématiquement arrêtés, camps de travail et centres de torture fonctionnant à plein régime, exécutions capitales à la chaîne, libertés de circulation et d'expression des Chinois et des étrangers réduites à portion congrue.
L'Etat militaro-policier, qui fait régner un ordre implacable avec la complicité ouverte du CIO, distille les mensonges sur la pollution de l'air et de l'eau, place sous étroite surveillance Internet et bloque carrément l'accès à certains sites sensibles (Libération, 31 juillet), censure et muselle les médias tenus de chanter la gloire du Parti unique, et, cerise sur le gâteau, multiplie les menaces à peine voilées contre les intérêts français dans l'intention évidente de venger l'affront des protestations lors du passage parisien de la flamme. Bref, à quelques jours de l'ouverture du plus grand show sportif international, aucune des contreparties politiques, écologiques, économiques et sociales qui, aux dires des membres influents du CIO, conditionnaient l'organisation des Jeux olympiques par la ville de Pékin, n'a donc été concrètement réalisée. Tous les naïfs idolâtres de l'idéal olympique qui croyaient que les JO permettraient «l'ouverture» et la «démocratisation» et qui se sont ridiculisés à faire des excuses, courbettes et concessions sont à présent à leur tour bernés. L'arroseur arrosé !
Certes, même en Chine le ridicule ne tue pas et si la dictature de Hu Jintao «garde la face» comme prévu, le CIO traverse malgré tout une grave crise en couvrant ouvertement les méthodes d'un régime cynique et manipulateur. Alors les belles âmes du «développement par le sport» ou de «la globalisation sportive heureuse» s'en offusquent un peu : on nous aurait menti, à l'insu de notre plein gré, lancent-ils tout penauds ! Sur des airs différents, telle est bien la dernière chanson à la mode chez tous les indéfectibles partisans des «Jeux de l'harmonie sociale» et d'un «monde meilleur». Des géostratèges autoproclamés qui, tel Pascal Boniface, vantent les mérites des JO supposés «constituer une étape sur le long chemin vers un meilleur respect des libertés essentielles» (La Croix, 31 juillet), aux affairistes amis de la Chine, des journalistes sportifs au président de la République française, tous maintiennent contre l'évidence aveuglante que l'alchimie olympique transformera la dictature de Pékin en démocratie libérale où il fait bon vivre, où «les débats sont plus nombreux qu'on ne le croit», où la «société civile bouge», où les stades sont fleuris et tous les enfants contents !
Malgré la propagande éhontée et les manoeuvres grossières de Pékin, on nous explique qu'il ne faut pas «gâcher la fête», même si celle-ci est destinée à faire oublier la sanglante répression au Tibet. «Positive attitude olympique» ? L'état de guerre, une cérémonie d'ouverture à la gloire de la Chine éternelle, bien dans l'esprit des Jeux de Berlin 1936 et de Moscou 1980, les défilés glorieux, la chute des records, l'orgie nationaliste des hymnes et des drapeaux, les larmes de bonheur et la dramaturgie de la gagne à tout prix, voilà de quoi passer un bel été en toute sérénité zen ! Pour tous les thuriféraires des «passions sportives» et de la «métaphysique olympique», il n'est pas question de boycotter les promesses de bonheur qui se cachent derrière les promesses non tenues ! Après tout, le village olympique est flambant neuf, l'eau pure y coule à flot, l'alimentation y est parfaitement saine, la literie confortable et douillette, aucune «perturbation extérieure» ne viendra troubler la sécurité de ce «Club Med» de luxe. Parqués dans leur Disneyland, les figurants de la «fête de la jeunesse et de la paix olympique» pourront continuer à se gaver de «vitamines de l'effort», de «reconstituants hormonaux» et de «compléments alimentaires».
Pendant ce temps là des millions de Chinois qui triment chaque jour pour survivre continueront de respirer un air vicié, de s'intoxiquer avec des produits frelatés et une eau croupie ou polluée par les déchets des usines du «plus grand atelier du monde». On leur concédera aussi le droit d'applaudir en cadence - sous les ordres d'un encadrement sécuritaire «antiterroriste» sans précédent (100 000 militaires, policiers, agents en civil, plus 300 000 «volontaires» de la délation d'Etat !) - les exploits des «pilotes de l'espèce humaine» censés préfigurer le meilleur des mondes possibles : celui d'une planète engoncée dans les anneaux olympiques, matraquée jusqu'à l'overdose par les slogans mensongers de «l'Idée olympique».
En attendant «de promouvoir une société pacifique soucieuse de préserver la dignité humaine» (article 2 de la Charte olympique) et «la compréhension mutuelle, l'esprit d'amitié, de solidarité et de fair-play» (article 4), le CIO organise, de concert avec la bureaucratie mafieuse chinoise, une sinistre farce et attrape : le spectacle des gladiateurs de Hu Jintao. Du sang et des Jeux ! Dès lors, nul ne saurait esquiver cette réalité : dans un monde qui a besoin d'illusion, l'opium sportif n'a jamais été aussi puissant, lui qui fait prendre des bataillons de mercenaires dopés pour des modèles d'humanité et un camp retranché pour un monde parfait. Seul le boycott résolu des Jeux de Pékin aurait pu briser ce cauchemar.
DADOUN Roger OLLIER Fabien PERELMAN Marc ARDOINO Jacques BOURATSIS Sofia BROHM Jean-Marie JAVEAU Claude
JACQUES ARDOINO, professeur émérite en sciences de l’éducation, Université Paris VIII, SOFIA BOURATSIS , master de philosophie, Université Paris I,
JEAN-MARIE BROHM, professeur de sociologie, Université Montpellier III,
ROGER DADOUN, professeur émérite de littérature comparée, Université Paris VII,
CLAUDE JAVEAU, professeur émérite de sociologie, Université libre de Bruxelles,
FABIEN OLLIER, directeur de publication de la revue Quel Sport ?
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