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Boycotter les JO d'un Etat liberticide
Jean-Marie BROHM, Roger DADOUN, Fabien OLLIER et Marc PERELMAN
24 mai 2007

Origine : http://www.liberation.fr/tribune/2007/05/24/boycotter-les-jo-d-un-etat-liberticide_93942

La situation catastrophique au Darfour, l'ampleur des massacres et des déplacements des populations civiles font aujourd'hui prendre conscience à une partie des dirigeants politiques français qu'il ne saurait être question d'envoyer une délégation de sportifs en Chine, dont le gouvernement soutient ouvertement (envois d'ingénieurs militaires, ventes d'armes massives), pour des raisons économiques et géopolitiques cyniques, le régime islamiste dictatorial de Khartoum.

En totale contradiction avec les valeurs de paix prônées pendant sa campagne ‑ les principes humanistes et de responsabilité éthique de l'Etat français face aux barbaries qui embrasent la planète ‑ Nicolas Sarkozy estime quant à lui que le boycott des Jeux olympiques de Pékin 2008 est une «absurdité» parce que les «JO, c'est un espace de liberté». Il soulage ainsi les inquiétudes du milieu sportif français, qui ne voudrait rater pour rien au monde le spectacle opiacé des dieux du stade. Mais à quel prix ?

Le gouvernement chinois, qui a fait des Jeux de Pékin une vaste opération de propagande diplomatique et une mobilisation nationaliste sans précédent, entend transformer aujourd'hui la prétendue «fête olympique» en un instrument de son despotisme oriental.

Depuis des années il tente de briser toute forme de démocratie en réprimant les croyants, les opposants, les intellectuels critiques, les «improductifs», en matraquant toute forme de contestation ouvrière et paysanne qui mette en cause les rouages du «grand atelier du monde», et en muselant toute expression libre (Internet, presse, télévision). Il pratique les détentions administratives abusives, recourt massivement à la torture et applique à grande échelle la peine de mort (plusieurs milliers par an).

La Laogai Research Foundation dénombre 4 000 camps de travail. De plus, le gouvernement chinois, qui a des visées expansionnistes sur Taiwan, poursuit une offensive diplomatico-guerrière à l'encontre du Japon, répand la terreur dans la région autonome des Ouïgours et accentue son plan de colonisation du Tibet (le parcours de la flamme olympique passera ainsi par le sommet de l'Everest mais pas par Taiwan). Quant à l'organisation proprement dite des Jeux olympiques de Pékin 2008, elle est devenue un prétexte pour accélérer la destruction de nombreux quartiers populaires («hutongs») et sites historiques dans le cadre d'une urbanisation sauvage dirigée contre les populations les plus pauvres (expropriations de terres, déplacements des habitants et spéculation immobilière).

L'appel que le Collectif pour l'organisation du boycott des JO de Pékin 2008 (Cobop) a lancé il y a quelques mois a déjà été signé par de nombreuses personnalités. Pour un nombre croissant de citoyens qui ont également signé cet appel, il apparaît en effet légitime et surtout nécessaire que l'Etat français et ses sportifs ne se déshonorent pas en collaborant à un show olympique qui ne fera que renforcer l'arrogance d'un régime tout entier placé sous le signe de la répression, des bruits de bottes et des intimidations bellicistes.

Face à l'organisation du boycott, Henri Sérandour, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), s'est déclaré «assez surpris de [la] réaction» de Ségolène Royal et de François Bayrou, favorables au fait de mettre la pression sur le gouvernement chinois. Il craint en effet qu'on «empêche toutes les entreprises françaises de travailler avec la Chine». Plus déterminées encore, les fédérations sportives font valoir les «carrières» des sportifs pour récuser l'idée de boycott. Certaines d'entre elles n'hésitent même pas à comparer le boycott à une «prise en otage des athlètes», dont les «sacrifices librement consentis» sur l'autel de la performance devraient être respectés et récompensés. Mais peut-on, au nom même de ce que certains appellent encore «l'idéal sportif», mettre en balance une très hypothétique chance de médaille et la lutte pour le respect des droits de l'homme ?

La question que chaque sportif français ayant une chance d'aller à Pékin doit se poser est donc bien celle-ci. Que valent les honneurs sportifs, les sacrifices consentis ou les «larmes de bonheur» au regard d'une position de protestation citoyenne contre le mirage océanique du «miracle olympique chinois», qui n'est que l'envers du cauchemar vécu par les populations de l'empire du Milieu ?

Ce n'est sûrement pas par la lecture de la Déclaration universelle des droits de l'homme aux hauts dignitaires du régime à la fin d'un «exploit inouï» que l'on peut se donner bonne conscience éthique. Mais c'est en refusant d'entrer en compétition avec les représentants sportifs «méticuleusement préparés» et idéologiquement encadrés d'un Etat liberticide, impérialiste et doctrinaire.

Entre un spectacle olympique pharaonique et la défense des droits de l'homme, le choix est évident.

BROHM Jean-Marie DADOUN Roger OLLIER Fabien PERELMAN Marc
Jean-Marie Brohm professeur de sociologie à l'université Montpellier-III,
Roger Dadoun professeur émérite à l'université Paris-VII, philosophe et psychanalyste,
Fabien Ollier directeur de la revue Mortibus
et Marc Perelman professeur en esthétique à l'université Paris X.