|
Origine : Revue Corps et Culture 1 Revue
http://www.revues.org/corpsetculture/numero1/notelecture.html
Note de lecture
Brohm Jean-Marie. Sociologie politique du sport, Nancy, P.U.N., réédition
1992, 398p.
Jacques Gleyse.
Le fait de l'épuisement de l'édition originale, parue
en 1976 chez J.P. Delarge, de la thèse d'état de Jean
Marie Brohm, soutenue (ce qui est non orthodoxe dans l'université)
en 1977, un an après sa publication, justifiait cette réédition.
Pourtant cela n'est pas le seul argument qui me conduit a faire
un compte rendu de lecture de cet ouvrage aujourd'hui connu et reconnu
par tous.
En effet, si l'on relit attentivement "Sociologie politique
du sport" qui comme le souligne justement l'auteur dans son
avant propos est "daté mais pas dépassé",
on constatera que chaque chapitre, chaque phrase, a pris aujourd'hui
une plus grande validité encore.
Tout l'argumentaire de Jean-Marie Brohm est, rapporté aux
événements actuels, sportifs au sens strict (J.O.,
coupes du monde, hooliganisme, etc.) ou péri-sportifs (modes,
publicité...), non seulement pertinent mais, évident.
Les salaires des footballeurs, professionnels, leurs transferts
en milliards de centimes, les découvertes de plus en plus
fréquentes sur le dopage d'athlètes en vue (et je
ne parle pas des centaines d'autres moins exposés aux contrôles),
tout donne aujourd'hui raison de manière éclatante
aux analyses de Jean-Marie Brohm. Les champions sont bien devenus,
quoiqu'ils s'en défendent (mais c'est leur travail) des produits
financiers soumis aux lois de l'offre et de la demande, les J.O.
se sont transformés en entreprise multinationale extrêmement
prospère...les exemples sont pléthore. L'ère
du sport économique a supplanté depuis quelques années
l'ère du sport politique (encore que les tractations au sujet
de l'implantation du stade de Melun-Sénard prouvent le contraire)
qui lui-même s'était substitué à l'ère
du sport ludique réservé à une élite
aristocratique ou financière. Bref l'ensemble des thèses
freudo-marxistes, multi-référentielles, sociologiques,
qui sont défendues dans cet ouvrage, ne sont pas périmées
: elles sont amplifiées, réactivées et re-vivifiées,
par les récents développements spéculaires
et spectaculaires du sport.
Une autre raison majeure doit conduire à relire cet ouvrage
: les pages introductives (au total une quarantaine) qui ont été
ajoutées au texte initial.
La préface de Roger Bambuck, ancien champion du 100 m. et
surtout ancien Secrétaire d'Etat à la Jeunesse et
aux sports, l'avant-propos du Professeur Émérite d'Anthropologie
: Louis-Vincent Thomas ne se contentent pas de louer les qualités
de l'ouvrage, elles montrent clairement que d'un point de vue éthique,
la piste ouverte ici par Jean-Marie Brohm (probablement dès
1964) doit être élargie, amplifiée afin que
puisse être évitée la disparition de l'homme
au profit du produit industriel. De telles opinions provenant de
personnages aussi prestigieux et aussi différents, ont probablement
une raison d'être. Au surplus, la valorisation de la personnalité
de l'auteur, de son humanisme, par ces deux autorités, tranche
singulièrement avec l'image de "Barbe-bleue" qui
a été construite dans le monde de l'E.P.S.
Le texte de Jean-Marie Brohm : "Le sens d'une réédition"
apporte par ailleurs au texte original une nouvelle force. Ainsi
l'auteur fait-il apparaître plus clairement ses conceptions
épistémologiques et militantes en effectuant, d'autre
part, "une critique des critiques de la critique". Par
ailleurs, on perçoit mieux grâce à ce texte
quelles sont les persécutions qu'à pu subir Jean-Marie
Brohm à cause de ses critiques de l'institution sportive.
On comprend mieux, également la perspective méthodologique
"complémentariste" et marxiste qui anime l'ouvrage.
Cela n'avait pas été aussi finement expliqué
ni aussi approfondi dans la première édition. On situe
mieux, enfin la nécessaire mutiréférentialité
et le nécessaire militantisme de l'ouvrage. Comment en effet
concevoir une dialectique marxiste, sans une volonté militante
associée ?
Jean-Marie Brohm montre parfaitement comment au travers de cet
ouvrage c'est une volonté de changer le sport pour changer
la société et vice-versa qui l'anime. Son projet ne
peut donc être, à l'instar d'E. Durkheim de "traiter
les faits sociaux comme des choses" mais, bien au contraire
d'accepter des lectures subjectivistes, au sens des nouvelles conceptions
sociologiques, par exemple de type ethno-méthodologiques.
C'est bien une éthique sociale qui se profile en arrière
fond épistémologique de cet ouvrage et qui n'a probablement
pas été comprise de tous au moment de sa première
édition (peut-être le projet sera-t-il mieux compris
aujourd'hui ? ) : ne pas laisser le capitalisme coloniser le monde
vécu, en réifiant les sujets, mais au contraire promouvoir
le sujet comme agent de sa propre émancipation. L'interrogation,
posée par l'auteur, visant à savoir si une telle éthique
existe chez d'autres sociologues des STAPS trouve au regard de ce
qui vient d'être dit une certaine pertinence (impertinence
? ).
Il reste regrettable pourtant, même si l'ouvrage demeure
très actuel dans ses analyses, nous l'avons dit, qu'un certain
nombre de faits nouveaux (qui peut-être n'auraient rien apporté
de plus), n'aient pas été intégrés au
nouveau texte. Par exemple : comment peut-on lire les nouvelles
pratiques de type "saut en élastique", ou "danse
escalade" ? Est-ce toujours du sport moderne ou une autre activité
corporelle post-moderne ? Comment le monde sportif s'est-il modifié
pour devenir un trust industriel vertical et horizontal ? Comment
les médias se font-ils les agents de publicité de
cette entreprise, sans forcément toujours en toucher les
dividendes (il suffit d'assister à une soirée coupe
d'Europe sur TF1) ? Comment les journalistes sportifs croyant donner
de l'information sur un jeu organisent-ils la publicité sportive
pour des entreprises commerciales (Roland Garros, Wimbledon...)
? On imaginerait mal une telle publicité (quelques heures
chaque semaine) clandestine (aurait-on dit il y a quelques années)
pour d'autres types d'entreprises commerciales ou industrielles.
Les réponses ou analyses de Jean-Marie Brohm sur de tels
sujets auraient été les bienvenues.
Enfin la dernière critique que l'on peut faire à
cet ouvrage, bien que Jean-Marie Brohm ait toujours analysé
le système des pays de l'Est comme "un capitalisme d'Etat",
et non comme du communisme, c'est justement la non-analyse des effets
provoqués par la mort de ce monde mythique. En quoi le monde
sportif est-il transformé par la mort de "soviets"
? En quoi le projet utopique et éthique du capitalisme de
transformer les sujets en objets financiers change-t-il à
la suite de la fin des pays socialistes soviétiques et en
quoi cette mutation affecte-t-elle ou non ce "fait social total"
qu'est le sport?
Même si des réponses ont été apportées
à ces questions dans la revue "Quel Corps ? ",
peut-être aurait-il été utile de les intégrer
au texte de cette réédition.
Il reste que cet ouvrage demeure un texte de référence
incontournable, car fondateur.
Jacques Gleyse.
Revue Corps et Culture 1 Revue
http://www.revues.org/corpsetculture/numero1/notelecture.html
|