Texte trouvé sur Le Temps des Livres, un site Suisse
Les Intellectuels et le Football, Auteur: Marc Perelman Editeur: de la
Passion 32 p.
Toutes les critiques de «Essai» Foot, les 100 photos, Auteur:
Benoît Heimermann, Editeur: Hachette 224 p.
Le Football, une peste émotionnelle, Auteurs: Jean-Marie Brohm,
Marc Perelman, Editeur: de la Passion 32 p.
Le lien d'origine : http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=1071
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Culture-foot: De la Coupe du monde s'élève la fumée
de l'opium du peuple
En prévention à l'overdose de rhétorique sportive
à venir, on peut avaler deux petits pamphlets vigoureux. Ou se
faire plaisir avec de belles images commentées par des écrivains.
Isabelle Rüf, Samedi 1 juin 2002
Le grand délire nationaliste, social et identitaire qui s'est
emparé de la presse après la victoire de la France lors
du dernier Mondial en 1998 permet de craindre de nouveaux déferlements
au cours des prochaines semaines. A ceux que cette perspective fatiguerait
par avance, on peut recommander la lecture tonique des deux analyses
que rééditent les Editions de la Passion, petite maison
qui semble spécialisée dans la «critique de la modernité
sportive». Ce sont de très brefs ouvrages, 32 pages chacun,
mais les caractères en sont d'une taille minuscule, elle aussi,
et les lignes très serrées. Quant au propos de Marc
Perelman et de Jean-Marie Brohm, il demande à être
lu attentivement car il oscille entre le pamphlet le plus polémique,
un ton dont on a perdu l'habitude, et une analyse savante du phénomène
de sanctification du football.
Les auteurs sont professeurs d'université, le premier à
Paris X Nanterre, le second à Montpellier, et tous deux
ont déjà beaucoup écrit sur la sociologie du sport.
A l'occasion de la Coupe du monde, ils ont remis à jour leurs
analyses des événements de 1998. Leur ouvrage commun,
Le Football, une peste émotionnelle, est une dénonciation
de la «lobotomisation» qui a gagné les journalistes,
et tous les «grands penseurs», de l'extrême gauche
à l'extrême droite. On retrouve la même verve dans
Les Intellectuels et le Football. Qu'ils célèbrent l'univers
de fraternité et de paix, la «passion égalitaire»
qui transcende les inégalités de classe et de race ou
que, plus naïfs encore, ils opposent un sport «pur»
aux excès et aux bavures que lui imposerait un capitalisme pervers,
les commentateurs n'échappent pas à la critique.
Car pour les deux polémistes, «les passions sportives
sont évidemment meurtrières». La liste est longue
des violences exercées dans et autour des stades, tout comme
est accablante celle des corruptions, magouilles, salaires indécents
et dopages. Mais, disent les auteurs, les sociologues et les analystes
du foot se laissent emporter par leur propre fascination et leur désir
de rêve. La revue de presse qui émaille les deux opuscules,
parfois de manière répétitive, offre de réjouissants
exemples de ce lyrisme. Les adeptes les plus aveugles de l'«humanité
du sport» étant les ex-staliniens qui entament, notamment
dans les colonnes de L'Humanité, le Te Deum de la grande fête
populaire planétaire, oubliant que les «délégations
de mercenaires» viennent souvent de pays où règnent
les dictatures.
Même Alain Finkielkraut, «supporter bien élevé»,
qui aime le foot par fidélité filiale, y voit «l'une
des seules échappatoires à la fatalité sociologique»,
négligeant le fait que les très rares individus qui s'évadent
d'une condition misérable par le sport, s'ils ouvrent un horizon
de rêve, ne font en rien changer la société. Les
palinodies sur le caractère «black-blanc-beur» d'une
France multiraciale ont été vite oubliées, les
récentes élections l'ont montré. Le sport est-il
aujourd'hui l'opium du peuple? Nouvelle «drogue dure», il
est alors, comme la religion pour Marx, la protestation contre une détresse
réelle. Et le critiquer, c'est faire le procès de l'organisation
dont il est l'«auréole».
Edgar Morin évoque sans ironie l'immense orgasme collectif du
13 juillet 1998, suivi d'une «mélancolie post-coïtale»,
émotions qu'il reprend à son compte. Oublie-t-il que les
régimes fascisants ont toujours su faire du fétichisme
sportif une machine à décerveler, également transformable
en machine de guerre, en instrumentalisant l'«homosexualité
compulsionnelle» que manifeste l'esthétique nazie,
avec ses fantasmes de domination? Le discours sur l'architecture des
stades, sur la beauté des corps et de leurs mouvements et de
leurs stratégies, bref, sur le sport comme art, inspire aux pamphlétaires
la partie la plus intéressante et la plus complexe de leur analyse.
Difficile de résister pourtant au plaisir esthétique et
à la jubilation qui émanent de beaucoup des images du
livre de Benoît Heimermann, Foot, les 100 photos. Entre le premier
cliché connu d'une équipe (anglaise, bien sûr, en
1855) et l'image d'un robot japonais de 2002, il y a place pour bien
des images mythiques.
Des sportifs, des sociologues et des écrivains les ont commentées
dont les Suisses Bernard Comment et Yves Laplace et Vladimir
Dimitrijevic, fondateur de l'Age d'Homme, mais pas Georges Haldas! Albert
Camus, gardien de but à Alger en 1930, se souvient de «l'envie
de vouloir pleurer les soirs de défaite». Gamin, le romancier
anglais Nick Hornby décelait déjà la haine et la
colère sur les gradins. Celles-là mêmes qui, bien
plus tard, en 1985, devaient se déchaîner sur le Heysel,
inspirant à Anthony Burgess la honte d'être Anglais.
A travers l'histoire du foot, c'est un résumé géopolitique
et sociologique du siècle qui se dessine, auréolé
de légende, mais très intéressant à regarder
sous l'éclairage des analyses de Brohm et Perelman.
Le lien d'origine : http://www.letemps.ch/livres/Critique.asp?Objet=1071
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