Esquisses épistémologiques pour une thanatologie qui se
voudrait scientifique.
- Introduction- p.1
- L'impensable de la mort - p.2
- L'épistémologie paradoxale de la thanatologie - p.3
- Les invariants anthropologiques de la mort - p.4
- Les postulations métaphysiques de la thanatologie - p.5
- Éthique et ontologie de la mort - p.6
- Quelle thanatologie aujourd'hui ? - p.7
INTRODUCTION
"Rien
n'est plus étranger ni plus noir que le coup fatal qui frappe
chacun de nous. Certes, la vie elle-même n'est pas au point :
quoi qu'il en soit, elle est notre demeure, c'est en elle que nous sommes
présents, et il est possible de l'améliorer. En revanche,
personne n'a jamais été vu présent dans la mort,
si ce n'est sous forme de cadavre". Ernst Bloch*, Le Principe
Espérance. Tome III : Les images-souhaits de l'Instant exaucé,
Paris, Gallimard,1991, p. 232.
Michel Picard,
constatant l'omniprésence de la thématique de la mort
dans tous les genres littéraires - pièces théâtrales,
essais, épopées, tragédies, récits légendaires,
oraisons funèbres, romans, nouvelles, textes fictionnels ou poétiques,
etc.-, a tenté "de montrer quelles relations étroites,
presque consubstantielles, entretiennent la littérature et la
mort" (1). Dans la lignée de ses travaux antérieurs
- au demeurant d'une grande pertinence théorique (2) - qui définissent
la littérature non pas prioritairement comme ensemble de livres
(qu'évoquent les anthologies), de textes (qu'étudient
les historiens ou les théoriciens de la littérature) ou
de documents pour bibliophiles (qu'archivent les bibliothèques),
autrement dit comme écriture, mais d'abord comme activité
ludique de lecture, c'est-à-dire comme jeu imaginaire avec le langage dans l'espace transitionnel du
Sujet avec la totalité complexe des temporalités qui y
sont engagées (réelles, fictionnelles, fantasmatiques),
Michel Picard souligne les obstacles épistémologiques
auxquels est confrontée toute approche de la mort dans les sciences
humaines, et particulièrement dans l'étude des textes.
Le
premier obstacle selon lui est l'hégémonie d'une certaine
histoire des mentalités, même si cette école théorique
a confirmé que les figures de la mort étaient totalement
contextualisées culturellement. L'histoire des "attitudes
collectives devant la mort", ou l'histoire des "modèles
successifs du mourir" (3)- c'est-à-dire l'ensemble des
représentations collectives de la mort (4), des pratiques sociales
du trépas et du deuil, des vécus thanatiques (5), des
idéologies et rites funéraires -a souvent tendance, note
Michel Picard, à prendre pour argent comptant l'idée que
les représentations de la mort sont "l'expression de
la société" (d'une classe, d'un groupe), le "reflet"de
l'époque, l'"écho" d'une situation ou "l'ethos"
d'une culture. Il reste à se demander si les historiens de
la mort -qui tentent à travers une masse hétéroclite
de documents, de signes, de textes, de monuments (inscriptions funéraires,
ex-voto, testaments, retables, tableaux, gravures, manuels de dévotion,
hagiographies, etc.) de retrouver "le sentiment commun", - l'expression inconsciente d'une sensibilité collective, "
le sentiment général d'une époque (6), -le discours
sur la mort qu'une époque se tient à elle-même (7)
visent bien ainsi leur objet : la mort ? Celle-ci, au demeurant, peut-elle
être conçue comme un référent objectif ?
La mort n'est-elle pas plutôt métaphorisation permanente,
allégorie, déplacement, allusion, jeu de langage ?
L'obstacle est ici l'illusion référentielle, la croyance
naïve à l'existence immédiate (c'est-à-dire
non médiatisée par le langage, la culture, l'idéologie,
la fiction, le fantasme, la croyance, etc.) de la mort comme réalité
cernable, délimitable, objectivable, vérifiable, voire
mesurable, comme pourrait se l'imaginer un positiviste convaincu. Or,
il y a une extrême difficulté à définir la mort comme
A champ d'études (elle est partout et nulle part) et comme objet,
d'une grande complexité et évanescence, aussi bien synchroniquement
que diachroniquement, puisque, qu'on le veuille ou non, la mort n'est
pas un objet comme les autres, mais une transversalité intersubjective,
une relation entre sujets (vivants ou déjà morts), un
être-de-langage, un signifiant dont le signifié est très
ambigu et hyper-polysémique et dont les référents
sont incertains, en tous les cas extrêmement multiples: qu'y a-t-il
sous le masque de la mort ? Que peut-on en dire? Peut-on même la
penser, la conceptualiser ?
Notes
page 1
(1)
Michel Picard, La Littérature et la mort, Paris, PUF, 1995, p.
3. On trouvera une thèse analogue déjà développée
chez Maurice Blanchot, L'Espace littéraire, Paris, Gallimard,
1955, chapitre IV : "L'uvre et l'espace de la mort".
(2) Michel Picard, La Lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986 ; Lire
le temps, Paris, Minuit, 1989.
(3) Cf. Michel Vovelle, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant
la mort aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Julliard, 1974 ;
Philippe Ariès, Essais sur l'histoire de la mort en Occident
du Moyen-âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975 ;
Philippe Ariès, L'Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977 ;
Robert Favre, La Mort dans la littérature et la pensée
françaises au Siècle des Lumières, Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 1978; Michel Vovelle, La Mort et l'Occident,
de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983 ;
Michel Lauwers, La Mémoire des ancêtres, le souci des morts.
Morts, rites et société au Moyen-âge, Paris, Beauchesne,
1997.
Voir aussi, d'un point de vue plus sociologique, Geoffrey Gorer, Ni
Pleurs ni couronnes, précédé de Pornographie de
la mort (préface de Michel Vovelle), Paris, EPEL, 1995.
(4) Cf. Robert Hertz, A Contribution à une étude sur la
représentation collective de la mort in Sociologie religieuse
et folklore, Paris, PUF, 1970.
(5) On pourrait d'ailleurs dire la même chose des vécus
érotiques...
(6) Philippe Ariès, Essais sur l'histoire de la mort en Occident
du Moyen-âge à nos jours, op. cit., p. 13.
(7) Michel Vovelle, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant la
mort aux XVIIe et XVIIIe siècles, op. cit., p. 11.
L'impensable
de la mort
Vladimir
Jankélévitch, dont la distinction eidétique fondamentale
entre la mort en troisième, deuxième et première
personne a directement inspiré Michel Vovelle, Philippe Ariès
et Louis-Vincent Thomas, a magistralement pointé le paradoxe
de toute étude sur la mort (historique, psychologique, anthropologique,
philosophique, littéraire, etc). D'une part, la mort est partout,
dans le Tout, elle est même d'un certain point de vue le Tout
des choses : La vie nous parle de la mort, et même elle ne
parle que de cela. Allons plus loin : de quelque sujet qu'on traite,
en un sens on traite de la mort ; parler de quoi que ce soit, par exemple
de l'espérance, c'est obligatoirement parler de la mort ; parler
de la douleur, c'est parler, sans la nommer, de la mort ; philosopher
sur le temps c'est, par le biais de la temporalité et sans appeler
la mort par son nom, philosopher sur la mort ; méditer sur l'apparence,
qui est mélange d'être et de non-être, c'est implicitement
méditer sur la mort [...]. La mort est l'élément
résiduel de tout problème [...]. Tout me parle de la mort...
mais indirectement et à mots couverts, par hiéroglyphes
et sous-entendus. La vie est l'épiphanie de la mort, mais cette
épiphanie est allégorique, non point tautégorique.(8).
D'autre
part, et c'est là un pour scandale ou non-sens irrationnel pour
la raison rationaliste, positiviste, scientiste, le savoir de la mort
est quasi inexistant, crépusculaire, frappé d'incertitude.
Que savons-nous de la mort ? :
quasiment rien, des bribes d'incertitude, d'autant qu'elle est excessivement
difficile à penser clairement et distinctement. La mort est quasiment
informulable, inimaginable, infigurable: Dans ce concept d'une totale
nihilisation, écrit encore Vladimir Jankélévitch,
on ne trouve rien où se prendre, aucune prise à laquelle
l'entendement puisse s'accrocher. La pensée du rien est un rien
de pensée, le néant de l'objet annihilant le sujet: pas
plus qu'on ne voit une absence, on ne pense un rien; en sorte que penser
le rien, c'est ne penser à rien, et c'est donc ne pas penser. La pseudo-pensée de la mort n'est qu'une
variété de somnolence (9). La connaissance de l'Au-delà
de la mort, de l'outre-monde de l'intemporel, se réduit non pas
à presque rien, mais à rien du tout, la connaissance de
l'Instant mortel, du moment (ou seuil) du mourir en tant qu'instant
insaisissable du dernier présent, passage du déjà-plus
vivant au pas-encore mort, est un presque rien et la connaissance de
l'En-deça de la mort, le bas-monde du temps, n'est qu'allégorique
parce que son objet est toujours autre chose que la mort. Et puisqu'il
est quasi impossible de penser la mort ni avant, ni pendant, ni après,
le désir de connaissance a recours aux subterfuges de l'euphémisation,
de l'à-côté, des périphrases.
Ne pouvant atteindre la chose même, l'ipséité de
la mort, ne pouvant avoir une expérience originaire de l'apparaître
de la mort, ni une intuition donatrice de la A mort en personne, comme
on peut avoir un vécu du corps propre en personne, se pose ici
la question aporétique d'une phénoménologie de
la mort, de l'apparaître ou de l'essence de la manifestation du
mourir, en tant que corrélat noématique de la conscience.
Nul mieux que Vladimir Jankélévitch n'a insisté
sur le caractère impensable et inénarrable de l'instant
létal (10) du fait même de l'essence temporelle de l'épreuve
: la conscience témoin ou le cogito du mourant s'anéantit
à l'instant même où il est, dans une simultanéité
fulgurante, conscience de la mort.
Comment l'intuition du mourant fixerait-elle une fulguration ou un signal,
dont elle n'est, par définition, jamais contemporaine, auquel
elle n'est jamais coextensive ?
On peut certes concevoir une espèce de simultanéité-éclair,
une coïncidence ponctuelle de la conscience-de-soi avec l'article
létal: mais cette simultanéité est parfaitement
inutilisable, puisque, l'instant d'après, ou mieux à l'instant
même, il n'y a plus ni conscience ni être conscient (11).
L'intuition de l'instant mortel chez le mourant est donc proprement
indicible, mais aussi invivable, si l'on ose dire, en tant que vécu
: le vécu de la disparition est à l'instant même
la disparition de tout vécu! Ce qui est vrai de la conscience
par rapport à la mort-propre n'est pas moins vrai par rapport
à la mort d'autrui : les vivants assistent le moribond durant
ses derniers instants, puis ils accompagnent le mort jusqu'à
sa dernière demeure ; mais le mourant lui-même, personne
ne l'accompagne; personne ne lui fait escorte tandis qu'il accomplit
le pas solitaire. Non d'aucune façon l'instant mortel n'est objet
de connaissance ni matière à spéculation ou à
raisonnement (12).
La mort est cette limite impondérable entre le presque-rien et
le rien. Il n'est donc pas étonnant qu'on ne puisse quasiment
rien en dire, a fortiori édifier un savoir sur elle. C'est ce
paradoxe de l'impossibilité d'une science de la mort en tant
que structure vacante, d'une thanatologie d'un objet qui n'existe qu'en
tant que rien de notre Tout, néant silencieux absolu, indicible
irrémédiable que Vladimir Jankélévitch a
souligné mieux que quiconque. La mort est hors lieu, dépareillée,
hors temps, la limite sans épaisseur ni extension, le point sans
allongement, l'instant sans situation spatiale et sans durée
qui sépare quelque chose et rien, le tranchant aigu et la ligne
quasi inexistante où se recoupent l'être et le non-être
: mais aucune lumière révélatrice ne filtre entre
l'un et l'autre. (13)
La mort, parce qu'indescriptible, inénarrable, inconnaissable
au sens fort du terme, ne peut donc être évoquée
que par des périphrases et des commentaires. Il y a, écrit
Vladimir Jankélévitch, une philosophie anecdotique de
la mort qui dilue le problème dans les récits édifiants
et les pieux bavardages : par exemple, elle raconte les morts illustres
et la vie des martyrs; l'énumération des placita et des
mots de la fin lui tient lieu de métaphysique. Biographie, doxographie,
psychologie et même sociologie sont ainsi comme des variétés
de la périphilosophie. Les périphrases de cette thanatologie
périphérique représentent la fine fleur de la périphilosophie:
appelons-la, puisqu'elle badine de choses et d'autres, la philosophie-à-propos.
La voie oblique de l'euphémisme, les cercles de la périphrase,
les zigzags de la conversation sont autant de subterfuges pour esquiver
le mouvement rectiligne qui désignerait, d'une désignation
transitive, le complément direct appelé mort (14)
Notes
page 2
(8)
Vladimir Jankélévitch, La Mort, Paris, Flammarion, 1977,
pp. 58 et 59. Voir aussi Vladimir Jankélévitch,
Philosophie première, Paris, PUF, 1986, le chapitre III : A De
la mort .
(9) Vladimir Jankélévitch, La Mort, op. cit., p. 39.
(10) Ibid., p. 221.
(11) Ibid., p. 220.
(12) Ibid., p. 221.
13) Ibid., p. 360.
(14) Ibid., pp. 61 et 62
L'épistémologie
paradoxale de la thanatologie.
Louis-Vincent
Thomas, un des fondateurs de la thanatologie qui a écrit des
milliers de pages sur le sujet, a même fait de ce paradoxe le
fondement de son épistémologie thanatique. Le concept
de mort, protéiforme et traversant une pluralité de champs
anthropologiques, A s'avère en effet surdéterminé
; il se pose en termes si hétérogènes qu'on s'interroge sur le fait de savoir si chaque fois qu'on l'évoque
on parle de la même chose. (15) Outre son infinie diversité
et complexité, la mort (le singulier a-t-il même un sens
ici?), en tant qu'être d'un non-être paradoxal, existence
d'un néant, processus indécidable, non-objet hors catégories,
à la limite du langage, située partout et nulle part, est un A objet introuvable: à la limite seuls n'existent que
ce (ou ceux) qui tue, que les cadavres qui vont pourrir et les traces-souvenirs
inscrites dans les monuments ou la conscience des survivants. Si ce
n'était l'urgence de trouver le moment propice pour le prélèvement
des organes et celui de l'inhumation ou de la crémation, il n'y
aurait probablement pas de définition légale du mourir.
La mort, en effet, n'est-elle pas le Rien, le Presque-Rien qu'aucune
démarche scientifique ne parvient à cerner, tant sur le
plan des critères que de la définition? D'ailleurs, plus
la connaissance de la mort progresse scientifiquement et moins on s'avère
capable de préciser quand et comment elle intervient (16). Rien
d'étonnant, conclut Louis-Vincent Thomas, si la thanatologie
n'a pu ou n'a su se construire une épistémologie valable
et cohérente. (17)
Il n'y a donc qu'une thanatologie totalisante possible, une thanatologie
modeste aussi qui n'oublie pas l'extrême fragilité de son
socle épistémologique et le paradoxe de son fondement
ontologique: Il n'y a que deux façons d'appréhender la
mort. Du dedans, en la vivant, mais les morts emportent avec eux leur
secret ; ou en coïncidant avec elle par une
sorte d'intuition de génie, mais le message du poète ou
de l'artiste, pour pathétique qu'il soit, ne saurait suffire.
Du dehors, en la prenant comme objet de discours : mais le discours
savant, rigoureux, met à distance son objet, donc le tue par
réification et conceptualisation; il ne s'attache qu'aux à-côtés
du mourir non à la Mort elle-même. Et la thanatologie,
science nouvelle qu'il faut promouvoir, n'est pas malade que du déni;
elle porte en soi sa propre difficulté, sa propre contradiction
car elle ne constitue pas une discipline spécifique à
part entière; c'est pourquoi elle ne connaît jusqu'ici
que deux dimensions, la thanatologie crisique, la thanatologie critique,
la crise de la mort aujourd'hui, la critique de la société
mortifère. Peut-être faudrait-il inventer un nouveau langage
d'articulation entre Logos, Thanatos et Éros, trop souvent séparés,
qu'il s'agisse de la parole du poète, de celle du médecin,
du philosophe, de l'anthropologue, du prêtre ou des divers professionnels
de la mort (18).
Michel Picard a précisément reproché à Louis-Vincent
Thomas, et plus généralement à l'anthropologie
thanatologique, de souffrir d'un handicap majeur, qu'il considère
comme un autre obstacle épistémologique: l'empirisme éthodologique,
sans objet défini propre, avec une méthode purement descriptive
(19), qui n'hésite pas à recourir à une thématique
émiettée en monographies ethnographiques. Au mieux cette
thanatologie s'efforcerait, " ne serait-ce qu'à titre
heuristique, d'associer l'unité à la diversité,
la synthèse à l'analyse, la synchronie à la diachronie,
l'a priori théorique à l'a posteriori empirique [...].
Thomas, longtemps président de la Société de Thanatologie,
coincé dans la même contradiction, additionne d'une part
ses thèmes et motifs mais postule lui aussi, ailleurs, on ne
sait quels invariants improbables: Par-delà les différences
qu'on peut rencontrer, un certain nombre d'archétypes universaux
semblent devoir s'imposer [article Mort in Encyclopædia Universalis].
Lesquels? (20).
Il semble que Michel Picard n'ait lu que bien peu de choses pour pouvoir
affirmer cela. L'importance de l'uvre magistrale de Louis-Vincent
Thomas tient précisément à cette conscience aiguë
que la Mort est la contradiction vivante (si l'on ose dire) entre l'Universel
concret (son universalité absolue qui touche tout ce qui s'inscrit
dans le temps: individus, sociétés, systèmes culturels,
astres, etc) et le Singulier concret (sa radicale événementialité
comme événement chaque fois unique). Que la thanatologie
ne peut donc qu'accumuler sans cesse de nouvelles données empiriques
dans tous les registres anthropologiques (sur le quadruple plan du perçu,
du conçu, du vécu et de l'imaginé) sans jamais
cesser de rechercher les invariants anthropologiques de ses manifestations
(dans le temps et l'espace), les Universaux philosophiques de sa compréhension,
les archétypes inconscients ou les fantasmes originaires de son
éprouvé. De ce point de vue, la démarche de Louis-Vincent
Thomas est exemplaire et en raison même de cela peu comprise et
encore moins correctement imitée. Il suffit de lire son bel article
synthétique Mort et ontologie (21) ou son étude "L'Homme
et la mort", modestement sous-titrée "en guise d'introduction"
(22) pour saisir comment Louis-Vincent Thomas articule dans une
perspective complémentariste "la mort comme objet philosophique"
(ontologie), les moments historiques de la mort (anthropologie historique,
histoire), les systèmes de croyances socio-culturels (eschatologies,
religions, mythes), les fantasmes archétypaux (mort maternelle,
mort-agression, mort-sanction, par exemple, éclairés par
la psychanalyse), les mécanismes de défense, de déni,
de déritualisation, d'évitement, d'escamotage de la mort
(stratégies idéologiques, discursives, institutionnelles),
les pratiques sociales de l'accompagnement des mourants ou du traitement
du cadavre et des restes (23), les données biologiques, médicales
et psychologiques, les recherches para-psychologiques ou trans-rationnelles
(NDE, etc.), sans compter l'imaginaire fictionnel (science-fiction,
littérature).
Sous l'apparente diversité des sources et des intérêts
de recherche pointe l'unité ontologique fondamentale de la philosophie
de la mort de Louis-Vincent Thomas qu'il a résumée sous
la forme de trois thèses, même si elles n'ont pas l'allure
immédiate de thèses philosophiques :
Thèse 1 : Toute société se voudrait immortelle
et ce qu'on appelle culture n'est rien d'autre qu'un ensemble organisé
de croyances et de rites, afin de mieux lutter contre le pouvoir dissolvant
de la mort individuelle et collective (24).
Thèse 2 : La société, plus encore que l'individu,
n'existe que dans et par la mort (25).
Thèse 3 : La mort, du moins l'usage social qui en est fait, devient
l'un des grands révélateurs des sociétés
et des civilisations, donc le moyen de leur questionnement et de leur
critique (26). Il découle de ces trois thèses l'affirmation
de l'unité organique de la vie et de la mort (la mort n'existe
que parce qu'il y a la vie, la vie n'existe que parce qu'il y a la
mort), l'affirmation de la mort comme unité de la finitude temporelle
et de l'aspiration à l'éternité (amortalité,
immortalité, survie), l'affirmation de la mort comme transversalité
de l'être, fondement ontologique de l'être et de la pensée
de l'être. Le concept de mort, écrit Louis-Vincent Thomas,
n'est pas la mort, et c'est cela le terrible. La mort, qui ronge son
propre concept, va alors ronger les autres concepts, saper les points
d'appui de l'intellect, renverser les vérités, nihiliser
la conscience. Elle va ronger la vie elle-même (27). Elle va surtout
ronger toute la métaphysique occidentale, de Platon à
Heidegger...
Notes
page 3
(15)
Louis-Vincent Thomas, La Mort, Paris, PUF, 1988, p. 7.
(16) Louis-Vincent Thomas, Mélanges thanatiques. Deux essais
pour une anthropologie de la transversalité, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 222.
(17) Ibid., p. 226.
(18) Louis-Vincent Thomas, La Mort en question. Traces de mort, mort
des traces, Paris, L'Harmattan,
1991, p. 14.
(19) Michel Picard, La Littérature et la mort, op. cit., pp.
20 et 21.
(20) Ibid., p. 23.
(21) Louis-Vincent Thomas, Mort et ontologie in Encyclopédie
Philosophique Universelle. Tome I : L'Univers
philosophique, Paris, PUF, 1989.
(22) Louis-Vincent Thomas, A L'Homme et la mort in Histoire des murs.
Tome II : Modes et modèles
(sous la direction de Jean Poirier), Paris, Gallimard, A La Pléiade,
1991.
(23) Louis-Vincent Thomas, Le Cadavre, Bruxelles, Complexe, 1980.
(24) Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, Paris, Payot, 1978, p. 10.
(25) Ibid., p. 11.
(26) Ibid., p. 12.
(27) Louis-Vincent Thomas, A Mort et ontologie, op. cit., p. 1456.
Les invariants
anthropologiques de la mort
Edgar Morin
a été parmi les premiers à tenter de déceler
les invariants trans-historiques ou bio-anthropologiques de la mort
en soulignant implicitement la dimension ontologique des deux thèmes
fondamentaux qui remplissent la brèche anthropologique entre
l'individu et l'espèce: Les deux mythes fondamentaux, mort-renaissance
et double sont des transmutations, des projections fantasmatiques et noologiques des structures
de la reproduction, c'est-à-dire des deux façons dont
la vie survit et renaît: la duplication et la fécondation.
La mort-renaissance est certes une vague métaphore du cycle biologique
végétal, pourtant elle exprime non plus l'analogie mais
la loi du cycle animal marquée par la mort des individus et la renaissance permanente de l'espèce.
Le double, lui, correspond de façon extrêmement précise
au mode fondamental et universel de reproduction [...]. Le double (que
fabrique quasi - automatiquement l'expérience du reflet, du miroir,
de l'ombre, le double, produit spontané de la conscience de soi)
est un mythe universel. Pourquoi ne pas penser que ce mythe traduit
de façon noo - fantasmatique un principe bio-génétique,
et comment ne pas penser que le moment de la mort est celui de la duplication
imaginaire ?(28). Edgar Morin introduit là une ontologie
de la vie (29) que développera à son tour Louis-Vincent
Thomas: l'unité dialectique des divers règnes du cosmos
(minéral, animal, humain, sociétal, culturel, transcendantal),
l'unité dialectique de l'être et du néant, l'unité
dialectique de l'individu et de l'espèce.
Cette ontologie de la vie qui est simultanément une ontologie
de la mort, comme l'avait déjà parfaitement saisi Georg
Simmel (30), est aussi, et consubstantiellement, une ontologie de la
survie ou de la survivance, ce que Louis-Vincent Thomas a appelé
une "eschatologie philosophique" (immortalité,
réincarnation, résurrection). Louis-Vincent
Thomas reprend là les belles analyses de Michel Hulin (31) dans
son article synthétique sur l'eschatologie de la mort où
il développe une typologie en quatre temps :
1) L'Au-delà proche qui situe les survivants dans un univers
semblable à celui des vivants, avec possibilité de réincarnation
(chamanisme d'Asie Centrale, de Sibérie et d'Amérique
du Nord, croyances négro-africaines traditionnelles).
2) L'Au-delà sans retour qui renvoie le pays des morts dans un
monde autre et lointain (Mésopotamie ancienne, Égypte
pharaonique).
3) L'Au-delà de la résurrection de la chair qui rendrait
possible la réunion, voire la fusion du monde des vivants et
celui des défunts: d'où le grand retour collectif des
ressuscités, lié à la substitution au mythe du
temps cyclique d'une durée orientée et non réversible
(religions de l'Iran ancien, religions du Livre, eschatologie chrétienne).
4) L'Au-delà indien où l'Au-delà n'apparaît
plus essentiellement sous la forme d'un espace ou d'un autre monde,
mais dans l'ordre du temps. Il se présente comme la série
des intervalles temporels qui séparent les unes des autres les
réincarnations successives d'un même principe spirituel
(transmigrations des âmes).
Ces divers systèmes utopiques ou uchroniques s'articulent autour
de quatre oppositions fondamentales :
a) La distinction du proche et du lointain : l'Au-delà est-il
un monde proche, semblable au nôtre, ou au contraire un univers lointain, sorte d'absolu indicible ?
b)
La distinction du corps et de l'esprit : les habitants du royaume des
morts ont-ils un (ou leur) corps, ou sont-ils au contraire de purs esprits ?
c) La distinction de l'événement unique (de la naissance
et de la mort) -le destin eschatologique étant scellé
une fois pour toutes à l'instant de la mort - et de la répétition
des naissances et des morts (l'existence actuelle procède d'une existence précédente, pas nécessairement humaine,
et conduit à une existence ultérieure qui peut-être
ne comportera pas non plus cette forme.
d) La distinction du Bien et du Mal :
les injustices de ce monde sont-elles ou non réparées
dans l'Au-delà, tout le monde accède-t-il à cet
Au-delà, y a-t-il un tri qui "pèse" les âmes
suivant leurs actions mondaines (Paradis, Enfer) ? (32).
C'est précisément sur cette question métaphysique
de la survivance après la mort que s'opèrent aujourd'hui
les clivages épistémologiques au sein de la thanatologie.
Nombreux sont ceux qui, par souci de respectabilité universitaire
ou par prudence épistémologique, se gardent bien d'aborder
ces questions au profit des thèmes ontiques dirait Heidegger
de la quotidienneté mondaine de la mort : cimetières,
deuils, suicides, économie de la mort, accompagnement des mourants,
etc. Or, le mérite de Louis-Vincent Thomas a toujours été
de maintenir dans une même préoccupation les deux versants
ontologiques du mourir :
l'Ici-bas et l'Au-delà, considérant même implicitement
que c'est l'Au-delà qui donne sens à l'Ici-bas, comme
la mort donne sens à la vie et le non-encore-advenu (le futur
de la mort certaine) au déjà-vécu (le passé
et le présent de l'existence). Et comme l' âme donne sens
au corps. La thanatologie a ceci de spécifique qu'elle ne peut,
sous peine de mourir instantanément, récuser cette problématique
ontologique de la survivance qui traverse au demeurant toute l'histoire
de la métaphysique occidentale.
Notes
page 4
(28)
Edgar Morin, L'Homme et la mort, Paris, Seuil, 1970, pp. 11 et 12. Le
livre de Morin est une contribution
fondamentale à une anthropologie philosophique, voire métaphysique,
des figures historiques de la mort.
(29) Voir également les quatre tomes de La Méthode, Paris,
Seuil, 1981, 1985, 1986, 1991.
(30) Georg Simmel, Métaphysique de la mort in La Tragédie
de la culture (introduction de Vladimir Jankélévitch), Paris, Rivages, 1988, p. 171 : A à
chaque instant de la vie nous sommes des êtres qui allons mourir et cet instant serait autre si telle n'était pas notre
destination [...]. On voit maintenant clairement la signification de la mort comme créatrice de forme. Elle ne se
contente pas de limiter notre vie, c'est-à-dire de lui donner forme à l'heure du trépas, au contraire, elle
est pour notre vie un facteur de forme, qui donne coloration à tous ses contenus: en fixant les limites de la vie
dans la totalité, la mort exerce d'avance une action sur chacun de ses contenus et de ses instants (31) Michel Hulin, La Face cachée du temps. L'imaginaire de l'Au-delà,
Paris, Fayard, 1985.
(32) Voir Louis-Vincent Thomas, L'eschatologie : permanence et mutation
in Louis-Vincent Thomas et alii, Réincarnation, immortalité, résurrection, Bruxelles,
Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1988, pp. 17 et suivantes ; Louis-Vincent Thomas, "Mort et ontologie",
op. cit., p. 1459. Ernst Bloch, dans Le Principe Espérance (trois tomes, Paris, Gallimard, 1976, 1982,
1991), procède à une vaste étude des utopies et eschatologies de la mort, visions culturelles et métaphysiques
de la survie, "catalogue des rêves-souhaits humains dans les grandes religions universelles",
systèmes idéologiques ou représentations artistiques.
Les
postulations métaphysiques de la thanatologie
Je ne peux
évidemment aborder ici cette question qui exigerait de longs
développements, mais je voudrais simplement esquisser les axes
essentiels selon moi de cette problématique de la survivance
qui constitue le révélateur épistémologique
de la thanatologie (33), car, comme l'a bien repéré Karl
Jaspers, la soif d'éternité n'est pas dépourvue
de sens. Il y a quelque chose en nous qui ne peut croire être
destructible. La tâche de la philosophie est de jeter quelque
clarté sur la nature de ce quelque chose (34). Que cette soif
d'éternité ou de survivance relève de fantasmes
individuels (on sait que l'inconscient ne peut croire à sa mort),
de croyances collectives (religieuses) ou de postulations philosophiques
(35), il reste qu'elle constitue le noyau dur, incontournable, de toute
approche de la mort, y compris dans la perspective d'une sociologie
de la mort. À moins de la réduire à un recueil
d'opinions, à des échelles d'attitudes ou à des
données statistiques objectives (pourcentages de gens qui croient
en la réincarnation, taux de suicides,
taux de mortalité, courbes pluri-annuelles des accidents de la
route, chiffres concernant la durée moyenne de la vie, les morts
hospitalières, la crémation, etc.), la sociologie de la
mort, du fait même de son objet totalement surdéterminé
par l'ontologie et l'eschatologie, ne peut pas ne pas se questionner sur
ses présupposés méta-sociologiques, disons le mot:
proprement ontologiques. Le chercheur qui travaille sur la mort ne peut
pas, non plus, ne pas se poser la question de ses implications profondes dans cet objet qui est au cur
de ses angoisses en tant qu'objet interne silencieux.
L'anthropologie de la mort, plus encore que l'anthropologie de la sexualité,
est le lieu par excellence où se vérifie la pertinence
de la thèse de Georges Devereux sur l'angoisse provoquée
par l'objet interne (36), l'objet de recherche totalement surdéterminé
par les affects. La mort, ce Maître absolu, ne peut pas ne pas
provoquer, même chez les chercheurs les plus blindés, des
réactions de panique, du fait que l'objet étudié
est profondément interne (la mort est en nous en permanence), mais aussi, et peut-être
plus encore, du fait du silence que nous renvoie la mort.
Contrairement aux acteurs et aux agents de la sociologie, (exclus, chômeurs,
jeunes, touristes, décideurs, sportifs, etc.) dont le bavardage
est sans bornes, la mort, elle, ne parle pas, elle nous plonge dans
le silence absolu. C'est cette matière muette, a fortiori un
cadavre, lequel n'est ni une chose, ni un vivant, ni une ombre, mais
un être au statut d'une inquiétante familiarité
(étrangeté), qui provoque l'angoisse. Il est même
probable que l'exploration systématique de la matière
muette, écrit Georges Devereux, ne devint psychologiquement tolérable
que lorsqu'on formula tacitement l'hypothèse selon laquelle on
pourrait par ce moyen la forcer à répondre, et prouver
par là
l'existence d'une Force (mana) ou d'un être immanent susceptible
de répondre. De fait, le silence de la matière trouble
encore ceux qui l'explorent: de tous les savants les physiciens sont
les plus enclins à croire au surnaturel (37). Que dire alors
des thanatologues ?...
Jean Ziegler, qui n'est pas spécialement un adepte du surnaturel,
n'a pas hésité - à la suite de Ernst Bloch et Max
Horkheimer - à poser la question de la survie personnelle au-delà
de la mort (38), dans la perspective d'une interrogation sur les postulations
métaphysiques ou eschatologiques qui guident toute recherche
sur la mort, même s'il exprime un agnosticisme mesuré:
La sociologie générative oppose un non-savoir ou, mieux,
un non-encore-savoir à la question de l'immortalité du
sujet épistémique. Nous ne pouvons dire positivement que
la mort détruit le sujet épistémique et interrompt
sa vie de façon définitive et durable en tant que personne
humaine. Nous ne pouvons pas non plus affirmer avec certitude qu'il
existe, au-delà de la cæsura, une région encore
inconnue d'existence où le moi poursuivrait, après la
destruction du corps et de la conscience épiphénoménale,
une vie propre (39).
Cette grande alternative, laquelle n'est pas sans rappeler le pari pascalien,
constitue à n'en pas douter la matrice d'intelligibilité
ultime de la mort en tant que présence d'une absence, puis absence
d'une présence. Comme l'écrit finement Paul-Louis Landsberg
:
Si la mort était la présence absente, le mort est maintenant
l'absence présente. L'expérience immédiate de la
mort de l'autre ne nous donne d'abord aucune certitude quant à
sa survie. Elle nous donne le fait de l'absence, et n'indique pas si
cette absence est consécutive à un anéantissement
ou seulement à une disparition par rapport à nous-mêmes.
La foi en la survie nous promet que notre propre mort nous réunira
avec le prochain maintenant disparu, que nous entendrons de nouveau sa parole dans des conditions inconnues et libérées
du vieux corps. Mais l'expérience pure et simple de la mort du
prochain ne saurait ni confirmer ni détruire cette promesse (40).
A fortiori, la mort en première personne, parce qu'à jamais
inconnaissable, renforce cet inconnu. La dépouille du cadavre
qui n'est plus un lieu possible pour la présence d'une personne
(41) renvoie à ce mystère-là: dans la présence
d'un cadavre, en train de devenir une chose, se lit l'absence de la
personne, en tant que personne spirituelle disparue, existant dans l'absence.
On se trouve donc devant deux possibilités ontologiques qui engagent
deux possibilités épistémologiques, mais aussi
deux attitudes éthiques : ou on indexe la vie sur la mort, ou
la mort sur la vie (et la survie); l'être sur le néant
(la mort est la fin de mon être), ou le néant sur l'être
(la mort ouvre sur une autre possibilité d'être); l'inachèvement
sur l'achèvement ultime (le rien), ou l'achèvement provisoire
sur l'inachèvement éternel (le quelque chose toujours-à-advenir
qui déborde la mort). Emmanuel Lévinas a admirablement
synthétisé cette opposition à partir de sa lecture
de Martin Heidegger, Ernst Bloch et Vladimir Jankélévitch
:
Il y a dans tout cela une invitation à penser la mort à
partir du temps et non plus le temps à partir de la mort. Cela
n'enlève rien au caractère inéluctable de la mort
mais ne lui laisse pas le privilège d'être la source de
tout sens. Chez Heidegger, du moins dans Sein und Zeit, tout ce qui est oubli de la
mort est inauthentique ou impropre, et le refus lui-même de la
mort dans la distraction renvoie à la mort. Ici au contraire
[chez Ernst Bloch], le sens de la mort ne commence pas dans la mort. Cela invite à penser la mort comme
un moment de la signification de la mort sens qui déborde la
mort (42).
Notes
page 5
(33)
à lire certaines productions, on peut se demander si la thanatologie
et les thanatologues qui ont
succédé à Louis-Vincent Thomas n'ont pas tout simplement
refoulé les interrogations essentielles qu'il avait
osé soulever et si la thanatologie instituée n'a pas tué
l'approche philosophique et anthropologique de la
mort...
(34) Karl Jaspers, Initiation à la méthode philosophique,
Paris, Payot, 1994, p. 131. Tout le chapitre 12, "La mort", aborde d'ailleurs cette question de la résurrection,
de l'éternité, de l'immortalité.
(35) Emmanuel Kant est l'exemple classique de l'affirmation de l'immortalité
de l'âme comme postulat de la
raison pure pratique. La réalisation du Souverain Bien exige
un progrès allant à l'infini vers cette conformitéà la loi morale. Or ce progrès indéfini n'est possible
que dans la supposition d'une existence et d'une personnalité de l'être raisonnable persistant indéfiniment
(ce qu'on nomme l'immortalité de l'âme). Donc le souverain bien n'est pratiquement possible que dans la supposition de
l'immortalité de l'âme (Emmanuel
Kant, Critique de la raison pratique, Paris, PUF, 1989, pp. 131 et 132).
Dans ses Leçons de métaphysique (Paris, Le Livre de Poche, 1993, section de la Psychologie rationnelle
intitulée Sur l'état de l'âme après la mort), Emmanuel Kant affirme que l'immortalité est la nécessité
naturelle de la vie (p. 349) et que la vie spirituelle ne s'arrête pas quand s'arrête la vie animale
(corporelle): si le corps cesse totalement de vivre, l'âme est alors délivrée de ce qui lui fait obstacle,
et alors seulement elle commence à bien vivre. La mort n'est pas la suppression absolue de la vie, mais ce qui délivre
des obstacles à une vie complète (p. 353).
(36) Cf. Georges Devereux, De l'angoisse à la méthode
dans les sciences du comportement, Paris,
Flammarion, 1980.
(37) Ibid., p. 47.
(38) Jean Ziegler, Les Vivants et la mort, Paris, Seuil, 1975, p. 284.
(39) Ibid., p. 283
(40) Paul-Louis Landsberg, Essai sur l'expérience de la mort
et Le Problème moral du suicide, Paris, Seuil,
1993, p. 34. On lira aussi deux beaux livres qui permettent de situer
l'importance de la problématique humaine de la mort: Jules Vuillemin, Essai sur la signification de la
mort, Paris, PUF, 1948 ; Roger Mehl,
Le Vieillissement et la mort, Paris, PUF, 1956.
(41) Paul-Louis Landsberg, op. cit., p. 35.
(42) Emmanuel Lévinas, La Mort et le temps, Paris, Le Livre de
Poche, 1992, p. 119.
Éthique
et ontologie de la mort
Chez Heidegger
le Dasein est, on ne le sait que trop, conçu comme être
vers la fin, être vers la mort fondé sur le souci. La fin
attend le Dasein, elle le guette comme une imminence, marche à
la mort, angoisse, puis esseulement sur soi-même. La mort est
possibilité la plus propre du Dasein (43). Marchant à
la mort certaine mais indéterminée le Dasein s'ouvre à
une menace constante jaillissant de son là lui-même (44).
L'analyse de la mort par Heidegger, pour contestable qu'elle soit, a
au moins le mérite mais il n'est ni le premier ni le seul d'avoir
montré que l'interprétation existentiale de la mort précède
toute biologie et toute ontologie de la vie. Mais elle est également
la condition indispensable de toute recherche sur la mort, que celle-ci
soit d'ordre historique et biographique ou d'ordre psychologique et
ethnologique. Une typologie du trépas caractérisant les
états et les manières selon lesquels le décès
est vécu présuppose déjà le concept de mort.
De plus, une psychologie du trépas donne plutôt des renseignements
sur la vie du mourant que sur le trépas lui-même. Ce qui
reflète simplement que, pour le Dasein, le trépas ou même
le moment précis où il meurt ne s'accompagne d'aucune
expérience vécue du décès factif. [...]
En bonne méthode, l'analyse existentiale précède
les questions d'une biologie, d'une psychologie, d'une théodicée
et d'une théologie de la mort (45).
À cette perspective Emmanuel Lévinas en a opposé
une autre où l'éthique précède l'ontologie,
où la mort rencontre le visage d'autrui et où la temporalité
est comprise comme relation avec l'Autre et l'Infini au lieu de voir
en elle la relation avec la fin.
Penser donc la mort à partir du temps et de la responsabilité
envers Autrui et non, comme Heidegger, le temps à partir de la
mort et l'esseulement dans le "on" , en somme faire ressortir
la question que la mort soulève dans la proximité du prochain, question qui, paradoxalement, est ma responsabilité
pour sa mort. La mort ouvre au visage d'Autrui, lequel est expression
du commandement "Tu ne tueras point". Tenter de partir du
meurtre comme suggérant le sens complet de la mort (46).
C'est cette perspective que Louis-Vincent Thomas n'a cessé de
développer dans ses recherches thanatologiques : ouverture vers
l'Autre notre prochain de l'Afrique, responsabilité éthique
envers le prochain, quand bien même il serait lointain (le défunt,
l'étranger, l'animal...), critique intransigeante de tous les
pouvoirs mortifères exercés par les thanatocrates ou militants
de la mort (Viva la muerte des fascistes...). C'est aussi au nom de
cette perspective ouverte sur la Transcendance éthique et l'Infini
de la vie que Louis-Vincent Thomas s'est toujours refusé, malgré
sa prudence scientifique et sa distanciation agnostique, à railler
les métaphysiques de la survie. Sa culture philosophique lui
avait fait admettre que toute âme est immortelle comme le proclamait
Platon dans Phèdre (47), non pas forcément comme personne
spirituelle ou substance, mais comme aspiration anthropologique légitime
(survivance éternelle) (48) et aussi comme projet à faire
advenir.
On peut citer ici les profondes réflexions de Max Scheler sur
la mort qui, bien avant Heidegger (les manuscrits de Max Scheler ont
été écrits entre 1911 et 1923) et aussi profondément
que lui, a tenté une phénoménologie de l'essence
de la mort qui accompagne la vie tout entière à titre
de partie intégrante de tous ses moments (49), en essayant de
constituer une eidétique ou une typique idéale des formes
de l'idée de survie personnelle (50). À partir d'une analyse phénoménologique très fine de notre orientation
vers la mort où nous sentons et voyons en chaque moment individuel
de notre processus vital quelque chose s'enfuir et quelque chose approcher
(51), Max Scheler montre qu'il est de l'essence de la mort d'être
une intuition interne et non pas un concept générique
empiriquement extrait d'une multitude de cas particuliers. Même
s'il était le seul être vivant sur la terre, un homme saurait
toujours que la mort l'atteindra ; il le saurait, même s'il n'avait jamais vu d'autres êtres vivants
subir la transformation qui en fait des cadavres (52). C'est cette certitude
intuitive de la mort de chacun qui est à l'origine du refoulement
de la mort, mais aussi du refoulement de la possibilité d'une
victoire sur la mort par la survie. Si la première condition
d'une survie après la mort est la mort elle-même, si l'homme
moderne fait peu de cas de la survie, c'est avant tout parce qu'il nie,
en somme, l'essence et l'être de la mort (53). Cette survie est
évidemment de l'ordre de la croyance, mais elle n'est pas incompatible
avec l'essence de la mort donnée phénoménologiquement.
Là est la butée épistémologique de toute
étude sur la mort, mais là est aussi, dans son énigme
ou son mystère, l'incitation à penser la survie sous toutes
ses formes possibles : réelles, idéelles, symboliques, fantasmatiques
(54).
Notes
page 6
(43)
Martin Heidegger, Être et Temps, Paris, Gallimard, 1986 (dans
la traduction hélas amphigourique de
François Vezin), p. 318.
(44) Ibid., p. 320. On lira avec intérêt, dans une perspective
globalement heideggerienne, le bel essai de Françoise Dastur, La Mort. Essai sur la finitude, Paris, Hatier,
1994.
(45) Martin Heidegger, Être et Temps, op. cit., pp. 301 et 302.
Si Heidegger a été un immense philosophe il a aussi été, il n'est pas inutile de le
répéter surtout dans le contexte d'une analyse existentiale de l'être vers la mort, un philosophe nazi qui s'est
enthousiasmé pour la révolution nationale du national-socialisme. On ne peut lire ses Écrits politiques
(Paris, Gallimard, 1995 et surtout la présentation apologétique de François Fédier
qui tente de justifier l'injustifiable en parlant d'une erreur commise par le philosophe de Fribourg alors qu'il s'agit d'engagement
conscient pour A l'Allemagne nouvelle) sans un profond haut-le-cur. À cet égard
les heideggeriens français patentés qui ont toujours
tenté d'exonérer Heidegger de sa responsabilité
historique ont été, et sont toujours, dans l'incompréhension du rapport profond entre la politique de Heidegger
et sa philosophie. Il suffit de lire Introduction à la métaphysique (1935), (Paris, Gallimard,
1994), pour comprendre à quel point, sur le fond, Heidegger partageait les convictions nazies concernant le peuple
allemand, peuple métaphysique le plus en danger (p. 49), pour une prise en charge de la mission historiale
de notre peuple en tant qu'il est le milieu de l'Occident (p. 61). Indépendamment de ses attaques
contre le communisme russe et le marxisme, Heidegger a parsemé son cours d'allusions très
claires à la situation de l'Europe, au destin spirituel de l'Occident et à la décadence spirituelle
de la terre. Voici un exemple de l'analyse de l'être d'unétant : Un État il est. En quoi consiste son être
? En ceci que la police d'État arrête un suspect, ou en
ce que, à la chancellerie il y a tant et tant de machines à
écrire en action, qui prennent ce que leur dictent des secrétaires d'État ? Ou bien est-il dans l'entretien
du Führer [sic] avec le ministre anglais des Affairesétrangères? L'État est. Mais où se cache
l'être? (p. 46). Et où - ou derrière quoi- se cachent
les heideggeriens ?
(46) Emmanuel Lévinas, La Mort et le temps, op. cit., p. 122.
(47) Platon, Le Banquet. Phèdre (traduction Émile Chambry),
Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 124.
Dans le Phédon, on le sait, Platon développe longuement
l'idée que l'âme est immortelle et impérissable in Apologie de Socrate, Criton, Phédon (traduction
Émile Chambry), Paris,
Garnier-Flammarion, 1965, p. 168.
(48) Ludwig Feuerbach dans Pensées sur la mort et sur l'immortalité
(Paris, Éditions Pocket, 1997) retrace de manière critique les étapes historiques de
cette croyance en l'immortalité.
(49) Max Scheler, Mort et survie, Paris, Aubier, 1952, p. 34.
(50) Ibid., p. 77.
(51) Ibid., p. 22.
(52) Ibid., pp. 18 et 19.
(53) Ibid., p. 16.
(54) Il y aurait lieu ici de relire attentivement Arthur Schopenhauer
qui, dans une perspective philosophique autre que la phénoménologie, a soutenu l'indestructibilité
de notre être véritable à partir d'une métaphysique du vouloir-vivre: De ce que nous sommes maintenant,
écrit Arthur Schopenhauer, il résulte, tout bien pesé, que nous devons exister en tout
temps. Car nous sommes nous-mêmes l'être
que le temps accueille en lui, pour combler son vid : c'est pourquoi
cet être occupe la totalité du temps, présent, passé et avenir, de la même manière,
et il nous est aussi impossible de choir hors de l'existence que hors de l'espace (Métaphysique de l'amour. Métaphysique
de la mort, Paris, UGE, 1964,
p. 138).
Quelle
thanatologie aujourd'hui ?
Il y aurait
encore un ultime point à soulever qui engagerait un long développement,
évidemment impossible dans le cadre de cet article. Il s'agit
de la réception de l'uvre de Louis-Vincent Thomas dans
les milieux socio-anthropologiques, thanatologiques et philosophiques.
Après un long silence poli, y compris parmi ses plus proches
sans doute préoccupés par le souci (heideggerien ?) de
la quotidienneté (55), voici que des voix s'élèvent,
parmi les plus prestigieuses, pour polémiquer contre l'anthropologie
thanatologique de Louis-Vincent Thomas.
Après Michel Picard, Jacques Derrida a en effet consacré
quelques pages d'un récent et par ailleurs admirable ouvrage
à la critique de l'uvre de Louis-Vincent Thomas qu'il associe
à celle de Philippe Ariès. Après lui avoir reproché
des inexactitudes dans ses citations de Heidegger, ainsi qu'un contre-sens
massif sur sa compréhension du philosophe allemand, Jacques Derrida (56) rappelle en détail l'analyse existentiale
de l'être pour la mort en tant que présupposition de toute
compréhension possible, selon lui, de l'ontologie de la mort.
Cette analyse heideggerienne serait le préalable théorique
de toute anthropothanatologie comparative à la Thomas ou de toute
histoire des formes du mourirà la Ariès qui mettraient en uvre naïvement ou confusément
des présupposés conceptuels plus ou moins clairs sur la
vie et sur la mort.
Jacques Derrida rappelle avec Heidegger que l'analyse existentiale de
la mort peut et doit précéder d'une part toute métaphysique
de la mort et d'autre part toute biologie, psychologie, théodicée
ou théologie de la mort. Disant exactement le contraire de ce
que lui fait dire Thomas, il met en uvre une logique de la présupposition.
Toutes les disciplines ainsi nommées, et par là même
identifiées dans leurs frontières régionales, notamment
la métaphysique et la biologie, sans parler de la démographie,
présupposent nécessairement un sens de la mort, une pré-compréhension
de ce qu'est la mort ou de ce que veut dire le mot mort. L'analytique
existentiale a pour thème l'explicitation de cette pré-compréhension
ontologique (57).
Fort bien, mais cette présupposition finement analysée
avec ses apories possibles présuppose également que l'on
accepte le cadre général de l'analyse heideggerienne de
l'essence du Dasein.
Premier présupposé que Jacques Derrida apparemment n'interroge
pas : pourquoi Heidegger aurait-il mieux saisi que d'autres l'essence
de la mort en tant que possibilité de l'impossibilité?
À mon sens les analyses dialectiques du temps par Vladimir Jankélévitch
(58), dont certaines peuvent d'ailleurs rejoindre celles de Heidegger,
sont d'une richesse, d'une finesse et d'une fluidité conceptuelles
tout aussi heuristiques pour les études de la mort (à
moins que Jacques Derrida ne les considère, elles aussi, comme
simplement ontiques ?).
Deuxième présupposé : la frontière qu'il
y aurait à tracer entre l'ontologie et les sciences ontiques
(anthropologie, sociologie, histoire, démographie, etc.). La
philosophie retrouve là sa vieille prétention totalitaire
à être la seule à pouvoir dire l'Être dans
son refus d'être contaminée par les savoirs régionaux
ou transversaux des sciences de l'homme, de la vie et de la matière.
On sait assez ce qu'il en a coûté de cette prétention
exorbitante qui entendériger une muraille de Chine entre la philosophie fondamentale
(ontologique, existentiale, naguère théologique) et les
sciences. Revenir à la fondamentalité d' une détermination
ontologique du type d'être qu'est le Dasein ne devrait pas autoriser
Jacques Derrida à postuler sans inventaire précis et circonstancié
à partir de l'uvre de Louis-Vincent Thomas qui ne se réduit pas à son Anthropologie de la
mort (59) que l'anthropothanatologie et les historiens de la mort cèdent
à une confusion entre la mort et une fin nivelée par la
quotidienneté moyenne, médiocre et nivelante du Dasein.
Cette confusion fait dire n'importe quoi [je souligne], elle pousse
toutes ces problématiques bio- ou thanato-anthropo-théologiques
vers l'arbitraire(60).
C'est au nom de cette présupposition heideggerienne qui prétend
aller à la chose même que Jacques Derrida en vient à
prendre position (est-ce un meurtre symbolique?) contre l'anthropologie
historique (Ariès) et l'anthropothanatologie comparatiste (Louis-Vincent
Thomas) et leur savoir prétendument théorique et constatif.
Il leur reproche de multiplier
les évaluations culturelles et politiques. Tous deux déplorent
et dénoncent ce qu'ils croient devoir constater, à savoir,
si on peut dire, une sorte de disparition de la mort dans l'Occident
moderne et dans les sociétés industrialisées. Ils
déclarent même cette déploration et cette dénonciation,
ils la mettent en avant, ils y reconnaissent une motivation déterminante
de leurs recherches. La mort serait chez nous, en Occident, dans nos
frontières, et de plus en plus, comme frappée d'interdit,
dissimulée, expédiée, déniée [...].
Une affirmation aussi massive et imprudente se retrouve chez Thomas
à qui elle inspire une nostalgie admirative pour le modèle
d'une Afrique qu'il appelle Atraditionnelle. Celle-ci, selon lui, nous
offre un exemple remarquable de résolution des problèmes
de la mort, exemple qui existe probablement en d'autres populations
non industrialisées, qui peut-être a existé dans
le passé de l'Europe [Anthropologie de la mort, p. 531]. Car
Thomas veut résoudre le problème de la mort, ni plus,
ni moins [sic]. Comme Dali, il pensera sans doute jusqu'à la fin que ça va s'arranger.
Conclusion de cet exercice polémique: L'analyse existentiale
se tient bien en deçà de toutes ces niaiseries de prédication
comparatiste (61). CQFD...
Il reste que c'est précisément cette dénonciation
éthique et politique du rapport au mourir en Occident capitaliste
chez Louis-Vincent Thomas qui est au cur, non seulement de
toute
"politique de la mort", mais aussi de toute politique comme
telle. Et là on pourrait en effet comparer les niaiseries des
évaluations heideggeriennes sur la perte d'authenticité
ainsi que l'indignité des attitudes politico-éthiques
dans l'Europe sous le nazisme selon l'expression de Jacques Derrida
(62) avec les courageuses prises de position de Louis-Vincent Thomas
contre la guerre, la société thanatocrate, les institutions
mortifères, la déshumanisation réifiante par le
pouvoir médical (Sida, par exemple) et la déritualisation
aliénante de la gestion capitaliste de la mort (63).
Louis-Vincent
Thomas, comme Vladimir Jankélévitch, nous a appris que
la pensée de la mort n'était pas la mort de la pensée
ni la démission contemplative ou existentiale devant la barbarie
de la mort, celle par exemple massivement répandue par le national-socialisme et ses séides.
Jean-Marie
BROHM
Notes
page 7
(55)
Je ne peux m'empêcher de penser que Louis-Vincent Thomas dérangeait
beaucoup de monde, à la fois comme analyseur transversal des
disciplines universitaires constituées et comme révélateur
des consensus tacites pour ne pas dire des alliances implicites autour
de la mort et de son déni. On pourrait même ajouter que
ce numéro de Prétentaine est un bon analyseur de la situation
faite aujourd'hui à Louis-Vincent Thomas: laissons les vivants
enterrer une deuxième fois le défunt !
(56) Jacques Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996, pp. 55 et
suivantes.
(57) Ibid., pp. 56 et 57.
(58) Cf. Vladimir Jankélévitch, L'Irréversible
et la nostalgie, Paris, Flammarion, 1974. L'intérêt fondamental
des lectures du temps par Vladimir Jankélévitch est de les
mettre en rapport avec des réalités ont - phénomé
- nologiques peut-être aussi essentielles que la mort: l'amour et la musique.
Et l'on pourrait d'ailleurs entreprendre une ontologie fondamentale à partir de la musique comme ineffable/ indicible,
telle qu'elle est suggérée par Vladimir Jankélévitch dans La Musique et l'ineffable (Paris, Seuil, 1983) ou La Musique et
les heures (Paris, Seuil, 1988). Cela changerait du sempiternel ressassement ombrageux sur le Dasein et son être pour
la fin.
(59) Louis-Vincent Thomas, Anthropologie de la mort, Paris, Payot, 1975.
(60) Jacques Derrida, op. cit., p. 114.
(61) Ibid., pp.106 et 107.
(62) Ibid., p. 109.
(63) Voir Louis-Vincent Thomas, Mort et pouvoir, op. cit.
Le lien d'origineJean
Marie Brohm "Ontologie de la mort" :
http://www.philagora.net/philo-fac/brohm.htm
Jean-Marie BROHM est Professeur de Sociologie à l'Université
Paul Valéry à Montpellier III.
Il a été l'animateur de la revue "Quel Corps ?",
il a également publié plusieurs ouvrages de critique du
sport.