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Solidarité ouvrière
Solidarité ouvrière publia en 1972 une série d’articles intitulée
« Syndicalisme et bolchevisme ».


Origine : échanges mails avec René Berthier

Avertissement :

Il faut se replacer dans le contexte de l’époque. La période qui a suivi mai 68 a vu fleurir nombre de groupes léninistes – trotskistes ou maoïstes – qui se concurrençaient pour le rôle de direction de rechange du mouvement ouvrier. Il était absolument nécessaire de leur opposer une critique cohérente et revenir aux principes de base du mouvement ouvrier, que le mouvement libertaire français n’avait malheureusement pas pu affirmer.

L’usage voulait que les articles ne soient pas signés, car nous estimions qu’ils devaient refléter le point de vue de l’organisation, non celui d’individus.

Le dernier article de la série, « Le syndicalisme révolutionnaire, réponse à l’impasse léniniste » fut écrit par Jacky Toublet.

(René Berthier, mars 2008.)


Bolchevisme et syndicalisme

Les bases de la théorie léniniste des syndicats

Solidarité ouvrière n° 15-16

Juillet-août 1972

Au début du capitalisme, les syndicats ont surgi spontanément de l’action des ouvriers pour tenter d’améliorer leur situation. Localement, épisodiquement, ils sont apparus directement des mouvements de protestation et de revendication. Aussitôt après le mouvement d’agitation, ils se désagrégeaient.

Plus tard, l’organisation s’est renforcée, prenant des proportions plus vastes et plus durables : comités d’entraide, sociétés de secours mutuel, etc., qui se sont transformés en syndicats de métier, puis en syndicats d’industrie, en fédérations d’industrie et en confédération, forme actuelle du syndicalisme.

Cette évolution historique s’est étalée sur un siècle. Que ce soit dans le mouvement socialiste ou dans la bourgeoisie, les politiciens ont toujours porté une grande attention au syndicalisme. Nous pouvons voir aujourd’hui à quel point le patronat s’y intéresse puisqu’on peut dire qu’il utilise de plus en plus cette forme d’organisation pour servir ses intérêts dans les entreprises, la C.F.T. en est un exemple.

Dans le mouvement socialiste, diverses théories sur le syndicalisme s’opposent. Ces théories revêtent une importance capitale dans la mesure où elles expliquent la pratique des organisations qui aujourd’hui influencent le prolétariat. C’est pourquoi il est nécessaire de connaître ces théories pour comprendre la pratique de ces organisations. Aujourd’hui, que ce soient le P.C.F. ou les diverses organisations révolutionnaires qui espèrent à sa succession, tous se réclament du même maître, Lénine (qui ne fut, d’ailleurs, jamais syndiqué).

 

Conscience de classe et prolétariat

Le premier point pour comprendre la théorie léniniste des syndicats est : Comment les travailleurs acquièrent-ils la conscience socialiste ?

« L’histoire de tous les pays atteste que la classe ouvrière, livrée à ses seules forces, ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la conviction de la nécessité de s’unir en syndicat, de mener la lutte contre les patrons, de réclamer du gouvernement telle ou telle loi nécessaire aux pouvoirs, etc. Quant à la doctrine du socialisme, elle a surgi des théories philosophiques, historiques, économiques élaborées par des représentants instruits des classes possédantes, les intellectuels. Par leur situation sociale, les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx et Engels, étaient des intellectuels bourgeois. De même, en Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit indépendamment de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle fut le résultat naturel et fatal du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. » (Lénine, Que faire ? IV, 384-5) [1]

Toute sa pensée peut se résumer en une phrase : « …le développement spontané du mouvement ouvrier tend à le subordonner à l’idéologie bourgeoise... »

La classe ouvrière n’est pas capable, d’elle-même, de connaître « l’opposition irréconciliable de ses intérêts avec l’ordre politique et social contemporain » : Elle ne peut parvenir à comprendre la nécessité de la lutte pour le socialisme.  Le socialisme, la classe ouvrière le doit aux « représentants instruits des classes possédantes », aux « intellectuels bourgeois ».

La conscience socialiste ne dépend pas le la « croissance spontanée du mouvement ouvrier », car celui-ci ne peut s’approprier qu’une idéologie bourgeoise : c’est son destin d’être « asservie », au point de vue idéologique, à la bourgeoisie.

Pour justifier sa thèse, le seul argument que trouve Lénine est le suivant :

« Mais pourquoi (...) le mouvement spontané qui va dans le sens du  moindre effort tend-il à la domination de l’idéologie bourgeoise ? Pour cette simple raison que chronologiquement l’idéologie bourgeoise est bien plus ancienne que l’idéologie socialiste, qu’elle est plus achevée sous toutes ses formes et possède incomparablement plus de moyens de diffusion. » (Que faire?)

Sans donner plus d’explications, Lénine se retranche derrière l’autorité de Kautsky, alors le leader du mouvement socialiste marxiste :

« Le porteur de la science n’est pas le prolétariat, mais la catégorie des intellectuels bourgeois ; c’est en effet dans le cerveau de certains individus de cette catégorie qu’est né le socialisme contemporain et c’est par eux qu’il a été communiqué aux prolétaires intellectuellement les plus développés qui  l’introduisirent ensuite dans la lutte de classes du prolétariat là où les conditions le permettaient. Ainsi donc la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat, et non quelque chose qui en surgit spontanément. » (Kautsky, Les Trois Sources du Marxisme, cité par Lénine) [2] .

De ce qui précède, il apparaît donc que le prolétariat, de lui-même, ne peut pas dépasser le stade de la lutte économique, revendicative, puisqu'il n'atteint pas, par lui-même, à la conscience socialiste.

Inversement, la conscience socialiste émanant des cercles intellectuels de la bourgeoisie, la lutte pour le socialisme doit être prise en charge par ces derniers.


« Le socialisme est issu des profondeurs mêmes du peuple. Si quelques penseurs, issus de la bourgeoisie. sont venus leur apporter la sanction de la science et l’appui de la philosophie, le fond des idées qu’ils ont énoncées n’en est pas moins un produit de l’esprit collectif du peuple travailleur. Ce socialisme rationnel de l’Internationale, qui fait aujourd’hui notre meilleure force, n’a-t-il pas été élaboré dans les organisations ouvrières, sous l’influence directe des masses ? et les quelques écrivains qui ont prêté leur concours à ce travail d’élaboration ont-ils fait autre chose que de trouver la formule des aspirations qui déjà se faisaient jour parmi les ouvriers ? »

Kropotkine, les Temps nouveaux n° 31 Paris, 1913


Ce n’est que dans la mesure où certains « prolétaires intellectuellement les plus développés » sont touchés par la propagande de ces intellectuels que le socialisme est « introduit » dans la lutte de classes. Il faut donc qu’il y ait deux

organisations distinctes, une organisation de lutte économique correspondant à un stade du développement « intellectuel » des ouvriers – le plus faible – et une organisation de lutte politique ; autrement dit « l’organisation des ouvriers et l’organisation des révolutionnaires ».

« Les organisations ouvrières pour la lutte économique doivent être des organisations professionnelles. Tout ouvrier social-démocrate doit autant que possible soutenir ces organisations et y travailler activement. C’est vrai. Mais il n’est pas de notre intérêt d’exiger que seuls les social-démocrates [3] puissent être membres des syndicats, cela restreindrait la portée de notre influence sur la masse. Laissons participer au syndicat tout ouvrier comprenant la nécessité de s’unir pour lutter contre les patrons et le gouvernement. Le but même des syndicats serait inaccessible s’ils ne groupaient pas tous ceux à qui est accessible tout au moins ce degré élémentaire de compréhension, si les syndicats n’étaient pas très larges. Et plus ils seront larges, plus notre influence sur eux s’étendra, non seulement par suite du développement “spontané” de la lutte économique, mais aussi par l’action consciente et directe des membres socialistes des syndicats sur leurs camarades. » (Que faire ?)

Si Lénine, en principe, défend la théorie des syndicats «larges », ouverts à tous les ouvriers soucieux de mener une lutte économique contre les patrons, c’est beaucoup moins pour faciliter le développement du mouvement syndical que pour procurer au parti le moyen d’exercer par l’intermédiaire des syndicats la direction du mouvement ouvrier. Lorsque Lénine parlera de « neutralité » syndicale, ce ne sera jamais dans une autre perspective que d’éviter la direction trop « voyante » du syndicat par le parti, afin d’éviter que le recrutement du syndicat se « rétrécisse », En conservant les apparences d’une « neutralité » syndicale, le syndicat conserve son caractère de masse et, conservant son caractère de masse, garantit au parti l’extension de son influence sur la classe ouvrière. La théorie de la prétendue neutralité

La théorie de la prétendue neutralité syndicale n'est en réalité que la théorie de la subordination du syndicat au parti conformément à la thèse que l'idéologie du mouvement syndical mène à l'idéo­logie bourgeoise, et que le mouvement ouvrier tend « spontanément », par les lois de son développement propre, à se réfugier « sous l'aile de la bourgeoisie ».

Quelle direction ?

La théorie de Lénine, au cours des années, devait subir des fluctuations. Ainsi, dans « Un pas en avant, deux pas en arrière », il exprime que « les syndi­cats doivent agir sous le contrôle et sous la direction des organisations social-démocrates » [4]. Paradoxalement, cela n'est pas contradictoire avec la « neutra­lité » des syndicats : il s'agit seulement de ne pas restreindre le champ de recrutement des syndicats, et d'éliminer l'in­fluence des syndicats sur le parti, pour ne pas rendre le parti responsable des syndicats. C’est ce dernier point qui fera l’essentiel de la théorie de la « neutralité » syndicale de Lénine.

La forme de la théorie se modifiera, non son fond : au début, l’idée que les syndicats doivent dépendre directement de la direction du parti, « la liaison organique », puis que les syndicats soient dominés par le parti à l’aide des cellules d’entreprise – le syndicat gardant une neutralité formelle à l’égard du parti – ne sont que deux manières d’envisager la direction du syndicat par le parti.

L’essentiel de la théorie léniniste sur les syndicats se résume donc en deux points :

« Le mouvement ouvrier spontané, c’est le trade-unionisme ... le trade unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie. » (Que faire ?)

Il faut donc, pour que le mouvement ouvrier dépasse ce stade, qu’il soit « éduqué » ; cette éducation, c’est le parti qui la donnera, qui est constitué d’intellectuels bourgeois et des prolétaires les plus intellectuellement développés, cités plus haut. Cette tâche est nécessaire, car :

« Le mouvement ouvrier ne dépasse le stade embryonnaire et celui de l’enfance, ne devient un mouvement de classe que lorsqu’il en vient à la lutte politique. » (Que faire ?)

Cette lutte politique est dirigée par le parti ; le parti est le maître d’école du prolétariat-enfant.

S’il est vrai que le mouvement ouvrier ne devient un mouvement de classe que lorsqu’il en vient à la lutte politique, les affirmations de Lénine selon lesquelles le mouvement ouvrier spontané, c’est « l’asservissement idéologique des ouvriers par la bourgeoisie » et que le prolétariat est « incapable d’élaborer une idéologie indépendante » sont fausses.

L’histoire montre en effet que, à la même époque où Lénine théorisait sa doctrine syndicale, le prolétariat français élaborait précisément une théorie indépendante, le syndicalisme révolutionnaire.

Nos camarades du début du siècle nous montrent encore aujourd’hui la voie : une organisation de masse ne peut pas être « neutre », elle représente nécessairement l’expression des intérêts de couches sociales données. C’est pourquoi la « neutralité » syndicale – comprise comme un apolitisme complet et simplement revendicatif – ainsi que la prétendue incapacité du prolétariat à élaborer une doctrine propre sont des abstractions destinées à justifier la domination bourgeoise sur le prolétariat, que ce soient l’intelligentsia parée de vertus révolutionnaires et transformée en classe bureaucratique dominante comme en U.R.S.S, ou tout simplement le réformisme bon teint au service des intérêts du capital et de l’Etat.


Bolchevisme et syndicalisme

Rôle des syndicats soviétiques

Solidarité ouvrière n° 17

Septembre 1972

Nous avons posé quelques jalons qui permettent de comprendre le caractère du syndicalisme de type soviétique. Ce syndicalisme-là s’est étendu à tous les pays d’Europe de l’Est après la seconde guerre mondiale : la première partie de notre étude permet donc de mieux comprendre des insurrections ouvrières comme celle de Budapest en 1956, pour ne parler que de celle·là, qui se sont déclenchées en sou· levant l’appui des masses.

Aujourd’hui, le Parti Communiste Français ne manque aucune occasion de vanter le modèle soviétique, et dans la Vie ouvrière on a pu lire dès éloges sur la manière dont il fonctionne. Il y a tout lieu de croire que le parti communiste, s’il vient au pouvoir, s’efforcera, compte tenu des conditions spécifiques à la France, de se rapprocher le plus possible de son modèle. Dans cette perspective, le renforcement de notre tendance anarcho-syndicaliste et syndicaliste révolutionnaire dans la classe ouvrière prend tout son sens.

En réalité, le syndicalisme soviétique est surtout une institution dont le rôle est de faire produire les travailleurs, un organisme au service des intérêts du parti, de son Etat et de sa bureaucratie.

Travailler plus

L’activité essentielle du syndicat dans l’entreprise est de stimuler la production :

« L’organisation de l’émulation constitue l’élément fondamental et principal de l’activité des commissions de production auprès du comité syndical d’entreprise dans les ateliers. » (Odborar, février 1967 - URSS, cité par T. Lowit.)

« Le comité central du parti communiste bulgare considère qu’à l’avenir, tout comme dans le passé, l’essentiel de l’activité des syndicats doit être de développer et d’enrichir davantage encore l’émulation socialiste et le mouvement pour le travail communiste. »

Pourquoi cette émulation ? Parce que :

« L’émulation constitue, dans le processus de la production, une méthode éprouvée d’édification du personnel et un élément d’activation important du personnel en vue de la réalisation des tâches du Plan et de la mise au jour des réserves de production. » (Résolution du conseil des ministres et du conseil central des syndicats polonais, 1966, cité par T. Lowit, p. 118.)

Les objectifs de l’émulation socialiste sont constamment adaptés  aux nécessités de la politique économique suivie, les orientations étant toujours fixées au sommet par l’Etat. Il existe trois niveaux de rapports dans l’économie : les travailleurs ; la « technostructure »  (gestionnaires, cadres, syndicalistes, etc.) ; la bureaucratie d’Etat. Les masses ne contrôlent pas du tout les gestionnaires ; les gestionnaires ne sont responsables que devant l’Etat, qui fixe les orientations du Plan, et en conséquence les objectifs de « l’émulation » ; l’Etat n’est responsable devant personne.

Les rapports de production dans l’entreprise sont caractérisés par le primat du critère de la productivité, et donc par l’émulation, les stimulants, c’est-à-dire sur la division : quelques faits suffisent : primat du salaire aux pièces ; de 50 à 75 % d’écart entre le salaire de base et le salaire « après primes » ; cadences accélérées ; multitude de catégories professionnelles ; licenciements possibles ; abattement de zone de 17 à 32 % selon les régions ; sous-qualification féminine.

L’émulation peut prendre différentes formes, correspondant aux objectifs économiques assignés. Elle peut être individuelle, entre salariés effectuant le même travail, entre équipes ou ateliers, ou entre entreprises. Mais toutes ces formes se complètent :

« L’émulation entre collectifs suppose un large développement simultané de l’émulation individuelle et par brigades. ».

Il existe une « émulation dans l’émulation », en ce sens qu’il y a une hiérarchie es mérites : il faut en effet différencier les formes « inférieures » et les formes « supérieures » : des équipes en compétition peuvent aussi concourir pour le titre de « brigade du travail communiste », ou, à titre individuel, pour le titre de « travailleur de choc du travail communiste ».

Les titres ne requièrent pas seulement des qualités strictement professionnelles : ils se décernent sur des critères faisant appel aussi au comportement familial, ou « dans la vie en général ».

Les titres honorifiques sont variés : « héros du travail communiste », « brigade du travail communiste », « travailleur de choc du travail communiste » ; tableau d’honneur affiché dans l’entreprise ou l’atelier avec photo à l’appui ; « étendards rouges » qui, comme le maillot jaune du tour de France, est l’enjeu de la compétition Inter-entreprises.

« La remise de l’insigne de travailleur de choc du travail communiste, celle des insignes rouges et des diplômes rouges (...)  doivent s’effectuer dans une atmosphère solennelle. » (Trud, 27 sept. 1966, cité par Lowit.)

« Le rôle des primes, des diplômes d’honneur, des drapeaux de challenge diminue s’ils sont attribués sans la solennité et la publicité nécessaires. C’est pourquoi pour bien agir, les organisations du parti et du syndicat doivent se préoccuper, avec une insistance particulière, de l’application créatrice des diverses formes de stimulants moraux. Il s’agit de faire en quelque sorte que les récompenses matérielles deviennent un facteur moral agissant. » (Pravda, 21 oct. 1966, cité par Lowit.)

L’organisation de l’émulation se fait en plusieurs étapes : élaboration des engagements, faite par la direction en collaboration avec les syndicats ; extension de la compétition dans les entreprises, dont le rôle est dévolu aux syndicats ; réalisation des objectifs fixés, sous le contrôle des syndicats ; et enfin, distribution des récompenses. 

« Les meilleures performances de l’émulation devront être honorées publiquement. Les dirigeants syndicaux des entreprises, avec l’appui des responsables de l’économie (…) devront veiller à ce que les résultats particulièrement satisfaisants de l’émulation soient reconnus non seulement matériellement mais moralement. »  (Allemagne de l’Est, Die Arbeit, n° 12, déc. 1966, cité par Lowit.)

Dans le numéro de mai de Soli, nous avons vu quelles étaient les trois fonctions déclarées du syndicat en URSS et dans les pays de l’Est. Dans ce numéro-ci, nous avons insisté sur la question de  « l’émulation » pour montrer à quel point le soutien à l’émulation est incompatible avec la défense des intérêts des travailleurs.

Nous sommes malheureusement ici trop limités par la place pour décrire dans le détail. les mécanismes de l’émulation ; c’est pourquoi no)us nous sommes contentés d’en donner les principes. Nous aurons cependant l’occasion de revenir dans un prochain numéro sur le fonctionnement de la section syndicale, très instructif pour comprendre les relations qui existent, au niveau de l’entreprise, entre les travailleurs, la direction de l’entreprise, et la direction syndicale.

Pour comprendre la situation du syndicat en URSS, il faut connaître la situation économique et politique qui y prévaut : étatisation des moyens de production ; monopole du commerce extérieur par l’Etat ; planification d’Etat. Politique ment, c’est le parti communiste qui dé tient le pouvoir d’Etat, c’est lui qui détermine la politique économique, les formes d’administration de la société.

Il n’existe aucun contrôle des travailleurs sur la politique du parti, c’est lui qui désigne tous les responsables de l’économie, de l’Etat et de l’administration, qui ne sont responsables que devant l’Etat, c’est-à-dire le parti, et pas du tout devant les travailleurs. C’est le principe de la « direction unique » de l’économie institué par Lénine dans les premières années du régime.

Le parti a la suprématie sur toute autre organisation, syndicat compris. Ce principe fut établi par le 9e congrès du parti en 1920 :  

  « Il est évident que les syndicats, au fur et a mesure que se développent la conscience communiste et le rôle créateur des masses, devront se transformer progressivement en organisations  auxiliaires de l’Etat prolétarien ; mais ce n’est pas l’inverse qui doit se passer. » (Souligné par nous.)

Ceci soulève un certain nombre de problèmes importants qui situent le marxisme par rapport à l’anarcho-syndicalisme. Alors que les syndicats constituent l’organisation de classe des ouvriers, par excellence, les syndicats n’ont pas pour rôle la direction de la société socialiste, de « l’Etat prolétarien ». C’est au parti d’assumer cette fonction, c’est « l’avant-garde » qui est appelée à diriger les masses.

Cela signifie d’abord que c’est une minorité qui dirige la société –   et l’expérience montre que cette minorité est totalement incontrôlable – et surtout que l’organisation sociale ne se fait pas par les travailleurs à travers des organisations de producteurs, mais par le « citoyen » à travers une organisation d’Etat. Et encore pas n’importe quel « citoyen », mais ceux que le parti coopte.

On peut alors se demander comment on peut encore concevoir que l’Etat puisse un jour « dépérir », comme le croient naïvement les marxistes ; on peut se demander enfin, dans ces conditions, comment le « gouvernement des hommes » pourra céder la place à « l’administration des choses » comme disait Engels, reprenant la formule célèbre de Saint-Simon.

Ceci soulève la question des bases idéologiques de la conception marxiste-léniniste du syndicalisme, que nous étudierons le mois prochain.      


Bolchevisme et syndicalisme

Le trotskisme, une alternative ?

Solidarité ouvrière n° 18

Octobre 1972

Dans le cadre de nos articles sur le syndicalisme de type soviétique, nous avons exposé les positions du parti bolchevik lors de la révolution de 1917, les principes qui régissent le syndicalisme dans l’Union soviétique d’aujourd’hui et enfin les bases idéologiques du syndicalisme tel que l’entendent les bolcheviks, ce qui porte toute la lumière sur l’évolution de la conception syndicale, du léninisme au stalinisme.

Aujourd’hui les trotskistes, prônant le retour au bolchevisme, affirment constituer une alternative au stalinisme qu’ils croient pouvoir combattre avec les méthodes préconisées par Lénine. L’objet de cet article est de tenter de voir si le trotskisme constitue véritablement une alternative révolutionnaire au réformisme syndical et à la bureaucratie stalinienne.

Lorsque, en 1920, Trotsky écrit Terrorisme et communisme, où il décrit ses conceptions sur l’organisation du travail, la guerre civile se termine.

« La terrible pression de la guerre s’affaiblit. Les nécessité et les tâches économiques attirent de plus en plus notre attention. L’histoire nous ramène directement à notre tâche fondamentale : l’organisation du travail sur de nouvelles bases sociales. Au fond, l’organisation du travail constitue l’organisation de la nouvelle société, toute société reposant sur l’organisation du travail.

Voyons comment Trotsky concevait l’organisation de la « nouvelle société » sur de nouvelles bases sociales.

L’obligation du travail

La clef de l’économie, dit Trotsky, c’est la main-d’œuvre. Il faut donc la recenser, la mobiliser, la répartir, l’utiliser productivement. Cette question de la main-d’œuvre est d’autant plus importante que l’économie, l’outillage, les moyens de production sont dans un état catastrophique par suite de la guerre. Comme les stimulants habituels du capitalisme, qui incitaient les ouvriers et les paysans à travailler, n’existent plus : plus de marché, dépréciation de l’argent, plus de gains, etc., le seul moyen pour l’Etat de se procurer de la main-d’œuvre, c’est l’obligation du travail.

« L’unique solution régulière, en principe comme en pratique, des difficultés économiques, consiste à considérer toute la population du pays comme un réservoir nécessaire de force ouvrière, comme une source presque inépuisable et à en organiser dans un ordre rigoureusement établi le recensement, la mobilisation et l’utilisation »

Pour organiser cette obligation du travail, il faut renforcer les mesures administratives et organisatrices, c’est-à-dire la centralisation des décisions. Il est bien connu que plus le sommet se renforce, plus on demande à la base de faire confiance au sommet, c’est pourquoi il faut • aussi que les travailleurs se convainquent en fait que leur main·d’œuvre est utilisée avec prévoyance et parcimonie et qu’elle ne se dépense pas en vain ».

La militarisation du travail

A ceux qui s’opposent à l’obligation du travail, et qui préconisent par conséquent la « liberté » du travail, Trotsky répond très justement que :

« Cette idée a été formulée par les idéologues progressistes de la bourgeoisie dans leur lutte contre la contrainte du travail, c’est·à-dire contre le servage des paysans et contre le travail régularisé, réglementé des artisans. La liberté se réduisait à une fiction juridique sur la base du libre achat du salariat -.

Aucun socialiste ne peut s’opposer au principe de l’obligation du travail en ce sens que qui ne travaille pas ne mange pas. Cette mesure de coercition est essentiellement destinée aux parasites, aux bourgeois et rentiers de toute sorte qui vivent du travail des autres. Mais lorsque cette obligation du travail est organisée par un bureau central au service d’un Etat qui échappe à tout contrôle des travailleurs, cela devient un instrument d’exploitation plus perfectionné que tout ce que la bourgeoisie a pu inventer.

« L’obligation du travail serait impossible sans l’application – dans une certaine mesure – des méthodes de militarisation du travail. »

« Sans les formes de coercition gouvernementale qui constituent le fondement de la militarisation du travail, le remplacement de l’économie capitaliste par l’économie socialiste ne serait qu’un mot creux. »

« Aucune organisation sociale, excepté l’armée, ne s’est vu le droit de se subordonner aussi complètement les citoyens, de les dominer aussi totalement par sa volonté, que ne le fait le gouvernement de la dictature prolétarienne. »

« Le gouvernement ouvrier se considère en droit d’envoyer tout travailleur là où son travail est nécessaire ».

Le problème posé par Trotsky est vrai : en pleine période de transition après le désastre de la guerre civile, « la question de la vie ou de la mort de la Russie soviétique se tranche sur le front du travail. » L’anarcho-syndicaliste Pestana parlait aussi de « la discipline d’acier que le syndicat impose ». Des circonstances dramatiques imposent des solutions fermes. Mais s’il est vrai que. « l’organisation du travail constitue l’organisation de. la nouvelle société » et que toute société repose sur l’organisation du travail, on peut dire que les méthodes préconisées par Trotsky sont incompatibles avec le maintien d’une révolution prolétarienne. Dans ces conditions, elles nous rejettent loin dans l’histoire, les serfs d’Etat sous Catherine Il, voire les fellahs de l’Egypte ancienne et les paysans du Pérou incaïque !

« Sans obligation du travail, sans droit de donner des ordres et d’exiger leur exécution, les syndicats perdent leur substance, car ils sont nécessaires à l’Etat socialiste en édification, non afin de lutter pour de meilleures conditions de travail – c’est la tâche de l’ensemble de l’organisation sociale gouvernementale – mais afin d’organiser la classe ouvrière pour la production, afin de la discipliner, de la répartir, de l’éduquer, de fixer certaines catégories et certains ouvriers à leur poste pour un laps de temps déterminé, afin, en un mot, d’incorporer autoritairement, en plein accord avec le pouvoir, les travailleurs dans les cadres du plan économique unique. »

Stimulants

Différentes méthodes sont proposées par Trotsky pour augmenter la productivité. Les syndicats doivent éduquer les travailleurs. Différents stimulants sont utilisés :

« Un bon ingénieur, un bon mécanicien, un bon ajusteur doivent avoir en Russie soviétique autant de célébrité et autant de gloire qu’en avaient autrefois les agitateurs les plus marquants, les militants révolutionnaires et, à notre époque, les commandants et les commissaires les plus braves et les plus capables. »

« Il faut contraindre les mauvais ouvriers à avoir honte de n’être pas à la hauteur de leur tâche. »

Le régime aux pièces sous le régime capitaliste ou sous le régime de la prétendue dictature du « prolétariat », ce n’est pas la même chose, c’est du moins ce que nous explique Trotsky dans le passage suivant :

« Sous le régime capitaliste, le travail aux pièces ou à forfait, la mise en vigueur du système Taylor, etc., avait pour but d’exploiter les ouvriers et de leur dérober la plus·value. Par suite de la socialisation de la production, le travail aux pièces, à forfait ont pour but un accroissement de la production socialiste et pour suite une augmentation du bien-être commun. Les travailleurs qui concourent plus que les autres au bien-être commun acquièrent le droit de recevoir une part plus grande du produit social que les indolents et les désorganisateurs. »

Ce n’est pas Staline qui parle dans « les Principes du léninisme », mais bien Trotsky.

Dans le livre qu’il a écrit en 1920, Trotsky développait en quelque sorte le programme qu’il entendait défendre et que paradoxalement (?) Staline, manquant par trop d’imagination en dehors de l’organisation du G.P.U., reprendra. Les problèmes qu’il pose avaient de réels fondements, la situation économique de la Russie étant à l’époque catastrophique. Il ne s’agit donc pas de négliger cet aspect de la question, et Trotsky avait au moins le mérite de la lucidité. Cependant, il nous a semblé intéressant d’exposer les positions d’un leader de la révolution à une époque où il était encore en mesure d’agir sur le cours des événements.

A aucun moment dans son livre on a l’impression qu’une révolution prolétarienne a eu lieu, c’est-à-dire que les travailleurs aient été à même de décider de leur propre sort. Nous reviendrons dans un prochain article sur l’évolution de la pensée politique de Trotsky après qu’il eut été rejeté de la scène politique en Russie.


Bolchevisme et syndicalisme

Trotsky et la démocratie syndicale

Solidarité ouvrière n° 19

Novembre 1972

Le mois dernier, nous avons exposé les solutions que Trotsky entendait apporter à la crise consécutive à la révolution de 1917 et quel rôle il attribuait aux syndicats. Ces solutions lui ont valu d’être traité de bureaucrate par Lénine, et Staline s’est offert le luxe plus tard de qualifier Trotsky, dont il avait copié le programme, de « patriarche des bureaucrates ».

Voyons quelles ont été ses positions quand il fut rejeté définitivement hors de la scène politique en U.R.S.S.

Après son exclusion du parti bolchevik par les staliniens et pendant son exil, Trotsky consacra sa vie à combattre le stalinisme en agitant le drapeau du léninisme. Il prôna le retour aux sources, vers les sains préceptes du bolchevisme originel qu’il opposa au stalinisme dégénéré.

Les milieux trotskistes reconnaissent généralement aujourd’hui que sur la question syndicale Trotsky « était allé trop loin » et qu’il avait été corrigé par Lénine. Mais ce qu’il faut voir c’est que Trotsky, avec ses jugements à l’emporte-pièce, ne faisait qu’exprimer ce que bien des bolcheviks pensaient mais n’osaient pas dire ouvertement.

Lorsque Trotsky dénonça l’Opposition ouvrière qui lutta dès 1920 contre la bureaucratie envahissante et pour le pouvoir économique aux travailleurs organisés dans leurs syndicats, il dira :

« Ils ont mis en avant des mots d’ordre dangereux… Ils ont placé le droit des ouvriers de faire élire leurs représentants au-dessus du parti. Comme si le parti n’avait pas le droit d’affirmer sa dictature, même si cette dictature était en conflit temporaire avec les humeurs changeantes de la démocratie ouvrière ! »

Lorsque, quelques années plus tard, Trotsky fut limogé par cette bureaucratie qu’il avait contribué à façonner, les ouvriers firent la sourde oreille ; faut-il s’en étonner ?

Les positions de Trotsky en exil seront parfois en opposition avec celles qu’il avait prises pendant sa période de pouvoir, en Russie. On pourrait voir là soit une évolution de sa part, soit le fait qu’il ait été corrigé par Lénine, dont il aurait assimilé les « leçons ». Nous ne pensons pas qu’il y ait contradiction chez Trotsky sur ce plan, mais seulement que, la situation ayant évolué pour l’ancien leader de 17, son optique a changé aussi. Avant, il était au pouvoir, maintenant, il est rejeté du pouvoir ; avant, il avait les masses à ses ordres, maintenant, il s’agit de reconquérir une influence sur elles.

« La question des syndicats est l’une des plus importantes qui soient pour le mouvement ouvrier et, par voie de conséquence, pour l’opposition. Sans une position précise sur cette question, l’opposition sera incapable de gagner un jour une influence réelle sur la classe ouvrière. »

Mais la position fondamentale de Trotsky reste la même, c’est-à-dire celle de Lénine :

« Le parti communiste est l’arme fondamentale de l’action révolutionnaire du prolétariat, l’organisation de combat de son avant-garde, qui doit s’élever au rang de guide de la classe ouvrière partout où elle combat et, par conséquent, aussi dans le mouvement syndical. »

Ceux qui prônent l’autonomie des syndicats par rapport au parti, dit-il, opposent les secteurs les plus arriérés du prolétariat à l’avant-garde ; ce sont des opportunistes ; la théorie syndicaliste révolutionnaire de la minorité agissante est une théorie incomplète du parti prolétarien. « Dans toute sa politique, le syndicalisme révolutionnaire était un embryon du parti révolutionnaire ».

« Après la guerre, le syndicalisme révolutionnaire français trouva dans le communisme à la fois sa réfutation, son dépassement et son achèvement ; tenter de faire revivre aujourd’hui le syndicalisme révolutionnaire serait tourner le dos à l’histoire. Pour le mouvement ouvrier, une telle tentative ne pourrait avoir qu’un sens réactionnaire. »

Parler d’indépendance syndicale, « cela signifie la dissolution de l’avant-garde révolutionnaire dans la masse arriérée que sont les syndicats ; c’est flatter le prolétariat, c’est en faire autre chose que ce qu’il est et qu’il  peut être sous le capitalisme, qui condamne les masses travailleuses à l’ignorance [5]. »

Alors qu’au Xe Congrès du parti communiste russe, Trotsky s’acharnait contre l’Opposition ouvrière qui réclamait quelque démocratie syndicale, alors qu’il fustigeait les « humeurs changeantes de la démocratie ouvrière » et son « principe formel », Trotsky, maintenant en exil, dit :

« L’autonomie réelle, concrète et non métaphysique des syndicats n’est en rien gênée ou diminuée par le combat du parti communiste pour étendre son influence, chaque syndiqué a le droit de voter selon sa conscience et d’élire qui bon lui semble. Les communistes ont ce droit comme les autres. »

En mai 1921, à la conférence des syndicats de la métallurgie soviétique, le comité central du parti, dont faisait partie Trotsky, présente une liste de candidats recommandés pour les postes de direction. Les délégués des métallurgistes refusèrent cette liste. La direction du parti passa outre et nomma froidement ses propres candidats aux postes dirigeants du syndicat. Est-ce cela que Trotsky appelle, en 1929, le droit de chaque syndiqué à « voter selon sa conscience » ? C’est qu’en réalité Trotsky ne renonce en rien à ses pratiques précédentes, il s’adapte seulement à la situation.

Il n’est évidemment plus possible à Trotsky, qui n’est plus au pouvoir, de placer les travailleurs sous la loi martiale. comme il l’a fait pour les cheminots lorsqu’il était responsable du commissariat aux transports. N’étant plus au pouvoir, il ne pouvait pas expulser les responsables élus du syndicat et en nommer d’autres, prêts à suivre les volontés du parti, comme il l’a fait pour le syndicat des cheminots, en 1920 ; c’est sans doute ce qu’il veut dire lorsque, en 1929, il écrit :

« Dans un pays donné, et selon l’étape de développement atteint, les styles, les méthodes et les formes que peut revêtir le caractère dirigeant du parti peuvent’ varier considérablement avec les conditions générales. Dans les pays capitalistes, où le parti ne dispose d’aucun moyen de coercition, il est évident que le parti communiste ne peut donner de direction au syndicat que par l’intermédiaire des communistes travaillant dans les syndicats... »

Ce qui veut dire en clair que, dans d’autres circonstances, il envisagerait de donner une direction aux syndicats par l’intermédiaire des communistes en dehors des syndicats. Pour les sceptiques, citons un autre fait : en mars 1922 eut lieu une nouvelle conférence des syndicats de la métallurgie soviétique. La politique du syndicat fut déterminée par la fraction nommée par la direction du parti, dont les réunions profitèrent de la présence de métallurgistes distingués tels que Lénine, Kamenev, Zinoviev, Molotiv, Staline, Marcel Cachin et Clara Zetkin…

Indépendance syndicale et parti

Il est surprenant de constater que le Trotsky de l’exil se fera le champion de l’indépendance syndicale. Mais pas n’importe quelle indépendance. ; pour lui « plus influence du parti croît, en général, plus la situation devient révolutionnaire ». C’est ce qui permet « d’apprécier le degré et la forme de l’autonomie vraie, réelle et non métaphysique, des syndicats ». En août 1940, juste avant son .lâche assassinat par les staliniens, il précise définitivement sa pensée :

« L’indépendance des syndicats dans un sens de classe, dans leurs rapports avec l’Etat bourgeois, ne peut être assurée dans les conditions actuelles que par une direction complètement révolutionnaire qui est la direction de la IVe Internationale. Cette direction, naturellement, peut et doit être rationnelle et assurer aux syndicats le maximum de démocratie concevable dans les conditions concrètes actuelles. Mais sans la direction politique de la IVe Internationale, l’indépendance des syndicats est impossible. »

En période de paix sociale, quand il y a tout juste quelques grèves, « le parti n’a pas à prendre position sur telle ou telle grève isolée », « la première place revient bien évidemment au syndicat ». Mais en période révolutionnaire, « le rôle dirigeant du parti doit être direct, visible et immédiat. Les syndicats… deviennent de fait l’appareil organisationnel du parti qui, au vu et au su de la classe ouvrière tout entière, assume la direction de la révolution, et porte toute la responsabilité du mouvement ».

« Mais, en tous les cas, le parti tente de gagner la direction du mouvement en s’appuyant sur l’autonomie réelle des syndicats qui, en tant qu’organisation, ne sont pas, cela va sans dire, soumis au joug du parti.

Trotsky analyse la question de l’apolitisme syndical d’une manière assez proche de la nôtre, mais les conclusions politiques qu’il en tire sont opposées.

« Les théoriciens de l’“indépendance” du mouvement syndical ne se sont pas donné la peine de réfléchir à la question de savoir pourquoi leur mot d’ordre ne s’est jamais réalisé nulle part, et pourquoi, au contraire, la dépendance du syndicat par rapport au parti devient partout, et sans exception, une évidence absolue. »

Pour Trotsky, cela tient à l’impérialisme qui accentue les contradictions entre l’aristocratie ouvrière et les couches les plus exploitées.

« Il est clair que le mot d’ordre “d’indépendance” syndicale ne peut venir en aucun cas des masses. Le mot d’ordre d’indépendance est à sa racine même un mot d’ordre bureaucratique et non un mot d’ordre de classe ! »

En quelque sorte, l’indépendance syndicale est un mot d’ordre bureaucratique mis en avant par des bureaucrates qui veulent se soustraire non au contrôle de la classe ouvrière mais de son avant-garde, laquelle se confond avec l’appareil du parti, son comité central et le bureau politique, comme le disait Trotsky dans « Nos tâches politiques ».

Il est vrai que l’apolitisme syndical est un mythe : aucune organisation sociale ne peut être indépendante du contexte politique et social dans lequel elle se trouve, et surtout pas un syndicat. Un groupement de dizaines de milliers de travailleurs représente nécessairement des intérêts de classe, par sa composition d’abord, par son mode d’organisation et par le but qu’il se propose ensuite. En somme par son programme, par sa tactique, par sa politique.

La neutralité ou l’apolitisme, cela n’existe pas : tout individu, tout groupe prend position même lorsqu’il prétend qu’il ne prend pas position. C’est pourquoi nous avons toujours dénoncé ceux – « révolutionnaires » ou réformistes – qui refusent aux travailleurs le droit ou la possibilité de déterminer leur action à travers leurs organisations de classe. Le meilleur moyen pour subordonner les syndicats à une influence extérieure à la classe ouvrière, c’est de les rendre « apolitiques », c’est-à-dire d’empêcher les travailleurs d’y prendre aucune position autre que revendicative sur le plan économique.

« Mais, dirait Trotsky, les travailleurs ne peuvent pas déterminer eux-mêmes leurs intérêts à long terme. Par nature, ils sont réformistes. » S’il en est ainsi ce n’est pas la peine de se dire révolutionnaires, ou en tout cas ce n’est pas la peine de prétendre préparer la révolution sociale ; tout au plus fera-t-on un bouleversement qui placera à la tête de la société l’appareil des partis dirigistes, c’est-à-dire « les intellectuels bourgeois », comme l’avoue Lénine lui-même, dans Que faire ?.

De telles affirmations ne reposent d’ailleurs sur rien, sinon sur des a priori tels que « l’histoire atteste que »... suivis d’une affirmation partielle, voire carrément erronée [6]. On peut avoir une idée de la valeur scientifique de certaine proposition telles que : « Le parti, c’est le prolétariat tel qu’il devrait être alors que les syndicats sont le prolétariat tel qu’il est. »


Bolchevisme et syndicalisme

Le syndicalisme révolutionnaire, réponse à l’impasse léniniste

Solidarité ouvrière n° 20

Décembre 1972

Au cours de notre étude succincte sur « Syndicalisme et bolchevisme », nous pensons avoir détruit un certain nombre de mythes qui courent sur l’action et la théorie léninistes. En général, les critiques qu’ont portées les syndicalistes libertaires sur les diverses versions du bolchevisme ont été le plus souvent sans effet sur la bonne conscience de ses militants ; que le bolchevisme soit foncièrement anti-démocratique, ils l’admettent, quelques-ans même avec une certaine fierté ; qu’il leur faille parfois parler à la classe ouvrière avec des fusils ne les trouble pas outre mesure. Ils se pensent comme le facteur historiquement progressif, et se trouver dans le vent de l’histoire peut tout justifier;

Ce rôle de théorie ouvrière du marxisme-léninisme est-il réel ?

Lorsqu’on observe les événements historiques des soixante dernières années, on ne pas ne pas remarquer combien ceux-ci contredisent cette affirmation. Le bolchevisme n’est pas né dans les pays industriels les plus développés; son élaboration a été effectuée dans une région du monde à large majorité agricole, dans une société à vestiges féodaux assez importants. Son champ d’action et de réussite s’est étendu sur des contrées en voie d’industrialisation, dominées par l’impérialisme économique ou politique des grandes nations industrialisées. Les partis de type bolchevik – théoriquement avant-garde ouvrière – ont été efficaces pour détruire des sociétés dans lesquelles la classe ouvrière était très minoritaire, voire quasiment inexistante. En outre, toutes les révolutions nationalistes ont été faites sur le modèle bolchevik, quelle que soit l’idéologie qui les sous-tendait; Algérie, Egypte, Yémen, etc. ont été coupés en partie du marché capitaliste mondial par l’action révolutionnaire d’une minorité fortement organisée dirigée par des représentants de l’intelligentsia – couche sociale particulière des pays peu industrialisés et dominés par l’impérialisme.

Au contraire, dans les pays capitalistes développés, tous les partis de type bolchevik, tous ceux du moins qui sont suffisamment importants pour influer sur les événements, sont assimilables à la social-démocratie – démocratie interne en moins.

De tous ces faits, il nous semble justifié de tirer la conclusion suivante : le bolchevisme, dans son aspect réel, et sans tenir compte de sa phraséologie [7], n’est pas une théorie révolutionnaire du prolétariat ; il est historiquement la théorie révolutionnaire de la petite bourgeoisie intellectuelle des pays en voie de développement dominés par l’impérialisme. Son rôle est de couper les contrées où son pouvoir peut s’implanter du contrôle et des intérêts de l’impérialisme afin d’y assurer l’accumulation qui rendra possible l’essor industriel sur des bases nationales ; en outre, les fameuses conquêtes d’octobre – planification, nationalisations, monopole du commerce extérieur – des trotskistes, bases du prétendu Etat ouvrier dégénéré, sont les fondements socio-économiques de la nouvelle classe d’exploiteurs de la même manière que la propriété privée des moyens de production, la liberté du commerce, la loi de la valeur et le salariat sont les piliers du capitalisme.

Syndicalisme révolutionnaire

A la même époque où Lénine élaborait le bolchevisme, naissait en Europe occidentale et aux U.S.A. une autre théorie révolutionnaire, authentiquement prolétarienne celle-là, ce qu’on a appelé le syndicalisme révolutionnaire, ou l’anarcho-syndicalisme. En effet, alors que le léninisme est une synthèse du populisme et du marxisme de Kautsky [8], c’est-à-dire une réflexion des intellectuels socialistes, réflexion qui conclut par l’exigence du rôle dirigeant de ces mêmes intellectuels d’extraction bourgeoise venus au socialisme, le syndicalisme révolutionnaire est issu indiscutablement de la pratique ouvrière ; Griffuelhes, qui fut secrétaire de la C.G.T., pouvait écrire que certains « s’efforcent de rattacher les origines du mouvement ouvrier actuel aux principes posés par la conception anarchiste ; les autres s’appliquent à les trouver dans la conception socialiste... A mon sens, le mouvement ouvrier actuel ne remonte à aucune de ces deux sources. Il ne se rattache directement à aucune des deux conceptions qui voudraient se le disputer : il est le résultat d’une longue pratique, créée bien plus par les événements que par tels ou tels hommes... » C’était la pratique ouvrière qui donnait naissance à une théorie, et non le contraire.

Nous pensons que l’outil révolutionnaire entrevu à cette époque dans certains pays industriels développés – le syndicalisme envisagé comme expression globale du prolétariat – et le moyen qui en découle – la grève générale insurrectionnelle et ·expropriatrice – sont toujours, et seront de plus en plus, l’outil et le moyen révolutionnaires des sociétés industrielles développées.

Premier acte révolutionnaire : la destruction de l’Etat

C’est par la destruction de l’Etat que commence toute révolution. Détenteur exclusif de l’usage légitime de la force, celui-ci a toujours été le dernier rempart des classes privilégiées dans toute l’histoire, que ce soient les patriciens antiques, les féodaux, les capitalistes modernes ou la nouvelle classe oligarchique des pays collectivistes d’Etat. La plus grande erreur du mouvement révolutionnaire a été, à notre sens, de penser que toutes les formes d’Etat seraient abattues d’une manière analogue, sans tenir compte de la société civile dont il est l’émanation et l’aliénation politiques pour reprendre le vocabulaire proudhonien.

1) Dans les sociétés à large majorité agricole

Ainsi que le soulignait Saint-Simon, les couches privilégiées des sociétés agricoles ont toujours été en leur majorité formées de soldats ; la richesse principale étant la richesse foncière, celui qui peut couvrir une contrée et dominer ses paysans, c’est essentiellement l’homme de guerre. Le noble des sociétés féodales est avant tout un militaire. Son Etat est fruste, il n’est que l’organisation de bandes armées et le fisc. Pour les paysans en révolte, le seul moyen était de battre le soldat sur son terrain. Sa lutte devient tout de suite une lutte armée contre les forces de répression. L’histoire fourmille d’exemples : Spartacus, les donatistes, les jacqueries, la révolte des paysans allemands au XVIe siècle et partiellement au XXe siècle, la Russie, la Chine, Cuba, l’Algérie, voire même le Vietnam.

2) Caractéristiques des sociétés industrielles développées

La mutation introduite par la naissance de l’industrie n’a pas été assez soulignée par le mouvement révolutionnaire. La société industrielle est complexe, imbriquée et fragile. Elle fait une dépense énorme d’énergie et pour elle les communications sont vitales. L’économie agricole est stable, peu consommatrice d’énergie, aux moyens de communications sommaires. Au contraire, le point faible des sociétés industrielles, c’est l’industrie et l’énergie. Il ne s’agit plus aujourd’hui de combattre uniquement les forces de répression mais de porter son effort principal vers le point faible de l’adversaire de classe et de l’Etat : sa dépendance à l’égard de l’industrie et de l’énergie.

En effet, on peut dire que l’Etat se compose de trois grands corps : le gouvernement central et ses services, les administrations centralisées qui couvrent tout le pays (préfets, etc.) et enfin les forces de répression spécialisées (environ 75 000 policiers, 20 000 gardes mobiles, 50 000 gendarmes, 15 000 CRS). La première tâche révolutionnaire tendra donc à isoler les trois grands corps les uns des autres et à rompre leurs relations internes. Ils ne sont efficaces que dans la mesure où existent entre eux des liaisons ; dans le cas où ces liaisons sont rompues, ce ne sont plus que des individus et des services isolés. Qu’est-ce qu’un préfet sans téléphone ?

Autrement dit, aujourd’hui, la destruction de l’Etat passe en très grande partie par la destruction des communications entre les grands corps administratifs et le blocage de l’énergie.

Il ne faudrait pas penser que les anarcho-syndicalistes croient que tout affrontement direct avec les forces de répression sera exclu ; mais gagner quelques batailles de rues sans s’attaquer à l’organisation même de l’Etat serait inutilement sanglant [9].

L’outil. – La destruction de l’Etat se faisant en grande partie par l’économie, l’importance des organisations à la base économique des travailleurs devient énorme, et le nom qu’on donne à ces organisations n’a que peu d’intérêt. Il faut privilégier le travail des militants révolutionnaires dans toute forme d’organisation qui trouve sa causalité dans la condition économique des travailleurs : organisation de classe, partant de l’entreprise et se fédérant verticalement par l’industrie et horizontalement par localité, région, etc. ; aujourd’hui, ce sont les syndicats ; demain, ce sera peut-être autre chose, une confédération de conseils ouvriers, par exemple.

Le moyen. – Rompre les liaisons des parties de l’Etat et arrêter la production d’énergie, là est le but de la grève générale simultanée de toutes les industries. Evidemment, un certain nombre de problèmes humanitaires se posent, et le mouvement révolutionnaire se devra de les poser, par exemple, la maintenance des hôpitaux et les besoins essentiels de la population.

Destruction de l’Etat et construction socialiste

La destruction de l’Etat par la grève générale est l’acte négatif de la révolution. Ainsi, en mai 1968, pendant quelques jours, l’Etat n’a pratiquement plus existé, les forces de répression se démobilisaient, les officiels ne savaient que faire.

Cette vacance du pouvoir est le but de l’acte négatif révolutionnaire, mais il est insuffisant.

Ce n’est que par la reprise de la production sur des bases socialistes que la lutte révolutionnaire montera d’un cran. Et pour ce faire, il est absolument nécessaire que préexistent des liaisons entre industries avant le choc révolutionnaire [10].

Pour la construction socialiste, le rôle de l’organisation économique des travailleurs est encore plus capital que dans la grève générale. Seule, parce qu’elle est formée uniquement de travailleurs, elle pourra déterminer sur quelles bases s’organisera l’autogestion socialiste ; seule, parce qu’elle est organisée à la fois par l’industrie et localement dans les usines mêmes, elle pourra relancer la production, l’organiser, en répartir les résultats.

Dans le cadre d’un article, il est impossible de détailler ce que pourrait être, par exemple, l’action d’une union départementale, à la fois pour la production et la répartition, mais il est évident qu’elle pourrait être de la plus grande importance.

C’est sur la réussite ou l’échec de la reprise du travail, après l’expropriation de fait, que se jouera le sort de tout mouvement insurrectionnel ; et en cas d’échec, c’est le fascisme, quel que soit le nom dont on l’affuble !

Conclusion

Lorsque Lénine dit que l’histoire atteste que le mouvement ouvrier livré à ses seules forces ne peut dépasser le réformisme, il se trompe. Son erreur est d’autant plus lourde qu’il pouvait observer dans le même temps la naissance d’un mouvement révolutionnaire essentiellement prolétarien ; c’est-à-dire un mouvement qui, par son auto-organisation, fabriquait sa théorie de classe. Expropriation capitaliste par l’action révolutionnaire du prolétariat lui-même sans intermédiaires, tels que partis politiques et parlementarisme ; organisation de la production sur la base de la gestion ouvrière collective et coordonnée, d’où disparition des classes et destruction de l’Etat, cette théorie était indiscutablement socialiste.

Elle surgit tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, pour autant que le prolétariat puisse s’organiser sur des bases de classe et théoriser librement sa pratique ; on la retrouve de la Première Internationale aux recherches actuelles, issues de 1968 et de ses comités de lutte, en passant par la C.G.T. d’avant 1914, les soviets et les comités d’usine de 1905 à 1917 en Russie, les I.W.W., l’U.S.I., la C.N.T. d’Espagne, les révoltes de Budapest, de Pologne, de Tchécoslovaquie ; qu’on la nomme socialisme révolutionnaire en 1870, syndicalisme révolutionnaire en 1906, anarchosyndicalisme en 1936, socialisme autogestionnaire en 1968 – chacune de ces appellations ne recouvrant qu’une partie de sa réalité et se complétant plutôt que s’opposant – elle est authentiquement la pensée politique de la classe des producteurs qui s’oppose à ses oppresseurs et à ses exploiteurs.

Au contraire, le fondement du bolchevisme est la conviction que la conscience socialiste doit être apportée du dehors, et c’est au-dehors du prolétariat que l’ouvrier révolutionnaire doit former son intelligence et affermir sa conviction. Et dans cette formation est inclus le devoir de se mettre à l’école « des intellectuels bourgeois venus au socialisme », lequel n’est pas né des aspirations et de la pratique ouvrières mais jailli quasiment ex nihilo de la réflexion de savants.

Le caractère particulier de l’intelligentsia des pays en voie de développement et le rôle dirigeant qu’elle revendique apportent la clé qui permet d’élucider le paradoxe d’une théorie de classe née dans l’esprit d’individus d’une autre classe et de luttes d’une classe dirigées par des individus d’une autre classe. En effet, de la même manière que la bourgeoisie s’est servie du prolétariat naissant et de la paysannerie pauvre pour asseoir son pouvoir politique contre la noblesse, la petite bourgeoisie intellectuelle entend se servir du prolétariat pour combattre le capitalisme et asseoir son pouvoir politique, son moyen étant le collectivisme oligarchique d’Etat qui exproprie le capitalisme et la place en gestionnaire – rôle économique indiscutable – et en propriétaire oligarchique de fait. C’est pour cette raison que tous les léninistes s’opposent à l’autogestion – gestion ouvrière collective et coordonnée – et à la propriété collective et indivise des travailleurs sur les moyens de production, d’échange et de répartition, et qu’ils s’y opposeront toujours. Autogestion et propriété collective non étatique nient leur place future de gestionnaires et de propriétaires collectifs !

La voie de la société sans classes et sans Etat a été tracée par les générations de militants qui théorisèrent la pratique ouvrière dans ses organisations de classe. A l’inverse des affirmations de ses adversaires, le syndicalisme révolutionnaire et la grève générale insurrectionnelle et expropriatrice sont bien l’outil et le moyen de la révolution prolétarienne dans les pays industriels développés.


[1] Voir note 2.

[2] Si on en croit ces deux citations, ce qui «fait » l’histoire, son moteur, c’est l’idéologie ! Après les litanies sur le rôle prépondérant des forces productives qui déterminent dans une très large mesure le comportement des classes sociales et leur nature, devrait-on penser que Lénine après Kautsky sombrent dans « l’idéalisme petit-bourgeois » ? Voilà une illustration de ce que les marxistes-léninistes appellent l’analyse matérialiste de l’histoire !

[3] N’oublions pas que les bolcheviks (majoritaires) étaient à l’époque (1902) une tendance du parti ouvrier social-démocrate de Russie. C’est en 1918 que les social-démocrates bolcheviks prirent l’appellation de communistes. Pour Lénine, social-démocrate signifie révolutionnaire partisan du marxisme.

[4] En 1929, l'Internationale communiste donne pour consigne aux communistes de faire passer à un congrès de la C,G.T,U. la motion suivante :

« Le congrès précise, enfin, sa détermi­nation de travailler, sur tous les terrains, en accord étroit avec le Parti communiste, seul parti du prolétariat et de luttes des classes révolutionnaires qui, au travers de toutes les batailles de la période écoulée, a conquis sa place de seule avant-garde prolétarienne diri­geante du mouvement ouvrier. »

Le congrès, où était encore présente l’in­fluence des syndicalistes révolutionnaires, ajouta un additif pour tempérer l'exclusive de la décla­ration :

« La proclamation de ce rôle dirigeant et sa reconnaissance ne sauraient être interprétées comme la subordination du mouvement syndical »…

L'Internationale communiste devait montrer de la mauvaise humeur :

« …Cette adjonction atténue et révise en fait la définition du rôle dirigeant qui était contenu dans le texte primitif. »

On voit par cet exemple la continuité de l'action du Parti communiste pour acquérir le rôle dirigeant, hier avoué, aujourd'hui caché. sur les organisations de classe.

[5] Classique rouge n° 4, Léon Trostky, classe ouvrière, parti et syndicat : « Communisme et syndicalisme », p. 21. (Texte de Trotsky datant du 14 octobre 1929.)

[6] Ainsi Lénine affirmait le caractère obligatoirement trade-unioniste du syndicalisme alors qu’il pouvait observer la naissance en France et en Italie d’une authentique théorie révolutionnaire prolétarienne : le syndicalisme révolutionnaire.

[7] Il est intéressant de retourner contre des marxistes certaines affirmations de Marx. Dans L’idéologie allemande, Marx dit que le langage des révolutionnaires de 1789 était celui des vieux républicains romains, mais leur action fut de détruire définitivement la féodalité et d’établir la liberté du commerce. Ils disaient : « Liberté, égalité, fraternité », et permettaient au capitalisme de naître. Plus simplement nous dirons qu’il faut juger le bolchevisme sur ce qu’il fait et non sur ce qu’il dit.

[8] Voir à ce sujet l’étude de Nicolas Berdiaev : Les sources et le sens du communisme russe (Idées, Gallimard), et un article du journal socialiste révolutionnaire : « Le messager de la révolution russe », paru en 1903 (Que faire ?, paru au Seuil) dans lequel il est dit que les thèses de Lénine s’assimilent aux thèses populistes sur l’intelligentsia et son rôle d’avant-garde.

[9] Notons que les C.R.S. sont organisés de manière autonome. Ils peuvent se déplacer dans un pays hostile ou pendant une grève générale sans être tributaires du ravitaillement ou de l’énergie « civiles ». Preuve supplémentaire que l’ennemi connaît ses points faibles.

[10] Par exemple, les mineurs doivent être en contact avec les industries sidérurgiques, elles-mêmes liées avec les industries de transformation, etc.