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Origine : échanges mail
avec René Berthier
Avertissement :
Le texte qui suit est celui d’une brochure de
64 pages publiée en 1976 par l’Alliance syndicaliste.
L’anarcho-syndicalisme
Introduction
Né
d’un conflit de tendance au sein de la 1re Internationale,
majoritaire dans de nombreux pays au début du siècle, l’anarcho-syndicalisme
rejaillit des profondeurs de la classe ouvrière des travailleurs
salariés lorsqu’une partie de ces travailleurs tentèrent de prendre
en main leur destinée.
En mai 68 certains parlèrent
d’une résurgence de ce mouvement, puisque dans les faits les travailleurs
réaffirmaient ces postulats.
La
classe ouvrière et ses organisations syndicales sont dominées
par les fractions politiques social-démocrates qui ont introduit
dans le mouvement ouvrier l’idéologie et la pratique réformistes :
électoralisme, action parlementaire, passage pacifique au « socialisme »,
voire même collaboration de classe.
Le
prolétariat organisé se trouve ainsi soumis à des intérêts étrangers
au sien.
Face
à cela, l’extrême gauche léniniste s’efforce d’être une alternative
crédible.
Hypnotisés
par les schémas de la révolution russe, ils appliquent à la société
industrielle développée la même démarche que les bolcheviks appliquaient
à la Russie sous-développée dominée par l’impérialisme, et où
le prolétariat, embryonnaire, était sans tradition d’organisation
permanente.
Les
néo-bolcheviks d’aujourd’hui se trompent tout simplement de révolution,
et cela de plusieurs points de vue :
–
Du point de vue de leur théorie, qui offre ce paradoxe de se prétendre
la théorie d’une classe (le prolétariat) mais élaborée par des
individus d’une autre classe, les intellectuels bourgeois.
–
Du point de vue de l’organisation, qui se prétend l’organisation
d’une classe, mais dirigée par des individus d’une autre classe.
–
Du point de vue de la stratégie politique qui prétend aboutir
à la destruction du capitalisme mais qui mène en fait la révolution
à la forme la plus poussée, la plus concentrée du capitalisme :
le capitalisme d’Etat.
C’est
la théorie de classe de l’intelligentsia petite-bourgeoise radicalisée,
sans possibilité d’accéder à la propriété et au pouvoir dans le
cadre d’une société dominée par le capitalisme monopoliste – national
ou étranger – et qui ne voit de perspective que dans le capitalisme
d’Etat et dans la propriété oligarchique des moyens de production.
Pour
que le prolétariat organise puisse mener une action de classe
réelle, il nous semble donc important pour nous, anarcho-syndicalistes,
de diffuser l’histoire et les tentatives d’organisation du mouvement
ouvrier, et la théorie de la classe du prolétariat qui s’est dégagée
de ces expériences, théorie qui a donné naissance à notre programme :
Séparatisme ouvrier, abolition du salariat, suppression de la
propriété des moyens de production, abolition du marché.
L’organisation
des anarcho-syndicalistes demeure un problème important a l’heure
actuelle.
Aujourd’hui,
les conditions ne permettent pas de créer une confédération anarcho-syndicaliste.
Les camarades qui tentent de créer de toutes pièces une confédération
anarcho-syndicaliste sur le modèle de la CNT Espagnole prennent
le problème par le mauvais bout. En outre, ils vont à rebours
de tous les enseignements du mouvement ouvrier français et tentent,
comme les léninistes avec la Russie, d’appliquer en France un
processus historique propre à l’Espagne : la CNT espagnole
s’est constituée au cours de 70 ans de combat sur la lancée de
la section espagnole de l’AIT, sur un terrain qui était politiquement
vierge avant elle. Les conditions sont toutes autres aujourd’hui
en France.
Une
partie importante du prolétariat est organisée aujourd’hui dans
les syndicats réformistes. Ces syndicats continuent d’avoir la
confiance d’une masse importante de travailleurs, et l’influence
du mouvement syndical dépasse largement le cadre strict de ses
adhérents. En outre, la situation n’est pas encore telle qu’il
soit impossible d’impulser une dynamique révolutionnaire dans
les syndicats.
La
position stratégique fondamentale du syndicat pour tous les groupes
politiques qui sont ou aspirent à sa direction interdit d’abandonner
un terrain de lutte aussi important aux adversaires politiques
de l’anarcho-syndicalisme.
Mais
nous ne faisons pas de fétichisme syndical et nous n’attribuons
pas de vertus magiques aux syndicats. Ils seront peut-être dépassés
par des organisations des travailleurs qui énonceront clairement
le programme ouvrier et s’efforceront de le mettre en pratique.
Actuellement
nous pensons qu’il faut être là où les travailleurs sont organises.
Mais
il est illusoire de croire que nous pouvons chacun dans notre
coin, qui dans son syndicat, qui dans son union locale, travailler
à la démocratisation et parsemer nos confédérations et quelques
structures « parfaites ». C’est compter sans l’essoufflement
pour manque de contrôle, l’épuisement par manque de progression
théorique, la dislocation ou la récupération par les manœuvres
des bureaucraties.
Il
est donc important pour nous, anarcho-syndicalistes, de se doter
d’une organisation. Cet outil permettra à une partie des travailleurs
qui formule les revendications fondamentales du mouvement ouvrier
de se donner les moyens du développement d’une prise de conscience
plus large des travailleurs.
La
nécessité d’une organisation apparaît pour pouvoir faire une propagande
efficace, pouvoir se déterminer face aux mouvements organisés
qui orientent le syndicalisme actuel, développer la démocratie
ouvrière. Et ce n’est qu’avec la confrontation quotidienne entre
théorie et pratique que nous pouvons définir notre action :
– Connaissance
solide du mouvement ouvrier, du mouvement syndical (nécessité
d’y militer) et du mouvement anarcho-syndicaliste ;
–
Analyse des conceptions avant-gardistes ;
–
Analyse des bureaucraties syndicales, etc. ;
–
Définition du mouvement anarcho-syndicaliste ;
Ces
conditions rendent possible la création d’un contre-pouvoir ouvrier
capable de convaincre nos camarades travailleurs et de permettre
l’émancipation de la classe ouvrière.
******************************
« Je dois à Bakounine
au point de vue moral ceci : auparavant, j’étais stoïcien
préoccupé du développement de ma personnalité, m’efforçant de
conformer ma vie à un idéal ; sous l’influence de Bakounine,
je renonçai à cette préoccupation personnelle, individuelle, et
je conçus qu’il valait mieux remplacer l’effort vers la perfection
morale par une chose plus humaine, plus sociale : renonciation
à l’action purement individuelle et résolution de me consacrer
à l’action collective, en cherchant la base et la garantie de
la moralité dans la conscience collective d’hommes étroitement
unis pour travailler à une œuvre commune de propagande et de révolution. »
James Guillaume, in
« Socialisme et Liberté » Ed. de la Baconnière, Neuchâtel
p. 147.
Les
origines historiques de l’anarcho-syndicalisme remontent jusqu’à
l’A.I.T. (1864-1872 pour le conseil général, et 1878 pour l’Internationale
anti-autoritaire). En son sein s’est déroulée une lutte politique
entre deux courants du mouvement ouvrier de l’époque, courants
habituellement symbolisés par deux hommes : Marx et Bakounine.
Cette lutte fut capitale, et son issue a déterminé – et détermine
encore dans une certaine mesure – toute l’histoire du mouvement
ouvrier international.
D’une
part, la tendance marxiste, qui avait en main la direction de
l’Association, tentait d’amener celle-ci à Constituer des partis
politiques parlementaires qui s’engageraient vers la conquête
parlementaire de l’Etat. Cette tendance était représentée en Angleterre,
en Allemagne et dans le canton de Genève.
D’autre
part, la tendance socialiste révolutionnaire animée par Bakounine [1]
s’opposait à la tactique de lutte parlementaire, affirmant que
celle-ci conduisait à abandonner le critère de classe, la lutte
et la propagande parlementaires s’adressant à toutes les classes
de la société quelle que soit leur place dans le processus de
production ou de distribution. En outre, l’e parlementarisme conduisait
de fait à abandonner l’internationalisme, car il tendait à mouler
exclusivement les mouvements ouvriers nationaux en fonction du
parlement à conquérir : enfin la tactique parlementaire pouvait
amener à terme vers la gestion du capitalisme plutôt qu’à son
renversement. Les socialistes révolutionnaires représentaient
numériquement une majorité nette dans l’Association, avec les
fédérations jurassienne, italienne, espagnole, française [2]
ainsi que les exilés de l’empire russe.
C’est
à cette époque qu’est née la scission entre les deux principaux
courants du mouvement ouvrier : l’un centralisé, parlementariste,
jacobin ; l’autre fédéraliste et autogestionnaire.
La
direction marxiste de t’A.I.T., consciente des progrès que faisaient
ses adversaires de tendance, transféra le siège de l’organisation
à New York, où elle avait des appuis, ce qui conduisait à la mort
de l’Association, aucun délégué ne pouvant se déplacer aussi loin ;
déjà elle avait exclu Bakounine, James Guillaume [3]
et Adhémar Schwitzguebel, en 1872, au congrès de la Haye. Engels
justifia le sabordement de l’A.I.T. en affirmant qu’elle avait
accompli son « rôle historique ».
Au-delà
des polémiques de personnes, il faut voir le sens historique de
l’opposition des deux courants dans l’A.I.T., opposition qui dure
encore. A l’époque. le marxisme n’était pas révolutionnaire, préconisant
la conquête du pouvoir d’Etat par le parlement, ce courant devait
prendre toute sa signification dans la social-démocratie allemande
dont Marx était particulièrement fier.
Rappelons
que ce dernier déclara, à la suite de la victoire prussienne et
de l’écrasement de la Commune de Paris, que cela permettrait au
socialisme allemand (le sien) de prendre définitivement le pas
sur le socialisme français d’origine proudhonienne ; rappelons
enfin que Marx avait condamné Bebel et W. Liebknecht, membres
social-démocrates du parlement allemand parce qu’ ils avaient
refusé de voter les crédits de guerre en 1870, guerre dont Marx
attendait beaucoup, car une victoire prussienne devait permettre
la centralisation des mouvements ouvriers allemand et français,
sous direction allemande.
On
sait quelle devait être la filiation historique des deux courants
qui se sont opposés dans l’A.I.T. : la social-démocratie
allemande tomba dans la collaboration de classe la plus complète
et, en 1914, abandonna [4]
tout internationalisme pour voter les crédits de guerre et hurler
« vers Paris » plus fort que les autres. La tendance
socialiste révolutionnaire, que ses adversaires avaient appelée
« anarchiste » par dérision, terme repris par eux par
défi – donna naissance, en France, à la Fédération des bourses
du travail, avec F. Pelloutier et, dans la C.G.T. naissante, à
l’anarcho-syndicalisme, dont les militants seuls en France [5]
ont conservé alors une position internationaliste d’opposition
à la guerre [6]
appelant les ouvriers de tous les pays à se soulever contre leurs
exploiteurs respectifs.
La lutte des fédérations
anti-autoritaires [7]
de l’A.I.T., dont devaient naître la Confédération Nationale du
Travail (C.N.T.) en Espagne, issue de la Fédération Ouvrière de
la Région Espagnole (F.O.R.E.) fondée en 1868, l’Union Syndicale
Italienne, la Fédération Ouvrière de la Région Argentine (F.O.R.A.),
la Fédération Ouvrière de la Région Uruguayenne (F.A.R.U.), 1’Organisation
centrale des Travailleurs Suédois (S.A.C.), qui est aujourd’hui
encore la seconde organisation syndicale de la Suède après la
social-démocrate Landsorganisation, aux Etats-Unis, les lndustrial
Workers of the World, pionniers du syndicalisme d’industrie dans
le nouveau monde [8].
L’U.S.I.,
la F.O.R.A. et la F.O.R.U., qui devaient disparaître entre 1920
et 1930 sous les coups du fascisme, ne représentaient ni un combat
d’arrière-garde ni un combat groupusculaire. Fritz Brupbacher
a pu dire de l’Internationale anti-autoritaire : « elle
présente une foule d’idées et de conséquences significatives,
car elle fut comme le chaos d’où devaient sortir le syndicalisme
et l’anarchisme moderne [9]«.
« L’internationale
fédéraliste est au XIXe siècle – proportion gardée
– un foyer spirituel aussi fervent que l’encyclopédie au XVIIIe
siècle et Port-Royal au XVIIe siècle. » [10]
C’était la lutte des travailleurs
qui voulaient appliquer le programme initial de l’A.I.T., l’émancipation
des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, c’est-à-dire
dans leurs organisations de classe, pensant sans avenir révolutionnaire
la voie parlementaire.
******************************
APERÇU HISTORIQUE
EN FRANCE, LA C.G.T.
« Tandis
que les parlementaires employaient toute leur activité à recruter
une armée d’électeurs, les ouvriers organisaient leurs syndicats
en Fédérations régionales et en Unions de métiers. Par la fusion
des unes et des autres naquit en 1895 la Confédération Générale
du Travail, qui s’est placée en majorité depuis 1904 sur le terrain
du syndicalisme révolutionnaire : et ce syndicalisme révolutionnaire,
ce n’est pas autre chose que le phénix de la vieille Internationale
fédéraliste, resurgissant de ses cendres ! »
F.
Brupbacher, La Vie Ouvrière du 20 février 1914
L’activité
des militants révolutionnaires de l’A.I.T. marquera surtout quatre
mouvements ouvriers et paysans [11]
en Europe : l’Espagne, l’Italie, la Bulgarie et la France ;
c’est dans les régions ayant atteint un certain stade industriel
que se développera l’anarcho-syndicalisme en mouvement de masse,
surtout les régions lyonnaise, parisienne, du centre industriel
(Limoges et Clermont-Ferrand) ; la Catalogne et le nord de
l’Espagne ; les secteurs industriels de l’Italie du Nord
où l’Union syndicale italienne compte jusqu’à 300 000 adhérents
en 1920 ; en Bulgarie, une Confédération nationale du travail
fut formée ; dans la paysannerie pauvre aussi, le socialisme
libertaire s’implante où il trouve rapidement une forme
violente et de guérilla.
En
France, la répression de la Commune par les Versaillais avait
conduit aux massacres et à la déportation de plusieurs dizaines
de milliers de travailleurs et de militants. Presque vingt ans
furent nécessaires pour reconstruire le mouvement ouvrier organisé.
Malgré
les répressions diverses, de la diminution de salaire à la fusillade
de grévistes, les travailleurs se réorganisèrent et peu à peu
les syndicats se développèrent, et les anarchistes ont rapidement
compris – après l’échec du terrorisme [12]
– que là se situait le cadre véritable de la lutte du prolétariat.
Du grand nombre de militants actifs et dévoués qui déployèrent
leur énergie à construire l’organisation de classe du prolétariat,
quelques noms ont été retenus par l’histoire, qui ne doivent pas
nous faire oublier que des milliers d’autres ont travaillé à leurs
côtés.
De
cette œuvre collective naquirent une pratique et une théorie,
le syndicalisme révolutionnaire qui fut comme l’écho des idéaux,
l’Internationale anti-autoritaire ; ses militants :
Pelloutier, Pouget, Yvetot, d’origine anarchiste Griffuelhes,
d’origine blanquiste, et des socialistes de gauche animés par
le typographe Allemane, surent dépasser leurs divergences idéologiques
pour défendre l’indépendance de l’organisation de classe centre
les guesdistes du Parti ouvrier français et leur position social-démocrate
classique de subordination du syndicalisme au parti socialiste
et à son action parlementaire, ainsi que son cantonnement à la
seule revendication économique.
De
cet accord naquit la charte d’Amiens, rédigée par Pouget et Griffuelhes,
résumant tout le syndicalisme révolutionnaire. :
Le
congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2 constitutif de
la C.G.T. disant :
« La
C.G.T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs
conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat
et du patronat. »
Le
Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance
de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique les
travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation
et d’oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre
par la classe capitaliste contre la classe ouvrière.
Le
Congrès précise par les points suivants cette affirmation théorique :
Dans
l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicat poursuit la coordination
des efforts ouvriers. l’accroissement du mieux-être des travailleurs
par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution
des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc.
Mais
cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme :
il prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que
par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen
d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui
groupement de résistance, sera dans l’avenir le groupe de production
et de répartition, base de la réorganisation sociale...
Le
Congrès déclare que cette besogne quotidienne et d’avenir découle
de la situation des salariés, qui pèse sur la classe ouvrière
et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs
opinions ou tendances politiques ou philosophiques ; .un
devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat.
Comme
conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme
l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du
groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant
à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander
en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat ‘les opinions
qu’il professe en dehors.
En
ce qui concerne les organisations, le Congrès déclare qu’afin
que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique
doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations
confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à
se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté,
peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale. »
En
dehors des idées-forces du syndicalisme révolutionnaire – lutte
des classes devant se résoudre par l’expropriation capitaliste
au moyen de la grève générale. liaison permanente entre la revendication
quotidienne et le but révolutionnaire, autogestion de la production
et de la distribution par les travailleurs organisés dans leurs
syndicats sur une base de classe, priorité accordée à la situation
objective du travailleur réellement exploité et dominé contre
l’opinion socialiste du citoyen, la Charte d’Amiens est un contrat,
presque un compromis, entre travailleurs qui estiment que l’intérêt
de classe est prioritaire face aux divergences idéologiques et
philosophiques, plaçant le syndicalisme au-dessus des partis.
C’est une charte d’unité.
Cette
unité put être conservée malgré la guerre – cet écroulement de
la IIe Internationale socialiste, de la C.G.T révolutionnaire,
voire même de certains anarchistes [13]
– et ce sont les conséquences de la révolution russe qui brisèrent
en plusieurs tronçons le mouvement ouvrier français.
******************************
LA RÉVOLUTION RUSSE ET SES RÉPERCUSSIONS
SUR LE MOUVEMENT SYNDICALISTE RÉVOLUTIONNAIRE FRANÇAIS
« Là-bas,
on ne veut ni les gardes blancs, ni notre pouvoir. »
Lénine,
Xe congrès du Parti bolchevik,
à propos de la Commune de Cronstadt.
La révolution russe
Lorsque
éclate la révolution russe de 1917, le mouvement ouvrier n’est
pratiquement pas organisé ; les syndicats sont interdits,
les militants révolutionnaires traqués par la police. Existe cependant
un atout, l’industrie russe, très récente, est extrêmement concentrée ;
mois les ouvriers qui y travaillent sont dépourvus de tradition
prolétarienne et commencent seulement la longue élaboration vers
une pratique et une théorie autonomes qui ne peuvent être que
le résultat de dizaines d’années de lutte et d’espérance.
Un
embryon de socialisme paysan est présent parmi l’énorme masse
rurale, proche du « solidarisme » agricole du Moyen-âge
européen : « La terre appartient à Dieu, donc
à personne, si ce n’est à celui qui la travaille. »
:
L’anarcho-syndicalisme,
d’apparition récente en Europe occidentale, est presque inexistant
dans la Russie de 1917. Les théories socialistes libertaires s’y
développent, mais comme tous les autres courants révolutionnaires
d’alors en Russie, elles attirent surtout l’intelligentsia, avec
les inconvénients que cela comporte : soit l’avant-gardisme
dirigiste pour ceux qui estiment le prolétariat incapable d’arriver
de lui-même à la conscience politique – socialistes révolutionnaires
(héritiers du courant blanquiste du populisme), et surtout bolcheviks
– soit le spontanéisme absolu, le refus de toute organisation
pour ceux qui parent le prolétariat de toutes les vertus.
Cette
intelligentsia, qui est une couche d’intellectuels n’oyant pas
de perspectives d’avenir sous un régime autocratique ne leur permettant
que l’obéissance servile dans le cadre de la bureaucratie d’Etat,
constituera – comme la bourgeoisie libérale en 1789 en France
– les cadres révolutionnaires qui formeront l’armature des divers
partis de gauche et d’extrême gauche. Après avoir impulsé différentes
formes de résistance, ces partis seront tous débordés à gauche,
à partir de février 1917, par les masses mises en mouvement par
le piteux effondrement de l’autocratie ; les diverses formes
de conseils – soviets – sont la concrétisation politique de cette
radicalisation des ouvriers, des paysans et des soldats – des
« paysans en capote grise » – et l’embryon de la nouvelle
organisation de la société sur des bases socialistes.
Le
parti bolchevik au début verra d’un très mauvais oeil le développement
des soviets car ils constituaient une organisation de travailleurs
incontrôlés par le parti et, dons la mesure où les ouvriers, soldats
et paysans entendaient y déterminer leur propre politique, cette
libre détermination court-circuitait le rôle du parti. Il a fallu
l’arrivée de Lénine pour que le parti change d’attitude ;
alors son mot d’ordre devint : « Tout le pouvoir aux
soviets ! » C’est sur ce mot d’ordre que s’effectua
la prise du pouvoir d’Etat par les bolcheviks en octobre.
Pendant
cette période de formidable essor d’organisation de la classe
ouvrière par les soviets, syndicats et comités d’usine, l’anarcho-syndicalisme
se développa de manière très importante, par exemple l’Union de
propagande anarcho-syndicaliste Goloss Trouda, en Russie du Nord
(Petrograd), (« la Voix du travail ») de l’été 1917
au printemps 1918 publia un hebdomadaire puis un quotidien et
fonda une maison d’édition ; à partir de 1919, les bolcheviks
liquidèrent l’organisation ; en Russie centrale, la Fédération
des groupes anarchistes de Moscou publiait également un quotidien.
Le 12 avril 1918, la police attaque ses locaux, l’artillerie est
utilisée et six cents camarades sont arrêtés. C’est la première
fois que léninistes et libertaires se combattent les armes à la
main. Trotsky s’en réjouit : « Enfin le pouvoir soviétique
débarrasse, avec un balai de fer, la Russie de l’anarchisme. »
L’organisation
libertaire la plus importante fut sans doute la Confédération
des organisations anarchistes de 1’Ukraine, dite Nabate (« le
tocsin »), du nom de son journal. Elle éditait également
« la Voie vers la liberté », tantôt hebdomadaire tantôt
quotidien. L’armée insurrectionnelle avait également un organe
la Voix du makhnoviste. Elle eut un rôle très important
dans la lutte des paysans et ouvriers d’Ukraine à la fois contre
les nationalistes ukrainiens (Petlioura), les gouvernements fantoches
à la solde des Austro-allemands après la paix de Brest-Litovsk
(l’hetman Skoropadski), les généraux blancs Denikine et Wrangel
et enfin contre l’armée rouge en 1920. La Confédération d’Ukraine
fut l’embryon de la confédération anarchiste panrusse, qui tenta
de réunir tous les libertaires avant de disparaître sous les coups
des bolcheviks. A partir de la fin de 1920 et particulièrement
après Cronstadt (mars 1921), n’existaient que des groupes isolés
qui fuyaient la répression [14].
Le
programme du parti bolchevik, aux dires mêmes de Lénine, n’était
pas un programme socialiste [15].
Il considérait que l’instauration d’un capitalisme d’Etat constituerait
un progrès par rapport à la situation antérieure ; aussi
préconisait-il le contrôle absolu de la production par un organisme
d’Etat nommé par le parti, une direction des entreprises également
désignée par l’Etat et la soumission de fait des organisations
ouvrières et paysannes aux impératifs de la politique édictée
par le parti. Cela conduisait à terme, par la substitution des
nominations aux élections, à la suppression de toute organisation
autonome des travailleurs. Le centre de gravité de la révolution
se transféra progressivement des soviets aux syndicats, des syndicats
aux comités d’usine pour disparaître enfin sous les coups de cette
police bolchevik dont les insurgés de Cronstadt exigeaient la
dissolution. Ce processus de substitution s’est étendu sur trois
années, de 1919 à 1921.
Quelques
faits sont significatifs :
– en
1919, au IIe congrès des syndicats, l’indépendance
de l’organisation syndicale est repoussée ;
– en décembre 1919,
les statuts du parti exigent que les communistes forment dans
tout groupement non politique – soviet ou syndicat – une « fraction »
complètement subordonnée au parti, tous les points de l’ordre
du jour du syndicat devaient être préalablement débattus par la
fraction, obligée de suivre les directives du comité central ;
les statuts prévoyaient en outre que « les candidats à tous
les postes les plus importants du groupement ou de l’organisme
intéressé, au sein duquel fonctionne la fraction, sont nommés
par la fraction avec le concours de l’instance compétente du part » ;
– en
décembre 1921, une conférence du parti décide que dorénavant l’on
ne nommera aux postes syndicaux que des « membres anciens
et expérimentés » du parti « qui n’avaient appartenu
à aucun autre parti que le P.C. » [16].
La
brutalité des réquisitions amena également des jacqueries paysannes
– 10 000 paysans révoltés en 1920 en Russie centrale, près
de Tambov. En 1921, vingt-huit bandes de paysans allant chacune
jusqu’au millier d’hommes attaquaient les commissaires et les
unités de police.
Le
débat quant à savoir si les bolcheviks eurent raison, et surtout
s’il était possible de faire autrement reste encore actuel. On
invoquera l’arriération du prolétariat ou les nécessités de la
guerre contre la réaction. L’argument nous paraît insuffisant
dans la mesure où les travailleurs jusqu’en 1920-1921, date à
laquelle ils ont été définitivement écrasés, ont lutté contre
la bureaucratie envahissante et pour obtenir la liberté d’expression
dans leurs organisations. D’autre part, le prolétariat ouvrier
et paysan a toujours fait front contre l’ennemi commun, les Blancs,
unité qui a permis la victoire militaire.
Sur
ce plan, les libertaires ont toujours subordonné leur ligne politique
aux impératifs de la lutte contre la réaction. En Ukraine, où
nos camarades représentaient la plus grande force révolutionnaire,
l’armée insurrectionnelle de Nestor Makhno s’allia aux bolcheviks
et supporta le plus gros des efforts militaires contre les blancs.
On
a d’ailleurs trop souvent tendance à ne considérer que l’aspect
militaire du combat des makhnovistes. Ainsi sa section culturelle
et éducatrice fit un gros effort de propagande ; on
peut lire dans son organe, La voie vers la liberté :
« Il est nécessaire que les ouvriers eux-mêmes dans
les usines et les entreprises, les paysans eux-mêmes dans leurs
“pays” et leurs villages se mettent à la construction de la société
anti-autoritaire en n’attendant de nulle part des décrets-lois.
Ni les armées anarchistes, ni les héros isolés, ni les groupes,
ni la Confédération anarchiste ne créeront une vie libre pour
les ouvriers et les paysans. Seuls les travailleurs eux-mêmes,
par des efforts conscients, pourront construire leur bien-être,
sans Etat ni seigneur. »
Fin
1919, alors que la province d’Ekaterinoslaw est complètement couverte
par l’armée insurrectionnelle, à Ekaterinoslaw même des commissions
d’initiatives furent formées avec des délégués des syndicats ouvriers
et de paysans qui réussirent à rétablir la circulation des trains,
rouvrir des usines, reconstituer des syndicats là où l’avancée
des blancs les avait détruits et à relancer la production agricole
sur la base d’une fédération de communes libres [17].
L’essentiel
de cette expérience fut résumé dans un programme-manifeste, en
avril 1920.
« Les travailleurs eux-mêmes doivent choisir leur propre
conseil qui exécutera les volontés et les ordres de ces mêmes
travailleurs ; ce seront donc des conseils exécutifs et non
d’autorité. La terre, les usines, les entreprises, les mines,
les transports, etc., les richesses du peuple doivent appartenir
au peuple ; elles doivent donc être socialisées. »
A
partir de novembre 1920, l’Armée rouge lança une série d’attaques
contre la makhnovtchina et fusilla la plupart des compagnons de
Makhno et des milliers de paysans.
La
dernière phase de la lutte organisée du prolétariat contre la
bureaucratie se déroula en mars 1921, à Cronstadt.
Déjà
des heurts avaient eu lieu entre les ouvriers et marins de Cronstadt
et le conseil des commissaires du peuple, certaines initiatives
étant mal comprises par les bolcheviks, par exemple des liaisons
économiques directes avec l’Union des agriculteurs, ou des essais
de socialisation de la terre et des lieux d’habitation. Certains
bolcheviks de Cronstadt même s’étaient désolidarisés du parti
et avaient été exclus « pour déviation anarcho-syndicaliste ».
Fin
février 1921, à la suite de pénurie alimentaire et du régime policier
des usines, les faubourgs de Petrograd se soulevèrent ; des
grèves, des manifestations eurent lieu, durement réprimées. Le
28 février, partant du cuirassé Petropavlovsk, des résolutions
de protestations circulèrent à travers les équipages de la flotte
et gagnèrent les arsenaux de toute l’île. La conscience politique
des travailleurs et des marins était très élevée, due sans doute
à la haute qualification professionnelle que demandait leur travail
et à la concentration de tant d’ouvriers. En outre, ils avaient
eu des contacts avec les ouvriers occidentaux et notamment avec
les dockers et marins français, affiliés à la C.G.T. et en majorité
anarcho-syndicalistes.
Maintenant
que la guerre civile était gagnée, ils réclamaient le droit d’élire
leurs soviets, la libération des prisonniers politiques socialistes
de gauche ou anarchistes, la liberté de propagande pour ces mêmes
tendances, le droit syndical, l’égalité des rations alimentaires
avec les bolcheviks dans les usines et le droit pour les artisans
n’employant pas de salarié de travailler librement. Le parti bolchevik
répondit avec des canons et massacra la garnison.
Pendant
le même temps, se tenait le Xe congrès du parti bolchevik.
Les délégués devaient y discuter des thèses de l’Opposition ouvrière,
animée par A. Kollontaï et Chliapnikov, dont l’essentiel
tenait dans la perspective de gestion syndicale de l’économie ;
n’oublions pas que les syndicats étaient déjà fermement tenus
en main par les fractions bolcheviks.
Deux
résolutions proposées par Lénine furent adoptées à ce congrès :
1. La résolution dite « Pour l’unité du parti »,
qui interdisait le droit de tendance à l’intérieur du parti, provisoirement.
De cette manière, la formule célèbre des bolcheviks « discutons
d’abord, mais frappons ensemble » ne s’appliquait plus ;
en fait cette motion interdisait toute discussion réelle dans
le parti et seule la voix du comité central pouvait se faire entendre.
2. La motion dite « Contre la déviation syndicaliste
et anarchiste », qui condamnait les thèses de l’Opposition
et se terminait par les mots « ...le congrès du P.C. russe
rejette résolument ces idées qui traduisent une déviation syndicaliste
et anarchiste et juge indispensable : 1. d’engager contre
elles une lutte idéologique et méthodique ; 2. de reconnaître
que la propagande de ces idées est incompatible avec la qualité
de membre du parti ».
La
peau de chagrin de la démocratie continuait à diminuer et la discipline
de fer qui régnait maintenant dans le parti fit que lorsque Trotsky
comprit enfin qu’il était temps de réagir et constitua sa timide
« Opposition de gauche », il ne rallia pas les masses ;
il avait largement contribué à les briser.
L’appareil
était prêt pour Staline et la constitution de la nouvelle classe.
• TOUT LE POUVOIR AUX SOVIETS ET NON AUX PARTIS.
• LE POUVOIR DES SOVIETS LIBÉRERA LES TRAVAILLEURS DES
CHAMPS DU JOUG DES COMMUNISTES.
• VIVE CRONSTADT ROUGE AVEC LE POUVOIR DES SOVIETS LIBRES.
Les Isvestias de Cronstadt.
Ses répercussions
« C’est
l’époque à laquelle, par enthousiasme pour la révolution russe,
le syndicalisme révolutionnaire accomplit son propre suicide.
La révolution d’octobre nous avait plongés dans une telle joie
que... nous oubliâmes ce
que nous savions pourtant depuis toujours : que les bolcheviks
n’auraient rien de plus pressé que de nous étouffer des qu’ils
auraient, avec notre aide, écrasé la bourgeoisie. »:
Fritz
Brupbacher, « Soixante ans d’hérésie »
in
Socialisme
et liberté, op. cit.)
Aujourd’hui,
alors que plus de cinquante ans ont passé, il nous est difficile
de comprendre la grande vague d’espoir qui accompagna la nouvelle
de la victoire de la révolution russe ; après la faillite
de la IIe Internationale, l’écroulement du mouvement
ouvrier devant la guerre et les compromissions du « social-patriotisme »,
avec aussi les gigantesques massacres qui accompagnèrent la Grande
Guerre, le prolétariat et les révolutionnaires qui se réclamaient
de lui, relevèrent la tête : là-bas, ils avaient réussi « leur
assaut du ciel ». Il fallait les soutenir, contre vents et
marées, soulevés par la peur des capitalistes mais aussi contre
ceux qui doutaient, les éternels don Quichotte insatisfaits et
impatients.
Ainsi,
on put voir le mouvement syndicaliste révolutionnaire, héritier
des fédéralistes de la 1re Internationale et qui par
cette tradition aurait pu analyser les évènements et anticiper
sur leur devenir, abandonner sa lucidité pour les ambiguïtés de
l’enthousiasme. D’abord, en dehors d’un très petit cercle de militants
très formés, souvent des intellectuels [18],
le bolchevisme était à peu près inconnu [19].
En
Europe occidentale, on ne connaissait que le marxisme de la IIe Internationale,
parlementariste et réformiste. En outre, un certain nombre de
notions admises par le syndicalisme révolutionnaire semblaient
se retrouver dans le bolchevisme :
•
Les
minorités agissantes ; le syndicalisme révolutionnaire a
toujours proclamé qu’une minorité dirigeante doit entraîner les
masses. En 1921, Monatte pensait que le P.C. était peut-être capable
d’être cette minorité dirigeante ; seul le retenait une réticence
envers les hommes : « C’étaient de si drôles de cocos,
tous ces politiciens. Leur chef de file, par exemple Cachin Marcel
(...) avait bel et bien été mêlé au versement de fonds consentis
par le gouvernement français à Mussolini pour le lancement d’un
journal interventionniste » [20].
•
L’ambiguïté
de la notion de dictature du prolétariat [21] ;
qui exerce cette dictature ? le parti, les soviets ?
Quel est son contenu exact, dictature politique, et donc policière,
inquisitoriale, répressive, ou simplement coercition économique,
découlant de l’expropriation ;
• L’imprécision
de la notion d’Etat dépérissant ; Monatte avait fait sienne
l’idée de l’Etat tel que Lénine la définit dans son livre 1’Etat
et la Révolution [22].
Ce
n’est que plus tard, trop tard, entre 1920 et 1924 que les syndicalistes
révolutionnaires apprirent ce qui se passait en Russie, ce qu’était
le bolchevisme. Et c’est sur l’indépendance du syndicalisme que
la collaboration entre eux et les bolcheviks achoppa.
Brupbacher, toujours lui,
porte témoignage de l’intérêt des dirigeants bolcheviks pour les
syndicalistes révolutionnaires. Lors de son entrevue avec Trotsky
(1921), il exposa leur conception : ne pas se noyer dans
le parti, être des alliés.
« Cette façon de voir rencontra chez Trotsky l’opposition
la plus violente. Il était tout à fait persuadé, déclara-t-il,
que le syndicalisme révolutionnaire représentait l’élément le
plus sain du mouvement français, mais que deux organisations menant
l’une à côté de l’autre une existence autonome, c’était tout à
fait impossible [23].
L’I.C. était toute disposée à accorder aux syndicalistes révolutionnaires,
tant au comité central du parti qu’à la rédaction de l’Humanité,
la majorité des sièges. » Brupbacher continue : « Pour
ma part, j’étais fixé. Le vainqueur, non seulement des généraux
blancs mais aussi des marins de Cronstadt, avait formulé une menace
dont le ton montrait assez qu’on ne parlait pas, ici, de camarade
à camarade, mais de chef à subordonné. »
Dans
le mouvement français, la tactique de l’I.C. a consisté à opposer
les deux courants du syndicalisme révolutionnaire, l’un mené par
Monatte et ses camarades, l’outre animé par Pierre Besnard. Leur
ligne de clivage était l’adhésion à l’Internationale syndicale
rouge, annexe syndicale de l’I.C. Cette tactique a réussi alors
que dans les comités syndicalistes révolutionnaires et plus tard
dons la C.G.T.U., les syndicalistes révolutionnaires étaient majoritaires,
leur opposition sur des positions de circonstances leur fit oublier
ce qui fondamentalement les liait : l’indépendance du mouvement
syndical. Au congrès de Saint-Etienne (25 juin – 1er
juillet 1922), la rupture est consommée : communistes et
syndicalistes révolutionnaires de la tendance Monatte votent la
résolution Monmousseau (743 mandats), la résolution Besnard est
repoussée (406 mandats).
La motion de Monmousseau
– pas encore bolchevik – est partisane de l’égalité entre les
forces révolutionnaires : « dans cette œuvre révolutionnaire,
le syndicalisme, plaçant la révolution au-dessus de tout système
et de toute théorie, se déclare prêt à accepter l’aide de toutes
les forces révolutionnaires » et il repoussait la « liaison
organique » : « le congrès estime que l’action
commune peut se réaliser sans que se justifie la création de liens
organiques »
« En
opposition la résolution Besnard affirmait que “le syndicalisme
doit vivre et se développer dans l’indépendance absolue, qu’il
doit jouir de l’autonomie complète qui convient à son caractère
de principale force révolutionnaire ». En déclarant que « le
syndicat est l’organe complet de production, de gestion, d’administration
et de défense d’une société reposant exclusivement sur le travailleur,
de la base ou faîte de son édifice », la résolution Besnard
traduisait la formule : « tout le pouvoir au syndicat »
[24].
Le
11 janvier 1924, deux syndicalistes sont tués par les communistes
lors d’un meeting à la maison des syndicats ; la tendance
Besnard se retire et constitue une Union fédérative autonome,
qui se transformera à partir de 1926 en Confédération générale
du travail syndicaliste révolutionnaire (CG.T.-S.R.).
La
même année, Monatte est exclu du P.C [25] ;
ses amis restent à la C.G.T.U. où ils mènent un combat d’arrière-garde.
En 1925, Monatte fonda La
Révolution prolétarienne avec quelques militants de la tendance
« Vie ouvrière » [26].
Cette revue, dont la parution dure encore [27],
eut une grande importance dans le mouvement de cette époque, surtout
par sa propagande en faveur de l’unité syndicale. En outre, ses
militants (Chambelland, comptable dans le textile, Martinet, instituteur,
Finidori, fonctionnaire, ami de Bourguiba, proche des militants
nord-africains qui fondèrent « L’Etoile nord-africaine »),
Charbit, secrétaire du syndicat des typos unitaire, Robert Louzon,
Hagnauer etc.) furent parmi les plus ardents défenseurs de l’indépendance
du syndicalisme face à l’ingérence des partis politiques.
En
1929, au congrès de la C.G.T.U., à une motion présentée par les
communistes :
« Le congrès précise, enfin, sa détermination de travailler
sur tous les terrains en accord étroit avec le P.C., seul parti
du prolétariat et de lutte des classes révolutionnaire, qui au
travers de toutes les batailles de la période écoulée, a conquis
sa place de seule avant-garde prolétarienne dirigeante du mouvement
ouvrier »,
ils
réussissent à adjoindre :
« la proclamation de ce rôle dirigeant et sa reconnaissance
ne sauraient être interprétées comme la subordination du mouvement
syndical. »
Autrement
dit, le syndicat reconnaît le rôle le dirigeant du parti,
mais ne lui est pas subordonné !
******************************
LA C.G.T.S.R.
Dans
les années trente en France, les syndicalistes révolutionnaires
se trouvaient donc à militer dans les deux grandes centrales syndicales.
A
partir de 1924-1926, certains syndicalistes révolutionnaires et
anarcho-syndicalistes, à la suite de Pierre Besnard, s’organisèrent
dans une nouvelle centrale, nommément syndicaliste révolutionnaire,
la C.G.T.S.R. Cette scission de la C.G.T.U. commença par le passage
à l’autonomie – après l’assassinat de syndicalistes par les communistes
à la Maison des syndicats, le 11 janvier 1924 à Paris – d’un certain
nombre d’unions départementales, la Somme, l’Yonne, la Gironde
et le Rhône, et la fédération du bâtiment, d’abord regroupées
dans l’Union fédérative des syndicats autonomes de France, elles
se confédérèrent les 1er et 2 novembre 1926, à
Lyon. A ce congrès fut adoptée comme document de référence la
résolution présentée par P. Besnard au nom des cheminots
de Paris-Etat-Rive gauche au congrès constitutif de la C.G.T.U.,
en juillet 1922. Elle prit le nom de charte de Lyon (voir annexe
IV).
La
C.G.T.S.R. s’affilia à l’Association internationale des travailleurs,
nouvelle manière (voir annexe III).
Malgré
son faible effectif numérique, moins de 10 000 adhérents,
le rôle de la C.G.T.S.R. ne fut pas négligeable, d’abord par la
diffusion de la propagande (un hebdomadaire ; le Combat
syndicaliste), par sa théorie du syndicat force principale
et hégémonique de la révolution sociale [28]
et enfin par le soutien très actif qu’elle apporta à tous les
exilés politiques italiens, russes, bulgares, allemands, espagnols,
qui fuyaient les régimes totalitaires [29].
En outre, pendant la révolution espagnole, en tant que section
sœur de la C.N.T. d’Espagne, elle participa très activement à
la divulgation de l’information sur les événements d’outre-Pyrénées
et à l’aide matérielle, en hommes, en armes et en argent. La C.G.T.S.R.,
en tant que confédération, s’est sabordée en 1939.
A
partir de 1930, avec l’Association internationale des travailleurs,
nouvelle manière [30],
les syndicalistes libertaires remettent en cause la neutralité
syndicale, et le paragraphe célèbre de la Charte d’Amiens :
« Comme conséquence, en ce qui concerne les individus,
le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer,
en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant
à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander
en réciprocité de ne pas introduire dons le syndicat les opinions
qu’il professe au dehors. »
et ils proclamaient la nécessité pour le syndicalisme
de se développer non seulement hors des partis politiques, mais
contre eux. A. Schapiro pouvait écrire en 1937 :
« La grande guerre balaya la charte du neutralisme syndical.
Et la scission ou sein de la Première Internationale entre Marx
et Bakounine eut son écho – à la distance de presque un demi-siècle
– dons la scission historiquement inévitable ou sein du mouvement
ouvrier international d’après-guerre. Contre la politique de l’asservissement
du mouvement ouvrier aux exigences de partis politiques dénommés
“ouvriers”, un nouveau mouvement, basé sur l’action directe des
masses en dehors et contre tous les partis politiques, surgissait
des cendres encore fumantes de la guerre 1914-1918. L’anarcho-syndicalisme
réalisait la seule conjonction de forces et d’éléments capables
de garantir à la classe ouvrière et paysanne sa complète indépendance
et son droit inéluctable à l’initiative révolutionnaire dans toutes
les manifestations d’une lutte sans merci contre le capitalisme
et contre l’Etat, et d’une réédification, sur les ruines des régimes
déchus, d’une vie sociale libertaire. »
******************************
LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE
Population de l’Espagne au recensement
de 1930
Population totale : 23 563 867 habitants.
Population active : 35,51 % de la population
totale.
Population active par secteurs
d’activité (en pourcentage de la population active).
agriculture :
45, 51 %
industrie :
26,51 %
services :
27,90 %
U.G.T.
(Union Générale des Travailleurs, syndicat de tendance socialiste)
1 million d’adhérents environ en 1936.
C.N.T.
Confédération Nationale du Travail, syndicat de tendance anarcho-syndicaliste)
1,5 million d’adhérents environ en 1936.
L’U.G.T.
fut fondée en 1888, la C.N.T. en 1910 ; elles sont les deux
organisations de masse traditionnelles de la classe ouvrière espagnole.
(Et la S.T.V. pour la classe ouvrière basque.)
Espagne 36
Le
mouvement ouvrier espagnol commença à s’organiser sous l’impulsion
des militants bakouniniens de la 1re Internationale,
vers 1866. La tendance révolutionnaire de l’A.I.T. s’y développe
à tel point que la Fédération régionale ibérique devient, en affiliés,
la force prédominante de l’A.I.T.
Ainsi,
lorsque survint le coup d’Etat fasciste de juillet 1936 et la
révolution ouvrière et paysanne qui y répondit, il y avait 70
ans d’action et de propagande libertaires au sein du peuple espagnol.
Cela
explique :
1)
Qu’au lendemain du « pronunciamiento » fasciste des
centaines de milliers de travailleurs soient descendus dans la
rue, montés à l’assaut des casernes, réussissant à déjouer les
plans des militaires fascistes et à limiter leur déferlement sur
toute l’Espagne – ces militaires qui ne purent vaincre, après
près de trois ans de guerre, qu’avec l’appui militaire direct
de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, l’ingérence politique
soviétique et la « non-intervention » desdites démocraties
occidentales ;
2)
Que l’anarcho-syndicalisme espagnol soit parvenu à organiser presque
instantanément la production industrielle et agricole socialisée
dans les régions où il était implanté et qui ne tombèrent pas
aux mains des franquistes (essentiellement : Levant, Catalogne
– un des deux principaux centres industriels avec le Nord-Ouest
– et Aragon – où sur une population de 433 000 habitants
dans la zone républicaine il y eut 200 000 collectivistes
environ).
L’Espagne
de 1936 est le seul exemple historique du prolétariat réussissant
– sous l’impulsion de la C.N.T. – à s’opposer les armes à la main
au fascisme et parvenant à organiser la production économique
sur des bases socialistes.
C’est
par des années d’expérience de la lutte de classes au sein de
la C.N.T. que le prolétariat a pu être matériellement et idéologiquement
prêt à faire face à cette situation. Les militants anarcho-syndicalistes
espagnols n’avaient cessé de rappeler aux travailleurs et aux
paysans qu’ils devraient un jour se battre pour défendre leurs
intérêts et la cause du socialisme, et qu’ils devaient pour cela
s’organiser dans leurs syndicats.
C’est
à ce niveau que nous trouvons la différence essentielle entre
marxistes-léninistes et anarcho-syndicalistes. Nous soutenons
que s’emparer du pouvoir d’Etat n’a aucun sens si le prolétariat
n’est pas au préalable organisé et préparé pour prendre en main
la production. Cette prise en main ne peut se faire par décision
de l’appareil d’Etat, par décret : elle ne peut se faire
qu’à travers les organisations de classe et de masse des travailleurs.
C’est
pourquoi nous avons toujours combattu les conceptions réformistes,
social-démocrates et marxistes-léninistes – conceptions d’esprit
petites-bourgeoises qui veulent limiter le syndicat à l’action
revendicative et tout au plus à un pseudo-contrôle en cas de gouvernement
socialiste.
Alors
que le parti bolchevique a mis des mois, voire des années, pour
réorganiser la production en Russie, en Espagne elle s’est faite
en peu de temps. Les conditions étaient bien évidemment différentes,
mais cela est également lié à la nature des deux courants qui
prédominaient dans ces deux situations : en Russie, une organisation
qui mettait l’accent sur une minorité d’avant-garde ; en
Espagne, une organisation de masse préparée à des tâches autogestionnaires,
politiques, sociales et économiques. Ce n’est que parce que les
militants de la C.N.T. ont réussi à organiser rapidement la production
sur des bases collectivistes libertaires que l’effort de guerre
a pu être maintenu pendant près de trois années – et cela quels
que soient les avatars militaires de cette même guerre. Sans la
C.N.T., le fascisme se serait installé sans peine en Espagne dès
l’année 1936.
(Cf.
la bibliographie pour les détails sur l’autogestion en Espagne ;
en particulier les ouvrages en français de Gaston Leval et de
Frank Mintz.)
Si
la Révolution russe a militairement réussi mais socialement échoué,
la Révolution espagnole, socialement réussie, a militairement
échoué.
La révolution espagnole battue militairement
L’ensemble
des opérations militaires ne peuvent évidemment pas entrer dans
le cadre de cette brochure, ni même leurs grandes lignes de par
leur complexité.
Schématiquement,
et pour notre propos, il nous fout retenir :
1.
– L’intervention militaire directe et immédiate des Italiens et
des Allemands
2.
– L’aide conditionnelle de l’URSS : payer rubis sur ongle
le peu de matériel militaire livré et qu’il ne soit utilisé que
par les forces sous contrôle communiste ; le P.C.E. étant
plus que minoritaire, payer « politiquement » ce matériel
une seconde fois en « parachutant » à de hautes responsabilités
et à des postes clés des hommes du P.C... La conséquence :
une force politique gonflée artificiellement, monopolisant et
utilisant souvent d’une façon désastreuse un matériel de guerre
payé par le peuple espagnol ;
3.
– La « non-intervention » des « démocraties »
occidentales – dont le symbole est resté Léon Blum à juste titre
– qui sacrifiaient le peuple espagnol pour éviter une guerre mondiale...
et surtout la victoire d’une révolution.
Ces
trois points permettent de situer la défense militaire des forces
armées « républicaines » et de dire qu’elle est due
à une coalition d’intérêts internationaux des plus divers.
Une
seule nation dans le monde n’a pas combattu directement ou indirectement
l’Espagne révolutionnaire : le Mexique.
Pendant
de longues années, certains socialistes et le P.C.E. maintenaient
que la défaite militaire était imputable à l’incapacité organisatrice,
à l’indiscipline congénitale des anarcho-syndicaliste. Alors que
la C.N.T. (forte de près de 2 millions d’adhérents au cours de
la guerre), consciente que seule la victoire armée sur les franquistes
pouvait consolider les premiers acquis révolutionnaires et les
étendre par la suite, participait activement à la création de
divisions militarisées pour faire front aux exigences de la situation
et fournissait en tant qu’organisation de masse de la classe ouvrière
et paysanne le plus fort contingent militaire avec l’U.G.T. et
s’en tenait à cette ligne malgré les mille et une provocations
et trahisons de la part du P.C.E, [31]
et de certains secteurs républicains et socialistes coalisés dans
l’intention de détruire l’œuvre de la C.N.T. et celle-ci, se comportant
ainsi en alliés objectifs du franquisme.
Tandis
que cette calomnie s’estompe, la « nouvelle critique »
– les trotskistes en particulier – en diffuse une autre qui se
résume grosso modo ainsi : les libertaires espagnols
ont eu tort d’agir comme il vient d’être mentionné ci-dessus ;
ils auraient dû mener une « guerre révolutionnaire »,
soulever la classe ouvrière résidant dans la zone tenue par les
franquistes en implantant la guérilla.
Ils
calquent là un autre slogan qui, au cours de la Seconde Guerre,
voulait qu’on soulève la classe ouvrière allemande contre Hitler...
La
réponse est simple : les militants de la C.N.T. se sont posé
le problème de ce « soulèvement ». Il y eut même des
tentatives de guérilla. Mais dans l’ensemble cela se limita à
des actions de renseignement et de sabotage. Car – rappel qui
ne doit jamais nous faire oublier qu’il ne faut en aucun cas sous-estimer
son adversaire – les franquistes, avant même leur coup d’Etat,
avaient envisagé ce problème. Ils avaient envisagé une solution
nette, brutale, une « solution finale » : éliminer
physiquement et massivement tous les militants connus et sympathisants,
instaurer sur le reste de la classe ouvrière la terreur policière
sous toutes ses formes.
Et
c’est ainsi que la classe ouvrière espagnole, résidant dans la
zone restant aux mains des franquistes après le coup d’Etat, fut
aussitôt écrasée, de même que les quelques sursauts dans les semaines
suivantes.
Les
hommes et les femmes susceptibles de soutenir une guérilla en
zone franquiste ont disparu dans les toutes premières semaines...
et avec eux toute tentative de « soulèvement » en zone
franquiste.
Aperçus sur la répression de 1939 à 1944
En
avril 1939, à la fin de la guerre civile espagnole, les vaincus
furent essentiellement les travailleurs les militants des organisations
ouvrières de la C.N.T. et de l’U.G.T. qui avaient empêché le triomphe
immédiat du fascisme par les armes, qui formèrent leurs milices
et leurs colonnes pour tenir les fronts militaires face à l’armée
franquiste et qui réalisèrent dans le domaine socio-économique
des expériences des plus riches qu’il soit pour l’avenir d’une
société émancipée.
Pourtant,
pour la classe ouvrière espagnole, la guerre ne se termina pas
le 1er avril 1939. Elle se poursuivit par l’emprisonnement
de milliers de femmes et d’hommes par les camps de concentration
où s’entassèrent jusqu’à 2 000 000 de personnes. Parmi
les plus « renommés » de ces camps : Albatera,
Los Almendros, Santa Eulalia del Campo, San Marcos de Leon.
Avec
le progressif démantèlement des camps de concentration, 300 000
Espagnols sont détenus dans les prisons ; 300 000 autres
sont en liberté surveillée.
Environ
500 000 travailleurs prirent le chemin de l’exil : les
uns pour l’Afrique du Nord, les plus « chanceux » pour
l’Amérique et la grande majorité pour la France où ils furent
« accueillis » dans des camps de concentration – desquels
un certain nombre d’entre eux furent transférés dans les camps
d’extermination (8 000 périrent à Mauthausen) ou retournés
à Franco par Vichy (40 000).
Données précises sur la terreur fasciste
En
1940, le journaliste anglais A.V. Phillips, après avoir passé
cent trente jours dans les prisons de Madrid, déclare que dans
cette capitale environ 1 000 sentences de mort sont prononcées
chaque mois, et que de mars 1939 à mars 1940 environ 100 000
personnes étaient exécutées.
Le
comte Ciano, dans ses Archives secrètes, découvertes à Rome par
les Alliés, qui comprennent les années 1936-1942, écrit (page
294) qu’en juillet 1939 les exécutions étaient très nombreuses :
Madrid 250 exécutions quotidiennes, Barcelone 150, Séville 80,
etc. (ce qui dépasse de loin les chiffres de Phillips, pour Madrid.)
Charles
Folft, historien américain, écrit qu’entre les années 39-44 furent
fusillés 190 684 personnes – chiffre obtenu par un correspondant
de l’Associated Press auprès d’un fonctionnaire du ministère de
la Justice franquiste. Il n’est pas inutile d’indiquer que l’exécution
de 430 professeurs d’université et de quelque 6 000 instituteurs
correspond à l’élimination physique de 50 % du corps
enseignant.
Et
tout ce qui précède ne concerne que les années 39-44. Car il ne
faut pas oublier la terreur fasciste exercée en territoire conquis
par Franco au cours de la guerre civile même, ainsi que les nouvelles
vagues répressives après 1944 lorsque Russes et Américains décidèrent
le « statu quo » pour l’Espagne.
La réorganisation du mouvement ouvrier
dans la clandestinité
Cette
tragique période de répression, s’abattant sur les travailleurs,
ne se caractérise pourtant pas uniquement par cette répression.
Car
de 1939 jusqu’à 1950, la C.N.T. (ainsi que l’U.G.T., mais cette
dernière à un degré moindre) entreprend l’entreprise titanesque
de réorganisation et de reconstruction de ses syndicats dans la
clandestinité.
Juste
avant la fin de la guerre, après la campagne de Catalogne, dans
Barcelone occupée, restent des militants de la C.N.T. qui, dans
la clandestinité, conservent une continuité organique à divers
syndicats (spectacle, transport, bâtiment, arts graphiques, métallurgie) ;
divers partis : PSUC et catalanistes, se maintiennent de
même organisés. Bien que plus précaire, la continuité organique
se maintient également dans la région Nord, en Aragon, dans les
Asturies.
Dans
la zone Centre-Sud qui tombe la dernière, la réorganisation de
la C.N.T. doit se rechercher dans les propres camps de concentration.
Le rapide enfoncement de ce front et son caractère central, géographiquement,
ne permet pas un exode massif comme en Catalogne. Les camps sont
remplis de travailleurs et de militants ouvriers. A Albatera (Alicante)
sont détenus 17 000 hommes provenant presque tous des divisions
républicaines 28 et 25, c’est-à-dire deux des colonnes formées
de travailleurs anarcho-syndicalistes appartenant à la C.N.T.
Parmi eux se trouvent plusieurs Comités régionaux de la C.N.T.
C’est
dans un climat d’exécutions quotidiennes et des plus sauvages
vengeances que les travailleurs comprennent qu’ils doivent maintenir
leur organisation, et ainsi fut nommé dans ce camp le premier
Comité National de la C.N.T. d’après-guerre et dont la première
mission fut de sauver les compagnons les plus menacés.
Dès
cette époque, en Catalogne, sont constitués et agissent 14 syndicats
C.N.T. clandestins. Barcelone compte 30 000 cotisants.
En
1940, tombe à Valence le premier Comité national C.N.T. nommé
dans le camp d’Albatera. Tous les membres du C.N. sont fusillés.
En huit ans, plus de dix comités nationaux se succédèrent. Détruits
l’un après l’autre. Reconstruits l’un après l’autre.
Clandestinement
sont publiés plusieurs organes d’expression C.N.T. Barcelone édite
son classique Solidaridad Obrera, en tant qu’organe du
Comité régional ainsi que des organes par industrie tels que El
Martillo, de la Fédération de la métallurgie. En Aragon, Cultura
y Accion qui atteint jusqu’à 10 000 exemplaires. A Valence
Fragua Social. Les Asturies, le Pays Basque et Madrid éditent
leur C.N.T. Regional ; dans cette capitale s’éditent
aussi Fraternidad, en alliance avec l’UGT et Castilla
Libre.
Pendant
que le gouvernement franquiste recrute pour la « Division
Azul », en 1941, à la « Maestranza de Ingenieros »
de Cadix les travailleurs militarisés font une grève revendicative
– la première après la défaite selon nos données – animée et soutenue
par des militants de la C.N.T.
Avec
le retour des militants à partir de 1944, le plus haut niveau
d’organisation clandestine sera atteint au cours des années 1945
à 1948. En 1947, la C.N.T. a 60 000 cotisants à Barcelone
– une seule localité en compte 6 000. Solidaridad Obrera,
édite en petit format, tiré à 50 000 exemplaires qui sont
distribués dans toute l’Espagne par l’intermédiaire des travailleurs
affiliés au syndicat ferroviaire C.N.T. clandestin.
Les
réseaux de la C.N.T. s’étendent jusqu’aux prisons, où on réussit
à tenir des réunions et des assemblées.
Les
premières grandes grèves d’après-guerre ont lieu dans le textile
de Barcelone (1945-46), de même en Biscaye se déclare la grève
générale le 1er mai 1947. On assiste à une grande diffusion
de propagande à Barcelone, la situation inquiète la bourgeoisie.
A partir de 1946, une fois passée la crainte pour les franquistes
d’être entraînés dans la chute du fascisme et du nazisme, le régime
se sent assez fort pour une deuxième vague répressive. La police
et les phalangistes s’attaquent aux syndicats clandestins. Jusqu’à
20 comités nationaux C.N.T. vont tomber – 7 comités nationaux
se retrouveront simultanément à la prison d’Ocana. Les organisations
de coordination nationale sont démantelés, les militants arrêtés.
L’organisation confédérale qui eut toujours une vocation de syndicat
de masse doit resserrer ses rangs, se structurer au niveau de
groupes restreints qui, de fait, se trouvent ainsi un peu à part
de la base ouvrière qui fut toujours le levain de la C.N.T. Le
déclin de la lutte de masse va de 1948 à 1950.
Ce
titanesque effort de réorganisation syndicale en une telle situation
est systématiquement ignoré par les historiens marxistes qui font
remonter la renaissance de la lutte ouvrière vers 1962.
Il
faut se souvenir que la C.N.T. fut pratiquement le seul organisme
à maintenir l’esprit de lutte de classe ouvrière espagnole et
à donner une cohérence au mouvement ouvrier de 1939 à 1948 [32].
******************************
CONCLUSION DE LA PARTIE HISTORIQUE
Le
mouvement ouvrier international d’aujourd’hui reste très marqué
par l’expérience et les conséquences de la révolution russe ;
si le P.C.F. et la C.G.T. influencent encore largement des travailleurs
en France, c’est parce que ceux-ci croient plus ou moins clairement
que le sort de la classe ouvrière est meilleur en U.R.S.S. que
dans les pays capitalistes – ce qui sur certains plans est vrai.
Les crimes des bolcheviks et la dictature proche du délire de
Staline ont été habilement travestis en « erreurs »,
en excès locaux et particuliers.
Il
est vrai que se poser le problème du socialisme, c’est d’abord
s’interroger sur l’U.R.S.S., ses caractéristiques et son devenir.
L’U.R.SS. et la nouvelle classe
Peut-on
dire que l’U.R.S.S. a des caractères socialistes ? Les « conquêtes
d’octobre » n’ont-elles pas donné naissance à une nouvelle
classe sociale dont la planification, la nationalisation et le
monopole du commerce extérieur, aux mains de l’Etat, sont les
bases sociales, de la même manière que la propriété privée, la
loi de la valeur et la liberté du commerce sont les fondements
du capitalisme.
On
a trop cru que l’histoire ne pouvait suivre qu’un seul chemin,
et que puisque là-bas était brisée la propriété privée, il ne
pouvait naître que le socialisme. Cette nouvelle classe – collectivement
propriétaire et gestionnaire de l’Etat, lui-même propriétaire
de toute la richesse sociale, a toutes les caractéristiques des
classes exploiteuses et despotiques de l’histoire : privilèges,
ambition, impérialisme ; elle maltraite la classe ouvrière
qu’elle domine tout autant que les capitalistes ; elle s’appuie
sur des forces armées permanentes et omniprésentes ; son
Etat est renforcé par une quasi-religion, le marxisme-léninisme
qui tente d’englober toute la réalité historique, sociale, philosophique,
artistique, voire même scientifique [33]
de l’humanité et par là-même d’assurer sa pérennité.
En
outre, les possibilités d’évolution démocratique semblent extrêmement
faibles ; en effet, cette nouvelle classe n’existe que par
un phénomène généralisé de substitution : le parti-Etat se
substitue aux travailleurs qui sont toujours théoriquement propriétaires
collectivement de l’U.R.S.S. ; aussi tout processus démocratique
remettant en cause cette substitution saperait les pouvoirs de
la bureaucratie, tendrait à la détruire. Peut-on penser que, sans
violence, elle disparaîtrait ? La nouvelle classe issue de
l’intelligentsia révolutionnaire de Russie connaîtra sans doute
le sort des autres classes d’exploiteurs qui l’ont précédé :
la décomposition interne, le relâchement de la répression par
la corruption, la concussion. Elle ne sera balayée de la scène
historique que par une nouvelle révolution, au terme d’une longue
évolution qui verra se multiplier à la fois les luttes sociales
des travailleurs, les résistances nationales à la russification
et les actions pour une plus grande démocratie.
On
ne peut tirer de conclusions définitives.
La
nouvelle classe est née par l’intermédiaire de l’Etat dictatorial,
confirmant de manière tragique les analyses de Bakounine
sur le caractère non neutre de l’Etat ; pourtant deux explications
sont en présence :
1.
– D’un agglomérat d’individus de diverses couches sociales, dont
les dirigeants sont des intellectuels d’origine bourgeoise venus
au socialisme par le raisonnement, naît une classe sociale par
le truchement d’un Etat qui est à la fois un instrument politique
et l’organisation généralisée de la production.
2.
– Une couche sociale diffuse particulière des pays peu industrialisés
et dominés économiquement par l’impérialisme des nations industrielles
– l’intelligentsia – prend la direction des luttes nationales
et sociales, se fabrique un appareil politico-économique de domination
sur la société et réalise ainsi deux objectifs : réaliser
sa finalité de couche sociale sans avenir dans l’autocratie tsariste
et réaliser l’industrialisation sur des bases nationales [34].
Les
deux phénomènes sont sans doute liés ; en outre, ce que les
socialistes de 1920 avaient pu croire un accident de parcours
semble se réaliser un peu partout dans le tiers monde, c’est-à-dire
les nations peu industrialisées anciennement colonisées [35] :
l’Egypte, l’Algérie, la Chine, toutes proportions gardées et compte
tenu des conditions particulières à chaque pays sont toutes bâties
sur le même schéma : économie à peu près totalement étatisée
et planifiée, commerce extérieur monopolisé par des sociétés nationales,
parti unique, idéologie totalisante et obligatoire et surtout
domination et exploitation des travailleurs par les syndicats
intégrés à l’Etat et rouage d’incitation à la production,
Deux types de société
Deux
modèles de société sont en lutte actuellement sur la terre ;
elles sont toutes deux des versions du capitalisme – patronat,
privé ou étatique. Loi de la valeur et salariat demeurent dans
l’une et l’autre. Néocapitalisme et capitalisme d’Etat ne représentent
aucunement l’intérêt des travailleurs ; ils sont lourds de
menaces : des écologistes craignent que la destruction des
terres arables, par l’agriculture intense, et la démographie galopante
amènent le retour des disettes voire des famines ; on parle
d’épuisement des matières premières, de pollution chimique et
radioactive ; le malaise de la production pour la production
– c’est-à-dire pour le profit, privé ou étatique – s’accroît dans
toutes les consciences, même chez les privilégiés. Plus que jamais
le dilemme est socialisme ou barbarie.
Pourquoi l’anarcho-syndicalisme aujourd’hui
Pour
le plus grand nombre de militants se proclamant socialistes et
révolutionnaires, le problème actuel du mouvement ouvrier est
une question de direction ; c’est là l’essentiel de l’analyse
du célèbre « Programme de transition » de Trotsky :
la IIIe Internationale a failli avec l’instauration
de la bureaucratie en U.R,S.S. qui est devenue un Etat ouvrier-dégénéré,
mais qui conserverait malgré tout des caractères socialistes avec
les « conquêtes d’octobre », la nationalisation, la
planification et le monopole du commerce extérieur. Il faut donc
reconstruire une nouvelle internationale, réellement révolutionnaire
celle-là, qui sera l’organisation dirigeante de la révolution
mondiale selon le classique schéma à trois étages : la classe,
le syndicat-école du socialisme, le parti qui seul pourra briser
l’Etat et le capitalisme parce qu’il aura réuni l’avant-garde,
la partie la plus consciente et la plus dynamique des travailleurs.
Cette
conception nous semble entachée d’un certain nombre d’erreurs,
sur trois plans.
1.
– Cette direction est revendiquée par les partis d’avant-garde
au nom de leur « science socialiste », à la fois tactique,
stratégique et théorique. C’est implicitement nier aux travailleurs
la possibilité de se créer en classe sociale, en sujet agissant ;
les travailleurs sont pour ces camarades une plèbe ; l’histoire
du mouvement ouvrier est la négation vivante de cette théorie,
nous y reviendrons.
2.
– Dans la réalité des faits, les partis d’avant-garde ne sont
pas en leur majorité animés par des travailleurs. La conscience
socialiste devant être « apportée du dehors », c’est
au-dehors du prolétariat que l’ouvrier révolutionnaire doit former
son intelligence et affermir sa conviction. Et dans cette formation
est inclus le devoir de se mettre à l’école des « intellectuels
bourgeois venus ou socialisme », lequel n’est pas né des
aspirations et de la pratique ouvrières mais jailli de la réflexion
de ces mêmes intellectuels.
3.
– Le danger subsiste de voir capté un bouleversement social par
ces mêmes partis d’avant-garde, lesquels pourraient se transformer
encore une fois en nouvelle classe.
A
cette conception, nous opposons le syndicalisme révolutionnaire,
ou anarcho-syndicalisme.
Le
syndicalisme, de la Première Internationale à aujourd’hui, est
sans aucun doute le produit de la lutte des travailleurs contre
l’oppression et l’exploitation ; nous le pensons supérieur
en qualité aux partis politiques, à tous les partis politiques,
« réformistes » ou « révolutionnaires ».
1.
Il n’est formé que des travailleurs ; basé sur l’intérêt
objectif, il peut permettre de réunir en son sein des individus
ayant des opinions différentes, à condition qu’il respecte le
« contrat » de la démocratie syndicale. Il donne en
outre aux travailleurs intellectuels toute leur place, mais rien
que leur place.
2.
Par la pratique de la revendication quotidienne liée à un objectif
de transformation sociale, il permet de dépasser le conflit réforme
ou révolution, conflit insoluble dans toute autre forme d’organisation.
3.
Par sa structure organique fédérative verticale, par syndicat
et fédération d’industrie et horizontale par unions locales départementales
et régionales, il préfigure le schéma de la société socialiste,
en même temps que par la démocratie directe des sections syndicales
et le fédéralisme de son processus de décision il anticipe et
prépare ce qui pourrait être une véritable démocratie socialiste.
Par
sa vie interne et par ses structures, le syndicalisme ne pose
pas le problème du mouvement ouvrier en termes de direction, mais
en un long processus d’auto-organisation et d’auto-formation.
Il peut et il doit le poser à tous les niveaux : local, régional,
national et international, dans tous les domaines, celui de l’action
revendicative à court terme et du processus de transformation
sociale, pratiquement et théoriquement.
Nous
ne considérons pas que la « théorie » socialiste soit
figée et définitive ; elle ne peut être que la résultante
des expériences de la classe ouvrière internationale ; mais
une filiation existe de l’A.I.T. de 1864 au syndicalisme de 1906,
aux conseils ouvriers, paysans et soldats de 1905 et 1917, à l’anarcho-syndicalisme
de la révolution espagnole jusqu’au socialisme autogestionnaire
d’aujourd’hui. C’est toujours le même projet qui rejaillit des
profondeurs mêmes du prolétariat lorsqu’il peut librement théoriser
sa pratique et ses aspirations.
Qu’on
le nomme syndicalisme révolutionnaire, anarcho-syndicalisme, socialisme
autogestionnaire n’a que peu d’importance, il est l’authentique
théorie de classe des travailleurs, celle qui veut construire
une société de paix, de bien-être et de liberté, un monde sans
classes et sans Etat.
******************************
A N N E X E S
Résolution de Saint-Imier
Considérant :
que
vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme
politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire
à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que
réactionnaire ;
que
nul n’a le droit de priver les sections ou fédérations autonomes
du droit incontestable de déterminer elles-mêmes et suivre la
ligne politique qu’elles croiront la meilleure, et que toute tentative
semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme ;
que
les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d’autre objet
que l’établissement d’une organisation et d’une fédération économiques
absolument libres, fondées sur le travail et l’égalité de tous
et absolument indépendant de tout gouvernement politique, et que
cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le
résultat de l’action spontanée du prolétariat lui-même, des corps
de métiers et des communes autonomes ;
Considérant
que toute organisation politique ne peut rien être que l’organisation
de la domination au profit d’une classe et au détriment des masses,
et que le prolétariat, s’il voulait s’emparer du pouvoir, deviendrait
lui-même une classe dominante et exploitante,
Le congrès réuni à Saint-Imier déclare :
que
la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir
du prolétariat ;
que
toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire
et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être
qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat
que tous les gouvernements existants aujourd’hui ;
que, repoussant tout compromis pour arriver à
l’accomplissement de la révolution sociale, les prolétaires de
tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise,
la solidarité de l’action révolutionnaire.
******************************
Extraits d’un article sur
« Idées sur l’organisation sociale »
paru
dans « les cahiers de l’humanisme libertaire »
C’est
en 1876, à la Chaux-de-Fonds, que parut l’essai de James Guillaume
Idées sur l’organisation sociale. Il fut réédité en 1921
par la Bibliothèque du travail. Le texte en avait été copié à
la main par Pierre Monatte (cela pour la petite histoire).
James
Guillaume présente sa brochure comme une synthèse. C’est lui qui
en a écrit la trame ; puis il a fait circuler son projet
parmi ses amis qui l’annotèrent, le corrigèrent, précisèrent certains
points. Son ouvrage est la somme de toutes ces réflexions diverses.
« La réalisation des idées contenues dans les pages qu’on
va lire, nous prévient-il, ne peut s’obtenir qu’au moyen d’un
mouvement révolutionnaire ».
En
effet, bien que les situations sociales évoluent lentement, bien
que cette transformation ne s’opère que graduellement, les rapports
de production ne se modifient que progressivement, les idées nouvelles
ne pénétrant que lentement les masses, c’est une action brutale,
brusque qui doit briser le carcan des anciennes institutions et
préluder à la naissance du monde nouveau. Au bout d’un certain
temps, la contradiction devenant toujours plus sensible entre
les institutions sociales, qui se sont maintenues, et les besoins
nouveaux un conflit est inévitable, une révolution éclate...
« Il y a donc deux faits successifs, dont le second
est la conséquence nécessaire du premier : d’abord, la transformation
lente des idées, des besoins, des moyens d’action au sein de la
société ; puis quand le moment est venu où cette transformation
est assez avancée pour passer dans les faits d’une manière complète,
il y a la crise brusque et décisive, la révolution qui n’est que
le dénouement d’une longue évolution, la manifestation subite
d’un changement dès longtemps préparé et devenu inévitable. »
Il
est donc inutile de préparer un plan de campagne révolutionnaire ;
la révolution ne s’opère pas selon un thème préconçu, mais sous
l’impulsion incontrôlable de forces auxquelles nul ne commande.
James
Guillaume est évidemment partisan de l’action directe avant la
lettre. Ouvriers et paysans ne doivent pas attendre un hypothétique
décret d’un lointain gouvernement révolutionnaire. Il est nécessaire
de détruire un certain nombre d’institutions... « suppression
radicale du gouvernement, de l’armée, des tribunaux, de l’Eglise,
de l’école [36],
de la banque et de tout ce qui s’y rattache ». Ce sera le
côté négatif de la révolution.
Mais
en même temps, « la révolution aura un côté positif :
c’est la prise de possession des instruments de travail et de
tout le capital par les travailleurs ».
James
Guillaume commence par analyser ces diverses phases chez les travailleurs
des champs. Contrairement à ce que prétend la propagande bourgeoise,
dit-il, les socialistes – les « partageux » – ne veulent
nullement enlever sa terre au paysan. L’exploitant qui cultive
loi-même sa propriété n’a rien à craindre. La révolution ne lui
enlèvera pas ses champs et ses prés ; au contraire, elle
lui en assurera la propriété et lui fournira les moyens de les
cultiver [37].
Toujours
dans ce domaine, il est simplement question d’exproprier les nobles,
les bourgeois, le clergé, c’est-à-dire essentiellement les propriétaires
terriens qui ne cultivent pas eux-mêmes leurs domaines. Ceux-ci
seront ensuite donnés aux véritables et légitimes propriétaires :
ceux qui les font fructifier.
Lors
d’une révolution bourgeoise et politique et d’une réforme agraire,
le nouveau gouvernement annonçait sa volonté par des décrets.
Il fallait attendre son ordre et, une fois celui-ci venu, obtempérer
sons discussion ni murmure : « le décret était affiché
dans les communes, et le préfet, les tribunaux, le maire, les
gendarmes le faisaient exécuter. »
Mais,
lors de la prochaine révolution socialiste « dès que le tocsin
de la Révolution aura sonné, agissez, comme l’ont fait les paysans
français en 1789, sons attendre les ordres de personne. Prenez
possession de vos terres ». (Nota : cette citation ne
se trouve pas dans le texte de James Guillaume. En revanche on
trouve ceci : « La Révolution (…) veut prendre les terres
des bourgeois, des nobles et des prêtres, pour les donner à ceux
des paysans qui n’en ont pas. »)
Cela
sera également vrai pour les ouvriers des villes, ils ne devront
pas attendre décrets et décisions mais prendre directement possession
des moyens de production et du capital.
Terre,
usines, capital en main, comment s’organiseront les travailleurs ?
Les
paysans se trouveront dans deux positions : un certain nombre
qui cultivaient auparavant un lopin de terre le conservent ;
le plus grand nombre, cultivateurs de grands domaines, le cultivent
en commun. L’essentiel est que la terre appartienne à ceux qui
la cultivent. Evidemment les agriculteurs devront se pencher sur
le problème de la meilleure exploitation possible. ; c’est
une question d’organisation interne de la commune. Dons une région
qui, avant la révolution, aura été un territoire de petits propriétaires
et où le sol sera peu propice à la grande culture, il est possible
que pendant longtemps la terre reste divisée en petites parcelles.
Simplement les valets de ferme qui aidaient le propriétaire seront
devenus ses associés. Les paysans étant organisés collectivement
dans la commune, au moins pour vendre leurs produits, pour acheter
ou louer des machines, s’aidant pour divers grands travaux, Guillaume
pense que peu à peu des habitudes coopératives et communautaires
remplaceront le vieil ordre des choses.
En
revanche, pour les régions de grande culture, il pense qu’il faudra
tout de suite appliquer les procédés de grande exploitation en
commun : dans le futur, une spécialisation, une industrialisation
des cultures s’imposeront.
L’organisation
administrative de base de la société sera la commune, mais les
travailleurs agricoles géreront à leur gré leurs exploitations :
« La gérance de la communauté, élue par tous les associés,
pourra être confiée soit à un seul individu, soit à une commission
de plusieurs membres ; il sera même possible de séparer les
diverses fonctions administratives, et de remettre chacune d’elles
à une commission spéciale. La durée de la journée de travail sera
fixée non par une loi générale appliquée à tout le pays, mais
par une décision de la communauté elle-même… »
Le
système de rémunération variera selon la décision de la communauté.
« Les produits du travail, poursuit James Guillaume,
appartiennent à la communauté et chaque associé reçoit d’elle,
soit en nature (subsistances, vêtements, etc.), soit en monnaie
d’échange, la rémunération du travail accompli par lui. Dans quelques
associations, cette rémunération sera proportionnelle à la durée
du travail et de la nature des fonctions remplies ; d’autres
systèmes encore pourront être essayés et pratiqués. »
Le
principal idéal dont doit s’approcher le plus possible la société
futur « de chacun suivant ses forces à chacun selon ses besoins »,
ne pourra se réaliser que dans un lointain futur, mains une fois
cette abondance existant « on ne mesurera plus d’une main
scrupuleuse la part qui revient à chaque travailleur ;
chacun pourra puiser dans l’abondante réserve sociale ».
« En attendant, c’est à chaque communauté à déterminer
elle-même, pendant la période de transition, la méthode qu’elle
croit la plus convenable pour répartir le produit du travail entre
ses associés. »
Les
anticipations de Guillaume concernant le monde paysan sont particulièrement
pertinentes. Si on peut émettre quelques réserves sur sa confiance
en la spontanéité constructive révolutionnaire, on se doit d’applaudir
.au principe des collectivisations en liberté. Elles éviteraient
les erreurs sanglantes qu’ont commises les bolcheviks, ou la décollectivisation
après plusieurs années de politique collectiviste, comme en Pologne.
Quant au régime intérieur, étant soumis au contrôle des mandants,
on peut penser qu’il serait libre et égalitaire, en tous les cas
perfectible.
Pour
les travailleurs industriels, il distingue plusieurs catégories.
Premièrement l’artisan, qui restera propriétaire de son échoppe ;
deuxièmement, un certain nombre d’industries dans lesquelles la
division du travail n’a pas été poussée très loin : maçonnerie
(à cette époque), menuiserie, imprimerie ; troisièmement,
la grande industrie, où la division du travail est importante,
la production énorme ; filatures, industries métallurgiques,
houillères, etc.
Si
l’artisan peut continuer à posséder son échoppe, s’il peut sans
difficultés échanger sa production, les travailleurs des autres
catégories doivent s’organiser sur la base de l’industrie. Les
ouvriers d’une industrie donnée se garantiront mutuellement la
propriété de leurs moyens de production et, sur cette base de
la propriété collective, s’organiseront en fédérations de métiers
ou d’industrie.
[Nota : le texte de la brochure passe sans transition
à un passage où James Guillaume envisage ce qui se passerait si
les typographes de Rome prenaient possession des imprimeries.
Guillaume écrit : « ils devront immédiatement se réunir
en assemblée générale, pour y déclarer que l’ensemble des imprimeries
de Rome constitue la propriété commune de tous les typographes
romains ». La suite du texte de la brochure n’est pas compréhensible
sans cette précision. R.B. mars 2008.]
« le résultat de ce pacte de solidarité sera la constitution
de tous les établissements typographiques d’Italie comme propriété
collective de la fédération des typographes italiens. »
Ce
sont les prémices du syndicalisme.
Quant
à la gestion intérieure des entreprises et des ateliers « chaque
atelier, chaque fabrique formera donc une association de travailleurs,
qui restera libre de s’administrer de la façon qu’il lui plaira
pourvu que les droits de chacun soient sauvegardés et que les
principes d’égalité et de justice soient mis en pratique. »
Les
rapports des diverses fédérations corporatives se feront sur la
base de la plus stricte égalité, les échanges de produits finis
et de matières premières s’établiront par les communes et les
divers services publics communaux et régionaux
.
L’ORGANISATION COMMUNALE
La
base de la société future sera la commune, qui sera formée de
l’ensemble des travailleurs habitant une même localité ;
c’est la fédération locale des groupes de producteurs. La commune
comprend plusieurs services publics. Notons au passage que certains
services publics sont du ressort de la fédération de communes.
1
– Travaux publics.
Tous les locaux sont propriété de la commune. Une fois la révolution
achevée, chacun continuera d’habiter la maison où il logeait précédemment,
la commune installant les mal-logés dans les demeures de riches
expropriés. Elle devra se mettre à construire de nouvelles habitations
aux frais de tous – c’est-à-dire que les ouvriers du bâtiment
recevront des bons d’échange de la commune pour leur travail.
Construits aux frais de tous, il est normal que les logements
soient gratuits. Personne n’aura de redevance à payer. Guillaume
pense que les différends naissant de cette gratuité disparaîtront
dans les années qui suivront la révolution par la grande quantité
de maisons bâties.
II
– Echanges.
Dans la société nouvelle, il n’y aura plus de commerce dans le
sens qui est attaché aujourd’hui à ce mot. Il sera nécessaire
de créer un comptoir d’échanges. Il remettra aux producteurs des
bons représentant la valeur de leurs produits, les stockera puis
les échangera avec ceux d’autres comptoirs.
Un
certain nombre de producteurs ne pourront apporter leur fabrication
au comptoir, par exemple les maçons ou les travailleurs intellectuels.
Il faudra prévoir une tarification qui paiera ces services. Une
monnaie basée sur la valeur-travail semble être la meilleure solution.
Dans
un futur lointain, Guillaume prévoit que la distribution remplacera
la répartition. Il pense que cette distribution pourrait être
instaurée très vite pour les produits de première nécessité (pain,
lait, charbon, etc.).
III
– Alimentation.
Les différents services alimentaires (boulangerie, abattoirs,
etc.) seront centralisés dans chaque commune.
IV
– Statistique.
Un office de statistiques sera nécessaire dans chaque commune
pour prévoir et préparer la production. Il s’occupera de l’état
civil.
V
– Hygiène et santé.
Cet office s’attachera à créer un organisme curatif parfaitement
au point mais il s’occupera aussi de la distribution de l’eau
potable, de créer des bains publics, des piscines et des stades.
Il verra le service des morts entrer dans ses attributions.
VI
– Sécurité.
Guillaume pense que le bien-être général réduira la criminalité
sans pourtant la rendre nulle. Il faudra prévoir une police communale,
il imagine ce service comme une milice, c’est-à-dire que tout
le monde devra veiller à tour de rôle.
Comment
sera traité le « criminel » dans la société égalitaire ?
« Il faudra le priver de sa liberté et le garder dans une
maison spéciale jusqu’à ce qu’il puisse, sans danger, être rendu
à la société ».
Il
insiste sur le côté pathologique du crime. Il pense que la criminalité
ne sera qu’un « chapitre de la philosophie médicale ».
Quant
aux litiges entre individus, associations, communes, ils seront
jugés par des arbitres désignés par les parties.
Le
service de sécurité comprendra aussi des pompiers. Dans les régions
inondables, il faudra prévoir un corps d’entretien des digues.
« Un vaste système d’assurance complétera cette organisation.
Les corporations et les communes se garantiront un appui mutuel
pour le cas où un désastre, incendie, grêle, viendrait à frapper
une ou plusieurs d’entre elles. »
VII
– Education.
Guillaume commence par poser le principe que « l’enfant n’est
la propriété de personne, il s’ appartient à lui-même. ».
C’est
à la société de se charger de l’entretien de l’enfant. Il hésite
quant à savoir s’il faut élever les enfants en commun ou les laisser
à leurs parents.
Pour
lui, le premier âge de l’éducation, cinq à douze ans, doit être
celui du corps ; de douze à seize ans, l’enfant acquerra
les sciences.
Un
certain nombre de communes possèderont des universités, chaque
étudiant désirant continuer ses études devra s’y rendre, sans
cesser le travail auquel il sera tenu. La fédération créera de
grandes écoles.
Quant
à la pédagogie, il prévoit que les enfants devront s’administrer
eux-mêmes, éliront leurs responsables, etc.
VIII
– Assistance.
Il faudra prévoir un office pour l’entretien des malades, des
infirmes, des vieillards. Cette assistance devra être pensée comme
une obligation de la société et non comme une aumône.
ORGANISATION D’ENSEMBLE
James
Guillaume imagine deux types d’organisation ne se rejoignant qu’à
leur sommet. Premièrement, une organisation de producteurs sur
la base de l’industrie, c’est la fédération corporative ;
deuxièmement, une organisation des travailleurs sur la base de
la localité, c’est la fédération de communes.
1.
La Fédération corporative.
La Fédération corporative, qui groupera non seulement les ouvriers
d’un même métier mais plutôt les travailleurs d’une même industrie,
s’unit avec les autres fédérations non plus pour protéger leurs
salaires contre la rapacité des patrons, mais « pour se garantir
mutuellement l’usage des instruments de travail » ;
en outre, la fédération des groupes permet à ceux-ci d’exercer
un contrôle constant sur la production.
Dès
le lendemain de la révolution, les groupes producteurs appartenant
à la même industrie sentiront le besoin de s’envoyer mutuellement
des délégués « pour se renseigner et s’entendre ».
Un
congrès général constitutif naîtra de ces contacts : « ce
congrès posera les bases du contrat fédératif ». « Un
bureau permanent, élu par le congrès corporatif et responsable
devant celui-ci, sera destiné à servir d’intermédiaire entre les
groupes formant la fédération, de même qu’entre la fédération
elle-même et les autres fédérations corporatives. »
« Une fois que toutes les branches de la production,
y compris celles de la production agricole, se seront organisées
de la sorte, un immense réseau fédératif, embrassant tous les
producteurs et par conséquent aussi tous les consommateurs, couvrira
le pays, et la statistique de la production et de la consommation,
centralisée par les bureaux des diverses fédérations corporatives,
permettra de déterminer d’une manière rationnelle le nombre des
heures de la journée normale de travail, le prix de revient des
produits et leur valeur d’échange, ainsi que la quantité en laquelle
ces produits doivent être créés pour suffire aux besoins de la
consommation. »
Guillaume
précise au passage que ces bureaux n’auront qu’un rôle consultatif
et technique ; la décision appartient toujours aux conseils
des travailleurs.
« Le vote est un procédé propre à trancher des questions
qui ne peuvent être résolues au moyen de données scientifiques,
et qui doivent être laissées à l’appréciation arbitraire du nombre ;
mais dans des questions susceptibles d’une solution scientifique
et précise, il n’y a pas lieu à voter ; la vérité ne se vote
pas, elle se constate et s’impose ensuite à tous par sa propre
évidence. »
2. La Fédération de communes.
La Fédération de communes se constituera comme les fédérations
corporatives par des congrès ; elles se fédèrent entre elles
dans le but de s’entraider, pour l’institution de certains services
publics d’un caractère général, par exemple centraliser et comptabiliser
les renseignements venant des comptoirs d’échanges communaux,
créer, en plusieurs endroits centraux, des comptoirs fédéraux
chargés de stocker et de répartir les produits entre les comptoirs
communaux et s’occupant des relations internationale :s.
Un certain nombre de services, de par leur nature même, sont du
ressort de la fédération : l’entretien et l’administration
des chemins de fer et autres voies de communication, le service
des postes et télégraphes, la marine, l’organisation d’un système
d’assurance entre les communes.
‘
« Le travail accompli par les employés – ils se recruteront
librement parmi les travailleurs que leurs goûts et leurs aptitudes
porteront vers ce genre d’activités – des divers services publics
sera considéré comme l’équivalent de celui auquel sont occupés
les autres travailleurs ; ils choisiront eux-mêmes, par voie
d’élection, ceux d’entre eux qui auront à diriger et à contrôler
le travail. »
« II y aura lieu d’élire des commissions de surveillance,
chargées de s’assurer que les choses se passent conformément aux
décisions prises et de faire rapport à ce sujet au congrès (…)
qui se réunira à des époques fixes. »
Ainsi,
de proche en proche, la Fédération des communes pourra s’étendre
au monde entier ; Guillaume imagine que plusieurs fédérations
pourront exister, mais pour lui « la révolution ne peut pas
être restreinte à un seul pays : elle est obligée, sous peine
de mort, d’entraîner dans son mouvement, sinon l’univers tout
entier, du moins une partie considérable des pays civilisés ».
******************************
Déclaration de principe de l’Association
internationale
Nouvelle
manière (1922-1923),
Extrait de l’Encyclopédie anarchiste.
Association internationale des travailleurs.
Déclaration de principe adoptée au congrès constitutif des syndicalistes
révolutionnaires, à Berlin, du 25 décembre 1922 au 2 janvier 1923.
Etaient
représentées des organisations syndicales révolutionnaires de
l’Argentine, du Chili, du Danemark, de l’Allemagne, de la France
(Comité de défense syndicaliste), de la Hollande, de l’Italie,
du Mexique, de la Norvège, du Portugal, de la Russie (minorité),
de la Suède, de l’Espagne, de la Tchécoslovaquie (minorité).
I – Introduction
La
lutte séculaire entre exploités et exploiteurs a pris une amplitude
menaçante. Le capital tout puissant, chancelant pour un moment
après la guerre mondiale et dévastatrice, surtout après la grande
révolution russe et les révolutions – bien que moins imposantes
– de la Hongrie et de l’Allemagne, relève sa tête hideuse. Malgré
les luttes intestines qui déchirent la bourgeoisie et le capitalisme
cosmopolite, ces derniers sont en bonne voie pour s’entendre afin
de se jeter avec plus d’union et plus de force sur la classe ouvrière
et l’attacher au chariot triomphant du capital.
Le
capitalisme s’organise, et de la défensive dans laquelle il s’est
trouvé il repasse à l’offensive sur tous les fronts contre la
classe ouvrière épuisée par les guerres sanglantes et les révolutions
manquées. Cette origine a son origine profonde dans deux causes
bien déterminées : d’abord la confusion des idées et des principes,
qui existe dans les rangs du mouvement ouvrier, le manque de clarté
et de cohésion sur les buts actuels et futurs de la classe ouvrière
; la division en camps innombrables, souvent ennemies ; en un
mot la faiblesse et la désorganisation du mouvement ouvrier. Ensuite
et surtout la déroute subséquente de la révolution russe qui,
au moment de son éclosion, en raison même des grands principes
énoncés par elle en novembre 1917, avait soulevé les plus grands
espoirs chez tous les prolétaires du monde, et qui est retombé
au rang d’une révolution politique ayant servi à maintenir la
conquête du pouvoir étatiste aux mains du parti communiste, dont
le seul but est de monopoliser dans ses mains toute la vie économique,
politique et sociale du pays. Cette déviation d’une révolution
sociale en une révolution politique a eu pour résultat une hypertrophie
du socialisme étatiste dont la conséquence a été le développement
d’un système capitaliste aussi exploiteur et aussi dominateur
que tout autre système d’origine bourgeoise. La nécessité de rétablir
le capitalisme en Russie a été l’enjeu du capitalisme mondial.
Le socialisme étatiste, dénommé « communiste », a sauvé
le capitalisme bourgeois en faisant appel à son aide pour … sauver
la révolution !
C’est
ainsi que, grâce à ces deux éléments désorganisateurs – la confusion
dans les rangs du prolétariat et le bolchevisme capitaliste –
le gros capital industriel et foncier sent ses forces s’accroître
et ses chances de renaissance augmenter.
Contre
cette attaque serrée et internationale des exploiteurs de tout
aloi, il ne reste qu’un seul moyen : c’est l’organisation immédiate
de l’armée prolétarienne dans un organisme de lutte embrassant
tous les ouvriers révolutionnaires de tous les pays en bloc granitique,
contre lequel viendraient se briser toutes les entreprises capitalistes
et qui finirait par les écraser sous son poids immense.
Plusieurs
tentatives ont déjà été faites dans ce sens. Deux de ces tentatives
espèrent encore y réussir : ce sont les deux Internationales dites
d’Amsterdam et de Moscou ; mais les deux portent en elles le germe
empoisonnant et autodestructeur. L’Internationale d’Amsterdam,
perdue dans le réformisme, considère que la seule solution du
problème social réside dans la collaboration de classes, dans
la cohabitation du Travail et du Capital et dans la révolution
pacifique patiemment attendue et réalisée, sans violence ni lutte,
avec le consentement et l’approbation de la bourgeoisie. L’Internationale
de Moscou, de son coté, considère que le Parti Communiste est
l’arbitre suprême de toute révolution, et que ce n’est que sous
la férule de ce parti que les révolutions à venir devront être
déclenchées et consommées.
Il
est à regretter que dans les rangs du prolétariat révolutionnaire
conscient et organisé il existe encore des tendances supportant
ce qui, en théorie comme en pratique, ne pouvait plus tenir debout
: l’organisation de l’Etat c’est-à-dire l’organisation de l’esclavage,
du salariat, de la police, de l’armée, du joug politique ; en
un mot de la soi-disant dictature du prolétariat qui ne peut être
autre chose qu’un frein à la force expropriatrice directe qu’une
suppression de la souveraineté réelle de la classe ouvrière et
qui devient, par là, la dictature de fer d’une clique politique
sur le prolétariat. C’est l’hégémonie du communisme autoritaire,
c’est-à-dire la pire forme de l’autoritarisme, du césarisme en
politique, de la complète destruction de l’individu.
Contre
l’offensive du Capital d’un côté, contre les politiciens de toute
envergure de l’autre, les ouvriers révolutionnaires du monde doivent
donc dresser une vraie association internationale des travailleurs
dont chaque membre saura que l’émancipation finale des travailleurs
ne sera possible que lorsque les travailleurs eux-mêmes en tant
que travailleurs, dans leurs organisations économiques, seront
préparés non seulement à prendre possession de la terre et des
usines, mais aussi à les gérer en commun et faire de telle sorte
qu’ils soient en état de continuer la production.
Avec
cette perspective devant lui, le Congrès international des Syndicalistes
révolutionnaires, réuni à Berlin en décembre 1922, déclare sienne
la déclaration de principe suivante, élaborée par la Conférence
préalable des Syndicalistes révolutionnaires (juin 1922) :
II – Principes du Syndicalisme révolutionnaire
1.
Le syndicalisme révolutionnaire, se basant sur la lutte de classe,
tend à l’union de tous les travailleurs manuels et intellectuels
dans des organisations économiques de combat luttant pour leur
affranchissement du joug du salariat et de l’oppression de l’Etat.
Son but consiste en la réorganisation de la vie sociale sur la
base du communisme libre, au moyen de l’action révolutionnaire
de la classe ouvrière elle-même. Il considère que seules les organisations
économiques du prolétariat sont capables de réaliser ce but, et
s’adresse, par conséquent, aux ouvriers, en leur qualité de producteurs
et de créateurs des richesses sociales, en opposition aux partis
politiques ouvriers modernes qui ne peuvent jamais être considérés
du point de vue de la réorganisation économique.
2.
Le syndicalisme révolutionnaire est ennemi convaincu de tout monopole
économique et social, et tend vers leur abolition au moyen de
communes économiques et d’organes administratifs des ouvriers
des champs et des usines sur la base d’un système libre de Conseils
affranchis de toute subordination à tout pouvoir ou parti politique.
Il érige contre la politique de l’Etat et des partis l’organisation
économique du travail ; contre le gouvernement des hommes, la
gestion des choses. Il n’a pas, par conséquent, pour but la conquête
des pouvoirs politiques mais l’abolition de toute fonction étatiste
dans la vie sociale. Il considère qu’avec le monopole de la propriété
doit aussi disparaître le monopole de la domination, et que toute
forme d’Etat, la forme de la dictature du prolétariat y comprise,
ne peut jamais être un instrument d’affranchissement, mais sera
toujours créateur de nouveaux monopoles et de nouveaux privilèges.
3.
La double tâche du syndicalisme révolutionnaire est la suivante:
d’un côté il poursuit la lutte révolutionnaire quotidienne pour
l’amélioration économique, sociale et intellectuelle de la classe
ouvrière dans les cadres de la société actuelle. De l’autre coté,
son but final est d’élever les masses à la gestion indépendante
de la production et de la distribution, ainsi qu’à la prise de
possession de toutes les ramifications de la vie sociale. Il est
convaincu que l’organisation d’un système économique reposant,
de la base au faîte, sur le producteur ne peut jamais être réglée
par des décrets gouvernementaux, mais seulement par l’action commune
de tous les travailleurs manuels et intellectuels dans chaque
branche d’industrie, par la gestion des fabriques par les producteurs
eux-mêmes sous une forme telle que chaque groupement, usine ou
branche d’industrie soit un membre autonome de l’organisme économique
général et développe systématiquement sur un plan déterminé et
sur la base d’accords mutuels la production et la distribution
dans l’intérêt de toute la communauté.
4.
Le syndicalisme révolutionnaire est opposé à toute tendance et
organisation centralistes qui ne sont qu’empruntées à l’Etat et
à l’Eglise et qui étouffent méthodiquement tout esprit d’initiative
et toute pensée indépendante. Le centralisme est l’organisation
artificielle de haut en bas qui remet en bloc, aux mains d’une
poignée, la réglementation des affaires de toute la communauté.
L’individu ne devient alors qu’un automate dirigé et mis en mouvement
d’en haut. Les intérêts de la communauté font place aux privilèges
de quelques-uns ; la diversité est remplacée par l’uniformité,
la responsabilité personnelle fait place à la discipline inanimée
; le dressage remplace l’éducation. C’est pour cette raison que
le syndicalisme révolutionnaire se place sur le point de vue de
l’organisation fédéraliste, c’est à dire de l’organisation de
bas en haut, de l’union libre de toutes les forces sur la base
des idées et intérêts communs.
5.
Le syndicalisme révolutionnaire rejette toute activité parlementaire
et toute collaboration avec les organismes législatifs. Le suffrage
le plus libre ne peut faire disparaître les contradictions flagrantes
existant au sein de la société actuelle ; le système parlementaire
n’a qu’un seul but, celui de prêter un simulacre de droit légal
au règne du mensonge et de l’injustice sociale ; amener les esclaves
à opposer le sceau de la loi à leur propre esclavage.
6.
Le syndicalisme révolutionnaire rejette toutes les frontières
politiques et nationales arbitrairement fixées et ne voit dans
le nationalisme que la religion de l’Etat moderne, derrière laquelle
se cachent les intérêts matériels des classes possédantes. Il
ne reconnaît que les différences d’ordre régional et exige pour
tout groupement le droit de sa propre détermination en accord
solidaire avec toutes les autres associations d’ordre économique,
régional ou national.
7.
C’est pour les mêmes raisons que syndicalisme révolutionnaire
combat le militarisme sous toutes ses formes et considère la propagande
anti-militariste comme une de ses tâches les plus importantes
dans la lutte contre le système actuel. En première ligne, il
faut considérer le refus individuel et, surtout, le boycottage
organisé contre la fabrication du matériel de guerre.
8.
Le syndicalisme révolutionnaire se place sur le terrain de l’action
directe et soutient toutes les luttes qui ne sont pas en contradiction
avec ses buts : l’abolition du monopole économique et de la domination
de l’Etat. Les moyens de lutte sont : la grève, le boycottage,
le sabotage, etc. L’action directe trouve son expression la plus
profonde dans la grève générale qui, en même temps, doit être,
du point de vue du syndicalisme révolutionnaire, le prélude de
la révolution sociale.
9.
Ennemis de toute violence organisée entre les mains d’un gouvernement
quelconque, les syndicalistes n’oublient pas que les luttes décisives
entre le capitalisme d’aujourd’hui et le communisme libre de demain
ne se passeront pas sans collisions sérieuses. Ils reconnaissent,
par conséquent, la violence comme moyen de défense contre les
méthodes de violence des classes régnantes dans la lutte pour
l’expropriation des moyens de production et de la terre par le
peuple révolutionnaire. Tout comme cette expropriation ne peut
être commencée et menée à bonne fin que par les organisations
économiques révolutionnaires des travailleurs, la défense de la
révolution doit aussi se trouver dans les mains de ces organismes
économiques et non dans celles d’une organisation militaire ou
autre œuvrant en dehors de ces organes économiques.
10.
Ce n’est que dans les organisations économiques révolutionnaires
de la classe ouvrière que se trouve la force capable de réaliser
son affranchissement et l’énergie créatrice nécessaire pour la
réorganisation de la société sur la base du communisme libre.
******************************
Déclaration
de principe adoptée à Lyon les 1er et 2 novembre 1926
au congrès constitutif de la CGT-SR.
Orientation
syndicale
Charte du Syndicalisme révolutionnaire,
dite de Lyon
En
présence de l’instabilité politique et financière de l’Etat français,
qui peut â tout instant provoquer une crise de régime et par conséquent,
poser la question d’un ordre social nouveau par les voies révolutionnaires,
le congrès, en même temps qu’il se refuse à donner au capitalisme
les moyens de rééquilibrer, déclare que le syndicalisme doit tirer
de cette situation catastrophique le maximum de résultats pour
l’affranchissement des travailleurs.
En
conséquence, il affirme que les efforts du prolétariat doivent
tendre, non seulement à renverser le régime actuel, mais encore
à rendre impossible la prise du pouvoir et son exercice par tous
les partis politiques qui s’en disputent âprement la possession.
C’est ainsi que le syndicalisme doit savoir profiter de toutes
les tentatives faites par les partis, pour s’emparer du pouvoir,
pour jouer lui-même son rôle décisif qui consiste à détruire ce
pouvoir et à lui substituer un ordre social reposant sur l’organisation
de la production de l’échange et de la répartition, dont le fonctionnement
sera assuré par le jeu des rouages syndicaux à tous les degrés.
En
proclamant le sens profondément économique de la révolution prochaine,
le congrès tient à préciser essentiellement, qu’elle doit revêtir
un caractère de radicale transformation sociale devenue indispensable
et reconnue inévitable aussi bien par le capitalisme que par le
prolétariat. Ce caractère ne peut lui être imprimé sur le plan
de classe des travailleurs que par le prolétariat organisé dans
les syndicats, en dehors de toute autre direction extérieure,
qui ne peut que lui être néfaste.
C’est
seulement à cette condition que les soubresauts révolutionnaires
des peuples, jusqu’ici utilisés et dirigés par les partis politiques,
permettront enfin d’apporter un changement notable dans l’ordre
économique et social, ainsi que l’exige le développement des sociétés
modernes.
Le
congrès constate la profonde nouveauté des événements qui se préparent
et rendent inutiles et impossibles les transformations politiques
partielles. Il enregistre aussi que le fascisme, nouvelle doctrine
de gouvernement des puissances d’argent, qui commandent à tout
le système capitaliste, pose lui-même le problème social sous
le même angle économique et entend utiliser le syndicalisme en
l’adaptant à ses vues particulières pour réaliser ses desseins.
En
considération de ce qui précède, le congrès déclare que les événements
prochains en se déroulant dans l’ordre économique vont poser les
nouvelles conditions de vie des peuples et fixer, avec une force
grandissante et insoupçonnée, les véritables caractères de la
vie sociale. Cette vie sera l’œuvre des forces productives et
créatrices associant harmoniquement les efforts des manœuvres,
des techniques et des savants, orientés constamment vers le progrès.
Ainsi
se précisent logiquement les caractères de la transformation nécessaire.
Reprenant les termes de cette partie de la résolution d’Amiens,
qui déclare que "le Syndicat aujourd’hui groupement de résistance,
sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition,
base de la réorganisation sociale", le congrès affirme que
le syndicalisme, expression naturelle et concrète du mouvement
des producteurs, contient à l’état latent et organique, toutes
les activités d’exécution et de direction capables d’assurer la
vie nouvelle.
Il
lui appartient donc, dès maintenant, de rassembler sur un plan
unique d’organisation, toutes les forces de la main-d’œuvre, de
la technique et de la science, agissant séparément, en ordre dispersé,
dans l’industrie et aux champs. En réunissant, dès que possible,
dans un même organisme toutes les forces qui concourent à assurer
la vie sociale, le syndicalisme sera en mesure, dès le commencement
de la révolution, de prendre en mains, par tous ses organes, la
direction de la production et l’administration de la vie sociale.
Comprenant
toute la grandeur et toute la difficulté de ce devoir, le congrès
tient à affirmer que le syndicalisme doit, dès maintenant, remanier
son organisation, compléter ses organes, les adapter aux nécessités
– comme le capitalisme lui-même – et se préparer à agir, demain,
en administrateur et en gestionnaire éclairé de la production,
de la répartition et de l’échange.
Il
ne méconnaît pas l’extrême complexité des problèmes qui seront
posés par la disparition du capitalisme. Aussi, il n’hésite pas
à déclarer que le mouvement des travailleurs, qui ne recèle pas
encore toutes forces nécessaires à la vie sociale de demain, doit
faire la preuve de son intelligence et de sa souplesse en appelant
à lui tous les individus, toutes les activités qui, par leurs
fonctions, leur savoir, leurs connaissances, ont leur place naturelle
dans son sein et seront indispensables pour assurer la vie nouvelle
à tous les échelons de la production.
N’ignorant
pas les changements profonds qui sont survenus dans le domaine
de la science et de la technique, que ce soit dans l’industrie
et dans l’agriculture, le congrès, préoccupé des transformations
nécessaires, n’hésite pas à faire appel aux savants et aux techniciens.
De
même, il s’adresse aux paysans, pour assurer conjointement avec
leurs frères ouvriers la vie et la défense de la révolution qui
ne saurait s’effectuer sans leur concours éclairé, constant et
complet. Le congrès pense qu’ainsi se scellera, par un effort
concordant, harmonieux et fécond, qui les rassemblera tous pour
une même tâche de libération humaine, l’Union des travailleurs
de la Pensée et des Bras, de l’industrie et des champs.
N’ayant
pour unique ambition que d’être les pionniers hardis d’une transformation
sociale dont les agents d’exécution et de direction œuvreront
sur le plan du syndicalisme, les syndicalistes désirent que leur
mouvement, vivant reflet des aspirations et des besoins matériels
et moraux de l’individu, devienne la véritable synthèse d’un mécanisme
social déjà en voie de constitution, où tous trouveront les conditions
organiques, idéalistes et humaines de la révolution prochaine,
désirée par tous les travailleurs.
Demain
doit être aux producteurs, groupés ou associés, en vertu de leurs
fonctions économiques. L’organisation politique et sociale surgira
de leur sein. Elle portera en elle-même, tous les facteurs de
réalisation, organisation, coordination, cohésion, impulsion et
action.
De
cette façon, se dressera en face du citoyen, entité fuyante, instable
et artificielle, le travailleur, réalité vivante, support logique
et moteur naturel des sociétés humaines.
Le syndicalisme dans le cadre national
Son
action générale
La
C.G.T. syndicaliste révolutionnaire affirme, dès sa constitution,
qu’elle entend être exclusivement un groupement de classe :
celui des travailleurs. Elle doit donc, en plein accord sur ce
point, avec la Charte d’Amiens, mener la lutte sur le terrain
économique et social. Véritable organisme de défense et de lutte
de classe, elle est en dehors de tous les partis et en opposition
avec ceux-ci, la force active qui doit permettre à tous les travailleurs
de défendre leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux.
S’inspirant de la situation présente, elle déclare vouloir préparer,
sans délai, les cadres complets de la vie sociale et économique
de demain, dont elle tient à examiner tout de suite les caractères
possibles et le fonctionnement général.
Au
capitalisme – conséquence et résultante de la vie passée, adapté
et façonné par les forces dirigeantes en dehors de toute doctrine
comme de toute théorie – entrant dans le dernier cycle de son
évolution historique, le congrès entend substituer le syndicalisme,
expression naturelle de la vie sociale des individus en marche
vers le communisme libre.
Rejetant
le principe du partage des privilèges chers aux défenseurs de
l’intérêt général et de la superposition des classes -qui est
aussi celui de nos adversaires –, le syndicalisme doit poursuivre
sa mission qui est : de détruire les privilèges, d’établir
l’égalité sociale. Il n’atteindra ce but qu’en faisant disparaître
le patronat, en abolissant le salariat individuel ou collectif
et en supprimant l’Etat.
Il
préconise à ce sujet, la grève générale, l’expropriation capitaliste
et la prise en possession des moyens de production et d’échange,
ainsi que la destruction immédiate de tout pouvoir étatique.
Ses moyens d’action
Précisant
sa conception de la grève générale, le congrès tient à déclarer
fermement que ce moyen d’action conserve, à ses yeux, toute sa
valeur, en toutes circonstances, que ce soit corporativement,
localement, régionalement, nationalement ou internationalement.
Que ce soit pour faire triompher les revendications particulières
ou générales, fédérales ou nationales, offensivement ou défensivement,
la grève, partielle ou générale, reste et demeure la seule et
véritable arme du prolétariat.
En
ce qui concerne la grève générale expropriatrice, premier acte
révolutionnaire qui sera marqué par la cessation immédiate, concertée
et simultanée du travail en régime capitaliste, le congrès affirme
qu’elle ne peut être que violente.
Elle
aura pour objectifs :
1. De
priver le capitalisme et l’Etat de toute possibilité d’action,
en s’emparant des moyens de production et d’échange, et de chasser
du pouvoir ses occupants du moment ;
2. De
défendre les conquêtes prolétariennes qui doivent permettre d’assurer
l’existence de l’ordre nouveau ;
3. De
remettre en marche, l’appareil de la production et des échanges,
après avoir réduit, au minimum – pour la prise de possession –
le temps d’arrêt de la production et des échanges ruraux et urbains ;
4. De
remplacer le pouvoir étatique détruit par une organisation fédéraliste
et rationnelle de la production, de l’échange et de la répartition.
Confiant
dans la valeur de ce moyen de lutte, le congrès déclare que le
prolétariat saura, non seulement prendre possession de toutes
les forces de production, détruire le pouvoir étatique existant,
mais encore sera capable d’utiliser ces forces dans l’intérêt
de la collectivité affranchie et de les défendre contre toute
entreprise contre-révolutionnaire, les armes à la main, et de
donner à l’organisation sociale la forme qu’exigera le stade d’évolution
atteint par les individus vivant à cette époque.
Il
déclare que le terme des conquêtes révolutionnaires ne peut être
marqué que par les facultés de compréhension des travailleurs
et les possibilités de réalisations de leurs organismes économiques,
dont l’effort devra être porté au maximum.
Par
là, le congrès indique que la stabilisation momentanée de la révolution
doit s’accomplir en dehors de tout système préconçu, de tout dogme,
comme de toute théorie abstraite, qui seraient pratiquement en
contradiction avec les faits de la vie économique et sociale exprimant
l’ordre nouveau.
Proclamant
son attachement indéfectible à la lutte révolutionnaire, le congrès
tient, pour bien préciser sa pensée, à déclarer qu’il considère
la révolution comme un fait social déterminé par la contradiction
permanente des intérêts des classes en lutte, qui vient tout à
coup marquer brutalement leur antagonisme, en rompant le cours
normal de leur évolution qu’il tend à précipiter.
En
conséquence, il déclare que le syndicalisme – comme tous les autres
mouvements – a le droit de l’utiliser, suivant ses desseins, pour
atteindre le maximum des buts qu’il s’est fixé, sans confondre
son action avec celle des partis qui prétendent, eux aussi, transformer
l’ordre politique et social, et préconisent pour cela la dictature
prolétarienne et la constitution d’un Etat soi-disant provisoire.
En
dehors de cette action essentielle, le congrès déclare que, par
son action revendicative quotidienne, le syndicalisme poursuit
la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être
des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates,
telles que : la diminution des heures de travail, l’augmentation
des salaires, etc. Il prépare chaque jour l’émancipation des travailleurs
qui ne sera réalisée que par l’expropriation du capitalisme.
En
condamnant la « collaboration des classes » et le syndicalisme
d’intérêt général », le Congrès tient à déclarer que ce ne
sont pas les discussions inévitables entre patrons et ouvriers
qui constituent des actes de collaboration de classes.
En
ne voyant dans ces discussions qui résultent de l’état de chose
actuel, qu’un aspect de la lutte permanente des classes, le Congrès
précise que la collaboration des classes est caractérisée par
le fait de participer dans des organismes réunissant des représentants
des ouvriers, des patrons ou de l’Etat, à l’étude en commun des
problèmes économiques, dont la solution apportée ne saurait que
prolonger, en la renforçant, l’existence du régime actuel.
Le Syndicalisme dans la période pré-révolutionnaire
Considérant
que dans la période pré-révolutionnaire, le rôle du syndicalisme
est de dresser une opposition constante aux forces capitalistes,
par la création des Comités et des Conseils d’ateliers, d’usines,
de bureaux, de chantiers, de gares, de ports, de fermes ou d’exploitations
agricoles dans tous les domaines de la production.
En
même temps que sera menée à bien la besogne de documentation,
d’éducation technique et professionnelle, en vue de la réorganisation
sociale, sera enfin réalisé dans les meilleures conditions, l’apprentissage
de classe de la gestion.
En
indiquant que les Syndicats constitueront les cadres de la Société
nouvelle, le Congrès déclare qu’en ouvrant l’accès du Syndicat
aux techniciens et aux savants, ceux-ci s’y trouveront placés
sur un pied de complète égalité avec les autres travailleurs.
C’est
de la collaboration intelligente et amicale de tous ces éléments
que surgira le véritable Conseil Economique du Travail, qui aura
pour mission de poursuivre le travail de préparation à la gestion
des moyens de production, d’échange et de répartition et charge,
sous la direction des Congrès, de chercher les moyens les meilleurs
pour faire aboutir les revendications ouvrières.
Rapport du Syndicalisme avec les autres forces révolutionnaires
Le
Congrès affirme à nouveau que le Syndicalisme doit vivre et se
développer dans l’indépendance absolue, qu’il doit jouir
de l’autonomie complète qui conviennent à son caractère de force
essentielle de la Révolution.
Par
sa doctrine, ses buts, son action corporative et sociale, le syndicalisme
s’affirme comme le seul mouvement de classe des travailleurs.
Il est capable de réaliser, par lui-même, aux différents stades
de l’évolution humaine, aussi bien communisme organisé que
le communisme libre. :
Ceci
implique qu’il ne peut concourir à la poursuite des objectifs
politiques affirmés par les partis et qu’il ne peut lier son action
à la leur. L’affirmation sans cesse plus nette des buts poursuivis
par les deux autres C. G. T. et leurs partis, oblige la C. G.
T. S. R. à répudier toutes ententes avec ces forces sur le terrain
révolutionnaire. L’opposition fondamentale des buts poursuivis
par les partis et les groupements qui ne reconnaissent pas au
syndicalisme son rôle essentiel, force également la C.G.T.S.R.
à cesser d’observer à leur égard la neutralité syndicale, jusqu’ici
traditionnelle.
En
effet, s’il est encore possible de réunir dans une action corporative
commune, toutes les forces ouvrières groupées dans les trois C.
G. T. [38],
il est indéniable que toute conjugaison de ces mêmes forces, pour
une lutte révolutionnaire, apparaît inutile et vaine, en raison
de l’opposition fondamentale des buts que se sont assignés les
diverses fractions du syndicalisme.
De
toute évidence, cette incompatibilité d’action révolutionnaire
s’étend a fortiori, aux ententes avec les partis politiques
ouvriers qui, tous sans exception, veulent – et c’est leur raison
d’être – instaurer un Etat politique dont ils auraient la direction,
Etat dont le syndicalisme révolutionnaire proclame la nocivité
et nie la nécessité.
En
conséquence, le Congrès de la C.G.T.S.R. ne peut unir ses efforts
à ceux des autres C. G. T. que sur le terrain de l’action quotidienne.
En ce qui concerne la conjugaison des actions révolutionnaires
du syndicalisme et des partis, il affirme qu’elle ne peut s’étendre,
le cas échéant, qu’à la période de destruction de l’Etat bourgeois,
après laquelle chaque force marchera vers ses buts propres.
Le
Congrès est d’ailleurs persuadé que l’unité définitive de toutes
les forces révolutionnaires se réalisera sur le terrain de classe,
dans la phase décisive de destruction de l’Etat bourgeois et du
capitalisme, pour se continuer dans la période constructive; qu’elle
se scellera par l’entrée de tous les travailleurs dans leur groupement
naturel : le Syndicalisme, organe complet de production,
d’administration et de défense d’une société reposant exclusivement
sur le travail, sa répartition, son échange, de la base au faîte
de son édifice.
Le
Congrès déclare que la C. G. T. Syndicaliste Révolutionnaire se
mêlera à toute action révolutionnaire, quels qu’en soient les
facteurs initiaux, mais il affirme son désir inébranlable de tenter,
à cette occasion, de réaliser le maximum des buts poursuivis par
le Syndicalisme Révolutionnaire.
Le Syndicalisme dans le cadre international
Ayant
ainsi défini sa compréhension de l’action du syndicalisme révolutionnaire
sur le terrain national et international, le Congrès donne l’adhésion
de la C. G. T. Syndicaliste Révolutionnaire à l’Association
Internationale des Travailleurs. :
Il
proclame que cette Internationale est la continuation logique
de la Première Internationale, de même que la C.G.T.S.R. est la
continuation de la C. G. T. de 1906, après la faillite des deux
autres C. G. T.
Considérant
que, plus que jamais, les travailleurs ont pour devoir de se tendre
la main par dessus les frontières, et de proclamer qu’ils appartiennent
à une même classe: celle des exploités, le Congrès estime
que, pour opposer un front unique commun irrésistible à la puissance
capitaliste, les ouvriers doivent se réunir au sein d’un organisme
international, au sein duquel ils retrouveront le prolongement
de leur propre action de classe qu’ils engagent dans chaque pays,
contre leur patronat respectif.
Il
estime que la place d’un mouvement syndical basé sur la lutte
de classes ne peut être que dans une Internationale qui accepte
les principes suivants :
Autonomie
complète, indépendance absolue du syndicalisme dans l’administration,
la propagande, la préparation de l’action, dans l’étude des moyens
d’organisation et de lutte future et dans l’action elle-même.
Constatant
que les oppositions rencontrées sur le terrain national entre
les buts poursuivis par les diverses fractions syndicalistes et
les partis politiques se retrouveront aggravées sur le plan international ;
Le
Congrès considère que si l’Internationale Syndicale Révolutionnaire
peut engager des actions communes avec les autres Internationales
syndicales sur le terrain de la lutte quotidienne, industrielle
ou corporative, il lui est impossible de se concerter avec ces
Internationales pour une action révolutionnaire, en raison de
l’opposition des buts poursuivis par chacune d’elles.
De
même, il déclare impossible toute entente avec les Internationales
politiques en vue de réaliser la révolution à l’échelle internationale,
et il estime que, en tous les cas, la conjugaison doit se limiter
au renversement du régime bourgeois dans chaque pays.
Réorganisation des Jeunesses syndicalistes
Considérant
que le développement et l’avenir du mouvement syndical réside
en grande partie dans la formation sans cesse renouvelée de ces
cadres,
Le
Congrès décide que l’éducation des jeunes ouvriers et ouvrières
doit redevenir une des principales préoccupations du syndicalisme.
En
conséquence, il fait obligation très précise aux organismes syndicaux,
à tous les degrés, de reconstituer, sous la direction effective
de la C.G.T.S.R., les Jeunesses Syndicalistes.
Il
spécifie que les Jeunes n’ayant pas à déposer ou à défendre des
revendications, ce qui est du ressort du Syndicat, devront recevoir
une large éducation sociale qui doit leur être donnée par les
Unions Locales, avec le concours des Syndicats.
Les
groupements locaux, régionaux de Jeunes participeront à titre
consultatif aux Assemblées de même nature que la C. G. T. S. R.
Ils devront, dès que possible, aussitôt qu’ils auront acquis les
notions indispensables, être adjoints aux militants locaux, régionaux
et nationaux responsables de la marche des différents rouages
du syndicalisme pour s’initier à leur fonctionnement.
En
outre, le Congrès charge le Bureau Confédéral de présenter au
prochain C. C. N. un plan complet d’organisation des Jeunesses
Syndicalistes.
******************************
APERÇUS
THÉORIQUES
« Le
socialisme est issu des profondeurs mêmes du peuple. Si quelques
penseurs, issus de la bourgeoisie, sont venus lui apporter la
sanction de la science et l’appui de la philosophie, le fond des
idées qu’ils ont énoncées n’en est pas moins le produit dé l’esprit
collectif du peuple travailleur. Ce socialisme rationnel de l’Internationale,
qui fait aujourd’hui notre meilleure force, n’a-t-il pas été élaboré
dans les organisations ouvrières, sous l’influence directe des
masses ? Et les quelques écrivains qui ont prêté leur concours
à ce travail d’élaboration ont-ils fait autre chose que de trouver
la formule des aspirations qui déjà se faisaient jour parmi les
ouvriers ? »
(P.
Kropotkine, Les Temps nouveaux, 1913.)
L’ORGANISATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE
I. – L’anarcho-syndicalisme
et la capacité politique de la classe ouvrière
Un des problèmes les plus
importants qui se posent aux socialistes est de déterminer comment
naît ce qu’on appelle la « conscience de classe » parmi
les travailleurs ; c’est-à-dire comment devient consciente
la conviction en tant qu’individu d’appartenir à un groupe social
déterminé, d’avoir des intérêts semblables avec les autres membres
de ce groupe social et que ces intérêts s’opposent à d’autres
intérêts de classe.
Pour
la plus grande majorité des travailleurs, cette prise de conscience
vient directement de la situation sociale qu’ils vivent quotidiennement ;
elle est le produit direct de l’exploitation et de l’oppression.
Des groupes de base se constituent à partir d’individus solidaires
contre l’axe d’exploitation et d’oppression le plus profondément
ressenti et donc vécu. Quand la solidarité s’ajoute à la révolte,
le désir de s’organiser apparaît et c’est à travers l’organisation
de classe et de masse qui se constitue progressivement que la
classe ouvrière devient sujet, c’est-à-dire capable d’actions
et de pensées autonomes.
La
conscience de classe vient de la situation sociale et de l’action
menée pour la modifier ; il y a donc antériorité de la pratique
sur la théorie. Sans doute existe-t-il un rapport dialectique
entre théorie et pratique. Si le théoricien joue un rôle, il fout
considérer celui-ci comme une forme de pratique ; il ne fait
que participer à un mouvement qui le dépasse : « Agir,
c’est toujours penser ; dire, c’est faire », comme disait
Proudhon. Son rôle est donc de dégager de la pratique des classes
sociales les idées qui lui sont immanentes. Ainsi il n’invente
rien, c’est toujours le prolétariat qui est le créateur de sa
propre théorie ; mais une expression cohérente de la théorie
révolutionnaire constitue un moment décisif et nécessaire du processus
révolutionnaire.
Aujourd’hui
le développement des forces productives et l’élévation
du niveau général d’instruction permettent aux travailleurs de
trouver plus facilement en leur sein des éléments capables de
théoriser leur pratique de classe.
Cette
affirmation des anarcho-syndicalistes de la capacité de la classe
ouvrière d’assurer sa propre émancipation constitue l’opposition
fondamentale et irréductible qui les sépare de certains socialistes
et particulièrement des marxistes-léninistes. Ces derniers affirment
que la conscience de classe ne peut venir que de l’extérieur [39],
ne peut qu’être apportée « du dehors » de la lutte réelle
des travailleurs par des éléments « avancés » de la
bourgeoisie passés dans le camp du socialisme.
La
classe ouvrière qui, à travers ses luttes, prend conscience d’elle-même
et élabore sa propre théorie doit forger son outil organisationnel.
II. – L’organisation des travailleurs
Dans
la mesure où on considère que le prolétariat acquiert la conscience
politique par l’expérience de la lutte des classes, les minorités
conscientes n’exercent pas un rôle de direction [40]
mais une fonction de « catalyseur » ; on mettra
l’accent sur l’initiative des masses à condition qu’elles soient
organisées dans une structure qui permette à cette initiative
de s’exercer : c’est-à-dire le prolétariat organisé en classe.
Les
nécessités de la lutte conduisent à la recherche d’une coordination,
ce qui amène les groupes de base à se fédérer aussi bien sur le
plan géographique qu’industriel, et cela à tous les niveaux ;
c’est la naissance de l’organisation syndicale.
Cette
organisation, outil pour l’émancipation des travailleurs, ne doit
pas reproduire dans son mode d’organisation les formes de la société
dominante (autorité, isolement des individus, démission devant
le « savant », la « culture », etc.) sous
peine de se condamner à l’impuissance et de devenir un nouveau
moyen de domination.
Au
contraire, elle doit présenter un certain nombre de caractéristiques
clés :
– absence
de monopolisation des pouvoirs dans l’organisation,
– responsabilités
résultant des mandats contrôlés par les structures de base,
– révocabilité
des responsables,
– les
décisions prises n’ont pas force de loi ; les minoritaires
sur une question donnée (groupes ou individus) sont simplement
tenus de ne pas s’opposer à son application.
L’action
de l’organisation de la classe ouvrière doit être la manifestation
– spontanée ou réfléchie – de la conscience et de la volonté ouvrières,
sans intervention d’agents extérieurs ; c’est la conséquence
du fait que la classe ouvrière n’attend rien des hommes, des puissances
ou des forces extérieures à elle-même, car elle crée ses
propres conditions de lutte et puise en soi ses propres moyens
d’action. C’est ce qui a été appelé « action directe »,
qui, contrairement à l’idée généralement répandue, n’a rien à
voir avec l’utilisation systématique de la violence, celle-ci
n’étant qu’affaire de circonstances [41].
De
ce qui précède découle que rien n’est étranger à l’organisation
de la classe ouvrière, et que toutes les formes de la lutte ouvrière
doivent être prises en charge par elle.
De
fait, les structures de l’organisation de classe préfigurent celles
de la société qu’elle projette de réaliser.
Pour
nous, anarcho-syndicalistes, l’organisation de la classe ouvrière,
c’est le syndicat :
– Il
est constitué sur une base de classe : ses adhérents sont
tous des travailleurs salariés, et tous les travailleurs salariés
peuvent y adhérer sans « a-priorisme » idéologique.
– Son
mode de fonctionnement est fédéraliste,
– Son
champ d’action et ses modes d’action sont sous la responsabilité
directe des travailleurs.
Cependant,
quand une ou plusieurs idéologies définies à l’extérieur de la
classe ouvrière sont imposées dans l’organisation syndicale, cet
état de fait conduit à une déviation remettant en cause la nature
même de l’organisation. Les représentants des partis présents
dans l’organisation interdisent à celle-ci un certain nombre de
domaines et réservent à leurs partis la conception d’un projet
de société, la prise de pouvoir et la gestion des affaires. Il
s’ensuit la constitution de fractions, l’une, parfois, s’emparant
complètement de l’organisation pour la mettre sous le contrôle
du parti.
III. – Domaine d’action et de réflexion
L’organisation
de classe et de masse a pour objectifs d’une part la défense des
revendications des travailleurs, d’autre part leur émancipation.
Elle
agit dans tous les domaines où s’exerce l’exploitation et l’aliénation
des travailleurs (production, consommation, éducation, loisirs,
armée, écologie-environnement, sexualité, etc.).
Seule
une organisation de masse et de classe peut confondre sa réflexion
collective aux actions et aux revendications dans tous les domaines,
ce qui lui permet d’élaborer un projet global cohérent et les
moyens de le mettre en œuvre. :
IV. – Relations avec les organisations de citoyens
a)
Les groupements de fait
Ces
groupements se fondent sur la constatation d’une aliénation et/ou
d’une exploitation spécifique (groupes de femmes, d’étudiants,
de consommateurs, mouvements écologiques, régionalistes, objecteurs
de conscience, minorités sexuelles, etc.). Leur pratique et leur
réflexion autonomes les amènent souvent à ressentir la nécessité
de globaliser leur problème, et donc d’établir des relations avec
le mouvement ouvrier.
L’organisation
syndicale, si elle n’a pas une réflexion collective dans les domaines
en question, soit se décharge de sa responsabilité politique sur
ces groupes qu’elle considère comme autant de spécialistes, soit
refuse de s’associer à ces nouvelles formes de luttes.
Si,
au contraire, l’organisation a déjà entamé une réflexion collective,
l’apport des groupements de fait sera valorisé par le mouvement
ouvrier et permettra une actualisation constante du projet socialiste.
b)
Les partis politiques (de gauche ou d’extrême gauche) :
Ils
sont constitués de citoyens adhérents d’une idéologie fixée « à
priori » [42] ;
dans la vision du monde d’un adhérent à un parti politique ;
chaque citoyen est obligé de soutenir une idéologie ou une autre,
et. par conséquent de souhaiter que celle-ci triomphe. Ainsi les
partis ont pour but d’imposer (par les urnes, les armes, le viol
des foules, etc.) leur programme.
Leur
vocation affirmée de gestionnaire les conduit tout naturellement
à vouloir s’emparer de l’appareil d’Etat : ils sont par nature
autoritaires.
En
outre, l’influence en leur sein des « nantis de la culture »
(étudiants, professeurs, professions libérales, curés, etc.) étant
toujours prédominante, ils servent objectivement les intérêts
de la petite bourgeoisie.
Le
plus souvent, les partis politiques sont peu de chose par rapport
à l’état des forces en présence dans la société, ce qui
explique qu’ils agissent par l’intermédiaire des différents mouvements
de masse qu’ils tentent de contrôler et se livrent à l’action
parlementaire, pour agir par l’intermédiaire de l’appareil d’Etat.
Leur
nature, leur composition sociale et leur stratégie les différencient
et les opposent radicalement au mouvement syndical, même s’ils
affichent des objectifs semblables ; il ne peut donc y avoir
que des accords tactiques limités en temps, en lieu et en circonstances
entre partis et syndicats et en aucun cas « partage des tâches »
ni collaboration, ou liaison organique.
******************************
STRATÉGIE DE L’ORGANISATION
« Quel
que soit le degré de préparation du prolétariat en vue de la révolution,
il est incontestable qu’il lui sera impossible de passer sans
transition du régime capitaliste au nouveau régime qu’il voudra
instaurer... »
P.
Besnard, Les Syndicats ouvriers et la révolution sociale.
I. – L’état de la question
Trois
grandes thèses dominent le mouvement socialiste sur la question
de la stratégie de l’organisation pour le passage au socialisme :
1) La
thèse réformiste : conquête du pouvoir législatif d’Etat
par des élections ; formation d’un gouvernement socialiste
qui promulgue des lois favorisant la prise de contrôle des travailleurs
sur la gestion et la propriété collective des moyens de production ;
de proche en proche, le capitalisme est exproprié pacifiquement.
Pour nous, cette thèse est utopique pour deux raisons essentielles,
vérifiées hélas ! par l’expérience historique :
– Si
le gouvernement élu se dirige réellement vers des mesures d’inspiration
socialiste, le capitalisme national et international réagira immédiatement
par des mesures diverses – de la pression économique à l’intervention
armée qui mettront les choses à leur place exacte : la lutte
entre travail et capital est fonction d’un rapport de forces.
Les thèses réformistes de respect de la légalité et de passage
pacifique au socialisme ne sont que de la poudre aux yeux, des
travestissements qui voilent la dure réalité : depuis plus
de cent, cinquante ans, le capital menacé se défend avec toutes
ses armes.
Il
n’est pas question pour nous ici d’exalter la violence et la guerre
civile, pas plus que de prétendre que les travailleurs socialistes
réformistes sont des traîtres ; nous pensons que la voie
réformiste est une voie sans issue qui ne fait que perpétuer l’exploitation
de l’homme par l’homme et qui démobilise les travailleurs par
une analyse tronquée de la réalité.
– Le
plus souvent, les gouvernements socialistes pris entre la réaction
capitaliste et les poussées ouvrières louvoient et ne font rien
d’autre que gérer le capitalisme jusqu’à leur renversement par
la droite.
2) La
thèse léniniste : destruction révolutionnaire de l’appareil
d’Etat bourgeois et constitution d’un « Etat prolétarien »,
émanation des conseils des travailleurs ; cela pour la propagande,
en réalité la dictature du prolétariat a toujours été exercée
par un ou plusieurs partis dits « d’avant-garde » dont
les dirigeants sont des intellectuels passés au socialisme. Ainsi,
le conseil des commissaires du peuple dans la Russie de 1917-1918
est issu des partis bolchevik et socialiste révolutionnaire de
gauche et non pas du congrès panrusse des soviets. Nous pensons
que le concept de « dictature du prolétariat » est,
en outre, source de confusion par son imprécision [43].
3) La
thèse socialiste libertaire : les travailleurs, préalablement
organisés en classe dans des organisations à base économique,
brisent l’Etat bourgeois par la grève générale insurrectionnelle
et expropriatrice et immédiatement instaurent dans la production,
l’échange et la distribution des rapports socio-économiques basés
sur le fédéralisme et l’autogestion.
Pour
résumer, on peut dire que dans la lutte préalable contre le capitalisme
de l’Etat, les marxistes révolutionnaires tentent de construire
un contre-Etat alors que les socialistes libertaires s’efforcent
d’organiser une contre-société. Ce sont là des conceptions théoriques
qui ont cours depuis environ un siècle ; quelle est leur
valeur aujourd’hui ?
II. – Rôle du syndicalisme
Les
crises récentes, souvent assez courtes, mettent en lumière deux
éléments qui sont :
– une
carence du pouvoir central, constatée par toute la population,
provoquée par un ébranlement économique, social, politique ou
écologique,
– un
niveau de conscience élevé dans la classe ouvrière organisée dans
un mouvement de masse. Cette constatation implique deux comportements :
Avant
la crise
Le rôle essentiel du syndicalisme est pédagogique :
– mémoire
collective des expériences passées et présentes du mouvement ouvrier ;
– mise
en responsabilité des groupes de base ;
– abord
collectif de tous les problèmes de la vie des travailleurs ;
– élaboration
collective d’une stratégie pour la période de crise.
Deux
éléments sont d’une importance capitale : le prolétariat,
par la discussion et l’action communes doit réaliser sa « synthèse
de classe », c’est-à-dire unifier organiquement dans des
syndicats d’industrie et consciemment les diverses couches de
travailleurs : ouvriers manuels, techniciens, scientifiques
et travailleurs du secteur tertiaire dans la conviction de leurs
intérêts communs et, pour ce faire, agir incessamment pour ce
que Pierre Besnard appelait les grandes revendications du prolétariat :
réduction du temps de travail, réduction de l’éventail des salaires
tendant vers le salaire unique, contrôle syndical de la production
[44].
Le
mouvement syndical doit être, en outre, réellement un mouvement
de masse :
– développement
numérique ;
– coordination
active à tous les niveaux, y compris au niveau international.
Pendant
la crise
La carence du pouvoir entraîne des révoltes locales qui
se multiplient très rapidement. Le rôle de l’organisation syndicale
est de les encourager et de les coordonner entre elles, afin,
en généralisant le mouvement, d’aller le plus vite possible le
plus loin possible. Elle a pour objectif également de transformer
ces mouvements de révolte en actions révolutionnaires conscientes,
c’est-à-dire qui s’attaquent aux rapports socio-économiques existants
(prise en charge de la production, de la distribution, des échanges,
des services, et dans les campagnes socialisation de la propriété
là où c’est possible). Elle devra également combattre toute tentative
d’encadrement autoritaire de l’action – qui se situe le plus souvent
en retrait – lequel a pour effet de démobiliser les masses et
de faire ainsi le jeu de la réaction.
L’expérience
– particulièrement de la guerre civile espagnole – nous montre
que le mouvement ouvrier peut être amené à combattre la réaction
les armes à la main. Cette lutte peut donner naissance à un appareil
temporaire spécialisé dans la lutte armée qui, sans reproduire
le modèle de l’armée bourgeoise, ne peut atteindre une efficacité
suffisante sans être centralisé et discipliné.
Pourtant
nécessaire en cas de guerre civile ou d’intervention extérieure,
cet appareil militaire est un grand danger et des précautions
doivent être prises contre lui :
– il
doit toujours rester sous le contrôle des organisations syndicales,
à tous les échelons, pour les questions non purement militaires,
– il
ne doit pas avoir le monopole de la force armée, sinon des expériences
analogues au bonapartisme ou à la dictature militaire de Cromwell
pourraient advenir à la jeune révolution, c’est-à-dire que dans
les entreprises les organismes de base du prolétariat doivent
demeurer armés. Ainsi l’armée créée pour faire triompher la révolution
ne pourra se retourner contre son origine et donner naissance
à une nouvelle exploitation et une nouvelle oppression
En
outre, la gestion, l’échange et la distribution doivent demeurer
directement sous le contrôle du mouvement ouvrier organisé dans
des syndicats [45].
Resté armé et fort du pouvoir économique, le mouvement ouvrier,
après la pause due à la lutte armée, pourra reprendre sa marche
vers le socialisme.
En
ce qui concerne l’intervention extérieure, probable, et pouvant
venir soit du capitalisme, soit du collectivisme d’Etat, il faut
tenir compte des faits suivants :
– L’imbrication
croissante des économies sur le plan international rend plus difficiles
des représailles efficaces, celles-ci remettant en cause l’équilibre
économique des nations qui s’y livreraient ;
– Les
causes qui ont provoqué la cri se dans une région donnée se retrouvent
à des degrés divers dans les régions voisines et le bouleversement
peut faire tache d’huile d’autant mieux que le mouvement ouvrier
se sera mieux organisé internationalement.
En
tous les cas, le mouvement syndical révolutionnaire doit éviter
toute pratique putschiste et chercher surtout à convaincre :
de plus, une certaine prudence tactique est nécessaire car un
mouvement avorté et réprimé fait reculer le prolétariat de nombreuses
années ; seules des chances suffisantes de victoire peuvent
permettre aux responsables d’engager l’organisation dans la lutte
révolutionnaire.
Aujourd’hui,
les conditions ne sont pas réunies et un long travail de clarification
théorique, de pratique de l’action directe et d’organisation à
l’échelon international pourra permettre au mouvement ouvrier
de reprendre l’initiative dans son combat contre le capital.
Les
individus aspirent à leur émancipation à l’égard de toutes les
contraintes.
La
classe des travailleurs est seule capable de projeter et mettre
en œuvre une société socialiste et libertaire.
******************************
LE PROJET LIBERTAIRE
« Quand
donc les hommes ... comprendront-ils que ce qu’an appelle intérêts
généraux n’étant que l’ensemble des intérêts individuels, les
diverses manifestations de la “chose publique” peuvent être accomplies
individuellement et qu’ainsi, avec la nécessité, se trouve établie
la possibilité de supprimer les gouvernements ! »•
F.
Pelloutier, « Almanach de la question sociale. » (1897)
« Sans
prévoir dans le détail les institutions de la société socialiste,
nous pensons que celle-ci devra comporter un certain nombre de
caractéristiques, sous peine d’être dénaturée :
« a) Structures économiques
« Propriété collective des moyens de production
et d’échange, liés entre eux en une fédération agricole et industrielle
– régionale, nationale et internationale – et gérées par l’ensemble
des producteurs ; suppression du salariat et du patronat ;
– établissement d’une économie distributive.
« b) Structures administratives et sociales
« Fédération des unités territoriales, foyers
de coordination et non plus centres de décision autoritaire, gestion
directe par les citoyens à tous les niveaux.
« c) Structures régulatrices
« Confédération aux différents niveaux des
fédérations agrico-industrielles et des fédérations territoriales. »
« Manifeste
de l’Alliance syndicaliste. »
I. – Individu et société
Lorsque
le mouvement ouvrier s’organise et lutte contre l’exploitation
et l’oppression capitalistes, il se forge un outil pour la revendication
et la lutte : le syndicat. Il se forge aussi une idéologie
(bien sûr de façon non consciente) qu’il oppose à l’idéologie
secrétée par la classe dominante. Il remet ainsi en question et
dénonce les manifestations importantes mais secondaires du capitalisme
(hiérarchie des salaires et donc des fonctions, dévaluation du
travail manuel, etc.).
Incontestablement,
la démarche première des révolutionnaires est une démarche humaniste.
C’est ainsi que le principe de solidarité est à la base de l’idée
libertaire.
« ...l’influence naturelle que les hommes exercent les
uns sur les autres … est à base même, matérielle, intellectuelle
et morale, de l’humaine solidarité : l’individu humain, produit
de la solidarité, c’est-à-dire de la société, tout en restant
soumis à ses lois naturelles, peut bien, sous l’influence de sentiments
venus du dehors, et notamment d’une société étrangère, réagir
contre elle jusqu’à un certain degré, mais il ne saurait en sortir
sans se placer aussitôt dans un autre milieu solidaire et sans
y subir aussitôt de nouvelles influences. Car, pour l’homme, la
vie en dehors de toute société et de toutes les influences humaines,
l’isolement absolu, c’est la mort intellectuelle, morale et matérielle
aussi. La solidarité est non le produit, mais la mère de l’individualité
et la personnalité humaine ne peut naître et se développer que
dans l’humaine société. »
(Bakounine, Œuvres, tome V, p. 159-69.)
Le
mouvement syndicaliste libertaire, issu de la Première Internationale,
proclamait la solidarité de classe, la solidarité ouvrière.
Deux principes guident
donc le prolétariat dans son élaboration de la société future :
primauté de la solidarité, primauté des producteurs.
Il
est à noter que du point de vue de l’analyse de l’influence de
la société sur les individus, les travaux des sociologues et de
l’école psychanalyste ont permis de faire des progrès ; ils
peuvent nous donner des arguments supplémentaires dans la lutte
des idées dans la construction du socialisme, en nous apportant
l’aval de la science.
Dans
son effort, le mouvement ouvrier cherche à détruire des mythes
qui se sont fait jour dans la tête de certains philosophes, et
que l’idéologie dominante répand à pleins tonneaux.
Le
« Contrat social »
« Ce
fut une grande erreur de la part de J.-J. Rousseau d’avoir
pensé que la société primitive ait été établie par un contrat
libre, formé par des sauvages, c’est-à-dire un contrat sans parole
et par conséquent sans pensée et sans volonté – un révoltant non-sens ! »
« Donc,
selon ce système, la société humaine ne commence qu’avec la conclusion
du contrat. Mais qu’est-ce alors que cette société ? C’est
la pure et logique réalisation du contrat avec toutes ses dispositions
et conséquences législatives et pratiques, c’est l’Etat. »
(Bakounine,
Œuvres, Tome l, p. 145.)
Le
gouvernement des meilleurs
« Selon
nous, de toutes les aristocraties qui ont opprimé chacune à son
tour et quelquefois toutes ensembles la société humaine, cette
soi-disant aristocratie de l’intelligence est la plus odieuse,
la plus méprisante, la plus impertinente et la plus oppressive.
L’aristocratie nobiliaire nous dit : “vous êtes un fort galant
homme, mais vous n’êtes pas né noble. » C’est une injure
qu’on peut encore supporter. L’aristocratie du capital vous connaît
toutes sortes de mérites, “mais, ajoute-t-il, vous n’avez pas
le sou.” C’est également supportable... Mais l’aristocratie d’intelligence
nous dit : “Vous ne savez rien, vous ne comprenez rien, vous
êtes un âne, et moi homme intelligent, je dois vous bâter et vous
conduire.” Voilà qui est intolérable. »
(Bakounine,
Œuvres, Tome V, p. 129)
La
lutte idéologique
Ces
deux exemples pour montrer que le mouvement ouvrier ne se laisse
pas entraîner sur les sentiers boueux des idéologies.
Dans
son élaboration d’une société libertaire, il est capable de les
balayer. C’est pourquoi nous ne devons pas nous laisser impressionner
par des institutions réputées utiles ou « inévitables ».
Sans
nous livrer à de grandes déclarations sur la place de l’individu
dans la société future, nous savons que nous devons d’abord combattre
toutes les idées reçues.
II. – L’État
C’est
par sa théorie de l’Etat que l’anarcho-syndicalisme se distingue
– et s’oppose – le plus aux autres courants socialistes. Une compréhension
juste du phénomène de l’Etat est un instrument indispensable car
elle détermine à la fois les formes d’organisation et toute la
stratégie révolutionnaire, selon que l’on considère que l’Etat
peut jouer ou non un rôle révolutionnaire.
Historiquement,
l’Etat a rempli dans le passé des fonctions sociales nécessaires
[46].
La concentration de la propriété et les antagonismes qu’elle suscite
entre travail et capital entraînent la coalition des possédants
contre les non-possédants, accroît l’inégalité des classes et
provoque la constitution d’une force publique de répression :
1’Etat. C’est à la fois une réponse a l’instabilité sociale résultant
des contradictions économiques et l’expression de l’appropriation
des forces collectives de la société. Face aux contradictions
insurmontables du capitalisme laissé à son propre développement
chaotique, il devient nécessaire d’organiser une force publique
en vue de maintenir les classes dominantes et d’assurer la défense
des hiérarchies et des privilèges. L’existence de l’Etat comme
force répressive est fondée sur l’inégalité économique et sur
les formes sociales de la propriété capitaliste. Les caractères
de l’Etat procèdent des forces économiques et des rapports
sociaux.
La
conclusion de cette critique ne peut être une simple révision
des formes politiques mais une mutation fondamentale des rapports
socio-économiques, car l’Etat est à la société ce que le capital
est au travail.
Si
l’Etat a une puissance, il ne la tient pas, à l’origine, de lui-même
mais de la société et des structures socio-économiques dont il
est le reflet. N’ayant pas toujours existé, il n’est qu’une forme
transitoire caractéristique d’une époque du développement social
qui est appelée à être dépassée et remplacée par une autre forme
d’organisation de la société.
Etant
une aliénation et une appropriation de la force collective [47]
il ne peut, sous peine de disparaître, cesser de s’approprier
la force collective. Sa nature même le pousse à se renforcer et
à absorber les forces de la collectivité. Il est animé d’une nécessité
intérieure à l’accaparement, à la centralisation, et ce mouvement
de centralisation une fois commencé tend à croître, à envahir
toute la société.
Cette
tendance à la concentration est liée à l’antagonisme des classes,
l’Etat n’est que la confirmation de ce conflit. Lutte de classe
et Etat sont en réciprocité dialectique et le mouvement de centralisation
exprime et renforce l’inégalité sociale.
Le
caractère contre-révolutionnaire de l’Etat n’est pas seulement
lié à la classe dominante – la bourgeoisie – qui exerce le pouvoir,
il est lié à sa nature même. L’Etat centralisé tend à étouffer
toute possibilité de changement. Ni les intentions particulières
des il gouvernants, ni les retouches faites à l’édifice gouvernemental
ne peuvent modifier cette nécessité interne faisant de l’Etat
une force contre-révolutionnaire.
En
régime capitaliste, l’approfondissement des contradictions économiques
et des conflits sociaux ne peut que provoquer l’accroissement
des pouvoirs politiques destinés à combattre les menaces de guerre
sociale. Mais le renforcement de l’Etat produit à son tour le
renforcement des contradictions sociales.
Avec
le développement du capitalisme et des contradictions économiques,
l’Etat est amené à étendre son rôle. Sa nature se transforme peu
à peu. De force de répression, il devient agent de gestion et
d’administration. Cette fonction sert les intérêts du capitalisme
dans la mesure où elle permet de résoudre provisoirement ses contradictions,
dans la mesure aussi où l’Etat prend en charge les secteurs déficitaires
de l’économie, que les capitalistes délaissent, mais qu’il est
indispensable de maintenir sous peine de crise. Ce rôle croissant
dans la gestion économique accroît le pouvoir d’Etat : dans
la même proportion où son rôle dans les rapports de production
s’étend, l’Etat tend relativement à s’autonomiser par rapport
à la classe dominante capitaliste ; c’est-à-dire que le rapport
de subordination du pouvoir politique au pouvoir économique tend
à se relâcher. Ce processus d’autonomisation trouve sa limite
extrême dans le fascisme [48]
où l’Etat a un contrôle total sur la production économique mais
où les capitalistes conservent la propriété des moyens de production,
touchent les dividendes, sans cependant avoir pratiquement la
possibilité de gérer eux-mêmes leurs entreprises. C’est un cas
limite, évidemment.
En régime capitaliste, l’autonomisation
relative de l’Etat a ses limites, et ces limites sont déterminées
précisément par le maintien de la propriété privée des moyens
de production.
Dans
le cas du socialisme d’Etat, la propriété privée n’existe pas.
C’est l’Etat qui centralise la gestion de l’économie entre ses
mains : c’est lui le propriétaire des moyens de production
[49].
Il y a coïncidence complète entre le pouvoir économique et le
pouvoir politique. Alors que, dans le système capitaliste, la
propriété privée constitue un frein à l’autonomisation de l’Etat
par rapport à la société, sous le socialisme d’Etat ce frein n’existe
pas. Détenant la totalité du pouvoir économique et politique,
l’Etat est entièrement autonome s’il réussit à s’affranchir de
tout contrôle des travailleurs. Or, on sait que cet affranchissement
n’est pas difficile quand on concentre tout le pouvoir dans les
mains de l’Etat... et de sa police. Ainsi, fort de ce pouvoir
économique qu’il contrôle entièrement – bien que de façon différente
de la bourgeoisie en régime capitaliste – fort aussi de son indépendance
politique, le personnel de l’appareil d’Etat se trouve dans des
conditions favorables pour se reconstituer en classe dominante.
Ce
processus ne tient pas à la « méchanceté » originelle
des gouvernants, il tient aux fausses conceptions qui appellent
de fausses solutions au problème de l’édification du socialisme.
C’est
pourquoi nous pensons que l’Etat bourgeois doit être détruit et
immédiatement remplacé non par un « Etat prolétarien »,
qui est une contradiction dans les termes, mais par une organisation
fédéraliste de la société assurant la propriété sociale des moyens
de production et l’autogestion.
III. – Le fédéralisme et l’autogestion socialiste
« Nous
comprenons l’organisation sociale aussi bien nationale qu’internationale
dans le sens et sous la forme de grandes confédérations syndicales
paysannes, culturelles et municipales qui auront à charge la représentation
de tous, sans avoir d’autre pouvoir exécutif que celui qui leur
sera confié, dans chaque cas, par les organismes de base fédérés.
L’esprit de liberté des peuples ne peut trouver son expression
complète que dans une organisation de type fédéraliste qui établisse
les limites de la liberté de chacun et en même temps, garantisse
la liberté de tous. »
L’Association
syndicaliste libertaire de Cuba – La Havane, 1960.
L’autogestion
– gestion collective directe et coordonnée sur une base fédérative
des moyens de production, d’échange, de distribution et des services,
sous le régime de la propriété collective et indivise et
non pas privée et étatique – ne trouvera son plein développement
et son accomplissement définitif que par une organisation sociale
liant entre elles les unités de base autogestionnaires.
C’est
en effet dans le domaine de la « macroéconomie » que
les vrais problèmes se poseront : alors que la gestion d’une
entreprise par des conseils de travailleurs (possibilité depuis
longtemps vérifiée par le mouvement coopératif, malgré tous ses
inconvénients) est concevable assez facilement, les problèmes
posés par l’économie moderne exigeront la mobilisation de toute
l’énergie du mouvement syndical pour résoudre : définition
des besoins en dehors d’une économie marchande, circulation non
monétaire – au sens capitaliste – des marchandises ; détermination
d’une rentabilité suffisante et maintien des secteurs socialement
utiles mais déficitaires.
Les
tentatives autogestionnaires existant aujourd’hui sont des entreprises
gérées par les travailleurs s’inscrivant à l’intérieur d’une économie
marchande, c’est-à-dire achetant des matières premières et vendant
des produits finis, économie planifiée par une administration
d’Etat qui assurent la bonne marche du système à l’aide de subventions
diverses. Nous pensons que ce système est un progrès par rapport
au système capitaliste et au collectivisme d’Etat.
Mais
l’expérience montre, en Yougoslavie comme en Algérie, que ce système
n’est pas stable : les « autogestionnaires » tentent
de dépasser l’entreprise et de s’organiser eux-mêmes directement,
de la même manière que l’appareil d’Etat tente de s’introduire
à l’intérieur des entreprises en intervenant par exemple dans
la nomination des directeurs, la détermination des règlements
intérieurs, etc. Autogestion et organisation étatique de la société
sont en contradiction.
L’autogestion
ne peut trouver sa véritable dimension que par l’organisation
entre les diverses entreprises autogérées de liens économiques
d’échange aux différents stades de la production : ce sont
les fédérations d’industrie nationales et internationales.
Fédéralisme
et autogestion sont liés, le premier est l’aspect juridique de
la seconde ; ce sont les moyens pratiques de la solidarité,
de la responsabilité et de la liberté.
Chaque
ville, chaque région, chaque entreprise, chaque industrie se gère
elle-même au moyen de cellules de base permettant la démocratie
directe, et n’abandonne une partie de sa souveraineté que pour
résoudre les problèmes qui la lient aux autres cellules de base,
créant ainsi de proche en proche des liens fédératifs couvrent
la terre entière.
a)
l’usine : unité de production industrielle
Cet
exemple comme ceux qui le suivent s’inscrit dans le cadre d’une
société réellement socialiste, c’est-à-dire que les institutions
comme les rapports sociaux ont changé.
L’autogestion
implique une industrie décentralisée en unités de production de
taille réduite, dans lesquelles les tâches seraient recomposées.
Les divers travaux, y compris la coordination technique sont assurés
par des équipes d’une taille compatible avec l’exercice de la
démocratie directe. L’organisation et le fonctionnement de l’entreprise
sont du ressort d’un conseil de délégués élus, mandatés, contrôlés
et révocables par chaque équipe. Le conseil a la responsabilité
d’assurer l’harmonisation de l’activité de l’entreprise par rapport
aux orientations définies par le plan, au niveau de la branche
d’industrie d’une part et de la zone géographique d’autre part,
concernées par ses produits et ses nuisances éventuelles (participation
du conseil de l’entreprise au conseil de branche et aux unions
locales et régionales). La démocratie ne pourra être vraiment
atteinte que par la plus grande information possible.
b)
La production agricole
L’évolution
constatée actuellement des techniques agricoles exploitant les
sols d’une façon intensive (monoculture, utilisation massive d’engrais
et de pesticides, gigantisme des exploitations) conduit à court
terme à l’épuisement des sols ; pendant la période de développement
de ce type d’agriculture, on a transformé en désert une surface
deux fois plus grande que celle qui a été fertilisée.
Dans
une société libertaire, les paysans, confrontés directement aux
consommateurs de leurs produits dans les organes de coordination
locaux ou régionaux, redécouvriront leur fonction sociale (fourniture
de nourriture saine en conservant l’équilibre écologique) et les
nouvelles techniques qui permettent de l’accomplir.
La
socialisation des terres signifie que c’est la collectivité locale
paysanne qui est seule responsable de la répartition des tâches
sur son territoire. C’est de cette façon et non par décret, que
les paysans eux-mêmes (ouvriers agricoles, métayers et petits
exploitants actuels) feront disparaître la propriété privée. Notons
en effet qu’une des craintes des petits propriétaires terriens
est qu’on leur prenne la terre, ce qui est fort éloigné des intentions
fondamentales du mouvement ouvrier.
c)
La production de l’énergie
L’autogestion
implique que les collectivités de base soient maîtresses de leur
politique de l’énergie, donc que la production en soit décentralisée.
En effet tout système de production centralisé – et en particulier
de l’énergie – aussi démocratiquement planifié soit-il, serait
une possibilité offerte à ceux qui voudraient reconstituer objectivement
un pouvoir central.
Techniquement,
un tel choix offre des avantages décisifs : diversification
des sources d’énergie en fonction des conditions locales ;
centrales thermiques près des zones d’extraction ; système
magnéto-hydrodynamique (permettant un rendement très élevé et
une faible pollution) envisagé pour le chauffage d’agglomérations
urbaines, pile à combustible, énergie géothermique ; enfin
énergie solaire, sans doute la meilleure solution, utilisable
quel le que soit la capacité de production recherchée, particulièrement
adaptée au tiers-monde.
En
outre, les utilisateurs étant responsables de la fourniture, on
est en droit de penser qu’on obtiendra une meilleure adaptation,
d’une part aux besoins réels, d’autre part à l’environnement,
et en conséquence une diminution du gaspillage ; le doublement
actuel de la production d’énergie tous les dix ans (128 fois en
70 ans) sera sérieusement remis en cause.
IV. – La société libertaire
On
pourrait donc résumer le projet syndicaliste libertaire par :
–
socialisation des moyens de production, d’échange, de distribution,
des services et de culture.
Ces
moyens sont placés sous la responsabilité collective de ceux qui
les utilisent ; le droit de propriété est remplacé par le
droit d’utilisation et de jouissance ; il n’y a donc pas,
sauf pour les objets personnels, de possibilité de transmission
par héritage, ni d’accumulation de biens.
–
autogestion.
Quel
que soit le niveau de prise de décision, celle-ci doit être la
résultante de la volonté de l’ensemble de ceux qui sont directement
concernés par l’application de cette décision.
– fédéralisme.
Remplacement
de l’appareil centralisé, autoritaire et répressif appelé « Etat »
par une organisation publique bâtie sur des liens fédératifs verticaux
par industrie, et horizontaux par zone géographique entre les
structures de base. Toute forme de structure centrale qui serait
autre chose qu’une mémoire collective des faits socio-économiques
passés ou présents et qu’un instrument de coordination ou d’animation
au service des collectivités de base tendrait à recréer une nouvelle
exploitation et une nouvelle oppression au profit d’une minorité.
La
confrontation et l’imbrication des responsabilités sera assurée
à tous les niveaux par une structure fédéraliste de type syndical.
V. – Conclusion
A la lecture de ce qui précède,
certains ne manqueront pas de nous accuser de « faire bouillir
prématurément les marmites de l’avenir ». Ils diront que
les travailleurs doivent éviter de perdre leur temps dans des
considérations utopiques. Inversement, d’autres n’hésiteront pas
à affirmer que par ses contradictions propres, le mode de production
capitaliste accouchera inévitablement du socialisme. Les premiers
s’en remettent à la spontanéité absolue du mouvement ouvrier quelle
que soit son expérience historique, les seconds à un socialisme
messianique. Ce sont là deux écueils à éviter.
Si
les anarcho-syndicalistes considèrent que le projet socialiste
naît incontestablement de la réalité historique du mouvement ouvrier ;
qu’il pose la question de l’organisation de la production dans
une société expurgée de l’exploitation de l’homme par l’homme,
ils pensent aussi que le socialisme ne peut passer sous silence
la globalité des rapports sociaux
Nous
allons donner d’autres exemples destinés à montrer que le mouvement
syndicaliste libertaire a su intégrer des questions non purement
« économiques ».
–
L’« Ecole Moderne » fondée par Francisco Ferrer, qui
comptait plus de cent établissements vers 1900, avait mis en pratique
un enseignement libertaire dirigé vers les enfants des travailleurs
espagnols.
Certaines
parties de l’œuvre de W. Reich (il avait tenté de créer des centres
de consultation dans les quartiers populaires) pourraient être
utiles au mouvement ouvrier dans son effort d’élaboration
du socialisme (famille, sexualité).
–
Actuellement, des scientifiques posent dans une certaine mesure
le problème de la survie en des termes qui reprennent les thèmes
fédéralistes. Ainsi, on peut lire dans « Plan pour la survie »,
prenant en compte les travaux récents du M.I.T. (Massachusetts
Institute of Technology), signé par trente-trois savants
et paru dans la revue anglaise The Ecologist : « Décentralisation
à tous les niveaux de la politique et de l’économie ».
–
Enfin, qu’on lise les résolutions du congrès de la C.N.T. d’Espagne
en 1936 à Saragosse (avant le soulèvement franquiste). On y verra
aborder par le mouvement ouvrier des problèmes tels que la sexualité,
le rôle de la femme, le contenu de l’enseignement...
En
effet, parce que la classe ouvrière vit toutes les contradictions
des rapports sociaux capitalistes, les anarcho-syndicalistes ont
toujours limité à elle seule, pour qu’elle se reconnaisse, le
rôle de sujet capable d’une pensée et d’une action autonomes.
Dans leur combat pour le socialisme autogestionnaire, les travailleurs
ne peuvent compter que sur eux-mêmes, sur leurs propres forces
d’organisation et de création.
Seule
l’action directe permet aux travailleurs de réaliser leur émancipation
globale.
******************************
PRÉCISIONS
SUR LA PRATIQUE
De
ce qui précède découle une certaine vision du mouvement syndical
actuel, du mouvement syndical en général, et de la C.F.D.T. en
particulier.
Les
points que nous évoquons ici, les propositions que nous développons
ne constituent pas toute l’action et les propositions des anarcho-syndicalistes,
qui se déterminent et agissent comme chaque syndicaliste en fonction
des conditions concrètes locales, régionales, nationales et internationales,
et cela avec leurs camarades dans les sections.
De
même, lorsque nous employons « on doit » ou « il
faut », c’est plus les syndiqués qui parlent que les anarcho-syndicalistes
qui « conseillent ». Nous pensons que les camarades
qui nous lisent le comprendront
I. – Dans le domaine de l’action
a)
La syndicalisation doit être considérée comme prioritaire et se
faire sur une base de classe ; c’est-à-dire que le syndicat
ne doit être ni un regroupement autour d’une idéologie, ni être
le grand rassemblement de tous les « mécontents ».
b)
Des campagnes doivent être impulsées de façon coordonnée par les
structures professionnelles et interprofessionnelles et surtout
prises en charge à la base par les sections syndicales.
c)
Dans le cadre des plans de développement à long terme, les U.L.
doivent entretenir des contacts fréquents en priorité avec les
élèves des C.E.T. qui sont les futurs O.S. et O.P.
d)
La formation doit aller vers les adhérents, donc doit être décentralisée
jusqu’au niveau des U.L. (sous réserve que celles-ci ne soient
pas des structures vides). Dès la formation de base on doit fournir
des éléments d’information et des perspectives autorisant l’instauration
d’un véritable débat politique dans l’organisation et aussi vis-à-vis
de l’extérieur.
e)
La section syndicale est autonome et responsable de l’action dans
l’entreprise. Elle doit instaurer une pratique de débat et de
prise de décision en assemblée générale des travailleurs.
La
section syndicale doit assumer sa responsabilité dans la coordination
tant professionnelle qu’interprofessionnelle et en informer largement
les adhérents et les travailleurs afin que l’ensemble des travailleurs
perçoivent l’organisation syndicale comme une structure fédéraliste
et non hiérarchisée.
Dans
le cas de mots d’ordre d’action fédéraux, confédéraux, locaux
ou régionaux, la première tâche de la section est de prendre une
position claire et d’expliquer son adhésion ou sa non-adhésion
à l’ensemble des travailleurs. Dans son action au sein des Comités
d’entreprise, la S.S.E. doit considérer celui-ci comme un outil
à mettre au service des aspirations des travailleurs [50]
et non comme un palliatif à une situation sociale imposée par
le pouvoir.
f)
Seul un ‘mouvement de masse, libre de toute emprise de quelque
fraction que ce soit, peut espérer réaliser le passage au socialisme
autogestionnaire. Les militants conscients de cette condition
doivent s’assurer qu’elle est remplie, en particulier en acceptant
de prendre des responsabilités dans l’organisation et en contrôlant
réellement ceux, quels qu’ils soient, qui occupent des responsabilités.
II. – Les structures
Un
certain nombre de débats clés pour l’avenir du ‘mouvement syndical
(ex : écologie) devront avoir lieu dans un cadre interprofessionnel.
Afin que ces débats ne se résument pas à des confrontations au
sommet de positions déjà déterminées des différents secteurs professionnels,
il est nécessaire de remplir deux conditions :
– Participation
des sections au travail dans les U.L., avec confrontation des
positions de section.
– Que
les syndicats aient des dimensions géographiques le plus homogènes
possible (compte tenu de leur développement numérique).
Face
à la concentration de l’industrie, les Unions de syndicats par
secteur d’activité verront leur importance augmenter surtout dans
le domaine de la conduite de l’action, mais étant donné leur nature,
leur rôle devra rester limité dans les décisions politiques, celles-ci
requérant une vision globale des problèmes (afin d’échapper au
corporatisme).
Une
organisation démocratique doit se donner les moyens d’un renouvellement
minimum de ses permanents. Seul un statut précis, prévoyant les
modalités d’une réinsertion dans la vie professionnelle peut d’une
part élargir le recrutement et d’autre part faciliter les départs
(volontaires ou non).
>III. – Relations extérieures
Ni
mouvement purement revendicatif ni parti politique, l’organisation
syndicale entretient, qu’elle le veuille ou non, des rapports
dialectiques avec les partis politiques, il faut qu’elle le reconnaisse.
Un
parti politique ne peut se développer et avoir une influence parmi
les travailleurs s’il n’a pas une « courroie de transmission »
syndicale : le parti a besoin du syndicat ; selon notre
conception, le syndicat n’a pas besoin du parti, il se suffit
à soi-même. Selon les sociaux-démocrates (tous : réformistes,
staliniens, trotskistes), il y a une division entre lutte politique
et lutte économique. Dans la mesure où on maintient cette division,
l’économique est subordonné au politique : le syndicat est
subordonné au parti [51].
Il
est donc nécessaire de se débarrasser rapidement de l’idée complètement
fausse qu’un syndiqué milite »mieux » pour le syndicat
s’il appartient à un parti « ouvrier ».
Depuis
quelques années, des regroupements internationaux par branches
d’industrie se sont réalisés, sur des bases d’action, et dépassant
le cadre des fédérations mondiales : ce processus doit être
prioritaire. Il faut également réaliser des contacts et des actions
entre organisations régionales. Cette double ligne d’action est
la seule qui à long terme permette à la C.F.D.T. de peser de l’intérieur
sur l’évolution de la stratégie de centrales qui, telles le D.G.B.
ou les T.U.C., la surclassent largement en nombre d’adhérents.
Dans
le cas particulier de l’Espagne où le régime est appelé à se « libéraliser »
s’il veut profiter du Marché Commun, la C.F.D.T. se doit d’entretenir
des relations avec un mouvement ouvrier qui peut être d’un très
grand poids en Europe. Dans cette éventualité, les organisations
traditionnelles de la classe ouvrière espagnole, en particulier
la C.N.T. qui a combattu le fascisme sans interruption et qui
aujourd’hui regroupe ses forces, retrouveront leur représentativité
(il faut savoir qu’actuellement les Commissions ouvrières, malgré
l’appui international des P.C. voient leur importance décliner).
******************************
Il
est intéressant de constater l’énorme proportion d’adhérents C.F.D.T.
dans les mouvements écologiques. Il faut absolument que ceux-ci
fassent partager leurs préoccupations en posant ces problèmes
à tous les niveaux de l’organisation. Cette attitude doit être
celle de tous ceux qui sont concernés par les domaines abordés
par les groupements de fait (encore qu’on doive leur conseiller
de ne pas se disperser).
Une
collaboration entre l’organisation syndicale et ces mouvements
(sous le contrôle des adhérents) doit se traduire entre autres
par la mise en commun de moyens matériels de propagande.
Enfin,
il est de la responsabilité des U.L. et des militants délégués
aux C.E. d’organiser des débats entre les travailleurs et les
représentants de ces groupements.
******************************
Il
y a deux manières de régler le problème des paysans :
–
attendre qu’ils soient prolétarisés par un capitalisme triomphant
qui les « intègre » au mouvement ouvrier ;
– se
placer avec eux dans une perspective de socialisme autogestionnaire
dans lequel ils auront un rôle important à jouer.
Les
U.D. et les U.L. ont un rôle primordial dans la solidarité active
entre ouvriers et paysans. La principale séparation entre ouvriers
et paysans tient à leurs modes de vie. Elle ne pourra être dépassée
que par des contacts personnels et des actions concrètes réalisées
en collaboration (ex : réseau de nourriture saine, défense
de l’équilibre économique et écologique des régions...).
La
centrale syndicale doit lutter pour affirmer sa personnalité vis
à vis de l’extérieur, aussi bien par rapport aux partis et aux
mouvements politiques que par rapport au reste du mouvement ouvrier.
Les
militants C.F.D.T. doivent, dans les manifestations, se regrouper
de façon à former un groupe autonome ayant sa propre expression
et capable d’assurer sa protection.
Les
U.D., U.R., syndicats, doivent s’efforcer d’organiser des meetings
pour populariser leurs thèmes revendicatifs et leurs options autogestionnaires.
Dans
le domaine de l’information il faut être conscient que pour le
grand public, tous les syndicats sont confondus sous le même vocable
« les syndicats ». Pour lutter contre cette confusion
il ne faut pas compter sur notre influence sur les grandes officines
de presse. Dans ce domaine comme beaucoup d’autres, l’action directe
seule permet de déboucher ; cela consiste en particulier
à construire des moyens de presse destinés à l’extérieur de l’organisation.
L’option doit être prise de réaliser un quotidien confédéral (ce
qui est possible comme l’avait montré une étude de la C.F.T.C.
d’avant 1964).
Pour
nous, il est essentiel que la pratique quotidienne soit réellement
cohérente avec les options fondamentales de la C.F.D.T., syndicalisme
de masse et socialisme autogestionnaire. Il nous semble que, aujourd’hui,
la C.F.D.T n’a pas, encore osé assumer toutes les responsabilités
qui découlent de ces options fondamentales. Les origines de la
C.F.D.T., le rapport de force avec b C.G.T. et l’influence des
partis et mouvements politiques expliquent cette incohérence.
L’analyse
attentive de ce qui se passe dans les sections et les U.L. montre
que l’évolution de ces trois points pourrait bien se faire dans
un sens favorable à l’anarcho-syndicalisme.
******************************
Discours de Pierre Monatte au congrès international anarchiste
d’Amsterdam (1907)
Mon
désir n’est pas tant de vous donner un exposé théorique du syndicalisme
révolutionnaire que de vous le montrer à l’œuvre et, ainsi, de
faire parler les faits. Le syndicalisme révolutionnaire, à la
différence du socialisme et de l’anarchisme qui l’ont précédé
dans la carrière, s’est affirmé moins par des théories que par
des actes, et c’est dans l’action plus que dans les livres qu’on
doit l’aller chercher.
Ce
qu’il y a de commun
Il
faudrait être aveugle pour ne pas voir tout ce qu’il y a de commun
entre l’anarchisme et le syndicalisme. Tous les deux poursuivent
l’extirpation complète du capitalisme et du salariat par le moyen
de la révolution sociale. Le syndicalisme, qui est la preuve d’un
réveil du mouvement ouvrier, a rappelé l’anarchisme au sentiment
de ses origines ouvrières; d’autre part, les anarchistes n’ont
pas peu contribué à entraîner le mouvement ouvrier dans la voie
révolutionnaire et à populariser l’idée de l’action directe. Ainsi
donc, syndicalisme et anarchisme ont réagi l’un sur l’autre, pour
le plus grand bien de l’un et de l’autre.
L’originalité
de la CGT [52]
C’est
en France, dans les cadres de la Confédération générale du travail,
que les idées syndicalistes révolutionnaires ont pris naissance
et se sont développées. La confédération occupe une place absolument
à part dans le mouvement ouvrier international. C’est la seule
organisation qui tout en se déclarant nettement révolutionnaire,
soit sans attaches aucunes avec les partis politiques, même les
plus avancés. Dans la plupart des autres pays que la France, la
social-démocratie joue les premiers rôles. En France, la C.G.T.
laisse loin derrière elle, par la force numérique autant que par
l’influence exercée, le Parti socialiste : elle prétend représenter
seule la classe ouvrière, et elle a repoussé hautement toutes
les avances qui lui ont été faites depuis quelques années. L’autonomie
a fait sa force et elle entend demeurer autonome.
Cette
prétention de la C.G.T., son refus de traiter avec les partis,
lui a valu de la part d’adversaires exaspérés, le qualificatif
d’anarchiste. Aucun cependant n’est plus faux. La C.G.T., vaste
groupement de syndicats et d’unions ouvrières, n’a pas de doctrine
officielle. Mais toutes les doctrines y sont représentées et y
jouissent d’une tolérance égale. Il y a dans le comité confédéral
un certain nombre d’anarchistes; ils s’y rencontrent et y collaborent
avec des socialistes dont la grande majorité – il convient de
le noter au passage – n est pas moins hostile que ne le sont les
anarchistes à toute idée d’entente entre les syndicats et le parti
socialiste.
La
structure de la C.G.T.
La
structure de la C.G.T. mérite d’être connue. A la différence de
celle de tant d’autres organisations ouvrières, elle n’est ni
centralisatrice ni autoritaire. Le comité confédéral n’est pas,
comme l’imaginent les gouvernants et les reporters des journaux
bourgeois, un comité directeur, unissant dans ses mains le législatif
et l’exécutif : il est dépourvu de toute autorité.
La
C.G.T. se gouverne de bas en haut; le syndicat n’a pas d’autre
maître que lui-même, il est libre d’agir ou de ne pas agir; aucune
volonté extérieure à lui-même n’entravera ou ne déchaînera jamais
son activité.
A
la base donc de la Confédération est le syndicat. Mais celui-ci
n’adhère pas directement à la Confédération; il ne peut le faire
que par l’intermédiaire de sa fédération corporative, d’une part,
de sa Bourse du travail, d’autre part.
C’est
l’union des fédérations entre elles et l’union des bourses qui
constituent la Confédération. La vie confédérale est coordonnée
par le comité confédéral formé à la fois par les délégués des
bourses et par ceux des fédérations. A côté de lui fonctionnent
des commissions prises dans son sein. Ce sont la commission du
journal (la Voix du Peuple), la commission de contrôle, aux attributions
financières, la commission des grèves et de la grève générale.
Le
congrès est, pour le règlement des affaires collectives, le seul
souverain. Tout syndicat, si faible soit-il, a le droit de s’y
faire représenter par un délégué qu’il choisit lui-même.
Le
budget de la Confédération est des plus modiques. Il ne dépasse
pas 30 000 francs par an. L’agitation continue qui a abouti
au large mouvement de mai 1906 pour la conquête de la journée
de 8 heures n’a pas absorbé plus de 60 000 francs. Un chiffre
aussi mesquin a fait jadis, quand il a été divulgué, l’étonnement
des journalistes. Quoi ! C’est avec quelques milliers de
francs, que la Confédération avait pu entretenir, durant des mois
et des mois, une agitation intense ! C’est que le syndicalisme
français, s’il est pauvre d’argent est riche d’énergie, de dévouement,
d’enthousiasme, et ce sont là des richesses dont on ne risque
pas de devenir l’esclave.
Une
puissance
Ce
n’est pas sans effort ni sans longueur de temps que le mouvement
ouvrier français est devenu ce que nous le voyons aujourd’hui.
Il a passé depuis trente-cinq ans depuis la Commune de Paris –
par de multiples phases. L’idée de faire du prolétariat, organisé
en "sociétés de résistance, " l’agent de la révolution
sociale, fut l’idée mère l’idée fondamentale de la grande Association
internationale des travailleurs fondée à Londres en 1864. La devise
de l’Internationale était, vous vous en souvenez : L’émancipation
des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, et c’est
encore notre devise, à nous tous, partisans de l’action directe
et adversaires du parlementarisme. Les idées d’autonomie et de
fédération si en honneur parmi nous, ont inspiré jadis tous ceux
qui dans l’internationale se sont cabrés devant les abus de pouvoir
du conseil général et, après le congrès de La Haye, ont adopté
ouvertement le parti de Bakounine. Bien mieux, l’idée de la grève
générale elle-même, si populaire aujourd’hui, est une idée de
l’Internationale qui, la première, a compris la puissance qui
est en elle.
La
défaite de la Commune déchaîna en France une réaction terrible.
Le mouvement ouvrier en fut arrêté net, ses militants ayant été
assassinés ou contraints de passer à l’étranger. Il se reconstitua
pourtant, au bout de quelques années, faible et timide tout d’abord;
il devait s’enhardir plus tard. Un premier congrès eut lieu à
Paris en 1876 : l’esprit pacifique des coopérateurs et des mutualistes
y domina d’un bout à l’autre. Au congrès suivant, des socialistes
élevèrent la voix; ils parlèrent d’abolition du salariat. A Marseille
(1879) enfin, les nouveaux venus triomphèrent et donnèrent au
congrès un caractère socialiste et révolutionnaire des plus marqués.
Mais bientôt des dissidences se firent jour entre socialistes
d’écoles et de tendances différentes. Au Havre, les anarchistes
se retirèrent, laissant malheureusement le champ libre aux partisans
des programmes minimums et de la conquête des pouvoirs. Restés
seuls, les collectivistes n’arrivèrent pas à s’entendre. La lutte
entre Guesde et Brousse déchira le parti ouvrier naissant, pour
aboutir à une scission complète.
Cependant,
il arriva que ni guesdistes ni broussistes (desquels se détachèrent
plus tard les allemanistes) ne purent bientôt plus parler au nom
du prolétariat. Celui-ci, justement indifférent aux querelles
des écoles, avait reformé ses unions, qu’il appelait, d’un nom
nouveau, des syndicats. Abandonné à lui-même, à l’abri, à cause
de sa faiblesse même, des jalousies des coteries rivales, le mouvement
syndical acquit peu à peu de la force et de la confiance. Il grandit.
La Fédération des Bourses se constitua en 1892, la Confédération
générale du travail, qui dès l’origine, eut soin d’affirmer sa
neutralité politique, en 1895. Entre temps un congrès ouvrier
de 1894 (à Nantes) avait voté le principe de la grève générale
révolutionnaire.
C’est
vers cette époque que nombre d’anarchistes, s’apercevant enfin
que la philosophie ne suffit pas pour faire la révolution, entrèrent
dans un mouvement ouvrier qui faisait naître, chez ceux qui savaient
observer, les plus belles espérances. Fernand Pelloutier fut l’homme
qui incarna le mieux, à cette époque, cette évolution des anarchistes.
Tous les congrès qui suivirent
accentuèrent plus encore le divorce entre la classe ouvrière organisée
et la politique. A Toulouse, en 1897, nos camarades Delesalle
et Pouget firent adopter les tactiques dites du boycottage et
du sabotage. En 1900, la Voix, du Peuple fut fondée, avec Pouget
pour principal rédacteur. La C.G.T., sortant de la difficile période
des débuts, attestait tous les jours davantage sa force grandissante.
Elle devenait une puissance avec laquelle le gouvernement d’une
part, les partis socialistes de l’autre devaient désormais compter.
Assaut
au gouvernement
De
la part du premier, soutenu par tous les socialistes réformistes,
le mouvement nouveau eut alors à subir un terrible assaut. Millerand,
devenu ministre, essaya de gouvernementaliser les syndicats, de
faire de chaque Bourse une succursale de son ministère. Des agents
à sa solde travaillaient pour lui dans les organisations. On essaya
de corrompre les militants fidèles. Le danger était grand. Il
fut conjuré, grâce à l’entente qui intervint alors entre toutes
les fractions révolutionnaires, entre anarchistes, guesdistes
et blanquistes. Cette entente s’est maintenue, le danger passé.
La Confédération – fortifiée depuis 1902 par l’entrée dans son
sein de la Fédération des Bourses, par quoi fut réalisé l’unité
ouvrière – puise aujourd’hui sa force en elle; et c’est de cette
entente qu’est né le syndicalisme révolutionnaire, la doctrine
qui fait du syndicat l’organe, et de la grève générale le moyen
de la transformation sociale.
Pas
de syndicats d’opinion
Mais
– et j’appelle sur ce point, dont l’importance est extrême, toute
l’attention de nos camarades non français – ni la réalisation
de l’unité ouvrière, ni la coalition des révolutionnaires n’auraient
pu, à elles seules, amener la C.G.T. à son degré actuel de prospérité
et d’influence, si nous n’étions restés fidèles, dans la pratique
syndicale, à ce principe fondamental qui exclue en fait les syndicats
d’opinion : un seul syndicat par profession et par ville. La conséquence
de ce principe, c’est la neutralisation politique du syndicat,
lequel ne peut et ne doit être ni anarchiste, ni guesdiste, ni
allemaniste ni blanquiste, mais simplement ouvrier. Au syndicat,
les divergences d’opinion, souvent si subtiles, si artificielles,
passent au second plan; moyennant quoi, l’entente est possible.
Dans la vie pratique, les intérêts priment les idées : or toutes
les querelles entre les écoles et les sectes ne feront pas que
les ouvriers, du fait même qu’ils sont tous pareillement assujettis
à la loi du salariat, n’aient des intérêts identiques. Et voilà
le secret de l’entente qui s’est établie entre eux, qui fait la
force du syndicalisme et qui lui a permis, l’année dernière, au
Congrès d’Amiens, d’affirmer fièrement qu’il se suffisait à lui-même.
Action
directe
Je
serais gravement incomplet si je ne vous montrais les moyens sur
lesquels le syndicalisme révolutionnaire compte pour arriver à
l’émancipation de la classe ouvrière.
Ces
moyens se résument en deux mots : action directe.
Qu’est-ce
que l’action directe ? Longtemps, sous l’influence des écoles
socialistes et principalement de l’école guesdiste, les ouvriers
s’en remirent à l’État du soin de faire aboutir leurs revendications.
Qu’on se rappelle ces cortèges de travailleurs, en tête desquels
marchaient des députés socialistes, allant porter aux pouvoirs
publics les cahiers du quatrième État !
Cette
manière d’agir ayant entraîné de lourdes déceptions, on en est
venu peu à peu à penser que les ouvriers n’obtiendraient jamais
que les réformes qu’ils seraient capables d’imposer par eux-mêmes;
autrement dit, que la maxime de l’Internationale que je citais
tout à l’heure, devait être entendue et appliquée de la manière
la plus stricte.
Agir
par soi-même, ne compter que sur soi-même, voilà ce que c’est
que l’action directe.
Celle-ci,
cela va sans dire, revêt les formes les plus diverses.
Sa
forme la plus éclatante : la grève
Sa
forme principale, ou mieux sa forme la plus éclatante, c’est la
grève. Arme à double tranchant, disait-on d’elle naguère : arme
solide et bien trempée, disons-nous, et qui, maniée avec habileté
par le travailleur, peut atteindre au cœur le patronat. C’est
par la grève que la masse ouvrière entre dans la lutte de classe
et se familiarise avec les notions qui d’en dégagent; c’est par
la grève qu’elle fait son éducation révolutionnaire, qu’elle mesure
sa force propre et celle de son ennemi, le capitalisme, qu’elle
prend confiance en son pouvoir, qu’elle apprend l’audace.
Le
sabotage
Le
sabotage n’a pas une valeur beaucoup moindre. On le formule ainsi
: A mauvaise paye, mauvais travail. Comme la grève, il a été employé
de tout temps, mais c’est seulement depuis quelques années qu’il
a acquis une signification vraiment révolutionnaire. Les résultats
produits par le sabotage sont déjà considérables. Là où la grève
s’était montrée impuissante, il a réussi à briser la résistance
patronale. Un exemple récent est celui qui a été donné à la suite
de la grève et de la défaite des maçons parisiens en 1906 : les
maçons rentrèrent aux chantiers avec la résolution de faire au
patronat une paix plus terrible pour lui que la guerre : et, d’un
accord unanime et tacite, on commença par ralentir la production
quotidienne; comme par hasard, des sacs de plâtre ou de ciment
se trouvaient gâchés, etc., etc. Cette guerre se continue encore
à l’heure actuelle et, je le répète, les résultats ont été excellents.
Non seulement le patronat a très souvent cédé, mais de cette campagne
de plusieurs mois, l’ouvrier maçon est sorti plus conscient plus
indépendant, plus révolté.
L’esprit
révolutionnaire s’est ranimé
Mais
si je considère le syndicalisme dans son ensemble, sans m’arrêter
davantage à ses manifestations particulières, quelle apologie
n’en devrai-je pas faire ! – L’esprit révolutionnaire en
France se mourait, s’alanguissait tout au moins, d’année en année.
Le révolutionnarisme de Guesde, par exemple, n’était plus que
verbal ou, pis encore, électoral et parlementaire; le révolutionnarisme
de Jaurès allait, lui, beaucoup plus loin : il était tout simplement,
et d’ailleurs très franchement, ministériel et gouvernemental.
Quant aux anarchistes, leur révolutionnarisme s’était réfugié
superbement dans la tour d’ivoire de la spéculation philosophique.
Parmi tant de défaillances, par l’effet même de ces défaillances,
le syndicalisme est né; l’esprit révolutionnaire s’est ranimé,
s’est renouvelé à son contact, et la bourgeoisie, pour la première
fois depuis que la dynamite anarchiste avait tu sa voix grandiose,
la bourgeoisie a tremblé !
Un
syndicalisme indépendant
Eh
bien, il importe que l’expérience syndicaliste du prolétariat
français profite aux prolétaires de tous les pays. Et c’est la
tâche des anarchistes de faire que cette expérience se recommence
partout où il y a une classe ouvrière un travail d’émancipation.
A ce syndicalisme d’opinion qui a produit, en Russie par exemple,
des syndicats anarchistes, en Belgique et en Allemagne, des syndicats
chrétiens et des syndicats social-démocratiques, il appartient
aux anarchistes d’opposer un syndicalisme à la manière française,
un syndicalisme neutre ou, plus exactement, indépendant. De même
qu’il n’y a qu’une classe ouvrière, il faut qu’il n’y ait plus,
dans chaque métier et dans chaque ville, qu’une organisation ouvrière,
qu’un unique syndicat. A cette condition seule, la lutte de classe
cessant d’être entravé à tout instant par les chamailleries des
écoles ou des sectes rivales – pourra se développer dans toute
son ampleur et donner son maximum d’effet.
Le
syndicalisme, a proclamé le Congrès d’Amiens en 1906, se suffit
à lui-même. Cette parole, je le sais, n’a pas toujours été très
bien comprise, même des anarchistes. Que signifie-t-elle cependant,
sinon que la classe ouvrière, devenue majeure, entend enfin se
suffire à elle-même et ne plus se reposer sur personne du soin
de sa propre émancipation. Quel anarchiste pourrait trouver à
redire à une volonté d’action si hautement affirmée ?
Le
syndicalisme ne s’attarde pas à promettre aux travailleurs le
paradis terrestre. Il leur demande de la conquérir, en les assurant
que leur action jamais ne demeurera tout à fait vaine. Il est
une école de volonté, d’énergie, de pensée féconde. Il ouvre à
l’anarchisme, trop longtemps replié sur lui-même, des perspectives
et des espérances nouvelles. Que tous les anarchistes viennent
donc au syndicalisme; leur œuvre en sera plus féconde, leurs coups
contre le régime social plus décisifs.
Comme
toute œuvre humaine, le mouvement syndical n’est pas dénué d’imperfections
et loin de les cacher, je crois qu’il est utile de les avoir toujours
présentes à l’esprit afin de réagir contre elles.
La
plus importante c’est la tendance des individus à s’en remettre
du soin de lutter à leur syndicat, à leur Fédération, à la Confédération,
à faire appel à la force collective alors que leur énergie individuelle
aurait suffi. Nous pouvons, nous anarchistes, en faisant constamment
appel à la volonté de l’individu, à son initiative et à son audace
réagir vigoureusement contre cette néfaste tendance au recours
continuel, pour les petites comme pour les grandes choses, aux
forces collectives.
Le
fonctionnarisme syndical, aussi, soulève de vives critiques, qui,
d’ailleurs, sont souvent justifiées. Le fait peut se produire,
et se produit, que des militants n’occupent plus leurs fonctions
pour batailler au nom de leurs idées, mais parce qu’il y a là
un gagne-pain assuré. Il ne faut pourtant pas en déduire que les
organisations syndicales doivent se passer de tous permanents.
Nombre d’organisations ne peuvent s’en passer. Il y a là une nécessité
dont les défauts peuvent se corriger par un esprit de critique
toujours en éveil.
Pierre Monatte
séance du 28 août 1907 (au soir).
Document sur la création d’une monnaie socialiste
(Syndicat
des Textiles, Barcelone, 1936)
EXEMPLE DE REFORME MONETAIRE ET SCHEMA DE LA CIRCULATION
FIDUCIAIRE DANS UNE ECONOMIE SOCIALE
(Ce
projet fut rédigé, fin 1936, par des ingénieurs et des ouvriers
cénétistes de l’industrie textile de Catalogne).
La
première étape de la révolution actuelle sera une révolution économique
et monétaire, ou ne sera pas la révolution. La modification du
système monétaire est aussi importante que la mise en ordre de
l’économie si nous voulons une transformation biologique et viable
de la société.
Le
système monétaire est un système de mesure et de comparaison de
la valeur des choses, exactement comme le système métrique est
un système de mesure et de comparaison des dimensions des choses.
La
suppression de la monnaie n’est donc pas possible dans une société
organisée, puisque la nécessité de comparer les choses et de les
échanger est évidente pour l’homme, y compris le solitaire.
Comme
tous les systèmes de mesure et de comparaison, le système monétaire
repose sur une base arbitraire. C’est ce fondement arbitraire
du système monétaire qu’il est possible de changer ou de réformer
radicalement, exactement comme la base arbitraire du système métrique
a remplacé, dans certains pays, la base arbitraire des systèmes
de mesure et de comparaison des dimensions des objets en vigueur
avant la Révolution Française.
Il
faut comprendre que remplacer le système monétaire actuel par
un système de bons n’est pas supprimer la monnaie ; c’est
simplement en remplacer la base arbitraire actuelle par une autre
base arbitraire d’échange. Peut-on croire sérieusement que des
bons – forcément différents pour chacun des usages auxquels ils
sent destinés – peuvent remplacer avec succès le système monétaire
et financier actuel, presque parfait, considéré comme une science
de la mesure de la valeur des choses, si l’intervention des passions
humaines ne jouait pas continuellement ? Il est nécessaire
de comprendre que le système monétaire et financier actuel doit
être réformé dans un sens qui lui conserve tous ses avantages,
résultant des expériences économiques de nombreuses générations
humaines et qui fasse disparaître autant que possible ses défauts
que le machinisme a mis clairement en évidence.
Le
système monétaire actuel ne peut tenir compte de la production
chaque jour plus grande de la technique moderne, premièrement
parce qu’il manque de réserves d’or, et ensuite à cause de l’accaparement
individuel – et durant de longues périodes – de réserves importantes
d’or et de devises.
Il
faut, avec les mêmes réserves d’or existant actuellement construire
un système monétaire plus souple. La révolution économico-sociale
que nous impose le machinisme ne sera pas un fait humainement
possible tant qu’on ne comprendra pas que pour la première fois
dans l’histoire de l’humanité, la production dépasse tellement
la consommation permise par nos finances actuelles, que le déséquilibre
économico-social naît du fait de vouloir conserver un système
monétaire tel que, pour permettre la consommation normale des
richesses produites et accumulées, il faudrait des réserves d’or,
ou d’autres métaux précieux, en quantité si grande qu’il est impossible
de penser à leur existence.
Il
faut un système monétaire qui, par la rapidité du signe monétaire
et par l’automatisme quasi instantané des compensations bancaires,
permette la garantie financière minimum nécessaire, et cela avec
les seules réserves actuelles d’or et de métaux précieux.
La
réforme monétaire radicale – qui permettrait donc à la fois de
détruire la cause principale du capitalisme et de construire une
économie saine et forte dans ses bases – doit être fondée sur
la séparation pratique et effective de ces deux conceptions :
moyens de consommation et moyens de production.
La
destruction du pouvoir fétiche de l’argent ne sera pas un fait
tant que le système monétaire en vigueur ne nous obligera pas
tous à comprendre cette distinction des conceptions que nous imposent
les instincts primitifs de l’homme et la complexité de l’économie
moderne. L’instinct de propriété chez l’homme est lié à sa nature:
il est nécessaire de favoriser la satisfaction de cet instinct
par les moyens de consommation qui lui sont indispensables pour
réaliser pleinement sa liberté humaine ; et renforcer la
tendance, innée en lui, de mettre en commun les moyens de production
afin d’obtenir un rendement plus élevé.
Toutes
les réserves d’or et de métaux précieux existantes étant mises
à la disposition de la Nouvelle Economie Sociale, elles représenteront
la garantie internationale du système fiduciaire qu’impose la
séparation pratique et effective, signalée plus haut, des causes
et des effets sociaux de la production et de la consommation.
Sur la réserve d’or et de métaux précieux que les contingences
de la guerre et de la Révolution laissent aux mains des peuples
ibériques, il faut créer le système fiduciaire suivant :
différent en ce qui concerne la manipulation des moyens et des
instruments de production et en ce qui concerne l’achat de l’usufruit
de la propriété et des moyens de consommation, mais unique en
ce qui concerne sa valeur relative d’échange.
1° –
Monnaie de consommation
Elle
facilitera la libre manipulation, l’achat, le paiement et l’usufruit
de la propriété et des moyens de consommation, et elle sera l’instrument
de la conquête du pouvoir économique minimum pour tous et chacun
des individus libres, le salaire familial et les primes à la production
données éventuellement étant payés en monnaie de consommation.
La
monnaie de consommation aura une circulation monétaire visible
et uniforme sous la forme de papier-monnaie de valeur variable
selon le temps dans le but de stimuler la consommation et d’éviter
la thésaurisation sans détruire l’épargne personnelle et familiale.
Le
papier-monnaie de consommation sera diminué, par périodes, d’un
pourcentage annuel ou trimestriel à fixer selon que les émissions
de billets seront annuelles ou trimestrielles.
Le
papier-monnaie de consommation permettra seulement l’échange de
la production et des moyens de consommation, à l’exclusion absolue
des moyens et instruments de production.
La
valeur réelle du papier-monnaie de consommation sera fixée et
convertie immédiatement en monnaie de production à son retour
dans le cycle de la production : industries de consommation,
services sanitaires et culturels, caisses de sécurité personnelles,
commerce de détail, transport de personnel et de matériel. Le
signe monétaire sera radicalement neutralisé et détruit une fois
exécutées les diverses compensations bancaires en monnaie de production.
Chaque
année, selon l’indice de richesse collective du pays et les possibilités
de la production, la quantité totale et maximum de la propriété
personnelle et familiale de consommation sera fixée, et il sera
dressé une liste des moyens de consommation qui pourront être
normalement et librement manipulés et utilisés avec le papier-monnaie
de consommation.
La
manipulation des capitaux de consommation sera libre, leur possession
permettra seulement la consommation dans la Nouvelle Economie
Sociale.
2°
– Monnaie de production
Ce
sera l’unité d’échange pour toutes les transactions industrielles,
commerciales, financières et bancaires des moyens de production,
sans absolument aucune exception.
La
monnaie-unité de production n’aura pas de circulation monétaire
visible et uniforme, mais sa valeur sera constante et fixe, et
elle ne sera sujette à aucune spéculation.
L’usage
de la monnaie de production sera obligatoire pour toutes les transactions
des moyens de production, au moyen d’estimations écrites (chèques,
lettres, etc.) signées par les syndicats professionnels, vendeur
et acheteur, et contrôlées par leur service bancaire, selon les
normes bancaires générales.
Toutes
les compensations bancaires se feront normalement et par les procédés
les plus rapides, selon la loi de comptabilité bancaire de la
Nouvelle Economie Sociale.
La
manipulation des capitaux de production sera nécessairement et
totalement aux mains des syndicats professionnels, et on n’en
permettra l’utilisation à aucune autre personne naturelle ou juridique,
si ce n’est aux services économiques des organismes politiques,
sociaux et judiciaires strictement nécessaires à ‘la nouvelle
société.
3°
– Sur le marché international, la base du Commerce Extérieur sera l’échange,
et l’or et les autres métaux précieux seront dans tous les cas
considérés comme marchandise d’échange, jusqu’à la création d’une
monnaie internationale.
*
* * * * * *
IMPRIMERIE
34
DÉPÔT
LÉGAL 2e trimestre 1976Toulouse
[1]
Notons que « Communistes » (marxistes) et « Collectivistes »
(bakouninistes) furent alliés pour combattre certains proudhoniens
de droite (Tolain) qui défendaient la propriété privée.
[2]
Les internationaux de la Commune (Varlin, Malon, Vallès, L.
Michel, etc.) étaient tous proches des conceptions de Bakounine,
sauf Frankel.
[3]
James Guillaume est un des militants les plus importants du
mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle. Sa carrière
politique commença au coté de Bakounine pour se terminer avec
Pelloutier, Griffuelhes, Pouget et Monatte ; il fut la
plus vivante liaison entre socialisme révolutionnaire anti-autoritaire
et syndicalisme révolutionnaire.
[4]
A part ceux qui devaient former le « Spartakusbund »,
Luxembourg et Liebknecht.
[5]
Avec certains anarchistes-communistes tels Malatesta et Sébastien
Faure.
[6]
Voir la lettre de démission du Comité Exécutif de P. Monatte.
[7]
Terme qui n’implique pas que les travailleurs refusent l’emploi
de la violence de masse révolutionnaire contre leurs exploiteurs
– acte nécessairement « autoritaire » – mais qui signifie
que dans l’organisation de la société socialiste, l’autorité
ne sera pas au-dessus des travailleurs en s’imposant à eux,
autrement dit autogestion et fédéralisme.
[8]
Le film récent « Jo Hill ».
[9]
F. Brupbacher .Marx et Bakounine », op. cit. p. 147
[10]
F. Brupbacher. Pour les soixante de James Guillaume »,
in La vie ouvrière, 20 février 1914, ibid, p. 186.
[11]
Les idéaux libertaires pénétrèrent profondément deux populations
de paysans pauvres, en Andalousie et en Bulgarie. La lutte contre
les latifundiaires prit très vite le caractère d’une âpre cruauté,
les coups de main répondant aux massacres, comme dans toute
révolte paysanne ; cette résistance ou cette lutte ouverte,
selon le contexte, n’a jamais cessé et dure encore (cf. Lorenzo,
Les Anarchistes espagnols et le pouvoir, le Seuil éd., et
G. Balkanski, G. Cheïtanov, pages d’histoire du mouvement
libertaire bulgare, Notre route »
[12]
« Un édifice social de plusieurs centaines d’années ne
se détruit pas avec quelques kilos de dynamite », P. Kropotkine.
[13]
Cf. »Le manifeste des seize » in Histoire du mouvement
anarchiste de J. Maitron.
[14]
Pour donner un ordre de grandeur, Voline (La Révolution inconnue),
réédition Belfond) écrit qu’après l’accord d’octobre 1919 entre
l’armée Rouge et les troupes de Makhno environ 200 000
libertaires furent libérés. Ils partirent pour la plupart en
Ukraine.
[15]
Cf. son discours : « La crise imminente et les moyens
de la conjurer ».
[16]
Les Bolcheviks et l’opposition, Leonard Shapiro, Plon
éd.
[17]
Notons que pendant la présence des makhnovistes à Ekaterinoslaw,
trois journaux socialistes parurent, celui des S.R. de droite,
celui des S.R. de gauche ainsi que celui des bolcheviks. Les
makhnovistes brisèrent simplement toute tentative de recréer
un pouvoir politique extérieur aux travailleurs, ils désiraient
mettre les masses en état de « libre élaboration ».
[18]
Cf. « Défense de Lénine », in Les Réflexions sur
la violence de G. Sorel (1906).
[19]
Un de nos camarades, insoumis en 1914 et réfugié en Espagne,
Gaston Leval, nous dit qu’à la nouvelle de la révolution russe,
les anarcho-syndicalistes catalans crurent dans un premier temps
que les bolcheviks se rattachaient à la tradition révolutionnaire
libertaire, ils ne connaissaient en effet que le marxisme réformiste.
[20]
Brupbacher « Soixante ans d’hérésie », op. cit.
[21]
Cette confusion n’est que le reflet des propres contradictions
de la doctrine de Marx et d’Engels où trois définitions de la
dictature du prolétariat cohabitent, une parlementaire démocratique
(« Catéchisme communiste », d’Engels), une jacobine,
plus ou moins héritée de Babeuf et Blanqui (Le 18 Brumaire
de Louis Napoléon Bonaparte) et une 3e non dictatoriale
et libertaire (La guerre civile en France). Voir A. Collinet,
La tragédie du marxisme, Calmann-Lévy éd.
[23]
C’est nous qui soulignons ; les deux organisations, parti
et confédération syndicale, ne pouvaient donc mener une existence
autonome.
[24]
E. Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome II,
p. 351, A. Collin éd.
[25]
Monatte, syndiqué ou Syndicat des correcteurs de Paris, n’a
jamais appartenu è la C.G.T.U.
[26]
Monatte, fondateur de La Viie ouvrière, transmit sa direction
à Monmousseau lorsque fut fondée la C.G.T.U. parce que son syndicat
restait à la CG.T. A cette époque, il dut choisir entre Rosmer
et Monmousseau. ce dernier était encore syndicaliste révolutionnaire,
et adversaire de la liaison organique, alors que Rosmer lui,
en était partisan. Ironie de l’histoire, Monmousseau devint
bolchevik, et la VO le journal de la tendance communiste !
[27]
La Révolution prolétarienne, 21 rue Jean-Robert, 75018
Paris.
[28]
Lors des grandes grèves de juin 1936, la section de la Fédération
des Techniciens de Renault prit contact avec la CGTSR pour envisager
de refaire tourner l’usine par les travailleurs en autogestion,
projet interrompu par le : « Il fout savoir terminer
une grève. »
[29]
Voline, Alexandre Schapiro et Camillo Berneri militèrent tous
trois à la CGTSR.
[30]
Fondée en 1923 à Berlin, l’A.I.T. réunit les syndicalistes révolutionnaires
de tendance libertaire ; elle voulait s’opposer à l’Internationale
syndicale, dite d’Amsterdam, et à l’Internationale syndicale
rouge. Elle était implantée surtout en Espagne, en Suède, en
Bulgarie, en Argentine. (voir en annexe sa déclaration de principe).
[31]
Dans cette même période, des ouvriers du P.S.U.C., parti communiste
catalan, déclaraient à lIya Ehrenburg, en 1936 : « Plutôt
les fascistes que les anarchistes ». (d’après
Odyssey Review, New York, 12-62, p. 50, traduit
de Novy Mir, Moscou 1962).
[32]
Extrait de Solidarité ouvrière, 21, rue Jean-Robert,
Paris 18e.
[33]
Cf. l’affaire Lyssenko.
[34]
Jusqu’ici la lutte entre les classes s’est toujours résolue
par la victoire d’une troisième classe : l’opposition entre
les serfs et les seigneurs se termine par la victoire d’un troisième
et nouveau pouvoir, celui de la bourgeoisie ; ensuite,
au XXe siècle, l’opposition entre la bourgeoisie
et le prolétariat s’est achevée, ici et là, par l’apparition
d’une troisième puissance, celle de la « bureaucratie politique ».
(Max Adler, Démocratie et conseils ouvriers, F. Maspéro
édit.)
[35]
La cause fondamentale des révolutions socialo-nationales des
pays du tiers monde est sans doute l’échec du socialisme dans
les pays industrialisés,
[36]
N.D.L.R. Naturellement il s’agit de l’école officielle telle
qu’elle existait. On le verra plus loin.
[37]
C’est exactement la thèse de Kropotkine dans À la conquête
du pain (N.D.L.R.)
[38]
A l’époque où fut votée cette résolution la C. G. T. U. existait
encore.
[39]
« L’histoire
de tous les pays atteste que la classe ouvrière, livrée à ses
seules forces, ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste,
c’est-à-dire à la conviction de la nécessité de s’unir en syndicat,
de mener la lutte contre les patrons, de réclamer du gouvernement
telle ou telle loi nécessaire aux pauvres... Quant à la doctrine
du socialisme, elle a surgi des théories philosophiques, historiques,
économiques élaborées par des représentants instruits des classes
possédantes, les intellectuels. Par leur situation sociale,
les fondateurs du socialisme scientifique contemporain, Marx
et Engels, étaient des intellectuels bourgeois. De même, en
Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit
indépendamment de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ;
elle fut le résultat naturel et fatal du développement de la
pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. »
« Le mouvement ouvrier spontané, c’est le trade-unionisme...
le trade-unionisme, c’est justement l’asservissement idéologique
des ouvriers par la bourgeoisie. (Que faire ?).
Le
porteur de la science n’est pas le prolétariat, mais la catégorie
des intellectuels bourgeois ; c’est en effet dans le cerveau
de certains individus de cette catégorie qu’est né le socialisme
contemporain et c’est par eux qu’il a été communiqué aux prolétaires
intellectuellement les plus développés qui l’introduisirent
ensuite dans la lutte de classes du prolétariat là où les conditions
le permettaient. Ainsi donc la conscience socialiste est un
élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat,
et non quelque chose qui en surgit spontanément (Kautsky, « Les
Trois Sources du Marxisme », cité par Lénine).
(Extraits
de Solidarité ouvrière n° 15-16, juillet-août 1972).
[40]
« Nous n’avons pas seulement en vue de préparer une révolution
qui soit une simple transmission de pouvoirs. Nous voulons habituer
le prolétariat à se passer de gouvernants. Nous devons donc
conseiller, instruire, mais non diriger ». F. Pelloutier,
registre des délibérations du comité fédéral des bourses du
travail, 11 octobre 1895.
[41]
« Le camarade Pelloutier (Saint-Nazaire) appuie cette tactique,
(l’action directe) car c’est seulement par l’action personnelle
que les travailleurs pourront obtenir les améliorations qu’ils
désirent. Il faut donc encourager tout ce qui tend à l’effort
direct, tout ce qui est de nature à faire naître l’esprit d’initiative
et l’énergie, faire comprendre en un mot, au prolétariat qu’il
doit exclusivement compter sur lui-même. », Ibid.,
27 novembre 1896.
[42]
Les sociologues considèrent les partis politiques comme des
groupements de fait, qui se déterminent par rapport au pouvoir
de l’Etat ou à l’Etat.
[43]
L’expression
« dictature du prolétariat », axe de propagande et
forme transitoire de l’Etat révolutionnaire des marxistes révolutionnaires,
a toujours été une incantation plus qu’un mot d’ordre ou un
concept. Incantation dans la mesure où son écho devait donner
naissance à des phantasmes de grand soir et de barricades, plutôt
qu’un nom générique recouvrant un certain nombre d’idées précises
sur les rapports réels entre la classe des travailleurs et ses
organisations ; entre les formes économico-sociales que
e le prolétariat victorieux donnerait à la société et le chaos
du capitalisme en voie de disparition.
L’idée
de dictature révolutionnaire naît tout naturellement des péripéties
et de l’étude de la révolution française. La tradition jacobine
inspire Blanqui lorsqu’il parle de « dictature de la plèbe »,
c’est-à-dire « ...celle d’une minorité prolétarienne ultra-centralisée,
appuyée sur une milice ouvrière armée, et gouvernant de Paris
sans assemblée délibérante jusqu’à ce que par une éducation
nouvelle le champ prolétaire soit débarrassé des mauvaises herbes
bourgeoises et monarchiques » (M. Collinet, « La tragédie
du marxisme », Calmann-Lévy édit.). Un régime économique
modéré de transition accompagne cette dictature ; en termes
socialistes, la conception de Blanqui – et de Lénine qui aimait
à se définir comme « un jacobin lié à la classe ouvrière »,
c’est la conquête dictatoriale du pouvoir d’Etat, mais non l’instauration
du socialisme dans la mesure où la gestion ouvrière, et parfois
l’expropriation, est rejeté vers une prise de conscience du
prolétariat dans un lointain avenir. C’est un pouvoir se proclamant
l’émanation – l’esprit – du prolétariat contrôlant dictatorialement
une société où existent encore l’échange en fonction de la valeur
marchande, l’achat et la vente de la force de travail, quelquefois
la propriété privée de certains moyens de production. Nous avons
là un schéma qui s’est réalisé en 1921 en Russie, avec la N.E.P.
Cette
notion de dictature du prolétariat – conquête par les partis
dits « prolétariens » du pouvoir d’Etat – privilégie
toujours le pouvoir politique des socialistes contre les mesures
socialistes de prise en main de l’économie par les organisations
de travailleurs ; jusqu’à présent, cette stratégie a échoué
dans la mesure où le socialisme est une modification des rapports
socio-économiques de propriété, de gestion, de distribution
et non la survivance de la forme capitaliste de ces rapports
sous un gouvernement qui se dit socialiste.
A
l’origine du mouvement anarcho-syndicaliste, des confusions
ont existé dans les esprits. Ainsi on peut lire dans le « Bulletin
de la Fédération jurassienne » du 12 juillet 1874 :
« Nous
aussi, nous voulons la dictature du prolétariat pendant la période
révolutionnaire.
« Mais
… la dictature que nous voulons, c’est celle que les masses
insurgées exercent directement, sans l’intermédiaire d’aucun
comité ni gouvernement. Nous ne voulons pas mettre la responsabilité
de la révolution entre les mains de quelques hommes chargés
de rendre des décrets que le peuple exécutera. Au lieu de ce
système classique, qui aboutit à remettre le peuple sous un
nouveau despotisme, notre vœu est de voir les masses insurgées
agir par leur propre initiative, et substituer le fait révolutionnaire,
expression directe de la volonté du peuple, au décret révolutionnaire,
émanant d’une autorité chargée de gouverner la révolution. »
Entre
ces deux thèses : celle de l’organisation de « révolutionnaires
professionnels » qui doit diriger le prolétariat au risque
de créer de nouvelles formes d’exploitation et d’oppression
et celle qui fait confiance à une spontanéité complète au risque
de l’échec par manque de coordination et de préparation, nous
pensons que le syndicalisme révolutionnaire établit une synthèse :
pas plus que le syndicalisme ne pose le problème du socialisme
en terme de direction mais d’auto-formation, il ne le pose en
terme de dictature. Au cours d’un exposé d’Edmond Maire sur
le « socialisme démocratique », un contradicteur lui
posa la question suivante : « Supposez qu’un mouvement
fasciste se développe, que ferez-vous ? » E. Maire
répondit en trois points : – dans une société réellement
socialiste et autogestionnaire un tel mouvement n’aurait
que peu de possibilités de devenir puissant ; en revanche,
si un mouvement fasciste se développait, il faudrait
en chercher les causes objectives et les rectifier dans la société ;
– dépourvu du soutien du grand capital exproprié, il n’aurait
que les ressources de ses adhérents ; – la répression policière,
c’est-à-dire des interdictions administratives et des policiers
spécialisés dans l’investigation et la répression, est dangereuse,
car elle peut se retourner contre les travailleurs.
Nous
pensons que cette réponse est bonne. Nous aurions ajouté que
si la répression est dangereuse par l’appareil qu’elle exige
et que le mouvement révolutionnaire doit éviter les attaques
contre les personnes, la violence de masse contre les organisations
contre-révolutionnaires s’impose : manifestations de masse
contre les locaux et les imprimeries, contre-manifestations
en direction des meetings et des rassemblements.
Devenu,
dans la vision anarcho-syndicaliste, l’ossature de la société
civile, puisque ses sections – les conseils ouvriers d’entreprise
–, ses syndicats et ses fédérations d’industrie gèrent, distribuent
et planifient comme ses U.L., U.D. et U.R. coordonnent économie
et problèmes sociaux chacun à son échelon, le syndicalisme n’exerce
pas une dictature, il est simplement « le prolétariat érigé
en classe dominante » qui possède le pouvoir économique
et donc le pouvoir politique, lequel est issu directement du
prolétariat et lui est immanent.
[44]
Le contrôle syndical de la production consiste, d’après P. Besnard,
à organiser à côté de l’appareil de gestion patronal ou étatique
des organismes ouvriers issus du syndicalisme, à tous les échelons,
qui étudieront et feront connaître le fonctionnement réel de
l’entreprise ou de l’administration, analyseront les
bilans, les sources de matière première, les débouchés, etc.
Dans la conception de ce théoricien du syndicalisme révolutionnaire,
leur rôle serait essentiellement pédagogique et préparerait
dans chaque usine, atelier, bureau l’autogestion.
L’Alliance
syndicaliste a repris les idées de Besnard dans son « Manifeste » :
« –
constitution immédiate dans les entreprises privées ou publiques
de conseils de contrôle de la production et d’apprentissage
de gestion, indépendants du patronat et de l’Etat.
« –
fédération des conseils parallèles de gestion, afin de connaître
le processus de production et de pouvoir le contrôler lors de
la suppression du patronat et du salariat ».
Notons
que les conceptions de P. Besnard étaient présentes à l’esprit
de chaque militant de la C.N.T. espagnole, lesquels avaient
commencé dès avant 1930 à organiser un contrôle syndical de
la production, fait qui explique en partie la réussite des collectivisations
industrielles et agricoles de la révolution.
[45]
Une étude sur la révolution espagnole (F. Mintz, (« L ‘autogestion
dans la révolution espagnole ») démontre le processus suivant :
à l’inverse de la Russie ou des conseils se forment et se fédèrent
spontanément parce qu’i1 n’existe pas d’organisation syndicale
importante, en Espagne l’organisation spontanée du prolétariat
lors du choc révolutionnaire se fait à travers l’organisation
syndicale révolutionnaire, les conseils s’intègrent à sa structure
et la renforcent.
[46]
L’Etat,
« monopole de l’usage légal de la face sur un territoire
donné », c’est-à-dire à l’époque le pouvoir militaire des
nobles, a usurpé une « possibilité » d’organisation
publique basée sur les communes libres (cf. L’Entraide
de Kropotkine). L’erreur est de penser que parce que cela s’est
produit, c’était nécessaire.
Deux
types d’organisation sociale et politique se combattaient à
la fin du Moyen Age : les communes villageoises et citadines
libres et fédérées, par exemple la Ligue hanséatique, les cantons
suisses originels (Uri, etc.), les ligues grisonnes, et l’Etat
monarchique centralisateur. C’est au cours de ce qu’on appelle
les guerres de religion, particulièrement la guerre de Trente
Ans, que l’Etat monarchique a pu asseoir son pouvoir par la
victoire militaire.
[47]
« ...si la force de collectivité est originellement immanente
à la société et n’émane que de l’activité sociale, elle peut
être appropriée, détournée de sa source. Précisément parce que
la force collective n’est pas une réalité tangible mais une
œuvre incessamment recréée par les hommes organisés, elle peut
être accaparée, aliénée, arrachée à ceux mêmes qui en sont les
auteurs. ») (P. Ansart, Sociologie de Proudhon,
p, 103).
[48]
Dans La révolution sociale ou la dictature
militaire, texte rédigé à partir du 29 septembre 1870
et refondu plus tard dans l’Empire knouto-germanique,
Bakounine montre déjà comment et dans quelles circonstances
la classe bourgeoise n’hésite pas à s’exproprier politiquement
en « renonçant à sa liberté au nom du salut de sa bourse ».
L’extrait
suivant nous paraît remarquable : « Adorant la république
d’un amour platonique, mais doutant de sa possibilité ou du
moins de sa durée, le bourgeois tend toujours à s’en remettre
sous la protection d’une dictature militaire qu’il déteste,
qui le froisse, l’humilie et qui finit toujours par le ruiner
tôt ou tard, mais qui lui offre au moins toutes les conditions
de la force et de l’ordre public. »
[49]
« La
propriété de classe qui en Russie est un fait ne résulte certainement
d’aucun acte notarié. La nouvelle classe exploiteuse soviétique
n’a pas besoin de ces balivernes. Elle a la force de l’Etat
en main et cela vaut beaucoup plus que les vieux enregistrements
de la bourgeoisie. Elle sauvegarde sa propriété avec des mitrailleuses
et non pas des actes notariés. » (Bruno Rizzi, La bureaucratisation
du monde, Paris, 1939, p. 49.)
[50]
Le comité d’entreprise ou d’établissement constitue incontestablement
un outil d’information économique (publication de bilans, comptes
d’exploitation, comptes de pertes et profits, situation financière
de l’entreprise...) que les S.S.E. ne sauraient négliger dans
leur rôle d’organisation et d’information des travailleurs contre
le patronat. Cependant, lorsqu’il s’agit des œuvres sociales,
bien souvent nous constatons que les patrons cherchent à faire
porter par les militants syndicalistes dans les C.E. la casquette
de la responsabilité dans la gestion de la misère des quelques
miettes qu’ils consentent en « matière sociale ».
[51]
(2)
Les militants à deux casquettes dans les syndicats cherchent
souvent à cantonner les syndicats dans un rôle purement revendicatif
(à un point parfois caricatural : « préservation des
acquis » comme l’A.J.S.-O.C.I.). Ils réservent les problèmes
généraux de la société au parti politique.
Il
existe en première analyse quatre « modèles » syndicaux :
La
conception bourgeoise
: Le syndicat est un groupe de pression représentant des
intérêts particuliers ; par l’harmonisation de ces intérêts
divers, l’Etat maintient la cohésion sociale.
– La
conception travailliste : Le syndicat secrète un parti
politique qui le « représente au parlement ».
– La
conception social-démocrate : Les travailleurs sont organisés
dans un édifice à trois étages : la classe, le syndicat
et le parti. Issue de la social-démocratie allemande, cette
conception a été reprise à la fois par l’Internationale socialiste
et par les bolcheviks.
– La
conception anarcho-syndicaliste : elle donne au syndicat
le rôle primordial.
La
« direction » d’un parti politique sur un syndicat
peut ne pas être voyante. La conception de certains militants
du. P.S. au du P.S.U. relève de la direction idéologique (au
moins) : le parti « fait de la politique » et
« donne des idées » au syndicat…
[52]
Les intertitres ont été rédigés par les rédacteurs de la brochure.
R.B. mars 2008.
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