Message Internet le 9 Mai 2003
Subject: [escape_l] Brevetage et pneumonie atypique
Bonjour,
Vous et moi entendons parler chaque jour de ce fameux SRAS, la "pneumonie
atypique" qui se répand dans le monde comme la peste. Nous
vivons au rythme des décès de Hong-Kong ou de Toronto, preuve
que le monde s'est bien mondialisé.
Nous vivons aussi au rythme des avions qui baladent le virus au quatre
coins de la planète.
Nous vivons enfin le courage des médecins et des infirmières
qui malgré les difficultés et les risques restent en place
pour assurer la sauvegarde de l'humanité. Nous avions déjà
été émerveillés de la générosité
des infirmières du Zaire, il y a trois ans, lors de l'épidémie
du virus Ebola. Nous le sommes à nouveau quand nous lisons les
récits des soignants de l'Hôpital français de Hanoï
qui ont les premiers mis le doigt sur le danger que représentait
ce SRAS. Nous saluons la mémoire des médecins, spécialistes
des épidémies, qui sont allés assurer la mise en
aseptie des locaux. Ces médecins courageux du SAMU de Paris,
qui ont eu tant de mal à rentrer en France, une fois leur mission
essentielle pour l'humanité accomplie.
Nous savons toutes et tous que le danger de ces nouveaux virus est présent
en permanence.
Mais ce que nous voulons laisser de côté, c'est la marche
en avant funèbre que les compagnies pharmaceutiques préparent
sur cette affaire.
Le "Michael Smith Genome Sciences Centre" de l'agence pour
le cancer de British Columbia, au Canada, a le premier découvert
le séquençage du "corona virus" qui serait le
responsable de cette maladie, qui pourrait être une des nouvelles
pestes qui menacent le monde. L'annonce a été faite le
13 avril.
Pas plus tard qu'aujourd'hui, 6 mai, nous apprenons que ce même
centre de recherche vient de déposer un brevet sur ce séquençage.
Ce qui est vraiment intéressant, c'est le discours de Susan O'Reilly,
porte parole de ce Centre : "We have made a defensive filing of a
provisional patent application that we intend will protect accessibility
to this scientific information rather than a monopoly approach by possibly
other organizations, corporations or individuals that could preclude access
to scientists across the world including ourselves" ( Nous avons
fait ce dépôt de manière préventive pour protéger
l'accès à cette information scientifique et éviter
une approche monopolistique émanant d'autres organisations, entreprises
ou individus qui pourraient barrer l'accès aux scientifiques partout
dans le monde, y compris nous-mêmes". ("the Canadian Press",
6 mai 2003
http://www.mytelus.com/news/article.do?articleID=1323070).
En clair, si les scientifiques des agences d'Etat (canadien) ne déposent
pas ce brevet, alors d'autres, plus intéressés pourraient
le faire et la recherche dans son ensemble en pâtirait... De quoi
faire se retourner dans leurs tombes les médecins et les infirmières
si généreux dont nous parlions il y a un instant.
Car dans le monde impitoyable des brevets, tous les coups bas sont possibles.
Nous parlons souvent du SIDA et des conséquences désatreuses
pour la planète de l'attitude des grandes industries pharmaceutiques...
et bien le phénomène se reproduit exactement maintenant
sous nous yeux avec le SRAS.
Heureusement, il reste des scientifiques honnêtes. Le Docteur Marco
Marra, qui est crédité de la découverte, n'a pas
voulu que son nom apparaisse sur le brevet : "This stems largely
from a personal belief that DNA sequence is a discovery as opposed to
an invention and should not be patentable" (j'ai fais cela parce
que je crois que les séquences d'ADN sont des découvertes
et non pas des inventions et ne doivent pas être brevetables). Car
même avec les meilleures intentions du monde, la route de l'enfer
des brevets n'est pas uniquement pavée de bonnes intentions. Le
Docteur Abraham, directeur du développement de cet institut, indique
que les bénéfices seront partagés par moitié
pour le Centre et sa recherche et pour moitié pour les scientifiques.
Anie Perault, qui est la vice-présidente de Genome Canada, l'organisme
public qui a financé le matériel du Centre de recherche,
précise : "Overall we think researchers should protect their
intellectual property. We do favour commercialization but we don't have
a position on how far it should go" (Par dessus tout, nous pensons
que les chercheurs doivent préserver leur propriété
intellectuelle. Nous privilégions la commercialisation, mais nous
n'avons pas de position sur le degré de celle-ci).
Si je comprends bien, le découvreur estime qu'il n'est pas un inventeur,
ce qui est sa gloire, mais les autres ont déposé le brevet,
pour le bien de l'humanité évidemment, puisque c'est pour
permettre le libre-accès à l'information scientifique. Ils
vont se partager la moitié des revenus qui sont néanmoins
espérés par le directeur administratif du centre et par
l'organisme qui a financé le matériel de recherche pour
ce centre.... La boucle est bouclée.
Et dire qu'il y en a qui font simplement des pansements aux malades au
risque de leur vie... et dire qu'il y a des volontaires pour désinfecter
les couloirs des hôpitaux...
Y'a kekchose de vraiment pourri dans ce domaine des brevet et des médicaments.
Ce ne sont pas les bonnes paroles qui me feront changer d'avis. Pour faire
tomber un brevet, il suffit que "l'invention" ait été
publiée avant. Le Centre de Recherche de British Columbia aurait
pu mettre l'info sur son site web, et ce serait fini des brevets, des
"patent lawyers", des bénéfices pécuniers
... on aurait fait avancer d'autant l'humanité dans sa résistance
à la maladie.
Mais bon, si la maladie se développe, si le brevet de séquençage
permet de commercialiser un test de dépistage, puis éventuellement,
un remède... alors il y a de l'argent, plein d'argent, de l'argent
par paquets, à se faire.... pour financer la recherche publique
évidemment....
J'ai un peu mal au coeur tandis que je suis à décrypter
tout ces tripatouillages. Je me demande si l'infirmière qui a
trouvé que le port du masque préservait les voisins ne
devrait pas avoir sa statue (elle n'est plus de ce monde et on ne sait
pas quel "institut de recherche" pourrait se partager les
royalties à sa place).
Tant que le système des brevets régira la recherche médicale,
nous aurons des impostures de ce type. Il y a vraiment un problème
politique, que les citoyens du monde doivent prendre à bras le
corps, qui concerne la "propriété intellectuelle".
La question du SARS se déroule devant nos yeux, alors même
que l'épidémie peut être enrayée, comme le
dit si bien Gro Harlem Brundtland, la directrice de l'OMS. Eclairons
au jour le jour l'impact négatif de ce système des brevets
en suivant les recherches et les effets économiques autour de
ce SARS. Que la presse cesse le seul régime compationnel pour
décoder les messages économiques. Et nous avancerons ensemble.
Je crois que l'humanité peut affronter les crises. Mais que le
modèle économique de propriété intellectuelle
qui domine actuellement, la paralyse et empêche la pleine expression
de la recherche et de l'expansion de la connaissance. C'est au travers
des épidémies que cela apparaît le plus clairement.
Hervé Le Crosnier
PS : pour les amateurs de science-fiction, Norman Spinrad a publié
il y a déjà une dizaine d'années une novella sur
ce sujet : "Les années fléaux". Suffisament paranoïaque
pour faire un bon roman... mais si tragiquement actuel aujourd'hui. Un
livre à lire et à relire, d'autant que la censure économique
a frappé cette lucidité, comme l'indique la préface
de l'édition française (dans ma bibliothèque, c'est
Denoël, en "Présence du futur", mais je ne sais
pas ce qu'il en est actuellement").
Liste de diffusion Escape_l, consacree a la propriete intellectuelle,
au Libre et au numerique.
Abonnement/Desabonnement:
http://listes.samizdat.net/wws/info/escape_l
Pour inciter une connaissance a s'inscrire: http://listes.samizdat.net/wws/info/escape_l
Archives de la liste: http://listes.samizdat.net/wws/arc/escape_l
|