Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/braudel_tps_monde.html
CNAM, Mai 2002
Cycle C : Ingénieur en Organisation
Professeur : Y. PESQUEUX
U.V Organisation des systèmes d’information
Fiche de lecture
Philippe BRION
1. 1 L’auteur *
2 " Le Temps du Monde " dans " Civilisation matérielle,
Economie et Capitalisme. XVe – XVIIIe siècle "
*
3 Les postulats *
4 Les hypothèses *
5 Mode de démonstration *
6 Résumé *
6.1 Les divisions de l’espace et du temps *
6.1.1 Espaces et économies : les économie-mondes
*
6.1.2 L’économie-monde : un ordre face à d’autres
ordres *
6.1.3 L’économie-monde face aux divisions du temps
*
6.2 En Europe, les économies anciennes à domination
urbaine : avant et après Venise *
6.2.1 La première économie-monde d’Europe *
6.2.2 La prééminence de Venise *
6.2.3 La fortune inattendue du Portugal ou de Venise à Anvers
*
6.2.4 Le siècle des Génois *
6.3 Les économies anciennes à domination urbaine
: Amsterdam *
6.3.1 Les provinces unies chez elles *
6.3.2 Saisir l’Europe, saisir le monde *
6.3.3 Succès en Asie, insuccès en Amérique
*
6.3.4 Prééminence et capitalisme *
6.3.5 Sur le déclin d’Amsterdam *
6.4 Les marchés nationaux *
6.4.1 Unités élémentaires, unités supérieures
*
6.4.2 Compter et mesurer *
6.4.3 La France victime de son gigantisme *
6.4.4 La prééminence marchande de l’Angleterre
*
6.5 Le monde pour ou contre l’Europe *
6.5.1 Les Amériques ou l’enjeu des enjeux *
6.5.2 L’Afrique Noire *
6.5.3 La Russie *
6.5.4 Le cas de l’Empire turc. *
6.5.5 L’Extrême Orient *
6.6 Révolution industrielle et croissance *
6.6.1 Des comparaisons utiles *
6.6.2 La Révolution anglaise, secteur par secteur *
6.6.3 Dépasser la Révolution industrielle *
6.7 En matière de conclusion : réalités historiques
et de demain *
6.7.1 La longue durée *
6.7.2 La société enveloppe tout *
6.7.3 Le capitalisme survivra-t-il ? *
6.7.4 Le capitalisme face à l’économie de marché
*
7 Principales conclusions *
8 Discussions et critiques *
9 Actualité de la question *
10 Œuvres principales. *
11 Bibliographie *
2.
3. L’auteur
Fernand Braudel naît en Lorraine en 1902. Agrégé
d’histoire en 1923, il est nommé au lycée de
Constantine en Algérie française puis à Paris
et Sâo Paulo. Dès 1927, il choisit comme sujet de thèse
" La Méditerranée et le monde méditerranéen
au temps de Philippe II. ". En 1937, il assure une direction
d’études à l’Ecole pratique des Hautes
Etudes.
Prisonnier en juin 1940, il rédige une partie de sa thèse
dans des camps en Allemagne et la présente en 1947. C’est
une révolution dans la manière d’écrire
l’Histoire, qui n’est qu’un élément
pour comprendre le passé. L’historien doit s’attacher
aux aspects culturels, économiques, politiques et sociaux
mais aussi ethnologiques et sociologiques.
En 1946, F. Braudel devient un des directeurs de la revue des Annales.
Il sera également membre du Collège de France et président
de la VIe section de l’Ecole des Hautes Etudes
A la fin des années 50, une réforme des programmes
d’histoire au lycée est projetée. Braudel écrit
alors " La grammaire des civilisations ".
En 1962, il est le premier administrateur de la Maison des Sciences
de l’Homme.
Déconsidéré après 1968, à la
fois par les étudiants et le pouvoir politique, il travaille
sur " Civilisation matérielle, économie et capitalisme
du XVe au XVIIIe siècle ".
Les années 1970 voient la consécration de F. Braudel
qui, reconnu au plan international, devient docteur honoris causa
de nombreuses université.
Quelques mois avant sa mort en 1985, il est élu à
l’Académie Française.
4.
" Le Temps du Monde " dans " Civilisation matérielle,
Economie et Capitalisme. XVe – XVIIIe siècle "
" Le Temps du Monde " est le troisième volume
d’une série de trois. Dans le premier, " Les Structures
du quotidien " F. Braudel évoque la culture matérielle
et le quotidien des hommes. Il est possible d’observer leurs
différences et la trame des civilisations.
Dans le deuxième, " Les Jeux de l’échange
", l’auteur étudie les grandes compagnies qui
commercent au loin et les bourses qui abritent les opérations
des échanges internationaux. Il met en évidence les
points communs, différences et oppositions entre économie
de marché et capitalisme.
Dans le troisième, " Le Temps du monde ", Braudel
étudie, à l’échelle internationale, les
dominations successives des villes puis des Etats jusqu’à
la Révolution industrielle. Il se demande si ce dernier phénomène
constitue une véritable rupture ou bien s’inscrit dans
un continuum qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.
Seul ce dernier volume fait l’objet de cette fiche de lecture.
5.
Les postulats
Les postulats reprennent l’essentiel des idées de
Braudel.
L’Histoire ne peut se comprendre qu’au travers d’une
dimension globale qui prend en compte la géographie, l’économie,
la politique, les sciences sociales et la culture.
Les règles propres aux activités humaines organisent
l’espace qui varie lentement.
Des cycles temporels, d’une amplitude de quelques années
à un siècle, rythment le temps.
6.
Les hypothèses
Selon Braudel, le capitalisme qui apparaît dès le
XIIIe ou le XIVe siècle est un bon indicateur de la modernité
et de l’évolution du monde. Il permet d’aborder
à partir des économies-mondes les problèmes
et activités économiques, la longue durée,
les divisions de la vie économique, les fluctuations temporelles
ainsi que les hiérarchies sociales.
Les économies-mondes présentent des caractéristiques
semblables.
Des surplus de production se dégagent, des marchés
se forment, le commerce se développe, un circuit monétaire
se met en place, les lettres de change et le crédit suivent,
les marchands passent progressivement du commerce à la finance.
La division du travail suit la croissance, elle est un indicateur
des progrès de cette dernière. Au secteur primaire
s’ajoutent les secteurs secondaire et tertiaire. Ce dernier
est le signe d’une société en voie de développement.
Une économie-monde est constituée d’une zone
centrale dynamique et d’une périphérie formée
d’une zone attardée et d’hommes qu’elle
exploite. Elle tend vers une situation de monopole, ses instruments
de domination vont du canon à l’offre de produits nouveaux,
en passant par le crédit.
Le centre des économies-mondes est d’abord constitué
par des villes puis par des Etats territoriaux qui, plus lents à
se mettre en place, disposeront de davantage de moyens et étendront
leur domination au monde entier.
La Révolution industrielle qui s’ensuit est le résultat
de toutes les étapes précédentes qui aboutissent
à une croissance qui devient continue. Tous les secteurs
de l’économie sont mis en mouvement sans qu’aucun
ne constitue un goulot d’étranglement.
La Révolution industrielle est-elle le résultat d’une
véritable rupture ou bien s’inscrit-elle dans une continuité
qui va jusqu’à nos jours ? Le modèle construit
par Braudel peut-il s’adapter à la période actuelle
? Quel est l’avenir du capitalisme ?
7.
Mode de démonstration
Dans cet ouvrage, F. Braudel met en évidence un processus
de domination internationale, avec des points communs et des différences.
Il part des économies-mondes à prédominance
urbaine et des marchés nationaux pour arriver à la
conquête du monde en passant par la Révolution industrielle
qui s’intègre à une croissance continue dont
les prolongements existent encore aujourd’hui.
Dans un premier chapitre Braudel définit les économies-mondes
par rapport à l’espace. Il lie histoire, économie,
politique et culture et aborde les divisions du temps en explicitant
les cycles, leurs amplitudes et le résultat de leur observation.
Dans la deuxième partie, il aborde depuis le XIe siècle,
les économies anciennes à domination urbaine, de la
première économie-monde d’Europe qui aboutit
à la suprématie de villes-Etats. Venise, Lisbonne,
Anvers et Gênes se succèdent.
Dans la troisième partie, Braudel aborde le cas d’Amsterdam,
dernier empire du commerce et du crédit à exister
sans le concours d’un Etat moderne. Il décrit d’abord
les Provinces-Unies, la montée de la puissance d’Amstersam
qui lui permet de saisir de la même manière l’Europe
puis le monde avec un succès en Asie et un insuccès
en Amérique. Il s’interroge ensuite sur le capitalisme
en place et les liens de ce centre du monde avec les zones de l’économie-
monde qu’il domine. Pour finir ce chapitre, il traite du déclin
de la ville et de ses causes. Ce ne sont plus les crises de l’Ancien
Régime, liées à l’économie agricole
et industrielle mais des grandes faillites qui provoquent l’effondrement.
Une révolution politique et sociale majore le phénomène.
Dans la quatrième partie, Braudel montre l’émergence
des marchés nationaux à partir d’unités
de taille inférieure. Il introduit des éléments
de comparaison chiffrés comme le produit national brut, le
revenu pro capite ou la tension fiscale. Il s’attache ensuite
au cas de la France, victime d’un gigantisme qui retarde ses
progrès et sa croissance et à celui de l’Angleterre
qui prend la première place.
Au chapitre cinq, l’auteur aborde les cas des Amériques,
de l’Afrique Noire, de la Russie, de l’Empire turc et
de l’Extrême Orient, tous dominés par l’Europe
qui en fait des périphéries.
Dans la sixième partie, la Révolution industrielle
et la croissance sont abordées. Braudel compare les conditions
pouvant mener à une Révolution industrielle. Il le
fait d’une part à la lumière des périodes
antérieures pendant lesquelles une partie des critères
pouvant conduire à une Révolution industrielle étaient
présents. D’autre part il prend en compte le Tiers
Monde des années 1970. Il étudie ensuite, secteur
par secteur la Révolution industrielle anglaise avant de
l’aborder au travers de l’industrialisation, de la modernisation
et de la croissance.
Dans le chapitre sept Braudel revient sur la longue durée
et l’émergence lente du capitalisme dès l’aube
de l’histoire, sur les liens de celui-ci avec la société
et enfin sur son avenir.
8.
Résumé
1.
Les divisions de l’espace et du temps
Il s’agit de situer les réalités économiques
et les réalités sociales qui les accompagnent selon
leur espace puis selon leur durée.
1. Espaces et économies : les économie-mondes
Les Etats, les sociétés, les cultures, les économies,
toutes les réalités de l’histoire confèrent
à l’espace un rôle et une signification différente.
L’économie mondiale s’étend à
la terre entière, une économie-monde se limite à
une partie seulement. Elle est autonome économiquement, ses
liaisons et ses échanges lui confèrent une certaine
unité.
L’économie-monde dépasse les limites des empires
mais aussi celles des civilisations, délimite un espace propre,
lui donne un sens. Elle est facilement repérable parce que
ses frontières sont lentes à se modifier. Les économies
mondes doivent vaincre l’espace pour le dominer et c’est
au prix d’immenses efforts qu’elles s’agrandissent
L’espace est hiérarchisé : c’est une somme
d’économies particulières. Il existe un centre,
une ville capitaliste dominante, où transitent informations,
marchandises, capitaux, crédits, hommes, ordres, lettres
de change. Ces villes, Venise, Amsterdam, sont exceptionnelles,
éblouissantes, cosmopolites. La tolérance est obligatoire
pour qu’elles puissent vivre et travailler en paix. La diversification
sociale est précoce, on trouve des prolétariats, des
bourgeoisies, des patriciats. Les riches le sont de plus en plus,
les pauvres le sont de plus en plus. La vie est très chère
et l’inflation importante. Malgré cela elles sont très
attractives. Ces villes dominantes ne sont pas éternelles,
elles se remplacent. Ainsi Anvers, Amsterdam, Londres et New York
se succèdent. Au centre d’une économie-monde,
il ne peut y avoir qu’un pôle à la fois. A chaque
changement, une masse énorme d’histoire bascule entraînant
des bouleversements. Tout le cercle de l’économie-monde
est affecté jusqu’à sa périphérie.
La domination des premières villes n’est pas complète,
il peut leur manquer l’industrie, un système de crédit
complet. Par ailleurs, l’encadrement politique est très
variable, fort à Venise, insignifiant à Anvers. Les
armes de domination sont la navigation, le négoce, le crédit…
Les diverses zones d’une économie-monde sont hiérarchisées
et convergent vers leur centre. Au fil des siècles, des chaînes
de marchés locaux et régionaux s’organisent.
Ils sont progressivement intégrés au profit d’une
ville ou d’une zone dominante. Le schéma de la domination
repose sur une dialectique oscillante entre une économie
de marché se développant presque d’elle même
et un économie surplombante qui coiffe ces activités
mineures, les oriente. Toute économie-monde est un emboîtement,
une juxtaposition de zones liées ensemble mais à des
niveaux différents. Le cœur réunit tout ce qui
est le plus avancé et le plus diversifié. La région
centrale ne dispose que d’une partie de ces points forts.
La périphérie est immense, son peuplement diffus,
l’archaïsme et l’exploitation facile par les autres
sont de règle.
2. L’économie-monde : un ordre face à
d’autres ordres
L’économie-monde ne gouverne pas la société
à elle seule. Le politique, le social et la culture hiérarchisent
également la société et agissent sur l’économie-monde
.
L’économie joue progressivement un rôle de plus
en plus important avec la modernité par rapport aux autres
ordres. Les inégalités s’amplifient. La division
du travail à l’échelle du monde s‘établit
progressivement comme une chaîne de subordination. Il est
plus fructueux d’agir sur le secteur tertiaire que sur le
secondaire et plus encore que sur le primaire. Les rapports de force
entre les nations dérivent de situations parfois très
anciennes et il est difficile de les modifier.
Dans l’ordre politique, l’Etat est divisé en
trois zones : la capitale, la province, les colonies. Son but est
de constituer et de tenir les périphéries de façon
que ne soit pas menacée la puissance centrale. Un Etat possède
à la fois des composantes économiques et politiques.
Les Etats-villes aussi bien que les Etats territoriaux sont sous
la domination des marchands. Ces Etats ont des gouvernements forts,
capables de s’imposer au dedans comme au dehors. Dans ce cas
de domination extérieure, il est possible de parler d’emblée
de colonialisme et d’impérialisme. La métropole
vise à se réserver les profits marchands dans un système
d’exclusivité. Dans les périodes de crises,
les Etats se protégent en mettant en place une politique
mercantiliste.
Les empires-mondes, comme la Moscovie des tsars, sont des formations
archaïques où le politique a triomphé de l’économique.
L’Europe a très tôt échappé à
cette forme que les Habsbourg ont tenté en vain d’implanter.
Dès le Moyen Age les zones complémentaires d’une
économie-monde se sont mises en place en Europe avec une
hiérarchie des productions et des échanges. Des économies
diverses ont pu se loger, vivre les unes avec ou contre les autres.
Un ordre économique occidental s’est ainsi constitué
faisant apparaître le capitalisme dès avant le XVIe
siècle.
La guerre, renouvelée par la technique, mobilisant crédits
et intelligence, favorise la mise en place du système capitaliste.
Pour se développer, il lui faut abondance d’hommes
et de moyens. La guerre sans merci ne commencera qu’avec la
Révolution et l’Empire. La règle est de toujours
porter la guerre chez le voisin afin de se ménager.
La société change du tout au tout selon l’espace.
Selon cet angle, Pologne et France du XVIIe siècle sont très
différentes. Les sociétés n’évoluent
que très lentement au cours des siècles. Les révolutions
elles-mêmes ne sont pas des coupures brutales et totales.
L’ordre social se construit en accord avec les nécessités
économiques de base. Lorsque la société répond
à une nouvelle évolution économique, elle se
trouve contrainte par l’adaptation apportée. Toutes
ces adaptations obéissent à des impératifs
d’ensemble, mais sont variables en fonction des cultures ou
de la géographie. La lutte des classes est une constante
et il n’y a pas de société sans forces conflictuelles,
sans hiérarchie, c’est à dire sans réduction
des masses au travail et à l’obéissance. Esclavage,
servage et salariat sont les réponses successives à
cette condition.
La culture a aussi ses cercles concentriques : au temps de la Renaissance,
Florence, l’Italie, le reste de l’Europe. Comme les
économies, les cultures organisent l’espace et dépassent
l’économie-monde. Ce que la société ne
parvient pas à faire, la culture qui est le fruit de multiples
processus le réalise, car elle intègre aussi politique
et expansion économique. Ne plus être entre marchands
justiciables des mêmes principes et juridictions augmenterait
par trop les risques. Par ailleurs, depuis toujours la technique
se développe de façon élective dans les zones
dominatrices du monde économique. La manière dont
l’inégalité du monde rend compte de la montée
du capitalisme explique que la région centrale se trouve
mise au-dessus d’elle même, à la tête de
tous les progrès possible. L’histoire du monde est
un ensemble de modes de production. Ces modes de production sont
liés les uns aux autres, les plus avancés dépendant
des plus arriérés et réciproquement.
L’économie-monde peut donc se lire à la lumière
d’une grille qui intègre à la fois des éléments
économiques, politiques, sociaux et culturels.
3. L’économie-monde face aux divisions du
temps
Il s’agit ici de mieux situer et comprendre les monstres
historiques que furent les économies-mondes que l’histoire
met des siècles à construire et à détruire.
Seule la conjoncture économique a été sérieusement
étudiée. On distingue des cycles courts et des cycles
longs : les Kitchins de 3-4 ans, les Juglar de 6-8 ans, les Kuznet
de 20 ans environ, les Kondratieff de 50 ans et les trend de 100
ans. Tous ces cycles se mêlent, se renforcent ou s’annulent.
Les prix ne cessent de varier. Ces fluctuations souvent synchrones
sur de vastes espaces sont le signe de la mise en place précoce,
en Europe de réseaux de marchés. Elles sont aussi
le témoignage de la cohérence d’une économie-monde
pénétrée par l’échange monétaire
et qui se développe déjà sous le signe organisateur
du capitalisme. La rapidité de leur propagation est la preuve
de l’efficacité des échanges. Déjà
les fluctuations européennes ont une incidence qui dépassent
les limites de l’économie-monde. Le rythme des prix,
imposé ou retransmis est un signe d’allégeance
: le rayonnement de l’économie-monde européenne
dépasse très tôt les limites les plus ambitieuses
qu’on peut lui prêter. Bien que peu perceptible dans
l’instant, le trend, le plus négligé des cycles,
est un processus cumulatif, lent qui s’ajoute ou se retranche
à lui même, de manière prolongée. Les
sommets se situent en 1350, 1650, 1817 et 1973-1974. Des mouvements
brusques traversent les trend. Joindre les Kondratieff et les trend
permet une vision longue à deux focales. Leurs sommets coïncident
une fois sur deux, provoquant atténuation ou renforcement.
Les mouvements conjoncturels sont décrits mais encore peu
expliqués. D’autres cycles existent également
: ceux des prix, des productions industrielles, de l’or, des
mouvements longs de la population. Chaque mouvement est une oscillation,
résultat d’un choc externe. Les fluctuations du commerce
au loin ont des conséquences sur les prix intérieurs.
Les crises marquent le début d’une déstructuration,
une économie-monde meurt, une autre va naître, le tout
très lentement. La rupture est causée par une succession
d’accidents, de distorsions.
Qu’en est-il de la majorité des hommes pendant ce
temps ? Pendant les périodes de croissance, une charge accrue
est imposée aux mondes divers de l’action et du travail.
L’écart se creuse alors entre les prix et les salaires
qui restent à la traîne. Le progrès des hautes
sphères et l’accroissement du potentiel économique
sont payés par la peine d’une masse d’homme dont
le nombre s’accroît en même temps ou plus vite
que la production. C’est peut-être lorsque la multiplication
des hommes et de leurs efforts n’est plus compensée
par l’augmentation de leur productivité que le mouvement
s’inverse et que la crise commence. C’est alors que
les salaires se mettent à augmenter : la période de
1350 à 1450 est un âge d’or pour les petites
gens. Cependant lors de la première phase de la Révolution
industrielle et de la progression induite, il n’y aura pas
de diminution du revenu pro capite. Est-ce parce que cette progression
énorme a d’un coup élevé le plafond des
possibilités ?
2.
En Europe, les économies anciennes à domination urbaine
: avant et après Venise
Jusqu’à la prééminence de l’Angleterre,
l’économie-monde européenne aboutit à
un Etat-ville, réduit à ses seules forces et faiblesses.
Toutes les villes marchandes du Moyen Age tendent vers la saisie
du profit et se modèlent sur cet objectif. Tous les outils
du capitalisme existent déjà : banques, crédit,
frappe de monnaie… Les Etats-villes profitent des faiblesses,
retards et infériorités des autres. Les Etats territoriaux
ont du mal à vivre et à se développer.
1. La première économie-monde d’Europe
Entre le XIe et le XIIIe siècle, de vastes espaces de circulation
se créent, s’organisent, se hiérarchisent, les
villes en sont à la fois relais, instruments et bénéficiaires.
Le proto-capitalisme s’esquisse et la modernisation se présente
comme une série d’étapes. Les anciennes limites
géographiques romaines sont repoussées. L’espace
maritime s’élargit. La Méditerranée est
reconquise sur l’Islam. Les hommes défrichent, utilisent
la roue, les moulins. D’innombrables villes surgissent au
croisement des trafics, elles assurent la poussée générale
de l’Europe, d’autant plus qu’elles se développent
dans un monde rural déjà organisé. Les villes
possèdent des routes, des marchés, des ateliers, de
l’argent qui s’accumule. Les paysans y apportent leurs
surplus. C’est avec ceux-ci vers 1150 que l’Europe passe
de la consommation agricole directe à la consommation indirecte.
Simultanément la ville attire toute l’activité
artisanale et crée son monopole de la fabrication et de la
vente des produits industriels. Ces éléments sont
à l’origine d’une immense rupture, une véritable
renaissance, qui crée la société européenne
et la lance vers ses réussites. C’est dans ce contexte
que se développe un réseau urbain, mettant les villes
en relation et les obligeant à prendre place dans une économie
de marché . L’Occident de cette époque est bipolaire.
Au nord, des pays d’abord primitifs qui vont aller plutôt
en " s’industrialisant ", au sud des pays plutôt
marchands. Au total deux mondes différents qui se complètent
et s’attirent. Leur jonction se fait sur une ligne nord-sud
dont les foires de Champagne au XIIIe siècle sont lieu de
rendez-vous. L’économie du nord se crée à
partir de zéro, ce n’est qu’au début du
Moyen Age qu’apparaissent des villes comme Anvers, Liège
ou Bruxelles. Les relations entre l’outre-Rhin et les pays
de la mer du Nord réaniment les Pays-Bas. La population augmente,
l’agriculture et l’industrie textile prospèrent.
Tout ceci aboutit à la fortune de Bruges. Dès 1200
des marchands étrangers la fréquentent, elle commerce
avec l’Angleterre, l’Ecosse, la Normandie, le Bordelais.
En 1277 les Génois mettent en place une liaison maritime
entre la ville et la Méditerranée, suivis par les
Vénitiens en 1314. La ville est alors captive des Méridionaux
qui prennent en main son développement mais elle profite
d’apports de biens, marchandises et capitaux, de techniques
marchandes et financières. Bruges est alors en relation avec
la Méditerranée, le Portugal, la France, l’Angleterre,
l’Allemagne rhénane et hanséatique. Son industrie
textile, sans égale en Europe, envahit la Flandre. En 1309,
elle crée sa bourse.
La Hanse se met en place progressivement vers 1160 dans l’espace
Baltique-mer du Nord. Au début une nébuleuse de marchands
et de bateaux développent des échanges entre les pays
peu développés de la Baltique qui fournissent matières
premières et produits alimentaires et la mer du Nord. Bruges
accueille les gros bateaux de la Hanse. Toutefois toutes les matières
premières venant du Nord n’ont de valeur que réexportées
vers l’Occident avec en retour sel, draps et vin. Les bénéfices
sont faibles. Pour réussir, il est indispensable de tenir
à la fois l’offre et la demande. Au nord la Norvège
est dominée. A Londres et à Bruges, la Hanse possède
des privilèges comme l’exemption d’impôts.
L’apogée de la Hanse arrive seulement après
1370, au moment où survient la grande crise de l’Occident.
Son déclin découle en fait de la rencontre entre une
économie peu évoluée, au capitalisme élémentaire,
recourant peu au crédit et celle de l’Occident, plus
dynamique.
Au XIIIe siècle, les échanges reprennent en Méditerranée.
Les ports italiens et siciliens profitent de liaisons précoces
et préférentielles avec l’Islam. Venise est
sans eau potable ni agriculture et doit tout échanger, aussi
ses habitants ne travaillent-ils que dans les secteurs secondaire
et tertiaire ce qui revient à laisser aux autres les travaux
les moins profitables. Pour prendre de l’ampleur Venise multiplie
ses bateaux de commerce et de guerre, s’approprie l’Adriatique,
écarte les villes concurrentes et forge ses institutions
fiscales, financières, monétaires, administratives
et politiques. Ce sont les Croisades qui en font une plaque tournante
du transport et lui donnent son essor. Les Etats chrétiens
ouvrent une brèche vers l’Orient, le poivre, les épices,
la soie. L’apparition de la frappe de la monnaie en 1250 à
Florence marque un affranchissement et une affirmation de force
par rapport au dinar islamique encore largement utilisé.
Les villes italiennes sont en concurrence, ayant écarté
l’Islam. Venise l’emporte. Deux zones économiques
importantes, formant deux pôles se constituent. Le centre
économique se situe entre eux pour de longues années,
en Champagne. Les tissus du nord partent vers le sud, l’Italie
envoie poivre, épices, soie, argent comptant et crédits.
Les changeurs italiens mènent le jeu, commandent les foires
et saisissent ainsi le marché européen. Les foires
déclinent dès les dernières années du
siècle, les affaires se ralentissent, touchant d’abord
les marchandises puis le crédit vers 1310-1320. La grande
récession du XIVe siècle et la Peste Noire suivent
de peu. La création d’une route maritime entre la Méditerranée
et la mer du Nord à la fin du XIIIe siècle est un
autre élément essentiel dans la régression
des foires. De plus, une route alpine se met en place, favorisant
l’isthme allemand qui connaît un essor général
avec la prospérité de mines d’argent et de cuivre.
L’expansion des marchands allemands se marque dans tous les
pays d’Occident et en Baltique. Les foires de Champagne ont
été extrêmement bénéfiques à
la France qui est devenue le plus brillant des Etats européens.
Avec les derniers Capétiens la France est mise progressivement
hors du circuit privilégié du capitalisme et de la
modernité qui l’encercle en la laissant de côté.
Mais n’est-ce pas plutôt l’Etat territorial qui,
avec la France, l’Angleterre et le Portugal, est écarté
?
2.
La prééminence de Venise
Après les foires de Champagne, l’Italie prend la première
place avec ses marchands, ses bateaux, son crédit. Avec le
développement de ses propres centres industriels, il ne lui
est plus utile de se rendre au nord. Elle est protégée
de la crise économique du XIVe siècle par son avance
économique et sa capacité d’adaptation, ce qui
n’est pas le cas des Etats territoriaux. Venise, un temps
en lutte ouverte avec Gênes, est avantagée par son
chemin d’îles vers l’Orient. Elle se présente
la première à la porte de la Syrie et de l’Egypte.
Enfin, elle est proche de l’Allemagne et de l’Europe
centrale qui sont ses clients et lui fournissent le métal
blanc indispensable à son commerce dans le Levant. Celui-ci
lui donne une puissance et une richesse considérables. Le
revenu pro capite des Vénitiens est très élevé.
Malgré son exiguïté ses recettes sont comparables
à celles de l’Angleterre ou de l’Espagne, ce
qui permet de constater la supériorité des Villes-Etats
sur les Etats territoriaux. Le capital investi chaque année
à Venise est de dix millions de ducats. Ceux-ci rapportent
quatre millions. Politiquement, Venise est capable de geler l’équilibre
des villes italiennes, de résister à ses adversaires
et d’écarter le roi Charles VIII de France.
Venise contrôle l’Europe entière et la Méditerranée.
L’espace européen est traversé par un axe Venise-Bruges-Londres.
Le centre économique se situe désormais à l’extrémité
sud, à sa jonction avec l’axe méditerranéen.
La politique économique de Venise est une des causes de ce
recentrage. Les marchands allemands ne peuvent vendre que sous le
strict contrôle de Venise et ne doivent utiliser l’argent
des ventes que pour l’achat de marchandises vénitiennes.
En revanche les marchands vénitiens ne peuvent ni acheter
ni vendre directement en Allemagne. Ce système est imposé
par Venise à toutes les villes qui lui sont soumises. Au
total, toutes les marchandises passent obligatoirement par le port
vénitien.
La première place de Venise peut être attribuée
à une organisation capitaliste précoce. D’autres
villes auraient aussi pu y prétendre. Néanmoins, d’emblée,
Venise, seule, met en place un système qui pose tous les
problèmes des relations entre capital, travail et Etat. Dès
la fin du XIIe siècle, elle possède tous les outils
de la vie économique, les transactions marchandes se font
de compte à compte sans numéraire, par des jeux d’écriture.
Les banques permettent à certains clients des dépassements
de compte et jouent sur les dépôts qui leur sont confiés.
Des réunions boursières fixent le cours des marchandises,
les taux des assurances maritimes. Une hiérarchie marchande
se met en place, la répartition de la richesse se diversifie,
les bénéfices s’accumulent à tous les
niveaux et ne cessent d’être réinvestis. Les
" capitalistes " sont parfois très modestes et
c’est toute la société qui avance son argent
en permanence aux marchands entrepreneurs. Le crédit est
omniprésent et la construction de compagnies de longue durée
n’est pas indispensable. Cette autosuffisance capitaliste
explique en partie les limites de l’entreprise vénitienne
qui n’est pas attirée par un transfert de ses activités
à l’extérieur. L’investissement est surtout
massif et à court terme. Après chaque départ
de galères, la ville est vidée de son numéraire.
Une activité marchande intense se trouve fragmentée
en de multiples petites affaires. Le roulement du capital est rapide,
de l’ordre de six mois.
Sur les 150 000 Vénitiens au XVIe et XVIIe siècle,
quelques milliers seulement sont des privilégiés,
les autres sont des ouvriers non qualifiés ni encadrés
ni protégés et des Arti, qui forment des corps de
métiers. L’immigration doit fournir un complément
indispensable. L’Etat surveille de près la production
et impose des normes strictes qui garantissent la qualité
mais gênent parfois les indispensables adaptations.
La paix sociale s’explique par une redistribution des richesses
à tous les niveaux et par des salaires élevés
qui un jour nuiront à la concurrence, notamment avec l’industrie
textile du Nord. Venise au XVe siècle est le premier centre
industriel européen. La fin de cette prospérité
industrielle, à la fin du XVIe siècle et au début
du XVIIe, scellera le déclin de la ville. Le capitalisme
marchand l’emporte sur le capitalisme industriel jusqu’au
XVIIIe siècle. L’industrie n’est intervenue,
avec un certain retard, que pour compenser un environnement hostile.
Avant même les Grandes Découvertes (1492-1498), les
Etats territoriaux s’affirment et menacent la destinée
des villes. L’Empire Turc est le plus redouté de Venise.
Ses conquêtes territoriales encerclent progressivement la
mer. Constantinople est prise en 1453 et transformée en une
ville nouvelle et puissante : Istanbul. Venise choisit la paix,
plus favorable aux affaires que la guerre. Quant au sultan, il est
obligé de poursuivre ses échanges avec l’Europe.
Pour cela, Venise lui est indispensable. Si ce conflit mine la ville
peu à peu, la décadence vénitienne dès
le début du XVIe siècle, est liée au décalage
progressif du centre européen vers le nord, aux Grandes Découvertes,
à la mise en circuit de l’Atlantique et à la
fortune du Portugal.
3. La fortune inattendue du Portugal ou de Venise à
Anvers
Le Portugal lance l’expansion européenne à
la fin du XVe siècle. Dès 1253, il achève sa
reconquête sur l’Islam. En 1415 il s’introduit
dans le secret des trafics lointains. Des voyages de découverte
commencent dès 1416. L’extrémité sud
de l’Afrique est atteinte en 1487 mais ce n’est que
dix ans plus tard que V. de Gama pourra entreprendre son voyage.
Les circuits de l’océan Indien sont alors vite reconnus
et grâce au canon, les navigations arabes et indiennes sont
dispersées. Les découvertes portugaises s’achèvent
avec le succès de l’arrivée du poivre et des
épices à Lisbonne.
Le Portugal est une puissance européenne autonome capable
d’initiative. Son économie a développé
une économie monétaire assez vive pour induire le
salariat dans les villes et les campagnes. Ses navires naviguent
des côtes d’Afrique jusqu’en Irlande et en Flandre.
A cette période, l’économie portugaise est
encore une économie périphérique. Dès
la fin du XIIIe siècle, elle est touchée par le circuit
maritime et capitaliste qui va de l’Italie à Bruges
et l’Angleterre. Pour contrebalancer le monopole de Venise,
Florence et Gênes se tournent vers Lisbonne qui passe alors
en partie sous leur contrôle. De 1453 à 1471, l’expansion
portugaise crée un espace économique cohérent.
Le Portugal a le monopole du commerce avec l’Afrique Noire.
Génois, Florentins et Flamands contribuent à ses conquêtes
et à son succès commercial. Les efforts du Portugal
vers l’océan Indien lui coûtent l’Amérique,
découverte avec trop de retard pour concurrencer les autres
pays.
Le Portugal reste prisonnier d’une économie-monde
qui lui fixe sa place. Anvers le remplace, profitant de la bascule
de l’économie vers le nord. Les navires génois
abordent à Bruges en 1277 et placent la ville au-dessus d’elle
même. Le déplacement des routes mondiales à
la fin du XVe siècle et l’ébauche d’une
économie atlantique décident du sort de la ville.
Anvers qui lui succède n’a jamais possédé
de flotte de commerce, elle n’a pas de marchands nationaux
d’envergure internationale. Les étrangers transforment
la ville qui est alors médiévale avec une expérience
des foires, mais peu l’expérience de l’entreprise
maritime, du commerce au loin et des formes modernes d’associations
marchandes.
De 1500 à 1569 Anvers subit les ambiguïtés,
les fluctuations et les contraintes d’une Europe qui saisit
le monde et a du mal à se stabiliser. La ville va vivre trois
essors successifs. Le premier est lié à la collusion
entre le Portugal maître des épices et les marchands
allemands, maîtres du métal blanc. Le deuxième
est en rapport avec l’essor de l’Espagne et le métal
blanc d’Amérique. Le troisième est le résultat
de la montée de l’industrie d’Anvers et des Pays-Bas.
En 1500, la Flandre et le Brabant sont en pleine euphorie. Anvers
est une étape du commerce du drap anglais qui y est teint
et redistribué. Les marchands allemands s’installent
massivement dans la ville, y livrent vin du Rhin, cuivre et argent.
Le premier bateau d’épice portugais arrive en 1501.
Le Portugal n’a pas les moyens d’organiser de bout en
bout le commerce des épices et préfère confier
la redistribution à d’autres. Il trouve à Anvers
le cuivre et le métal blanc nécessaires à ses
paiements en Extrême-Orient. En quelques années, Anvers
brise le monopole vénitien. Cependant, la prospérité
de la ville tarde à aboutir à un vrai marché
de l’argent qui ne peut exister qu’avec le circuit des
lettres de change, des paiements et des crédits dans tout
l’espace européen. Or elle ne s’y intègre
que très lentement. Les guerres entre Valois et Habsbourg
de 1521 à 1529 gênent son commerce. Dans les années
trente, le marché du poivre et des épices se détériore.
En ce qui concerne le métal blanc, le Portugal dispose de
Séville, plus proche où arrive le métal blanc
d’Amérique.
La montée des importations de métal blanc d’Amérique
via Séville relance Anvers. Charles Quint réévalue
l’or par rapport à l’argent. Pour faire face
à ses paiements européens, il se lie aux marchands
allemands dont la capitale reste Anvers. Le marché de l’argent
de la ville se constitue entre 1521 et 1539 et les prêts à
l’empereur permettent un emploi fructueux de capitaux. Face
à sa tâche nouvelle de construction de l’Amérique,
l’Espagne doit se faire aider. Elle a besoin de matières
premières et manufacturées mais aussi de navires que
le nord lui fournit. Elle ne peut équilibrer sa balance qu’avec
des apports de monnaie et d’argent. La ville devient espagnole.
Jusqu’en 1537 elle brille de tout son éclat. Sa population
augmente. Les prix et les salaires montent, la distance entre riches
et pauvres s’accroît. Des manufactures se créent
dans de nouvelles branches employant de plus en plus d’ouvriers
sous-qualifiés et sous-payés. Cette seconde prospérité
de la ville est frappée de plein fouet par la banqueroute
espagnole de 1557 qui touche la plupart des pays européens.
Le circuit de l’argent se brise. Les banquiers allemands seront
désormais remplacés par les Génois.
En 1559 l’Europe retrouve la paix. Le commerce anversois
redémarre, bien que l’Angleterre, sous le coup de réévaluation
de la livre, soit défavorable aux Pays-Bas. L’Angleterre
choisit Hambourg pour apprêter et vendre ses draps, et crée
sa propre bourse en 1566. Dans ces conditions, Anvers ne peut trouver
son salut que dans la création de sa propre industrie textile
qui lui permet de réinvestir ses capitaux. La réussite
est présente mais des désordres religieux, politiques
et sociaux vont la détruire. En 1568, les Anglais annihilent
la liaison maritime entre les Pays-Bas et l’Espagne qui, pour
continuer ses paiements, doit se servir de Gênes qui deviendra
le centre de l’Europe.
Anvers a su emprunter la comptabilité en partie double,
la lettre de change mais elle a aussi su créer ses solutions.
En 1500, elle ne possède pas de véritable organisation
bancaire. Or le numéraire ne peut suffire , le " papier
" doit intervenir, l’argent fictif jouer son rôle
en facilitant l’écoulement des affaires. La solution
anversoise est constituée par des règlements à
double sens (doit et avoir), les cédules. Un même papier
passe de main en main jusqu’au moment où il s’annule.
La vieille pratique de l’assignation qui établit une
responsabilité " des créanciers cédants
jusqu’au dernier débiteur " se généralise.
Ce système est à la fois simple et efficace dans le
sens où il résout le problème de l’escompte.
Le montant de la cédule ne fixe ni son prix d’achat
ni son prix de vente. Achetée contre argent, elle est payée
en dessous de son cours, reçue comme dette elle donne droit
à une somme supérieure.
4.
Le siècle des Génois
Le siècle des Génois qui suit, dure de 1557 à
1627. Discret, il est longtemps passé inaperçu. Par
le maniement des capitaux et crédits, les Génois ont
arbitré les paiements et crédits européens.
Les difficultés de Gênes sont constantes : s’approvisionner
et se défendre. L’étranger y domine d’ailleurs
souvent. La ville, vulnérable par terre et par mer est plusieurs
fois pillée et bombardée.
La plupart des problèmes se résout facilement grâce
à l’argent. Au XVIIIe siècle le port redistribue
le blé et le sel. Gênes fabrique et navigue pour les
autres chez qui elle investit la moitié de ses capitaux.
Cette situation à risque la pousse à la fois à
être prudente et à prendre des risques. Ses réussites
et ses échecs sont retentissants. Elle doit montrer les plus
grandes facultés d’adaptation et de mobilisation. Elle
détourne très tôt à son profit la soie,
les épices, l’or et l’argent. En 1261, elle s’installe
à Constantinople, en 1283 en Sicile où elle confisque
à la source l’exportation du blé, indispensable
à l’Afrique du nord et obtient en retour la poudre
d’or. Au XIIIe et au XIVe siècles, elle est partout
dans l’économie-monde. Au XVe et au XVIe les Génois
financent les échanges entre l’Espagne et l’Amérique
et commencent avancer de l’argent à l’Espagne.
Gênes, présente dans tous les domaines devient très
discrètement première entre 1550-1560 et 1620-1630.
La banqueroute espagnole qui met fin au règne des banquiers
de la Haute –Allemagne ouvre vers 1557 celui des Génois.
Les Génois assurent au roi d’Espagne des revenus réguliers
à partir de ressources irrégulières, la fiscalité
et le métal blanc d’Amérique. Pris dans des
tâches grandissantes et des bénéfices croissants,
ils passent des activités marchandes aux activités
financières. Les prêts au roi rapportent en principe
10 % mais s’y ajoutent souvent les intérêts des
intérêts, le tout sur des sommes énormes. Gênes
accumule l’argent et devient l’arbitre de la fortune
européenne, essentiellement par sa faculté à
mobiliser le crédit.
La crise des années 1550 secoue l’Europe. L’ancien
équilibre monétaire se rompt. Le métal blanc
plus rare se valorisait sur le métal jaune. L’arrivé
de métal blanc d’Amérique inverse cette tendance,
les Génois perçoivent les premiers ce phénomène.
Ils jouent à la fois sur le change des métaux mais
aussi sur les lettres de change. Le Portugal et les villes italiennes
achètent l’argent contre des lettres de change payées
en or. La liaison est permanente entre la finance italienne et la
finance espagnole. Les banqueroutes de la seconde se répercutent
sur la première. C’est la conquête de l’espace
économique étranger et la domination d’un vaste
système qui a permis la grandeur de Gênes.
En 1630, la paix signée entre l’Angleterre et l’Espagne
prévoit le transport du métal blanc vers Londres au
moyen de bateaux anglais. Un tiers de cette masse d’argent
est monnayée à la Tour de Londres. Ce système
de transport simple et plus sûr supplante probablement celui
plus compliqué des Génois qui fait intervenir les
lettres de change dans un circuit plus complexe.
Gênes reste en relation avec les flux de métal blanc
d’Amérique grâce aux échanges commerciaux
avec l’Espagne à qui elle fournit des produits manufacturés,
essentiellement textiles. Les prêts avec celle-ci redeviennent
plus faciles et plus profitables dans la première moitie
du XVIIe. Gênes peut ainsi participer plus aisément
à l’énorme contrebande d’argent qui ravitaille
l’Europe. Les capitaux génois s’investissent
auprès des princes, des Etats, des villes comme Venise ou
de simples entrepreneurs et particuliers, ceci dans toute l’Europe
sauf en Angleterre. Le volume des capitaux placés à
l’étranger grossit régulièrement.
Malgré ses évolutions, Gênes n’est pas
revenue au centre de l’économie-monde. Le reste de
l’Italie semble s’être désolidarisé.
Incapacité de l’Italie à payer le prix de la
primauté génoise ? Incapacité de l’Europe
à supporter une circulation fiduciaire disproportionnée
par rapport à la masse monétaire et au volume de la
production ? Par ailleurs, l’Europe du XVe siècle bascule
vers le nord.
3.
Les économies anciennes à domination urbaine : Amsterdam
Avec Amsterdam, c’est la dernière fois qu’un
véritable empire du commerce et du crédit existe sans
le concours d’un Etat moderne et unifié.
1.
Les provinces unies chez elles
Etroit territoire, les Provinces Unies ne peuvent suffire à
leur subsistance alimentaire.
Compte tenu du peu d’espace disponible élevage et
agriculture sont dans l’obligation d’obtenir la meilleure
productivité. Dès 1570, les progrès permettent
les premiers démarrages économiques, ils inaugurent
ceux qui auront lieu lors de la révolution agricole anglaise.
Les campagnes s’urbanisent, se commercialisent et vivent d’apports
extérieurs. Elles s’orientent vers les cultures les
plus rentables. Les paysans s’adressent au marché pour
leurs achats de matières premières, ils sortent de
leur isolement, des marchés se développent. Les marchands
quant à eux traitent souvent directement avec les producteurs.
En raison de la densité de leur population, les Provinces
Unies sont très urbanisées et très organisées.
Les échanges et les liaisons sont multiples. Sept Etats indépendants,
obligés par l’intérêt à une action
commune, constituent le pays. Ils forment un réseau de villes
dominées par Amsterdam. Les marins et commerçants
de la Baltique y établissent leur centre. Toutes les nations
y abordent et la ville est considérée comme le "
magasin général de l’univers ". La prospérité
de la ville s‘accompagne d’une forte croissance démographique.
L’immigration est importante, liée aux guerres et aux
persécutions religieuses. Un énorme prolétariat
existe, essentiellement catholique, accompagné d’une
charité qui tempère la lutte des classes. Les salaires
permettent à tous de vivre à condition de travailler.
Les Provinces Unies à partir de 1609 sont en proie à
des querelles religieuses et politiques jusqu’au retour à
une tolérance indispensable à la prospérité.
Le textile emploie de nombreux artisans issus de l’immigration.
L’arrivée des protestants français, chassés
par la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 relance
cette industrie. Une partie des réfugiés de toutes
origines arrive avec des capitaux importants.
La flotte hollandaise est à elle seule équivalente
à toutes les autres flottes européennes. Les transports
sont beaucoup moins chers que dans les autres nations. Les chantiers
navals, dont les techniques sont des plus modernes, produisent à
des coûts imbattables à partir de produits venus de
la Baltique. Enfin, le crédit est facile, abondant et bon
marché. Les marins sont souvent inexpérimentés
et d’origine étrangère mais bien encadrés.
L’Etat paraît faible et incapable d’intervenir.
Toute décision importante doit être renvoyée
aux Etats provinciaux et approuvée par eux à l’unanimité.
C’est une lutte sans fin entre la Hollande qui utilise son
pouvoir financier et les princes de la famille d’Orange qui
" gouvernent " en tant que stathouders de cinq des sept
provinces. Il en résulte des crises et une alternance des
deux rivaux à la tête de l’Etat. La politique
extérieure joue un grand rôle. Néanmoins, dans
tous les cas, le souci majeur du pays aura été de
conserver la puissance et le prestige au travers des intérêts
marchands.
Malgré tous ces changements d’orientation, la classe
dominante dans son ensemble reste en place avec une classe privilégiée
qui se situe au centre de tout le système politique. La "
révolution " ne fait que consacrer la classe des régents,
élite qui détient d’importants pouvoirs en matière
de fisc, justice et activité économique locale. Les
régents se cooptent, sortent des mêmes familles, du
même milieu social. Ils tiennent les villes, les provinces
et toutes les institutions. Durant le Siècle d’Or ce
pouvoir s’exerce dans la plus grande discrétion alors
que les tensions sociales existent déjà mais sont
réfrénées par l’argent. Vers 1650 avec
l’arrivée au pouvoir des " républicains
" les choses changent, le luxe fait son apparition. L’oligarchie
se retire en grande partie des affaires, dans un processus de bureaucratisation.
Le commerce au XVIIIe devient secondaire pour les privilégiés
de l’argent, les capitaux s’en détournent pour
s’investir dans les rentes, la finance, les jeux de crédit.
Les riches rentiers se détachent de la masse de la société.
Tournés vers la culture française, ils abandonnent
la culture traditionnelle. Cette dernière en sera progressivement
influencée.
Le système des impôts épargne le capital. L’impôt
sur le revenu est de 1 % et il n’y pas de droits successoraux
en ligne directe. Le poids fiscal sur les impôts indirects,
beaucoup plus faciles à manipuler que les impôts directs,
accable le consommateur, surtout modeste. Le riche contribuable
peut ainsi largement participer aux divers emprunts des Etats Généraux,
des villes ou des provinces. Ainsi, vers 1764, les Provinces-Unies
ont un revenu de 120 millions avec une dette de 400 millions à
faible intérêt. Cette situation permet à l’Etat
de ne pas manquer d’argent dans un contexte de guerre et de
reconquête permanente du pays sur les eaux. La bonne gestion
de la dette publique permet de ne jamais manquer de souscripteurs.
Au centre de cette économie-monde, la vie est chère
et le privilégié y trouve son avantage.
Jusqu’aux années 1680, les Provinces-Unies sont un
Etat fort. Lors de la guerre de Trente Ans, elles jouent souvent
un rôle diplomatique dominant. Elles maintiennent la guerre
hors de chez elles. Les Provinces-Unies restent une puissance importante
jusqu’en 1718, dépassées progressivement par
l’Angleterre et la France.
Ce sont les intérêts marchands qui en fait commandent
tout, dépassant les passions religieuses et nationales.
2. Saisir l’Europe, saisir le monde
L’Europe a été la première condition
de la grandeur hollandaise, le monde a été la seconde.
Dans les deux cas les Provinces-Unies ont imposé leur prééminence
de la même manière.
La Baltique et ses matériaux permettent la première
ouverture et sont moteurs des changements économiques et
politiques du XVIIe siècle. Vers 1554 Amsterdam devient le
grenier de l’Europe. En 1560, les Néerlandais attirent
70 % du trafic lourd de la Baltique et leurs navires assurent la
redistribution des cinq sixièmes des marchandises échangées
entre la péninsule ibérique, détentrice des
espèces métalliques et l’Atlantique. La saisie
de cette ligne de trafic correspond à la fondation de la
Bourse d’Amsterdam. Cette liaison est si vitale pour ces deux
partenaires que la révolte des Pays-Bas ne l’interrompt
pas (1572-1609). Lorsqu’en 1568 les marchands génois
renoncent à financer le commerce sévillan avec l’Amérique,
les Hollandais prennent la place. Le Nord s’introduit également
dans le commerce espagnol des Indes. Le métal blanc obtenu
dans la péninsule ibérique permet à la Hollande
de forcer le marché avec la Baltique et d’en écarter
la concurrence. La fortune hollandaise se construit à la
fois à partir de la Baltique et de l’Espagne, blé
et métal blanc d’Amérique étant indissociables.
Les disettes céréalières méditerranéennes
des années 1590 permettent aux navires hollandais de commercer
avec tous les ports méditerranéens.
Le début de la domination hollandaise est discret et coïncide
avec la bascule de l’Europe vers le nord. Entre 1600 et 1650,
lors de la crise séculaire, le Sud s’appauvrit mais
le Nord se maintient aisément. Tenir l’économie-monde
suppose la saisie de l’Amérique et l’Asie. La
première, trop retardée, est un échec, la seconde
est brillante et se fait progressivement au détriment du
Portugal vieillissant. Les Hollandais pensent d’abord que
leurs expéditions vers l’Asie peuvent être purement
commerciales mais dès 1599, ils bombardent le fort lusitanien
d’Amboine. La Compagnies des Indes orientales, la V.O.C.,
créée en 1602 regroupe et coordonne toutes les compagnies
et activités existantes et constitue un Etat dans l’Etat.
La trêve conclue pour douze ans avec le Portugal est de plus
en plus difficile. La compagnie doit également lutter avec
les Anglais et les marchands asiatiques. En 1619, la fondation de
Batavia concentre en un point privilégié l’essentiel
de la puissance et des trafics hollandais. De là, un réseau
stable de trafics et d’échanges est créé,
avec le Japon vers 1616, Formose en 1624. En 1641, Malacca est enlevée
et en 1682, l’Insulinde est conquise. Les Hollandais s’implantent
en Inde de 1605 à 1621 pour s’en procurer les toiles
puis à Ceylan en 1661. L’empire hollandais ne prend
toute sa dimension qu’à partir de 1650 après
l’éviction et le remplacement du Portugal. Si les Hollandais
n’avaient pas pris cette première place, les Anglais
avec qui ils sont très vite en concurrence, l’auraient
fait.
Les trafics entre des zones éloignées, économiquement
différentes constituent la plus grande richesse de l’Asie.
Toutes les marchandises sont liées les unes aux autres mais
aussi aux métaux précieux et aux lettres de crédit
qui ne sont qu’un palliatif. L’or et l’argent
prennent la première place et viennent à la fois d’Europe
et d’Asie. La Hollande se détourne du marché
de la soie en Iran pour maintenir positive sa balance des paiements,
d’autant plus qu’elle peut s’approvisionner en
Chine ou au Bengale. Le système des compensations marchandes
établi par la Compagnie fonctionne bien jusqu’en 1690.
Un monopole s’exerce sur le marché des épices
fines. Il consiste à enfermer la production dans un territoire
insulaire, le tenir solidement et s’en réserver le
marché. Ce système aboutit à des monocultures
qui rendent ces îles dépendantes de l’importation
des vivres et des textiles. La supériorité hollandaise
tient longtemps à la discipline exemplaire de ses agents
et à la poursuite de plans à long terme. Les épices
fines qui se vendent bien en Europe mais aussi en Inde sont une
excellente monnaie d’échange. Toutes les occasions
sont bonnes à la Hollande pour faire d’Amsterdam le
magasin d’un monde qu’elle exploite.
3.
Succès en Asie, insuccès en Amérique
La Hollande doit dégager de ses opérations en Asie
la quantité de marchandises que l’Europe acceptera
de consommer dans une rotation Amsterdam-Batavia qui doit s’équilibrer
en permanence.
Le monopole des épices et la fixation autoritaire des prix
donne longtemps à la Hollande l’avantage sur les autres
pays d’Europe. Néanmoins la concurrence se renforce
progressivement. Le système monopolistique de coercition
et de surveillance est coûteux. Au total, des avantages existent
au XVIIe siècle, puis la situation se détériore
malgré des adaptations difficiles. La compagnie anglaise
prend une place grandissante et finit par l’emporter dans
des liaisons comme celle du Bengale à la Chine. Bien qu’envoyant
des quantités grandissantes de métal en Extrême-Orient,
la V.O.C est sur le déclin qui se marque de 1680 à
1720. En fait la compagnie se prive des avantages d’une augmentation
de capital. Celui-ci ne permet pas aux Hollandais d’investir
autant qu’ils le souhaitent ; ils le font sur les valeurs
anglaises. Enfin, il est possible de penser que la compagnie distribue
des dividendes trop importants en regard de bénéfices
difficiles à estimer aujourd’hui mais certainement
modestes. La Compagnie gagne trois fois moins que ses actionnaires.
Les bénéfices de la Compagnie d’abord modestes,
avoisinent zéro en 1724 et deviennent ensuite des pertes.
Le commerce d’Inde en Inde et les bénéfices
qui en dépendent décroissent, ceci à cause
de la conjoncture mais surtout à cause de la concurrence
anglaise. La fraude et la corruption augmentent encore le problème,
au moins à partir de 1650. De plus, la différence
s’amplifie entre Amsterdam où vivent des rentiers tranquilles
et Batavia où la désobéissance et le désordre
aboutissent à des fortunes particulières qui augmentent
le déficit de la Compagnie. Par ailleurs à Amsterdam,
la V.O.C s’avère être une machine au service
des marchands, d’abord non spécialistes mais qui le
deviennent ensuite. Pour Braudel, le commerce au loin a des vertus
" capitalistes ", les gros acheteurs sont les vrais maîtres
de l’économie mais aussi de l’Etat des Provinces-Unies.
Contrairement aux pays riches en hommes et en ressources, la Hollande
n’aurait pas eu les moyens de s’imposer en Amérique
sauf en diminuant les apports migratoires vers l’Asie.
Comme les autres pays, elle commence par préférer
le pillage plutôt que la colonisation, de préférence
dans les zones fragiles comme l’Amérique portugaise.
4.
Prééminence et capitalisme
Quel peut être le capitalisme en place, que se passe-il à
Amsterdam, comment ce centre du monde se relie-t-il aux zones de
l’économie-monde qu’il domine ?
A Amsterdam, tout est concentré, des quantité énormes
de marchandises et de capitaux sont toujours disponibles. La quantité
de marchandises stockées permet de compenser l’irrégularité
et la lenteur de la circulation et donc de réagir rapidement
à la demande et d’imposer les prix à l’Europe
entière.
Cette situation devient un monopole qui s’impose aux autres
nations et toute l’économie hollandaise est subordonnée
à l’entrepôt. Par ailleurs, la Banque d’Amsterdam
utilise peu la monnaie métallique et travaille essentiellement
avec des écritures plus souples et plus rapides. En revanche,
la Banque d’Amsterdam ne pratique pas le crédit alors
que celui-ci est une nécessité vitale compte tenu
de l’importance des stocks qui peuvent être immobilisés
très longtemps. Les marchands eux-mêmes offrent un
crédit abondant et bon marché dont le rôle est
clair dans le commerce de commission et le commerce d’acceptation.
Pratiquer le commerce de commission, c’est s’occuper
de marchandises pour le compte d’autrui. On distingue les
commissions d’achat, de vente, d’entrepôt et de
banque. La Hollande impose l’inégalité entre
les parties, soit le commissionnaire étranger n’est
qu’un exécutant, soit le marchand hollandais est commissionnaire.
Son crédit lui donne tout pouvoir et c’est lui qui
finance le commerce de son correspondant. Cette inégalité
contribue à rabattre sur Amsterdam une masse énorme
de marchandises. A partir de 1750 le commerce de commission s’altère,
les marchandises ne transitent plus toujours par la Hollande. Cependant,
l’accompagnement financier des opérations reste indispensable.
Le commerce dit d’acceptation se développe alors à
son tour. Il est fondé par les lettres de change qui véhiculent
le crédit et se concentrent sur la Hollande. Elles circulent
comme argent comptant et portent intérêt par escomptes
successifs. Compte tenu de la lenteur des différents éléments
circulants, le crédit est indispensable jusqu’au moment
où le marchand aura la possibilité de rembourser.
Le papier se démultiplie, représentant tantôt
des avoirs solides, tantôt de la cavalerie mais aboutissant
à Amsterdam où les marchands trouvent des commodités
irremplaçables. Ils peuvent remplacer leurs lettres de crédit
par de nouvelles qui augmentent toutefois la dette. Le comptant
est lui aussi utilisé, souvent abondant, il permet les jeux
risqués de cavalerie rendus possibles par le crédit.
Les grands négociants souvent réunis dans des opérations
d’envergure sont puissants et relativement indépendants
de toute autorité dans tous les Etats de l’Europe.
La prospérité de la Hollande aboutit à des
surplus, l’argent est surabondant. Les banques prêtent
aux princes à des taux très bas. Le commerce est de
plus en plus centré sur l’argent. De plus en plus difficile
à employer sur place, il est prêté à
l’étranger contre des garanties. La firme qui lance
l’emprunt livre le capital à l’emprunteur et
distribue les intérêts contre commission. Des titres
sont placés par des professionnels puis introduits en bourse.
Comment une économie dominante peut-elle exploiter des économies
subalternes ? Les solutions varient en fonction de la nature et
de l’efficacité de la domination.
Les économies subalternes sont formées d’une
part d’un ensemble de zones faiblement peuplées avec
des économies où la vie rurale créatrice de
surplus représente la totalité des activités,
et d’autre part d’économies territoriales et
nationales qui vont peu à peu tenir les premiers rôles
politiques comme le Danemark ou le futur Etat prussien. Ces économies
sont coiffées par une économie-monde qui offre quelquefois
une contrepartie, mais qui n’existerait pas sans elles.
La Suède est à la fois précoce, avec un espace
politique très tôt dessiné, et retardataire
avec un espace longtemps très limité. Sa population
est très réduite. Elle ne maîtrise ni son espace
ni sa circulation maritimes. La Hollande écarte la concurrence,
ses marchands s’y installent quelquefois et disposent d’une
liberté de manœuvre accrue. Amsterdam contrôle
la forêt suédoise, le district minier, la métallurgie.
A partir de 1720, la marine suédoise progresse et sort de
la Baltique, ce qui lui permet d’accéder directement
à la plupart des ressources en écartant les intermédiaires.
La Suède crée sa propre compagnie des Indes, cherche
également à soutenir une circulation monétaire,
à créer des industries. Néanmoins elle continue
à dépendre des circuits financiers d’Amsterdam.
En Finlande le système est triangulaire : paysan producteur,
Etat qui perçoit l’impôt et marchand. Le paysan
qui s’endette progressivement dépend du marchand qui
dépend lui-même de Stockholm et donc d’Amsterdam.
Peu à peu le paysan se dégage de ses liens avec le
marchand et oriente sa production vers le secteur le plus avantageux
tout en restant dépendant des compagnies. Ici, pas de Hollandais
en Finlande.
La France du XVIIe siècle est subjuguée par la Hollande
dont les bateaux envahissent les ports où les marchands néerlandais
se sont installés et ont fait fortune en monopolisant le
transport des denrées périssables vers leurs entrepôts.
Face aux mesures de rétorsion prise par la France, la Hollande
boycotte les produits français.
L’Angleterre réagit plus efficacement que la France
aux empiètements hollandais : guerre, protectionnisme vigilant,
économie plus solide. A partir de 1750, la balance s’inverse
en faveur de l’Angleterre, en partie grâce à
l’argent prêté par les Pays Bas qui a trouvé
un débouché indispensable à ses capitaux.
L’occupation se réalise en trois étapes : le
navire marchand, la " loge " et le territoire occupé.
Des circuits existent déjà et il est difficile de
les maîtriser. Les intermédiaires remplissent cette
mission et dominent le commerce jusqu’à ce que les
Hollandais établissent un monopole leur permettant de remonter
les filières, de devenir indispensables, de prendre tout
en main en ruinant l’économie locale puis leur propre
économie par contrecoup.
Ainsi une économie-monde fonctionnerait à partir
d’un centre énergique et des faiblesses de sa périphérie,
les économies inférieures étant régulièrement
accessibles à l’économie dominante. La liaison
avec les puissances secondes se fait sans violence excessive mais
la périphérie ne peut être tenue que par la
force, par le colonialisme.
5.
Sur le déclin d’Amsterdam
A la fin du XVIIIe siècle, Amsterdam perd la première
place au profit de Londres. A cette époque elle abandonne
une partie de ses avantages commerciaux et se tourne vers les activités
bancaires qui lui assurent de larges profits. Cette mutation représente
une détérioration du capital et une recherche de profits
" tranquilles ", réservés à une oligarchie
qui se renferme sur elle-même. Il est possible de comparer
le recul d’Amsterdam avec celui de Gênes, le capitalisme
dominant achoppe alors au seuil d’activités où
l’ensemble de l’économie arrive difficilement
à le rejoindre.
Toutes ces crises paraissent liées au crédit, à
la masse d’" argent artificiel " qui aurait un seuil
à ne pas dépasser et qui excéderait les possibilités
économiques européennes. Sont également à
prendre en compte les guerres pour les 1ère et 3ème
crises et le reflux de la production agricole pour la 2ème.
Dans tous les cas, le comptant fait défaut et l’escompte
monte brutalement. Des grande faillites font à chaque fois
craquer un système tendu à l’avance. Ces crises
sont différentes de celles de l’Ancien Régime
enracinées dans les rythmes et processus de l’économie
agricole et industrielle. La Hollande se trouve aussi aux prises
avec une révolution politique et sociale qui aboutit à
la division du pays en deux coteries opposées.
4.
Les marchés nationaux
On désigne ainsi la cohérence économique acquise
d’un espace politique donné, cadre de l’Etat
territorial aujourd’hui et de l’Etat national hier.
Quand et comment ces Etats ont-ils acquis économiquement
parlant une certaine cohérence intérieure et la capacité
de se comporter comme un ensemble vis à vis du monde, reléguant
à l’arrière plan les ensembles économiques
à primauté urbaine ? Cette émergence correspond
à une accélération de la circulation, à
une montée des productions ainsi qu’à une augmentation
de la demande générale. Le marché national
a été une cohérence imposée à
la fois par la volonté politique et par les tensions capitalistes
du commerce, notamment du commerce extérieur et de longue
distance. Ceci incite à penser que les marchés nationaux
devaient a priori se développer au plus près d’une
économie monde. De plus le marché national a été
l’un des cadres où s’est élaborée
une transformation essentielle pour le démarrage de la Révolution
industrielle.
1.
Unités élémentaires, unités supérieures
Le plus élémentaire de ces espaces est l’isolat
qui permet à un groupe humain de vivre et de se reproduire.
Au dessus se situe l’unité économique de plus
petit format avec généralement, quelques villages
et un marché éloigné au plus d’une demi-journée
de marche. Cette unité correspond à un " canton
" . Ensuite viennent les "pays " qui correspondent
à une réalité culturelle. Les " provinces
" mesurent de 15000km² à 25 000 km² et ont
été longtemps considérées comme la patrie
par excellence et " l’entreprise politique de grandeur
optima ".
Ces unités provinciales sont en fait d’anciennes nations
de taille inférieure qui ont tenté de constituer des
marchés nationaux à leur échelle. Au centre
se trouve toujours une ville qui a su dominer les autres. Le marché
régional d’une économie en bonne santé
est toujours concerné par un marché national et un
marché international vers lesquels il doit s’ouvrir
pour ne pas stagner.
Le marché national est un réseau aux mailles irrégulières,
souvent construit en dépit de villes trop puissantes, de
provinces qui refusent la centralisation et d’autres intérêts
divergents. A l’origine du marché national, il y a
toujours eu une volonté politique centralisatrice. Dans toute
l’Europe se sont imposées très tôt des
régions privilégiées comme l’Ile-de-France,
à partir desquelles ont commencé des constructions
politiques, amorces d’Etats territoriaux. Tout ou presque
s’est construit à partir de routes essentielles. L’économie
est aussi à l’œuvre et est nécessaire pour
que les Etats modernes s’expriment à nouveau au XVe
siècle. A cette époque, Angleterre, France, Espagne
et Europe de l’Est ne sont pas les zones les plus avancées
économiquement du continent. Elles sont devancées
par la zone des vieux nationalismes urbains. En effet, la forme
politique révolutionnaire qu’est l’Etat territorial
ne trouve pas à s’y loger. Une scission se marque entre
les Etats nationaux qui s’élèvent au lieu géométrique
de la puissance, et les zones urbaines qui le font au lieu géométrique
de la richesse. A priori, une surface politique devient économiquement
cohérente lorsqu’elle est traversée par la suractivité
des marchés qui finissent par saisir et animer au moins une
grande partie du volume des échanges.
Les marchés nationaux et les espaces nationaux ne sont cependant
pas en cohérence parfaite, sauf peut être pour l’Angleterre
et les Provinces-Unies. Dans le contexte des marchés nationaux,
il s’agit plutôt de la recherche de mécanismes
intérieurs et de rapports avec le monde d’une économie
volumineuse, étalée dans l’espace et assez cohérente
pour que les gouvernements parviennent plus ou moins à la
modeler. Le mercantilisme est la prise de conscience de cette possibilité
de manœuvrer d’ensemble l’économie d’un
pays, autant dire la recherche d’un marché national.
Les économies fondées sur les Etats-villes et les
Etats territoriaux ont à la fois des points communs et des
différences. Dans les deux cas, un espace ajouté est
créé, constituant progressivement une économie-monde.
Les moyens de domination sont toujours basés sur la force.
Les banques centrales constituent un moyen d’asservissement
supplémentaire. L’ensemble constitue une forme de colonisation.
Les économies fondées sur les villes achètent
leurs moyens de subsistance, les produit du secteurs primaire. Lorsqu’elles
les produisent se sont seulement ceux qui lui sont les plus profitables.
Au contraire les Etats territoriaux doivent d’abord maîtriser
leur économie agricole, ce qui suppose un budget important,
une fiscalité élevée, un surplus de production
agricole pour nourrir les villes. La population agricole doit ensuite
être assez riche pour faire vivre à son tour l’artisanat.
C’est pourquoi l’Etat territorial ne peut pas, dans
un premier temps, s’engager dans la conquête des marchés
mondiaux. Mais une fois cette première phase réalisée,
il se révèle très supérieur aux villes.
De plus, son marché national lui donne une puissance supplémentaire.
2.
Compter et mesurer
A ce point de l’ouvrage, il est indispensable de comparer
les économies nationales à des périodes données
afin de mesurer leur évolution. Une " optique des quantités
globales " comparable à l’actuelle comptabilité
nationale est utilisée. L’ancienneté et l’imprécision
des données permettent d’obtenir des ordres de grandeurs.
Le patrimoine est la richesse globale, la masse des capitaux susceptibles
d’intervenir dans le processus de production. Le capital a
une efficacité qui varie selon les époques et augmente
avec le temps. Le revenu national peut être considéré
selon les optiques, comme étant constitué par la production,
par les revenus des particuliers et par ceux de l’Etat et
par la dépense. Le revenu pro capite est le rapport entre
le produit national brut (P.N.B.) et le nombre d’habitants.
Ce coefficient est un indicateur du niveau de vie moyen et des variations
de ce niveau.
Croissance, développement et progrès. Les deux premiers
mots sont souvent utilisés de manière un peu trop
simplifiée comme synonymes. Le troisième est trop
peu utilisé. Le progrès neutre, sans rupture des structures
en place est différent du progrès non neutre qui fait
craquer les cadres. L’afflux de l’or au Portugal est
un exemple du premier et le développement des techniques
celui du second.
Le but est d’appuyer les chiffres les uns sur les autres
pour qu’ils se justifient et se vérifient entre eux
tous. La densité de population a été peu utilisée
mais il est probable que des seuils de densité ouvrent des
périodes bénéfiques ou maléfiques influant
sur la maturité ou la désorganisation d’un marché
national. Une augmentation n’est pas systématiquement
favorable.
Le rapport produit de l’agriculture / produit de l’industrie
a partout basculé en faveur de l’industrie entre 1811
(Angleterre) et 1885 (France).
Le quotient P.N.B. / budget public se situe entre 10 et 20 %.
La tension fiscale est également un indicateur intéressant,
le rapport est généralement supérieur à
10 % voire 24 % en Angleterre au moment des guerres napoléoniennes.
La pression fiscale semble beaucoup plus importante dans les économies
urbaines (Venise atteignant 15 %) que dans les Etats territoriaux
(environ 5 %). Les Etats- villes pourraient avoir atteint au XVIe
siècle la limite fiscale dangereuse au-delà de laquelle
une économie d’Ancien Régime risque de se détruire
elle-même.
L’évolution démographique des villes peut être
considérée comme une évolution indispensable
au processus de croissance qui a déterminé le mouvement
de la proto-industrie.
3. La France victime de son gigantisme
Politiquement parlant, la France est la première nation
à apparaître et à se parachever avec la Révolution
de 1789. Toutefois, elle est loin d’être un marché
national parfait. Le pays est essentiellement agricole. Commerce,
industrie et finance ne transforment le pays que lentement. L’émergence
d’un marché national est un mouvement générateur
d’échanges et de liaisons, contre une inertie qui peut
être liée à la taille du pays.
La France est composée de petits pays repliés sur
eux-mêmes, influencés par les axes de circulation qui
permettent les échanges et le changement. Les longues distances
concernent les produits indispensables comme le blé. Ces
échanges décloisonnent des provinces qui ont tendance
à se spécialiser dans certaines activités profitables,
preuve que le marché national commence à jouer son
rôle de diviseur de tâches. Les progrès des transports
sont décisifs pour l’unité du pays.
Le marché national est issu d’un espace politique
antérieur. La correspondance entre structure politique nationale
et structure économique ne s’établit que peu
à peu au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Les princes
puis la politique interviennent très tôt sur le marché
national. L’Etat français, formé très
précocement, surpasse bientôt les autres. Malgré
la régression du XIVe siècle, la France reprend la
première place dès le début du XVIe siècle.
Cette surpuissance emplit de crainte voisins et rivaux. La France
en subit les conséquences contre l’Espagne qui prend
la suprématie. L’échec de la France s’explique
par son éloignement des centres de richesse successifs que
sont Venise, Anvers, Gênes et Amsterdam. Le partage du monde
se fait sans le marché national français, presque
à ses dépens.
Le pays est victime de son gigantisme qui rend difficile ses liaisons
et la diffusion des progrès techniques. L’expansion
territoriale, bénéfique à l’Etat monarchique
et à la culture française, gêne le développement
de son économie. Même pour le blé, le marché
d’ensemble fonctionne mal et le pays consomme sa production
sur place.
De plus, Paris et Lyon se disputent longtemps la direction de l’économie
française. Lyon s’appuie sur le commerce, l’économie,
l’industrie et les finances. Cependant elle ne s’appuie
pas assez sur l’Europe avancée et une économie
internationale en essor. La fortune de la ville ne résistera
pas à des crises financières successives. Le prestige
et le pouvoir de Paris sont liés à son importance
politique qui lui permet de dominer la France, sa supériorité
sur sa rivale résulte de l’émergence d’un
capitalisme financier. Une nouvelle Bourse créée à
Paris permet à la capitale de jouer un rôle financier
digne d’elle. Le tournant définitif se situe vers 1760.
Paris devient le carrefour financier et politique de la partie continentale
de l’Europe occidentale, les capitaux affluent, les affaires
se développent. Cependant la capitale ne devient pas un très
grand centre économique dans la compétition internationale.
La société française manque d’égards
vis à vis des négociants et Paris est trop loin de
la mer où transitent les richesses du monde. Paris est donc
la première place financière de France mais pas du
monde.
D’autres différences existent dans l’Etat français,
divisé par le méridien de Paris. L’ouest peut
passer pour en avance grâce à ses ports jusqu’en
1570. L’apparition d’une France industrieuse au nord
et d’une France qui prend progressivement du retard au sud,
fait apparaître une nouvelle ligne de partage. La géographie
signale des différences permanentes, notamment entre des
zones marginales étroites et de vastes régions centrales.
Les premières suivent en général le contour
des côtes et des frontières. Elles sont en général
plutôt riches, le commerce est important mais elles se plaignent
de manquer de liberté. Les trafics des ports diffusent à
l’intérieur du royaume mais leurs intérêts,
tout en attendant de la France une attitude plutôt protectionniste,
vont généralement beaucoup plus loin. L’Angleterre
et la Hollande pour les marchandises, l’Espagne pour le métal
blanc, sont largement concernées.
Les régions centrales et la terre triompheront à
nouveau lors de l’épisode des Girondins mais une agriculture
trop morcelée et une industrie qui manque de moyens et d’initiatives
fonctionneront mal. Il est aussi possible de considérer une
troisième France composée d’une guirlande d’une
douzaine de villes principales comme Grenoble, Dijon, Lyon et de
villes accessoires qui tendent une chaîne de la Méditerranée
à la Mer du Nord, s’industrialisent et sont des plaques
tournantes commerciales et financières.
Dès le XVIIe siècle, la France forme déjà
un marché national.A partir des villes-clés, il est
possible de constater un morcellement du pays en zones dépendantes
qui débouchent sur une économie européenne
qui domine tout.
4.
La prééminence marchande de l’Angleterre
Comment l’Angleterre est-elle devenue un marché national,
comment celui-ci a-t-il imposé sa prééminence
? Celle-ci commence au moment du traité d’Utrecht en
1713 et est acquise en 1783, une fois la Hollande éliminée.
L’Angleterre est alors au centre de l’économie
mondiale.
Entre 1453 et 1558 le pays est vraiment devenu une île autonome
et distincte du continent. Cette situation le conduit à valoriser
au mieux son espace intérieur. De plus, une dimension modeste
lui permet de développer rapidement un marché national.
Au moment du schisme, la vente des biens de l’Eglise relance
l’économie anglaise. Les Grandes Découvertes
le font plus encore, l’Angleterre devient le point de départ
vers les mondes nouveaux. Son aire commerciale s’étend
progressivement sur le monde. Par ailleurs, elle se sent menacée
par une Europe inamicale tant sur le plan économique que
sur le plan politique. Elle réagit avec vigueur et entend
faire la loi, d’abord chez elle puis à l’extérieur.
Contrairement aux autres monnaies européennes, malgré
toute une série de crises, la livre ne varie quasiment pas
jusqu’en 1920. Cette fixité est un instrument crucial
de la grandeur anglaise qui lui permet un crédit facile,
la sécurité pour les prêteurs et des contrats
en confiance. Au total, la stabilité de la livre s’explique
par une série de solutions pragmatiques adoptées pour
régler un problème de l’instant et qui se trouvent
être, dans le long terme une solution efficace. Cette stabilité
est liée à la tension agressive d’un pays contraint
par son insularité, par son effort pour percer le monde,
par sa claire notion de l’adversaire à abattre. La
stabilité de la livre est un instrument de combat.
Londres joue un rôle essentiel dans la construction de l’Angleterre.
Vers 1700, elle compte environ 10 % de la population anglaise. Tout
comme Paris, Londres est un lieu de luxe et de gaspillage. La ville
contrôle toutes les productions et les redistributions de
l’île grâce à un quasi-monopole de l’exportation
et de l’importation. L’essentiel de la circulation se
fait par la route mais aussi par cabotage et réseau fluvial.
Dans les deux sens les étapes sont nombreuses, ce qui génère
de l’emploi. Les Anglais ne se contentent pas des produits
locaux mais veulent aussi des marchandises de partout. Des banques
locales apparaissent dès 1695. Elles se multiplient et sont
liées aux banques londoniennes. Ainsi, sur le plan du crédit,
les économies provinciales sont unifiées et satellisées.
Au XVIIIe siècle , les centres manufacturiers de province
et les ports connaissent un développement rapide.
Au Nord et à l’Est, l’Angleterre impose la culture
anglaise à des voisins le plus souvent réfractaires.
L’Ecosse du XVIIe siècle est un pays pauvre avec une
économie archaïque. Une vie marchande anime les villes
maritimes des Lowlands, les marchands sont entreprenants malgré
la faiblesse de leurs capitaux. En 1707, l’union politique
avec l’Angleterre est votée. L’Ecosse peut alors
jouir des avantages commerciaux dont se prévalent à
l’extérieur les Britanniques. Par ailleurs le pays
ne possédant rien qui puisse avoir un intérêt
économique n’a pas à lutter contre une mainmise
impérieuse. Toutefois la prospérité et la possibilité
de commercer avec l’" Empire " anglais ne sont pas
immédiates. Ce n’est que pendant la seconde moitié
du XVIIIe siècle que les exportations et l’industrie
se développent franchement, d’abord avec le commerce
du bétail sur pied puis de laine. La terre prend alors plus
de valeur que le travail, l’élevage s’étend
au détriment des labours. Ce n’est qu’après
1760 que des manufactures de lin puis de coton, appuyées
sur un système bancaire efficace se développent. La
poussée des villes fournit à l’agriculture une
demande suffisante pour promouvoir une transformation tardive mais
efficace.
La situation en Irlande est très différente. Au XIIe
siècle, les Irlandais sont des ennemis, méprisés
et craints qui peuvent être considérés comme
les grandes victimes du système qui assura à la Grande-Bretagne
son hégémonie mondiale. La sujétion irlandaise
au marché anglais est totale. L’exploitation s’organise
à partir des domaines d’Anglo-Irlandais qui ont confisqué
les trois quarts de la terre. Le pays paie une redevance allant
jusqu’à un million de livres à ces propriétaires.
Le paysannat travaillé par une démographie montante
est misérable. L’Irlande s’enfonce dans une situation
de pays " périphérique ", des " cycles
" s’y succèdent. Elle devient d’abord fournisseur
de bois et développe une industrie du fer au profit de l’Angleterre
jusqu’à ce que l’île soit déforestée.
Ensuite, elle produit d’énormes quantités de
viandes salées, totalement destinées à l’exportation.
La population locale est toujours aussi affamée. Lorsque
la viande russe ou des colonies anglaises fait concurrence, s’amorce
le " cycle " du blé. Des quantités considérables
sont exportées jusqu’en 1846. Là encore la population
ne profite pas de la production. La guerre américaine permet
de supprimer un certain nombre d’interdictions qui limitent
le commerce irlandais. Le pays profite de ces concessions. Cependant
l’Irlande est trop proche de l’Angleterre pour lui échapper
et trop grande pour être assimilée.
Au total, le marché des îles Britannique se dessine
à partir de la guerre d’Amérique qui marque
une accélération. L’Angleterre devient maîtresse
de l’économie-monde à partir de 1780-1785. Le
marché anglais réussit simultanément trois
achèvements : sa propre maîtrise, la maîtrise
du marché britannique, la maîtrise du marché
mondial.
L’Europe à partir de 1750 passe sous le signe d’une
vive croissance dont les manifestations sont nombreuses. L’Angleterre
n’y fait pas exception, sa puissance qui va aboutir à
la Révolution industrielle ne tient pas uniquement à
la croissance européenne et à l’organisation
du marché britannique. Elle tient à la modernité
de la livre sterling, à l’adaptabilité du système
bancaire et à la gestion de la dette publique dont les intérêts
sont toujours réglés. En fait la dette publique est
la grande raison de la victoire britannique. D’énormes
sommes sont mises à la disposition du gouvernement au moment
précis où il en a besoin. Au traité de Versailles,
l’Angleterre perd la guerre mais gagne la paix. Le duel pour
la domination mondiale concerne la France et la Hollande qui sort
exsangue de la guerre anglo-hollandaise. L’échec de
la France dans sa candidature à une hégémonie
mondiale est acquise dès 1783. Le traité de Versailles
prévoit un accord commercial. Cette mesure n’est pas
appliquée. Pendant les guerres de la Révolution et
de l’Empire qui écartent la France des échanges
mondiaux, l’Angleterre conquiert son principal atout : le
monopole d’un marché illimité, celui du monde
entier. Ces guerres aggravent le retard économique de la
France. L’Angleterre impose partout ses conditions commerciales
et élargit ses marchés. Elle préfère
cette victoire économique à une victoire militaire
dans une guerre d’usure avec l’Amérique. La France
qui ne peut l’emporter sur la Hollande se retrouve dans une
situation identique avec l’Angleterre.
5.
Le monde pour ou contre l’Europe
Une vision globale du monde comprend l’Europe marginale de
l’Est, l’Afrique Noire, l’Amérique, l’Islam
et l’Extrême-Orient. Toutes ces zones sont sous influence
de l’Europe qui en tire une notable partie de sa substance
et de sa force, supplément apportant une aide constante qui
favorise la Révolution industrielle. Le monde ressemble dans
ses expériences économiques à l’Europe.
Son étroitesse relative lui a-t-elle facilité la cohérence
et l’efficacité ? L’avantage de l’Europe
tient probablement à des structures sociales qui ont permis
une accumulation du capital, et à la protection de l’Etat.
En fait c’est la domination de l’Europe qui permet son
développement rapide, son éclat et ses conséquences.
1.
Les Amériques ou l’enjeu des enjeux
L’Amérique que l’Europe tend à construire
à son image est un immense territoire faiblement peuplé,
resté à l’âge de pierre. Le peuplement
est une condition indispensable à son développement.
Celui-ci est lent mais des villes et des marchés s’y
construisent, s’appuyant d’abord sur la population indigène
qui sera décimée, puis sur des engagés et déportés
européens, enfin sur des esclaves noirs. Ces populations
se mélangeront en partie progressivement. Les colonies américaines
n’existent que pour servir l’Europe qui, après
les avoir laissées grandir seules, les reprend en main dès
qu’elles prospèrent. Le numéraire manque mais
le crédit est efficace, des surplus se dégagent et
une accumulation commence grâce aux marchands. Les échanges
et les industries se développent et l’Amérique
se donne progressivement les moyens de son autonomie malgré
l’opposition de la métropole. L’immigration se
développe et met en valeur de nouveaux espaces. La vie marchande
en pleine essor a besoin de libertés qui lui sont refusées.
Néanmoins le commerce américain s’étend
progressivement vers l’Europe et concurrence le commerce anglais.
L’Angleterre ne peut mettre au pas ses colonies qui se libèrent
en 1783. Pour certains auteurs, l’Amérique domine le
monde dès la fin du XVIIIe siècle.
Ainsi les colonies du nouveau monde, après s’être
modelées sur l’Europe influent à leur tour largement
sur celle-ci et particulièrement sur l’Angleterre qui
reprend une place prédominante dans le commerce et le développement
des Amériques. En fait, l’économie-monde recouvre
l’Amérique et la supériorité de l’Europe
lui vient de l’exploitation du Nouveau Monde.
2.
L’Afrique Noire
Dès le XVe siècle, l’Europe s’engage
en Afrique. Les Etats y sont belliqueux, le peuplement dense, les
économies, bien que primitives sont vigoureuses. Elles permettent
de fournir 50 000 esclaves par an à la traite. L’Afrique
Noire est entourée de deux civilisations impérialistes,
belliqueuses et esclavagistes, l’Europe et l’Islam.
Celles-ci proposent des biens inédits qui provoquent la convoitise
et intensifient un esclavage préexistant et surtout la traite.
Le commerce qui est d’abord côtier s’étend
à l’intérieur du continent, avec ou sans intermédiaires.
La traversée de l’Atlantique n’est qu’une
étape du commerce triangulaire. Sucre, coton et café
arrivent ensuite en Europe d’où repartent des produits
manufacturés. A chaque étape, les bénéfices
sont importants. Pourtant, progressivement le client noir augmente
ses exigences, le profit des Etats africains augmente en même
temps que leur production se spécialise. L’arrêt
de l’esclavage est progressif à partir de 1815. Rien
ne permet d’affirmer que la traite a détruit l’équilibre
des populations africaines qui, en contrepartie, ont obtenu de nouveaux
produits agricoles et animaux domestiques, ainsi qu’une part
de civilisation.
3.
La Russie
La Moscovie reste longtemps en marge de l’Europe qui possède
la supériorité de ses techniques et de ses marchandises.
Elle organise sa propre économie-monde et cependant n’est
pas totalement fermée aux échanges. Elle communique
avec l’Europe grâce à ses ports du nord et avec
la Turquie par ses routes du sud. Kazan et Astrakan deviennent des
plaques tournantes vers l’Asie, la Chine et l’Iran.
Toutes les activités sont strictement contrôlées
par un Etat extrêmement autoritaire et omniprésent
qui délègue ses grandes fonctions monétaires,
commerciales et financières à quelques marchands très
importants.
La société est très fermement tenue en main
et condamnée à produire des surplus. La condition
paysanne s’aggrave et le servage renaît au XVIe siècle,
d’autant plus que les territoires sont immenses et peu peuplés
et que c’est le seul moyen de fixer une population qui tend
à la mobilité. Le paysan russe est soumis à
une redevance en argent ce qui suppose un marché dans lequel
le commerce extérieur joue un rôle qui permet l’injection
d’argent. Le serf quant à lui , contre redevance, peut
avoir des activités particulières lucratives. Les
manufactures se développent au XVIIIe siècle et tout
le pays prend part à l’expansion économique.
Le métal blanc et une certaine forme de capitalisme contribuent
à la détérioration de l’Ancien Régime.
Un marché national se développe à partir de
très petites unités. Par ailleurs, le crédit
moderne n’existe pas et le bénéfice compte moins
que la saisie des biens de l’emprunteur.
Cette économie-monde a sa périphérie vers
le sud et surtout avec la Sibérie, qui peut être comparée
à l’Amérique pour l’Europe. La conquête
de ce territoire, découvert à la fin du XVIIIe siècle,
est d’abord le fruit d’initiatives individuelles. L’immigration
est faible. A la fin du XVIIIe siècle, la population sera
d’environ 600 000 personnes. Le transport est difficile et
se fait surtout par les fleuves et par un traînage facilité
par le froid et la neige. L’Etat prend la Sibérie en
main en 1687 et organise le commerce des fourrures qui sont la richesse
du pays. Lorsque la concurrence des fourrures d’Amérique
devient trop rude, le pays se tourne vers les produits miniers qui
demandent une main d’œuvre beaucoup plus importante.
Déportés et paysans contraints la formeront.
L’expansion de l’économie-monde russe est étonnante
mais fragile. Elle est concurrencée par les marchands de
Chine, d’Islam, d’Inde et d’Iran. Devant eux,
les marchands russes font rarement le poids dans le commerce extérieur
mais ils prennent leur revanche au niveau du marché intérieur.
Avec Pierre le Grand, le pays sort progressivement de son isolement.
Grâce à son crédit et au pouvoir de l’argent
comptant, l’Europe pénètre le marché
de ses produits manufacturés. Par ailleurs, la philosophie
des Lumières a une influence considérable dans les
milieux dirigeants et intellectuels. La Russie qui protège
son marché intérieur réussit sa révolution
pré-industrielle, les manufactures se développent.
Pourtant lors de la Révolution industrielle, elle ne fera
que prendre du retard. Elle devient un fournisseur de matières
premières, ce qui lui permet l’apport monétaire
indispensable à l’introduction du marché dans
l’économie paysanne, étape indispensable à
la modernisation du pays.
4.
Le cas de l’Empire turc.
Constitué dès le XVe siècle, il est une contre-Europe.
Son économie est l’héritière des anciennes
liaisons entre l’Islam et Byzance. La force de l’Etat
lui donne toute sa puissance. Ici encore, l’espace est immense.
D’abord plaque tournante du commerce entre l’Europe
et l’Asie, l’Empire restera une voie de passage obligée,
même après l’utilisation de l’Atlantique.
La taille et la faiblesse des consommations locales permettent de
dégager d’importants surplus (chevaux, viande, cuir).
Par ailleurs les villes marchandes importantes comme Le Caire ou
Alep sont nombreuses. Le déclin politique date du milieu
du XVIIe siècle mais il n’induit pas une décadence
économique immédiate. La population continue de croître
et au XVIIIe siècle la reprise économique est visible.
Les Ottomans sont maîtres de la plupart des ports méditerranéens
de l’Islam. Les axes terrestres lui assurent la cohérence.
Vers 1750, les produits importés sont nombreux et variés
et viennent d’Europe voire d’Amérique. Les exportations
restent à peu près inchangées. Constantinople
est une place de change, de troc des monnaies avec de forts pourcentages
de profits, en même temps qu’un gros centre de consommation.
Les villes et les foires sont au centre de l’économie
de marché de l’espace turc. Au XVIIIe siècle,
le crédit est peu développé bien que l’usure
soit active. Les échanges restent archaïques avec une
modicité des prix étonnante par rapport à l’espace
occidental. La majeure partie de l’argent, indispensable au
commerce, ne fait que traverser l’espace turc vers l’Océan
Indien. Cette situation renforce la supériorité monétaire
de l’Occident qui joue également sur le taux de change
entre or et argent, en faisant une véritable activité.
Les archaïsmes turcs n’entraînent pas la régression
de l’économie turque tant que le marché intérieur
reste vigoureux, et les industries de guerre, navales et textiles,
actives. Les 20 à 25 millions d’habitants font une
large part aux divers métiers de l’Empire et à
leurs productions jusqu’au XIXe siècle. A partir de
ce moment-là seulement, les produits de l’industrie
textile anglaise supplanteront largement ceux de l’industrie
locale. Néanmoins, les marchés turcs continuent d’assurer
leur fonction, appuyés sur une solide organisation des transports
que les Européens ne parviennent pas à organiser pour
eux-mêmes.
La décadence de l’Empire turc ne commence qu’au
début du XIXe siècle. Ce déclin se propage
des zones les plus actives vers celles qui le sont moins, poussé
par l’économie-monde européenne et ses techniques
belliqueuses. A ce moment l’Etat turc n’est plus obéi,
les salaires de ceux qui travaillent pour lui sont faibles et incitent
à des " dédommagements ", le stock monétaire
est probablement trop faible. Au total, l’économie
se mobilise mal au moment où s’accélère
la décadence politique. L’entrée de l’Europe
industrialisée va être fatale à cet univers
en difficulté.
5. L’Extrême Orient
Il est composé de trois économies-mondes : l’Islam,
l’Inde et la Chine qui ont formé un assemblage fragile
et intermittent, articulé autour de l’Inde avec des
rééquilibrages à durée multi-séculaire.
Ce sont néanmoins les marchands indiens qui l’emporteront
en permanence sur les autres.
La Chine se libère des Mongols dès le début
du XVe siècle, prend une expansion maritime considérable,
bouscule le commerce musulman et déplace le pôle de
cette super économie-monde dans l’Insulinde. Les villes
commerciales sont quasi autonomes, elles s’orientent au gré
des courants marchands. De l’Egypte au Japon on trouve des
capitalistes, des rentiers du négoce, de gros marchands,
des changeurs, des banquiers. Les possibilités et garanties
des échanges sont comparables à celles de l’Europe.
Les marchands forment des associations, leurs contrats et leurs
affaires passent de l’un à l’autre. Ainsi apparaît,
bien avant l’arrivée des Européens, un réseau
de trafics maritimes d’une variété et d’un
volume comparables à ceux de la Méditerranée.
L’Europe s’introduit progressivement à partir
de 1498 avec l’arrivée de V. de Gama. Tout y est nouveau:
religions, hommes, civilisations, modes de propriété.
Compte tenu de la distance et de l’étendue des territoires,
l’apport en nombre des Européens est dérisoire
(quelques dizaines de mille vers 1700). Entre les moyens apparents
et les résultats obtenus, la disproportion est flagrante.
En fait, les Européens se font aider par la population locale
qui se présente en foule. Dans ce système la collusion,
la symbiose s’imposent et le marchand local est toujours présent,
à tous les niveaux.
Le jeu du commerce mondial s’efforce, souvent avec succès,
de rendre Europe, Amérique, Afrique et Asie complémentaires.
Les échanges sont possibles uniquement parce que la contrepartie
du poivre, des épices et de la soie est constituée
par les métaux précieux engloutis par l’Inde
et la Chine. Il est possible d’y voir soit une faiblesse de
l’Europe par rapport à l’Asie, soit le moyen
pour les Européens de s’ouvrir un marché particulièrement
profitable. Le métal blanc d’Amérique qui arrive
par voie terrestre et maritime est indispensable aux mouvements
économiques asiatiques. Ceci permet à l’Europe
de réguler les économies d’Extrême-Orient.
D’entrée de jeu les Européens bénéficient
de la supériorité écrasante des vaisseaux de
guerre dans un milieu ou les mœurs maritimes sont des plus
pacifiques. Incapable de s’emparer de l’intérieur
des terres, l’Europe saisit la mer et ses possibilités
de transport et de liaison.
Les grandes compagnies des Indes sont des " multinationales
" avant l’heure. Elles luttent avec l’Etat qui
les a créées, s’occupent des capitaux, surveillent
les marchés étrangers. La distance est une difficulté
constante et la lenteur des communications oblige à une délégation
importante aux directions locales. Le territoire d’un comptoir
est souvent une forme de colonie marchande . L’Européen
s’implante près d’une zone de production, d’un
carrefour, d’un marché, de façon à ne
pas avoir d’infrastructure à prendre à sa charge.
Les très petits groupes européens en Asie sont en
fait liés au capitalisme le plus avancé de l’Occident
et ne rencontrent pas la totalité de la masse asiatique mais
des minorités marchandes qui dominent les trafics et les
échanges d’Extrême-Orient. Si le capitalisme
marchand européen peut investir ces marchés extrême-orientaux
c’est parce qu’ils forment une série d’économies
cohérentes.
L’Inde est un cas subtilement déviant, très
compliqué, politiquement, socialement, culturellement, économiquement.
Les économies-mondes de l’Islam et de la Chine s’appuient
sur l’économie- monde indienne de par sa position centrale
en Extrême-Orient.
Des milliers de villages sont ouverts vers l’extérieur,
encadrés par des autorités et des marchés qui
surveillent l’économie, les vident de leurs surplus
et leurs imposent une économie monétaire qui constitue
une excellente courroie de transmission des échanges de tous
types. C’est le cas du sultanat de Delhi au XIVe siècle
qui garde le soin constant d’améliorer la production.
La densité très importante de foires et marchés
augmente les échanges. Autorités et marchands cherchent
à obtenir le maximum au plus vite. La transformation de la
récolte en argent reste la clé du système.
Les artisans sont confinés dans leur rôle par les castes.
Le revenu du paysan est très faible et il baisse encore entre
1700 et 1900. Néanmoins le système garde une faculté
d’expansion par une mise en culture progressive des terres
avec des rendements supérieurs à ceux de l’Europe.
Un surplus est ainsi dégagé, majoré par le
fait que les cultures " riches " comme celle de l’indigotier
qui nécessitent de gros investissements, destinées
à l’exportation, sont de type capitaliste. La souplesse
d’adaptation de cette agriculture en fonction du marché
est aussi le signe d’une efficacité capitaliste. Toutefois,
tant que l’Etat moghol est fort, il préserve un minimum
de prospérité paysanne nécessaire à
la sienne. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que tout
se détériore, les révoltes paysannes deviennent
alors continuelles.
Les artisans sont innombrables et leur souffrance est comparable
à celle des paysans. Ils travaillent pour la consommation
intérieure et l’exportation. En Inde la proto-industrie
se heurte à de nombreux obstacles. Pour certains les castes
ont empêché les progrès techniques. Pour d’autres,
elles sont un réservoir de main d’œuvre dotée
d’une certaine plasticité. Les outils sont rudimentaires
mais compensés par l’habileté manuelle. Ils
évoluent peu : ceci est dû davantage à une question
de coût que de technicité. Les Hôtels des monnaies
valent ceux d’Europe. Les chantiers navals fournissent des
bâtiments de qualité. La production textile s’adapte
à toutes les variations et s’exporte jusqu’en
Amérique. Comme en Europe, elle s’intègre à
plusieurs réseaux. La liberté laissée au tisserand
est grande ; il reçoit une avance en argent mais comme l’agriculteur,
il est condamné à une rémunération minimale.
Dans ce système les manufactures sont inutiles.
Produits agricoles, manufacturés et matières premières,
tout circule en Inde. Les distances sont considérables et
la circulation est imparfaite. Le terme de marché national
est excessif bien que rendu cohérent par la monnaie. Des
pôles de développement organisent des asymétries
indispensables à une circulation vive.
En se substituant en 1526 au sultanat de Delhi, l’Empire
moghol fait cohabiter les religions hindouiste et musulmane. Une
administration ramifiée assure la levée des impôts
tout en promouvant l’agriculture. L’armée se
place au centre du système et constitue une aristocratie
pesant très lourd sur l’économie du pays, vivant
à la fois des rétributions payées par le Trésor
impérial et des redevances paysannes. Des terres lui sont
concédées, en récompense de service, à
titre viager.
Le début de la décadence se situe vers le milieu
du XVIIIe siècle. Le régime ne réussit pas
à organiser la succession impériale. L’Empire
est fondé sur les quelques milliers de féodaux, professionnels
de la guerre, soucieux avant tout de leur intérêt propre.
Pour que le régime fonctionne, le souverain doit être
énergique et le pays a besoin d’une stabilité
sociale. Dans ce climat de mépris du bien public, une partie
de l’aristocratie tente de transformer la propriété
viagère en propriété héréditaire
et se jette dans les affaires si bien que la fortune n’est
plus la récompense des services rendus. De plus l’intolérance
religieuse croissante génère une réaction hindouiste
révélatrice de l’impossibilité de faire
cohabiter les deux religions. La situation économique plutôt
favorable entretient les conflits internes favorisés par
les hommes d’affaire. Cet écartèlement progressif
ouvre la voie de la conquête anglaise dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle.
Le capitalisme indien malgré ses déficiences fonctionne
assez bien malgré la taille considérable du pays.
Le marché national a besoin pour vivre de métaux précieux
importés qui contribuent à la fluidité et à
l’efficacité de l’économie monétaire.
Celle-ci ne tourne qu’à condition de créer de
l’argent artificiel, d’organiser les transactions du
marché et du crédit. Tout ceci suppose l’existence
d’une hiérarchie marchande stabilisée par le
système des castes et d’une certaine forme de capitalisme.
Au XVIIIe siècle les banquiers sont au sommet de leur richesse,
soit portés par l’évolution logique d’une
vie économique qui tend à créer les hauts paliers
de l’activité bancaire, soit écartés
du système marchand par les Européens et donc rejetés
vers la banque. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe
siècle que les banquiers du Bengale seront ruinés
par la volonté anglaise. Au contraire, ceux de la côte
ouest de l’Inde et de Bombay prospéreront dans l’activité
marchande, devenant les collaborateurs indispensables des Anglais.
Néanmoins avant la domination anglaise la richesse des grandes
familles de marchands les désignent aux exactions des puissants
dans un monde où le manque de liberté, de sécurité,
de complicités politiques n’a pas favorisé l’essor
capitaliste. Tout ceci est néanmoins en partie compensé
par la puissante solidarité de la caste. Parmi les causes
du retard de l’Inde, les bas salaires figurent en bonne place.
Ils sont un trait structurel constant de l’économie
indienne, condition indispensable du courant des métaux précieux
vers l’Inde, expliquant le goût effréné
de la thésaurisation des grands. Les monnaies se valorisent
à la hauteur du très bas prix du travail des hommes,
lequel implique le bon marché des vivres et des épices.
Ces salaires faibles permettent la pénétration en
Europe des exportations indiennes notamment textiles, supérieures
en qualité et en beauté. Le travail d’un "
prolétariat extérieur " est le fondement du commerce
de l’Europe avec l’Inde. Une autre raison du retard
de l’Inde est l’absence d’incitation technique
visant l’augmentation de productivité dans un pays
qui compte des millions d’artisans et dont le monde entier
s’arrache les produits. C’est dans une industrie européenne
menacée qu’a lieu cette incitation. L’Angleterre
ferme d’abord ses frontières propres puis cherche à
saisir ce marché en faisant des économies drastiques
de main d’œuvre. Il existe aussi une explication extérieure
du retard de l’Inde. Celle-ci est un instrument qui a permis
à l’Angleterre de saisir un espace plus vaste qu’elle
et de là de dominer la super économie-monde asiatique.
Ainsi l’Inde a été désindustrialisée,
ramenée au rôle de producteur de matières premières.
L’Inde du XVIIIe siècle est loin d’enfanter un
capitalisme industriel. Pourtant dans ses limites, son agriculture
est efficace tout comme son industrie. Son économie de marché
est à l’œuvre, ses marchands sont efficaces, son
économie au loin vigoureuse. Mais l’Inde ne domine
pas cet espace et c’est par l’extérieur qu’elle
s’appauvrit. L’intervention de l’Europe la stimule
d’abord et la dessert ensuite.
La super-économie-monde extrême-orientale est à
la fois très vaste et très fragile. L’Extrême-Orient
est suffisamment organisé pour être assez facilement
pénétré mais pas assez pour se défendre
; il appelle ainsi l’envahisseur. Le point de confluence de
cette super-économie-monde, c’est l’Insulinde
par laquelle l’Europe pénètrera puis dominera
l’Extrême-Orient.
6.
Révolution industrielle et croissance
La Révolution industrielle qui débute vers 1550 est
un phénomène continu et extrêmement complexe.
1.
Des comparaisons utiles
La Révolution industrielle engendre depuis le début
d’autres révolutions aujourd’hui encore inachevées.
Antérieurement, toutes les amorces de Révolution industrielle
ont échoué.
Si révolution signifie bouleversement et démolition,
il signifie aussi reconstruction. Le terme de Révolution
industrielle est probablement dû à Adolphe Blanqui
en 1837. Dans les révolutions s’associent à
la fois des phénomènes lents et rapides qu’il
convient de rapprocher. Il en est de même pour la Révolution
industrielle anglaise. Avant le " décollage " à
la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre doit se construire,
des préalables sont indispensables. La Révolution
industrielle est la constitution d’une masse critique aboutissant
à une explosion révolutionnaire. Rien d’étonnant
alors si le phénomène n’est appréhendé
par aucun des contemporains comme A. Smith, Ricardo ou J.B. Say
. Pourtant, si à la fin du siècle, la croissance anglaise
devient irréversible, c’est non pas du fait de progrès
particuliers mais du fait d’un ensemble indivisible d’interdépendances
et de libérations réciproques que chaque secteur avait
créées pour l’avantage des autres secteurs.
Le Tiers Monde d’aujourd’hui permet d’illustrer
le passé. Les réussites sont rares et le progrès
est discontinu. Pour accompagner une révolution industrielle,
toute la société et toute l’économie
doivent être capables d’accompagner le changement. Un
seul blocage et tout s’arrête. Pour I. Sachs les goulots
d’étranglement en cause dans le Tiers Monde actuel
sont la croissance démographique lorsqu’elle annule
les effets du développement, l’insuffisance de la main
d’œuvre qualifiée, la tendance à l’industrialisation
dans les secteurs de l’exportation et du luxe et surtout l’inélasticité
de l’offre alimentaire dans une agriculture restée
archaïque et qui n’arrive pas à satisfaire l’augmentation
de la consommation. Comparés à ces difficultés
majeures, les besoins en capitaux, les niveaux de l’épargne,
l’organisation et le prix du crédit apparaissent presque
comme secondaires. L’Angleterre du XVIIIe siècle est
très comparable. La croissance exige un accord intersectoriel,
un marché national qui réclame la cohérence,
la circulation générale et une certaine hauteur du
revenu pro capite. Par ailleurs, l’économie internationale
partage et définit autoritairement les tâches. Les
pays du Tiers Monde qui souhaitent leur propre révolution
industrielle se trouvent à la périphérie. Tout
y est plus difficile, les techniques nouvelles sont sous licence
et ne correspondent pas toujours à leurs besoins, les capitaux
sont empruntés au dehors, les transports maritimes leur échappent
et les matières premières excédentaires peuvent
les mettre à la merci des acheteurs. C’est pour ces
raisons que l’industrialisation progresse là où
elle a déjà progressé et que le gouffre grandit
entre les pays sous-développés et les autres.
Aux révolutions avortées manquent toujours un ou
plusieurs éléments. L’invention existe mais
le démarrage n’arrive pas. Le démarrage est
là mais le mouvement s’arrête. La Révolution
industrielle n’est pas un simple processus économique.
L’économie débouche sur tous les secteurs de
la vie à la fois et la réciproque est vraie.
Chevaux et moulins sont les artisans de la première Révolution
industrielle d’Europe aux XIe, XIIe et XIIIe siècles.
Les battoirs remplacent les pieds des ouvriers dans l’industrie
du drap, essentiellement dans les campagnes où l’eau
est suffisamment vive et au détriment des villes qui perdent
malgré elles cette activité. Au même moment,
la révolution agricole recule les limites des terres cultivées
qui sont assolées, les villes prolifèrent, le travail
se divise, parfois de façon violente entre les campagnes
et les villes. Celles-ci sont des moteurs d’accumulation et
de richesse. La monnaie réapparaît, trafics, marchés
et foires se multiplient. Un ordre économique se met en place.
En Méditerranée, les chemins de la mer et de l’Orient
sont reconquis. L’espace économique s’élargit.
La croissance est continue aux XIIe et XIIIe siècles. Les
salaires montent plus vite que le prix des céréales.
Le rendement du travail et la productivité augmentent ce
qui permet de nourrir une population en croissance. Le secteur "
tertiaire " augmente lui aussi jusqu’à la récession
du XIVe siècle où tout s’effondre. L’économie
s’affaiblit, les famines sont présentes en 1315 et
1317. La Peste Noire suit, à la fois cause et conséquence.
Il est possible de penser que la production agricole avec des rendements
décroissants n’a pas suivi la crue démographique.
D’autres explications à la récession existent,
comme la fragilité de pays touchés en priorité
par la révolution énergétique des moulins :
l’Europe du nord de la Seine. Les nouveaux Etats territoriaux
ne sont pas encore des unités économiques maniables.
Les foires de Champagne s’effacent. Au total, les Etats méditerranéens
l’emportent.
Lorsque l’Europe sort de la crise, un élan des échanges,
une croissance à l’allure vive, révolutionnaire,
courent selon l’axe des Pays-Bas à l’Italie en
passant par l’Allemagne. Celle-ci entre deux mondes dominants
connaît une vive croissance qui lui permet de participer aux
échanges internationaux. Ses mines qui prospèrent
(notamment les mines de fer), suscitent une série de novations.
L’essor minier active les autres secteurs économiques.
Le commerce crée d’importants réseaux de crédit
et des sociétés internationales s’organisent.
L’artisanat urbain prospère. Les transports se développent.
Venise qui a besoin de métal blanc établit avec la
Haute Allemagne des relations commerciales privilégiées.
Vers 1635, les mines allemandes s’épuisent, le métal
blanc d’Amérique apparaît et tout s’arrête
pour l’Allemagne. En Italie une réussite encore plus
marquante s’esquisse dès 1450 à partir de révolutions
successives, fondées sur la poussée démographique,
sur la naissances de petits Etats territoriaux déjà
modernes, sur une transformation agricole capitaliste, le tout dans
un climat général de découvertes scientifiques
et techniques. Milan, probablement grâce à l’avance
de son agriculture échappe à la crise des XIVe et
XVe siècles et connaît un essor manufacturier textile
remarquable. Prise dans le grand mouvement marchand lié à
des villes comme Paris, à des foires comme Genève
et Chalon-sur-Saône, elle achève la conquête
capitaliste de ses campagnes et crée le high farming. Pourquoi
tout ceci n’a-t-il pas débouché sur une révolution
industrielle ? Absence de marché national ? Décroissance
des bénéfices fonciers ? Prospérité
de taille insuffisante des entrepreneurs industriels ? Eloignement
trop important de Venise et de sa position dominante ? En fait une
révolution industrielle, pour se construire doit développer
harmonieusement les divers secteurs de son économie et, impérativement
s’appuyer sur une domination des marchés extérieurs.
C’est un essor industriel beaucoup plus net et intense que
ceux d’Allemagne et d’Italie qui surgit en Angleterre
entre 1560 et 1640 et qui fait de ce pays le premier pays industriel
d’Europe. Les grandes innovations industrielles viennent de
l’extérieur : les hauts fourneaux d’Allemagne,
le tissage de France, le verre d’Italie. Néanmoins,
c’est l’Angleterre qui donne à ces activités
une amplitude encore inconnue : effectifs ouvriers, taille des bâtiments,
grossissement des entreprises. Par ailleurs le recours grandissant
au charbon de terre est décisif. En effet le bois est rare
et de plus en plus cher, l’eau trop lente. L’Angleterre
s’engage donc dans une très large exploitation charbonnière.
L’industrie doit trouver des solutions nouvelles pour s’adapter
à ce changement d’énergie. Le charbon s’introduit
progressivement dans toutes les industries. A chaque fois c’est
une concentration de main d’œuvre et de capital. Simultanément
le marché intérieur est en forte croissance. La poussée
démographique, estimée à 60 % au cours du XVIe
siècle mais aussi la considérable augmentation des
revenus agricoles ont transformé les paysans en consommateurs
de produits industriels. La montée des prix agricoles est
plus importante que celle des prix industriels ce qui tend à
indiquer un retard de la production agricole sur l’industrielle.
Dans ce contexte, certains secteurs restent néanmoins à
la traîne. Le charbon tarde à être utilisé
pour les hauts fourneaux, son usage ne se généralise
que vers 1750. La production d’acier reste longtemps médiocre.
L’industrie du drap est stationnaire de 1560 à la fin
du XVIIe siècle où elle ne fournit plus que 50 % des
exportations au lieu de 90 % au début du XVIe siècle.
De 1640 à 1680 l’industrie stagne et n’innove
plus ce qui est d’ailleurs le cas dans les autres pays du
Nord. Au total la Révolution industrielle qui ne s’affirmera
qu’au XVIIIe siècle progresse déjà par
paliers depuis le XVIe siècle. L’Angleterre d’ailleurs
n’est pas seule responsable et inventrice de la Révolution
industrielle qu’elle a réalisée. C’est
aussi pourquoi les autres pays se sont ensuite aussi facilement
engagés sur cette voie.
2.
La Révolution anglaise, secteur par secteur
L’industrialisation comme la Révolution industrielle
met à la fois tout en cause, société, économie,
structures politiques.
La Révolution industrielle est le résultat d’un
interminable processus. Il est certain que la technique industrielle
et machiniste ne joue, dans la vie rurale qu’un rôle
assez négligeable jusqu’au milieu du XIXe siècle.
La crise du XVIIe siècle correspond à une maturation
des campagnes, lente et inégale mais doublement bénéfique
à la future Révolution industrielle : mise en place
d’une agriculture à haut rendement et création
d’une main d’œuvre malléable et entraînée,
prête à répondre à l’appel de la
grande industrie citadine. L’évolution de l’agriculture
n’a été possible que grâce à la
destruction de l’ancien régime seigneurial remplacé
par un système de propriétés qui se sont étendues
par des regroupements successifs. Ce système va à
l’inverse de celui de la France qui connaît un morcellement
des terres et une perte de rentabilité. Les campagnes anglaises
se joignent très tôt au marché national, faisant
vivre les villes et étant le premier débouché
de l’industrie anglaise qui démarre.
L’Angleterre passe de 5 835 000 d’habitants en 1700
à 18 millions en 1850. Le taux de mortalité passe
de 33 pour mille à 21 pour mille en 1800. Le taux de natalité,
favorisé par les mariages précoces dans les milieux
industriels, atteint 34 pour mille. Une Angleterre noire progresse,
avec d’énormes villes, mal et vite construites qui
voient leur population vivre dans des conditions sordides et se
multiplier par dix entre 1760 et 1830. L’Angleterre ne suffit
pas à fournir les ouvriers nécessaires et des immigrés
encore plus misérables viennent du Pays de Galles, d’Ecosse
et d’Irlande. Par ailleurs, il est de plus en plus fait appel
au travail des femmes et des enfants, dociles et mal payés
mais suffisants pour des tâches non spécialisées.
L’industrie en pleine réussite se bureaucratise, créant
un secteur tertiaire. La domesticité devient pléthorique,
signe que les hommes ne manquent pas. Cette abondance de main d’œuvre
est indispensable à la Révolution industrielle. Les
mouvements industriels et démographiques vont de pair. Dans
les analyses économiques le facteur technique a perdu une
partie de son importance. L’invention, souvent en avance sur
la capacité industrielle, tombe souvent dans le vide et l’application
technique doit être longuement sollicitée. Plusieurs
auteurs affirment que durant les premières décennies
de la Révolution industrielle, la technique a été
beaucoup plus un facteur déterminé par l’économie
qu’un facteur déterminant l’économie.
Les innovations dépendent donc de l’action du marché
et répondent à une demande insistante du consommateur.
Si la demande crée l’innovation, elle dépend
elle-même du niveau des prix. L’explosion marchande
du XVIIIe siècle peut aussi passer pour une révolution
commerciale. Pendant ce siècle, les industries qui travaillent
pour le marché intérieur voient leurs indices de production
augmenter de moitié. Celles qui travaillent pour l’exportation
multiplient leurs indices de production par cinq. Les liens avec
la Révolution industrielle sont étroits et réciproques.
La fortune anglaise, hors de l’île, c’est l’ouverture
de l’économie britannique sur la plus vaste unité
d’échange qui soit au monde. A partir de 1760, les
échanges avec le reste du monde croissent davantage que ceux
avec l’Europe. Le centre de gravité du commerce anglais
s’éloigne du vieux continent au fur et à mesure
qu’augmentent les échanges avec l’Amérique
et l’Inde. Par ailleurs il convient de noter que le niveau
des prix, très haut en Angleterre, ne permet pas à
cette dernière de concurrencer la France et la Hollande sur
les marchés proches de l’Europe. Si l’Angleterre
ne gagne plus en Europe, elle triomphe partout ailleurs. Les hauts
prix intérieurs obligent l’Angleterre à modifier
ses moyens de productions, ils la forcent aussi à s’approvisionner
en matières premières dans les pays à bas prix.
La victoire du commerce anglais appuyé sur la première
flotte du monde le permet. Si la révolution commerciale ne
peut expliquer à elle seule l’industrielle, elle y
contribue largement. Beaucoup la minimisent marquant la différence
entre ceux qui voient la croissance capitaliste par une croissance
interne et ceux qui l’envisagent par une exploitation systématique
du monde, de l’extérieur. Au total, pour la Révolution
industrielle, les deux croissance se sont conjuguées, l’une
n’allant pas sans l’autre.
Pourquoi l’Angleterre a-t-elle été si précoce
? Le rôle centralisateur et révolutionnaire de Londres,
la multiplication des marchés et la généralisation
d’une économie monétaire, l’ampleur des
échanges l’expliquent. Le tout induit une sophistication
et une modernisation des relations qui tendent de plus en plus à
fonctionner d’elles-mêmes. Plus encore une multiplication
des moyens de transport va au devant des exigences du trafic et
en assurera l’essor. La vitesse des communications concerne
aussi les ordres et informations indispensables au monde des affaires.
La Révolution industrielle n’en finit pas de naître
et elle nécessite des destructions, des aménagements
et des restructurations qui prennent environ un siècle pendant
lequel un Ancien Régime disparaît. L’Angleterre
change de visage, elle augmente son niveau de vie, perfectionne
les outils de sa vie économique. Ses secteurs économiques
sont liés et suffisamment développés pour qu’aucun
ne devienne, en cas de difficulté, un goulot d’étranglement.
Au travers de tous ces éléments il ne faut pas considérer
que la Révolution est un but en soi. Celle-ci résulte
davantage d’une rencontre de courants croisés qui poussent
en avant la Révolution industrielle.
3.
Dépasser la Révolution industrielle
L’industrialisme est plus vaste que la Révolution
Industrielle, il est lui même dépassé par les
courants de l’industrialisation, de la modernisation et enfin
de la croissance.
Pour certains auteurs, la Révolution industrielle n’a
pas été la source de la croissance moderne . Pour
d’autres, la Révolution industrielle de ces deux cent
dernières années n’a peut-être été
rien d’autre qu’un vaste boom séculaire . Enfin,
d’autres encore considèrent que la croissance équilibrée
est celle qui met en mouvement tous les secteurs à la fois,
mise sur la demande et valorise le rôle du marché national.
La croissance déséquilibrée fait tout partir
d’un secteur privilégié dont le mouvement se
transmet aux autres. Ici compteraient davantage les à-coups
du marché extérieur, plus que le gonflement du marché
national. Ces différents schémas d’explication
ne s’opposent pas nécessairement entre eux si on superpose
de manière dialectique les aspects mis en évidence
dans ces présentations selon des cycles historiques longs
ou courts. Une vive avance peut lancer la croissance mais elle s’interrompra
si elle ne peut s’appuyer sur une réponse multisectorielle.
Le maniement de focales temporelles différentes fait alors
ressortir une autre opposition entre croissance moderne continue
et croissance traditionnelle discontinue. La croissance soulève
l’économie et engendre équilibres et déséquilibres.
Le potentiel de croissance est le développement équilibré
et lentement acquis par interaction des différents facteurs
et acteurs de production, par transformation des relations structurelles
entre terre, travail, capital, marché, Etat et institutions
sociales. Ce phénomène s’inscrit dans la longue
durée. Il rend la croissance économique possible.
En revanche, la manière dont la croissance se produit est
conjoncturelle, elle dépend d’une découverte
technique, d’une chance nationale ou internationale, voire
du hasard. Il est possible de superposer ces deux modes de croissance.
En croissance continue, l’accumulation lente du progrès
permet la croissance économique, à chaque aléa
de la conjoncture un nouveau moteur prend le relais. Jusqu’à
la Révolution industrielle, chaque poussée de croissance
s’est brisée contre les limites du possible. La croissance
moderne commence quand la limite ne cesse de s’éloigner.
La division du travail suit la croissance à bonne distance.
Sa complication progressive s’affirme comme un bon indicateur
des progrès de la croissance. L’extension du secteur
tertiaire relève de la division du travail et se place au
centre des théories socio-économiques. De même
les déstructurations et restructurations sociales accompagnent
la croissance. En effet, celle-ci n’augmente pas seulement
la division du travail, elle en renouvelle les données, écartant
les tâches anciennes et en proposant de nouvelles.
Ce phénomène de division est omniprésent dans
la société anglaise : division du pouvoir politique
entre Parlement et Monarchie, séparation du secteur culturel
qui devient de plus en plus indépendant et influent, diminution
du secteur primaire au profit des secteurs secondaire puis tertiaire.
Ce dernier point est d’ailleurs le signe d’une société
en voie de développement. Une révolution des services
serait le pendant des Révolutions industrielle et agricole.
Les transports se développent, le nombre des boutiques augmente.
Les entreprises s’étoffent, se bureaucratisent, tout
comme l’Etat. Les professions libérales sont dans le
vent et renouvellent leur organisation.
L’histoire du capitalisme commence avant la Révolution
industrielle et la dépasse. Pendant cette période
il se transforme et prend du volume, jusqu’à devenir
envahissant sous la forme du capitalisme industriel. Dès
avant la Révolution industrielle, son expérience est
marchande mais aussi agricole, industrielle et financière.
La dernière forme, la plus achevée l’emporte
sur les autres. Capitalismes bancaire, industriel et commercial
coexistent tout au long du XIXe siècle mais aussi avant et
après. C’est en fonction des variations du profit que
les masses respectives de l’investissement capitaliste sont
passées d’un secteur à l’autre. Si le
quotient capital/revenu est si élevé entre 1830 et
1870, c’est parce que l’industrie britannique peut grandir
à la mesure du marché du monde qu’elle domine.
A la même époque, le capitalisme parisien se rabat
sur la finance qui lui est plus profitable. Paris se fait alors
admettre comme ville organisatrice des mouvements de capitaux intra-européens
jusqu’en 1870 où l’Angleterre l’emporte.
7.
En matière de conclusion : réalités historiques
et de demain
Braudel s’interroge sur l’introduction qu’il
a faite du terme et du concept de capitalisme dans le champ de la
première modernité du monde. Le capitalisme est un
bon repère qui permet d’aborder les problèmes
et activités de base, la longue durée, les divisions
de la vie économiques, les économies-mondes, les fluctuations
séculaires et les autres, les hiérarchies sociales.
En conclusion de son ouvrage, Braudel souhaite esquisser l’utilisation
de la problématique, construite pour déchiffrer la
période préindustrielle, pour la période contemporaine.
Cette prospective comporte les interrogations suivantes : le capitalisme
structure de longue durée, le capitalisme secteur du complexe
social, le capitalisme en état ou non de survivre, le capitalisme
distinct de l’économie de marché.
1. La longue durée
Un capitalisme en puissance s’esquisse dès l’aube
de l’Histoire, se développe et se perpétue des
siècles durant .
Les signes annonciateurs sont : l’essor des villes et des
échanges, l’apparition d’un marché du
travail, la densité de la société, la diffusion
de la monnaie, la montée de la production, le commerce au
loin…
Dans une vision de longue durée, comprenant des mouvements
répétitifs, des variations, des retours, la Révolution
industrielle s’analyse comme une grande mutation, et non pas
comme une grande rupture.
En effet, le capitalisme est resté pour l’essentiel,
semblable à lui-même, obéissant à sa
règle interne de se maintenir par le changement même.
Il ne faut pas imaginer le capitalisme comme un développement
par phases ou bonds successifs : capitalisme marchand, capitalisme
industriel, capitalisme financier.
L’étude de l’histoire montre la coexistence
simultanée de plusieurs formes de capitalisme, soit à
travers les grands marchands de jadis qui n’étaient
jamais spécialisés dans une forme de capitalisme,
soit à travers les mécanismes du monopole sous toutes
ses formes (jusqu’aux multinationales).
Le principal privilège du capitalisme, aujourd’hui
comme hier, reste la liberté de choisir sa forme, son champ
d’action. De ce fait, le capitalisme a la capacité
à tout instant de virer de bord : c’est le secret de
sa vitalité. Le capitalisme se succède infiniment
à lui-même.
2.
La société enveloppe tout
Il ne faut pas penser que le capitalisme est un mécanisme
économique sans plus. Le capitalisme vit dans l’ordre
social. C’est un adversaire ou un complice de l’Etat,
il s’appuie également sur le ciment de la société
que constitue la culture, il tient les classes dominantes.
3.
Le capitalisme survivra-t-il ?
Le capital ne peut s’effondrer de lui-même par une
détérioration endogène. Il faudrait un choc
extérieur et des violences exemplaires comme en ont témoigné
les victoires socialistes de par le monde.
Si la crise actuelle commence avec les années 1970, menace
le capitalisme, ce dernier toutefois a toutes les chances de lui
survivre en tant que système. Braudel formule même
l’hypothèse que le capitalisme sorte de cette crise
économiquement renforcé.
Comme les crises déjà observées dans l’Europe
préindustrielle, la crise aboutit à une centralisation
et à une concentration du capitalisme toujours plus marquées.
Comme toutes les crises séculaires, la crise actuelle se
traduit par une discordance grandissante entre les structures de
la production, de la demande, du profit, de l’emploi. Elle
favorise également une redistribution à l’échelle
internationale.
Face au Tiers monde, le capitalisme a réorganisé
les formes de sa domination.
L’exemple des pays socialistes prouve que la disparition
d’une seule hiérarchie (l’économique)
pose d’énormes difficultés et ne suffit pas
à établir l’égalité, la liberté
ni même l’abondance. Pour qu’apparaisse une société
sans inégalité, sans domination d’un homme sur
un autre homme, , il faudrait que toutes les hiérarchies
sociales soient jetées à terre, celle de l’argent,
de l’Etat mais aussi celle des privilèges sociaux et
celles issues du poids disparate du passé et de la culture.
4.
Le capitalisme face à l’économie de marché
Au XVIIIe siècle, face aux privilèges gratuits d’une
noblesse d’oisifs , les privilèges marchands ont été
considérés comme le juste prix du travail. Au XIXe
siècle, la grande montée capitaliste a été
perçue comme sainement concurrentielle. La simple liberté
marchande a pu sembler concurrence vraie. Ces images sont encore
présentes dans le langage. Il semble plus juste d’observer
toutefois l’existence d’une marge de l’économie
faite de petites unités indépendantes. Les grandes
firmes ont besoin d’unités de plus petite taille que
la leur. Il y a une dialectique vivante du capitalisme en contradiction
avec ce qui, en dessous de lui, n’est pas le vrai capitalisme.
Le marché a une énorme puissance créatrice.
La zone inférieure des échanges, de l’artisanat
et même de la débrouille, sont une richesse pour l’économie.
Le " rez-de-chaussée " qui n’est pas paralysé
par la lourdeur de ses équipements et de son organisation
est toujours apte à prendre le vent. Il est la zone des innovations
qui retombent ensuite dans les mains des possesseurs du capitalisme.
9. Principales conclusions
Le schéma explicatif de l’économie-monde construit
par F. Braudel est vérifié au travers de l’histoire
des villes-Etats, puis des Etats territoriaux et enfin de la Révolution
industrielle en Angleterre.
Ce schéma permet de repérer un continuum, des grandes
mutations. Il est exclusif d’une vision historique de ruptures
et de révolutions.
Il met en évidence la permanence du capitalisme sous toutes
ses formes, marchande, industrielle, financière, et son constant
renouvellement.
Ce schéma permet de suivre la dialectique entretenue par
le capitalisme, pour sa survie, entre l’économie de
marché à la base même de l’économie,
et les différentes formes du capitalisme issues de sa puissance
de concentration et de centralisation.
10.
Discussions et critiques
F. Braudel a utilisé l’outil conceptuel dénommé
capitalisme, tel qu’il a été " construit
" par Marx.
Il fait part notamment de son accord avec la formule de Marx selon
laquelle " la biographie du capital commence dès le
XVIe siècle ". Comme Marx, F. Braudel pense que le capitalisme
a commencé dès le XIII e siècle.
Puis F. Braudel dilate cet outil conceptuel dans le temps et dans
l’espace pour créer l’économie-monde,
nouvel outil, nouvelle grille au moyen de laquelle il se propose
de lire l’histoire du monde sur trois siècles, mais
également l’histoire de la période qui précède
ces siècles.
L’outil ainsi conçu lui permet d’expliquer la
Révolution industrielle en Angleterre, puis de dépasser
ce phénomène pour arriver à la mondialisation
contemporaine de l’économie.
Ce faisant F. Braudel se pose en héritier des fondateurs
de l’Ecole des Annales, Lucien Febvre et Marc Bloch. Le livre
est structuré autour de la notion de programme et de la notion
de méthode. D’une part, F. Braudel s’intéresse
à toutes les formes de l’activité humaine susceptibles
de l’éclairer sur le devenir humain. D’autre
part, il s’est efforcé de résoudre une question
bien délimitée, située dans une perspective
exactement définie.
La discussion autour de l’ouvrage de F. Braudel peut naître
autour du dépassement qu’il propose de la synthèse
historique initiée par Lucien Febvre et Marc Bloch.
F. Braudel ne glisse-t-il pas de l’histoire à la science,
de la connaissance des événements, des faits, à
la connaissance des lois qui régissent les faits ? F. Braudel
fait-il œuvre d’historien, ou intervient-il dans le domaine
des sciences humaines en essayant d’établir des lois
relatives à des événements humains ?
F. Braudel prend pour point de départ un concept issu d’une
pensée historique (la philosophie marxiste) pour aller vers
une explication du monde qui semble a-historique. Au fil de l’ouvrage,
les dates, pourtant abondantes, importent peu. Ce sont les mécanismes
d’évolution qui occupent le devant de la scène.
F. Braudel nous montre comment ces mécanismes se reproduisent,
à différents moments, dans différents endroits,
ou bien ne se reproduisent pas en raison d’un ingrédient
manquant.
De par la période historique choisie, F. Braudel se penche
sur les débuts du capitalisme. Mais il nous explique aussi,
par la grille de lecture proposée, pourquoi ce phénomène
n’a pas de fin.
Mais alors ne peut-on considérer que F. Braudel montre que
" l’objectivité du savoir historique se prépare
au sein de l’idéologie selon une démarche de
rupture, inlassablement recommencée, avec l’idéologie
elle-même " ? (Claude Mazauric).
11.
Actualité de la question
La pensée de Braudel offre la possibilité de situer
la " révolution informatique ", couramment considérée
comme une rupture. Ce phénomène n’est-il pas
plutôt une mutation ? Est-ce seulement une innovation technologique
qui n’induit pas en elle-même de changement de nature
dans la société ? Il est aussi possible de constater
que cette innovation technologique " ne tombe pas dans le vide
". Elle est accompagnée d’autres changements d’ordre
culturel et social, qui retentissent notamment sur le rapport au
travail et les hiérarchies sociales induites.
" Le Temps du Monde " permet également de mettre
en lumière le phénomène actuellement observé,
d’une concentration toujours croissante des multinationales,
cohabitant avec l’essor des " start up ". Celles-ci
peuvent alors être considérées comme le témoignage
de la vivacité de l’économie de marché.
Leur évolution est un repère de la dialectique entre
l’économie de marché et le capitalisme représenté
par les multinationales.
Cet ouvrage permet aussi de s’interroger sur la place historique
du 11 septembre 2001 et sur les conséquences induites sur
certains secteurs de l’économie. L’attaque des
tours du World Trade Center peut-elle être considérée
comme un facteur exogène susceptible de porter atteinte au
capitalisme, comparable aux violences qui ont accompagné
les révolutions socialistes ? Au contraire peut-elle être
envisagée comme une attaque désespérée,
issue d’une zone périphérique de l’économie-monde
en direction du centre symbolique de l’économie-monde
?
Les conséquences induites sur certains secteurs de l’économie,
tel que l’aviation, par l’attaque du 11 septembre sont-elles
autre chose qu’une simple mais brutale modification de l’offre
et de la demande ? Le respect du mécanisme de l’offre
et de la demande est impératif à la survie du capitalisme,
étant lié à l’essence même du capitalisme.
La grille d’analyse de Braudel permet d’interroger
la crise selon une division du temps autre que conjoncturelle. Les
contemporains vivent le monde en crise depuis 30 ans. S’agit-il
d’un kondratieff de 50 ans ? Est-ce la rencontre d’un
kondratieff et d’un trend dont Braudel nous explique que les
sommets coïncident une fois sur deux provoquant atténuation
ou renforcement ? Cette crise marque-t-elle le début d’une
déstructuration ? Annonce-t-elle le basculement d’une
économie-monde, la nouveauté étant qu’aujourd’hui
l’économie-monde se situe à l’échelle
mondiale d’une terre finie ?
La grille matricielle " économie-monde " proposée
par Braudel pour lire l’histoire du capitalisme à ses
débuts ne peut-elle être utilisée pour comprendre
les organisations ? Les entreprises et les structures entrant dans
le champ de l’Organisation ne peuvent-elles être considérées
comme des économies-mondes ? Braudel a montré tant
à travers des Etats-villes qu’à travers l’émergence
des Etats territoriaux, et notamment leurs efforts pour maîtriser
l’espace, que l’économie-monde apparaît
comme une succession d’emboîtements d’unités
de taille différente. Ces unités ne peuvent-elles
être des organisations, des entreprises, des ateliers ? Par
ailleurs, suivant la focale utilisée, n’est-il pas
possible d’appliquer ce modèle et de mettre en évidence
un centre et une périphérie, tant à l’intérieur
d’une organisation ou d’une entreprise unique qu’au
niveau d’un réseau, formalisé ou non ?
12.
Œuvres principales.
La Méditerranée, éd A. Colin, 1949
Ecrits sur l’histoire, éd. Flammarion, 1969, rééd.
1977
La dynamique du capitalisme, éd. Arthaud, 1985
L’identité de la France, (3 volumes), éd. Arthaud,
1986
Grammaire des civilisations, éd. Arthaud, 1987
Histoire du capitalisme
13.
Bibliographie
Article Histoire de l’Encyclopedia Universalis
|