Origine http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/braudel.html
LES FICHES DE LECTURE de la Chaire D.S.O.
CACHEUR Paul
LEBAS Romain
Mastère GIN
Economie Industrielle
PLAN
I. L’Auteur : Biographie *
- Oeuvres principales *
- Biographies *
II. Introduction *
III. Questions posées par l’auteur *
IV. Postulats *
V. Hypothèses *
VI. Résumé *
Conférence n°1 : ‘En repensant à la vie
matérielle et à la vie économique’ *
- La vie matérielle *
- Economie d’échange, économie de marché
*
- Vie matérielle, vie économique et capitalisme *
Conférence n°2 : ‘Les jeux de l’échange’
*
- L’économie de marché *
- Le capitalisme *
- Le capitalisme, la société et l’état
*
3eme conférence : ‘Le temps du monde’ *
- Economie mondiale et économie monde *
- Marchés nationaux et économies nationales *
- La révolution industrielle anglaise *
- Le Monde et le Capitalisme d’aujourd’hui à
la lumière du Monde et du Capitalisme d’hier *
VII. Commentaires et conclusions *
I. L’Auteur : Biographie
Fernand Braudel (1902-1985)
Fernand naît en 1902 dans un petit village de la Meuse, Luméville-en-Ornois,
à une quarantaine de kilomètres au sud de Bar-le-Duc.
Son père, instituteur en région parisienne y a ses
attaches familiales. De cette partie de la campagne lorraine qu'il
a tant aimé dans sa jeunesse et qu'il évoquera dans
sa vieillesse, il gardera la notion de l'importance de la vie quotidienne
du peuple. "Je reste un historien de souche paysanne",
peut-il dire avec fierté.
Fernand est vite conscient du poids de l'Histoire dans cette région
frontière et c'est un garçon de 12 ans très
patriote qui voit la guerre passer si près de la région
aimée.
"Au lieu d'avoir la France devant nous, autour de nous, nous,
Lorrains, l'avons derrière nous. Nous sommes adossés
à la France." Le "nous, Lorrains" montre l'attachement
à ses racines. Son rêve de jeunesse est de faire une
carrière de professeur à Bar-le-Duc. "Si l'Université
avait été gentille à mon endroit, j'aurais
été nommé en 1923 au lycée de Bar-le-Duc,
j'y aurais fait toute ma carrière". Son diplôme
d'études supérieures est consacré à
Bar-le-Duc pendant les trois premières années de la
Révolution
Braudel est attiré par la Méditerranée. Après
son agrégation d'histoire en 1923, le jeune professeur d'histoire
( il a 21 ans) ne peut obtenir de poste au lycée de Bar-le-Duc
et le hasard des nominations administratives l'envoie au lycée
de Constantine, dans l'Algérie française de l'époque.
C'est la découverte de la Méditerranée ! "J'ai
passionnément aimé la Méditerranée,
sans doute parce que venu du Nord". Il a l'idée de sa
thèse fondamentale : "La Méditerranée
et le monde méditerranéen au temps de Philippe II.".
Cette thèse (plus de 1100 pages) est d'ailleurs, pour l'essentiel,
rédigée en captivité. En effet, Braudel est
fait prisonnier en juin 1940 et passe tout le restant de la guerre
dans des camps de prisonniers en Allemagne. On peut imaginer les
conditions de travail : pas d'archives, peu d'échanges, un
travail à partir de la mémoire des notes prises avant
la guerre. Il soutient sa thèse en mars 1947. Elle provoque
un profond bouleversement dans la manière d'écrire
l'Histoire. Des apports fondamentaux : une nouvelle conception de
l'Histoire.
Si l'on voulait caricaturer le travail des historiens avant Braudel,
on pourrait insister sur leur attachement à la description
des événements (d'où l'expression : histoire
événementielle). Braudel va introduire de nouveaux
concepts. D'abord, sa thèse est fondée sur une nouvelle
partition du temps historique. Il distingue : la longue durée
(plusieurs siècles). Par exemple, le monde méditerranéen
a des constantes liées à son milieu géographique
(climat, végétation),
l'histoire "lente" des groupes humains avec ses aspects
économiques, sociaux, culturels et l'histoire événementielle,
au jour le jour, qui est plus le produit de l'histoire que sa productrice.
On comprend que Braudel y attache moins d'importance.
D'autre part, Braudel est un partisan fervent de l'interdisciplinarité
des sciences humaines et économiques. L'historien doit utiliser
toutes les autres sciences pour faire une histoire globale, dans
la longue durée.
Ses conceptions seront mises en pratique par toute une génération
d'historiens formés par lui et qui porteront très
haut la réputation de l'école historique française.
La revue ‘Les Annales’ sera le fer de lance de cette
nouvelle génération. Braudel va aussi se révéler
un organisateur habile, voire despotique au point de paraître,
au soir de sa vie, en pleine gloire, comme un homme de pouvoir,
un mandarin universitaire, contrôlant avec soin ses créations,
l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, la Maison des Sciences
de l'Homme.
Braudel a vraiment marqué la pratique de l'Histoire, et
dans les salles de classe, on enseigne maintenant l'Histoire d'une
manière très différente de celle qui prévalait
avant lui.
Dans la lignée de la célèbre Ecole des Annales*,
instigatrice de toute l'historiographie moderne, Fernand Braudel
(1902-1985) a bouleversé la façon de concevoir et
d'écrire l'histoire. Puisant aux sources des différentes
sciences humaines - géographie et économie en tête
-, et restituant à l'histoire humaine la variété
de ses rythmes, il a proposé une vision globale de l'Histoire
dont le rayonnement a dépassé les frontières
de la France.
Disparu il y a quinze ans, Braudel est un de ces noms qui n'impressionnent
pas seulement les spécialistes mais aussi le grand public
cultivé. Car si l'œuvre est complexe, et riche de la
prodigieuse mémoire de cet agrégé d'histoire
qui rédigea de mémoire sa thèse en captivité,
elle développe une problématique d'autant plus simple
qu'une fois exposée elle paraît évidente.
L'histoire traditionnelle, jusqu'au début de ce siècle,
s'organise autour des faits et gestes des "grands hommes",
personnalités politiques ou militaires, devenus des héros
de légende : Alexandre ou César, Gengis Khan, Louis
XIV ou Napoléon. Ces figures individuelles d'exception constituent
l'échelle de l'histoire; lorsqu'ils meurent, on change d'époque
et souvent aussi de livres et d'auteurs.
Sans contester l'intérêt de ces récits, Fernand
Braudel propose cependant de déplacer le regard de l'historien.
Sous l'oscillation rapide des événements à
dimension humaine, que l'historien compare aux rides de la surface
de la mer, F. Braudel cherche à naviguer, en eau profonde,
afin de retrouver l'histoire plus lente des groupes humains en rapport
avec leur milieu, des structures qui modèlent les sociétés,
qu'il s'agisse des grandes routes du commerce et des voies navigables,
ou des mentalités.
Une histoire à "deux vitesses"
Avec lui, l'histoire change d'objet parce qu'elle change de temporalité.
Au temps rapide de l'événement, au souffle court et
dramatique de la bataille, il substitue le temps long des rythmes
de la vie matérielle. Mais ce changement de perspective le
conduit aussi à repenser l'histoire. F. Braudel montre bien
que l'histoire n'existe pas indépendamment du regard de l'historien.
Ce dernier intervient, comme dans tout savoir, à chaque étape
de la constitution de l'histoire, car il n'est pas d'histoire en
soi, mais seulement des phénomènes passés,
engloutis dans la nuit d'un temps qui les dévore. La perspective
adoptée par F. Braudel le conduit à raconter une histoire
qui ne fait plus seulement appel aux témoignages et à
la psychologie, mais à la géographie, à l'économie
politique, à la sociologie. Sur la palette de l'historien,
F. Braudel dépose de nouvelles disciplines qui sont comme
de nouvelles couleurs : il introduit les sciences sociales en histoire.
F. Braudel s'inscrit dans la lignée des historiens de l'Ecole
des Annales qui proposèrent de repenser l'espace-temps de
l'histoire. Le Mahomet et Charlemagne d'Henri Pirenne, la Société
féodale de Marc Bloch, le Rabelais ou le problème
de l'incroyance au XVIe siècle de Lucien Febvre sont autant
de tentatives pour sortir l'histoire du cadre un peu étriqué
du temps court. Mais à cette dilatation du temps de l'histoire,
F. Braudel ajoute encore le regard du géographe.
Ainsi, dans la Méditerranée et le monde méditerranéen
à l'époque de Philippe II, l'auteur s'intéresse
d'abord au milieu dans lequel vivent les hommes du bassin méditerranéen
: montagnes et plaines, mer et fleuves, routes et villes. A ce rythme
presque immobile du "temps géographique", il combine
celui, rapide, du "temps individuel" et de la circulation
des hommes et des idées.
Cette recherche le conduira à étudier les pôles
d'activité humaine que sont Venise, Milan, Gênes ou
Florence, et leurs échanges entre elles, à faire l'histoire
du développement du capitalisme, des flux de communication
et d'argent qu'il induit, le déplacement des frontières
qu'il entraîne, la modification même de la structure
de l'Etat qu'il détermine. L'horizon de cette incroyable
reconstruction de l'histoire est le monde, une histoire totale,
peinte sur une toile géante.
Eric Maulin
* Née avec la revue des Annales d'histoire économique
et sociale, l'Ecole des Annales, fondée en 1929 par Marc
Bloch et Lucien Febvre, rassemblait un groupe d'historiens qui,
rejetant l'histoire traditionnelle événementielle,
privilégiait la longue durée et cherchait à
s'ouvrir aux autres sciences humaines. Au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, l'importance des Annales fut reconnue avec la création
de la VIe section de l'Ecole pratique des hautes études confiée
à Fernand Braudel.
Depuis les années 70, des historiens comme Georges Duby,
Emmanuel Leroy-Ladurie, François Furet ou Jacques Le Goff,
poursuivent le projet interdisciplinaire des fondateurs de l'Ecole
des Annales, et s'appuient dans leurs travaux sur l'anthropologie
et la sociologie. Cette "nouvelle histoire" s'intéresse
particulièrement à l'histoire des mentalités.
Oeuvres principales
*
Ecrits sur l'histoire, éd. Flammarion, Paris, 1969, rééd.
1977.
*
La Dynamique du capitalisme, éd. Arthaud, Paris, 1985.
*
L'Identité de la France, (3 vol.), éd. Arthaud, 1986.
Biographies
Fernand Braudel, Giuliana Gemelli, éd. Odile Jacob, Paris,
1995.
Braudel, Pierre Daix, éd. Flammarion, Paris, 1995.
II. Introduction
Avant toute chose, nous tenons à préciser que cet
ouvrage représente une réflexion intermédiaire
entre deux ouvrages du même auteur. Ne les ayant pas lu, la
difficulté majeure que nous avons rencontré a d’abord
été le manque de recul par rapport aux références
citées puis la non connaissance de nombre des thèmes
abordés dans ces mêmes ouvrages.
Ce livre reproduit le texte de trois conférences que Fernand
Braudel fit à l’université de Johns Hopkins
aux Etats-Unis en 1976. Cette édition fut publiée
avant la sortie de son livre "Civilisation matérielle,
Economie du capitalisme". Il s’agit ici de la présentation
de cet ouvrage.
III. Questions posées par l’auteur
Nous avons mentionné les principales questions posées
par l’auteur dans le résumé de l’ouvrage
(partie : VI résumé).
IV. Postulats
Le marché caractérise la nature des objets entre
*
valeur d’usage : ce qui reste hors du marché
*
valeur d’échange : ce qui franchit la porte du marché
Le monde de l’échange se trouve strictement hiérarchisé
: des métiers les plus humbles jusqu’aux négociants
capitalistes. Fernand Braudel oppose les trois termes suivants :
vie matérielle, vie économique et capitalisme.
- Vie matérielle : marquée par les balbutiements
d’une économie d’échange (1400 à
1800 en occident) qui réalise le lien entre production et
consommation. Une grande part de la production se perdant dans l’autoconsommation.
- Vie économique : marquée par une économie
de marché organisant la production et orientant (‘commandant’)
la consommation et se distinguant en 2 formes d’échanges
:
- la première forme est caractérisée par un
commerce réglementé, loyal, transparent, terre à
terre et fonctionnant sous le régime de la concurrence. Il
s’agit d’un marché public traditionnel circonscrit
au marché intérieur.
- la seconde, véritable contre marché, fuyant la
transparence et le contrôle et cherchant à s’absoudre
des règles du marché traditionnel est marquée
par des échanges inégaux et prédomine dès
que l’on s’élève dans la hiérarchie
des échanges. Elle s’organise"au loin", dégage
d’importants profits et est détenue par une minorité
de personnes.
- Capitalisme : système vivant sur le marché dont
il est la partie supérieure ou la seconde forme d’échange
et non lié à la production, dans le sens où
il ne crée pas de mode de production qui lui serait propre.
La recherche des bénéfices prend le pas sur l’organisation
des marchés.
Fernand Braudel refuse d’opposer les concepts d’économie
de marché et de capitalisme dans la mesure où tout
capitalisme est à la mesure des économies qui lui
sont sous-jacentes.
Le capitalisme est une triple réalité de l’ordre
sociale, politique et de civilisation et ne peut dès lors
se concevoir sans la complicité active de la société
et donc de l’Etat. Il se caractérise ainsi par la prise
en compte des sous ensembles de la société. Aussi
au regard des expériences occidentales, orientales et asiatiques,
il y a des conditions sociales à la poussée et à
la réussite du capitalisme, notamment une nécessité
de ‘tranquilité’ sociale et d’une certaine
‘complaisance’ de l’Etat. Toutefois, si celui-ci
a besoin d’une hiérarchie pour exister, il ne les invente
pas, il les utilise, de même qu’il n’a pas inventé
le marché ni la consommation.
Le monde se partage structurellement entre privilégiés
et non privilégiés. Il y a une sorte de société
mondiale, aussi hiérarchisée qu’une société
ordinaire et qui est comme sont image agrandie mais reconnaissable.
Aussi, l’économie mondiale s’articule, depuis
le XVe siècle, autour d’économies mondes successives
qui de part leurs évolutions signalent une histoire profonde
du monde. Organisées autour de pôles centraux, une
ville ou une capitale d’aujourd’hui, elles partitionnent
le monde, l’organisation des sociétés, les libertés
individuelles et les richesses en zones concentriques de moins en
moins favorisées à mesure que l’on s’éloigne
du centre. Tout décentrage s’accompagne automatiquement
d’un recentrage, signifiant le déplacement du centre
de contrôle et de profit et marquant l’avènement
d’une nouvelle domination économique. Le triomphe économique
n’est bien souvent pas lié à une meilleure conception
des affaires, ni au jeu naturel de la concurrence mais à
une prise de pouvoir par la violence. Le capitalisme vit de cet
étagement régulier : les zones externes nourrissent
les zones médianes, et surtout les centrales. Ce dernier
n’étant rien d’autre que la superstructure capitaliste
de l’ensemble de la construction. Il y a là convergence
d’intérêts :
* le centre dépend des approvisionnements de la périphérie,
* la périphérie dépend des besoins du centre
qui lui dictent sa loi.
Aussi, si le capitalisme est une ‘création de l’inégalité
du monde’ et les échanges lointains la partie que se
réserve ‘le grand capital’, alors il apparaît
que toute économie monde se manipule souvent du dehors.
Malgré son changement de taille et de proportions, le capitalisme
de la seconde moitié du XXe siècle n’a pas changé
de nature :
*
il existe aux dimensions du monde et tend vers le monde entier,
*
il s’appuie toujours sur des monopoles de droit ou de fait,
*
et il ne recouvre pas toute la société au travail,
toute l’économie.
Le capitalisme est le résultat de la dérive des activités
économiques au sommet de la hiérarchie des échanges,
représente la zone de haut profit et se situe au dessus de
la double épaisseur constituée de la vie matérielle
et de l’économie ‘cohérente’ de
marché. Son caractère monopolistique est historique
et sa nature opportuniste et adaptative lui permet de traverser
les siècles en continuant d’utiliser à son avantage
les circonstances de la conjoncture. Il reste en cela très
fidèle à lui même.
V. Hypothèses
A propos de la diffusion au XVIIIe siècle des techniques
d’une société à l’autre : le capitalisme
serait à l’origine de la suprématie de l’Europe
du simple fait qu’il ne se soit pas diffusé par masses
entières.
La source première d’asservissement est-elle celle
de la dépendance de l’homme à un système
représenté par le capitalisme ou celle, universelle,
de la dépendance de l’homme à un autre homme
incarnée par l’existence de hiérarchies ?
VI. Résumé
Conférence n°1 : ‘En repensant à
la vie matérielle et à la vie économique’
‘L’histoire économique’ est l’histoire
entière des hommes, regardée d’un certain point
de vue. Elle regroupe aussi l’histoire des grands acteurs,
l’histoire des grands événements, de la conjoncture
et des crises et l’histoire massive et structurale en perpétuelle
évolution. L’énorme quantité de données,
faits et explications que cela comprend a obligé l’auteur
à ne prendre en compte, pour la rédaction de son livre,
que les équilibres et déséquilibres profonds
du long terme. En effet, L’élément qui lui a
semblé primordial dans l’économie préindustrielle
est la coexistence des rigidités, inerties et pesanteurs
d’une économie encore élémentaire, avec
des bribes d’une croissance moderne. Ainsi, la coexistence
de paysans vivant presque en autarcie et d’une économie
de marché en expansion a façonné le monde actuel
où nous vivons.
La vie matérielle
L’auteur a désiré commencer par l’inertie,
mais ‘l’obscurité’ du sujet l’a contraint
à se restreindre dans un premier temps à des critères
concrets, en partant du quotidien de la vie, de la routine des hommes
; ces incitations, pulsions, façons ou obligations qui remontent
souvent au fin fond des âges, et que l’auteur a résumé
en une seule expression : la vie matérielle.
Le premier livre de Fernand Braudel traite d’une exploration,
nous nous proposons de le découper en ses principaux chapitres.
Le premier concerne ‘Le nombre des hommes’. Le premier
point de la vie matérielle que l’on peut étudier
est la reproduction. L’évolution démographique
peut se découper en deux périodes : jusqu’au
XVIIIe siècle, ‘le jeu démographique tend à
l’équilibre du fait des cataclysmes (guerres, maladies,
conditions de vie, etc..…) mais celui ci s’atteint rarement’.
Ce constat amène l’auteur à corréler
la réalité biologique de l’époque à
l’histoire des hommes et aux questions qui en résultent
: Combien sont-ils ?, De quoi souffrent-ils ?, Peuvent-ils conjurer
leurs maux ?
Les chapitres suivants abordent des questions d’ordre sociologique
: Que mangent-ils ?, Que boivent-ils ?, Comment s’habillent-
ils ?, Comment se logent-ils ? En effet, le comportement alimentaire
et social de l’homme reflète ce qu’est réellement
l’homme et participe à l’élaboration des
sociétés. Des constatations analogues s’imposent
au sujet des techniques. La concentration économique appelle
les concentrations des moyens techniques et le développement
des technologies. Autant les sciences et techniques se diffusent
aisément et sont partagées par des sociétés
éloignées, autant les associations et groupements
de techniques, peut être plus spécifiques à
certaines sociétés, se diffusent mal. Ainsi, le capitalisme,
que l’auteur définit comme une somme d’artifices,
de procédés, d’habitudes, de performances, serait
à l’origine de la suprématie de l’Europe
du simple fait qu’il ne se soit pas diffusé par masses
entières.
Les deux derniers chapitres sont consacrés à la monnaie
et aux villes car ceux ci sont à la fois l’origine
et la conséquence des changements. Ils sont traités
à part car l’auteur les considère comme des
moteurs et indicateurs du changement.
Economie d’échange, économie de marché
L’habituel se situe entre routine et décision consciente,
au même titre que l’économie d’échange,
qui tout en faisant le lien entre production et consommation, marque,
de 1400 à 1800, leur déséquilibre ; une grande
part de la production se perdant dans l’autoconsommation.
Les progrès de l’économie de marché organisent
petit à petit la production et orientent et commandent ainsi
la consommation. Elle est donc la liaison dynamique entre ces deux
univers, initiatrice de progrès. L’histoire économique
se résume donc selon l’auteur à l’économie
de marché.
Vie matérielle, vie économique et capitalisme
L’auteur caractérise ensuite le marché de la
façon suivante : ‘tout ce qui reste en dehors du marché
n’a qu’une valeur d’usage, tout ce qui en franchit
la porte étroite acquiert une valeur d’échange.
Selon qu’il est d’un coté ou de l’autre
du marché élémentaire, l’individu, l’agent,
est ou n’est pas inclus dans l’échange, dans
ce que j’ai appelé la vie économique pour l’opposer
à la vie matérielle ; pour le distinguer aussi du
capitalisme’. L’auteur définit deux registres
de l’économie de marché :
* Au niveau inférieur, les marchés, les boutiques
et les colporteurs
* Au niveau supérieur, les foires dominées par les
négociants et les bourses
Un marchand est donc un agent élémentaire de l’échange
et une boutique est un lieu d’échange continu où
les crédits sont facilités.
Les principales questions posées par l’auteur : ‘En
quoi les outils de l’échange peuvent-ils nous aider
à expliquer, en gros, les vicissitudes de l’économie
européenne de l’Ancien Régime, entre XVe et
XVIIIe siècle? En quoi, par ressemblance ou par contraste,
peuvent-ils éclairer, pour nous, les mécanismes de
l’économie non européenne, dont on commence
seulement à connaître quelque chose ?’
Pour répondre à ces questions, l’auteur retrace
l’évolution de l’occident du XVe siècle
au XVIIIe siècle. Au XVe siècle, une reprise de l’économie
eu lieu avec boutiques et marchés urbains comme rôle
moteur. Le XVIe siècle vit l’élargissement de
l’économie atlantique, avec comme moteur l’activité
des foires internationales, qui ont permis un énorme trafic
de crédit et d’argent, change et rechange. Le XVIIe
siècle fut une période de recul ou stagnation économique
pendant laquelle l’activité qui persiste s’appuie
sur un retour à la marchandise, à un échange
de base. Les instruments et institutions économiques à
flux continus ont pris le pas sur ceux à flux intermittents
: les foires furent progressivement remplacées par des bourses
et les marchés par des boutiques. Une accélération
économique globale intervint au XVIIIe siècle, pendant
laquelle tous les outils de l’échange ont été
logiquement en service. Les bourses étant instaurées,
l’argent et les crédits courent ainsi de plus en plus
librement d’une place à l’autre tandis que les
foires ne subsistent que dans les économies traditionnelles.
L’apparition d’un contre marché vient s’ajouter
à cette période avec le développement du private
market, dans lequel des chaînes commerciales autonomes se
mettent en place, véritables organisations d’achats
directs aux producteurs, en dehors du marché.
Problématique : ‘Si les rivages de l’Europe
que nous venons de décrire existent hors Europe, peut-on
les utiliser pour un essai d’analyse comparative ?’.
L’auteur se demande également si à partir de
cette comparaison, il était possible de prévoir le
fossé creusé par la révolution industrielle
entre l’Europe et le reste du monde au XIXe siècle
et si l’Europe disposait ou non d’une avance avant même
cette révolution.
Partout dans le monde non européen, des marchés sont
présents dans des sites ni campagnes ni ville où se
mêlent paysans et marchands. Un marché par village
est essentiel en Inde pour assurer la transformation des redevances
en nature en redevances en argent par les marchands Banyans. Cette
organisation peut aussi bien être une imperfection du système
qu’un private market. L’Inde présente une multitude
de foires, et donc des structures d’échange du registre
supérieur, mais elles ne sont que le symbole d’une
économie traditionnelle. L’organisation en Canton de
la Chine forme une matrice autour des villes assurant leur ravitaillement.
Les structures de registre inférieur sont nombreuses alors
que les foires et bourses font défauts. Deux explications
peuvent alors expliquer ce système : soit le gouvernement
est hostile à des formes supérieures de l’échange
du registre supérieur, soit la circulation des marchés
élémentaires suffit à l’économie
chinoise. Le Japon, quant à lui, présente quelques
éléments de l’étage supérieur
de l’échange avec des réseaux de grands marchands.
Les villes de l’Islam, possédaient également
des instruments des étages supérieurs de l’échange.
En conclusion, l’économie européenne possédait
selon l’auteur un développement plus avancé
du fait de la supériorité de ses instruments et institutions
telles que les bourses et les diverses sortes de crédits.
Cependant, toutes ces structures peuvent se retrouver hors Europe,
développées et utilisées à des degrés
divers, qui peuvent nous permettre d’effectuer un classement
des économies des différents pays selon ce critère.
Conférence n°2 : ‘Les jeux de l’échange’
Fernand Braudel aborde dans cette conférence ce qui relève
proprement de l’échange et qu’il désigne
: ‘à la fois comme l’économie de marché
et comme le capitalisme’. Jusqu’au 18e siècle,
ces deux groupes d’activité sont minoritaires, la masse
des actions des hommes ‘restant contenue dans le domaine de
la vie matérielle‘. L’économie de marché,
malgré des succès spectaculaires, manque souvent d’épaisseur.
Quant au capitalisme, il ne saisit pas l’ensemble de la vie
économique et ne crée pas de ‘mode de production’
qui lui serait propre et tendrait, de lui même, à se
généraliser.
L’économie de marché
L’auteur identifie les signes annonciateurs de l’élargissement
de l’économie de marché entre le XVe et le XVIIIe
siècles à travers le constat de la variation en chaîne
des prix des marchés dans le monde entier. Bien ou mal, une
certaine économie relie entre eux les différents marchés
du monde. Ainsi, il présente le périmètre du
marché national comme étant la zone, étroite
et sensible, où il est possible d’agir et ainsi d’influer
sur le marché international. Il représente de plus
un moyen de régulation et de contrôle. L’auteur
exprime ici ses plus vives réserves quant à l’idée
d’un libéralisme bien pensant : ‘je crois aux
vertus et à l’importance d’une économie
de marché, mais je ne crois pas à son règne
exclusif.’ Tout en admettant les vertus concurrentielles du
marché, il rappelle que celui-ci n’est qu’une
liaison imparfaite entre production et consommation.
Le capitalisme
Ce terme est utilisé par défaut et avec précaution
par l’auteur pour définir entre le XVe et le XVIIIe
siècles des activités et des processus réclamant
une appellation particulière que l’auteur ne veut classer
dans l’économie de marché. Il pose le débat
du sens et de l’apparition du capitalisme, notamment par rapport
à la période de la révolution industrielle.
Ainsi, Capital et Capitaliste sont les deux mots qui donnent son
sens au Capitalisme. Capital étant le mot clef et prenant
le sens appuyé de bien capital. Il désigne non seulement
les accumulations d’argent mais aussi les résultats
utilisables et utilisés de tout travail antérieurement
accompli et participant au renouvellement de la production.
Question : ‘Comment puis-je valablement distinguer le Capitalisme
de l’économie de marché, et réciproquement
?’
L’auteur distingue deux sortes d’économies de
marché : (A, B). La première catégorie est
caractérisée par un commerce réglementé,
loyal et transparent. Elle regroupe les échanges quotidien
du marché, les trafics locaux ou à faible distance.
Ils sont sans surprise, transparents, et il est possible de connaître
à l’avance les tenants et les aboutissants et d’avoir
une estimation des bénéfices. L’échange
de catégorie B, à l’inverse, fuit la transparence
et le contrôle. Ces deux catégories d’échange
coexistent même au sein d’un ‘bourg idéal’.
Elles peuvent selon les circonstances se succéder. Dès
que l’on s’élève dans la hiérarchie
des échanges, c’est l’économie de type
B qui prédomine. Ainsi, au XVe siècle, des historiens
ont constaté l’émergence parallèle au
marché public d’un private market ou contre marché
cherchant à s’absoudre des règles contraignantes
du marché traditionnel. Il s’agit alors d’échanges
inégaux où la concurrence, loi essentielle de l’économie
dite de marché, a peu de place, où le marchand dispose
de deux avantages :
* Il a rompu les rapports entre le producteur et celui à
qui est destinée finalement la marchandise.
* Il dispose d’argent comptant.
L’auteur explique que du fait de l’efficacité
de ces longues chaînes marchandes autonomes entre production
et consommation, les autorités ont toléré le
développement de ces contre marchés. Il fait alors
un lien direct avec l’émergence du capitalisme : la
recherche des bénéfices prenant le pas sur l’organisation
des marchés. Il oppose deux types de marchés : le
marché intérieur, caractérisé par le
marché public traditionnel et le marché au loin caractérisé
par un fonctionnement de type contre marché, dégageant
d’importants profits et détenu par une minorité
de personnes. L’auteur caractérise cette minorité
par ces deux questions : ‘Que ces capitalistes, en Islam comme
en Chrétienté, soient les amis du prince, des alliés
ou des exploiteurs de l’état, est-il besoin de le dire
? Qu’ils aient à leur disposition des monopoles ou
simplement la puissance nécessaire pour effacer neuf mois
sur dix la concurrence, qui en douterait ?’
Ainsi le monde de la marchandise et de l’échange se
trouve-t-il strictement hiérarchisé, allant des métiers
les plus humbles jusqu’aux négociants capitalistes.
Fernand Braudel constate qu’au cours des progrès de
l’économie de marché, la totalité de
la société marchande est affecté par la spécialisation,
la division du travail, le processus de morcellement des fonctions
sauf dans le cas de ces négociants qui, jusqu’au XIXe
siècle, ne se sont pour ainsi dire jamais limités
à une seule activité. L’auteur se positionne
clairement à ce sujet en exprimant trois raisons à
cela :
* ‘Le marchand ne se spécialise pas car aucune branche
à sa portée n’est suffisamment nourrie pour
absorber toute son activité’.
* La recherche du profit maximal l’amène à
un comportement opportuniste et à changer ainsi fréquemment
de secteur.
* ‘Une seule spécialisation a eu, parfois, tendance
à se manifester dans la vie marchande : Le commerce de l’argent’.
En résumé, deux types d’échange se distinguent
:
* l’un terre à terre, concurrentiel puisque transparent
;
* l’autre supérieur, sophistiqué, dominant.
C’est dans le second qu’il situe la ‘sphère
du capitalisme’. Bien que le capitalisme puisse se trouver
à tous les niveaux hiérarchiques de l’économie
de marché, c’est en haut de la société
que le premier capitalisme se déploie et affirme sa force.
Si d’ordinaire, on ne distingue pas capitalisme et économie
de marché, c’est que les deux ont progressé
du même pas, du Moyen Age à nos jours, et que l’on
a souvent présenté le capitalisme comme le moteur
de l’épanouissement du progrès du moteur économique.
Ainsi, Braudel refuse d’opposer ces deux concepts, et pense
que ‘c’est le mouvement d’ensemble qui est déterminant
et que tout capitalisme est à la mesure, en premier lieu,
des économies qui lui sont sous-jacentes’.
Le capitalisme, la société et l’Etat
Le capitalisme ne peut se concevoir sans la complicité active
de la société. Il est une triple réalité
de l’ordre sociale, politique et de civilisation. Il est nécessaire
de tenir compte des sous ensembles de la société pour
caractériser le capitalisme :
* L’économique, dont le capitalisme n’est qu’une
forme particulière et partielle.
* Le politique, représenté par l’Etat moderne,
hérité du capitalisme, et qui tantôt le favorise
en le laissant s’étendre et tantôt le défavorise
en en brisant les ressorts. Le capitalisme ne triomphant que lorsqu’il
s’identifie avec l’Etat, qu’il est l’Etat.
* Le culturel et le religieux, par principe opposés aux
nouveautés du marché, de l’argent, de la spéculation,
de l’usure mais qui finissent par dire oui ‘aux exigences
impérieuses du siècle’.
* Les hiérarchies sociales et l’ambition individuelle.
Toute société admet plusieurs hiérarchies,
c’est à dire plusieurs chemins plausibles pour s’élever
socialement (hiérarchie politique, religieuse, militaire,
de l’argent, etc.…). L’ambition individuelle s’appuie
en occident sur la base du cercle familial.
En occident comme au Japon, le mécanisme d’implantation
du capitalisme serait issu de la lente détérioration
d’une société féodale - dans laquelle
les familles seigneuriales sont bénéficiaires, oisives
et imprévoyantes - au profit de la bourgeoisie. Ces deux
sociétés sont ainsi passées de l’ordre
féodale à l’ordre de l’argent.
L’exemple de la Chine nous montre un système où
la mobilité sociale à la verticale y est plus grande
qu’en Europe non que le nombre des privilégiés
y soit plus grand mais la société y est beaucoup moins
stable. Dans les pays de l’Islam, les biens ne sont pas attachés
à une personne ou à une famille mais sont distribués
par l’état et sont disponibles à nouveau chaque
fois que meurt le bénéficiaire. Le sommet de la société
se renouvelle donc très souvent, les familles n’ayant
pas la possibilité de s’incruster.
En conclusion de cette conférence, l’auteur pense
qu’il y a des conditions sociales à la poussée
et à la réussite du capitalisme. ‘Celui ci exige
une certaine tranquillité de l’ordre social ainsi qu’une
certaine neutralité, ou faiblesse, ou complaisance, de l’état.
Une autre idée que soulève l’auteur est que
le capitalisme a besoin d’une hiérarchie pour exister,
mais le capitalisme ne les invente pas, il les utilise, de même
qu’il n’a pas inventé le marché, ou la
consommation. Il arrive quand tout est déjà en place.
L’auteur exprime ici un regret : les sociétés
non capitalistes n’ont hélas pas supprimé les
hiérarchies et conclut par une question : Faut-il casser
la hiérarchie, la dépendance d’un homme vis
à vis d’un autre homme ?
3eme conférence : ‘Le temps du monde’
Objectif : lier le capitalisme, son évolution et ses moyens,
à une histoire générale du monde entre le XVe
et le XVIIIe siècle.
Le monde se partage structurellement entre privilégiés
et non privilégiés. Il y a une sorte de société
mondiale, aussi hiérarchisée qu’une société
ordinaire et qui est comme son image agrandie mais reconnaissable.
Question posée par l’auteur : ‘Pourquoi ces deux
types de sociétés ont-elles la même texture
?’
Economie mondiale et économie monde
En préambule il définit les expressions suivantes
: économie mondiale, signifiant l’économie du
monde pris dans son entier, le marché de tout l’univers
; économie monde, expression traduite littéralement
de l’allemand par l’auteur et concernant l’économie
d’une portion seulement de notre planète, dans la mesure
où elle forme un tout économique. Elle est apparue
pour l’auteur dès l’antiquité et peut
se définir comme une triple réalité car :
* elle occupe un espace géographique donné et a de
ce fait des limites qui l’expliquent et qui varient, bien
qu’avec une certaine lenteur,
* une économie monde accepte toujours un pôle, un
centre, représenté par une ville dominante (une capitale
économique d’aujourd’hui),
* toute économie monde se partage en zones successives.
La région qui s’étend autour du centre, appelée
aussi cœur, par exemple les provinces.
Pour une époque donnée, on peut délimiter
grossièrement les économies monde en place. Lentes
à se déformer, elles signalent une histoire profonde
du monde.
Problématique introduite par l’auteur : montrer en
quoi les économies mondes successives, bâties sur l’Europe
à partir de l’expansion européenne, expliquent,
ou non, les jeux du capitalisme et sa propre expansion.
Tout décentrage conduit systématiquement et automatiquement
à un recentrage du centre de gravité, comme si une
économie monde ne pouvait vivre sans un pôle. Toutefois
ils sont rares, mais lorsqu’ils se produisent, c’est
au cours de luttes, de heurts et de crises économiques fortes.
C’est souvent ‘le mauvais temps économique’
qui finit d’abattre le centre ancien, déjà menacé,
et confirme l’émergence du nouveau. Les forts la traversent,
les faibles y succombent : le centre ne craque donc pas à
tous les coups.
Selon l’auteur : ‘c’est donc au travers de ces
crises qu’il faut, sans doute, aborder l’étude
difficile de ces mécanismes d’ensemble par quoi l’histoire
générale se retourne.’ Il cite ici l’exemple
du décentrage, au XVIe siècle, d’Anvers au profit
de Gênes suite à la modification de la route de commerce
du métal blanc arrivant d’Amérique et qui est
à l’origine de la renaissance économique momentanée
de la Méditerranée.
Il en ressort les constats suivant,
- Le triomphe économique ne tient pas forcément à
une meilleure conception des affaires, ni au jeu naturel de la concurrence
industrielle, la politique peut parfois consister à prendre
simplement la place des anciens gagnants souvent par la violence.
Question posée par l’auteur : ‘Faut-il dire que
cette règle demeure ?’,
- Ceux qui sont au centre ou près du centre ont tous les
droits sur les autres. Cela pose le problème de la partition
du monde en zones concentriques de moins en moins favorisées
à mesure que l’on s’éloigne du pôle.
Il en va de même en ce qui concerne l’organisation des
sociétés, des libertés individuelles et des
richesses.
L’économie monde européenne en 1650 c’est
la juxtaposition, la coexistence de sociétés qui vont
de la société déjà capitaliste, la hollandaise,
au sociétés serviles et esclavagistes tout au bas
de l’échelle. En fait, le capitalisme vit de cet étagement
régulier : les zones externes nourrissent les zones médianes,
et surtout les centrales. Ce dernier n’étant rien d’autre
que la superstructure capitaliste de l’ensemble de la construction.
Il y a là convergence d’intérêts :
* le centre dépend des approvisionnements de la périphérie,
* la périphérie dépend des besoins du centre
qui lui dictent sa loi.
Ainsi, la thèse défendue par I. Wallerstein est une
autre explication que l’habituel modèle successif :
esclavage, servage, capitalisme en ce sens qu’il déclare
: ‘le capitalisme est une création de l’inégalité
du monde ; il lui faut, pour se développer, les connivences
de l’économie internationale. Il est fils de l’organisation
autoritaire d’un espace de toute évidence démesuré.
Il n’aurait pas poussé aussi dru dans un espace économique
borné. Il n’aurait peut-être pas poussé
du tout sans le recours au travail ancillaire d’autrui.’
Cependant, selon Braudel, cette thèse n’explique pas
tout, notamment en ce qui concerne les origines du capitalisme moderne
c’est-à-dire ce qui se passe au delà des frontières
de l’économie monde européenne avec jusqu’à
la fin du XVIIIe siècle l’existence d’économies
monde solidement organisées en Asie. Aussi, malgré
les faibles quantités de marchandises échangées
entre l’Occident et l’Asie, l’auteur pense que
ces échanges ‘sont ceux que se réserve, de chaque
côté, le grand capital’. Il en conclu même
que ‘toute économie monde se manipule souvent du dehors.’
Création des économie monde : deux phases chronologiques
se distinguent.
* les créations et dominations urbaines, de type Amsterdam
au XVIe siècle.
* les créations et dominations nationales, de type Londres
au XVIIIe siècle.
Marchés nationaux et économies nationales
L’économie nationale est un espace politique transformé
par l’Etat, en réponse à l’évolution
des besoins de la vie matérielle, en un espace économique
cohérent, unifié, dont les activités peuvent
se porter ensemble dans une même direction. L’Angleterre,
organisée sur la base d’un centre unique situé
à Londres, est le premier pays à avoir réalisé
cette transition, alors qu’elle créait en parallèle
son marché national grâce à la qualité
de ses réseaux de transport nationaux. A contrario la France
a fonctionné jusqu’au XVIe siècle avec un centre
politique (Paris) dissocié du centre économique (Lyon).
La particularité insulaire de l’Angleterre l’a
de plus ‘dégagée de l’ingérence
du capitalisme étranger’ dès le XVIe siècle
lui permettant de protéger son marché national et
son industrie naissante, avantage unique à cette époque
en Europe. Selon l’auteur, il s’agit là de la
principale raison de l’avance économique anglaise sur
la France au début du XIXe siècle. La prépondérance
économique de l’Angleterre s’étend aussi
au leadership politique et marque la fin des économies à
conduite urbaine. Elle se maintiendra et conduira à la domination
de l’économie mondiale par l’économie
mondiale européenne.
La révolution industrielle anglaise
Problématique posée par l’auteur : ‘Dans
quelle mesure l’industrialisation anglaise rejoint-elle ces
schémas et dans quelle mesure s’intègre-t-elle
à l’histoire du capitalisme ?’. Il se demande
également pourquoi la révolution industrielle anglaise
a été un succès tandis que de nombreux pays
auparavant ont vu leur révolution échouer alors qu’elle
aurait été virtuellement possible sur le plan technique.
Pourquoi est-ce en Angleterre que les pas décisifs ont été
naturellement franchis ?.
La tendance actuelle est de plus en plus, de considérer
la révolution industrielle comme un phénomène
d’ensemble, lent, qui implique par suite des origines lointaines
et profondes. ‘Tous les secteurs de l’économie
anglaise ont répondu aux exigences de ce soudain emballement
de la production, pas de panne, pas de blocage’. D’où
la question : ‘N’est-ce pas toute l’économie
nationale qui est à mettre en cause ?’. Selon Fernand
Braudel, cette mutation n’a pas pour origine le capitalisme
marchand et financier. Aussi, c’est la force, la vie de l’économie
de marché et même de l’économie à
la base, de la petite industrie innovatrice, qui portent sur leur
dos ce qui sera bientôt le capitalisme dit industriel. Celui-ci
n’a pu grandir, prendre forme et force qu’à la
mesure de l’économie sous-jacente. Toujours selon l’auteur,
le monde a été le complice efficace de la révolution
anglaise avec l’apparition continuelle de nouveaux marchés
parfois liée à la découverte de nouveaux territoires.
Cette puissance, si elle se forme par un lent travail sur elle-même,
se renforce par l’exploitation d’autrui et, au cours
de ce double processus, la distance qui la sépare des autres
augmente.
Le Monde et le Capitalisme d’aujourd’hui à
la lumière du Monde et du Capitalisme d’hier
Pour conclure son ouvrage, Fernand Braudel tente de réaliser
le lien entre son approche historique du capitalisme et sa réalité
actuelle. Ainsi, selon lui, et malgré le fait que le capitalisme
d’aujourd’hui ait changé de taille et de proportions,
qu’il se soit mis ‘à la mesure des échanges
de base et des moyens, eux aussi fantastiquement agrandis’,
il ne croit pas que la nature de celui-ci ait changé de fond
en comble. Trois preuves à l’appui :
- le capitalisme reste fondé sur une exploitation des ressources
et des possibilités internationales, autrement dit il existe
aux dimensions du monde, pour le moins il tend vers le monde entier.
Sa grosse affaire présente : reconstituer cet universalisme.
- il s’appuie toujours, obstinément, sur des monopoles
de droit ou de fait, malgré les violences déchaînées
à ce propos contre lui. L’organisation, comme l’on
dit aujourd’hui, continue à tourner le marché.
Mais on a tort de considérer que c’est là un
fait vraiment nouveau.
- Plus encore, malgré ce que l’on dit d’ordinaire,
le capitalisme ne recouvre pas toute l’économie, toute
la société au travail ; il ne les enferme jamais l’une
et l’autre dans un système, le sien, et qui serait
parfait. Ainsi la tripartition : vie matérielle, économie
de marché, économie capitaliste conserve une étonnante
valeur présente de discrimination et d’explication.
L’auteur caractérise finalement le capitalisme comme
le résultat de la dérive des activités économiques
‘au sommet ou qui tendent vers le sommet’. Aussi ‘ce
capitalisme de haut vol’ représente la zone du haut
profit et se situe au dessus de ‘la double épaisseur
sous-jacente de la vie matérielle et de l’économie
cohérente de marché’. Il affirme de plus que
son caractère monopolistique est historique et que transferts
de marchandises et de capitaux ont toujours été simultanés.
Il réfute l’idée d’une évolution
de sa nature à travers les siècles et pense au contraire
que sa caractéristique et sa force sont de pouvoir passer
‘d’une ruse à l’autre, d’une forme
d’action à une autre’, en fait d’utiliser
à son avantage les circonstances de la conjoncture et finalement
de rester assez fidèle, assez semblable à lui même.
Il renvoie alors dos à dos les conceptions des ‘deux
mondes’ de l’époque, le monde capitalisme et
le monde socialiste, en insistant sur la nécessité
de distinguer capitalisme et économie de marché. Il
poursuit en récusant toute tentative d’amalgame considérant
selon que l’on se trouve d’un côté ou de
l’autre :
- le capitalisme comme le pendant obligé de la libre entreprise
et de l’économie de marché,
- la réduction des libertés comme l’envers
obligé de la destruction du fléau capitaliste.
Enfin, il amène les limites de son analyse concernant la
division ‘mutilante’ en trois étapes de l’histoire
du capitalisme, plus basée sur du qualitatif et un regard
d’historien, et présente les voies à explorer
à l’avenir par les chercheurs.
VII. Commentaires et conclusions
Au regard de la complexité de cet ouvrage et de la qualité
de son contenu, nous préférons éviter de nous
lancer dans une analyse critique que nous ne maîtriserions
pas et qui serait truffée d’inepties. Par ailleurs
le manque de références directes sur les sujets abordés
et donc de recul nous force à considérer cette lecture
comme une lecture initiatrice. Aussi, il nous semble simplement
intéressant de constater que l’approche historique
du capitalisme, notamment à travers la réflexion sur
ses fondements, ses conditions d’apparition et ses modes d’expansion,
est remarquablement vulgarisée dans cette ouvrage.
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