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Origine : http://www.chez.com/sociol/socio/socionouv/consstru_bourdieu.htm
-. Un constructivisme structuraliste
-. Deux notions clés : habitus
et champ
-. La dimension symbolique
de l'ordre social
-. Une sociologie de l'action
: la logique de la pratique
-. Une sociologie réflexive
-. Le poids déterminant des structures
objectives
Pierre Bourdieu est né en 1930. de formation philosophique,
il est aujourd'hui titulaire de la chaire de sociologie du Collège
de France. Il a notamment su combiner trois des "pères fondateurs"
de la sociologie, que l'on a traditionnelement opposés avant lui :
Karl Marx, Emile Durkheim et Max Weber.
Si Pierre Bourdieu est particulièrement connu pour les travaux déjà
relativement anciens qu'il a réalisés avec Jean-Claude Passeron sur
les mécanismes scolaires de reproduction sociale - Les Héritiers et La Reproduction -, il a
développé par ailleurs un oeuvre multiforme sur de nombreux terrains,
en veillant à ce que l'élaboration théorique ne soit jamais totalement
détachée du travail d'nequête. Ainsi, ses recherches ne se sont pas
cantonnée à l'analyse de la reproduction des structures sociales -
qui n'a d'ailleurs jamais été comprise par Pierre Bourdieu et Jean-Claude
Passeron comme une reproduction à l'identique - mais beaucoup d'autres
aspects ont été intégrés à des réflexions. C'est le cas, par exmple,
dans un ouvrage collectif qu'il a dirigé. La Misère du monde,
centré sur la façon dont des formes sociales de souffrance travaillebt
la subjectivité des individus. Ce qu'il a appelé "constructivisme
structuraliste" synthétise bien l'originalité de sa démarche,
particulièrement en ce qui concerne les travaux qui ont été publiés
depuis la fin des années 1970.
1-. Un constructivisme
structuraliste
Pierre Bourdieu définit le "constructivisme structuraliste"
à la jonction de l'objectif et du subjectif : "Par structuralisme
ou structuraliste, je veux dire qu'il existe, dans le monde social
lui-même, [...] des structures objectifs indépendantes de la conscience
et de la volonté des agents, qui sont capables d'orienter ou de contraindre
leurs pratiques ou leurs représentations. Par constructivisme, je
veux dire qu'il y a une génèse sociale d'une part des schèmes de perception,
de pensée et d'action qui sont constitutifs de ce que j'appelle habitus,
et d'autre part des structures sociales, et en particulier de ce que
j'appelle des champs 1."
Dans cette double dimension, objective et construite, de la réalité
sociale, une certaine primauté continue toutefois a être accordée
aux structures objectives. C'est ce qui conduit Pierre Bourdieu
à distinguer deux moments dans l'investigation, un premier moment
objectiviste et un deuxième moment subjectiviste : "d'un côté,
les structures objectives que construit le sociologue dans le moment
objectiviste, en écartant les représentations subjectives des agents,
sont le fondement des représentations subjectives et elles constituent
les contraintes structures qui pèsent sur les interactions ; mais
d'un autre côté, ces représentions doivent aussi être retenues sur
l'on veut rendre compte notamment des luttes quotidiennes, individuelles
et collectives, qui visent à transformer ou à conserver ces strucutures".
Cette priorité chornologique et théorique donnée à la dimension
objective de la réalité sociale puise une part de ses racines dans
une réflexion épistémologique, exprimée par Pierre Bourdieu, Jean-Claude
Chamboredon et Jean-Claude Passeron en 1968 dans Le
métier de sociologue 2
et réitérée depuis Pierre Bourdieu. On trouve au coeur de cette
orientation la notion de "rupture épistémologique", rupture
entre la connaissance scientifique des sociologues et "la sociologie
spontanée" des acteurs sociaux ; ce qui rapproche les sciences
sociales des sciences de la nature. Elle trouve une de ses sources
dans l'impératif sociologique de rupture avec "les prénotions"
des acteurs avancé par Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique.
Toutefois, malgré la réaffirmation de ce principe , la démarche
de Pierre Bourdieu - ne serait-ce que par le deuxième moment subjectiviste
- apparaît, souvent, dans le détail des analyses, plus complexe
qu'une simple dichotomie entre connaissance savante et connaissante
ordinaire.
2-. Deux notions clés : habitus
et champ
Selon Pierre Bourdieu, "le principe de l'action historique, celle
de l'artiste, du savant ou du gouvernant comme celle de l'ouvrier
ou du petit fonctionnaire, n'est pas un sujet qui s'affronterait
à la société comme à un objet constitué dans l'extériorité. Il ne
réside ni dans la conscience ni dans les choses mais dans la relation
entre deux états du social, c'est-à-dire l'hitoire objectivée dans
les choses, sous forme d'intitutions, et l'hitoire incarnée dans
les corps, sous la forme de ce sytème de dispositions durables que
j'appelle habitus 3".
c'est don la rencontre de l'habitus et du champ , de "l'histoire
faite corps" et de "l'histoire faite chose" qui apparaït
comme le mécanisme principal de production du monde social. Pierre
Bourdieu a spécifié ici, en cherchant à le rendre opératoire pour
des travaux empiriques, le double mouvement constructiviste d'intériorisation
de l'extérieur et d'extériorisation de l'intérieur.
L'habitus, ce sont en quelque sorte les structures sociales de
notre subjectivité, qui se constituent d'abord au travers de nos
premières expériences (habitus primaire), puis de notre vie d'adulte
(habitus secondaires). C'est la façon dont les structures sociales
s'impriment dans nos têtes et nos corps par intériorisation de
l'extériorité. Pierre Bourdieu définit alors la notion, plus
précisément que ne l'avait fait Norbert Elais, comme un "système
de dispositions durables et transposables 4".
Dispositions, c'est-à-dire des inclinaisons à percevoir, sentir,
faire et penser d'une certaine manière, intériorisées et incorporées,
le plus souvent de manière non consciente, par chaque individu,
du fait de ses conditions objectivies d'existence et de sa trajectoire
sociale. Durables, car si ces dispositions peuvent se modifier dans
le cours de nos expériences, elles sont fortement enracinées en
nous et tendent de ce fait à résister au changement, marquant ainsi
une certaine continuité dans la vie d'une personne. Transposables,
car des dispositions acquises dans le cours de certaines expériences
(familiales par exemple) ont des effets sur d'autres sphéres d'expériences
(professionnelles par exemple) ; c'est un premier élément d'unité
de la personne. Enfin système, car ces dispositions tendent à être
unifiées entre elles. Mais pour Pierre Bourdieu, l'unité et la continuité
de la personne à l'oeuvre tendanciellement avec l'habitus ne sont
pas en général celles que se représentent conscienmment et rétrospectivment
la personne elle-même - ce qu'il appelle "l'illusion biographique"
- mais une unité et une continuité largement non conscientes reconstruites
par le sociologue (en fonction de la place dans l'espace des classes
sociales, des positions institutionnelles occupées, des expériences
successives au sein des différents champs, etc., et donc aussi
du trajet effectué dans le monde social). Cette perspective se distingue
de celles [...] qui conçoivent la personne comme dotée de dispositions
et d'identités davantage éclatées, la question de leur unification
apparaissent alors plus problématique.
Unifiants, les habitus individuels sont également singuliers. Car,
s'il y a des classes d'habitus (des habitus proches, en termes de
conditions d'existence et de trajectoire du groupe social d'appartenance,
par exemple), et donc des habitus de classe, chaque habitus individuel
combine de manière spécifique une diversité (plus ou moins grande)
d'expériences sociales. Mais cet habitus est-il simplement reproducteur
des structures sociales dont il est le produit ? L'habitus est constitué
de "principes générateurs", c'est-à-dire qu'un peu à la manière
d'un logiciel d'ordinateur (mais un logiciel en partie autocorrectible),
il est amené à apporter de multiples réponses aux diverses situations
rencontrées, à partir d'un ensemble limité de schémas d'action et
de pensée. Ainsi, il reproduit plutôt quand il est confronté à des
situations habituelles et il peut être conduit à innover quand il
se trouve face à des situations inédites.
Les champs constituent la face extériorisation de l'intériorité
du processus. C'est la façon dont Pierre Bourdieu conçoit les institutions
non comme des substances, mais de manière relationnelle, comme des
configurations de relations entre des acteurs individuels et collectifs
(Pierre Bourdieu parle plutôt d'agents, pour indiquer que ceux-ci
sont autant agis, de l'intérieur et de l'extérieur, qu'ils n'agissent
librement). Le champ est une sphére de la vie sociale qui s'est
progessivement autonomisée à travers l'histoire autour de relations
sociels. Les gens ne courent ainsi pas pour les mêmes raisons dans
le champs économiques, dans le champ artistique, dans le champ journalistique,
dans le champ politique ou dans le champ sportif. Chaque champ est
alors à la fois un champ de forces - il est marqué par une distribution
inégale des ressources et donc un rapport de forces entre dominants
et dominés - et un champ de luttes -les agents sociaux s'y affrontent
pour conserver ou transformer ce rapport de forces. Pour Pierre
Bourdieu, la définition même du champ et la délimitation de ses
frontières (qui a le droit d'y participer ?, etc.) peut être aussi
en jeu dans ces luttes, ce qui distingue cette notion de celle habituellement
plus fermée de "système". Chaque champ est marqué par des
relations de concurrence entre ses agents (Pierre Bourdieu parle
aussi de marché), même si la participation au jeu suppose un minimum
d'accord sur l'existence du champ.
Chaque champ est caractérisé par des mécanismes spécifiques de
capitalisation des ressources légitimes qui lui sont propres. Il
n'y a donc pas chez Pierre Bourdieu une seule sorte de capital comme
tendantiellement chez Marx et les "marxistes" (le capital
économique), mais une pluralité de capitaux (capital culturel, capital
politique, etc.) On n'a donc pas une représentation unidimenseionnelle
de l'espace social - comme chez les "marxistes "où l'ensemble
de la société est pensé d'abord autour d'une vision économique du
capitalisme - mais une représentation pluridimensionnelle - l'espace
social est composé d'une pluralité de champs autonomes, définissant
chacun des modes spécifiques de domination. On n'est donc pas face
à un capitalisme (au sens économique) caractérisé par une forme
principale et déterminante de domination ("l'exploitation capitaliste
"), mais face à des capitalisations et des dominations : des
relations dissymétriques entre individus et groupes stabilisées
au progit des mêmes, et dont certaines sont transversales aux différents
champs comme la domination des hommes sur les femmes. Ces modes
de capitalisation sont tout à la fois autonomes, parfois en concurrence
(par exemple, le conflit classique entre les détenteurs du capital
économique et du capital culturel, hommes d'affaires et "intellectuels
") et reliés entre eux par des formes diverses d'imbrication
(certains agents cumulent capitaux économiques, culturels et politiques,
alors que d'autres sont "exclus" de la plupart des capitaux
légitimes). Ce que appelle champ du pouvoir est un lieu de
mise en rapport de champs et de capitaux divers : c'est là où s'affrontent
les dominants des différents champs, "un champ de luttes pour
le pouvoir entre détenteurs de pouvoirs différents 5".
3-. La dimension symbolique
de l'ordre social
Si de l'oeuvre de Marx, Pierre Bourdieu a notamment retenu que la
réalité sociale est un ensemble de rapports de forces entre des
groupes sociaux historiquement en lutte les uns avec les autres,
il a, entre autres, retenu de l'oeuvre de Weber que la réalité sociale
est aussi un ensemble de rapport de sens, qu'elle a donc une dimension
symbolique. Pour lui, les représentations et le langage participent
à la construction de la réalité sociale, même si bien entendu ils
ne sont pas toute la réalité.
Pour Pierre Bourdieu, il faut que certains conditions sociales
extérieures aux représentations et aux discours mêmes soient remplies
pour que ceux-ci aient une certaine efficacité sur la réalité, des
conditions favorables préalablement inscrites dans les têtes et
dans les institutions. C'est le cas, par exemple, de ce qu'il appelle
"les effets de théorie" 6,
c'est-à-dire des effets que peut avoir une théorie philosophique
et/ou sociologique sur le monde social (parexemple la théorie "marxiste"
de la lutte des classes) ; effets qui impliquent que des agents
s'apporprient des éléments de cette théorie et que celle-ci puisse
s'appuyer sur des institutions. Il s'agit d'une autre modalité des
rapports entre connaissance savante et connaissance ordinaire ;
dans un mouvement allant de l'une à l'autre, une part des théories
sociologiques passées pouvant être progressivement intégrée dans
l'objet d'analyse des sociologues d'aujourd'hui.
La prise en compte de la dimension symbolique de la réalité sociale
a des conséquences sur la manière de penser les rapports dedomination
(de dissymétrie de ressources) entre individus et groupes. c'est
là qu'intervient la notion de violence sumbolique. Les diverses
formes de domination, à moins de recourir exclusivement et continûment
à la force armée (qui elle-même suppose d'ailleurs une dimension
symbolique, parce qu'elle est perçue et parlée d'une certaine façon),
doivent être légitimées, reconnues comme légitimes, c'est-à-dire
prendre un sens positif ou en tout cas devenir "naturelles",
de sorte que les dominés eux-mêmes adhérent à l'ordre dominant,
tout en méconnaissant ses mécanismes et leur caractère arbitraire
(non naturel, non nécessaire, donc historique et transformable).
C'est ce double processus de reconnaissance et de méconnaissance
qui constitue le principe de la violence symbolique, et donc de
la légitimation des diverses dominations 7.
Par exemple, l'enseignant de français qui met "brillant"
ou "lourd" dans la marge d'une de ses copies fait un geste
renvoyant tendanciellement à une hiérarchie sociale (le "brillant"
ou "lourd" dans la marge d'une de ses copies fait un geste
renoyant tendanciellement à une hiérarchie sociale (le "brillant"
qualifiant souvent les détenteurs du capital culturel légitime et
le "lourd" ceux qui en sont exclus), qui sera fréquemment reconnu
par l'élève comme un jugement sur sa compétence personnelle
en français et méconnu comme l'expression d'une domination
sociale
4-. Une sociologie de l'action
: la logique de la pratique
Un des aspects les plus méconnus de la sociologie de Pierre Bourdieu
est sa sociologie de l'action, maorcée en 1972, avec Esquisse
d'une théorie de la pratique 8
et prolongée en 1980 dans Le Sens pratique 4.
dans le sillage notamment des philosophies de Ludwing Wittgenstein
et de Maurice Merleau-Ponty (1908 - 1961), cette sociologie de l'action
part d'une critique des approches intellectualistes, c'est-à-dire
des théories de l'action qui réduisent l'action au point de vue
intellectuel de celui qui observe l'action au détriment du point
de vue pratique de celui qui agit. Ainsi, "l'intellectualisme
est inscrit dans le fait d'introduire dans l'objet le rapport intellectuel
dans l'objet le rapport intellectuel à l'objet qui est celui de
l'observateur". c'est en ce sens que l'intellectualisme est
un objectivisme appréhendant l'action de l'extérieur et en surblomb
comme un objet de connaissance, sans prendre en compte le rapport
de l'agent à son action. Un des effets de l'objectivisme de la posture
intellectualiste est, comme l'a montré Bernard Lacroix, de donner
a priori aux objets ainsi envisagés de l'extérieur et analysés par
le sociologue ("URSS", "la France", "l'Etat", "la politique de la
ville, "la classe ouvrière", etc.) une homogénéité et une consistance,
sur le mode de la chose, qu'ils n'ont pas.
A ce rapport théorique et intellectuel à l'action que nombre de
philosophes et de sociologues attribent faussement à l'agent, en
universalisant leur propre position d'observateur réfléchissant,
Pierre Bourdieu oppose un rapport pratique à la pratique.
Car, pour lui, nous agissons dans un monde qui "impose sa présence,
avec ses urgences, ses choses à faire ou à dire, ses choses faites
pour être dites, qui commandent directement les gestes ou les paroles
sans jamais se déployer comme un spectacle". Pour tout un ensemble
d'actions, nous pouvons même "aller de la pratique à la pratique
sans passer par le discours et par la conscience".
Pierre Bourdieu distingue donc bien duex postures : celle de l'observateur
qui réfléchit et disserte sur l'action et celle de l'agent qui agit,
"pris" par "le feu de l'action", avec ses urgences.
Pour lui, l'action obéit à "une logique qui n'est pas celle de
la logique", une logique pratique, en quelque corte "happée
par ce dont il s'agit". Cette prise en compte du rapport pratique
à la pratique amène Pierre Bourdieu à examiner une compétence des
agents centrale pour lui : le sens pratique, inscrit dans
le corps et les mouvements du corps, et qui ne s'exerce qu'en
situation, face à des problèmes pratiques (qu'il s'agisse d'un
joueur de tennis pendant un match, d'un ouvrier sur sa machine,
d'un homme politique en meeting ou d'un philosophe dans un colloque).
Partie intégrante de l'habitus, le sens pratique permet à l'acteur
déconomiser de la réflexion et de l'énergie dans l'action ; c'est
un opérateur de l'économie de la pratique.
La sociologie de l'action avancée par Pierre Bourdieu est une des
rares à s'être intéressée à la question des logiques pratiques,
toutefois on peut se demander, à la suite de Paul Ladrière 9
et d'Alain Caillé 10,
si elle n'a pas tendance à "tordre un peu trop le bâton
dans l'autre sens". Ainsi une critique trop unilatérale des
modèles de l'acteur réfléchissant pourrait nous faire tomber dans
un autre travers identifié par le sociologue américian Harold Garfinkel
11
: prendre les agents sociaux pour des "idiots culturels" (cultural
dopes). Opposer de manière explusive et trop dichotomique rapport
intellectuel et rapport pratique à la pratique, c'est ne pas prendre
en compe que la réflexivité (le fait de réfléchir sur ce que l'on
est en train de faire), si elle n'apparaît pas comme un point de
passage obligé de toute action , n'est pas toujours exclue des conduites
pratiques, même si dans ce cas elle est prise sous le feu de contraintes
pragmatiques. C'est donc la place d'une réflexivité pragmatique
dans la sociologie de l'action - les contraintes plus ou moins de
place à des formes de réflexivité de la part de l'acteur - qui n'est
pas clairement établie ici. C'est toutefois une dimension que Pierre
Bourdieu prend parfois en compte, en particulier quand il s'arrête
sur les période de crise car, dans ces cas-là, "les ajsutements
routiniers" n'allant plus de soi, la réflexivité de l'acteur
se trouve clairement sollicitée.
La question du cours de l'action en train de se faire a été réouverte,
en s'appuyant sur de nouvelles ressources, par les problèmatiques
de l'action située, d'une action en situation suivie finament à
travers un enchaînement de séquences d'action, qui ont émergé
ces dernières années aux Etats-Unis, avec par exemple les recherches
de Luc Suchman 12,
et en France, avec celles réalisées par Isaac Joseph à la RATP 13
ou les analyses proposées par Pierre Live et Laurent Thévenot 14.
5-. Une sociologie réflexive
La sociologie de la pratique ne nous a pas introduits seulement
à la question de la réflexivité de l'agent, amis aussi à celle du
sociologue. Car c'est par un mouvement de réflexivité (de retour
sur soi et sur son activité) que le sociologue peut éviter les erreurs
liées à l'intellectualisme, qui consistent à prendre son propre
rapport intellectuel à l'objet d'analyse pour le rapport de l'agent
à l'action. La capacité pour le sociologue de prendre en compte
la relation qu'il entretient avec son objet constitue donc un des
moyents d'améliorer la qualité scientifique de son travail. D'où
l'mportance de ce que Pierre Bourdieu appelle une objectiviation
participante, l'objectivation (au sens ici de connaissance scientifique)
du rapport subjectif du sociologue à son objet (sa participation
à l'objet qu'il analyse) faisant partie des conditions de la scientificité
de son analyse 15.
La sociologie de Pierre Bourdieu est donc une sociologie réflexive,
qui invite le sociologue à passer par un travail d'auto-socio-analyse
(de son rapport à l'objet, qui peut être lié à sa place dans le
champ intellectuel, à son propre pacours social, etc.) afin de rendre
sa recherche plus rigoureuse. Cette orientation réflexive trouve
des convergences avec les travaux en éthnologie, comme ceux de Gérard
Althabe 16,
qui ont pris acte de la participation du chercheur aux relations
sociales qu'il observe et ont alors insisté sur l'intégration des
relations enquêteur/enquêtés dans l'analyse.
6-. Le
poids déterminant des structures objectives
Accorder une prédominance aux structures (les strucutres dans les
têtes et les corps et les structures dans les choses et les institutions)
conduit Pierre Bourdieu à négliger le poids des interactions de
face-à-vace dans les processus de construction de la réalité sociale.
Pour lui, les interactions "cachent les structures qui s'y réalisent
1"
et ne constituent alors que 'l'actualisation conjoncturelle de la
relation objective 17".
Le plus souvent, elles ont donc un rôle davantage passif qu'actif
dans la formation du monde social. Un tel présupposé théorique le
conduit ainsi à être peu attentif à ce qui s'y passe, ce qui renforce
leurmarginalisaion. D'ailleurs, Pierre Bourdieu a relativement peu
recouru aux descriptions de situations de face-à-face (c'est néanmoins
le cas toutefois pourles interactions entre vendeurs et acheteurs
de maisons).
La priorité donnée par Pierre Bourdieu aux aspects objectifs de
la réalité l'amène aussi parfois à réactiver le couple apparence/réalité,
qui tendrait à éloigner sa sociologie de l'univers constructiviste.
C'est par exemple le cas dans sa réflexion sur "l'illusion biographique",
où le moi est considéré comme "la plus réelle, en apparence,
des réalités". L'analyse de la construction sociale de la réalité
est alors quelque peu limitée par une telle opposition entre une
vraie réalité (objective) et une fausse réalité (subjective), car
la dialectique du subjectif et de l'objectif y apparaît enrayée.
Une perspective constructiviste plus affirmée engagerait plutôt,
à la manière de Schütz,à concevoir des "réalités multiples", même
si l'on peut envisager de distinguer, parmi ces aspects divers de
la réalité sociale, des segments plus ou moins solides, en reprenant,
par exemple, les trois critères proposés par Laurent Thévenot 18
: domaine de validité (dans l'espace), stabilité temporelle
et degré d'objectivation (objets et institutions leur donnant
corps) de ces réalités.
La sociologie de Pierre Bourdieu, qui est aussi le résultat
du travail collectif d'une équipe de recherche, apparaït comme l'une
des plus marquantes que l'on aît connue en France depuis l'après-guerre,
tant pas ses développements théoriques que par la diversité de ses
rapports empiriques. Ses relations avec la problématique constructiviste
sont complexes : elle a contribué à son enrichissement, tout en
continuant à l'encadrer par un dispositif contraignant au profit
des structures objectives.
http://www.chez.com/sociol/socio/nouvsocio.htm
Source
Les nouvelles sociologies,
Philippe Corcuff, Coll. 128, Nathan Université
Références
1-. "Espace social et pouvoir symbolique ", dans
Choses dites, Paris, Minuit, 1987.
2-. Le métier de sociologue,
Paris, Mouton-Bordas?
3-. Leçon sur la leçon, Paris, Minuit,
1982.
4-. Le sens pratique, Paris, Minuit,
1980.
5-. La Noblesse d'Etat, Paris, Minuit,
1989.
6-. Ce que parler veut dire,
Paris, Fayard, 1982
7-. "Sur le pouvoir symbolique", Annales,
n°3, mai-juin 1977
8-. Esquisse
d'une théorie de la pratique, Genève, Droz
9-. "La
question du sens chez P. Bourdieu", Problèmes d'épistémologie en
sciences sociales (CEMS, EHESS, Paris), n°1 février 1983.
10-. "Esquisse d'une critique de l'économie
générale de la pratique", dans Cahiers de LASA (Université
de Caen) : "Lectures de Pierre Bourdieu, n° spécial 8-9, 1er semestre
1988.
11-. Studies in Ethnomethodologiy,
Englewoods Cliffs (N.J.), Pretince-Hall, 1967.
12-. "Plans d'action", Les formes de
l'action, Paris, EHESS, coll. "Raisons pratiques", 1990
13-. "Attention distribuée et attention
focalisé - Les protocoles de la cooération au PCC de la ligne A du
RPR", Sociologie du travail, n°4, 1994
14-. "Les catégories de l'action
collective", dans A. Orléan (éd) Analyse économique des conventions,
Paris, PUF, 1994.
15-. "Sur l'objectivation
participante", Actes de la recherche en sciences sociales,
n°23, septemnre 1978.
16-. Ethnologie du contemporain et enquête de
terrain", Terrain, n°14, mars 1990.
17-. "Un contrat
sous containte", avec S. Bouhedja et C. Givry, Actes de la recherches
en sciences sociales, n°81-82, mars 1990.
18-. "Les investissements
de forme", Cahiers du Centre d'études de l'emploi, n°29, "Conventions
économiques", Paris, PUF, 1986.
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