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Origine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bouc_%C3%A9missaire
D'origine religieuse, l'expression bouc émissaire désigne
en langage courant la personne qui est désignée par
un groupe comme devant endosser un comportement social que ce groupe
souhaite évacuer. Cette personne est alors exclue du groupe,
au sens propre ou figuré, parfois punie, ou condamnée.
À noter que la personne choisie ne l'est pas forcément
pour avoir partagé ce comportement, elle peut être
une victime expiatoire choisie pour d'autres raisons du fonctionnement
du groupe.
Référent culturel
Le terme de bouc émissaire correspond à l'origine
à un rite expiatoire annuel (Yom Kippour) des Hébreux
longuement décrit dans le seizième chapitre du Lévitique.
Le grand prêtre devait prendre deux boucs puis les tirer au
sort. L'un était directement sacrifié à Dieu,
tandis que l'autre était envoyé dans le désert
vers Azazel, démon sauvage, sans doute un ange déchu,
dont le nom signifie dieu-bouc. C'est ce deuxième bouc qui
est appelé bouc émissaire, du latin ecclésiastique
caper emissarius (le bouc envoyé, lâché). Le
rôle exact du bouc émissaire est clairement décrit
dans le texte biblique :
« Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera
à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes
leurs transgressions et tous leurs péchés. Après
en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra
au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt,
et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride.
» (Lévitique XVI:21-22)
Dans le même ordre d'idée, celui du sacrifice de substitution,
Lévitique IV:22-26, propose un sacrifice d'expiation propre
au péché d'un chef, lequel rejaillit sur l'ensemble
de la communauté :
Si c'est un chef qui a péché, en faisant involontairement
contre l'un des commandements de l'Éternel, son Dieu, des
choses qui ne doivent point se faire et en se rendant ainsi coupable,
et qu'il vienne à découvrir le péché
qu'il a commis, il offrira en sacrifice un bouc mâle sans
défaut. Il posera sa main sur la tête du bouc, qu'il
égorgera dans le lieu où l'on égorge les holocaustes
devant l'Éternel. C'est un sacrifice d'expiation. Le sacrificateur
prendra avec son doigt du sang de la victime expiatoire, il en mettra
sur les cornes de l'autel des holocaustes, et il répandra
le sang au pied de l'autel des holocaustes. Il brûlera toute
la graisse sur l'autel, comme la graisse du sacrifice d'actions
de grâces. C'est ainsi que le sacrificateur fera pour ce chef
l'expiation de son péché, et il lui sera pardonné.
Entrée dans la langue française
L'expression française bouc émissaire est mentionnée
dans le dictionnaire de Furetière (1690), avec une définition
identique à celle donnée ci-dessus. Par la suite,
on l'a utilisée pour désigner une personne sur laquelle
on fait retomber les fautes des autres. Ce sens est déjà
attesté au XVIIIe siècle. Georges Clemenceau le reprendra
plus tard à propos de l'affaire Dreyfus :
« Tel est le rôle historique de l'affaire Dreyfus.
Sur ce bouc émissaire du judaïsme, tous les crimes anciens
se trouvent représentativement accumulés. »
(cité par le Thésaurus de la langue française)
Anthropologie
Chez les ethnologues contemporains, le concept de bouc émissaire
désigne l'ensemble des rites d'expiation dont use une communauté.
Le premier à avoir utilisé ce concept est James George
Frazer, qui a écrit un ouvrage dont le titre français
est Le Bouc émissaire, étude comparée d'histoire
des religions.
Sociologie
Un ouvrage de René Girard intitulé Le Bouc émissaire
(1982) montre à l'œuvre ce phénomène qu'il
nomme le triangle mimétique : formé de trois pôles
qui sont les individus A, B et le bien supposé, le triangle
mimétique décrit ce jeu symbolique et la relation
réelle entre A et B,
dans laquelle B :
* dispose d'un bien,
* semble disposer d’un bien,
* ou pourrait disposer d’un bien,
dont A pense soit :
* qu'il en est lui-même dépourvu,
* que sa propre jouissance du même bien est menacée
par le seul fait que B en dispose (ou puisse en disposer).
Notons que le bien est appelé par René Girard objet
et qu’il n’est pas nécessairement matériel.
Ce triangle mimétique semble motivé par la nécessité
d’avoir à défaut de pouvoir être. Ne pouvant
être l’autre directement, l’individu (A) pense
que ce qui caractérise l’autre (B) et qui justifie
encore la différence entre lui (A) et son modèle (B),
est un avoir (l’objet ou le bien). Le problème réside
dans l’imitation réciproque au désir de l’objet.
Plus A va désirer l’objet, plus B (s’il rentre
dans le mécanisme du désir mimétique) va faire
de même. Et plus A et B vont (par rapport à leur désir)
se ressembler. Schématiquement, plus la tension vers l’objet
est forte, plus l’indifférenciation entre A et B est
importante. Or, pour René Girard, c’est cette indifférenciation
des individus qui est porteuse de violence (au travers de la tension
vers un même objet). Finalement, cette rivalité mimétique
ainsi engendrée va être créatrice de conflit
et de violence.
Comme le note René Girard dans un autre ouvrage «
Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà
lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède
pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être.
» Comme le note René Girard, « le sujet méconnaîtra
toujours cette antériorité du modèle, car ce
serait du même coup dévoiler son insuffisance, son
infériorité, le fait que son désir est, non
pas spontané mais imité. Il aura beau jeu ensuite
de dénoncer la présence de l'Autre, médiateur
de son désir, comme relevant de la seule envie de ce dernier
» (Mensonge romantique et vérité romanesque)
Le phénomène du bouc émissaire est un phénomène
collectif. C’est la réponse inconsciente (René
Girard utilise le terme de méconnaissance) d’une communauté
à la violence endémique que ses propres membres ont
gérée au travers des rivalités mimétiques
dues au triangle mimétique.
Le phénomène du bouc émissaire est la loi
du « tous contre un ». Il a pour fonction d’exclure
la violence interne à la société (endémique)
vers l’extérieur de cette société. Pour
que ce phénomène soit effectif, il faut :
* que le fonctionnement du bouc émissaire reste caché,
* que la violence résultante de cet acte n’entraîne
pas une escalade de violence, d’où la nécessité
d’un « typage » des victimes (elles ne sont pas
choisies au hasard). C’est le principe de moindre violence,
* que les individus soient persuadés de la culpabilité
du bouc émissaire,
* et (dans une moindre mesure) que les victimes soient persuadées
d’être coupables.
Le problème de ce mécanisme régulateur de
la violence est son caractère temporaire. En effet, la violence
endémique générée par le désir
mimétique se fait, tôt ou tard, ressentir. L’on
a recours alors à un nouveau bouc émissaire.
En résumé, pour René Girard, le bouc émissaire
est le mécanisme collectif permettant à une société
humaine de survivre à la violence générée
par le désir mimétique individuel de ses membres (même
si la détermination des désirs est, pour une très
large part, collective). Le bouc émissaire désigne
également l’individu, nécessairement coupable
pour ses accusateurs mais innocent du point de vue de la «
vérité » (pour René Girard), par lequel
le groupe, en s’unissant uniformément contre lui, va
retrouver une paix éphémère.
Sociopsychanalyse et psychiatrie
Au carrefour de la sociologie des organisations et de la psychiatrie,
le Dr. Yves Prigent dans son livre La Cruauté ordinaire analyse
le comportement de petits groupes menés par un pervers envieux.
Ces phénomènes sont attestés par Gustave Le
Bon dès la fin du XIXe siècle dans Psychologie des
foules et par Sigmund Freud qui, lui, expose la violence d'un groupe
piloté par un pervers envieux.
L'attaque se porte sur celui qui dispose d'une vie intérieure
profonde ou de compétences affirmées selon le principe
que le clou qui dépasse connaîtra le marteau (Li M'Hâ
Ong). Le pervers agit sans intentionnalité claire car il
ne peut exprimer son manque par le logos. Il transforme donc un
souci impensable (l'envie qu'il ressent et ne peut s'avouer sans
perdre la face à ses propres yeux) en un souci pensable à
l'occasion d'un travail psychique. Il émet donc un double
message :
* il se demande comment on ferait sans l'objet de sa haine,
* mais en même temps, il propage un message de persécution.
Livré à l'impensable, la pulsion de mort, il émet
un message organo-dynamique. Le pervers s'efforce de détruire
le lieu du langage, le trognon (selon Jacques Lacan) à savoir
la base même de la personnalité humaine de la personne
qu'il persécute. Faute d'espace psychique intérieur,
il dirige son action contre l'espace intérieur de l'autre,
i.e. diffamant l'autre si celui-ci est un être éthique,
tâchant de désoler (de rendre désert) l'autre
de manière généralement cynique en s'affranchissant,
pour ce faire, des règles de sociabilité ou de civilité
les plus courantes qui ne sauraient être appliquées
qu'aux autres, son public. Le pervers laisse entendre de façon
répétée que les mesures qu'il prend pour brimer
sa victime sont souhaitables selon les dires des autres, mais aussi,
il essaye de détruire ce qui rend l'autre spécifique,
ce pourquoi il est apprécié. Méfie-toi car
c'est ce que tu as de meilleur est la règle de l'exclusion
du bouc émissaire.
Le pervers envieux hait la singularité parce que lui-même
en est dépourvu ; de ce fait, elle lui fait ombrage. Il projette
sur autrui les difficultés qu'il pourrait avoir lui-même
parce qu'il est démuni des outils pour les régler.
L'objectif consiste à annihiler l'identité sociale
de l'autre ou la reconnaissance sociale dont serait susceptible
de bénéficier le sujet de sa haine ; cette reconnaissance
qui, selon le pervers envieux, ne serait due qu'à lui-même.
Le groupe, en le suivant, émet une reconnaissance de la
parole du pervers, lui accorde un brevet de séduction, afin
de procéder à l'éviction du « trop vertueux
» ou « trop compétent ». La perversité
est contagieuse. Ce phénomène préside à
l'ostracisme de Thémistocle dont le point de départ
est l'envie, dans la constatation que l'autre a quelque chose en
soi d'éminent.
Si le sujet de haine cède à l'injonction du pervers,
par exemple s'il se défend contre chaque diffamation (qui
précède immanquablement le jeu pervers), il recevra
un traumatisme second. Plus l'objet de la haine perverse se défend,
plus le groupe se dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu,
le traite de paranoïaque ; si celui-ci ne se défend
pas, le groupe considère que le pervers a raison. Le jeu
pervers a pour but de dépouiller le sujet de haine de sa
dignité.
Le pervers s'attaque aux forces de liaisons, spécifiquement
au lien entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.
* Le déni de l'autre est la base du jeu du pervers envieux
: tu n'existes pas séparément à moi,
* l'exclusion conforte le pervers dans son pouvoir de séduction
tu n'as aucun rapport avec les autres ni avec toi-même.
L'emprise, la manipulation se font alors sentir tant sur le bouc
émissaire que sur le groupe qui demeure inconscient des évènements.
Psychologie sociale : Théorie du bouc émissaire
(Dollard)
Théorie basée sur la théorie de la frustration-agression.
Le comportement agressif résulte d'une frustration, c'est-à-dire
d'une impossibilité d'atteindre ses objectifs. L'agression
est tournée de manière privilégiée vers
la source de la frustration, mais si celle-ci est absente ou non
atteignable (hiérarchie), l'agression est déplacée
vers un bouc émissaire, la cible la plus facile (groupes
minoritaires).
Bibliographie
- James
George Frazer, Le Bouc émissaire, étude comparée d'histoire
des religions, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, 1925 ;
- René Girard,
Le Bouc émissaire, Grasset, Paris,
1982 ;
- René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque,
Grasset, Paris 1961 ;
- Dr. Yves Prigent, La Cruauté ordinaire, Desclée de Brouwer,
2003 ;
- Gustave
Le Bon, Psychologie des foules, Presses
universitaires de France, 2003 (réédition) lire
en ligne ;
- Effroi,
peur, angoisse. Clinique des violences contemporaines,
n° 3 de la revue éditée par l'association Savoirs
et clinique
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