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Entretien n°1 : cas d'un ressortissant tunisien1
Quel a été le motif de la première demande
?
La demande de visa a été faite par mon ami qui est
ressortissant tunisien pour une raison simple : nous voulons vivre
ensemble à Paris. La première fois, il y a deux ans,
nous avons simplement demandé un visa touristique. Il a été
refusé alors que nous avions présenté un dossier
complet.
Ce refus était-il lié à un regroupement
familial ? Etait-il motivé ?
Le refus n'est jamais motivé quand on n'est pas marié.
Le consulat se retranche derrière la raison d'Etat. La raison
d'Etat est invoquée et à priori la loi les autorise
à ne pas nous dire exactement quelle est la raison. Nous
avons fait une deuxième demande, redéposé un
dossier tout à fait complet. Il a été refusé
pour la deuxième fois dans les mêmes conditions. Lors
de cette deuxième demande quand nous sommes allés
récupérer ce passeport, j'ai demandé à
parler à un Français. Je me suis fait littéralement
jeter dehors et franchement j'ai eu honte d'être Française
à ce moment là. J'étais la seule Française
dans la rue au milieu de tous ces Tunisiens qui étaient presque
parqués comme des bêtes. Il faut savoir que quand vous
allez faire une demande, on vous reçoit cordialement et on
garde le passeport du ressortissant étranger demandeur du
visa. Puis, quand vous y retournez pour récupérer
votre passeport et connaître la réponse, vous n'entrez
pas dans les locaux du consulat. On vous lance le passeport directement
dans la rue. Les gens essayent de se frayer un chemin. Les gardiens
prennent votre nom, regardent sur la liste, récupèrent
le passeport, vous le lancent et c'est à vous de l'attraper.
Quand des Tunisiens vont faire une demande de visa, quel que soit
le type de visa, que ce soit le visa d'affaires, le visa touristique,
le visa en vue d'un mariage, les gens sont dehors dans la rue et
il y a une queue d'à peu près un kilomètre,
un kilomètre cinq, sous le soleil, à quarante degrés…
Je ne trouve pas ça tout à fait normal.
Quels ont été les papiers demandés ? Les
justificatifs ?
Une attestation d'hébergement, des bulletins de salaires
pour prouver effectivement que j'étais capable de subvenir
à ses besoins le temps de l'hébergement ; bien sûr
une photocopie de mon passeport ou de ma pièce d'identité
; et pour le ressortissant tunisien, si effectivement il travaille,
une attestation de souscription aux sociétés de retraite,
la photocopie du passeport et également l'équivalent
de la preuve de l'achat d'un billet d'avion, il faut acheter un
billet d'avion, et donc… une attestation bancaire qui prouve
que cette personne est capable de sortir de son pays avec l'équivalent
de 10 000 francs français.
Toutes ces conditions étaient réunies ?
Toutes ces conditions étaient réunies. Nous avons
vraiment fait énormément d'efforts pour obtenir 10
000 francs parce que 10 000 francs pour un Tunisien, c'est vraiment
beaucoup d'argent, même pour quelqu'un qui travaille. C'est
un dossier très difficile à remplir. Le nôtre
était parfaitement complet.
Votre ami était-il venu en France auparavant ou dans
un autre pays européen ?
Jamais. Il n'est jamais sorti de son pays. Il a eu le souhait de
partir en Allemagne puisqu'il a de la famille en Allemagne. Il a
fait une demande de visa pour aller y travailler et malheureusement
nous étions déjà passé par l'ambassade
de France. A partir du moment où l'ambassade de France donne
un refus, les autres ambassades européennes donnent un refus.
Le territoire européen est fermé, complètement
fermé.
Avez-vous entrepris d'autres démarches ?
Effectivement. Nous avons insisté. Nous avons pris rendez-vous
avec une personne qui reçoit les demandes un peu plus compliquées.
Les demandes de visa non plus touristiques mais en vue d'un mariage.
On lui a expliqué que j'étais en instance de divorce
depuis plus de deux ans, que c'était un divorce long et qu'on
souhaitait obtenir un visa en vue du mariage. Cette personne là
nous a dit que c'était tout à fait possible à
condition qu'on prouve tout ce qu'on avait à leur dire. On
m'a demandé de justifier mon identité ; on m'a demandé
si j'étais propriétaire ou locataire, si j'étais
salariée, si effectivement en tant que Française,
résidant en France, je pouvais subvenir aux besoins de mon
ami. De nouveau, nous avons déposé un dossier complet.
Ce fut de nouveau un refus. Je me suis de nouveau fait jeter dehors
par des compatriotes français. Ce fut vraiment le plus grand
désespoir. J'avais le sentiment d'avoir été
trompée. On nous a menti, on a menti. Il faut savoir que
les Tunisiens sont très mal traités par les Français.
A votre avis, quelle est la motivation de ce refus ?
Je ne sais pas exactement. Je pense que ça les dérange
énormément qu'une Française puisse vouloir
se marier avec un Tunisien. On évoque les mariages blancs.
On ne le dit pas. C'est sous-entendu. D'ailleurs, on essayait de
m'éloigner de la conversation lors des entretiens. Les personnes
du consulat parlent arabe et elles parlaient arabe avec mon ami
de façon à ce que je ne comprenne pas ce qui se disait.
Et quand je demandais la traduction, parce que je ne parle pas arabe
couramment, je n'avais pas vraiment d'explication. Alors, suite
à ça, nous sommes allés directement à
l'ambassade. On nous avait donné le nom d'une personne qui
est juriste à l'ambassade française et cette personne
nous a dit ouvertement que la politique des visas au niveau des
consulats c'était vraiment n'importe quoi, qu'il n'y avait
pas de loi exacte ; parfois ils donnaient un visa, parfois ils n'en
donnaient pas ; parfois, quand une famille voulait un visa touristique
pour rencontrer la familles habitant en France, ils donnaient des
visas aux enfants mineurs mais pas de visas aux parents. Alors,
bien sûr, l'enfant mineur ne partait pas. Et le conseil qu'elle
nous a donné c'était donc de porter plainte contre
le consulat directement au Conseil d'Etat.
C'est ce que vous allez faire ?
C'est ce que je vais faire. J'ai contacté la CIMADE. Par
son intermédiaire, j'ai déposé une requête
auprès du ministère des Affaires étrangères
en demandant de réviser ces différents refus de visa.
La réponse est arrivée très longtemps après,
suite à une requête que j'ai faite moi-même auprès
de la présidence de la République et, bien sûr,
ce fut un nouveau refus de la part du ministère des Affaires
étrangères. Un refus non motivé. La loi les
autorise à ne pas donner des raisons. C'est l'application
de l'article 5 de l'ordonnance 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée,
« les motifs de refus ne sont pas communiqués ».
Vous avez quelque chose à ajouter ?
Juste que l'homme en tant qu'homme n'est pas respecté. Le
consulat c'est le territoire français par excellence à
l'étranger et les Français ne sont pas capables de
respecter les êtres humains.
Entretien 2 : cas d'une ressortissante marocaine2
Quel a été le motif de la première demande
?
Ma mère a trois enfants qui vivent en France. Je suis là
depuis l'âge de 18 ans, j'ai un frère et une sœur
qui vivent en Corse depuis trente ans et qui ont des enfants qui
eux sont Français. Elle n'est jamais venue en France voir
ses enfants. Comme nous ne pouvons pas venir souvent ou longtemps
et qu'on voulait qu'elle voit où nous vivions, nous l'avons
convaincue de venir nous rendre visite. La première fois,
c'est une amie de nationalité française, professeur,
qui a fait la demande et fournit l'attestation d'accueil. Les autres
fois, j'ai fait la demande avec mon frère. On a expliqué
qu'elle avait des petits-enfants français qui voulaient la
voir. La troisième fois, j'ai fait la demande alors que j'étais
enceinte. C'était une grossesse difficile et je voulais avoir
ma maman près de moi. Mon médecin a fait une lettre
pour l'expliquer qu'on a ajoutée au dossier.
Quel a été l'accueil au consulat, les conditions
d'accueil, les personnes rencontrées ?
L'accueil est déplorable. Il faut y être à
5 heures du matin, faire la queue. On a très mal traité
ma mère. Comme si on voulait la décourager. Il y a
quelqu'un qui traduit mais on ne sait pas s'il le fait fidèlement
(ma mère ne parle pas le français) ; ça se
passe à un guichet. C'est comme si Le Pen avait été
élu là-bas. A Marrakech et à Casablanca (où
elle a dû aller une fois qu'elle a déménagé),
c'est pareil.
Quels papiers a-t-on demandés à votre mère
? Quels justificatifs ?
A chaque demande (4 demandes, 4 refus), elle a fourni le dossier
complet. Elle a payé à chaque fois l'assurance voyage
exigée et les timbres. On lui a demandé de justifier
qu'elle avait des ressources en montrant ce qu'elle avait sur son
compte en banque et en ayant une personne en plus de sa famille
qui se portait garant financier et qui, elle aussi, devait fournir
la preuve qu'elle avait des ressources et qu'elle avait un lien
familial. Elle devait en plus justifier non pas seulement du fait
qu'elle avait de la famille à visiter en France mais qu'elle
avait des attaches au Maroc (où elle a une maison, où
une de ses filles habite toujours ainsi que le reste de la famille,
sauf son mari, décédé il y a longtemps). C'est
difficile de chiffrer le coût total. Elle a dû faire
de nombreux aller-retour en voiture pour aller au consulat, pour
aller récupérer les papiers demandés, etc.
Quel a été le délai des réponses
? Y a-t-il eu des pièces complémentaires à
apporter ?
On lui a dit les premières fois de revenir le lendemain
ou deux jours plus tard. Une fois qu'elle avait inscrit sur son
passeport « visa demandé le tant », les délais
étaient très courts comme si on n'examinait même
pas le dossier. La dernière fois, on l'a fait revenir quatre
fois en demandant des papiers supplémentaires à chaque
fois. Par exemple, elle avait changé de garant (un autre
neveu, avec une meilleure situation, des revenus plus élevés)
et on a demandé des papiers le concernant (sur leur lien
familial, etc.). On a pensé que c'était bon signe.
En fait le lendemain on lui a dit que non, le visa était
refusé. Et on s'est dit qu'en fait les pièces complémentaires,
c'était pour la décourager.
A-t-on motivé le refus ?
Le premier refus (septembre 2000) n'a pas été motivé
au consulat. J'ai fait un recours gracieux devant la commission
de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée
à Nantes. La réponse en janvier 2001 a été
négative. La lettre de la Commission disait qu'elle n'avait
pas des moyens suffisants pour son séjour et que son neveu
qui était son garant ne pouvait couvrir les sommes encourues
pendant son séjour en France. Or c'est faux, elle toute seule
avait plus que la somme demandée sur son compte et le neveu
aussi. D'ailleurs des mères d'amis marocains avec beaucoup
moins de moyens ont réussi à venir.
Avez-vous entrepris d'autres démarches ? Ou avez-vous
rencontré d'autres personnes ?
Je me suis adressée à une association, j'ai fait
le recours, j'ai écrit une lettre au ministère des
Affaires étrangères restée sans réponse.
On a ensuite contacté un monsieur au Maroc qui connaissait
des gens au consulat. Le temps a passé (2-3 semaines) sans
que le contact soit pris mais finalement on nous a prévenu
que maman pouvait aller au consulat et se recommander de cette personne.
Elle est retournée au consulat mais là on lui a dit
qu'on ne connaissait pas cette personne. Nouveau refus.
Votre mère avait-elle effectué d'autres séjours
en France ? Ou dans un autre pays de l'espace Schengen ?
Aucun.
Souhaitez vous ajouter quelque chose ?
On voudrait savoir. Savoir pourquoi notre maman et notre grand-mère
ne peuvent pas venir alors que d'autres obtiennent des visas. La
question des ressources n'est pas une raison valable. Elle a largement
de quoi justifier qu'elle a l'argent. Elle a aussi des liens au
Maroc, toute sa vie là-bas, une fille, etc… elle n'est
jamais sortie du pays. A chaque fois on est déçus
et on a un sentiment d'injustice. La dernière fois, je voulais
juste qu'elle soit là pour la naissance de ma fille, quinze
jours. Ils ont refusé. J'ai donné le nom de sa grand-mère
à ma fille qui n'a pas pu la voir. Maintenant ma mère
est découragée. Elle ne veut plus faire les déplacements
et être mal traitée au consulat. Elle a dépensé
beaucoup d'argent pour rien. De mon côté, des amis
avocats m'ont dit qu'ils étaient prêts à faire
un recours devant le Conseil d'Etat. Je ne sais pas si cela en vaut
la peine.
Et son âge ?
Sur son passeport, il y a marqué qu'elle est née
en 1920. En fait elle est bien plus jeune et ça se voit.
Il y a eu une erreur mais c'est impossible à corriger. L'administration
marocaine est pire qu'en France. Il faudrait contester par une procédure
compliquée.
Récits3
* Mlle Sabrina a obtenu il y a trois ans un visa Schengen pour
l'Italie. Elle y a été et est revenue en Algérie
environ trente jours après, dans les délais de son
visa.
L'année passée, sans aucune raison, un autre visa
pour l'Italie lui est refusé. Le consulat d'Italie n'a jamais
donné de raison, alors que le dossier était constitué
de la même manière que la première fois. Après
plusieurs démarches auprès de ce consulat - en faisant
à chaque fois une très longue queue à l'extérieur
du consulat sachant que ce ne sont que les 60 premières personnes
qui sont acceptées durant les trois jours de réception,
il y a donc intérêt à être très
matinal ou à acheter une place aux jeunes qui ont fait leur
métier de passer la nuit à proximité des consulats
(surtout celui de France) pour vendre des places aux personnes pressées
le lendemain matin - la réponse est restée la même
malgré une prise en charge fournie par un ami européen
résident en Italie.
Il y a dix mois une demande introduite auprès du consulat
de France est restée sans réponse jusqu'à ce
jour, alors que le dossier était le plus complet possible
(compte en banque fourni, hébergement, titre de congé,
emploi stable, etc.). De toute façon, les refus au consulat
de France ne sont souvent pas notifiés. Mlle Sabrina ne sait
pas si les consulats se sont passé le mot à son propos,
ni quels sont les motifs de refus des deux consulats. Elle ne le
saura peut-être jamais. Elle n'ira donc plus jamais faire
du tourisme en Europe. Tout ce qui lui reste comme arme c'est de
refaire une nouvelle demande tous les six mois pour voir si cela
aboutit un jour.
* Mme Nabiha naturalisée française, passeport français,
se rend avec son mari algérien au consulat de France à
Alger pour déposer une demande de visa pour lui. Elle ne
voulait pas faire la queue puisqu'elle était Française.
Très mauvais accueil des gendarmes à la réception
qui lui demandent de poster la demande. Echanges de paroles pas
du tout tendres. Mme Nahiba fait valoir ses droits par rapport à
sa nationalité française, sort son passeport et exige
d'être reçue par une autorité consulaire. Refus
des gendarmes disant que Mme Nahiba n'a pas de rendez-vous puisque
son nom ne figure pas sur la liste des entrées de ce jour-là,
alors qu'elle avait pris soin de prendre rendez-vous avec quelqu'un
du consulat par téléphone plusieurs jours avant d'y
aller. Ils finissent par accepter de prendre le dossier pour le
transmettre. Mais problème : Mme Nahiba ne s'est pas rendu
compte avant de quitter les lieux qu'aucun accusé de réception
ne lui a été remis, comme c'est l'habitude des gendarmes
pour tout courrier qui arrive au consulat. Il y a donc fort à
parier que ce dossier finira son parcours dans l'une des nombreuses
corbeilles du consulat !
* Mme Salima vivait en France avec mari et enfants depuis de très
longues années. Presque tous naturalisés. Un jour
de l'année passée la famille décide de prendre
des vacances en Algérie. Et voilà qu'un matin Mme
Salima, en se réveillant, ne trouve personne à la
maison : elle était absolument seule. Monsieur avait pris
les enfants et ses papiers à elle et était reparti
en France. Depuis ce jour Mme Salima n'arrive pas à comprendre
comment ni pourquoi le consulat de France ne veut faire aucun effort
pour faire des recherches sur son identité. Toutes ses demandes
pour réintégrer le territoire français sont
restées sans réponse. Elle est découragée
et à deux doigts de la dépression. Elle n'arrive pas
à s'adapter à la société algérienne
même si elle en est originaire et commence à envisager
le suicide si le consulat reste sourd à ses demandes. Le
consulat ne répond pratiquement jamais au téléphone
et quand elle arrive à avoir quelqu'un au bout du fil on
la laisse en attente musicale durant une éternité
jusqu'à ce qu'elle raccroche. Impossible d'obtenir une ligne
directe.
Une cousine à elle a, par miracle, eu un accord favorable
pour une demande faite l'an passée. Coup de théâtre
: le visa a été archivé fin 2001 parce qu'elle
ne se serait pas présentée au consulat, alors que
personne ne l'en avait informée. Nouvelle demande, nouveau
dossier. Résultat : visa accordé ! Hallucinant : deuxième
archivage du visa fin 2002. Là encore personne au consulat
n'avait pris la peine de l'informer. Avec l'aide de l'association
« Rencontre et Développement » une demande de
réactivation du deuxième visa a été
introduite. Demande restée sans réponse depuis trois
mois maintenant.
Notes
1Entretien réalisé par Laurent Bonelli le 24 janvier
2003 à Cultures & Conflits
2Entretien réalisé par Virginie Guiraudon le 28 février
2003 à son domicile
3Propos recueillis par Claude Kabala Bwebwe (représentant
de l'association algérienne Rencontre et Développement-CCSA).
Cultures & Conflits n°50 2/2003 pp. 53-62
Laurent Bonelli, « Demander un visa Schengen : expériences
individuelles », Cultures & Conflits, 50, été
2003, [En ligne], mis en ligne le 29 septembre 2003. URL : http://www.conflits.org/index915.html.
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