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Origine : http://blog.ulysseleblog.org/post/2008/03/07/Qua-a-dire-Laurent-Bonelli
Par Philippe le vendredi 7 mars 2008, 11:28 - Saison 2007-2008
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Sociologue, L. Bonelli écrit régulièrement
dans Le Monde Diplomatique, Manière de Voir ou sur le site
www.conflits.org. Il a publié également quelques ouvrages,
dont vous trouverez les références en fin de billet.
Laurent Bonelli analyse l'évolution de la société
française contemporaine. Dans une interview à Kitetoa,
il rappelle qu'après la Seconde Guerre Mondiale, une des
priorités en France a été de travailler sur
"la transformation des quartiers populaires et des conditions
de vie des populations qui y vivent. Ce sont des quartiers que l'on
a construits dans les années 1950-70 qui étaient à
l'époque des quartiers de mieux-être social lorsque
l'on essayait de résorber les taudis. Dans les années
1970, ces quartiers vont voir leurs populations les plus favorisées
partir, pour devenir propriétaires dans l'un des multiples
lotissements qui couvrent la France à cette période
(maisons Bouygues, maisons Phénix)."
L'ascenseur social est momentanément indisponible
Restent donc dans ces cités ceux qui n'ont pas les moyens
de gravir l'échelle sociale vers le statut de propriétaire.
"Dans le même temps,"poursuit-il, "les deux
choc pétrolier et les transformations du système de
production, en un mot, le passage au post-fordisme, c'est à
dire un chômage de masse combiné à une précarisation
des statuts, vont toucher très durement les populations qui
restent dans ces quartiers. Elles s'appauvrissent et se précarisent.
Et notamment les jeunes."
Une cassure a lieu dans ces années de crise. On peut distinguer
un "avant" et un "après". "Avant,
un fils d'ouvrier devenait ouvrier. En intégrant l'usine,
un jeune intégrait aussi un mode vie, des normes et des valeurs,
qui incluaient d'ailleurs la résistance syndicale."
Pour pénible qu'il soit, cet état de fait avait l'avantage
de rendre la société cohérente. Par ailleurs,
le statut de l'ouvrier en France n'a pas été un statut
d'esclave puisque le régime politique d'après-guerre
a mis en place une large reconnaissance de la pénibilité
du travail (au travers des régimes spéciaux par exemple)
et un système social plus juste. Mais à partir des
années 1970, "les fils d'ouvriers deviendront de moins
en moins des ouvriers. D'abord en raison chômage de masse
qui les affecte, ensuite parce que dans le même temps, on
a prolongé dans le système scolaire les enfants des
classes populaires. C'est une massification de l'enseignement, ce
qui ne signifie pas pour autant démocratisation. La première
réponse du gouvernement socialiste en 1981 au problème
du chômage des jeunes, c'est le prolongement scolaire. C'est
un marché de dupes parce que cette prolongation ne change
pas la donne. Là où le bac était une chose
très importante dans les années 1960, si tout le monde
a le bac dans les années 1980, ça ne vaut plus rien."
Les années 80 voient donc une remise en cause du système
scolaire, qui ne tient plus ses promesses d'ascenseur social. L'école
ne transforme plus la société, son autorité
n'est plus reconnue par les élèves qui la fréquentent.
Circonstance aggravante : les filières techniques et professionnalisantes
de l'Éducation Nationale se transforment en filières
poubelles dans lesquelles sont orientés les jeunes en échec.
Une des conséquences des transformations intervenues dans
cette période, "c'est qu'à la différence
des ouvriers des années 1960 qui pouvaient se projeter dans
l'avenir, soit parce qu'ils avaient des contrats stables, soit parce
que la conjoncture permettait de quitter un emploi pour en prendre
un meilleur, certains jeunes des générations suivantes
n'ont aucune possibilité de voir plus loin que leur contrat
d'intérim. On assiste dès lors chez certains d'entre
eux à un retour des formes d'indiscipline qu'on connaissait
au début de la période pré-industrielle, à
l'époque où les statuts étaient justement très
précaires, où les gens étaient des journaliers.
On retrouve le monde des petits vols, de la récupération,
de la débrouille quotidienne."
Vous avez demandé la police ...
Laurent Bonelli constate que depuis le milieu des années
1980 et avec une accélération dans les années
1990, "pour répondre à ces types de comportements
les gouvernements successifs ont mis l'accent sur des formes de
résolution policière. Il existe des modes d'action
policiers très différents. Celui qui a été
choisi depuis le milieu des années 1990, c'est celui de la
police d'intervention qui s'oppose à celui de la police d'investigation
ou de proximité. A un travail d'enquête qui permet
d'arrêter des coupables ou à un travail de présence
et de liens avec la communauté, on a préféré
une pratique du « saute dessus ». C'est une police qui
patrouille, qui s'arrête, qui arrête et qui repart.
L'exemple concret, c'est la BAC, la brigade anti-criminalité
dont les policiers se perçoivent comme des prédateurs.
Leurs écussons en disent long sur leur philosophie : tigres,
cobras, loups, lions, rapaces, etc."
La zone ? Les zones ?
Le constat historique est établi. Qu'en est-il maintenant
de l'actualité ? L'interview du site Kitetoa n'est pas datée
avec précision, mais on y évoque les évènements
de Clichy en novembre 2005.
A une question de Kitetoa sur les zones de non-droit dont on parle
si souvent, Laurent Bonelli répond très clairement
:
"Des zones de non droit, ce sont des zones où la loi
de l'Etat ne s'applique pas. Cela n'existe pas en France. On peut
parler de ce genre de choses en Colombie par exemple où des
zones sont contrôlées par les FARC qui ont leurs propres
lois, leurs propres systèmes de régulation. En France,
on en est pas là. Il y a des cités où la police
intervient avec plus ou moins de plaisir. Les policiers reçoivent
comme consigne d'entrer dans les quartiers, mais ne savent pas véritablement
ce qu'ils doivent y faire. Le contrôle quotidien, bi-quotidien,
tri-quotidien de jeunes qui stationnent dans une cage d'escalier,
ce n'est pas très intéressant. Ce qui intéresse
les policiers, c'est le judiciaire, le grand criminel faisant le
grand policier. Chaque contrôle de ce type est difficile puisque
l'on est dans une logique de confrontation, de tension."
Outre la tension qui implique l'incompréhension et l'absence
de communication, le fossé entre les policiers et la population
est évident quand on sait que "les policiers sont souvent
des gens qui viennent de milieux sociaux artisans, employés,
majoritairement de petites villes de province. Socialement, ils
sont très loin des gens des cités. Ils sont jeunes
et ils sont tout seuls. Les policiers ayant une ancienneté
demandent une affectation ailleurs et l'obtiennent. Ça se
traduit par la peur et un rapport à leur pratique professionnelle
qui est épidermique avec une vision « délit-répression
». D'où par exemple, l'explosion des délits
d'outrage à agent. Il n'y a plus de distance au rôle.
On aboutit à une confrontation ritualisée quotidienne.
Les jeunes mettent la pression sur les policiers qui le leur rendent
bien."
Brûler des voitures
Comment dès lors dénouer une crise aussi flagrante
? Brûler des voitures ou des écoles semble constituer
une réponse idiote à la pression exercée dans
les cités.
Revenons un instant aux années 50-60, où la contestation
était balisée : on appartenait à un groupe
cohérent qui occupait un espace reconnu et respecté,
c'était la CGT, le Parti Communiste ou Socialiste. Les combats
n'étaient pas moins rudes mais ils avaient lieu selon des
rituels reconnus. "Aujourd'hui", explique Laurent Bonelli
"les jeunes sont hors de l'espace politique légitime.
Si l'on prend le vote, on est dans ces quartiers à 52% d'abstention
en moyenne, 20% d'étrangers qui n'ont pas le droit de vote,
10 à 15% qui ne sont pas inscrits sur les listes. Donc on
a un résultat de votants à peu près nul. Jusque
en 1980, il y avait à peu près 70% des ouvriers qui
votaient. Le PS, traditionnellement le parti de la gauche, n'est
plus un parti ouvrier. En 1960, il y avait 35% d'ouvriers dans ce
parti. En 1998, il y avait 5% d'ouvriers. Le PC, de son côté,
a fait un choix dans les années 1980 qui consistait à
défendre les ouvriers encartés contre les précaires,
créant une compétition dans les milieux populaires."
A l'heure actuelle, les mouvements qui ont trait à l'immigration
sont marginalisés, ils sont "de trop", pas dans
la tradition, même si le gouvernement actuel tente d'en intégrer
certaines composantes. Mais quels sont les effets concrets de cette
politique qui privilégie l'image ? "Un prof ou un éducateur
peut être aussi bon qu'il veut, s'il ne peut pas assurer un
avenir aux gamins, un logement, un emploi digne de ce nom, il est
placé dans une situation très difficile. Cela dévalorise
l'institution. Ils sont paradoxalement placés dans une situation
où ils deviennent une sorte d'ennemi puisqu'ils sont obligés
d'amener les jeunes à en rabattre sur leurs aspirations.
On retrouve également cette situation de tension dans les
bureaux de poste où les postiers sont amenés à
gérer les effets de la misère, sur fond de RMI. Les
agents de première ligne de l'Etat doivent gérer la
misère au quotidien et cela amène parfois les gens
à penser que les représentants de l'Etat ne sont pas
forcément des alliés. Surtout que l'on demande à
ces fonctionnaires de se placer dans une logique libérale
de concurrence et de rentabilité au moment ou la situation
sociale se tend dangereusement. Les agents d'EDF sont plus souvent
perçus comme ceux qui coupent la lumière que comme
ceux qui l'apportent. Sans compter les effets terriblement néfastes
lorsque les policiers planquent dans des fourgons EDF ou se font
passer pour des éboueurs."
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