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généraux de la psychanalyse, 2001, Archives",
L'INVENTION DÉSIRANTE DE LA PSYCHANALYSE, A propos des impasses
de la transmission de la psychanalyse, Joel BIRMAN.
http://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/archives/texte27.html
1. Défiant le destin
Quels sont les destins du transfert provoqué par l'expérience
psychanalytique dans l'existence concrète du sujet une fois son
analyse terminée? Nous le savons bien, il s'agit-là d'une
question cruciale pour le psychanalyste, car c'est à travers
elle que vont s'énoncer les conséquences immédiates
de l'acte de psychanalyser sur la subjectivité. Donc, par l'intermédiaire
de cette question, le psychanalyste s'interroge, de manière directe
et inquiétante même, sur la responsabilité qui est
en jeu dans l'expérience de psychanalyser. Il est bien évident
que l'acte de psychanalyser n'est pas dépourvu de risques et
de périls pour les interlocuteurs qui participent à ce
processus, étant donné les impasses et les incommodités
qui sont imposées aux sujets en tant qu'effets imprévus
produits par la densité de l'expérience analytique elle-même.
Très récemment encore, l'on ne pensait pas exactement
de cette façon-là. Cependant, l'on a sans doute déjà
perdu la croyance ingénue et l'idée simpliste qui fondaient
la certitude selon laquelle seule la psychanalyse était capable
de produire le bien-être des individus. Ainsi, le temps où
l'on croyait encore en cette sottise s'est évanoui dans les brumes
de la mémoire. Les maléfices qui peuvent être provoqués
par l'analyse sont aujourd'hui si évidents que la reconnaissance
de cela a un effet d'oubli et même de refoulement de la conception
à laquelle l'on croyait encore il n'y a pas longtemps.
La croyance naïve qui affirmait que la psychanalyse ne présentait
aucun risque pour le sujet se basait sans doute sur l'évitement
systématique, de la part de l'analyste, de l'angoisse et de l'horreur
produits par le faire psychanalytique.
Aujourd'hui, nous savons parfaitement que la psychanalyse peut provoquer
non seulement le mal, mais aussi le pire. La galerie de héros
arrogants produits par les expériences psychanalytiques des plus
diverses tendances théoriques suffirait à construire un
beau musée des horreurs. Cela sans parler des masochistes larmoyants
et des dépressifs désérotisés - ce qui multiplierait
énormément nos espaces d'exposition de ces sculptures
de l'horrible et du grotesque.
Il ne suffit pas de dire que, puisque l'éthique de la psychanalyse
est fondée sur le désir1, cette question ne se pose même
pas et n'a aucun sens, car le désir du sujet est absolument incontestable
dans sa singularité. Même si nous considérons la
bien fondée proposition théorique de l'éthique
du désir, comme c'est le cas en ce qui concerne la lecture que
nous faisons de cette question, le problème s'impose avec toute
sa véhémence. Et ce, parce que l'analyste s'interroge
avec insistance, de manière irréfutable, sur la direction
qu'il a imprimée à chaque processus psychanalytique dans
sa singularité, et sur les conséquences réelles
provoquées dans la vie des analysants.
Le questionnement à propos de la fin de l'analyse et des destins
du transfert après le processus psychanalytique a un inévitable
effet de retour et de ricochet sur l'analyste, qui commence à
s'interroger, perplexe, sur les procédés employés
dans l'acte de psychanalyser. Ce faisant, l'analyste reprend les questions
posées antérieurement au sujet des opérations qu'il
a entreprises dans le contexte du processus analytique. Donc, nous voyons
bien que les dédoublements inévitables et imprévisibles
du processus analytique dans la vie réelle du sujet sont absolument
liés à cette problématique fondamentale.
Ainsi, divers ordres de question s'imposent ici, liés entre eux
bien sûr, tous pertinents et tous cruciaux si nous voulons cerner
la problématique dont nous parlons. Comme formes conceptuelles
pour opérationaliser cette problématique essentielle,
nous allons donc énoncer quelques questions inévitables,
dans toute leur complexité théorique et clinique, face
à la problématique majeure qui s'impose aux psychanalystes
par rapport aux destins du transfert en psychanalyse.
Pour commencer, nous nous demanderons si la liquidation du transfert
existe vraiment, comme le discours freudien l'a affirmé avec
insistance au cours d'une bonne partie de son parcours théorique
et clinique. Au long de l'histoire de la psychanalyse, les analystes
ont toujours mentionné la liquidation du transfert, en grande
partie, comme étant une sorte de lieu-commun et un dédoublement
presque "naturel" de l'expérience psychanalytique.
Or, rien ne s'oppose davantage à l'idée de nature que
celle de liquidation, car celle-ci s'oppose à l'idée de
nature et de naturalité, allant même jusqu'à indiquer
une espèce d' "antinaturalité".En outre, les
analyses de longue durée, marquées par la perpétuité
et qui sont presque infinies dans le temps, remettent en question de
façon plus énergique la croyance en la spontanéité
et la naturalisation présentes dans cette interprétation
du concept de liquidation du transfert. A l'opposé de cela, il
nous faut donc considérer que les destins du transfert dans l'expérience
psychanalytique sont absolument reliés à un travail de
l'analyste sur le transfert, visant à défaire les effets
enchanteurs présents dans cette expérience. La responsabilité
de l'analyste sur la direction imprimée au processus psychanalytique
s'en trouve ainsi renforcée.
Ensuite, il nous faut nous demander si la liquidation du transfert -
qui serait fondée, selon cette lecture, sur un travail de l'analyste
sur le transfert et sur la direction que celui-ci donnerait au processus
analytique -, serait liée à la sublimation des pulsions,
de fait et de droit. Comme nous le savons, le concept de sublimation
fut énoncé par Freud , dans l'un de ses essais métapsychologiques
au sujet de la pulsion, comme étant l'un des destins possibles
de celle-ci.2 La question qui se pose est celle de savoir comment a
lieu le processus sublimatoire des pulsions, dans le contexte de l'expérience
psychanalytique, au sein du travail sur le transfert réalisé
par l'analyste. Finalement, nous pourrions encore nous demander si la
sublimation impliquerait, à la fois, la transformation du but
et l'invention de nouveaux objets pour les circuits pulsionnels, ainsi
que l'a affirmé Freud dans sa seconde théorie de la sublimation3,
en opposition à sa conception initiale où le maintien
de l'objet original de la pulsion aurait impliqué la désexualisation
de cette-dernière.4 Le choix ne doit pas être arbitraire
ou se baser uniquement sur des critères scholastiques de lecture
de textes, car c'est le processus psychanalytique qui doit offrir les
indicateurs distinctifs ainsi que les critères essentiels. Pour
cela, l'analyste doit se fonder sur le travail effectué sur la
répétition et le transfert, pour qu'il puisse penser au
sens et à la direction des processus sublimatoires de l'analyse.
La conception finale de Freud à propos de la sublimation indique
que le travail du transfert et de la direction du processus analytique
réalisé par l'analyste est la constitution de nouveaux
objets pour les circuits pulsionnels du sujet, tout en maintenant les
processus d'érotisation.
Dans ce contexte théorique-là, les destins du transfert
par la sublimation des pulsions sont donc annoncés. Le dessin
théorique de la problématique est bien construit, et la
direction clinique devant être imprimée au processus analytique
est bien esquissée - ce qui ne signifie nullement qu'il n'existe
aucun problème pour le sujet dans le registre éminemment
clinique.
Avec cela, on avance l'existence d'un paradoxe dans le fondement de
la psychanalyse et dans l'intention qui soutient l'acte psychanalytique.
En effet, la psychanalyse affirme que le sujet est marqué par
les destins et les fixations de ses circuits pulsionnels, mais elle
indique à la fois la possibilité de rompre avec ces destins
et ces fixations emprisonnants. La psychanalyse est la matérialisation
de ce paradoxe, sa raison d'être et la source de son pouvoir de
fascination. Ainsi, la psychanalyse, en tant qu'acte clinique, prétend
réaliser un travail de déconstruction des destins pulsionnels,
afin de pouvoir replonger le sujet dans sa possibilité de désirer.
De sorte que le sujet dessiné par la psychanalyse est placé
sur un horizon mythique marqué par la figure de Prométhée
- celui qui défie le destin. En tant que sujet traversé
par la malédiction de Prométhée, l'analysant est
placé face à la position de transgression qui consiste
à défier le destin, prétendant alors défier
les desseins des dieux qui ont tracé son destin afin d'assumer
la direction de son désir.
Dans cette position paradoxale, le sujet en analyse se heurtera inévitablement
au pouvoir des dieux, du destin, pour pouvoir reprendre la direction
de son désir. Et, cela étant, les dédoublements
de ce combat sont totalement imprévisibles, car ils ne sont nullement
préétablis. Il y aura des transgresseurs victorieux, qui
reprendront la direction de leur désir, mais il y aura aussi
ceux qui ne parviendront pas à défier le destin jusqu'au
bout, et qui resteront prisonniers du désir des dieux, de manière
catastrophique et consternante.
2. Carrefour tragique
Le questionnement à propos des destins du transfert à
la fin d'une expérience psychanalytique acquiert, en plus de
sa dimension épistémologique, une dimension éthique
évidente. Il faut cependant insister sur le fait que la dimension
éthique de cette problématique dépasse largement
ses résonnances épistémologiques. Et cela, en effet,
parce que les destins du plaisir, de la jouissance et de la mort seront
marqués dans le corps du sujet, indiscutablement, par l'intermédiaire
du carrefour du transfert. Ainsi donc, l'expérience psychanalytique
a un effet réel sur l'économie pulsionnelle de l'individu,
en restructurant les destins de l'érotisme et de la douleur.
Néanmoins, si cette problématique prend toute son acuité
et même son tragique tranchant dans le registre de n'importe quelle
expérience psychanalytique, son pouvoir de soulever des questions
inquiétantes à la psychanalyse augmente considérablement
si nous considérons maintenant l'expérience initiatique
réalisée par les futurs analystes. Dans ce contexte-là,
les questions énoncées sont pétulantes et foisonnantes,
aussi bien en ce qui concerne la réflexion théorique que
l'évaluation éthique des analystes. En ce point sont condensées
des questions qui ont la marque d'une longue histoire, qui retentissent
dans la mémoire de la psychanalyse depuis les années 20
et 30, lorsque celle-ci a pris la forme d'une grande institution à
caractère international. Or, dans la remémoration de cette
histoire, la psychanalyse doit sans doute avoir un goût d'échec
en ce qui concerne sa confrontation avec cette problématique,
qui lui rend les lèvres amères et la rend muette, pour
ne pas reconnaître l'extension de ses impossibilités.
En ces termes-là, les destins du transfert pour ce qui est de
l'analyse des futurs psychanalystes assument des traits plus sinistres
et des résonnances plus poignantes que dans le cas des autres
analyses, justement parce que c'est la transmission de la psychanalyse
qui en est l'enjeu. C'est ainsi que, si la psychanalyse avait été
communiquée aux nouvelles générations d'analystes
selon les mêmes critères établis pour les autres
savoirs - par la maîtrise profonde du savoir et la connaissance
approfondie de ses méthodes d'investigation -, la question ne
se poserait pas de la même façon. Ou alors, elle n'aurait
au moins pas le même poids que celui qui est imposé à
la psychanalyse. Dans le champ psychanalytique, ce n'est pas tellement
l'enseignement d'un savoir théorique dont il s'agit (lequel se
dédoublerait en ses dimensions cliniques, méthodologiques
et techniques), mais c'est surtout la transmission d'une expérience
de la psychanalyse qui est en jeu.
Ainsi, la transmission de la psychanalyse implique-t-elle l'expérience
du transfert, et c'est devant ce carrefour tragique que le sujet est
placé pour pouvoir incorporer le savoir psychanalytique. L'enseignement
du discours psychanalytique dans sa diversité théorique
- dans le contexte de l'apprentissage de méthodes et de techniques
insérées dans le registre de la clinique - devient assez
complexe, à cause de la réfraction provoquée chez
l'individu par l'impact de l'expérience du transfert. Donc, le
savoir transmis passe nécessairement par le filtrage, libidinal
et mortel, du transfert. Avec cela, sont provoqués des investissements
et des désinvestissements massifs des énoncés théoriques,
méthodologiques et techniques du savoir psychanalytique, de sorte
à produire, dans le discours, diverses modalités de consintances
et d'inconsistances, qui marquent alors par d'autres valeurs, le logos
de la rationalité psychanalytique.
Selon cette perspective-là, et si nous le comparons aux destins
du transfert qui est présent dans d'autres expériences
d'analyse, le champ transférentiel devient assez complexe. Cela
est dû au fait que les problèmes ne sont pas uniquement
d'ordre théorique et éthique, mais qu'ils sont également
d'ordre politique. Aussi, le registre politique de l'expérience
a le pouvoir de refonder et de relancer les registres éthique
et théorique du transfert, en réorganisant les systèmes
d'investissement et de désinvestissement dans une autre direction
de valeurs et même de désirs.
Comme les destins des analyses de formation touchent directement le
fonctionnement interne des institutions analytiques particulières
où celles-ci se produisent, et incident indirectement sur le
champ des relations institutionnelles présentes dans le domaine
social de la psychanalyse, les résonnances transférentielles
et leurs destins vont circuler au sein d'un champ politique précis.
Ce champ politique est aimanté par les rapports de force et de
prestige qui se forment entre les divers groupes psychanalytiques. Et
cela parce que les effets du transfert s'inscrivent immédiatement
dans le champ social, où leurs destins s'inscrivent en certaines
formes sociales de matérialité bien précises: identité
de l'analyste, reconnaissance de l'analyste par ses pairs, insertion
du psychanalyste sur le marché symbolique d'emblèmes et
d'insignes, ainsi que sur le marché social de la clinique psychanalytique.
C'est justement la raison pour laquelle, dans ce registre de la transmission
de la psychanalyse, le politique - comme axe d'interprétation
- va relancer et refonder les axes éthiques et théoriques,
produisant d'autres destins et d'autres consistances pour la psychanalyse.
Il nous semble que cette différence radicale de destins entre
deux modalités d'expérience transférentielle de
l'individu est fondamentale, si nous voulons pouvoir reconnaître
la dimension perverse que prennent les processus de transmission de
la psychanalyse, en considérant ces processus-là sous
une perspective historique. Il s'agit-là d'une dimension de la
transmission de la psychanalyse établie dès le départ,
c'est-à-dire, depuis qu'ont été construits les
systèmes formels et institutionnels de transmission dans le champ
psychanalytique. De nouvelles traditions dans le domaine de la psychanalyse
se sont présentées, critiquant les traditions instituées,
mais la problématique de la transmission, dans as dimension perverse,
a persisté et est demeurée intacte, comme si l'essentiel
n'avait pas été atteint par la critique énoncée
et annoncée.
L'impasse perverse dans les pratiques de transmission de la psychanalyse
se présente ainsi dans les institutions qui sont reliées
à l'Association Internationale de Psychanalyse et celles qui
ont une liaison avec les diverses traditions lacaniennes. Si nous citons
ici ces deux traditions, c'est parce que ce sont elles qui polarisent
actuellement le champ de la psychanalyse, aimantant leurs lignes de
force. La même impasse perverse se retrouve par ailleurs au sein
d'autres traditions et d'autres groupes psychanalytiques, montrant bien
l'importance de l'étranglement qui s'infiltre dans tout le champ
psychanalytique.
La psychanalyse fait face ici à un croisement décisif
pour son destin en tant que savoir théorique et modalité
d'expérience clinique, car c'est le destion de sa transmission
qui est en cause, et peut-être même sa possibilité
d'être transmise. Ainsi donc, si les destins du transfert dans
l'existence de l'individu, à eux seuls, placent déjà
le psychanalyste et la psychanalyse face à un cul-de-sac, les
destins du transfert dans l'expérience au sein de l'expérience
de la transmission de la psychanalyse ont le pouvoir de multiplier les
impasses qui sont présentes à ce croisement. C'est cela
qui fait que ce carrefour prenne un visage tragique, car ce qui s'impose
comme question, c'est justement la possibilité de continuer à
transmettre l'expérience de l'inconscient inaugurée par
le savoir psychanalytique.
Pour l'élaboration de cette problématique, qui doit se
faire dans les registres aussi bien éthique, que politique et
théorique, il est absolument crucial de questionner l'insistance
de cette répétition qui traverse les différentes
formations institutionnelles du champ psychanalytique.
3. Parcours critique
Comme nous pouvons l'apprendre à travers la lecture des archives
de l'histoire de la psychanalyse, les réformes institutionnelles
dans le champ psychanalytique ne sont pas parvenues à toucher,
de fait et de droit, ce dont il s'agit vraiment, ce qui est en cause
dans cet imbroglio. Le noyau de cette problématique est demeuré
étanche et congelé; il n'a ni été mis en
mouvement, ni été modifié par aucun des stratagèmes
utilisés par la communauté psychanalytique. Par conséquent,
malgré le travail critique éffectué par les analystes
des diverses tendances culturelles et des différentes traditions
théoriques, le noyau de la question de la transmission de la
psychanalyse est resté intact.
Quant à cela, il est bon de rappeler que les bonnes critiques
théoriques ainsi que les propositions de réformes institutionnelles
n'ont pas fait défaut. La marque fondamentale de tels écrits
critiques a toujours été celle de la virulence et de l'irréfutabilité
des arguments qu'ils avançaient, malgré la diversité
sociale et théorique de leur inscription sur la scène
internationale de la psychanalyse. Ainsi, des années 30 jusqu'aux
années 70, la psychanalyse fut envahie par la critique et par
des propositions réformistes, qui ont marqué son histoire
grâce aux polémiques qu'elles soulevaient et à la
violence discursive qu'elles démontraient.
Tout a commencé avec Ferenczi, qui a esquissé une critique
contre les processus de transmission en énonçant que la
relation entre les figures de l'analyste et de l'analysant était
lamentablement devenue une relation pédagogique.5 Vers la fin
des années 40/ début des années 50, Balint, son
disciple, allait modifier la portée de cette première
critique et constater la crainte manifestée par les analystes
en formation de se prononcer dans les institutions psychanalytiques.
Balint souligne ainsi les effets de la sévérité
institutionnelle des analyses didactiques et dénonce son influence
par l'imprégnation présentée par la structure psychique
du surmoi des jeunes analystes.6
Durant les années 50, la question se faisait déjà
sentir dans le champ de la International Psychoanalytic Association,
par la voix et les écrits des analystes moins ingénus,
lors du Congrès International de Psychanalyse, réalisé
à Londres en 1953. Ainsi, Gitelson énonça-t-il
la présence massive des analysants normaux dans les processus
de formation psychanalytique, ce qui introduisait certaines difficultés
non seulement dans la cure psychanalytique elle-même, mais aussi
-comme conséquence-, pour ce qui était de la transmission
de la psychanalyse.7 En contrepartie, Nacht indiquait les obstacles
pour la constitution et le développement du transfert lors des
analyses nommées didactiques.8
Lors de sa rupture avec l'Association Internationale de Psychanalyse,
Lacan critiqua les modèles psychanalytiques qui étaient
alors en vigueur, et leurs inévitables conséquences pour
la transmission de la psychanalyse dans le contexte des années
50.9 L'On a vu se constituer alors une nouvelle tradition psychanalytique
très puissante, d'origine française, qui est venue se
fixer comme un pouvoir opposé à la International Psychoanalytic
Association. Ainsi donc, il serait désormais nécessaire
de tout changer dans les registres du processus analytique et de la
transmission de la psychanalyse. Dans les années 60, le champ
lacanien commença à exposer d'importantes fissures. Certains
des fidèles disciples de Lacan se sont mis à questionner
sa pratique psychanalytique ainsi que ses propositions au sujet de la
transmission de la psychanalyse. C'est ainsi qu'allait naître
l'Association Psychanalytique de France, qui s'est inscrite dans le
champ de la International Psychoanalytic Association. Par la suite,
au début des années 70, une nouvelle rupture capitale
a eu lieu dans le champ lacanien, avec le surgissement du Quatriè;me
Groupe. A nouveau ici, la rupture a été due à la
critique de la pratique clinique et des processus de transmission de
la psychanalyse de la tradition lacanienne, où l'on invoquait
le rétablissement de la même situation institutionnelle
qui aurait soi-disant provoqué la rupture de Lacan, dans les
années 50, avec la communauté psychanalytique internationale.10
Comme une sorte de synthèse théorique et institutionnelle
de la totalité de ce processus critique, Anna Freud réalisa,
au cours des années 60, une lecture tranchante du champ psychanalytique,
où elle opposait les actuelles générations de la
psychanalyse et les analystes des temps héroïques. Selon
elle, ceux-ci étaient des figures controversées, un peu
marginales et même un peu folles, mais qui embrassaient la psychanalyse
avec passion; tandis que les premiers s'inscrivaient dans la psychanalyse
par la voie du choix professionnel rentable et accordant un bon status
social dans les domaines de la psychiatrie et de la médecine.11
Une espèce "d'armée de Brancaleone" de psychanalystes
s'est ainsi constituée, avec la différence que maintenant
il s'agissait de figures marquées par la normalisation bouffonne
, et non plus par la marginalité qui caractérisait les
figures inoubliables du cinéma.
4. Evitement presque impossible
Comme une lecture superficielle de ce parcours théorique nous
le montre clairement, les énoncés critiques à propos
de la transmission de la psychanalyse ont été bien incitants,
mais n'ont pas eu le pouvoir de modifier les effets mortels faisant
partie de la transmission de la psychanalyse. Sans aucun doute, les
formules critiques et les propositions de réformes institutionnelles
se sont-elles modifiées au cours du siècle, mais les effets
mortels du processus de transmission de la psychanalyse s'est maintenu
intact.
En effet, les analystes ne sont guère intéressés
à savoir ce qui est en jeu dans cette impasse, telle est l'angoisse
que cela provoque en eux. Comme le dit si bien Charcot dans son expression
aussi provocatrice que concise, ils assument alors la placidité
hystérique de la belle indifférence. Ou bien, selon une
version plus moderne, ils assument la position de représentants
de l'hypocrisie bureaucratique de fonctionnaires d'appareils organisationnels.
Nous pourrions énoncer cette position d'identification des analystes
suivant la belle et évocatrice formule inventée par Mannoni
: je sais, mais quand même...12
Ainsi, que ce soit par l'emploi de la tactique de l'indifférence
hystérique ou par l'imposture perverse, il s'agit toujours d'une
question suffisamment angoissante pour que les analystes lui fassent
face en adoptant la forme de l'évitement. Un évitement
systématique, sans doute, pour maintenir l'angoisse à
distance, pour ne pas être dépassés par son impact.
Ce qui attire ici notre attention, c'est l'évitement systématique
de l'angoisse par l'individu. Cela peut paraître naïf de
le dire, surtout parce que c'est un analyste qui avance cette question.
En tant qu'analyste, il devrait savoir que les sujets sont terrifiés
par l'angoisse. Nous le savons sans doute tous, depuis Kierkegaard et
Freud. Or, ce qui est vraiment étonnant, c'est que les sujets
en question sont des psychanalystes, c'est-à-dire des individus
qui soi-disant sont toujours en rapport avec l'angoisse et ses impasses
dans leur quotidien d'analystes. Il y a donc là un paradoxe qui
surgit, presque dans sa littéralité. Par conséquent,
il s'agit d'analystes, dans le contexte de la clinique et du setting
psychanalytique, mais pas d'analystes dans leur existence et leur expérience
institutionnelle! Etrange condition! Cette dissociation est assez curieuse,
je dirais même qu'elle est admirable, lorsque c'est le métier
artisanal du psychanaliste qui est en cause.
L'allusion que nous faisons à la dissociation ne vise pas à
indiquer uniquement une expression technique du bien dire. Au contraire,
cette expression a l'intention d'indiquer un chemin à ce dont
il est question dans ces impasses de la psychanalyse. C'est bien une
question psychanalytique. Et, en tant que telle, c'est une question
qui doit être étudiée et déchiffrée
psychanalytiquement.
5. Une question structurelle
Comment démêler tant soit peu cette question qui constitue
effectivement l'une des énigmes de la psychanalyse ? Comment
penser cette impasse ? Voyons donc quelques possibilités de lecture
de cette problématique, qui sont articulées au processus
psychanalytique au sens strict, et à ses principales impasses.
Commençons par mentionner certaines images, qui renvoient à
un évènement réel, ainsi que nous le verrons bientôt.
Par l'intermédiaire de ces images nous pouvons démêler
facilement quelques fils de la question, et certains de ses nuds
pourront être défaits. Un de ces jours, une rencontre fortuite
a eu lieu dans le métro de Paris. Une française, jeune
analyste en formation, s'assied à côté de moi pour
m'avoir reconnu. Nous venions d'assister à une conférence
et avons donc bavardé aimablement à ce sujet. D'une façon
bien peu française, elle me dit par la suite qu'elle aimait participer
aux activités et aux débats publics organisés par
cette institution car la parole y circulait librement. Au sein de l'institution
où elle réalise sa formation, les gens n'emploient pas
les mots avec une telle liberté, et n'osent pas penser à
voix haute. Dans un tel contexte, il y a une gêne permanente et
un grand malaise entre les gens, qui n'osent pas dire ce qu'ils pensent.
Nous nous sommes quittés aimablement, exactement comme nous nous
étions rencontrés.
Ce bref passage est assez intéressant, sous plusieurs aspects.
Tout d'abord, il nous renvoie à une expérience que nous
connaissons déjà très bien et à laquelle
nous sommes fort habitués, à savoir, au manque de liberté
qui imprègne les institutions psychanalytiques et qui est souvent
présent lors des rencontres entre analystes. Cette absence de
liberté se matérialise, au début, dans le registre
de la parole et du discours, mais elle ne s'arrête pas là.
Donc, l'absence de liberté dépasse le registre de la parole,
s'étend bien davantage, jusqu'à atteindre finalement le
registre de la pensée. Il est important d'observer que les gens
ne se restreignent pas seulement à ne pas dire ce qu'ils pensent
effectivement; à partir d'un certain point, ils commencent même
à ne plus penser à d'autres choses. Par conséquent,
les analystes ne pensent plus qu'à ce qui circule dans leur espace
institutionnel de référence psychanalytique.
Puis, il faut absolument souligner le fait que l'exemple renvoie à
deux institutions inscrites dans le champ lacanien. Le conflit qui est
en cause ne se restreint pas à une opposition institutionnelle
entre des traditions psychanalytiques différentes, comme celle
de la International Psychoanalytic Association et le champ lacanien.
Nous connaissons chacune des deux modalités de conflits institutionnels
au Brésil, celles qui opposent des traditions psychanalytiques
différentes et celles qui opposent des institutions qui s'inscrivent
dans la même tradition théorique et clinique.
Cette situation nous révèle également, avec beaucoup
d'emphase, que la question du manque de liberté au sein des institutions
analytiques ne concerne pas uniquement notre paradis tropical, mais
qu'elle est aussi littéralement évidente au nord de l'Equateur.
Nous ne nous trouvons pas face à une déviation de la psychanalyse
au Brésil, produite par une mentalité colonisée;
nous sommes plutôt face à un phénomène qui
a aussi lieu en Europe et aux Etats-Unis. Le manque de liberté
a donc des traits internationaux, et sa portée aussi est mondiale,
ce qui prouve bien son intention et met à nu toute sa complexité.
Il existe un manque de liberté, d'expression et même d'ordonnance
de la pensée dans le champ psychanalytique qui sont terrifiants.
Cette absence de liberté, malgré les différences
formelles et sociales des diverses traditions psychanalytiques, ont
une dimension internationale. Nous nous trouvons face à une problématique
structurale de la psychanalyse qui, traversant frontières, océans
et continents, se répète avec insistance.
6. Misère psychique et masochisme
Qu'est-ce donc qui se répète avec insistance dans ce manque
de liberté à dire et à penser ? Quels sont les
fondements de cette misère psychique et existentielle ? La parole
est forte, nous le savons, mais elle indique d'une façon aigüe
et tranchante la résonnance de ce qui est en jeu dans cette impasse
cruciale de la psychanalyse. Lorsque le sujet perd sa liberté
de dire et de penser, il se retrouve dans une condition extrême
de misère en tant qu'individu. En tant que psychanalystes, nous
le savons parfaitement. Ou nous devrions au moins le savoir, car c'est
là ce que l'expérience analytique nous enseigne... Ne
plaçons-nous pas les individus dans la position de tout dire,
de pouvoir tout penser et tout énoncer? N'est-ce pas là,
la règle fondamentale de l'expérience psychanalytique?
Or, si nous oublions cette chose aussi banale, si nous nous déplaçons
vers les positions d'identification de la belle indifférence
et du je sais, mais quand-même, c'est parce que cela nous renvoie
à la dissociation citée plus haut, et fait que nous séparions
les registres clinique, existentiel et institutionnel de l'être
du psychanalyste.
Nous devons ajouter encore que cette perte de liberté de dire
et de penser présente des traits qui sont très particuliers.
Ainsi, lorsqu'un individu se trouve face à un opposant - de sa
propre institution de référence mais appartenant à
un autre courant de pensée théorique, ou d'une autre institution,
ou même d'une tradition psychanalytique qui n'est pas la sienne
(ces différences sont ici secondaires pour ce que nous allons
commenter), il va se montrer capable d'un grand courage et va même
commettre d'admirables bravades. Dans ces cas-là, le sujet se
découvre une capacité d'assener des coups violents et
même virulents contre autrui. Ce faisant, il se présente
comme quelqu'un d'une grande témérité, une personne
intrépide. Cependant, lorsqu'il se trouve dans le champ de son
groupe de référence, sa pensée s'immobilise, comme
si elle était stérilisée, sèche, et ses
paroles se taisent. C'est alors le silence qui s'impose à lui.
Nous reconnaissons ici un curieux paradoxe , car dans son espace de
référence le sujet s'abolit en tant que sujet de la parole,
pour ne se rétablir que dans le champ de ses opposants théoriques
et politiques. Que signifie donc cela ? Ce contraste est révélateur
de beaucoup de choses, comme nous le verrons par la suite.
Afin d'indiquer ce qui est en jeu dans un tel contraste, il est important
de rappeler un petit commentaire fait par Freud, dirigé à
Ferenczi, à propos de la fin de l'analyse.13 Le contexte de ce
commentaire, dans "Analyse avec fin et analyse sans fin" est
la relation de défi de l'analysant homme face à la figure
de l'analyste, où le premier conteste la place de l'analyste.
Ferenczi trouverait ce mouvement transférentiel positif, et le
considérerait en tant qu'une modalité de questionnement
du pouvoir de la figure du père. Il valoriserait donc le questionnement
lui-même. Freud, par contre, assume un point de vue critique et
sceptique face à ce mouvement.
Malgré la reconnaissance de la positivité du mouvement
transférentiel et de son authenticité évidente,
Freud considère qu'il faudrait aller au-delà du mouvement
transférentiel, étant donné que celui-ci ne s'épuiserait
pas en lui-même. Par cette voie-là de pensée, une
inflexion de résistance au processus psychanalytique se révèlerait
ici. De sorte qu'ainsi, l'analysant refuserait l'impact de la castration
et la reconnaissance symbolique de la figure paternelle, à travers
la place de l'analyste.
En effet, Freud affirme et souligne le fait que les analysants hommes
qui défient l'analyste de la sorte sont soumis aux figures des
femmes représentant la mère phallique, et qu'ils se manifestent
en leur nom.14 Ces analysants fonctionneraient donc comme des chiens
féroces acharnés face au pouvoir symbolique de l'analyste,
mais ils ne parleraient pas effectivement en leur nom, mais au nom de
l'autre, de la figure de la mère phallique. Ainsi, ils prétendent
maintenir le pouvoir phallique de la figure maternelle, en la protégeant
de l'impact symbolique de la castration paternelle. Par conséquent,
ils évitent la traversée de l'expérience symbolique
de la castration, par le maintien de la relation incestueuse avec la
figure de la mère phallique.
Or, le sujet doit payer un prix très élevé pour
cette alliance incestueuse. Il ne peut pas passer par cela sans que
des marques ineffaçables ne viennent marquer, d'une façon
fondamentale, son corps; c'est-à-dire qu'elles vont dilacérer
son corps érogène dans le registre du désir. Le
sujet constitue une relation de soumission avec la mère phallique,
et s'inscrit dans un registre qui est décidément masochiste.
C'est la position masochiste du sujet face à l'omnipotence de
la mère phallique qui est ici en jeu, nonobstant les apparences
de rébellion contre le pouvoir du père.
De cette façon, nous croyons atteindre le point crucial de ce
débat et de cette impasse psychanalytique. C'est l'impossibilité
pour le sujet de se diriger vers la résolution du masochisme
qui est ici en question, dans le contexte de la fin d'une analyse et
des processus de transmission de la psychanalyse.
L'analyste qui perd la liberté de dire et de penser dans les
champs symboliques de sa filiation - mais qui, à la fois, est
capable de grandes bravades face à ses ennemis de filiation psychanalytique
- fonctionne justement comme le sujet décrit par Freud. Ces analystes
s'inscrivent dans le registre du masochisme, répétant
le discours de l'autre d'une manière ennuyeuse et stérilisée,
car ils sont soumis et sont prisonniers de la figure de la mère
phallique. Avec cela, ils ne se déplacent pas du registre de
l'omnipotence primordiale, car ils n'osent pas courir le risque de se
lancer dans l'expérience de la castration. Ils restent, marqués
par l'emprisonnement masochiste, et, naturellement, en jouissent.
Nous sommes donc bien obligés de conclure que la perte de la
liberté de dire et de penser s'insère dans un registre
masochiste, centré sur la figure psychique de la phallicité.
Cependant, cela nous renvoie aux problèmes posés par la
fin de l'analyse, ce qui justifie l'allusion que nous avons faite à
l'essai où Freud traite justement de cette question.
7. Promesse mortelle
Ce qui est problématique à la fin de l'analyse de futurs
analystes, ce qui produit toute une série d'impasses pour la
transmission de la psychanalyse, c'est le fait que les analysants particuliers
reçoivent la promesse de devenir, tôt ou tard, des psychanalystes.
Nous savons que certains analystes peuvent refuser cette affirmation,
en essayant de l'insérer dans le champ des combats entre les
différents systèmes de filiation. Ils pourraient alors
affirmer que cela ne se passe que dans certains systèmes de filiation,
et pas dans les autres. "Leur" système de filiation
serait hors de tout cela. Or, nous savons parfaitement que les choses
ne se passent pas exactement ainsi, car il existe un abîme gigantesque
entre les présupposés théoriques des systèmes
de filiation et leurs agencements par les pratiques institutionnelles.
Par conséquent, la promesse selon laquelle les analysants deviendront
nécessairement des psychanalystes se place exactement dans l'axe
fondamental de cette modalité d'expérience psychanalytique.
L'identification de la figure de l'analysant avec celle de l'analyste
qui transmet et avec son système de filiation se transforme en
un problème dont l'élaboration psychique n'est pas facile.
Ainsi, le sujet se soumet à l'analyste formateur et à
son système de filiation et nourrit alors son omnipotence, pour
maintenir ouverte la possibilité de devenir plus tard psychanalyste.
La figure de l'analysant ne fait pas qu'accepter cette forme de séduction,
mais elle y participe activement, car ainsi elle renforce son désir
d'immortalité et évite la douloureuse expérience
de la castration. Donc, l'on ordonne l'évitement de la castration
aux deux pôles de l'expérience psychanalytique, ce qui
provoque un enchevêtrement confus, où c'est l'impossibilité
du sujet de se dégager de la position masochiste qui règne.
Dans cette perspective, nous pouvons entreprendre la relecture des énoncés
originaux produits par les critiques du système de transmission
de la psychanalyse. Ainsi, Ferenczi avait déjà mentionné
l'axe masochiste de cette question lorsqu'il avait affirmé que
l'expérience psychanalytique s'était transformée,
à la fin des années 20, en une relation pédagogique.
L'inébranlable autorité de l'analyste/maître et
la soumission de l'analysant/disciple rendent impossibles les résonnances
déséquilibrantes que nous imaginons au cours d'une expérience
psychanalytique. Le résultat de cela, dans la dimension historique
de production de la subjectivité, c'est l'ordonnancement de la
sévérité du surmoi des analysants en formation,
ce qui stérilise la capacité de penser et de dire de ces
individus, comme nous l'indiquait déjà très justement
Balint, entre les années 40 et 50. Le dédoublement attendu
de cette problématique masochiste est la normalisation des analystes,
qui se présentent alors avec des caractères névrotiques
et des immobilités narcissiques, ainsi que nous l'a signalé
Gitelson à la fin des années 40 et au début des
années 50. Les impossibilités de l'impact transférentiel
sur de telles structures psychiques, normalisées par le narcissisme,
ont alors été indiquées par Nacht, encore dans
les années 50. Finalement, Lacan a tenté d'énoncer
les impossibilités du modèle psychanalytique en vigueur,
et a proposé la refondation de la psychanalyse dans le déjà
mythique "retour à Freud".Or, si nous considérons
à présent le legs de Lacan, y compris les impasses évidentes
de son système de filiation, ses résultats ne doivent
rien aux obstacles existant dans le champ de la International Psychoanalytic
Association.
Ainsi, depuis les années 50 jusqu'à nos jours, la psychanalyse
n'a pas encore résolu les impasses indiquées avec subtilité
par les discours critiques de la fin des années 20. Et cela parce
que ce qui est en cause, c'est l'impasse de la fin de l'analyse et les
destins funestes du transfert dans les pratiques de transmission de
la psychanalyse. La figure dantesque du masochisme est la plus grande
matérialisation de cette impasse cruciale de l'expérience
psychanalytique, ainsi que nous l'a annoncé Freud dans son tragique
testament "Analyse avec fin, analyse sans fin".15
8. Soumission et fidélité
Dans cette perspective, il nous faut souligner la différence
qui existe entre la soumission transférentielle et la fidélité
transférentielle. Ces deux modalités de transfert, dans
l'expérience psychanalytique de transmission, esquissent différents
destins pour le sujet dans sa relation avec l'analyste qui transmet,
son système de filiation et la psychanalyse. Les destins du masochisme,
de la liberté de dire et de penser, ainsi que le fait d'avoir
la possibilité d'inventer dans le champ de la psychanalyse, se
constituent différemment, si nous considérons cette opposition
de possibilités d'expérience du transfert.
Par la soumission transférentielle, le sujet se soumet aux difficultés
et aux désirs de l'analyste qui transmet, même si la théorie
et l'éthique de la psychanalyse s'y oppose de toute évidence.
Le résultat de ce processus est l'identification du sujet avec
la figure de l'analyste et son système de filiation. Le sujet
s'inscrit alors dans une position masochiste, en maintenant intacte
l'omnipotence de l'analyste, qui devient immortel. En contrepartie,
l'omnipotence du sujet devient gigantesque face à l'identification
massive et à la promesse de devenir un analyste. Par conséquent,
la figure de l'analysant se transforme en disciple de l'analyste qui
transmet: tout au long de son existence, il va répéter
irréfutablement les discours du maître, perdant ainsi sa
liberté de dire et de penser.
Dans ce contexte-là, le discours analytique se transforme en
discours du maître et en discours universitaire, si nous voulons
parler comme Lacan16. Ainsi, l'hystéricisation du sujet ne se
développe pas dans l'expérience transférentielle,
car ses possibilités désirantes s'épuisent, de
manière à ce que s'esquissent alors les conditions d'instauration
du masochisme.
En contrepartie, dans le cas de la fidélité transférentielle,
les choses se passent d'une toute autre façon. Dans cette modalité
de transfert, le sujet peut porter des coups mortels à la figure
de l'analyste, de manière à inscrire symboliquement la
castration dans l'espace psychanalytique et à la place de l'analyste.
Ainsi, le sujet peut faire face à l'angoisse et à l'abandon
présents sur la scène analytique en fonction de l'incertitude
qui s'inscrit dans le processus analytique. Or, c'est cela précisément
qui permet au sujet d'agir autrement avec sa tradition théorique
et clinique, assumant une liberté de dire et de penser qui renouvelle
son champ symbolique de filiation. L'invention devient alors possible,
ce qui indique que cette perspective est encore viable dans la tradition
psychanalytique.
Tout semble indiquer que les analyses qui s'avèrent effectivement
productives pour le sujet sont celles qui sont marquées par la
fidélité transférentielle, qu'elles soient de formation
psychanalytique ou pas. Ainsi, la psychanalyse est effectivement transmise,
offrant au sujet l'occasion d'inventer et d'établir une rupture
avec les chaînes mortelles de la répétition. Dans
les analyses qui sont marquées par la soumission transférentielle,
la transmission de la psychanalyse ne se fait pas, de sorte que la stérilité
psychique et le masochisme s'installent.
9. Utopie
Il nous semble que l'uvre de Daniel Kuperman17 est aussi riche
justement parce qu'elle nous permet de relancer, avec acuité
et vivacité, cette problématique qui est encore actuelle
dans le champ psychanalytique. Il s'agit d'une problématique
essentielle car ce sont les destins et l'avenir de la psychanalyse qui
sont en jeu. Cette uvre nous indique clairement comment, tout
au long de l'histoire de la psychanalyse, les impasses liées
au processus de formation psychanalytique se sont constituées
et se sont cristalisées, jusqu'à devenir définitivement
des impossibilités réelles pour la transmission de la
psychanalyse. En outre, elle nous révèle comment la relation
entre l'analyste et l'analysant, marquée par l'asymétrie
sadomasochiste, peut même arriver à se transformer en une
relation de torture. Nous considérons cette idée comme
étant la plus osée de ce travail, qui soustrait les conséquences
justes du bouillon de culture qui nourrit les soi-disant analyses de
formation psychanalytique. Un bouillon de culture sadomasochiste, évidemment,
qui permet tous les abus et toutes les manipulations de l'autre au nom
de fausses vérités de la psychanalyse. En vérité,
ce sont là des stratégies raffinées de pouvoir,
qui stérilisent la psychanalyse en empêchant effectivement
sa transmission, de sorte à barrer l'accès à toute
possibilité d'inventer dans son domaine. L'histoire récente
de la psychanalyse au Brésil nous indique que ce dédoublement
-transformation de l'asymétrie présente dans la relation
sadomasochiste en torture - est possible dans le champ du réel,
et ne constitue pas simplement une métaphore ou une figure de
rhétorique.
Nous pourrions demander, au moment de boucler ce parcours théorique,
si la fidélité transférentielle qui nous avons
énoncée ne serait pas quelque chose de l'ordre de l'utopie,
c'est-à-dire quelque chose qui n'a pas de place possible dans
l'univers du réel, mais seulement dans celui de l'imaginaire.
Cette objection est valable, certes, lorsque l'on peut constater que
ce qui a vraiment été implanté dans le champ psychanalytique,
ce fut l'esclavage transférentiel. Nous n'en sommes pas convaincus.
Au contraire. Il nous semble que la transmission de la psychanalyse
n'a été possible jusqu'à présent qu'en fonction
de la fidélité transférentielle. La production
de nouvelles théories et de nouveaux concepts dans l'histoire
de la psychanalyse n'a été possible que grâce à
la fidélité transférentielle. Le surgissement d'analystes
inventifs, comme Ferenczi, M. Klein, Winnicott, Bion et Lacan ne fut
possible que parce que la fidélité transférentielle
a eu lieu.
Il ne faut pas oublier que la fidélité transférentielle
signifie également qu'il est donné au sujet la possibilité
de rupture et de transgression vis-à-vis des vérités
et des systèmes institués. Ceci implique que le transfert
de travail se produit par le remodelage du travail du transfert, ainsi
que le dit Lacan. Le sujet doit courir le risque de perdre les insignes
de la phallicité et de faire face à l'angoisse de castration
afin de rompre avec les identifications masochistes et de pouvoir assumer
alors la liberté érotique de dire et de penser.
Pour cela, il faut oser expérimenter l'angoisse de l'abandon
et les incertitudes du processus analytique. C'est là l'utopie
que la psychanalyse rend possible dans l'univers du réel, en
accordant au sujet la possibilité de désirer. A part cela,
il n'y a qu'une chose qui est maintenue, c'est le reste de la soumission
transférentielle, une manière facile de gagner sa vie
sans avoir besoin de prendre les risques que celle-ci implique. Cependant,
une chose doit être bien claire : le reste, ici, n'indique pas
l'objet a, l'objet cause du désir de Lacan, mais les ordures,
les déchets, la position antidésirante par excellence,
la mort de la possibilité de désirer du sujet. Par conséquent,
le reste va à la poubelle, comme toujours, ne s'inscrivant donc
pas dans les circuits fascinants du désir et de l'érotisme.
C'est pourquoi le reste "ordure"de la soumission transférentielle
peut nourrir de "belles" carrières psychanalytiques,
accorder de grands pouvoirs institutionnels, mais il ne sert strictement
à rien en ce qui concerne la transmission de la psychanalyse.
Quel soulagement ! Quel bonheur que l'avenir de la psychanalyse ne dépende
pas de ses fonctionnaires et de ses bureaucrates arrivistes ! Mais il
faut reconnaître qu'ils sont assez gênants, car ils empêchent
la libre circulation libidinale et la création. Débarrassons-nous
d'eux au plus vite, pour que nous ne soyons pas étouffés
par les ordures et par le reste, pour que nous puissions continuer à
réaliser l'utopie de l'invention désirante de la psychanalyse.
Notes
1- Lacan, J., L'éthique de la psychanalyse. Le Séminaire.
Livre VII. Paris, Seuil, 1986.
2- Freud, S., "Pulsions et destins des pulsions" (1915 ) .
In: Freud, S., Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968.
3- Freud, S., "La morale sexuelle 'civilisée' et la maladie
nerveuse des temps modernes" (1908). In: Freud, S., La vie sexuelle,
Paris, P.U.F., 1992, p.33-34.
4- Freud, S., Nouvelles conférences d'introduction à la
psychanalyse (1932). Paris, Gallimard, 1984.
5- Ferenczi, S. "Analyse d'enfant avec des adultes". In: Ferenczi,
S., Psychanalyse 4. uvres complètes. Paris, Payot, 1982.
6- Balint, M., "Onthe Psychoanalytic Training System". In:
International Journal of Psychoanalysis. Vol. 20. Londres, 1947; Balint,
M., "Analytic Training and Training Analysis". Idem. Vol.35.
Londres, 1954.
7- Gitelson, M., "Problems of Psycho-analytic Training". In:
Psychoanalytic Quarterly. Vol. 17, n02. New York, 1948; Gitelson, M.,
"Therapeutic Problems in the analysis of the'normal candidate'
". In: International Journal of Psychoanalysis. Vol. 35, Londres,
1954.
8- Nacht, S., "The Difficulties of Didactic Psycho-analysis in
Relation to Therapeutic Psycho- analysis". Idem.
9- Lacan, J., "Situation de la psychanalyse et formation du psychanalyste
en 1956".In: Lacan, J., "Ecrits". Paris, Seuil, 1956;
Lacan, J., "La psychanalyse et son enseignement". Idem. (1957)
10- Voir à ce sujet: Piera Aulagnier, "Sociétés
de psychanalyse et psychanalyse de société". In:
Topique n01. Paris, P.U. F, 1969; Perrier, F., "Sur la psychanalyse
didactique". In: Topique n0 1 et 2. Idem, 1969-1970.
11- Freud, A, "Difficultés survenant sur le chemin de la
psychanalyse" (1968). In: Nouvelle Revue de Psychanalyse, n0 10.
Paris, Gallimard, 1974.
12- Mannoni, O., "Je sais, mais quand même". In: Mannoni,
O ., Clefs pour l'imaginaire ou l'autre scène. Paris, Seuil,
1969.
13- Freud, S., "L'analyse avec fin et l'analyse sans fin"
(1937). In: Freud, S., Résultats, Idées, Problèmes.
Vol. II. Paris, PUF, 1992, p.266-268.
14- Idem. P.267.
15- Idem.
16- Lacan, J., L'envers de la psychanalyse. Le Séminaire. Livre
XVII. Paris, Seuil, 1991.
17- Kuperman, D., Transferências cruzadas. Uma história
da psicanálise e suas instituições. Rio de Janeiro,
Revan, 1996.
Le lien d'origine de cette page se trouve sur le site "Les
états généraux de la psychanalyse, 2001, Archives",
L'INVENTION DÉSIRANTE DE LA PSYCHANALYSE, A propos des impasses
de la transmission de la psychanalyse, Joel BIRMAN.
http://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/archives/texte27.html