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ENFANT, ACTUEL, CRIME CONTRE L'HUMANITÉ...
Face à la guerre, quelle place a l'enfant, à quel  « usage » politique est-il assigné ?
Jean-Jacques MOSCOVITZ

Origine : http://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/archives/texte10.html -

ENFANT, ACTUEL, CRIME CONTRE L'HUMANITÉ...

Un texte à propos de l'inculpation de Mr Milosevic pour crimes de guerre, et crimes contre l'humanité.

L'étonnement, de savoir d'où l'on vient est toujours pierre de scandale : sexuel et amour sont liés par la parole, loin d'avoir dit leur dernier mot .
Mais, en même temps l'enfant serait devenu pierre de scandale de notre actuel, car chacun, enfant ou adulte, plus qu'avant, se retrouve objet pour les autres, ayant de plus en plus de douleur pour savoir qui il est.
N'est il qu'objet de jouissance inhérent au Malaise dans notre civilisation qui, depuis la Shoah, nécessite de se situer autrement face à la vie, à la mort ?
L'enfant, enjeu de jouissances, de meurtres, lui, l'enfant, aujourd'hui, regarde le monde où nous tous sommes pris, et nous crie combien nous nous référons à une scène sociale géopolitique, planétaire fondée sur l'affrontement sourd, souterrain, et pourtant décisif, entre crime contre l'humain et action humanitaire. Entre ses tueurs, et un statut de victime à quoi tout l'assigne, l'enfant ne serait qu'objet.

Oui, l'enfant, victime de l'histoire du XXème siècle, comment nous questionne-t-il  ?
Deux hommes, nous demande un petit apologue, (des frères, un père et son fils, un homme et une femme, un enfant et un adulte) se retrouvent perdus dans le désert, loin de toute civilisation, avec très peu d'eau, qui des deux doit survivre ? N'excluant en rien l'esprit de sacrifice ni la générosité, celui à qui appartient la gourde, est-il répondu. Car, ainsi, au moins un des deux survivra-t-il. (Ce commentaire talmudique permet de se situer face à cette terrible question : la honte des survivants des camps nazis).
Oui, il n'existe pas de hiérarchie de la vie qui tienne au point que telle vie vaudrait plus que celle d'un autre parce qu'il est ou plus jeune, ou plus vieux, ou plus important pour les siens etc.
Plus généralement, aucun eugénisme qui ne soit déjà orienté vers la domination stricto sensu de certains sur tous les autres. Oui, en tant qu'il s'agit pour chacun, de son être, sa vie est singulière. Pas que biologique. Toute tentative « eugéniste », est totalisante, donc politiquement dangereuse : contre l'ouverture subjective de la singularité de l'être parlant. La parole ne peut que devenir alors instrument pour dominer ou pour être dominé.

Maître ou esclave.

Seule issue politique tenable, celle qui sera susceptible de ne pas effacer cette dimension de sujet. Celle que promeut la psychanalyse qui, depuis Freud, a fait sortir le vivant d'une origine uniquement biologique et prônée depuis deux siècles. Avec l'inconscient, il est montré que l'humain sexué parlant se présente comme radicalement non assignable à une place qui soit scientifiquement finie/finale.
Karadjic, psychiatre et tyran en Serbie bosniaque, et Svobodan Milosevic, qui vient d'être enfin inculpé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, nous montrent combien tuer en masse nie/négationne avant même le crime, cette dimension radicalement non finie de l'humain.
C'est qu'il existe cette métaphore de la vie qui littéralement porte l'humain plus loin que lui-même.
« Tous les hommes naissent et demeurent égaux en dignité et en droit  », est-il écrit dans la « Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen  » de 1948, inscrivant, après la Déclaration de 1789, l'atteinte de l'humain depuis les camps nazis. Mais aucun de ses trente articles ce n'est pas de fait, leur rôle - ne peut dire ce non assignable, ni même leur ensemble pris en tant que tel. Ni aucun autre article en plus.
S'en rapprocherait ce qu'avance André Frossard, à propos du Crime contre l'humanité, lors du Procès de Klaus Barbie : « tuer quelqu'un pour la seule raison qu'il est né ».

Certes, oui, si de la dire ainsi n'évoquait encore le biologique, celui de la naissance. Qu'il aurait suffit de cette seule raison que les enfants d'Yzieu soient nés pour que des assassins les déportent et les exterminent, n'est-ce pas déjà sans le savoir soi-même, quelque peu acquiescer à une sorte de langage de l'ennemi ?
Non : que des peuples soient attaqués, juifs exterminés dans la chambre à gaz, ainsi que les tziganes ; génocides des arméniens, tibétains, cambodgiens, rwandais ; épurations ethniques des bosniaques, des kossovars : ce n'est pas parce qu'ils sont simplement nés, voire même inscrits déjà avant leur naissance dans telle filiation, telle histoire, mais parce que des assassins exterminent, des criminels torturent, déportent, tuent...
Et donc négationnent le sexuel, la rencontre d'un corps avec un autre corps, comme lien à l'origine du vivant en tant que singularité unique au monde, en la faisant équivaloir à l'identité collective de tout un peuple, pris dans sa globalité. En la concrétisant dans une entité à exclure de l'humanité.
Je dis que cela a un lien très étroit avec ceci : chacun de nous, pris à sa façon par le merveilleux et l'angélique de la vie qui arrive, percevrait coûte que coûte qu'être né, ce ne peut être que pur, hors origine sexuée. Comme si, radicalement, naissance et sexuel n'étaient pas noués. Pas encore. Et ne le seraient que pour l'adulte. Qui alors attaque l'enfant pour ne pas savoir. Adulte, qui, lui, uniquement par hasard aurait eu le malheur d'être né juif, tzigane, arménien, cambodgien, thibétain, bosniaque, rwandais, kossovar...
Invoquer le hasard, le martyrologue quel qu'il soit, tout comme prôner le biopolitique dans sa concrétisation, séparée d'un cheveu de la purification ethnique, sont dénégation, effacement de la filiation symbolique parents/enfants. C'est ainsi peut-être que, nous, gens normaux, ne pouvons plus savoir combien alors  tout est possible ».

Destruction de l'Histoire
.

L'enfant, victime de, par, dans l'histoire, signifie que cette destruction est rupture de l'Histoire. Rupture qui prend l'enfant pour cible première, par l'amalgame, l'effraction de trois espaces entre eux : l'Histoire, la grande, politique ; avec une plus petite, celle de la famille, qui est mémoire individuelle et déjà collective ; et, avec, troisième lieu d'histoire, celui-là intime, très intime, propre à cette dimension du sujet, c'est la mémoire inconsciente, faite de traces privées, uniques pour chacun de nous.
L'attaque de l'histoire de l'humanité, dans le siècle, rend difficile de penser l'actualité en train de se produire devant nous : enfants, adultes, femmes, hommes. Elle fracture l'étanchéité entre ces trois lieux qui lient, mélangent mémoire et histoire pour faire prévaloir l'identitaire, l'identique et avoir prise sur le singulier d'une vie humaine parmi d'autres.
Une parmi toutes les autres, soutenue de ce qui porte l'humain plus loin, lieu d'une métaphore vitale singulière à chacun d'entre nous.
D'où la nécessité d'évoquer une mémoire freudienne et une mémoire citoyenne. L'une désormais soutient l'autre : peu de chance à l'inconscient, à l'intime d'une parole, de la parole, si les Droits de la dignité humaine sont bafoués sans punition, sans limite à donner aux fantasmes de destruction, qui, alors, se réalisent en actes. Spoliations en tous genres, - viols, extractions forcées du sang etc. - déportations, exécutions, épurations de civils sans défense.

Parce que sans défense.

Victimes pour tueurs en état de marche pour tuer. Aujourd'hui, depuis 1992, en ex-Yougoslavie, et demain ailleurs...Peu de chance non plus pour la vie sociale, pour la mémoire citoyenne, si les mots ne peuvent plus dire le vie du désir, de l'amour, du lien , de la solitude, du fait que l'autre, chacun, chacune soit devenus objet à ce point.
Pas d'autre, pas d'homme si pas de Droit, de parole commune.
Et lier victime/enfant, enfant/victime n'est pas si innocent qu'il paraît. Cela nous sécurise sur nos bonnes intentions, mais aussi contre notre tendance naturelle à ériger quelque race enfant si propre à notre goût pour le bio pouvoir, et à la victoire du bio politique . Qui, eux, sont si prégnants sur notre image de l'enfant, que cet enfant d'aujourd'hui est mis en équivalence avec cette métaphore vitale elle-même au point d'en faire un usage dévoyée, concret.

Planétaire : ici, en Occident, le clonisme humain reproducteur en voie de réalisation bio politique et d'être immortel enfin ; là-bas l'épuration ethnique pour s'assurer de l'éternité d'une culture, celle du panslavisme...
Non, une telle métaphore vitale, porteuse d'une transcendance si nécessaire à l'humain, ne peut être que subjective, ce qui signifie qu'elle n'a pas d'âge. Voilà déjà ce qui en fait la différence avec l'enfant lui-même, et surtout elle est un effet singulier de la parole sur un sujet, tandis que l'usage social, très social, politique de l'enfant en masque cet effet lui-même.
L'enfant, dans les médias, devient ainsi l'étalon de la mauvaise ou de la bonne conduite éthique, mesure du dire vrai sur le réel. Le 2 avril 1999, lors d'une frappe de l'Otan sur Belgrade, le message des médias fut de se féliciter que soient  « épargnés »(sic) les bébés d'une crèche toute proche de la cible bombardée...Où l'usage de la violence à enfants, cette fois évitée, laissera l'adulte non sans quelque regret de jouissance qui, là, n'aura pas eu lieu, avec ces images de bébés, eux bien vivants. Que ce fut suivi d'autres « dommages collatéraux » de l'Otan, ne change rien à notre enjeu, ici.
Car, ces bébés, s'ils étaient morts sous les bombes, la caméra, soyons en sûrs, en aurait tout autant cadré les cadavres. Notre œil sait rester tout oublieux pour ne pas penser un monde où ça vit encore du coté de la vie...
Ainsi à poser l'enfant équivalent à la définition de la vie, à cette métaphore vitale, qu'en faire usage est il quasi inévitable au point de le mettre en place d'objet, de cette  « victimarisation » produite par nos systèmes de consommation, de  « marchandisation  » de la vie. Ce dont il est, pour lui et chacun de nous, très difficile de sortir désormais.

Pourvu que le TPIY, créé en 1993 pour les crimes commis en ex-Yougoslavie, soit enfin le lieu d'une justice internationale, non soumise au politique et qui tienne compte d'un certaine ignorance voulue de l'impact du biopolitique dans nos démocraties. Une telle ignorance, semble-t-il, serait beaucoup plus liée à notre mode de concevoir la vie, l'origine du vivant qu'à des raisons strictement géopolitiques . Sinon comment comprendre d'avoir attendu plusieurs années, et une épuration ethnique au Kosovo, avant la mise en œuvre d'une telle inculpation, alors même que tout permettait de savoir ce que fomentait le chef de l'Etat de Serbie.