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Origine :
http://www.univ-lille3.fr/set/col/LeBlanc.html
1. L'hypothèse du biopouvoir est une hypothèse fort
tardive dans le travail de Foucault. Elle est formulée pour
la première fois dans le dernier cours de 1976, le cours du
17 mars et est reprise ensuite dans le dernier chapitre de La volonté
de savoir, datée d'octobre 1976. Ces deux versions que nous
allons analyser ne disent pas exactement la même chose mais
toutes deux s'accordent pour situer à côté de
la souveraineté et du disciplinaire un troisième type
de pouvoir, la biopolitique. Il est frappant de constater en effet
que dans certains entretiens de 1975 ou même dans le cours du
14 janvier 1976, aucune mention n'est faite à ce dernier type
de pouvoir et que les choses sont présentées dans le
tête-à-tête de la souveraineté et de la
discipline. Quand il envisage les luttes contre le pouvoir disciplinaire,
il signale que l'ancien droit de la souveraineté ne peut être
d'aucune utilité et qu'un nouveau droit doit voir le jour,
anti-disciplinaire tout autant qu'affranchi de la souveraineté
sans être en mesure de nommer de droit ou seulement de l'imaginer
(cours du 10 janvier 1976). Il est même encore plus frappant
de constater combien la société disciplinaire est confondue
avec la société de normalisation. C'est ainsi que dans
une radioscopie du 10 mars 1975 (un an donc avant l'irruption de la
notion de biopouvoir), Foucault peut affirmer que les pouvoirs actuels
sont liés au pouvoir de la normalisation alors même que
les techniques de normalisation sont comprises sur le seul mode des
disciplines (l'institution pénale, les ateliers, les usines,
les administrations), la normalisation étant alors logiquement
confondue avec l'assujettissement (p. 793 tome II DE). De même,
dans le cours du 14 janvier 1976. Foucault note, p. 34-35 que les
techniques et les discours de la discipline qui envahissent le droit
désignent, je cite, une "société de normalisation".
Cette impossibilité de prendre en charge le biopouvoir s'explique
sûrement par une certaine négligence accordée
au thème de l'Etat ou plus exactement un contournement du thème
de l'Etat. Soit parce que la réalité spécifique
de l'Etat se découpe dans les vêtements du Souverain
et qu'ainsi considéré dans les limites de la souveraineté
l'Etat est globalement disqualifié puisque débordé
par le champ du disciplinaire dont il constitue d'ailleurs un élément,
offrant un point de passage de la souveraineté à la
discipline par l'appareil de police et le thème de la raison
d'état qui correspondent à la dimension décrite
par Foucault dans Surveiller et punir de l'Etatisation de la discipline.
L'Etat est soit un instrument aux mains d'un souverain, soit une dimension
de la discipline mais il n'a pas à proprement parler de réalité
propre. Plus exactement, sa réalité propre il ne peut
pas la faire jouer pour lui-même. D'où le reproche qui
lui est souvent fait de négliger, en étudiant les micro-pouvoirs,
l'appareil d'Etat. Voir sur ce point un entretien intitulé
"Pouvoir et corps" de septembre 1975 (DE III, pp. 757-758).
Parce que Foucault refuse, pour des raisons théoriques mais
surtout pratiques de luttes, de localiser le pouvoir dans l'appareil
d'Etat, il en résulte que le discours d'Etat tend à
être maintenu dans les limites de la fonction de la souveraineté,
luttant contre son débordement par les pouvoirs disciplinaires.
Ce n'est donc pas un hasard si l'irruption du biopouvoir est pensée
directement en référence à l'Etat (réponse
de Foucault à ceux qui lui reprochaient de minorer, dans ses
analyses et dans ses luttes, le thème de l'Etat). Foucault
démarre son cours du 17 mars 1976 par une définition
du biopouvoir qui est la "prise en compte de la vie par le pouvoir"
considérée, je cite, comme "une étatisation
du biologique" (p. 213).
Ce qui est pensé avec le biopouvoir, c'est donc désormais
quelque chose comme un pouvoir propre de l'Etat qui ne joue le jeu
d'aucun autre pouvoir, du moins directement. En un sens, il est donc
vrai de dire que Foucault découvre tardivement que si la politique
n'épuise pas la discipline puisqu'elle est à la fois
ce qui, jusqu'à un certain point, masque le jeu disciplinaire,
jusqu'à un autre point s'intègre dans le disciplinaire,
on peut dire en retour que la discipline n'épuise pas le problème
politique. Le pouvoir disciplinaire constitue des individus en les
assujettissant. Il individualise tout autant qu'il homogénéise
: il crée des corps individués en même temps qu'il
élabore un corps social. Or précisément ce corps
social ne peut exister dans le seul jeu de la discipline. Si la discipline
fait être les individus dans un corps social, elle ne peut faire
être le corps social. Que lui manque-t-il? Un ensemble de règles
touchant non aux corps à individuer mais au corps social lui-même.
Le biopouvoir répond aux insuffisances de la discipline et
ce-faisant en limite la fonction. Il répond aux insuffisances
de la discipline à réguler le corps social qui est pourtant
l'horizon de la discipline, horizon puisque la discipline, en homogénéisant,
rend littéralement possible quelque chose comme un corps social,
horizon que la discipline ne peut faire vivre par elle-même
en raison même de son caractère fortement individualisant.
Précisément, la discipline n'homogénéise
que dans les limites de l'individualisation. La discipline d'atelier
n'homogénéise une population ouvrière, par des
règlements, des sanctions aux manquements du règlement,
des surveillances de chaque partie de l'atelier, que dans les limites
d'une individualisation à construire toujours plu. Si dans
un premier temps la surveillance des gestes de l'ouvrier suffit, dans
un second temps, il s'agira dans un second temps de traquer les temps
de repos, de veiller à ce qu'il ne divertisse pas trop d'autres
ouvriers au moment des pauses, qu'il n'agite pas trop la conscience
ouvrière à l'heure de la vie après le travail,
de cerner par des renseignements généraux, les pensées
de l'ouvrier... A l'âge de la discipline, on n'individualise
jamais assez les comportements ouvriers, scolaires... Les institutions
disciplinaires ne peuvent homogénéiser que dans les
limites du microscopique. Ce qui fait dire à Foucault que la
discipline est infinitésimale. La misère non de Pascal
malis de la discipline (qui est une misère donc toute relative)
: la discipline, perdue dans l'infiniment petit, ne peut rejoindre
l'infiniment grand du corps social. La limite de la discipline vient
de ce qu'elle s'adresse toujours à quelqu'un.
Comment inventer des règles qui ne s'adresseraient à
personne et donc à tout le monde à la fois, c'est précisément
la tâche du biopouvoir. Le biopouvoir achève de ce point
de vue le processus de normalisation de la discipline. A la norme
disciplinaire toujours adressée à quelqu'un, toujours
prête à rendre ses services à un pauvre individu
ordinaire ou infâme s'associe la norme biopolitique qui s'exerce
sur un ensemble d'individus. La discipline fait prévaloir le
règne de l'un tandis que la biopolitique met en avant le règne
du multiple. De ce point de vue la biopolitique fait apparaître
trois nouveautés dans l'ordre des pouvoirs ; une nouveauté
d'objet : la population plutôt que les individus, la masse organisée
selon certaines règles plutôt que les individus à
régler. Cf 17 mars 1976 : "Les disciplines avaient affaire
à l'individu et à son corps... La biopolitique a affaire
à la population" (p. 218). Cette notion de population
ne peut être comprise que par référence à
la seconde nouveauté introduite par Foucault, une nouveauté
de sujet : si le sujet de la discipline est la production (Foucault
le note à plusieurs reprises), le sujet de la biopolitique
est la vie, la vie qu'il s'agit désormais de faire croître
sous toutes ses formes par une détection-prévention-correction
des maladies qui la caractérisent cf 17 mars 1976, p. 219-220
: "Il ne s'agit absolument pas de se brancher (terme important
car il renvoie à la production : extirper un travail du corps)
sur le corps individuel comme le fait la discipline... [Il s'agit]
de prendre en compte la vie, les processus biologiques de l'homme-espèce";
une nouveauté dans la manière d'exercer le pouvoir :
l'Etat comme réalité de pouvoir spécifique en
tant qu'il ne discipline pas une population mais la régularise.
Les normes de régularisation sont produites par le pouvoir
de l'Etat : "la bio-régulation par l'Etat" écrit
Foucault p. 223 du Cours du 17 mars 1976.
En quoi consiste cette régulation? Elle consiste pour l'Etat,
directement, par un certain nombre de fonctions qui lui sont propres
(qui renvoient par exemple à un ministère de la santé
ou de la famille), indirectement par des institutions qui en dépendent
(institutions médicales, caisses de secours, assurances) à
veiller à l'ensemble des phénomènes vitaux qui
concernent une population sur un territoire qu'il gouverne, ceci sous
une double forme d'un savoir des phénomènes vitaux qui
affectent une population (enquêtes démographiques, observation
régulière des types de maladies en fonction des types
de populations, étude des phénomènes de fécondité,
de longévité, de mortalité) et d'un pouvoir d'intervention
sur les phénomènes vitaux par des mesures incitatives
(politique familiale, aide au troisième enfant lorsque la proportion
des naissances et des décès n'est plus correcte, correctives
(mise en place d'une couverture-maladie...), préventives (par
exemple avec l'instauration de l'hygiène publique).
Plusieurs constatations s'imposent dès lors à propos
du biopouvoir.
Première constatation :
les normes de régulation de la vie introduisent dans le pouvoir
un souci de sécurité. Ce qui caractérise en effet
l'ensemble de ces normes mises sur pied tout d'abord dans des savoirs
particuliers (démographiques) et objets ensuite d'une politique
(essentiellement d'allure médicale) qui veille à leur
bon déroulement, c'est qu'il a en souci la sécurité
d'une population identifiée comme telle. La gouvernementalité
trouve là sa naissance réelle.
Seconde constatation :
le biopouvoir va aux racines du disciplinaire. Retour rapide aux disciplines.
Toutes les disciplines n'existent qu'en tant qu'elles intensifient
les productions, les comportements qui puisent dans les forces corporelles.
Le biopouvoir, en s'intéressant à cette force, avant
qu'elle ne s'individualise, ou plutôt en dehors de son mouvement
d'individualisation, dénoue le drame de la discipline qui est
l'exténuation, la fatigue, la mort. Il n'est pas absurde de
penser que le biopouvoir, en cherchant à valoriser la vie,
renforce le disciplinaire en écartant au maximum le péril
de la mort du jeu disciplinaire. Le biopouvoir n'est pas l'autre de
la discipline à l'âge des normes. C'est plutôt
ce qui va chercher dans la discipline ce qui risque sans arrêt
de mettre en péril la discipline elle-même, la fragilité
ou précarité de la vie, la mortalité de la vie,
pour retourner la vie en valeur positive. (La vie est peut-être
alors le vrai sujet de la discipline comme du biopouvoir, ce que Foucault
découvrirait dans La volonté de savoir). Le biopouvoir
ne menace pas la discipline. Il la préserve en la rendant possible.
Il vaut en quelque sorte comme une archéologie des limites
de la discipline (la mort) par une prise en compte des phénomènes
propres à la vie.
Troisième constatation (qui en résulte).
D'où l'importance du pouvoir médical dans le débordement
du pouvoir disciplinaire et le passage au biopouvoir. Le pouvoir médical
assure la jonction entre le pouvoir disciplinaire et le biopouvoir.
En prenant en charge la vie sous ses grandes tendances, la médecine
s'intéresse à la limite même de la discipline
qui est non la production suscitée par la force mais la production
empêchée par la faiblesse de la force. Le pouvoir médical,
en faisant de la vie sa préoccupation, fait régresser
la limite même de la discipline (elle rend possible le "toujours
plus de discipline" tout autant qu'elle déplace l'analyse
des corps individués au corps collectif. Ce n'est pas, on le
voit clairement, n'importe quelle médecine qui opère
cette fonction. Il ne s'agit pas de la clinique dont la valeur n'a
de sens qu'à l'intérieur du fameux colloque singulier
(clinique sur laquelle Foucault se montre extrêmement réservé
-nouvelle différence avec Canguilhem- mais d'une médecine
collective, d'Etat, attentive aux régularités des populations,
aux fréquences statistiques des maladies dans des groupes de
populations identifiés au préalable. La médecine,
d'où son exemplarité, en tant que pouvoir, concentre
en son jeu, les trois thèmes de la vie, de la population et
de l'Etat. C'est à partir d'elle que peut être formulé
l'impératif biopolitique qui renverse l'ancien droit de la
souveraineté, non plus laisser vivre et faire mourir mais faire
vivre et laisser mourir.
Au droit de glaive déposé dans les mains du souverain
se substitue le droit à la vie codifié par la médecine.
Les phénomènes nouveaux de l'étude de la natalité,
du problème de la morbidité, de la durée des
maladies, de leur forme, non plus au niveau individuel d'une naissance
de la clinique mais au niveau collectif d'une population "amènent
la mise en place d'une médecine" (17 mars 1976, p. 217).
La médicalisation de la population devient le fait d'une politique
de l'Etat dont le souci majeur est la vie. D'où l'importance
que revêtent pour un lecteur de Foucault désireux de
reconstruire l'archéologie du biopouvoir les conférences
brésiliennes de 1974 sur la médecine. J'irai assez vite
cependant (faute de temps). Je me contente de les citer, de vous y
renvoyer et d'indiquer leurs directions respectives. Elles se trouvent
dans le tome III des DE. Il s'agit respectivement de "Crise de
la médecine ou crise de l'antimédecine?" prononcée
en octobre 1974 et publiée en janvier-avril 1976 (pp. 40-57);
"La naissance de la médecine sociale", prononcée
en octobre 1974, publiée en janvier-avril 1977 (pp. 207-228);
"L'incorporation de l'hôpital dans la technologie moderne",
prononcée en octobre 1974, publiée en mai-août
1978 (pp. 508-521)
Dans la première conférence "Crise de la médecine
ou crise de l'antimédecine", il s'agit de partir d'une
double situation; situation interne à la pratique médicale
: situation de crise dans laquelle la médecine est débordée
par une certaine antimédecine; situation politique : l'élaboration
en 1942 en Grande-Bretagne du plan Beveridge, point de départ
d'une nouvelle organisation de la santé aux lendemains de la
guerre dans beaucoup de pays. Foucault interprète le plan Beveridge
comme l'indice, en période de guerre, donc de mort, de la formulation
d'un droit à la santé comme bon critère d'un
droit à la vie. "A un moment où la guerre causait
de grandes destructions, une société prenait en charge
la tâche explicite de garantir à ses membres non seulement
la vie mais aussi la vie en bonne santé" (p. 40). Plusieurs
éléments sont à prendre en compte dans la formulation
d'un tel droit à la santé. Tout d'abord, au niveau juridique,
il importe de comprendre que le droit à la santé est
une affaire d'Etat, ceci non parce que les sujets pourraient mieux
servir l'Etat en bonne santé que parce que l'Etat s'engage
à mieux servir des sujets en prenant en charge les problèmes
de santé. Ensuite, à un niveau moral, le droit à
la santé devient symétriquement un droit à pouvoir
être malade dont la conséquence directe est une acceptation
de l'interruption de travail. D'autre part au niveau économique
cette fois, les dépenses attenantes à la santé
ne sont plus le seul fait de pensions ou d'assurances privées
mais occupent une place majeure dans les dépenses de l'Etat.
Enfin au niveau politique, la santé devient un enjeu de positionnement
des partis politiques. Foucault, au fond, ne formule rien d'autre
que l'émergence du biopouvoir.
Certes la médecine se formule également dans le registre
disciplinaire. C'est que le droit à la santé continue
pour Foucault à formuler un droit, une politique, une morale
et une économie du corps, ce que Foucault désigne sous
le terme de "somatocratie". Le soin des corps par l'Etat
prolonge, de ce point de vue, la discipline des corps décrite
en 1974 par Foucault (p. 43). Mais en même temps la médecine
fait tout autre chose. Ceci non pas tant parce qu'elle est au bout
du compte une 'activité socialisée s'élaborant
en dehors du mythe clinique du rapport singulier, ce qui est le cas
dès le décollage de la médecine au 18ème
siècle. La médecine en effet, ne se contente pas de
soigner. Elle tue, non par ignorance note Foucault mais par savoir.
Les prises de médicaments, les opérations chirurgicales
font entrer l'individu dans l'ère du "risque :médical"
(p. 46). Or le risque médical est l'objet d'un double calcul,
calcul des rapports entre les effets positifs et négatifs de
la médecine, calcul également des coûts d'une
politique médicale comme affaire d'un Etat qui fait entrer
la médecine dans l'ère de la transformation. En effet,
le risque médical ne se liimite pas au seul individu qui croise
(mauvaises fréquentations) la médecine. Le risque médical
ne concerne pas seulement l'individu à soigner. Il s'étend
désormais à toute une population en fonction des techniques
médicales modernes par la capacité qu'elles ont de modifier
la structure génétique des cellules...Par la médecine,
l'individu devient l'élément d'une population dont l'unité
provient de l'ensemble des risques que fait peser sur elle la médecine.
En ce sens, la médecine construit la population comme son objet
d'application privilégié, ceci non pour améliorer
nécessairement le sort des individus qui forment cette population
mais plutôt pour mieux prendre en compte les événements
de la vie. "Le médecin et le biologiste ne travaillent
plus dorénavant au niveau de l'individu et de sa descendance
mais commencent à le faire au niveau de la vie elle-même
et de ses événements fondamentaux".
Ce n'est plus l'individu mais la vie qui est le sujet de la médecine,
l'individu étant seulement le point de rencontre de la vie,
de la médecine et du risque médical dans une visée
qui est proprement politique et qui culmine dans ce que Foucault appelle
"le phénomène de la médicalisation indéfinie"
(p. 48). Ce qui caractérise la médicalisation, c'est
la généralisation du risque médical jusque dans
des domaines non médicaux. C'est lorsque l'autorité
médicale ne fonctionne plus seulement comme autorité
de savoir mais autorité sociale dans des décisions relatives
à une ville, un quartier, c'est lorsque parallèlement
à cette extension de l'autorité sociale de la médecine
des domaines distincts de la médecine sont désormais
l'objet de la médecine, l'air, l'eau, les constructions, les
terrains, les égouts... qu('il y a à proprement parler
médicalisation de la société. La médicalisation
de la société est le signe que nous sommes désormais
dans ce que Foucault nomme "la biohistoire" (p. 48). La
biohistoire désigne trois traits caractéristiques.
1/ Elle indique tout d'abord que l'histoire de l'homme et l'histoire
de la vie sont, en l'homme, identifiées au point que des phénomènes
vitaux (maladie, vieillesse...) sont déterminants dans la compréhension
de l'espèce humaines mais au point également qu'en retour
les événements vitaux (génome...) peuvent être
eux-mêmes transformés par des artifices humains.
2/ Elle indique ensuite que l'activité politique se conçoit
comme une activité médicale. Foucault parle de nos Etats
comme des "Etats médicaux ouverts" dans lesquels
la médicalisation est sans limites"(p. 53). Dans ce contexte,
les dangers dans une société sont identifiés
à des pathologies particulières qu'une expertise doit
pouvoir identifier ou elle doit pouvoir nous prévenir. "La
prépondérance conférée à la pathologie
devient une forme générale de régulation de la
société. La médecine n'a plus aujourd'hui de
champ extérieur" (p. 53).
3/ Enfin la biohistoire est l’accompagnement politique à
la transformation de la société d'un système
de lois à un système de normes. De même que les
juristes accompagnèrent la formation d'une société
de lois, de la même façon les médecins accompagnent
la formation d'un système de la normalité reposant sur
la distinction du normal et de l'anormal.
La seconde conférence souligne la médicalisation de
la société par l'exemple précis du développement
de la médecine sociale en lieu et place de la médecine
individuelle. La médecine devient dans ce registre une stratégie
"biopolitique" qui s'adresse au corps comme réalité
biologique : passage de la biohistoire à la biopolitique. La
troisième conférence, enfin, s'attache à isoler,
dans la médicalisation de la société comme signe
d'une biopolitique faisant que l'Etat se constitue à travers
la question de la médecine, la formation de l'hôpital
comme instrument thérapeutique. La médicalisation de
la société correspond à une médicalisation
de l'hôpital dont les fonctions extra-thérapeutiques
(assistance aux pauvres...) disparaissent peu à peu. Ce dernier
texte est surtout remarquable en ce qui nous concerne car il précise
le rapport du médical au disciplinaire sous l'aspect particulier
de l'hôpital. Après avoir rappelé d'une part que
les fonctions de la discipline sont une nouvelle manière au
XVIIIe siècle "de gouverner l'homme"(p. 515) grâce
à un meilleur contrôle des activités de l'homme,
après avoir rappelé d'autre part que la discipline suppose
un art de la répartition spatiale des individus, exerce son
contrôle sur le développement d'une action plus que sur
le résultat, est une technique de pouvoir qui implique une
surveillance constante des individus ainsi que des informations permanentes
sur les individus, Foucault note que la médicalisation de l'hôpital
passe par l'introduction des mécanismes disciplinaires dans
l'institution hospitalière. Dans cette perspective, et c'est
peut-être le point le plus étonnant pour nous, la biopolitique
à partir de laquelle la médicalisation prend sens, reste
en 1974 dans les limites du pouvoir disciplinaire. Plus exactement
la biopolitique, c'est une certaine manière de gouverner à
l'intérieur de la discipline.
Si la médicalisation de la société se fait, par
l'hôpital, dans un premier temps dans les limites d'une institution
disciplinaire, cette médicalisation dans un second temps en
vient, à côté d'une médecine qui est une
médecine à la fois de l'individu et de la population
(p. 521), à s'affirmer dans des savoirs-pouvoirs portant sur
la population dans son ensemble. La médicalisation de la société,
si elle commence dans la médecine de la guérison, s'accomplit
dans la médecine de la prévention. Tel est en un sens
la signification des deux versions du biopouvoir de '"Il faut
défendre la société" et de La volonté
de savoir en laquelle se joue l'idée même de la gouvernementalité.
2/ Les deux versions du bio-pouvoir
1. Les deux versions du biopouvoir ne disent pas la même
chose. Les embarras respectifs des deux textes sont intéressants
pour mieux comprendre l'introduction de la notion de gouvernementalité.
1. Dans le Cours du 17 mars 1976 :
- Le biopouvoir est pensé comme pouvoir de l'Etat : "étatisation
du biologique" (p. 213) et cette forme politique de l'Etat
est opposée à celle de la Souveraineté. Il
s'agit de penser la biopolitique contre la souveraineté à
partir du présupposé commun d'un rôle nouveau
de l'Etat non plus à partir de la volonté du Souverain
incarnée par le droit de glaive qui implique une dissymétrie
entre la mort et la vie au profit de la mort mais à partir
d'un ensemble de règles qui ont pour but de valoriser la
vie.
- L'explication du passage au bio-pouvoir se fait à partir
des insuffisances du pouvoir souverain. Le droit de souveraineté
est complété p. 212 par un nouveau droit alors même
que ce nouveau droit renvoie à un type de technologies étranger
au pouvoir du souverain. Le débat commence sur un plan théorique
entre la souveraineté et la biopolitique alors même
qu'il se poursuit sur un plan pratique entre la technologie disciplinaire
et la technologie biopolitique. Le passage du plan théorique
au plan pratique ne fait que rappeler que la technologie disciplinaire
n'épuise pas l'ensemble des technologies dans la seconde
moitié du 18ème siècle. Au bout du compte,
l'entrelacement de la souveraineté, de la discipline et du
biopouvoir est énigmatique. Cette énigme trouve une
explication p. 222. C'est parce que la souveraineté aurait
été incapable de résoudre les problèmes
économiques et politiques de la société préindustrielle
qu'elle aurait cédé la place à deux types de
technologies qui ont permis de contrôler l'individu et l'ensemble,
la discipline et le biopouvoir.
En fait, la discipline serait venue résoudre les apories
de la souveraineté et le biopoouvoir serait venu résoudre
les apories de la discipline. La discipline est suscitée
par une impossibilité de la souveraineté. Idem pour
le bopouvoir à l'égard de la discipline. Comment se
conçoit cette impossibilité? Comme un déficit
dans chaque pouvoir à rendre raison de l'ensemble du réel.
L'impossibilité d'un pouvoir s'obtient par une soustraction
aux pratiques du pouvoir de la part de réel qui lui échappe.
L'impossibilité de la souveraineté c'est l'individu
comme l'impossibilité de la discipline c'est la population.
Un tel schéma suppose une théorie de l'expansion du
pouvoir comme phénomène normal du pouvoir. Ce que
Foucault traduit sous le terme d' "accommodation" : il
s'agit d'accommoder des mécanismes à des éléments
qui jusqu'à présent échappaient au pouvoir.
Cette explication a deux avantages évidents ; 1/elle permet
de resserrer le sens de la discipline désormais pensée
à partir d'une institution en laquelle elle s'exerce (voir
haut p. 223). Alors que Surveiller et punir plaidait pour un sens
désinstitutionnalisé de la discipline au risque d'en
dissoudre la signification exacte (c'est le fameux passage de la
discipline-blocus à la discipline ouverte qui sort de lieux
précis pour s'exercer de manière souple, en essaimant
dans l'ensemble de la société), la dernière
leçon rabat la discipline sur une institution à la
manière du sociologue Castel dans son livre sur la psychanalyse.
2/elle permet de redonner un sens à l'Etat dans l'ensemble
des pouvoirs que radicalisera la notion de gouvernementalité.
Le pouvoir d'état n'est plus quelconque. Il joue désormais
un rôle à la fois central et particulier dans les tactiques
des pouvoirs, sur un tout autre registre cependant que le pouvoir
d'Etat d'un Souverain dont on ne voit plus trop, du coup, en quoi
il est lié à l'Etat praticien du bio-pouvoir. Là
est peut-être la principale faiblesse dans l'exacte signification
que la Souveraineté peut revêtir aujourd'hui. Si le
pouvoir du souverain a été débordé,
en deçà et au-delà, faut-il dire qu'il n'est
plus qu'un accompagnement idéologique des deux autres formes
de pouvoirs. Si tel était le cas, on ne voit pas comment
ou par quelles procédures exactes le pouvoir du Souverain
a cessé de devenir une chose réelle pour devenir un
élément idéologique dans une configuration
matérielle de pouvoirs.
2/ Le dernier chapitre de La volonté de savoir me semble
repartir d'une double difficulté dans le dernier cours de
1976. La première difficulté a trait à la notion
de vie. Dans la séance du 12 mars 1976, la vie joue à
un double niveau : elle est d'abord l'élément à
partir duquel un contrat peut se formuler à l'origine d'un
souverain. 2/ Elle est ensuite ce sur quoi se dirigent les techniques
du biopouvoir. Or la vie à l'origine de la souveraineté
n'est jamais analysée car elle se situe à un niveau
seulement de philosophie politique dont il convient de se déprendre
au niveau d'une analyse des mécanismes réels de pouvoir.
Or par un étrange glissement, la vie comme élément
à l'origine du contrat n'est plus repensée dans la
volonté de savoir. En revanche, la vie fait retour dans les
disciplines. C'est ainsi que le "pouvoir sur la vie s'est développé
depuis le 17ème siècle sous deux formes principales"
(VS, p. 182). Les disciplines qui portent sur le corps sont désormais
pensées à l'intérieur d'un pouvoir plus général
sur la vie (VS, p. 183) "Les disciplines du corps et les régulations
de la population constituent les deux pôles autour desquels
s'est déployée l'organisation du pouvoir sur la vie"(VS,
p. 283).
Par un renversement stupéfiant par rapport à 1974
où c'était le biopouvoir qui était pensé
dans les limites de la discipline, la discipline est repensée
dans les limites du biopouvoir. La discipline, élément
du biopouvoir face à l'unique souveraineté : "La
mise en place au cours de l'âge classique de cette grande
technologie à double face, anatomique et biologique, individualisante
et spécifiante, tournée vers les performances du corps
et regardant vers les processus de la vie, caractérise un
pouvoir dont la plus haute fonction désormais n'est peut-être
plus de tuer mais d'investir la vie de part en part. Tandis qu'il
s'agissait dans le Cours de 1976 d'une part d'asseoir la spécificité
du pouvoir de l'Etat (biopouvoir) dans l'ensemble des techniques
normatives des pouvoirs actuels et d'envisager d'autre part des
corrélations entre les pouvoirs disciplinaires et le biopouvoir
par une compréhension de la société de normalisation,
il s'agit dans la volonté de savoir de ne plus tant considérer
la spécificité du pouvoir d'Etat (dont le terme d'Etat
disparait quasiment de la volonté de savoir) que la prise
globale d'un pouvoir sur la vie dénoté comme pouvoir
de la norme à travers les deux cas de la norme de discipline
et de la norme de régulation. Reformulation de la biopolitique
: la vie est le sujet commun des disciplines et des normes de régulation
d'une population. Autre preuve p. 184 : Foucault évoque les
deux directions dans lesquelles le bio-pouvoir se développe
du côté de la discipline et du côté de
la régulation.
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