|
« Chaque matin, l'écureuil compte les arbres qu'il a convaincu
et espère constituer une force propositionnelle de cogestion pour
influencer le gouvernement. »
DES FORMES DE POUVOIR CHEZ FOUCAULT, ET NOTAMMENT DU BIO-POUVOIR
1 - L'ANALYTIQUE DU POUVOIR
Dans sa réflexion sur le pouvoir, Foucault se défait d'emblée de la
grille de lecture habituelle, qu'il nomme « juridico-discursive ».
Le pouvoir ne se réduit donc pas au triplet: règle-transgression-
sanction. De plus, il n'agit pas seulement à travers la formulation
de règles ou l'énonciation d'interdits. En rester à cette compréhension
du pouvoir comme ne relevant que du droit et du discours, c'est schématiser
le pouvoir en termes binaires : dominant/dominé, loi/obéissance, licite-
illicite, etc. . Foucault ne croit pas à un pouvoir aussi simpliste,
c'est pourquoi il cherchera à se déprendre des définitions admises
et commencera son enquête sur une généalogie du pouvoir. Par conséquent,
la question n'est pas « qu'est- ce que le pouvoir » mais : « comment
le pouvoir s'exerce-t-il ? » Cette méthode est une analytique du pouvoir
: on repère les zones de pouvoir et l'on en analyse les spécificités
: décortiquer les relations de pouvoir, déterminer les acteurs, ressentir
les intensités, comprendre les mécanismes. En d'autres termes, quels
sont les jeux de pouvoir : tactiques, stratégies, règles, hasards,
enjeux, objectifs... autour des zones où l'on ressent un exercice
effectif de pouvoirs : la prison, la maladie, les écoles, les ateliers,
l'armée, la famille, etc.
2 - UNE MICROPHYSIQUE DU POUVOIR
Refuser les conceptions classiques du pouvoir, c'est ne pas «postuler
comme données initiales la souveraineté de l'Etat, la forme de la
loi, ou l'unité globale d'une domination»
Partir du bas
Dès lors, l'analyse sera ascendante : on part de «micro pouvoirs»
et l'on cherche dans quelle mesure ils permettent l'édification des
macro- catégories, telles que le capitalisme, la bourgeoisie, la souveraineté.
La sujétion à l'Etat souverain, l'assujettissement à une loi, la domination
d'un groupe ne sont que les effets résultants de l'incorporation stratégique
de multiples micro pouvoirs disséminés à travers la réalité sociale.
Pouvoirs sans sujet
Il n'existe pas de porteurs de pouvoir. Le pouvoir n'est ni une substance,
une chose, ni l'apanage d'une classe sociale restreinte et privilégiée.
C'est plutôt un élément qui circule entre tous, un réseau de points
dispersés, sans foyer ni centre. Donc la centralité n'est pas un état
de fait mais l'effet de stratégies différentes qui proviennent de
multiples pouvoirs locaux. Par conséquent, on ne peut jamais localiser
le pouvoir dans une ou plusieurs instances centrales et identifiables,
à partir desquelles il se diffuserait. Au contraire, pour saisir le
pouvoir, il faut partir des rapports de forces multiples, ponctuels
et locaux exprimés dans la famille, la sexualité, l'éducation, l'économie,
la connaissance, etc. . Donc, les relations de pouvoir sont « les
effets immédiatsdespartages,inégalitésetdéséquilibres » qui se produisent
dans toute relation qui implique un rapport de forces. On ne peut
pas raisonner en termes de propriété : le pouvoir s'exerce en se déployant
dans des relations. Il n'existe pas de monopole du pouvoir, aucune
force active unilatérale qui agirait contre un objet passif. On peut
plutôt interpréter le pouvoir comme [une force dominante + une force
dominée] : « Le pouvoir qui s'exerce n'est pas conçu comme une propriété,
mais comme une stratégie, que ses effets de domination ne soient pas
attribués à une « appropriation », mais à des dispositions, des manoeuvres,
des tactiques, des techniques, des fonctionnements... Il faut en somme
admettre que ce pouvoir s'exerce plutôt qu'il ne se possède, qu'il
n'est pas le « privilège » acquis ou conservé de la classe dominante,
mais l'effet d'ensemble de ses positions stratégiques - effet que
manifeste et parfois reconduit la position de ceux qui sont dominés.
» (Surveiller et Punir, p35)
Pouvoir omniprésent
Le pouvoir, en tant que relations de pouvoirs, est donc partout. Mais
pas au sens où il engloberait tout, comme un dieu omniprésent. S'il
y a partout du pouvoir, c'est qu'il vient de partout : il est immanent
à toute relation qui met de forces en rapport. L'analyse marxiste
commet par exemple l'erreur de schématiser bourgeoisie vs prolétariat
; alors que tout prolétaire réamorce à son échelle les mêmes structures
de pouvoir et de domination que celles de la bourgeoisie. Le pouvoir
« ne s'applique pas purement et simplement, comme une obligation ou
une interdiction, à ceux qui « ne l'ont pas » ; il les investit, passe
par eux et à travers eux ; il prend appui sur eux, tout comme eux-
mêmes, dans leur lutte contre lui, prennent appui à leur tour sur
les prises qu'il exerce sur eux. Ce qui veut dire que ces relations
descendent loin dans l'épaisseur de la société, qu'elles ne se localisent
pas dans les relations de l'Etat aux citoyens ou à la frontière des
classes et qu'elles ne se contentent pas de reproduire au niveau des
individus, des corps, des gestes et des comportements, la forme générale
de la loi ou du gouvernement ; que s'il y a continuité (elles s'articulent
bien en effet sur cette forme selon toute une série de rouages complexes),
il n'y a pas analogie ni homologie, mais spécificité de mécanisme
et de modalité. Enfin, elles ne sont pas univoques ; elles définissent
des points innombrables d'affrontement, des foyers d'instabilité dont
chacun comporte ses risques de conflit, de luttes, et d'inversion
au moins transitoire des rapports de forces. Le renversement de ces
« micropouvoirs » n'obéit donc pas à la loi du tout ou rien ; il n'est
pas acquis une fois pour toutes par un nouveau contrôle des appareils
ni par un nouveau fonctionnement ou une destruction des institutions
» (Surveiller et Punir, p35)
3 - CAPITALISME,LIBÉRALISME ET TECHNOLOGIES DE POUVOIR
Pour se détacher du modèle juridique et négatif d'un pouvoir central
qui fonctionnerait seulement grâce à des prohibitions, des lois,
à travers le fait de dire « tu ne dois pas », Foucault forge le
modèle des « technologies de pouvoir ». Selon lui, à côté des inventions
et des technologies industrielles, il existe une histoire des technologies
politiques, c'est-à-dire des procédés de pouvoir qui sont inventés,
perfectionnés, transmis, reconduits, imités et appliqués dans divers
secteurs. Or, si capitalisme et libéralisme n'expliquent pas tout,
il est en revanche certain qu'ils ont fortement influencé l'histoire
de ces technologies de pouvoir, en ce qu'ils leur ont offert une
direction : la réification des corps en force de travail comme moyen
d'augmentation de puissance.
« le corps est (...) directement plongé dans un champ politique
; les rapports de pouvoir opèrent sur lui une prise immédiate ;
ils l'investissent, le marquent, le dressent, le supplicient, l'astreignent
à des travaux, l'obligent à des cérémonies, exigent de lui des signes.
Cet investissement politique du corps est lié, selon des relations
complexes et réciproques, à son utilisation économique ; c'est pour
une bonne part, comme force de production que le corps est investi
de rapports de pouvoir et de domination ; mais en retour,saconstitutioncommeforcedetravailn'estpossible
que s'il est pris dans un système d'assujettissement (où le besoin
est aussi un instrument politique soigneusement aménagé, calculé
et utilisé) (...). Cet assujettissement (...) peut être calculé,
organisé, techniquement réfléchi, il peut être subtil, ne faire
usage ni des armes, ni de la terreur, et pourtant rester de l'ordre
physique. C'est-à- dire qu'il peut y avoir un «savoir» du corps
qui n'est pas exactement la science de son fonctionnement, et une
maîtrise de ses forces qui est plus que la capacité de les vaincre
: ce savoir et cette maîtrise constituent ce qu'on pourrait appeler
la technologie politique du corps. » (Surveiller et Punir, p34)
4 - L'ANATOMO-POLITIQUE
C'est la technologie de pouvoir développée par le système monarchique
de souveraineté. Son orientation se résume à « faire mourir et laisser
vivre ». Le sujet n'est ni vivant, ni mort : il demeure neutre,
c'est-à-dire qu'il ne vit que par la grâce du souverain qui peut
décider à tout moment sa mort. L'anatomo-pollitique se déroule en
deux temps : d'abord une action spectaculaire sur les corps (tortures,
supplices, pendaisons, ...) pour imposer aux esprits la puissance
du roi ; ensuite un adoucissement du pouvoir qui entre dans une
logique de discipline et donc de construction des individus selon
des normes utiles à l'Etat, puis, de manière plus sophistiquée,
à la bourgeoisie capitaliste.
Car le système de pouvoir que la monarchie avait organisé implique
deux inconvénients pour le développement du capitalisme au 19ème
siècle. Premièrement, le pouvoir politique se montrait trop discontinu,
les mailles du filet restaient trop lâches. Trop de choses, de conduites
qui échappent au pouvoir : contrebande, communautés nomades, savoirs
hérétiques, etc... Aussi, on cherche à développer des techniques
de pouvoir qui cessent d'être globales, mais lacunaires, pour passer
à un pouvoir continu, bien qu'atomique et individualisant. Il faudrait
que chacun puisse être contrôlé dans son corps, dans ses gestes.
Deuxièmement, les mécanismes de pouvoir se montraient trop onéreux
: le pouvoir restait un pouvoir de prélèvement de biens et de richesses,
voire de sang : il était trop percepteur et prédateur et opérait
des soustractions économiques préjudiciables aux flux économiques
désirés par la bourgeoisie en prise de pouvoir. L'essor du capitalisme
perfectionne donc les technologies de pouvoir de discipline et d'anatomo-politique
qui permettent de contrôler le corps social jusqu'aux détails les
plus tenus, en en surveillant les individus, les conduites, attitudes,
tout en intensifiant les performances individuelles et les capacités
de chacun.
Buts
Par la discipline des corps, il s'agit de régir la multiplicité
des hommes en tant que cette multiplicité peut se résoudre en corps
individuels à surveiller, dresser, utiliser, punir. La démarche
n'est pas négative : il ne s'agit pas d'ôter des capacités ou des
propriétés de l'homme. On n'opère donc pas essentiellement par interdictions
et privations, mais par structuration et orientation des comportements
pour aboutir à une réelle construction raisonnée des individus.
Champs et modalités
Les champs d'expression de l'anatomo- politique tournent autour
du corps individualisé, comme organisme doué de capacités. Le pouvoir
s'y développe sous la forme principale de la discipline, qui vise
à constituer des sujets obéissants. La méthode du supplice et de
la torture a longtemps été la pièce maîtresse de ce type de pouvoir,
dans une optique d'incorporation des relations de pouvoir. L'action
spectaculaire sur les corps suppliciés avait la tâche extra-punitive
de marquer les esprits, d'incorporer la puissance du souverain sur
ses sujets. Mais cette méthode avait l'inconvénientdelacruautéets'exposaitdoncàdes
volontés de réponses tout aussi brutales. Le 18ème siècle adoucit
donc les relations de pouvoir vers des techniques de gestion des
hommes, pour les contrôler en amont de leurs velléités de dissidence.
Cette spiritualisation des techniques de pouvoir continue d'agir
sur les corps mais en préférant la discipline au châtiment. La discipline
commence par un art de répartition spatiale des individus (ex-:
à l'armée où l'on passe d'une organisation qui ne joue que sur la
densité d'une masse humaine chaotique à une distribution spatiale
des individus étudiée selon des critères d'efficacité). La discipline
est une orthopédie du comportement, fondée sur un art d'utilisation
du corps humain : gestion optimale des gestes, emplois du temps,
mise en série des opérations, composition des forces, hiérarchisation
ultra-détaillée... On entre dans une logique de rentabilité des
comportements. Les structures relationnelles qui se mettent en place
astreignent les individus à un schéma de conformité et de normalisation.
Outils
La répartition spatiale qui atomise les individus permet une meilleure
surveillance. Les rangs à l'école, les couloirs à l'hôpital, les
prisons circulaires, les rues perpendiculaires construisent une
géographie panoptique. Le panoptisme est l'art de tout voir sans
être vu. Le but étant de produire une norme à partir de laquelle
il sera aisé de repérer les écarts. L'apparition de la police vient
accomplir ses nouvelles technologies de pouvoir par une multiplication
des agents de surveillance. Cette police se décline en police nationale,
contremaîtres, milices, médecins psychiatriques, pions dans les
écoles, etc., mais la fonction de cette police n'est pas tant de
réprimer que de faire s'incorporer comme toujours présente la sensation
de surveillance des éventuels écarts à la norme.
5 - LA BIO POLITIQUE
La notion de population et l'émergence de la bio-politique
On découvre, à la fin du 18ème siècle, que le pouvoir peut s'exercer
non seulement sur des sujets et des individus, mais sur une population.
Or une population ne signifie pas tant un grand nombre d'hommes
qu'un ensemble d'êtres vivants traversés, commandés par des processus
et des lois biologiques. Et une population a un taux de natalité,
une courbe d'âge, une morbidité, un état de santé, qui signifient
que cette population peut croître ou périr. Dès lors, le bio-pouvoir
s'exercera selon le principe : « faire vivre et laisser mourir ».
Par conséquent, ce pouvoir s'exerce sur les individus en tant qu'ils
constituent une entité biologique qui doit être prise elle-même
en considération, si on veut l'utiliser comme machine à produire
des richesses, des biens ou d'autres individus. La transformation
des procédés politiques de l'occident tourne à présent autour de
trois noyaux, qui sont trois découvertes technologiques : l'individu,
le corps dressable et la population. Champs et modalités « La vie
est devenue un objet de pouvoir. La vie et le corps. » Le problème
consiste à régler les flux de population, régler les migrations,
la croissance de la population, inciter ou non à faire des enfants,
etc. . Dans ce dessein, le pouvoir se déploie autour de l'habitat,
des conditions de vie dans les villes, de l'hygiène publique, des
rapports entre mortalité et natalité. Si l'on veut augmenter la
force productive et militaire d'une population, alors il faut y
prévenir les accidents, accroître le sentiment de bien-être, stabiliser
la santé, etc. . « Pour la société capitaliste, c'est le bio-politique
qui importe avant tout, le biologique, le somatique, le corporel
» : le but est de repérer les endémies (forme, nature, expansion,
durée, intensité des maladies d'une population) pour éviter une
soustraction permanente des forces, une diminution du temps de travail,
une baisse de l'énergie, des coûts économiques liés aux soins, etc...
La bio-politique agit par prévisions,estimations globales,mesures
statistiques pour modifier non pas tel phénomène particulier, mais
pour intervenir sur les déterminations de phénomènes généraux, comme
mortalité ou natalité. Les bio-pouvoirs sont autant de mécanismes
de régulation pour fixer un équilibre, maintenir une moyenne dans
une population globale et aléatoire. On a donc tout un ensemble
de mécanismes de sécurité pour optimaliser un état de vie dans une
quête d'homéostasie, c'est-à-dire la sécurité d'un ensemble par
rapport à ses dangers internes Outils On dispose d'outils de calcul
nouveaux, comme la statistique, et la création de grands organismes
administratifs et politiques chargés de réguler la population. Mais
avant tout, dans le souci de créer une force physique nationale,
on redéfinit la médecine comme une pratique sociale au moyen de
sa fonction d'hygiène publique. Car la maladie et la santé ne sont
pas seulement des fait sobjectivables en termes organiques, ils
sont aussi des constructions sociales, susceptibles de diverses
interprétations. Dans une optique capitalisme, la naissance de la
médecine sociale est immédiatement liée à la notion de santé comme
un capital collectif. Le type de médecine qui se développe est alors
centralisé, dans l'objectif de préserver la force physique à des
fins économiques.La santé prend place dans unepolice, à travers
des mécanismes d'ordre et d'organisation. Le bio-pouvoir coordonne
une population qui se lit en termes de variables, de répartition,
de longévité et de santé. La population est donc d'emblée un objet
d'analyse, de surveillance et d'intervention. Cela implique la mise
en place d'une police médicale, comme système d'observation de la
morbidité, d'enregistrement des phénomènes endémiques, de normalisation
de la pratique médicale par des diplômes d'Etat. On ne définit plus
la santé comme absence de maladie, mais comme élévation du bien-être.
Par conséquent, la médecine agit sur les conditions d'existence
et se préoccupe du milieu. Avec l'expansion des structures urbaines,
se développe une intervention autoritaire sur l'espace urbain, pour
l'organiser et l'homogénéiser. Les villes sont interprétées comme
des objets d'inquiétude politico-sanitaires, donc on organise l'espace
pour contrôler la circulation de l'air et de l'eau, en plus de celle
des individus. Les médecins décident de la ventilation, de la destruction
de certaines maisons, de l'emplacement des fontaines, égouts, lavoirs...
C'est ainsi qu'apparaît la notion de salubrité, qui ouvre sur «
le concept d'hygiène publique comme technique de contrôle et de
modification des éléments qui peuvent favoriser ou nuire à la santé.
» ; le milieu d'existence devient l'objet d'un « contrôle politico
scientifique ». Enfin, on observe une médicalisation des pauvres
et des ouvriers, pour les rendre plus aptes au travail et pour créer
un cordon sanitaire qui protège les classes privilégiées. Ce contrôle
provoque « de violents phénomènes de réactions et de résistances
populaires, de petites insurrections antimédicales. » La médicalisation
crée des catégories abusives en ce qui concerne les anormaux. La
psychiatrie tente de définir une personnalité criminelle, qui va
du vol au meurtre, en passant par la fraude. Ce pouvoir médical
sert de moyen tactique qui permet d'alourdir le poids des déterminants
biologiques dans la genèse des comportements criminels ou déviants.
Médicaliser et biologiser permet de minimiser l'efficacité de l'action
éducative, plus coûteuse et plus laborieuse ; c'est un alibi commode
qui permet d'expliquer et de résoudre tout problème par une loi
de nature contraignante et convaincante.
Du bio-pouvoir au racisme d'Etat
Or ces pratiques de pouvoir débordent le champ purement médical
: impositions autoritaires de soins, eugénisme, hantise de la dégénérescence,
jusqu'au prix nobel de médecine en 1912 qui propose l'élimination
des criminels endurcis et des débiles mentaux, ou les enquêtes sur
la « qualité biologique » des familles sous Vichy, et les chambres
à gaz, ou les lois états-uniennes de stérilisation massive. Les
bio-pouvoirs, sous couvert de positivité et d'amélioration du bien-
être, se lancent rapidement dans des excès, dès qu'il est techniquement
et politiquement donné à l'homme d'aménager la vie, de la faire
proliférer, de fabriquer du vivant, du monstre, des virus incontrôlables
et destructeurs. De plus, dans une société de normalisation, le
racisme d'Etat devient nécessaire, puisque ce racisme reste l'unique
et ultime condition d'acceptabilité d'une réactivation de la mise
à mort, qui appartenait au vieux droit souverain de tuer (« laisser
vivre et faire mourir »).
6 - STYLE ET AUTONOMIE
MêmesiFoucaultneconçoitpasd'échappatoire aux bio-pouvoirs, étant
donné que toute société adopte des politiques d'hygiène, de santé,
de surveillance, il n'en demeure pas moins convaincu de l'existence
de moyens de contourner la machine de contrôle à revers. Il existe
des pratiques alternatives qui s'expriment dans une volonté d'entretenir
des rapports singuliers au corps, des relations autonomes avec mon
propre corps. On doit pouvoir exercer son propre bio-pouvoir, en
liberté, en le détournant de sa négativité aliénante. A l'opposé
de pratiques extrêmes comme le taylorisme, qui provient d'une structure
hétéronome qui impose au corps d'être une machine vivante, Foucault
parle de techniques de pouvoir sur soi (souci de soi), relevant
davantage de la puissance. Il s'agit par exemple de penser la vie
comme oeuvre d'art, de créer son propre style d'existence. Pour
éviter de retomber dans une réification du corps, type Jeune &
Jolie ou style grunge de Neuilly, Foucault va chercher des exemples
dans l'antiquité, par exemple chez Epicure : dans des volontés de
posséder son propre réseau « savoir pouvoir », en entretenant des
rapports autonomes de raison et de plaisir sur nos corps.
On trouve par exemple cela dans le deuxième tome de l'Histoire
de la sexualité, nommé L'usage des plaisirs, chap. 2.1 : « La réflexion
morale des Grecs sur le comportement sexuel n'a pas cherché à justifier
des interdits, mais à styliser une liberté : celle qu'exerce, dans
son activité, l'homme libre. (...) Autour d'eux, les Grecs ont développé
des arts de vivre, de se conduire et d'»user des plaisirs» selon
des principes exigeants et austères. (...) Or l'exigence d'austérité,
impliquée par la constitution de ce sujet maître de lui-même, ne
se présente pas sous la forme d'une loi universelle à laquelle chacun
et tous devraient se soumettre ; mais plutôt comme un principe de
stylisation de la conduite pour ceux qui veulent donner à leur existence
la forme la plus belle et la plus accomplie possible. »
François & Julien
BIBLIOGRAPHIE
- De Foucault, Dits et Ecrits, 1976-1988 ;
- Il faut défendre la société, Cours au collège de France, 1976
;
- Sécurité,territoireetpopulation, Cours au collège de France,1977-78
;
- Naissance de la biopolitique, Cours au collège de France,1978-79
;
- Le Gouvernement des vivants, Cours au collège de France,1979-80
;
- Surveiller et punir ;
- Commentaires, Sur la généalogie du pouvoir, Mauro Bertani ;
in Lectures de Foucault, vol.1 ;
- Aide la plus précieuse où j'ai pompé comme un ouf : Foucault,
écriture polémique, Anne Morer, Mémoire de Maîtrise.
|