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Origine : http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=2244
La discussion autour de la production d’énergie propre
et renouvelable n’est pas nouvelle, mais elle a acquis un
caractère d’urgence ces derniers temps, principalement
après la divulgation, au début du mois de février,
du rapport sur le réchauffement global du Groupe d’Experts
Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC ou IPCC
en Anglais). Face à l’alarme provoquée, le monde
semble se rendre compte du besoin de changer sa matrice énergétique,
en commençant à adopter des formes alternatives de
production de l’énergie qu’il consomme.
Réuni en France, un groupe de scientifiques a annoncé
que la température sur Terre pourrait augmenter jusqu’à
quatre degrés au cours de ce siècle, en raison de
l’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone (CO2)
dans l’atmosphère, principalement à cause de
l’utilisation de combustibles fossiles.
Actuellement, la matrice énergétique mondiale compte
80% de sources de carbone fossile, soit 36% de pétrole, 23%
de charbon et 21% de gaz naturel.
Ces derniers temps, un nom s’est distingué : le biocombustible.
La production d’énergie pour son utilisation dans le
transport, à partir de la canne à sucre ou de graines
oléagineuses, telles que le soja, apparaît, littéralement,
comme le salut de l’agriculture. Et le probable héros
est le Brésil, avec environ 200 millions d’hectares
cultivables, selon le Plan National d’Agroénergie,
lancé en 2006 par le gouvernement fédéral.
L’argument principal utilisé pour parier sur les biocombustibles
est qu’ils sont des sources renouvelables d’énergie,
c’est-à-dire, qu’ils ne se trouvent pas en quantité
limitée sur la planète comme le pétrole par
exemple. Mais, dans ce scénario, représentent-ils
vraiment une issue à l’effondrement environnemental
de la planète et une alternative pour l’agriculture
paysanne, ou constituent-ils un moyen de survie pour l’agrobusiness,
qui va produire des impacts environnementaux aussi dévastateurs
que ceux engendrés par les combustibles fossiles ? C’est
un débat pour lequel il y a peu d’espace - et peu de
voix.
« Entreprises et gouvernements mènent une campagne
intensive pour présenter les biocombustibles comme des alternatives
pour combattre les changements climatiques, en substituant une partie
de la consommation de pétrole. Mais la logique de fond n’est
pas d’abandonner le pétrole ni de changer les modèles
de consommation qui produisent le réchauffement global mais
de profiter de la conjoncture pour créer de nouvelles sources
de commerce, en promouvant et en subsidiant la production industrielle
de cultures dans ce but », écrit Silvia Ribeiro, chercheuse
du groupe ETC [1], dans un article du journal mexicain, La Jornada.
Elle rappelle que toutes les entreprises qui produisent des semences
transgéniques, comme Syngenta, Monsanto, Dupont, Dow, Bayer
et Basf possèdent des investissements dans la production
de biocombustibles, comme l’éthanol et le biodiesel.
Logique capitaliste
Les signes montrant que le capitalisme mondial a un projet stratégique
pour gagner la bataille de l’agroénergie sont de plus
en plus évidents. Le 31 janvier dernier, dans son discours
sur l’ « Etat de la Nation » au Congrès
des Etats-Unis, le président George W. Bush a annoncé
son objectif de réduire la consommation d’essence de
20% jusqu’en 2017, en produisant 132,4 milliards de litres
de combustibles alternatifs, principalement l’éthanol,
à partir du maïs. Le thème des biocombustibles
a également été l’un des principaux sujets
discutés au Forum économique mondial, qui s’est
déroulé en janvier, dans la ville de Davos (Suisse).
L’affairement des pays riches et des grandes multinationales
autour du thème portent les analystes et les mouvements sociaux
paysans à voir avec réticence l’entrée
de pays en développement dans la production de biocombustibles.
Les impacts environnementaux produits par l’augmentation des
monocultures, l’exploitation des paysans et des travailleurs
ruraux et la menace à la production d’aliments sont
au centre des préoccupations. Au Brésil, le pari de
l’agrobusiness se fait sur la canne à sucre et le soja,
transgéniques bien sûr.
« Il n’existe pas de programme du gouvernement avec
des lignes, des critères et des directives établis
sur l’aspect productif, qui aillent en direction d’un
nouveau modèle agricole. En outre, le programme du Biodiesel
est livré à un groupe de sociétés privées
qui veulent acheter le grain à l’agriculteur sans aucun
ajout de valeur dans les communautés agricoles. Et ils sont
en train de stimuler la monoculture de nouveau », critique
Frei Sérgio Görgen, dirigeant de la Via Campesina au
Brésil, organisation qui regroupe des mouvements sociaux
du monde entier, comme le Mouvement des Sans Terre (MST) et le Mouvement
des Petits Agriculteurs (MPA).
Conformément au Programme national de production et d’utilisation
du biodiesel du gouvernement fédéral, le Brésil
va rendre obligatoire, à partir de 2008, l’addition
de 2% d’huile diesel végétale dans l’huile
diesel de pétrole, pourcentage qui passera à 5% en
2013. Si le marché du biodiesel, avec 2%, est de 1 milliard
de litres par an, avec 5%, cette demande augmentera jusqu’à
2,7 milliards de litres par an. Les stars du gouvernement brésilien
sont le soja, qui est vu comme une planche de salut par les grands
producteurs de semences transgéniques et le ricin qui, théoriquement,
sera bénéfique à l’agriculture familiale.
En ce qui concerne l’éthanol, le Brésil va
donner la priorité, une fois de plus, à la production
de la canne à sucre. Il est prévu que la production
augmente de 50% par rapport aux actuelles 460 tonnes de canne à
sucre, selon l’Union de l’Agro-industrie Canavieira
de São Paulo (Unica).
Un nouveau programme Pro-Alcool ?
En résumé, face à une réelle possibilité
de changer le modèle de production agricole, le Brésil
entre dans la production de biocombustibles, renforce des pratiques
insoutenables d’un point de vue environnemental et social,
ce qui profite aux grandes entreprises, et nuit aux petits agriculteurs,
outre le fait de porter préjudice à la production
d’aliments pour la consommation nationale.
« Il y a un risque à imiter le Pro-Alcool du Brésil.
Vous avez un combustible propre, produit de manière sale
et dont le processus de production est insoutenable d’un point
de vue environnemental et socialement pervers dans la manière
dont il utilise la main d’œuvre et traite les travailleurs
», évalue Frei Sergio. Créé dans la décennie
de 1970, le Programme national de l’alcool (Pro-Alcool) incitait
les petits et moyens producteurs à installer des distilleries
d’alcool. Pour des raisons politiques, comme l’interdiction
de l’autoconsommation d’alcool comme combustible, le
Pro-Alcool a seulement bénéficié aux grands
fabricants, avec leurs pratiques de travail esclavagiste dans les
champs de canne et des impacts environnementaux considérables.
Près de trente ans plus tard, les mêmes risques
sont posés.
L’industrie de la canne à sucre s’enthousiasme
avec la possibilité d’ouverture de marché pour
l’éthanol brésilien aux Etats-Unis. Pour sa
part, le président Luis Inácio Lula da Silva annonce
que « nous mangerons le bon soja et nous ferons du biodiesel
avec le soja transgénique », signalant ainsi la priorité
donnée aux grands producteurs et multinationales du grain.
Même la création du H-Bio, un dérivé
d’huile végétale et de pétrole, développé
par Petrobras, est vue comme une manière de favoriser l’agrobusiness
mondial et l’industrie pétrolifère.
Pourtant, dans l’évaluation faite par le gouvernement
fédéral, la création du Label du Combustible
Social constituera une espèce de sauvegarde de l’agriculture
familiale. Le programme prévoit des aides aux industries
qui acquérront des graines oléagineuses produites
par des petits agriculteurs. « Nous comprenons les agriculteurs
intéressés par la reprise de la culture du coton,
du tournesol, de l’arachide, du sésame et autres oléagineuses.
Ainsi, les agriculteurs ne tomberont pas dans le piège de
la monoculture. Si le gouvernement avait lancé un programme
de biodiesel sans cet encouragement à l’agriculture
familiale, il ne serait certainement produit qu’à base
de soja, qui est la principale oléagineuse brésilienne
», constate le gérant exécutif du Développement
énergétique de Petrobras, Mozart Schmitt de Queiroz.
Néanmoins, même les projets alignés sur le
programme Combustible social présentent des problèmes,
principalement parce qu’ils misent sur la monoculture de ricin
dans les régions sud et nord-est du pays et sur l’achat
direct de grains aux agriculteurs en les plaçant dans un
système d’intégration avec des grandes entreprises.
Tout comme dans les industries du tabac et du lait, où les
cas d’exploitation économique à laquelle sont
soumis les petits agriculteurs sont fréquents.
Diversifier la production
Pendant ce temps, les organisations d’agriculteurs paysans
voient l’entrée dans les biocombustibles avec une grande
méfiance mais aussi avec la certitude que c’est dans
ce domaine que se jouera une bataille stratégique entre deux
modèles de productions opposés. Pour les organisations
comme la Via Campesina, il existe certains pré requis de
base pour que les paysans entrent dans la production de biocombustibles
sans tomber dans les pièges tendus : donner la priorité
à la production d’aliments, joindre la production d’énergie
à d’autres cultures et éviter les systèmes
d’intégration avec des grandes entreprises, en participant
au plus grand nombre d’étapes possible dans la chaîne
de production.
« La petite propriété de l”économie
familiale ne peut maintenir sa subsistance avec le modèle
de monoculture. La viabilité des petites propriétés
est basée sur le système de production diversifiée,
qui passe par un modèle agro écologique. Il est fondamental
de construire des systèmes qui puissent produire du biocombustible
et des aliments. D’où l’importance du bon usage
des résidus de l’extraction des huiles. Avec cela,
les petites propriétés pourront augmenter la production
d’œufs, de lait, de viande, en viabilisant davantage
les systèmes de production dans les économies familiales
», explique l’ingénieur agronome Alexandre Borscheid,
qui travaille à la Cooperbio [2], une coopérative
de biodiesel formée d’agriculteurs liés à
la Via Campesina dans l’Etat du Rio Grande do SuL.
C’est dans ce sens que s’acheminent certains des projets
constitués par les organisations de la Via Campesina au Brésil.
Le biodiesel pourra être produit à partir de multiples
graines, comme le tournesol, l’arachide et le colza, dont
les résidus seront utilisés dans l’alimentation
animale ou dans la fertilisation organique. Des coopératives
de petits agriculteurs pourront construire leurs propres unités
de pressage pour vendre l’huile aux entreprises, tout en gardant
les résidus des oléagineuses. « La conclusion
à laquelle nous arrivons est que la locomotive de l’agriculteur
paysan doit être l’oléagineuse pérenne.
Sur une petite zone, il aura une grande production », explique
Fréi Sergio, citant l’utilisation d’arbres comme
le pinhão-manso et le tungue [3] dans la région sud
et l’huile de palme dans la région nord. Dans le cas
de l’alcool combustible, la canne à sucre peut être
accompagnée de manioc et de patate douce par exemple. De
la même manière que dans la production de biodiesel,
l’intention est de la combiner à la production d’aliments
et de vendre le produit aux industries avec une valeur ajoutée.
Transnationales versus paysans
« Les systèmes paysans de production sont les plus
adéquats, parce qu’ils réussiraient à
garantir une très bonne combinaison entre la production d’aliments
et d’énergie, outre le fait de garantir des systèmes
de polycultures avec des produits à valeur ajoutée
qui garantiraient un développement durable pour les unités
de production paysannes. Les grandes monocultures ne seront pas
efficaces avec le tournesol, le ricin, l’arachide, le pinhão-manso,
autrement dit, elles ne pourront être aussi efficaces avec
les oléagineuses ayant un pourcentage d’huile plus
élevé. Elles s’adaptent mieux aux systèmes
des paysans. Et l’agriculture paysanne a de meilleures conditions
pour résoudre l’équation entre la production
d’énergie et la production d’aliments »,
analyse Frei Sergio. Dans l’opinion du dirigeant de la Via
Campesina, Petrobras est l’un des rares canaux au sein du
gouvernement fédéral qui ouvre la voie à l’insertion
souveraine de l’agriculture paysanne dans la production du
biodiesel.
Mozart Queiroz, de Petrobras, explique que l’entreprise s’est
fixée d’acquérir l’huile des agriculteurs
et non les graines. « Ainsi, elle incite les coopératives
à à monter leur propre pressoir. Grâce à
cela, l’agriculture familiale pourra bénéficier
d’un produit supplémentaire et donner plus de valeur
à sa structure, en gérant ce produit qui pourra être
transformé en lait, œufs ou viande. Nous travaillons
pour partager le bénéfice de l’industrialisation,
pour que l’agriculteur participe à la chaîne
productive, dans l’étape de l’industrialisation,
au moins dans la phase du pressage. En même temps, nous stimulons
la culture de plusieurs oléagineuses, pour éviter
la monoculture », rapporte ce dernier.
Pour l’agronome Alexandre Borscheid, la bataille pour le
marché et pour le modèle de production des biocombustibles
a déjà commencé et, vu la situation, la voie
est libre pour l’avancée des transnationales de l’agrobusiness.
« S’il n’y a pas une intervention de l’État
pour donner la priorité aux politiques en faveur de l’agriculture
paysanne, la tendance sera à l’occupation du marché
par les transnationales, marché qui est économiquement
très prometteur. Elles vont avancer sur des terres agricoles
et cela mettra l’agriculture familiale en danger. Les agriculteurs
doivent produire de façon autonome, avec des projets propres,
dans lesquels la production d’énergie liquide puisse
être garantie, tout en préservant les systèmes
de production d’aliments », évalue t-il.
Le gérant exécutif de Petrobras reconnaît les
risques de la course effrénée à la production
de biocombustibles, que ce soit dans les impacts environnementaux
engendrés par les monocultures, dans le préjudice
à la souveraineté alimentaire, ou dans l’augmentation
de l’exploitation économique sur les petits agriculteurs.
Pour lui, cependant, avant de discuter de ces questions, l’humanité
a besoin de revoir son système de consommation énergétique.
« Même si toute la surface de la Terre était
utilisée pour produire des biocombustibles, cela ne suffirait
pas, aujourd’hui, à maintenir la consommation de la
planète en combustibles fossiles dans les mêmes proportions.
Il est clair qu’il est urgent de reconsidérer la matrice
énergétique mondiale », conclut-il.
Bio(agro)combustibles
Au Forum de la Souveraineté alimentaire, qui s’est
déroulé fin février au Mali, la Via Campesina
International a décidé que le terme « biocombustible
» devait être substitué par celui d’ «
agrocombustible ». Ceci parce qu’elle estime que l’incitation
à ce type de combustible a favorisé des politiques
de croissance des monocultures (et non de la petite production diversifiée),
menaçant les paysans et la souveraineté alimentaire.
Comme « bio » signifie « vie » - le contraire
de ce qui se vérifie aujourd’hui dans la pratique,
l’organisation a commencé à adopter le terme
« agrocombustíble ». (...)
NOTES:
[1] Groupe ETC : Groupe international qui travaille avec des organisations
sociales, en leur fournissant des analyses et des informations sur
les technologies de développement durable.
[2] COOPERBIO : La coopérative regroupe près de 25
mille familles réparties sur 62 municipalités de la
région nord-ouest de l’État du Rio Grande do
Sul, produisant 400 mille litres de biocombustibles par jour.
[3] [NDLR] Variété d’aleurite donnant l’huile
de bois de Chine.
En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations
ci-dessous:
RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec
l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : revue Sem Terra (http://www.mst.org.br/), n° 38, mars-avril
2007.
Traduction : Véronique Phelut, pour Autres Brésils
(http://www.autresbresils.net/). Traduction revue par l’équipe
du RISAL.
Les opinions exprimées et les arguments avancés dans
cet article demeurent l'entière responsabilité de
l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux
du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique
Latine (RISAL).
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