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Benasayag : RESF marque une nouvelle forme d'engagement
Par Chloé Leprince Rue89 04/05/2008


Origine : http://www.rue89.com/2008/05/04/benasayag-resf-marque-une-nouvelle-forme-dengagement

La Chasse aux enfants - L’Effet miroir de l’expulsion des sans-papiers, de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey avec des militants de RESF (La découverte, 129 pages, 10€)


A l’origine de la théorie de l’effet miroir, il y a un coup de fil. Celui d’Anne, une amie du philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag. Elle l’appelle, un dimanche après-midi: enseignante dans un collège à Reims, elle voudrait qu’il reçoive dans sa consultation de pédopsychiatrie trois enfants congolais. Leur mère, enceinte, vit en France sans titre de séjour. Ils ont vécu une interpellation musclée à domicile et sortent tout juste de centre de rétention. Ils étaient scolarisés. Le plus jeune, 3 ans, a été menotté.

C’est cette histoire qui fait entrer Miguel Benassayag dans le giron du Réseau éducation sans frontières (RESF), dont il se décide à faire un objet de recherche. Avec la philosophe Angélique del Rey, il entreprend en effet un travail autour de l'engagement qui fonde le réseau. Pour Miguel Benasayag, qui publiait au mois d'avril "La chasse aux enfants - L'effet miroir de l'expulsion des sans-papiers", "la société tout entière est traumatisée" par la politique actuelle envers les migrants. (voir la vidéo)

"Le même flic protège l'un et menace l'autre"

Le psychanalyste argue en fait que "les violences faites aux migrants portent atteinte non pas à ce qu'ils font mais à ce qu'ils sont". Dans cette mesure, la "chasse aux sans-papiers" et la politique du chiffre engendrent "de profonds chocs psychologiques" dans toute la société française qui "n'en ressort pas indemne":

"Avec la chasse aux sans-papiers, ce qui est de nature à bouleverser c'est que c'est le même flic qui protège l'un et menace l'autre."

Pédopsychiatre de formation, Miguel Benasayag s'est d'abord penché sur le traumatisme qui irradie l'ensemble des enfants en milieu scolaire. Les enfants de sans-papiers au premier chef. Mais aussi leurs camarades. Car la chasse aux enfants sans-papiers a fait bouger les lignes de l'engagement mais aussi celles de l'autorité. Le regard que les enfants portent aux institutions et notamment à l'institution scolaire, en sort altéré.

Le philosophe, qui a démarré sa vie militante en Argentine, son pays d'origine, y voit un ferment "morbide" pour l'ensemble de la société. Une situation délétère qui s'explique notamment par l'injustice dont peuvent faire preuve les représentants de l'Etat. Et s'il estime la comparaison à Vichy "contre-productive" et "simpliste", il relève néanmoins qu'avec RESF se sont croisées "la grande Histoire et la petite histoire", car c'est dans leur quotidien que les militants se sont trouvés interpellés par la traque des sans-papiers. (voir la vidéo)

Pour l'auteur, c'est cet effet miroir qui sous-tend l'engagement au sein de RESF et l'aura de ce mouvement auprès de l'opinion publique. Contrairement à ce qu'on croit parfois, RESF ne s'est pas structuré après l’affaire de l’école de la rue Rampal, à Paris, où un grand-père chinois avait été arrêté, en mars 2007, en allant chercher sa petite-fille.

C’est bien plus tôt qu’il faut situer l’origine de RESF, comme le rappelle le témoignage du militant Pierre Cordelier, que les auteurs du livre publient en avant-propos. C’est en effet en janvier 2004 que germe l’idée d’un mouvement spécifique, alors que Pierre Cordelier et quelques autres battent le pavé pour la première journée européenne de mobilisation pour la liberté de circulation. Ce jour-là, une pétition circule: « Il faut sauver les élèves Sandrina et Gladys. » Des profs d’un lycée de Chatenay-Malabry en sont à l’origine. L’idée est en germe et RESF prend forme pour de bon le 26 juin 2004, avec l’Appel à la régularisation des sans-papiers scolarisés.

Naïveté et absence de ligne idéologique

A la toute première réunion, ils n’étaient que sept, se souvient encore Pierre Cordelier, qui avait déjà participé au mouvement de Saint-Bernard, en 1996. Près de quatre ans plus tard, la notoriété et la popularité de RESF sont immenses. Pour Miguel Benasayag, qui se livre ici à un décryptage intéressant du phénomène RESF en lui-même, c’est justement l’effet miroir qui explique cette mobilisation sans précédent autour des sans-papiers.

Aujourd’hui, l’un des slogans de RESF reste « Laissez-les grandir ici ». Dans son ouvrage, le philosophe décrypte de façon intéressante en quoi la mobilisation a aussi battu son plein parce qu’elle se structurait autour des enfants. Et, s’il l’on entend parfois résonner d’une note un peu naïve « Tout sauf les enfants » en signe de ralliement autour de la politique migratoire, Miguel Benasayag relève surtout qu’il existe « plusieurs niveaux d’analyse au sein de RESF ». Car une des spécificités du réseau tient précisément à son absence de hiérarchisation et à sa structure horizontale.

La question du leadership n’a certes pas manqué de faire débat au sein des soutiens aux sans-papiers, et continue parfois à faire des remous. Toutefois, le réseau est resté sans figure de tête. Une spécificité qui modifie aussi le terreau idéologique de cette nouvelle forme d’engagement, relève les philosophes auteurs de « La chasse aux enfants »:

« Le BA-ba de RESF, c’est de ne jamais dire qu’il y a ‘une ligne’. Même dire qu’il n’y a pas de ligne ne passe pas: car ceux qui ont une ligne seront en réalité ‘accueillis’ aussi. Le fondement de ce type de mouvement de résistance et d’engagement, c’est la mise entre parenthèses d’un sens dans l’histoire. »

Miguel Benasayag voit dans RESF une vraie nouveauté dans le domaine de l’engagement. Pour lui, qui avait coécrit avec la journaliste Florence Aubenas « Résister c’est créer » et appelait à l’émergence d’un « militantisme joyeux », une des spécificités du mouvement réside dans ce que, contrairement à l’engagement politique ou syndical, il ne s’agit pas ici de s’accorder sur un socle idéologique.

Ni promesses ni grand soir

En réfléchissant sur l’idéologie qui sous-tend le réseau, les auteurs relèvent ainsi l’origine très variée des militants: « beaucoup de catholiques » mais aussi des militants d’extrême gauche, des électeurs socialistes, et même « quelques personnes, plus rares, qui ont voté Front national », précise même Miguel Benasayag. Ce qui rassemble ces horizons si différents, c’est cette implication « dénuée de promesses ». Car les militants RESF ne sont pas au service d’une cause:

« Le mode d’engagement à RESF n’est pas transitif: on s’engage ‘dans’ et non ‘pour’, alors surtout pas ‘pour’ que vive RESF.(…) RESF a placé entre parenthèses la question de savoir s’il y aura ou non ‘un autre monde’. »

Miguel Benasayag poursuit son décryptage en se réclamant ici du philosophe Gilles Deleuze:

« Les militants de RESF actent le fait que la vie n’est pas une affaire personnelle. Ils attestent de la matérialité objective du lien. »

C’est d’ailleurs ce qui ressort de la lecture de la dizaine de témoignages publiés dans cet ouvrage. Ainsi, Pia découvre avec son implication dans le réseau qu’elle « fait partie d’un tout ». Une autre enseignante, qui reste anonyme dans l’ouvrage, déclare carrément pour sa part, avec une ferveur un peu étonnante:

« Je ne m’appartiens plus vraiment. Ma vie s’est organisée autour du soutien. »

La Chasse aux enfants - L’Effet miroir de l’expulsion des sans-papiers, de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey avec des militants de RESF (La découverte, 129 pages, 10€)