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Origine : http://www.nonfiction.fr/article-241-les_intellectuels_sont_ils_solubles_dans_le_monde_liquide_.htm
Résumé :De ‘législateur’, l’intellectuel,
dans la ‘société liquide’ postmoderne,
serait devenu ‘interprète’. Une vision intéressante
mais à laquelle manque un ancrage réel.
L’histoire des intellectuels que retrace Zygmunt Bauman dans
cet essai paru en anglais en 1987 et tout juste traduit en français
est surprenante à bien des égards. Tout d’abord,
les héros principaux que sont les intellectuels sont quasiment
absents de l’ouvrage. De fait, aucun intellectuel n’est
ici nommément désigné. C’est le parti
pris de l’auteur : "se demander qui sont les intellectuels
n’a (…) pas grand sens, et il ne faut pas s’attendre
à ce que l’on puisse répondre par un ensemble
de mesures objectives ou en désignant tel ou tel." Par
conséquent, ce livre parle certes des philosophes ou de la
République des lettres, mais l’on n’y retrouve
aucun des grands noms auxquels une histoire des intellectuels se
réfère communément, et notamment celle réalisée
par Michel Winock en ce qui concerne la France . La Décadence
des intellectuels est donc avant tout une histoire des idées,
une tentative d’expliquer l’évolution du rôle
des intellectuels dans le temps, et de l’inscrire dans les
grandes transformations politiques, sociales et culturelles de l’Occident.
Des "législateurs" modernes aux "interprètes"
de la postmodernité
Plus précisément, Zygmunt Bauman identifie deux rôles
principaux qui correspondent, non pas à deux époques
successives, mais à deux grands moments historiques : la
modernité et la postmodernité. En ce qui concerne
la modernité, qui commence au dix-septième siècle
et se précise dans son projet avec les philosophes des Lumières,
le rôle des intellectuels est, selon l’auteur, celui
de législateur. En somme, du fait de l’émergence
de nouveaux troubles sociaux (les foules populaires), le philosophe
se lie à l’État désormais fort pour éclairer
ce dernier et lui fournir ce savoir technique de surveillance (la
panoptique pour résumer). C’est ce que Zygmunt Bauman
appelle le passage de la culture spontanée pré-moderne
à la "culture de jardin" de la modernité.
Le contexte du dix-septième explique ce rôle de législateur
: l’émergence des "gens sans maîtres"
et les craintes que cela provoqua parmi les puissants, la présence
d’un État fort et centralisé s’attachant
les conseils d’intellectuels dans ce que l’auteur nomme
"le syndrome savoir/pouvoir".
Par la suite et sans identifier véritablement de moment
de crise (ou peut-être parce que nous sommes actuellement
en train de la vivre), Zygmunt Bauman annonce la fin du législateur
et la naissance de l’intellectuel interprète de la
postmodernité. S’il est désormais interprète,
c’est que l’intellectuel ne peut plus défendre
une vision générale d’un progrès de l’humanité.
Dans le monde pluraliste de la postmodernité, il doit se
résoudre à n’être qu’un expert de
sa propre communauté, un législateur partiel en somme.
D’ailleurs, la philosophie de la modernité n’est
plus aujourd’hui que l’expression particulière
du monde occidentalisé. Quelle est la raison d’une
telle "décadence" ? C’est bien sûr
l’avènement d’une société de consommation
où le marché-roi reproduit à l’infini
les fausses innovations de la culture de masse. Dès lors,
seules deux voies sont possibles, le contentement des séduits,
de ceux qui ont les moyens de satisfaire les nouveaux besoins quotidiens,
ou alors le malheur des réprimés, des exclus qui n’ont
rien et qui meurent en marge de la postmodernité.
Zygmunt Bauman, monde liquide et postmodernité
En France, le lecteur connaît Zygmunt Bauman principalement
pour ses écrits concernant le monde et la société
liquides et ses conséquences sur la vie et l’amour
. Cette liquidité, c’est en quelque sorte la postmodernité,
cette époque dans laquelle tout ce qui est solide (le couple
notamment) subit une crise particulière.
Dès lors, la traduction de La décadence des intellectuels
offre l’occasion de découvrir plus précisément
la pensée de cet auteur prolifique. On peut sans doute reprocher
à la sociologie de Zygmunt Bauman, comme à celle d'Anthony
Giddens, son collègue à l’Université
de Leeds, de ne se fonder sur aucun matériau empirique "solide".
En effet, ces essayistes ou philosophes de la postmodernité
sont avant tout des théoriciens qui demeurent dans un haut
niveau d’abstraction, sans jamais véritablement fournir
de preuves concrètes de ce qu’ils avancent. La Décadence
des intellectuels est en cela un bon exemple, dans la mesure où
l’auteur se repose surtout sur des sources secondaires et
y développe un argumentaire général et sans
aucun exemple concret. Par conséquent, cet ouvrage semble
être quelque peu déroutant, voire parfois tautologique,
si l’on considère que les différents rôles
alloués aux intellectuels (législateurs ou interprètes)
correspondent de façon automatique à leur époque
respective.
L’ouvrage de Zygmunt Bauman s’adresse donc à
un public averti, soucieux de découvrir une histoire des
idées foisonnante et intelligemment documentée. Il
rebutera à l’inverse les adeptes d’une sociologie
fondée par son lien à l’empirique et ceux pour
qui la postmodernité est plus un concept qu’une réalité.
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