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Origine : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/11/BENAISSA/12909
Transports, agriculture, plastiques, vêtements, médicaments...
Le pétrole est partout. S’inscrivant dans une perspective
écologique, l’ancien ministre de l’aménagement
du territoire et de l’environnement Yves Cochet considère
pourtant que, bouleversant les modes de production et de consommation,
la flambée du prix des hydrocarbures, prévue avant
le terme de la décennie, implique une révision complète
de nos modes de vie : « La fin de l’ère de l’énergie
bon marché (...), c’est la fin du monde tel que nous
le connaissons », précise-t-il (1).
Ce choc inédit, produit d’une triple crise –
économique (excès structurel de la demande sur l’offre),
politique (multiplication des conflits pour maîtriser une
ressource en voie de raréfaction) et géologique (épuisement
du pétrole facile d’accès) –, implique
une décroissance soutenable de la consommation d’hydrocarbures
et l’inflexion vers une « société de sobriété
» : « Le choix des pays industrialisés est binaire,
affirme l’auteur. Soit ils décident leur sevrage immédiat
et rigoureux, soit ils poursuivent leur addiction par la force.
La première option est la seule manière de sauvegarder
la solidarité et la démocratie. »
« En France, 80 % de l’électricité est
d’origine nucléaire. (...) Une partie de l’énergie
nucléaire est exportée et 15 % de l’électricité
consommée provient des centrales hydrauliques », rappelle
un éminent trio de physiciens – Georges Charpak, Richard
L. Garwin, Venance Journé (2). Et nous ne sommes pas à
l’abri de nouveaux Tchernobyls ! Pourtant, tous trois se prononcent
pour une réhabilitation mesurée du nucléaire,
« indispensable » selon eux, pour une humanité
qui va s’enrichir de milliards d’individus dans les
décennies à venir.
La thèse peut être très sérieusement
discutée, et elle l’est, mais l’ouvrage propose
un certain nombre des données nécessaires pour participer
au débat. A cet égard, la dangereuse imbrication du
civil et du militaire (lire « Soixante ans de (non-) prolifération
nucléaire »), les risques d’accidents (Tchernobyl)
et de conflits sont loin d’être sous-estimés
par les auteurs. Ils recommandent l’institution d’une
organisation internationale de contrôle du nucléaire
– qui, et là tout le monde sera d’accord, ne
peut être laissée « aux mains des responsables
financiers » et autres « champions des optimisations
boursières »...
Subordonnant la parole à l’objet, le sens à
l’intérêt, soumettant l’exigence de la
sensibilité aux impératifs de la rentabilité,
la croissance économique a conduit l’humanité
à renoncer à sa part proprement affective, autrement
dit à se déshumaniser, constate, dans un tout autre
registre, Jean Claude Besson-Girard (3). Fidèle au paradigme
qui consiste à confronter le credo de la croissance économique
à celui de la « décroissance harmonique »,
il élabore une critique originale des sociétés
contemporaines, opposant aux « maux » générés
par le premier les « mots » à l’inspiration
du second. Son texte explore l’idée selon laquelle
la poésie, et uniquement elle, peut restituer le désir
de sens occulté par le culte des biens, symptomatique des
sociétés enrichies. La réflexion est esthétique,
la visée humaniste. Il s’agit de rétablir la
dimension poétique de l’existence humaine en substituant
aux visées totalitaires de l’option marchande les perspectives
émotives de l’option artistique. Pour l’auteur,
seule cette conversion du regard de l’économique vers
l’esthétique peut assurer l’avènement
d’une civilisation fondée sur la décroissance.
Soumaya Benaissa.
(1) Yves Cochet, Pétrole Apocalypse, Fayard, Paris, 2005,
19 euros.
(2) Georges Charpak, Richard L. Garwin, Venance Journé,
De Tchernobyl en Tchernobyls, Odile Jacob, Paris, 2005, 25,90 euros.
(3) Jean-Claude Besson-Girard, Decrescendo cantabile. Petit manuel
pour une décroissance harmonique, Parangon, Paris, 2005,
12 euros.
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