"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Pétrole, nucléaire et... poésie
Vers des sociétés de basse consommation
Soumaya Benaissa

Origine : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/11/BENAISSA/12909

Transports, agriculture, plastiques, vêtements, médicaments... Le pétrole est partout. S’inscrivant dans une perspective écologique, l’ancien ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement Yves Cochet considère pourtant que, bouleversant les modes de production et de consommation, la flambée du prix des hydrocarbures, prévue avant le terme de la décennie, implique une révision complète de nos modes de vie : « La fin de l’ère de l’énergie bon marché (...), c’est la fin du monde tel que nous le connaissons », précise-t-il (1).

Ce choc inédit, produit d’une triple crise – économique (excès structurel de la demande sur l’offre), politique (multiplication des conflits pour maîtriser une ressource en voie de raréfaction) et géologique (épuisement du pétrole facile d’accès) –, implique une décroissance soutenable de la consommation d’hydrocarbures et l’inflexion vers une « société de sobriété » : « Le choix des pays industrialisés est binaire, affirme l’auteur. Soit ils décident leur sevrage immédiat et rigoureux, soit ils poursuivent leur addiction par la force. La première option est la seule manière de sauvegarder la solidarité et la démocratie. »

« En France, 80 % de l’électricité est d’origine nucléaire. (...) Une partie de l’énergie nucléaire est exportée et 15 % de l’électricité consommée provient des centrales hydrauliques », rappelle un éminent trio de physiciens – Georges Charpak, Richard L. Garwin, Venance Journé (2). Et nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux Tchernobyls ! Pourtant, tous trois se prononcent pour une réhabilitation mesurée du nucléaire, « indispensable » selon eux, pour une humanité qui va s’enrichir de milliards d’individus dans les décennies à venir.

La thèse peut être très sérieusement discutée, et elle l’est, mais l’ouvrage propose un certain nombre des données nécessaires pour participer au débat. A cet égard, la dangereuse imbrication du civil et du militaire (lire « Soixante ans de (non-) prolifération nucléaire »), les risques d’accidents (Tchernobyl) et de conflits sont loin d’être sous-estimés par les auteurs. Ils recommandent l’institution d’une organisation internationale de contrôle du nucléaire – qui, et là tout le monde sera d’accord, ne peut être laissée « aux mains des responsables financiers » et autres « champions des optimisations boursières »...

Subordonnant la parole à l’objet, le sens à l’intérêt, soumettant l’exigence de la sensibilité aux impératifs de la rentabilité, la croissance économique a conduit l’humanité à renoncer à sa part proprement affective, autrement dit à se déshumaniser, constate, dans un tout autre registre, Jean Claude Besson-Girard (3). Fidèle au paradigme qui consiste à confronter le credo de la croissance économique à celui de la « décroissance harmonique », il élabore une critique originale des sociétés contemporaines, opposant aux « maux » générés par le premier les « mots » à l’inspiration du second. Son texte explore l’idée selon laquelle la poésie, et uniquement elle, peut restituer le désir de sens occulté par le culte des biens, symptomatique des sociétés enrichies. La réflexion est esthétique, la visée humaniste. Il s’agit de rétablir la dimension poétique de l’existence humaine en substituant aux visées totalitaires de l’option marchande les perspectives émotives de l’option artistique. Pour l’auteur, seule cette conversion du regard de l’économique vers l’esthétique peut assurer l’avènement d’une civilisation fondée sur la décroissance.

Soumaya Benaissa.


(1) Yves Cochet, Pétrole Apocalypse, Fayard, Paris, 2005, 19 euros.

(2) Georges Charpak, Richard L. Garwin, Venance Journé, De Tchernobyl en Tchernobyls, Odile Jacob, Paris, 2005, 25,90 euros.

(3) Jean-Claude Besson-Girard, Decrescendo cantabile. Petit manuel pour une décroissance harmonique, Parangon, Paris, 2005, 12 euros.