Origine :
http://www.guardian.co.uk/environment/2008/jul/06/travelandtransport.usa
Transmis et traduit par Hervé d'Apo33
RIVERSIDE, Calif. - L'endroit est connu comme « l'empire
intérieur » : une grande étendue de terre coincée
dans la haute vallée du désert à l'est de Los
Angeles. Avant, il y avait des arbres fruitiers et des indiens,
maintenant ce n'est qu'un étalage de grand routes encombrées,
de faubourg interminables et de centres commerciaux.
Mais voilà qu'ici, au paradis des 4 voies, une révolution
est en cours. Ce qui avant était impensable est en train
de se réaliser brutalement : la fin de l'envahissante histoire
d'amour des américains et de l'automobile.
L'augmentation du prix de l'essence réussit là où
les arguments pour l'environnement avaient échoué.
Cela fait longtemps que l'on dit aux américains qu'ils devraient
se limiter dans l'usage de la voiture. Maintenant, confrontés
à un carburant à 4 $ le gallon, ils n'ont plus le
choix.
Prenez Adam Garcia, un gardien qui travaille près de la
gare de Riverside. Comme beaucoup de résidents de l'empire
intérieur, il fait la navette sur de grandes distances :
160 km par jour. Avant, cela ne le dérangeait pas. Maintenant,
avec le prix de l'essence qui a triplé, il lui fait réagir.
Il a modifié le moteur de sa voiture pour améliorer
son rendement. « Je suis obligé. Tout le monde le fait.
Je ne peux pas conduire autant qu'avant », explique-t-il.
Des statistiques récentes signale la plus grande baisse
de km parcourus par les américains depuis 1942. Et par ailleurs,
les ventes de voitures chutent, surtout les immenses 4 x 4 (SUV).
General Motors, qui fut jadis le symbole de la puissance industrielle
américaine, est en difficulté. Les villes investissent
maintenant dans le transport de masse, espérant faire revenir
les gens vers les centres ville, depuis les ceintures de banlieue
éloignées où ils se retrouvent isolés
à cause du prix de l'essence.
Jonathan Baty était un pionnier. L'éclairagiste se
rend au travail en vélo, chaque jour depuis 1993. Un aller
et retour de 14 km au coeur d'une civilisation automobile que l'on
avait appelé 'Autopie'. Mais maintenant Baty n'est plus tout
seul sur son trajet quotidien, car d'autres ont aussi choisi les
deux-roues pour parcourir les rues de la Californie du sud. «
On a assisté à l'émergence d'une culture du
vélo par ici. L'intérêt va croissant. »
affirme Baty, qui agit comme bénévole dans un groupe
cycliste : Bicycle Commuter Coalition of the Inland Empire.
A Riverside, le trafic des bus a augmenté de 12%, et de
40% sur les routes les plus utilisées. L'utilisation des
trains a augmenté de 8%. Un groupe de mise en commun des
voyages par auto est à plus 40%. C'est pareil ailleurs dans
le pays. Au sud de la Floride, un système de transport par
train a annoncé une croissance de 28% du nombre de ses passagers.
A Philadelphie, une autre ligne parle de 11%. Dans tout le pays,
la vente des vespas s'est envolée. Alors que celle des voitures
est la plus basse depuis 15 ans. La semaine dernière, les
principaux fabricants d'auto US ont annoncé une baisse désastreuse
de 18% de leurs ventes.
La vraie révolution est ailleurs. En Amérique, la
vente des voiture a une valeur symbolique qui transcende les petites
affaires des revendeurs. On est au pays des voyages mythiques sur
4 roues, et de la Route 66. « Il existe un rêve américain
de mobilité et de liberté, et de richesse. La voiture
en fait partie, » raconte le professeur Michael Dear, un expert
des études urbaines à l'Université de Californie
du Sud.
Dans les années '50, un pays sûr de lui-même
qui avait permis de gagner la seconde guerre mondiale, s'exprimait
en lignes automobiles classiques, en super ailerons et en décapotables.
Dans les années '90, ce fut les 4 x4, en voitures énormes
comme celles des militaires. Maintenant, ça change. Car sous
les chiffres de vente de voiture, se cache une histoire plus complexe
que la simple diminution de chiffres d'affaires. Les ventes de gros
cyclindres s'effondrent et ce sont de plus petits, surtout les véhicules
hybrides plus économes, qui les remplacent.
General Motors a fermé 4 unités de production de
'VUS' – (gros véhicules utilitaires sportifs). Sa gamme
'HUMMER' est à vendre et elle pourrait bien fermer. GM investit
énormément dans sa Chevy Volt, qui doit sortir en
2010, une voiture hybride qui peut faire 220 km pour un gallon.
GM est bien obligé : le prix de ses actions est au plus bas
depuis 54 ans, si mal en point qu'une banque a prévenu qu'il
pourrait bientôt se retrouver en faillite.
La Volt, et d'autres voitures du même genre, pourraient devenir
les symboles d'une époque de l'automobile plus respectueuse
de l'environnement. Le 4 juillet, jour férié, a été
célébré par un plus grand nombre d'américains
chez eux que sur la route. Les journaux ont parlé de va-nulle-part
en guise de vacances. Des habitudes auparavant raillées,
comme le voyage en commun, ou la limitation des déplacements
au centre commercial, sont devenues courantes. C'est vrai, la grande
majorité des américains ne peut pas se passer complètement
de leurs voitures. Dans trop de villes, il n'y a pas suffisamment
de moyens de transport public.
Adam Garcia fait partie de ces captifs. Il a deux boulots et ses
déplacements quotidiens en voiture sont une obligation. «
On n'a pas vraiment le choix. Je dois aller en voiture. »
dit-il. Il sacrifie autre chose, comme aller au cinéma ou
visiter des amis.
Mais le nouveau rapport de l'Amérique avec la voiture n'est
encore qu'une partie de l'histoire de la transformation du pays
le plus puissant quand il est confronté à l'augmentation
du prix de l'essence. L'Amérique a été construite
sur une économie basée sur le pétrole, que
cela concerne les employés des faubourgs ou les fermiers
à la campagne.
Depuis les années '50 et la construction du faubourg de
Levittown, innovateur à l'époque puisqu'il était
fondé sur l'automobile, la ville américaine a été
conçue autant pour la voiture que pour ses habitants humains.
Les gens vivent à des km de leur travail, des magasins ou
des lieux de loisir. Si vous supprimez la voiture, tout un système
de vie banlieusard s'effondre. Certains pensent évidemment
que cela aurait dû avoir lieu il y a bien longtemps.
'La banlieue n'a jamais été écologiquement
durable depuis le début', dit Chris Fauchere, un cinéaste
de Denver qui produit un nouveau documentaire sur la question qu'il
appelle ' The Great Squeeze' (le grande réduction). 'Il traite
de l'essence bon marché. les gens croyaient que ça
allait continuer jusqu'à la fin des temps'.
Le film de Fauchere, qui doit sortir cette année, parle
des grands changements dans un monde où l'essence se fait
plus rare. Il ne croit pas que les américains s'y habitueront
facilement. 'Cela va être dut. C'est comme une réaction
en chaîne dans l'économie. Mais si vous étudiez
l'histoire, ce n'est que par les crises que les changements arrivent'.
Les banlieues sont déjà touchées. Comme la
voiture devient plus chère, vivre dans les banlieues perd
sa raison d'être. Certains observateurs ont même suggéré
que les banlieues – qui représentèrent l'archétype
du mode de vie américaine – vont devenir des taudis.
Confronté au carburant cher et à l'effondrement des
prix de l'immobilier, ce qui fut le symbole d'un certain rêve
américain va se criminaliser, parfois rester inoccupé
et souvent abriter les pauvres et les sans-travail. Cela se passe
déjà puisque la criminalité et la violence
des bandes a augmenté dans beaucoup de zones péri-urbaines
et des dizaine de milliers d'habitations ont été saisies
à cause de la crise des prêts immobiliers.
En effet, les banlieues vont remplacer les centres villes (NDT
: souvent bien plus misérables aux Etats-Unis que les banlieues
occupées par les classes moyennes) qui au contraire connaissent
une nouvelle prospérité. Même les centres commerciaux,
le plus haut symbole du mode de vie US depuis la guerre, connaissent
une crise car beaucoup de consommateurs les évitent désormais.
Plus encore : la voiture, le système des grand'routes et
les vols aériens bon marché avaient rendu l'Amérique
plus petite. On pouvait se rendre partout facilement. Cela aussi,
c'est terminé. Le prix élevé des carburants
a porté un coût terrible aux compagnies aériennes
US. On supprime des vols, on augmente les prix et on supprime des
trajets desservis. Des petites villes sont en train de perdre leurs
connexions aériennes.
L'Amérique redevient grande. Cela conduira à une
économie plus localisée. Pour les écologistes,
c'est une bénédiction. Ils rappellent ce que l'essence
bon marché a signifié pour le transport industriel
comme par exemple les salades ensachées qui voyageaient 2400
km avant d'arriver sur les étagères d'un supermarché.
'La distance est désormais un ennemi', affirme le prof.
Bill McKibben, auteur d'un classique ouvrage paru en 1989 : 'la
fin de la nature'. 'Il est certain que le temps de la conduite frivole
est terminé'.
Les régions les plus touchées ne sont pas encore
les banlieues ou les autoroutes du sud de la Californie, mais les
petites villes essaimées dans les grandes plaines, les montagnes
des Appalaches et les campagnes du sud profond. Plus que dans 'l'empire
intérieur', les gens là-bas, dans ces régions
isolées et pauvres, dépendaient d'un pétrole
bon marché et ils sont bien moins susceptibles de pouvoir
payer les nouveaux prix à la pompe. On raconte souvent que
des ouvriers agricoles n'ont pas les moyens de se rendre aux champs
et beaucoup d'entreprises rurales font faillite.
Même les paysans sont touchés. Même s'ils n'ont
pas besoin de voiture pour aller aux champs, leurs engrais sont
produits à base de pétrole et donc ils sont désormais
hors de prix. Quelques uns ont repris à se servir de chevaux
pour certains travaux, pour économiser sur l'essence.
Le rêve américain du siècle dernier se transforme.
La voiture et la culture qui lui est attachée, se trouvent
sous une pression encore inimaginable il y a encore quelques années.
'Le culte de la mobilité sans fin que nous avons connu toute
notre vie touche a sa fin' selon McKibben.
Les excès américains ont connu beaucoup d'émules.
Récemment, une délégation de fonctionnaires
et d'architectes chinois a visité une banlieue de l'Arizona,
près de Phoenix. Ils prenaient des notes admiratives en explorant
des banlieues luxueuses dédiées à l'automobile.
Et il ne s'agit que d'un exemple de délégations qui
leur rendent visite, depuis l'extrême orient ou l'Amérique
du sud.
Alors que les Etat-Unis ressentent encore la gueule de bois des
excès du pétrole bon marché, d'autres parties
du monde essaient de rentrer dans le club. Eux aussi, il veulent
habiter loin des centres villes crasseux, ils veulent des grand'routes
ouvertes et des voitures rapides. C'est encore une vision ensorcelante
de la liberté, de la mobilité et de la prospérité.
McKibben s'est rendu à Beijing la semaine dernière.
Il était préoccupé. Alors que l'obsession US
pour l'automobile se termine, d'autres l'embrassent. 'Les chinois
ont passé l'ère Bush à essayer de construire
leur version de l'Amérique. Une question clef pour la planète
est celle qui pose s'il est encore temps pour eux de construire
plutôt une version de l'Europe – Le réchauffement
de la planète dépendra beaucoup de la réponse
à cette question'.
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