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mercredi 30 novembre 2005 - Oumma.com
Le soulèvement des banlieues a une histoire
Le jeudi 28 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis),
la mort de Zyad Benna et Bouna Traoré, jeunes enfants français
d'ouvriers immigrés, a provoqué les émeutes
en banlieues populaires les plus importantes (tant géographiquement
que symboliquement) de l'histoire de France. Leur mort, ainsi que
le gazage de la mosquée Bilal de Clichy-sous-Bois, ont été
l'étincelle qui a fait explosé le baril de poudre
accumulée depuis deux décennies dans les banlieues
populaires des grandes villes françaises. Les violences policières
ne sont malheureusement pas exceptionnelles dans ces quartiers,
habitués aux contrôles d'identité en série,
aux arrestations au faciès et musclées et aux garde-à-vue
où règne l'impunité (autant d'expériences
quotidiennes qui expliquent la fuite des deux jeunes de Clichy-sous-Bois).
Depuis les premières émeutes des Minguettes à
Vénissieux (Rhône) en 1981, les révoltes s'étaient
toujours cantonnées à un quartier particulier, celui
de la (les) victime(s), mais les événements récents
montrent que c'est la première fois de l'histoire de France
qu'une « bavure » policière provoque une telle
flambée de violences urbaines. Les responsabilités
du ministère de l'Intérieur sont conjoncturelles,
mais les responsabilités structurelles reviennent à
vingt années de gouvernement, de « gauche » comme
de droite, qui ont abouti à la faillite des banlieues françaises.
Les causes de cette fureur populaire sont sociales et politiques,
et non pas ethniques ou religieuses. Il ne s'agit pas d'un «
défaut d'intégration », mot qui n'a plus aucun
sens aujourd'hui, tant il tend à privilégier la dangereuse
grille d'explication culturaliste (s'ils ne s'intègrent pas,
c'est à cause de leur « différence culturelle
»). Ce soulèvement n'a pu se développer que
dans le nid des inégalités économiques, sociales,
politiques et spatiales, engendrées par la crise du capitalisme
postindustriel et des politiques publiques antisociales. Dans le
« pays des droits de l'homme » où on se targue
de l'efficacité du « modèle français
d'intégration » (par opposition factice au modèle
« communautariste » étasunien ou britannique),
les banlieues populaires sont en voie de ghettoïsation (phénomène
symétrique à la ghettoïsation des banlieues riches,
dont on parle moins...). Mais le feu n'aurait pas pris avec une
telle ampleur sans les provocations de M. Nicolas Sarkozy, ministre
de l'Intérieur, qui n'hésite pas à stigmatiser
les jeunes habitants des banlieues populaires par des mots ou expressions
(« racaille » à « nettoyer au karcher")
qui, si elles étaient prononcées par le leader du
Front National, serait dénoncer pour appel à la haine
et au nettoyage ethnique. L'attitude du ministre pendant les événements
de Clichy-sous-Bois est aussi en cause, puisqu'il a prétendu,
d'une part, que Zyad Benna et Bouna Traoré étaient
impliqués dans le cambriolage et, d'autre part, que les gaz
lacrymogènes n'avaient pas été jetés
par les policiers, mais par les jeunes eux-mêmes. Il s'agissait
d'une « dotation » de la police utilisée par
les « racailles » à nettoyer... Mais Sarkozy
n'est pas le seul à avoir du mépris pour les banlieues
populaires. Lorsque certains leaders de « gauche » utilisent
les termes « sauvageons » ou « petits Le Pen de
banlieue », ils entrent dans la même logique de construction
de classes dangereuses.
Certes les causes sociales et politiques des émeutes ont
largement été évoquées par les médias
français (qui ont, une fois n'est pas coutume, évité
pour la plupart l'amalgame avec la « menace intégriste
», contrairement à Sarkosy), mais quelques sociologues
et/ou journalistes de gauche ont aussi souligné le «
vide » ou le « désert » politique des banlieues
populaires, où vivent une majorité des héritier(e)s
de l'immigration postcoloniale, Français(e)s ou étranger(e)s.
Ils affirment que la France a été le théâtre
de « jacqueries », du type de celle du XIXème
siècle, menées par le « lumpen du sous-prolériat
», « sans conscience de classe ». Sous-entendu
: s'il existait une force politique organisant cette révolte,
tout son potentiel subversif serait orientable dans une logique
révolutionnaire. Ils n'hésitent pas, de leur position
confortable de journalistes et/ou d'universitaires, à déplorer
l'« handicap » des émeutiers qui, contrairement
aux ouvriers conscients de leur appartenance à la classe
ouvrière, ne rentrent finalement pas dans les cadres de la
pensée marxiste. Mais pour expliquer l'absence de représentation
politique, ils ne reviennent pas sur la question de l'incapacité
de la gauche française à devenir un horizon politique
probable pour les habitants des banlieues populaires, en particulier
sur le destin des militants immigr??s ou issus de l'immigration
postcoloniale.
Les quartiers populaires français ne sont pas un «
désert politique », mais en voie de désertification,
dans les décombres du mouvement autonome de l'immigration
qui, depuis la fin des années 1960, a du affronter des obstacles
rendant improbable son autonomisation : répression, récupération
et instrumentalisation ont été mises en œuvre
pour empêcher cette dynamique. Ce n'est qu'en revenant sur
la révolte avortée des immigrés et de leurs
enfants que l'ont peut comprendre le vide actuel dans les quartiers
populaires. Du Mouvement des travailleurs arabes (MTA, 1970-1976)
au Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB, créé
en 1995), en passant par Divercité et les associations musulmanes
de gauche (comme l'Union des jeunes musulmans, UJM), nombreuses
ont été les tentatives d'organiser politiquement l'immigration
postcoloniale en France. Le militantisme immigré ou issu
de l'immigration s'est formulé par une série de figures
politiques, qui correspondaient aux transformations économiques,
politiques et urbaines de la société française
: le « damné de la Terre » anticolonialiste avant
1962, le « travailleur immigré », le «
sans-papiers », le « beur », le « muslim
», etc. Contrairement aux visions misérabilistes véhiculées
par certaines sociologues, le soulèvement des banlieues a
une histoire, riche de plus de vingt d'expériences politiques.
Répression
Parmi les associations de quartiers et/ou de l'immigration postcoloniale,
toutes n'ont pas un discours politique subversif. Il existe en effet
un clivage entre, d'une part, les associations d'entraide sociale
et/ou religieuse, d'alphabétisation, d'aide aux devoirs,
etc., qui dépendent étroitement des subventions municipales
et, d'autre part, les associations aux objectifs politiques clairement
affichés, généralement de gauche radicale,
anticolonialiste et antisioniste. Les premières ont été
privilégiées par les pouvoirs publics pour leur rôle
évident d'« aseptisation » de la révolte
des quartiers. Les secondes ont toujours été réprimées
par le gouvernement français et les mairies, avec des méthodes
qui varient en fonction des contextes politiques. C'est ainsi que
le MTA - organisation de centaines de membres en France proches
des maoïstes de la Gauche Prolétarienne, fortement implantés
dans les quartiers « arabes » de Paris et dans la région
marseillaise, farouchement antisioniste et précurseur des
luttes de l'immigration (sans-papiers, foyer Sonacotra, etc.) -
a été littéralement décimé par
la politique répressive du ministère de l'Intérieur
du gouvernement de M. Valery Giscard d'Estaing (1974-1981). Capable
d'organiser une « grève générale contre
le racisme » en septembre 1973, le MTA était perçu
comme une menace à l'ordre public et ses militants étrangers
ont systématiquement été inquiétés,
expulsés du territoire ou emprisonnés, notamment pour
leur soutien à la cause palestinienne et l'organisation de
grèves de sans-papiers.
Les luttes des foyers Sonacotra (1974-1980) ont du faire face à
une alliance objective entre le gouvernement français et
les amicales des pays d'origine (Algérie, Maroc, Sénégal,
etc.), les syndicats (CGT, CFDT, etc.) et la Sonacotra, pour demander
une amélioration des conditions de vie dans cette institution
d'encadrement social et politique directement héritière
de la colonisation française en Algérie. Cette alliance
a permis l'expulsion manu militari de centaines de militants travailleurs
immigrés. Les mobilisations contres les crimes racistes et/ou
policiers ont particulièrement subi la répression
policière, après le meurtre de Djilali Ben Ali à
la Goutte d'Or (Paris, 1971), Mohammed Diab à Versailles
(1972), Thomas Claudio à Vaulx-en-Velin (Rhône, 1990),
Youssef Khaïf au Val Fourré (Yvelines, 1991), Abdelkader
Bouziane à Dammarie-lès-Lys (Seine-et-Marne, 1997),
etc. Toutes ces actions contre l'impunité raciste et policière,
très peu relayées par les médias dominants,
ont été attaquées sous le couvert de plainte
en diffamation, de trouble à l'ordre public, et généralement
sous la forme de quadrillage de fourgons de CRS ou d'opérations
du GIGN. Après le 11 septembre et la psychose islamophobe,
certaines associations musulmanes lyonnaises ont connu une autre
forme de répression : retrait des subventions suite à
une note des Renseignements généraux, impossibilité
de souscrire une assurance, de trouver une banque, etc. La répression
contre toutes ces dynamiques politiques ont joué un rôle
prédominant dans la précarisation des militants de
l'immigration.
Récupération
Le deuxième phénomène facteur de dépolitisation
est la récupération politique, et l'exemple le plus
significatif est celui de la Marche pour l'égalité
de 1983. Suite à l'hospitalisation de Toumi Djaïdja
à cause d'une balle tirée par un policier aux Minguettes,
une nouvelle association, SOS Avenir Minguettes, décide d'organiser
une marche pacifique sur le modèle des marches de Gandhi,
avec le soutien d'une partie de l'Église catholique de Lyon,
incarnée par le père Christian Delorme, et les réseaux
associatifs du Parti socialiste (PS). La revendication, simple et
humaniste, est le droit à la vie : « Arrêtez
de nous tirer comme des lapins », demandent les marcheurs.
Partie d'une trentaine de personnes le 15 octobre 1983 de Marseille,
la marche défile à Paris le 3 décembre avec
plus de cent mille manifestants. Du jamais vu dans le mouvement
antiraciste. Le mouvement suscite une considérable dynamique
politique dans les banlieues populaires, mais rapidement les militants
issus de l'immigration postcoloniale, qui se sont organisés
en « collectifs Jeunes » pour accueillir la marche,
se rendent compte de l'instrumentalisation de la marche par le gouvernement
socialiste. Ils se rendent compte que si les slogans généraux
et œcuméniques sont bien entendus par la gauche française,
elle fait la sourde oreille lorsque son pouvoir politique est remis
en cause et qu'on soulève la question palestinienne. Le summum
de l'instrumentalisation du « mouvement beur » survient
lors de la deuxième marche pour l'égalité,
Convergence 84, qui est submergée par le flot des petites
mains jaunes « Touche pas à mon pote » de SOS
Racisme.
La génération des militants des années 1980
est prise en étau entre d'un côté les possibilités
d'ascension sociale et les opportunités politiques offertes
par le gouvernement socialiste et, de l'autre côté,
la volonté d'autonomie qui passe par un refus des compromissions
avec le pouvoir en place et de la « folklorisation »
des luttes de l'immigration. Suite aux mobilisations et aux émeutes
des années 1980, les municipalités des banlieues populaires
commencent à prendre au sérieux les revendications
de cette jeunesse politisée mais un irrémédiable
divorce (1) avec la gauche s'opère dans les quartiers. De
nombreux militants issus de l'immigration postcoloniale ont tenté
d'entrer dans des partis politiques non gouvernementaux (Verts,
Ligue communiste révolutionnaire, etc.), mais cette expérience
est rapidement devenue une impasse : les contradictions entre les
discours politiques et la pratique militante les ont conduit à
déserter ces partis. C'est par exemple le cas de Sakina Bakha,
élue au conseil régional de Rhône-Alpes, et
qui a pu constater les pratiques xénophobes et/ou paternalistes
de certains élus soi-disant de gauche. Les organisations
d'extrême gauche ont beau déploré l'absence,
ou la présence minime, de militants issus de l'immigration
postcoloniale et des banlieues populaires dans leurs rangs, la récente
histoire politique de l'immigration montre qu'elles faisaient plus
partie du problème que de la solution de la faible politisation
des quartiers populaires. La gauche politique et syndicale a abandonné
les quartiers populaires et le mouvement altermondialiste n'y a
jamais mis les pieds. L'affaire du voile et la vague islamophobe
qui s'en est suivie ont contribué à construire un
consensus anti-banlieues, empêchant un réel élargissement
de leur base militante.
C'est dans ce contexte d'une grandissante désillusion vis-à-vis
de la gauche que naissent dans les quartiers populaires, à
la fin des années 1980, de multiples associations de confession
musulmane, dont certaines occultent complètement les questions
politiques pour se consacrer au cultuel, alors que d'autres, plus
rares comme l'UJM à Lyon (créée en 1987), tiennent
un discours politique revendicatif. Cependant, si les associations
musulmanes sont implantées dans certaines cités, le
mouvement de conversion à l'islam est marginal, et la grande
majorité des habitants n'est pas touchée par ce mouvement
de politisation par la religion.
Le troisième obstacle à la politisation est ce qu'on
peut appeler l'échappée culturelle des militants issus
de l'immigration. De la fin des années 1970 à nos
jours, les « médias de l'immigration » se sont
multipliés dans le paysage médiatique français.
Des premières radios libres (Radio Soleil à Paris,
Radio Gazelle à Marseille) à l'agence Im'média
dirigée par Mogniss H. Abdallah, ils sont conçus au
départ comme une offensive contre l'autisme des médias
français sur les questions liées à l'immigration.
Alors que la plupart de ces médias, créés par
des militants (du MTA, du mouvement « beur », etc.),
étaient conçus comme des outils politiques véhiculant
la contestation des quartiers populaires, on observe leur lente
autonomisation de la sphère du politique, pour devenir des
médias « comme les autres ». La contestation
portée par le hip hop, qui a été (et reste)
un vecteur de politisation essentiel dans les banlieues françaises,
a connu le même mouvement d'aseptisation politique par la
volonté de certaines radios, en particulier Skyrock, et de
maisons de disque de financer les groupes conformes à l'idéologie
dominante du profit et du sexisme. Le hip hop commercial calibré
dispose de moyens de production et de diffusion sans commune mesure
avec les quelques rares groupes, tel La Rumeur, qui ont su conserver
l'esprit contestataire des origines.
Classe-moyennisation
Le quatrième élément explicatif de la désertification
réside dans un paradoxe : la conscience politique des militants
de quartier émerge avec l'accumulation de capitaux scolaire
et culturel (niveau d'étude plus élevé que
la moyenne, connaissance plus fine de la société française,
etc.) qui les prédisposent à s'écarter des
quartiers populaires. Les conditions de la politisation la défavorisent
en même temps. Alors que l'école des années
1980 rendait plus probable des trajectoires d'ascension sociale,
le délabrement de l'enseignement public, les retraits des
subventions des associations des années 1990 et les politiques
publiques antisociales contribuent au non renouvellement de la politisation
d'une minorité de jeunes habitants des cités. La précarisation
croissante de la société française touche avec
plus de vigueur les quartiers populaires, et mêmes les militants
potentiels. Après un engagement de jeunesse dans le mouvement
associatif souvent synonyme de « sacrifice individuel »,
beaucoup décident de « se ranger », à
cause de l'instabilité sociale du statut de « militant
professionnel » et de l'absence de perspectives politiques
tangibles. Il n'est donc pas rare de les retrouver dans les postes
de chargé de mission ou d'éducateur dans les conseils
généraux et les mairies, ou tout autre métier
où ils peuvent « faire valoir » leur expérience
et leur connaissance des quartiers. La plupart d'entre eux n'habitent
plus dans les cités délabrées, mais dans les
quartiers mieux lotis qui les entourent.
Le phénomène de « classe-moyennisation »
touche aussi les cadres des associations musulmanes revendicatives,
surnommés avec ironie « bo-bar » (bourgeois barbus...).
La politique d'encadrement social et politique du culte musulman
par le gouvernement français a permis un véritable
appel d'air pour certains militants musulmans, qui se sont coupés
des dynamiques d'ouverture au mouvement social engagées par
le réseau du Collectif des musulmans de France. Là
encore, l'incapacité d'une partie du mouvement altermondialiste
à ne pas céder aux sirènes de l'intégrisme
islamiste (cristallisée par l'affaire Ramadan au Forum social
européen de 2003) a fortement compromis l'intégration
de ces militants dans la scène politique légitime,
ce qui constitue un véritable contentieux pour les luttes
à venir.
A la lumière des phénomènes politiques et
sociaux qui ont déstructuré l'espace politique des
banlieues françaises, il n'est pas étonnant que l'encadrement
politique des jeunes habitants des cités soit quasiment inexistant.
Les émeutes de 2005 le démontrent amplement, et nous
assistons à une véritable régression politique
avec l'appel aux « grands frères ». Alors que
les municipalités arrachent toutes les possibilités
d'engagement dans les banlieues par une politique budgétaire
restrictive, elles appellent ces nouveaux « pompiers ethniques
» pour calmer ou apaiser les esprits. Or les émeutes
ont bien montré les difficulté des « grands
frères » à avoir une influence sur les jeunes
adolescents des cités : certains militants, religieux ou
non, ont même été menacés physiquement
au plus fort des incendies. La rupture intergénérationnelle
entre les militants issus des quartiers et la jeunesse populaire
ne doit donc pas être escamotée. Liée au jugement
négatif des plus jeunes de leurs aînés en galère
et à l'absence de reconnaissance dans les mouvements de l'immigration,
elle est un obstacle majeur à la construction d'une force
politique dans les banlieues françaises.
Les voies du politique
Cette situation catastrophique est un véritable défi
pour la gauche radicale qui, consciente de son handicap en termes
de représentativité, cherche des « courroies
de transmission » dans les cités, mais aussi pour le
mouvement autonome de l'immigration, en plein questionnement sur
son histoire et son projet politique. Toute nouvelle initiative
politique majeure pour combler le gouffre politique avec les banlieues
populaires ne sera couronnée de succès qu'à
condition de revenir sur vingt ans de contentieux entre la gauche
et les cités. Un retour critique sur l'histoire des luttes
de l'immigration et des banlieues est aussi une condition indispensable
pour se projeter dans l'avenir, mais aussi pour éviter la
reproduction des mêmes erreurs politiques. Les émeutes
sont un appel à la responsabilité historique des militants
de l'immigration et des banlieues, sans qui tout projet alternatif
résolument à gauche n'est pas possible.
Malgré ce constat accablant, les voies de la politisation
ne sont pas bouchées. De manière inattendue, les émeutes
de 2005 ont été portées en majorité
par de jeunes habitants des cités sans histoire avec la police
ou la justice, qui ont ressenti le besoin de s'exprimer violemment
contre l'injustice et l'impunité policière. Contrairement
aux mensonges délibérés de Sarkozy (à
qui les Renseignements généraux ont donné tous
les chiffres), il ne s'agit pas d'une lutte contre la criminalité
dans les banlieues populaires. L'état d'urgence a été
décrété pour réprimer une contestation
devenue de plus en plus politique, qui remettait littéralement
en cause le monopole de violence physique de l'État. Ce n'est
pas la République, la nation ou la démocratie qui
étaient contestées, mais l'État comme institution
de répression et d'assujettissement des opprimés de
ce pays.
Il serait intéressant d'effectuer un travail de reconstitution
des parcours individuels de tous les émeutiers. On serait
surpris de voir que les « dépolitisés »,
des « inadaptés », des « misérables
» dont on parle souvent avec condescendance à gauche,
sont en fait très lucides sur le fonctionnement de la société.
Un des côtés positifs des émeutes de 2005 aura
été la prise de conscience de la force politique des
habitants des cités et/ou issus de l'immigration postcoloniale.
Comme pour les émeutes des Noirs des années 1960 aux
États-Unis, le phénomène de soulèvement
devient un harpon lancé vers l'avenir : on peut attirer l'attention
publique, on peut changer le monde, on n'est pas condamné
à l'inertie et à l??attente du messie, mais on peut
prendre en main notre propre destin.
Depuis quelques jours, des dynamiques politiques se déclenchent
dans les banlieues populaires. A Vénissieux et à Clichy-sous-Bois,
des espaces de discussion commencent à se créer sous
une forme ou une autre. Les militants d'hier, dégoûtés
de l'engagement politique des vingt dernières années,
reviennent sur le devant de la scène locale. Malgré
la diversité des contextes locaux, il semble que l'on fait
le même constat : une force politique majeure peut exister
dans les banlieues populaires, et elle pourrait se concrétiser
lors des élections municipales de 2008. Si la dynamique prend
dans les mois à venir, il serait nécessaire, pour
la consolider, de revenir sur l'histoire politique des banlieues
et/ou de l'immigration postcoloniale (avec ses succès et
ses échecs), de prendre conscience des phénomènes
explicatifs de la désertification politique, de réfléchir
sur les pratiques militantes (notamment sur la gestion du pouvoir
au sein d'un mouvement), et de se projeter dans l'avenir avec un
projet politique clair. Ceci suppose de combler les ruptures entre
générations (en transmettant plus de vingt années
d'expériences politiques), et surtout de prendre son temps.
Les mouvements autonomes de l'immigration et des banlieues ont trop
longtemps suivi des calendriers politiques imposés de l'extérieur
: forums sociaux, affaire du voile, attaques en justice, etc., ont
été autant d'événements qui ont détourner
l'attention vers les banlieues populaires. Il vaut mieux semer les
graines des mobilisations à venir que de buter, comme c'est
le cas actuellement, devant un sol sec et aride.
Au risque d'être taxé de discours incantatoire, il
faut souligner que les émeutes sont un événement
unique de l'histoire de France, et qu'elles doivent constituer un
électrochoc pour construire une nouvelle génération
politique dans les banlieues populaires.
Note :
(1) Cf. Olivier Masclet, La gauche et les cités. Enquête
sur un rendez-vous manqué, Paris, La Dispute, 2003.
Abdellali Hajjat Diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques
de Lyon, auteur de "Immigration postcoloniale et mémoire"
aux Editions L'Harmattan.
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