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Origine : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=AMX_041_0112
Le conflit qui a opposé Marx et Bakounine au sein de l’Internationale
a le plus souvent été abordé sous l’angle
d’une comparaison des principes (« socialisme libertaire
» contre « socialisme autoritaire », par exemple)
ou sous celui des rapports personnels. L’objet de cette contribution
est de confronter, au rebours de ces approches, les pratiques politiques
de Marx et de Bakounine au sein de l’AIT. Cela ne signifie
pas que n’entre pas dans les rapports entre l’un et
l’autre une composante personnelle (et nationale), à
laquelle Bakounine a d’ailleurs consacré un manuscrit
spécifique [1]. Cela ne signifie pas non plus qu’une
telle tentative de confrontation tourne le dos à la question
de l’opposition des principes politiques : il s’agit
ici au contraire d’enrichir cette opposition, de la préciser,
de lui donner un contenu et de ne pas reproduire l’attitude
de trop de commentateurs, surdéterminée par l’histoire
ultérieure des rapports entre communisme et anarchisme, qui
dupliquent l’hostilité, la prévention et l’ignorance
réciproque qui ont régi les rapports entre les deux
auteurs [2]. On s’évite ainsi les risques d’une
lecture rétrospective, mais il faut aussi mettre à
distance la conscience que les acteurs eux-mêmes avaient du
processus dans lequel ils étaient engagés et rapporter
le conflit entre les personnes au clivage qui a fait éclater
la première Internationale. Comme on va le voir, si Bakounine
n’a bien souvent fait que reformuler les positions de sections
ou de fédérations entières de l’Internationale,
la question est plus délicate s’agissant de Marx.
Il importe d’abord de retracer l’histoire du conflit
entre Marx et Bakounine au sein de l’Internationale, avant
d’examiner les deux thèmes sur lesquels se cristallise
leur opposition : celui du statut des questions politiques au sein
de l’association et celui de l’organisation interne
de l’Internationale.
L’ADHÉSION DE BAKOUNINE
Bakounine adhère à l’Internationale en juin
1868, trois mois avant de quitter, avec ses amis, la Ligue de la
Paix et de la Liberté pour fonder l’Alliance Internationale
de la Démocratie Socialiste. Cette dernière, transformant
ses propres sections en sections de l’Internationale [3],
adhère collectivement à l’Internationale avec
l’accord du Conseil Général, dans lequel Marx
tient une place prépondérante. Pour pallier la disparition
de l’Alliance comme organisation internationale, Bakounine
met en place une Alliance secrète, qui reconduit et radicalise
les principes fondateurs de précédentes sociétés
qu’il avait initiées. De sorte qu’en 1869, Bakounine
est à la fois membre de l’Alliance, qui s’est
fondue dans l’Internationale mais continue d’exister
comme telle jusqu’en août 1871, de l’Internationale
elle-même et de l’Alliance secrète. Marx, contrairement
à ce que croit Bakounine, n’est membre que de l’AIT,
la Ligue des communistes, dont il avait rédigé le
Manifeste avec Engels, ayant depuis longtemps disparu.
La méfiance de Marx et Engels à l’égard
de Bakounine date de la demande d’adhésion de l’Alliance
à l’Internationale, par laquelle Marx considère
que « Monsieur Bakounine – dans les coulisses de cette
affaire – condescend à placer le mouvement ouvrier
sous direction russe » [4]. Cette dernière accusation
condense quatre reproches récurrents à propos de l’activité
de Bakounine au sein de l’Internationale. 1) Le panslavisme
: sur ce point, Engels s’était déjà opposé
à l’Appel aux Slaves de Bakounine en 1849.2) L’ambition
de devenir le dictateur de l’Internationale [5]. 3) Le projet
de substituer le programme de l’Alliance à celui de
l’Internationale. 4) L’abstentionnisme politique. Voyant
en Bakounine un aventurier qui tente de noyauter l’association
par ambition personnelle et par passion nationale, Marx lance cette
menace dans une lettre à Engels : « Ce Russe veut,
selon toute apparence, devenir le dictateur du mouvement ouvrier
européen. Qu’il prenne garde. Sinon, il sera officiellement
excommunié » [6].
Cette suspicion envers les projets supposés de Bakounine
au sein de l’Internationale précède les deux
événements auxquels on a coutume de rattacher le déclenchement
du conflit : le congrès de Bâle de septembre 1869,
qui voit la proposition des « collectivistes » sur l’abolition
du droit d’héritage être adoptée contre
l’avis de Marx [7], et la scission intervenue au sein de la
fédération romande de l’Internationale en avril
1870, qui donne naissance à la fédération jurassienne.
Dès le mois de mars 1869, Marx s’inquiète auprès
d’Engels des succès rencontrés en France, en
Suisse, en Italie et en Espagne par le programme de l’Alliance
et des risques de scission que son entrée dans l’Internationale
fait courir au mouvement ouvrier européen [8]. Quant à
la scission au sein de la fédération romande de l’Internationale
en avril 1870, elle fournit simplement l’occasion à
Marx de trouver confirmation de ses soupçons et de reprendre
les accusations qu’il formulait à l’encontre
de Bakounine depuis plusieurs mois déjà [9]. Ces éléments
permettent, eux aussi, de relativiser la thèse de la simple
antipathie personnelle. Dès la fin de l’année
1868, Marx a pris ses dispositions contre Bakounine, collectant
des informations qu’il espère compromettantes et qu’il
utilisera en 1872 pour instruire un procès à charge
et faire exclure Bakounine de l’AIT [10]. Prendre la mesure
de la nature politique du conflit entre les deux personnalités
dominantes de l’Internationale, c’est aussi reconnaître
que son déclenchement a été fonction des opportunités.
LA QUESTION POLITIQUE
Au printemps 1870, tout est en place pour qu’éclate
la polémique entre les deux théoriciens, mais la guerre
vient, si l’on ose dire, retarder l’ouverture des hostilités.
Après la Commune, Bakounine fait encore cause commune avec
Marx contre les attaques du patriote italien Giuseppe Mazzini. Mais
la conférence de Londres, tenue en septembre 1871 en lieu
et place des congrès que les événements internationaux
ont empêchés, signe le début des hostilités.
Pendant l’année qui sépare cette conférence
du congrès de La Haye, la légitimité de celle-ci
à prendre des décisions en comité restreint
est l’objet d’âpres discussions, du fait que la
conférence tranche la question qui divise l’Internationale
et sur laquelle va se cristalliser l’opposition entre Marx
et Bakounine : la question politique.
La question est ici de savoir s’il faut restreindre le «
mouvement politique », qui doit être subordonné
« comme moyen » à « l’émancipation
des classes ouvrières », à l’organisation
de la classe ouvrière en parti politique se présentant
aux élections – option défendue par la plupart
des Allemands et des Anglais – ou bien si doivent coexister
dans une même organisation les différentes composantes
du mouvement ouvrier européen, aussi bien celles qui estiment
que la conquête de l’émancipation passe par les
urnes que celles qui prônent, non l’abstention politique,
mais la non-participa-tion aux élections et la lutte conjointe
contre l’État et la bourgeoisie – ce qui est
la conception bakouninienne de la politique [11].
En septembre 1871, la conférence de Londres, avec l’appui
des blanquistes [12], tranche cette question en confiant à
Marx la tâche de rappeler que l’interprétation
correcte des statuts de l’Internationale est celle qui se
base sur l’Adresse inaugurale, laquelle affirmait que «
la conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir
de la classe ouvrière » [13]. Cette résolution,
qui conduit de facto à transformer l’Internationale
en regroupement de partis politiques et son Conseil général
en comité central, constitue l’événement
déclencheur d’un conflit ouvert entre deux tendances
au sein de l’AIT [14]. Lorsqu’elles sont connues, en
octobre 1871, les décisions prises à Londres provoquent
une série de dénonciations de fédérations
entières de l’Internationale (Jura, Belgique, Italie,
Espagne), auxquelles Bakounine prend part sans pour autant en être
l’inspirateur. Les événements vont alors s’enchaîner,
menant à la victoire à la Pyrrhus des amis de Marx
au congrès de La Haye (septembre 1872), lors duquel Bakounine
et ses amis sont exclus de l’Internationale, suivis dans les
mois qui suivent par la majorité des fédérations
– ce qui signifie à terme la fin de l’Internationale
[15].
Ce qu’on a résumé dans l’antagonisme
entre Marx et Bakounine, ce n’est donc pas seulement un conflit
politique, mais un conflit sur la politique, autour de la participation
ou de l’abstention aux élections, derrière lequel
se dessine l’alternative entre prise du pouvoir et destruction
de l’État. Mais s’agissant de Marx, il faut souligner
que l’opposition de personnes ne constitue pas un résumé
fidèle de l’opposition de tendances – d’autant
que les deux auteurs connaissent finalement fort mal leurs positions
réciproques. Ainsi, au cours de la polémique, Bakounine
ne cesse d’attribuer à Marx des positions qui ne sont
pas les siennes (mais celles des Lassalliens), ou bien qui ne le
sont plus (il ne connaît de Marx que le Manifeste et l’Adresse
inaugurale). Or, dès les années 1860, Marx avait tenu
à marquer très clairement ses points de désaccord
avec les Lassalliens, leur reprochant notamment d’avoir voulu
substituer l’aide de l’État à l’action
autonome du prolétariat, et à l’occasion de
la Commune, il rappelle que le prolétariat ne doit pas tant
prendre le contrôle de la machinerie d’État pour
la faire fonctionner à son profit que la briser [16].
Du côté de Marx, revient d’une manière
récurrente l’accusation d’apolitisme [17]. Or
Bakounine avait répondu à cette accusation en 1869,
dans une série d’articles pour L’Égalité
de Genève intitulée Politique de l’Internationale
[18], qui s’inscrivait dans la polémique naissante
au sein de la fédération romande de l’Internationale.
Bakounine s’en prenait à certains de ses membres qui
soutenaient que les questions politiques et religieuses étaient
étrangères à l’association, afin de permettre
l’entrée en son sein d’anciens membres du parti
radical suisse [19]. L’argumentation du révolutionnaire
russe est la suivante : certes, l’Internationale ne s’est
pas constituée sur un fondement politique ou religieux, mais
strictement économique (elle a pour but d’organiser
d’une manière autonome la solidarité des travailleurs
et leur lutte contre la bourgeoisie), mais cela signifie simplement
que les fondateurs de l’AIT ont exclu toute position politique
(ou religieuse) du programme officiel de l’AIT, évitant
ainsi de froisser les parties du monde ouvrier qui ne sont pas encore
parvenues à une réponse lucide à ces questions
[20]. Concrètement, cela suggère que seules les questions
économiques sont susceptibles d’unir les ouvriers,
parce qu’elles les rendent déjà objectivement
solidaires les uns des autres. Ce faisant, les fondateurs de l’Internationale
ont respecté l’inégal développement,
à la fois économique et intellectuel, des masses ouvrières
européennes : quand bien même une grande partie du
prolétariat européen aurait déjà été
acquise aux idées antireligieuses et à un programme
politique particulier, il aurait été nuisible de l’imposer
au reste du mouvement ouvrier, que cet acte d’autorité
aurait pu refouler vers la réaction. La tâche de l’Internationale
est, au contraire, de repartir des intérêts du monde
ouvrier pour permettre à ce dernier de se donner les idées
antireligieuses et politiques adéquates à sa situation
matérielle.
De ce fait, « la vraie politique des travailleurs, la politique
de l’Association Internationale » [21] est encore à
inventer et l’Internationale n’a exclu de son programme
toute tendance politique que pour ne pas se transformer en secte
et ne pas heurter les préjugés politiques des ouvriers.
Dans les articles suivants, Bakounine donne sa propre interprétation
de ce que devrait être la politique de l’Internationale
: « abolition des classes », « abolition de tous
les États territoriaux, celle de toutes les patries politiques,
et sur leur ruine, établissement de la grande fédération
internationale de tous les groupes productifs, nationaux et locaux
» [22]. Mais il aperçoit aussi qu’on ne peut
exiger d’emblée des ouvriers qu’ils adhèrent
à ce programme pour entrer dans l’association.
Sans être modifiée fondamentalement, cette manière
initiale de concevoir le statut des questions politiques au sein
de l’Internationale va être reformulée et affinée
au cours de la polémique avec Marx. En 1869, il s’agissait
de montrer, pour s’opposer à l’entrée
dans l’Internationale de politiciens bourgeois, que l’Internationale
construisait sa propre politique. Mais, à partir de 1871,
Bakounine fait partie de ceux (fédéralistes et anti-autoritaires)
qui doivent se défendre de l’accusation d’indifférence
à la question politique. Comme l’expliquera en juin
1871 la Protestation de l’Alliance, « nous ne faisons
pas abstraction de la politique, puisque nous voulons positivement
la tuer » [23]. Pour Bakounine, il existe deux types d’abstentionnisme
politique. 1) Faire de la question sociale une question indépendante
de la question politique et ignorer les luttes politiques comme
extérieures au sort du prolétariat : c’est l’attitude
spontanée d’une partie du prolétariat, et Bakounine
y voit un signe de démoralisation. 2) Ne pas ignorer les
luttes politiques, mais considérer qu’aucun parti en
particulier n’est dépositaire de la question sociale,
ce qui conduit à faire de l’AIT un simple lobby ouvrier.
C’est cette dernière position que combat Bakounine
à Genève en 1869. Dans les deux cas, l’abstentionnisme
politique conduit à l’échec : la question sociale
n’est pas indépendante de la question politique et
remettre son destin entre les mains des politiciens bourgeois, c’est
se condamner à être trahi.
L’Écrit contre Marx, qui suit l’exclusion de
Bakounine de l’Internationale, contient les développements
les plus complets sur cette question. En 1872, deux projets, identifiés
par Bakounine, sont en concurrence pour représenter la politique
de l’Internationale. Le premier, identifié comme celui
de Marx et dénoncé comme communiste et autoritaire,
consiste à faire de « la conquête du pouvoir
politique […] la condition préalable de l’émancipation
économique du prolétariat ». Le second, défendu
par l’Alliance, « repousse toute action politique qui
n’aurait point pour but immédiat et direct le triomphe
des travailleurs contre le capital » [24]. Ces deux tendances
correspondent à deux lectures divergentes du considérant
des statuts de l’AIT sur la subordination de tout mouvement
politique à l’émancipation des travailleurs.
La première s’intéresse au moyen politique de
parvenir à cette émancipation et considère
que celle-ci passe nécessairement par la conquête du
pouvoir politique par les urnes. La seconde estime au contraire
que la conquête immédiate de son émancipation
par le prolétariat, contre la bourgeoisie et contre l’État,
constitue toute la politique de l’Internationale.
Pour permettre à ces deux tendances politiques de cohabiter
au sein de l’Internationale, il s’agit alors de s’en
tenir au principe « de la liberté la plus absolue de
la propagande tant politique que philosophique » qui fait
que « l’Internationale n’admet pas de censure,
ni de vérité officielle au nom de laquelle on pourrait
exercer cette censure » [25], et Bakounine de rappeler «
que l’Internationale n’a pu se développer et
s’étendre d’une manière aussi merveilleuse
que parce qu’elle a éliminé de son programme
officiel et obligatoire toutes les questions politiques et philosophiques
» [26]. De même qu’il ne saurait être question
d’ériger l’athéisme en « principe
obligatoire », bien que celui-ci constitue le « point
de départ […] négatif » de toute «
philosophie sérieuse » [27], de même on ne peut
« introduire officiellement, obligatoirement, dans les statuts
de l’Internationale » un programme politique particulier,
qu’il s’agisse de « celui des blanquistes »,
de celui de Marx ou du « programme anarchique » [28].
Il s’agit, pour Bakounine, de préserver non seulement
l’unité de l’Internationale, mais aussi la dynamique
spontanée du mouvement ouvrier, dont il considère,
comme Marx, qu’elle est la véritable source de l’AIT
[29]. En effet, au même titre que les idées religieuses,
idées abstraites qui représentent un état du
monde révolu, les principes politiques sont incapables de
remuer les masses : « Ce que les masses veulent partout, c’est
leur émancipation économique immédiate. […]
S’il est encore un idéal que les masses aujourd’hui
sont capables d’adorer avec passion, c’est celui de
l’égalité économique » [30].
Lorsqu’il s’oppose à Marx sur la question de
la participation aux élections, Bakounine ne demande pas
à ce que son propre programme politique devienne celui de
l’AIT. C’est un leitmotiv des textes de Bakounine sur
l’Internationale que cette dernière doit son succès
au fait qu’aucune doctrine politique ou philosophique n’y
ait valu comme doctrine officielle. Sur ces terrains, Bakounine
professe la plus entière liberté d’opinion,
ce en quoi il conçoit l’Internationale comme une anticipation
de la société future [31]. Pour lui, l’Internationale
n’est rien d’autre que la systématisation d’une
solidarité économique objective qui lie entre eux
les travailleurs et doit constituer le fondement de toute la réorganisation
sociale. La liberté en matière politique, plus qu’en
matière religieuse et philosophique, implique l’autonomie
des différentes fédérations, en fonction d’affinités
nationales, économiques ou politiques, l’unité
de l’Internationale reposant alors sur leur libre fédération.
Le conflit sur la question de la politique débouche alors
sur un conflit touchant à l’organisation politique
de l’Internationale, qui est l’autre pomme de discorde
entre les deux grandes tendances qui la divisent. En effet, en décembre
1871, après la conférence de Londres, les sections
italiennes, mais aussi les fédérations belge et espagnole
condamnent les décisions prises à Londres et demandent
une révision des statuts de l’Internationale pour restreindre
le rôle du Conseil général à celui d’un
simple centre de statistiques et de correspondance, proposition
à laquelle se rallie la fédération jurassienne.
Cette position, Bakounine la fait sienne dans les textes qui entourent
la polémique avec Marx. De même, à La Haye,
à l’initiative de James Guillaume, la minorité
du congrès fait une déclaration en faveur de l’autonomie
fédérale qui prend au dépourvu la majorité.
Rédigée en des termes modérés qui lui
permettent d’être signée par les délégués
des fédérations espagnole, belge, jurassienne et hollandaise,
elle n’en rejette pas moins l’autorité du Conseil
général en affirmant que seule l’autonomie des
fédérations permet le maintien de l’unité
et l’expression des différentes tendances politiques.
L’Écrit contre Marx tient compte de la position défendue
par James Guillaume au congrès de La Haye. En suivant le
principe de l’autonomie des fédérations, il
devient possible de penser une Internationale qui ne serait pas
unie autour d’un même rapport à la question politique,
mais poursuivrait un même but par différents moyens.
Par exemple, ce principe n’interdirait pas aux socialistes
allemands de présenter des candidatures ouvrières
aux élections.
Là encore, Bakounine fait tenir à Marx une position
qui n’est pas la sienne. La conception marxienne de l’organisation
diffère selon qu’il s’agit d’un syndicat
ou d’un parti. S’agissant des syndicats, dont l’action
est simplement défensive, Marx est un adversaire résolu
du centralisme : « [L]'organisation centralisée, qui
s'applique si bien aux sociétés secrètes et
aux sectes, est en contradiction avec la nature même des syndicats.
Même si elle était possible – or je la tiens
tout bonnement pour impossible –, elle ne serait pas souhaitable,
surtout en Allemagne. En effet, les ouvriers y sont dressés
dès l'enfance par la bureaucratie à croire en l'autorité
et l'instance supérieure, si bien qu'il faut avant tout qu'ils
apprennent à se tirer d'affaire tout seuls » [32].
Mais s’agissant de la politique, il est nécessaire
pour Marx que le prolétariat international soit doté
d’un « organe central » [33]. Cette reconnaissance
d’une nécessaire centralité de l’action
politique est en corrélation directe avec la centralisation
du capital. Dans la Communication confidentielle qu’il adresse
le 28 mars 1870 à la fédération romande au
nom du Conseil général, Marx explique que ce dernier
doit avoir son siège à Londres, car il a ainsi «
la main directement sur le grand levier de la révolution
prolétaire. […] Les Anglais ont toute la matière
nécessaire à la révolution sociale. Ce qui
leur manque, c’est l’esprit généralisateur
et la passion révolutionnaire. C’est seulement le Conseil
général qui peut y suppléer, qui fait ainsi
accélérer le mouvement vraiment révolutionnaire
dans ce pays et par conséquent partout ». Cela s’explique
par le fait que l’Angleterre est « la métropole
du capital ». Dès lors, et même si « l’initiative
révolutionnaire partira probablement de France, l’Angleterre
seule peut servir de levier pour une révolution sérieusement
économique » [34]. La manière dont Marx appréhende
la double composante de la lutte du prolétariat pour son
émancipation permet en retour de réévaluer
la position de Bakounine et de ses amis. Plutôt que d’indifférentisme
politique, il faudrait parler à son propos de résorption
de la politique dans l’action syndicale, ce en quoi les écrits
de Bakounine sur l’Internationale constituent l’amorce
d’une tradition anarcho-syndicaliste dont la charte d’Amiens,
en France, sera partiellement la continuation. Le maintien par Bakounine,
parallèlement à son engagement dans l’AIT, de
sociétés plus ou moins secrètes à vocation
politique manifeste cependant l’impossibilité que cette
résorption soit complète – comme ce sera aussi
le cas dans l’anarchisme espagnol.
LA QUESTION DE LA REPRÉSENTATION
Pour Bakounine, l’AIT est traversée par une lutte
entre deux partis : l’un, « communiste et autoritaire
», prônerait l’émancipation économique
du prolétariat par l’État; l’autre, collectiviste
et anarchiste, estime que cette émancipation passe nécessairement
par la destruction de l’État, refuse la participation
aux élections, refuse même de se saisir du pouvoir
politique comme d’un instrument pour retourner la domination
et ne se destine à aucune existence institutionnelle. Le
préambule du programme de l’Alliance internationale
de la Démocratie socialiste indique qu’au sein de l’AIT,
l’Alliance a « pour mission spéciale d’étudier
les questions politiques et philosophiques sur la base même
de ce grand principe de l’égalité universelle
et réelle de tous les êtres humains sur la terre ».
Il s’agit donc d’un parti, qui n’adhère
pas seulement aux principes fondateurs de l’Internationale
(l’organisation de la solidarité économique
de tous les travailleurs), mais défend aussi un programme
exclusivement philosophique et politique [35], interprétation
politique et philosophique du programme de l’Internationale.
L’Alliance n’a pas vocation à faire de son programme
le programme politique de l’Internationale, mais elle tente
de le diffuser au sein de cette dernière au moyen de la propagande
– et chaque parti est libre d’en faire autant.
Quant aux organisations secrètes, leur vocation est de constituer
un pouvoir non institué, source d’initiatives publiques.
Dotées du même programme politique que l’Alliance
officielle, elles sont avant tout des organes de propagande et d’action,
destinées à faire accoucher la révolution.
Au sein de ces organes, Bakounine admet une forme de centralisation,
nécessaire pour que tous les membres de la société
secrète agissent de concert et soient capables de se reconnaître
dans les moments décisifs [36]. C’est dans la lignée
de ces textes qu’il faut placer les considérations
de Bakounine sur l’idée d’une dictature occulte
et collective, lors de sa rupture avec Netchaïev [37]. En revanche,
comme le souligne La Théologie politique de Mazzini, l’Internationale
n’est pas une société secrète, mais l’expression
de la spontanéité révolutionnaire du peuple
[38]. Mais si la solidarité économique est la direction
que prend le mouvement ouvrier international, il manque encore à
ce mouvement une orientation politique conforme à cette direction,
que l’Alliance et, en son sein, l’organisation secrète,
doit d’abord propager, puis en cas de crise révolutionnaire
chercher à imposer.
Dès lors que l’Internationale est censée constituer
une préfiguration de la société future [39],
la critique de la centralisation au sein de l’Internationale
s’inscrit dans la continuité de la critique de la centralisation
étatique [40]. Le rôle des sociétés secrètes
et l’influence qu’elles doivent exercer ne se comprennent
que par opposition avec ce qu’il s’agit de conjurer
: le maintien ou la reconstitution de la domination politique au
sortir de la crise révolutionnaire. Bakounine s’oppose
à l’existence même d’assemblées
nationales comme à toute forme de centralisation politique
au sein des organisations ouvrières. La critique de Bakounine
s’exerce sur le caractère centraliste des assemblées
représentatives [41], qui reposent sur la fiction de l’intérêt
général – ce en quoi elle se situe dans la continuité
de Proudhon. Les représentants, en raison non pas d’un
vice qui leur serait inhérent, mais de leur position même,
sont voués à trahir ceux qu’ils représentent
et à constituer une nouvelle oligarchie [42]. Laisser les
premiers intéressés s’associer en fonction de
leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs affinités
constitue la seule solution possible pour que le bonheur des uns
ne se paie pas du malheur des autres [43]. Lorsqu’il repose
sur le suffrage universel, le système représentatif
administré dans un cadre centraliste perpétue donc
la vieille oppression, mais au nom du peuple et de son intérêt.
On peut définir un tel système comme une oppression
des masses populaires par l’abstraction de la nation au nom
de l’abstraction de l’intérêt général.
Bakounine étend cette critique au principe du mandat impératif,
qui ne connaît que deux issues : ou bien l’impossibilité
de la discussion et une succession de votes à la majorité
qui mécontenteront finalement tout le monde ou bien, plus
certainement encore, « les mandats impératifs imposés
à chaque député seront tellement discordants,
dans toutes les questions, que l’Assemblée ne pourra
réunir une majorité sur aucune et devra se dissoudre
sans avoir rien résolu » [44]. Il est donc inutile
de rechercher le bon gouvernement, comme il est vain de vouloir
une bonne Église ou un bon État; une seule tâche
s’impose au peuple qui veut s’émanciper, et «
ce n’est point de réformer le Gouvernement, l’Église,
et l’État, mais de les abolir », ce qui aboutit
à « l’anarchie au point de vue politique ou gouvernemental
», mais à « l’organisation de l’ordre
[…] au point de vue économique et social » [45].
Ce faisant, Bakounine pense s’attaquer non seulement aux
illusions dont les bourgeois radicaux pourraient bercer le monde
ouvrier, mais aussi à la social-démocratie allemande
de l’époque, qu’il croit inspirée par
Marx. Or les annotations de Marx à Étatisme et anarchie
décrivent les conditions sous lesquelles le suffrage universel
peut valoir dans des termes proches de ceux que l’on trouve
chez Bakounine : « L’élection est une forme politique,
dans la plus petite commune russe et dans l’artel. Le caractère
de l’élection ne dépend pas de cette dénomination,
mais au contraire de la base économique, des rapports économiques
entre les électeurs; et du moment que les fonctions ont cessé
d’être politiques, 1) il n’existe plus de fonction
gouvernementale; 2) la répartition des fonctions générales
est devenue affaire pratique qui ne donne aucun pouvoir; 3) l’élection
n’a rien de son caractère politique actuel »
[46]. L’actualisation d’une forme politique dépend
des conditions matérielles dans lesquelles elle a cours.
Dans le cadre des anciens rapports de domination, ce sont ces rapports
qu’elle exprimera. Mais dès lors que ces derniers auront
pris fin, l’élection perdra son caractère politique,
c’est-à-dire étatique, et aura un simple caractère
technique de répartition des fonctions au sein de la commune.
On rejoint ainsi l’idée exprimée par Bakounine
trois ans auparavant, selon laquelle l’élection ne
peut avoir de valeur que là où les conditions économiques
et sociales ont été radicalement transformées
[47].
Mais ce rapprochement ne fait pas pour autant disparaître
le conflit sur la manière d’en finir avec la politique.
Fondamentalement, l’hostilité de Bakounine à
l’organisation du prolétariat en parti politique destiné
à prendre le pouvoir repose sur une analyse du rôle
historique de l’État qui engage la conception bakouninienne
du matérialisme historique. Plusieurs textes reprochent à
la conception marxienne de l’histoire une attention unilatérale
aux déterminations économiques qui ignorerait la réaction
des effets sur les causes. Comme l’indique un projet de lettre
à La Liberté de Bruxelles en octobre 1872, le rôle
tenu par les institutions dans l’exploitation capitaliste
permet d’appréhender cette réaction : «[Marx]
ne tient aucun compte des autres éléments de l’histoire,
tels que la réaction, pourtant évidente, des institutions
politiques, juridiques et religieuses sur la situation économique.
Il dit : ’La misère produit l’esclavage politique,
l’État’ ; mais il ne permet pas de retourner
cette phrase et de dire : ‘L’esclavage politique, l’État,
reproduit à son tour et maintient la misère, comme
une condition de son existence; de sorte que pour détruire
la misère, il faut détruire l’État’.
Et, chose étrange, lui qui interdit à ses adversaires
de s’en prendre à l’esclavage politique, à
l’État, comme à une cause actuelle de la misère,
il commande à ses amis et à ses disciples du Parti
de la démocratie socialiste en Allemagne de considérer
la conquête du pouvoir et des libertés politiques comme
la condition préalable, absolument nécessaire, de
l’émancipation économique » [48].
Bakounine ne s’oppose pas à une lecture de l’histoire
en termes matérialistes, mais cherche à l’affiner
en faisant valoir que les effets des causes déterminantes
en dernière instance tendent nécessairement à
se subordonner leurs conditions d’apparition. S’il est
vrai que les entités politiques, religieuses, juridiques
sont autant de reflets des conditions économiques d’une
société, il n’en est pas moins vrai que ces
conditions sont ensuite subsumées sous ces entités,
lesquelles, en tant qu’elles visent leur propre conservation,
cherchent à faire perdurer leurs conditions d’existence.
D’où un renversement partiel du rapport entre les conditions
et ce qu’elles conditionnent. Si le développement de
la production capitaliste détermine l’apparition de
l’État moderne, celui-ci finit à son tour par
valoir comme condition d’existence de ce mode de production.
Cette distinction permet de rendre compte d’un paradoxe apparent.
Dans les mêmes textes, Bakounine emprunte à Marx l’histoire
de la mise en place du mode de production capitaliste, exposée
par le Manifeste et par l’Adresse inaugurale de 1864, et montre
qu’il doit son apparition à la dissolution des corporations
et à la prétendue « émancipation »
des campagnes [49], mais soutient que l’exploitation capitaliste
repose sur le droit d’héritage. C’est qu’il
convient de distinguer les conditions d’apparition de ce mode
de production (ses origines historiques) de la manière dont
il fonctionne. S’il est vrai que l’État moderne
et ses institutions juridiques obéissent aux exigences de
la production capitaliste, il est tout aussi vrai que cette dernière
a généré les conditions de sa conservation,
en faisant par exemple garantir le droit d’héritage
par l’État.
Cette critique du matérialisme historique comme réductionnisme
économique permet à Bakounine de répondre à
l’accusation d’apolitisme qui est formulée contre
les anarchistes. On pouvait en effet reprocher à ces derniers
une incohérence entre leur renoncement à l’action
politique et leur dénonciation du rôle joué
par l’État dans l’exploitation des masses. En
1872, Bakounine peut retourner l’argument : non seulement
la position anarchiste est cohérente, parce qu’elle
n’est pas apolitique, mais antipolitique, et prend acte des
effets en retour de l’État moderne sur les conditions
historiques de son apparition, mais c’est finalement la position
présumée des marxistes qui contient une contradiction,
puisque ces derniers, tout en soulignant unilatéralement
les déterminations économiques, recommandent au prolétariat
de prendre le contrôle de l’appareil d’État.
En toute rigueur, c’est la position attribuée à
Marx (en fait celle de Lassalle) qui devrait mener à l’apolitisme,
s’il est vrai qu’il suffit d’attendre d’une
transformation des conditions économiques la fin de la domination
politique.
DEUX TYPES MILITANTS
La manière dont Bakounine rend compte de son expérience
de militant dans l’Internationale se comprend dans la continuité
de sa position sur la question politique. Au sein de l’AIT,
il ne s’oppose pas au fait que des sections désignent
des délégués pour les représenter (lui-même
a représenté les ouvriers napolitains au congrès
de Bâle), mais à ce que le Conseil général
de l’Internationale soit promu au rang de centre politique
de l’association. Il y a donc une « bonne représentation
», à laquelle il est aussi possible d’appliquer
le principe du mandat impératif, mais elle présuppose
une réorganisation préalable de la société
sur des bases socialistes et fédéralistes, dont l’Internationale
peut constituer une ébauche si elle ne dégénère
pas en organisation bureaucratique et respecte, par le principe
de l’autonomie, la diversité des options défendues.
Sur ce point, la Protestation de l’Alliance, rédigée
au cours de l’été 1871 en prévision des
attaques que le Conseil général ne va pas tarder à
mener contre Bakounine et ses amis, contient une analyse précieuse
de la bureaucratisation qui guette les organisations ouvrières,
et menace d’en faire de nouveaux embryons d’État
[51]. Dans ce texte, Bakounine tire les leçons politiques
de son expérience de militant de l’Internationale,
et en particulier de ses observations sur les membres des Comités
genevois [52] : « À force de se sacrifier et de se
dévouer, ils se sont fait du commandement une douce habitude,
et, par une sorte d’hallucination naturelle et presque inévitable
chez tous les gens qui gardent trop longtemps en leurs mains le
pouvoir, ils ont fini par s’imaginer qu’ils étaient
des hommes indispensables. C’est ainsi qu’imperceptiblement
s’est formée, au sein même des sections si franchement
populaires des ouvriers du bâtiment, une sorte d’aristocratie
gouvernementale. […] Est-il besoin de dire combien cet état
de choses est fâcheux pour les sections elles-mêmes
? Il les réduit de plus en plus au néant […].
Avec l’autorité croissante des comités se sont
naturellement développées l’indifférence
et l’ignorance des sections devant toutes les questions autres
que celles des grèves et du paiement des cotisations. […]
C’est une conséquence naturelle de l’apathie
morale et intellectuelle des sections et cette apathie à
son tour est le résultat tout aussi nécessaire de
la subordination automatique à laquelle l’autoritarisme
des Comités a réduit les sections » [53].
Si l’Internationale genevoise constitue un si bon exemple
pour Bakounine, c’est que des individus dépourvus d’ambitions
personnelles ont fini par y occuper une position de pouvoir. Il
s’agit en effet de militants dévoués à
leur tâche, auxquels la base de l’Internationale genevoise
prend l’habitude de déléguer les tâches
principales. Ces hommes, inévitablement, prennent l’habitude
de décider à la place des premiers concernés,
dont ils se séparent comme un gouvernement de ses administrés.
Ils oublient que c’est dans les masses que réside leur
force, et que c’est la masse qui est censée s’élever.
Cette séparation progressive entre les délégués
et leur base s’entretient elle-même : les délégués
se pensent indispensables, ils commencent à regarder de haut
leurs camarades, voient en eux une masse amorphe qui doit obéir
à leurs consignes. Or c’est précisément
le premier effet de cette séparation que de produire l’apathie
de la masse et de constituer une aristocratie, qui seule a accès
aux questions les plus élevées, qu’elles soient
sociales ou politiques. En somme, les sections genevoises ont été
enfermées dans un cercle vicieux, l’apathie suscitant
l’autoritarisme, qui à son tour entretient l’apathie.
Dès lors que la base a des responsables, elle se déresponsabilise
[54].
Cette dégénérescence, interne aux sections,
se retrouve démultipliée à mesure que l’on
s’élève dans les organes dirigeants de la fédération
romande. De même que les dirigeants de section constituent
un gouvernement de fait sur la masse des militants, le Comité
central de Genève a acquis un pouvoir de plus en plus important
sur les sections. Bakounine relève les conséquences
politiques de ce fonctionnement autoritaire : l’existence
d’une aristocratie gouvernementale au sein des sections de
Genève a permis que l’Internationale soit mise au service
du radicalisme bourgeois à l’occasion des élections.
Il y a donc une corrélation entre l’apparition d’un
pouvoir autoritaire au sein de l’Internationale et la diffusion
de l’idée selon laquelle un soutien à des candidatures
bourgeoises qui relaieraient les aspirations ouvrières aurait
quelque efficacité. Laissés libres de tout contrôle
par leur base, les délégués des Comités
finissent par constituer une sorte de bourgeoisie interne, apte
à négocier avec la bourgeoisie réelle, et cela
quelle que soit leur honnêteté personnelle.
Pour Bakounine, il existe deux moyens pour contrecarrer cette dérive
« délégationniste ». Pour éviter
que le Comité central n’acquière de l’autorité
sur les sections, il importe d’affirmer le principe de l’autonomie
des sections. Et au sein de ces dernières, Bakounine remarque
que le pouvoir des délégués est remis en cause
lorsque sont organisées des assemblées générales,
au cours desquelles les délégués ne peuvent
pas décider entre eux de ce que fera toute la section, mais
sont contraints par la masse, qui délibère et élabore
collectivement ses propres décisions [55]. Dans une assemblée
générale, il s’agit de substituer à des
autorités, par définition ostensibles et officielles,
le pouvoir naturel de l’influence. Bakounine conçoit
le rôle de l’Internationale tout entière au sein
des masses ouvrières sur ce modèle. En effet, remarque-t-il,
on pourrait opposer à la légitimité de l’Internationale
le fait qu’elle regroupe en son sein une minorité du
prolétariat international et donc qu’elle n’a
pas vocation à le représenter, voire qu’en prenant
la parole en son nom, elle s’érigerait elle-même
en pouvoir sur les ouvriers de tous les pays. Or, pour mener ses
combats, l’Internationale n’use que de deux moyens,
certes pas toujours légaux, mais légitimes : la propagande
en direction des ouvriers et leur organisation de classe [56]. Au
sein du mouvement ouvrier, l’Internationale exerce son influence
de la même manière que la société secrète
est censée accomplir sa tâche au lendemain de la révolution
: sans contraintes et par la seule influence de la propagande.
La conception bakouninienne de l’action révolutionnaire
repose ainsi sur un modèle de diffusion d’influence
à partir d’un foyer. Le petit groupe aux convictions
révolutionnaires les plus affirmées, quel que soit
son nom (Alliance, officielle ou secrète, Fraternité
internationale), diffuse ses principes dans l’Internationale,
laquelle à son tour diffuse ses principes au sein du prolétariat
de tous les pays. On notera qu’en proposant des procédures
formelles concrètes (assemblée générale
seule apte à décider, autonomie des sections), Bakounine
prémunit mieux l’Internationale contre les dérives
autoritaires que ses sociétés secrètes. Mais
c’est qu’en la matière, il est aiguillonné
par le conflit avec Marx, dont il interprète le communisme
comme une manière de résoudre la question sociale
par l’État, et donc comme une théorie politique
qui préconise la prise du pouvoir par les urnes (ce en quoi
elle se distingue du blanquisme).
Si tout dialogue a été impossible entre Marx et Bakounine,
ce n’est pas seulement en raison de l’antipathie que
les deux hommes éprouvaient l’un pour l’autre,
mais aussi parce qu’ils ne parlaient pas du même lieu
ni de la même chose – ce qui ne signifie pas pour autant
que leurs conceptions politiques soient en quelque manière
réconciliables. Lorsqu’il réfléchit d’une
manière critique sur son parcours militant, Bakounine évoque
le fonctionnement quotidien des sections de l’Internationale,
là où Marx cherche à penser la possibilité
d’une action politique propre à la classe ouvrière.
Comprendre ce que les pratiques politiques bakouninienne et marxienne
au sein de l’Internationale ont d’irréconciliable,
mais aussi les raisons pour lesquelles elles n’ont jamais
pu parvenir à l’intelligence réciproque implique
qu’on prenne en compte la différence des positions
et des objets de réflexion des deux auteurs. Le problème
de Marx est de parvenir à penser les conditions d’une
action politique autonome du prolétariat. Cette autonomie
ne signifie pas seulement la constitution du prolétariat
en parti distinct de tous les autres partis, mais aussi la création
de formes politiques nouvelles – c’est le rôle
historique que Marx fait jouer à la Commune de Paris. Le
questionnement de Bakounine s’articule quant à lui
autour du risque de réapparition de formes de domination
politique au sein même des organisations qui sont censées
œuvrer à l’émancipation du prolétariat.
NOTES
[1]Bakounine, Rapports personnels avec Marx, in Œuvres complètes,
t. II, Paris, Champ Libre, 1974, pp. 119-130. Pour faire justice
à l’interprétation psychologisante des rapports
entre Marx et Bakounine, voir aussi la lettre de Bakounine à
Herzen du 28 octobre 1869, qui annonce que la lutte avec Marx interviendra
« sur une question de principe » et non pour des raisons
personnelles, in Michel Bakounine, Le Socialisme libertaire, Paris,
Denoël, 1973, p. 216.
[2]Les limites d’une démarche simplement comparative
et la nécessité d’une confrontation des pratiques
entre Marx et Bakounine ont cependant été soulignées
par Gaetano Manfredonia, « En partant du débat Marx,
Proudhon, Bakounine », Revue Contretemps n° 6, février
2003, pp. 88-100.
[3]En effet, l’AIT ne fédère que des sections
ou des fédérations locales. Par ailleurs, le programme
de l’Alliance, lors de sa demande collective d’adhésion
à l’AIT, comprenait la mention de l’égalisation
des classes et des individus, d’où la remarque suivante
de Marx : il ne s’agit pas d’égaliser les classes,
mais de les supprimer. Sur ces questions, voir la brochure du Conseil
général de 1872, Les prétendues scissions dans
l’Internationale, p. 7-9 (citée in M. Bakounine, Œuvres
complètes, op. cit., t. III, p. 271-272 – pour le texte
complet, voir Marx et Engels, Textes sur l’organisation, Paris,
Spartacus, 1970.) Dans sa lettre à Marx du 22 décembre
1868, Bakounine lui donne raison et explique cette confusion de
vocabulaire par la nécessité d’avoir à
convaincre l’auditoire bourgeois de la Ligue de la Paix et
de la Liberté.
[4]Lettre à Engels du 15 décembre 1868, in Marx et
Engels, Correspondance, t. IX, Paris, Editions Sociales, 1983, p.
395.
[5]D’où aussi l’idée selon laquelle Bakounine
aurait souhaité que le siège du Conseil général
soit transféré en Suisse, alors que le révolutionnaire
russe dit explicitement le contraire : il est favorable à
la réduction des pouvoirs du Conseil général
et ne cherche pas à le placer sous son influence. Voir la
Communication confidentielle rédigée par Marx au nom
du Conseil général et adressée aux sections
allemandes de l’Internationale (traduite en français
sur http :// www. marxists. org/ francais/ marx/ works/ 00/ parti/
kmpc058. htm).
[6]Marx à Engels le 27 juillet 1869 (Correspondance, t.
X, op. cit., p. 150). On retrouvera ces accusations dans la circulaire
de mai 1872 du Conseil général de l’AIT sur
Les prétendues scissions dans l’Internationale.
[7]Pour Marx, il était superflu de placer la suppression
du droit d’héritage dans le programme de l’Internationale,
les conditions juridiques de l’exploitation étant censées
disparaître avec cette exploitation elle-même. Voir
à ce propos la Communication confidentielle, qui qualifie
la proposition adoptée à Bâle de « vieillerie
saint-simonienne », et les exposés de Marx sur le droit
d’héritage au Conseil général en juillet
1869, traduits dans les Cahiers de l’I.S.E.A., n° 152,
Série S, août 1964, pp. 199-212.
[8]Marx à Engels le 14 mars 1869, in Correspondance, t.
X, Paris, Editions Sociales, 1984, pp. 51-52.
[9]Sur ces deux points, voir George Haupt, « La confrontation
de Marx et de Bakounine dans la Première Internationale :
la phase initiale », in Jacques Catteau (dir.), Bakounine
– Combats et débats, Paris, Institut d’études
slaves, 1977, pp. 133-142.
[10]Parmi ces éléments compromettants, les relations
de Bakounine avec le jeune Netchaïev occupent une place de
choix. Marx avait d’abord tenté d’utiliser le
jeune militant russe Serno-Solovievitch, mais celui-ci en avait
informé Bakounine (voir lettre de Marx à Engels du
13 janvier 1869). En revanche, il trouvera dans la personne de Nicolas
Outine un informateur dévoué, animé d’une
haine tenace pour Bakounine.
[11]Contrairement à ce que suggère Arthur Lehning
(« Introduction », in M. Bakounine, Œuvres complètes,
op. cit., t. II, p. XLI), le débat sur la participation aux
élections n’a pas tant sa source dans la traduction
fautive du troisième considérant des statuts de l’Internationale
en français (omission des mots « comme moyens »
dans le considérant : « l’émancipation
des classes ouvrières est le grand but auquel tout mouvement
politique doit être subordonné comme moyen »)
que dans la manière d’interpréter le «
mouvement politique » en question, d’autant que lorsqu’il
cite les considérants, Bakounine cite une traduction exacte
et maintient néanmoins ses positions abstentionnistes en
matière électorale.
[12]Ceux-ci quitteront l’Internationale au congrès
de La Haye avec le sentiment d’avoir été utilisés.
Les blanquistes souhaitaient que l’Internationale constitue
une avant-garde pour le prolétariat révolutionnaire
et qu’en son sein, le Conseil général soit une
sorte d’état-major.
[13]Comme le signale Arthur Lehning, « l’Adresse, presque
inconnue en France, n’avait jamais été discutée
par un congrès et ne pouvait être considérée
comme un programme fondamental » (« Introduction »,
op. cit., p. XLIII).
[14]Cette résolution devient à La Haye l’ajout
aux statuts d’un article 7a : « Dans sa lutte contre
le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat
ne peut agir en tant que classe qu'en se constituant lui-même
en parti politique distinct et opposé à tous les anciens
partis politiques créés par les classes possédantes.
Cette constitution du prolétariat en parti politique est
indispensable pour assurer le triomphe de la Révolution sociale
et de sa fin suprême : l'abolition des classes. La coalition
des forces de la classe ouvrière, déjà obtenue
par la lutte économique, doit ainsi lui servir de levier
dans sa lutte contre le Pouvoir politique de ses exploiteurs. Puisque
les seigneurs de la terre et du capital utilisent toujours leurs
privilèges politiques pour défendre et perpétuer
leurs monopoles économiques et pour subjuguer le travail,
la conquête du Pouvoir politique est devenu le grand devoir
du prolétariat ».
[15]Sur les grandes et petites manœuvres auxquelles donna
lieu le congrès de La Haye, voir l’introduction d’Arthur
Lehning au volume III des Œuvres complètes de Bakounine.
[16]Outre La Guerre civile en France, voir la lettre de Marx à
Schweitzer du 13 octobre 1868 (Marx et Engels, La Socialdémocratie
allemande, Paris, UGE, 1975, pp. 50-53). La critique des tendances
lassalliennes au sein de la social-démocratie allemande est
reprise dans la Critique du programme de Gotha en 1875.
[17]Dans l’article sur « l’indifférentisme
politique » qu’il fait paraître dans le Almanacco
Repubblicano per l'anno 1874 (Karl Marx, Friedrich Engels, Werke,
Band 18, Berlin, Dietz Verlag, 1973, pp. 299-304), Marx caricature
ainsi la position des anarchistes : « Il n’est pas permis
à la classe ouvrière de se constituer en parti politique,
il ne lui est permis sous aucun prétexte d’entreprendre
une action politique, parce que le combat contre l’État
signifie la reconnaissance de l’État, et c’est
en contradiction avec les principes éternels ! » (traduction
personnelle).
[18]Cette série d’articles se trouve dans Michel Bakounine,
Le Socialisme libertaire, op. cit., pp. 159-181. Bakounine s’y
réfère trois ans plus tard (Œuvres complètes,
op. cit, t. III, p. 73 [121-122]) (les chiffres entre crochets indiquent
la page du manuscrit) pour souligner la continuité de ses
positions.
[19]Voir la série d’articles La Montagne, où
Bakounine tente de déjouer ces manœuvres (Le Socialisme
libertaire, op. cit., pp. 141-158)
[20]Ibid., p. 162 : « S’ils avaient arboré le
drapeau d’un système politique ou antireligieux, loin
d’unir les ouvriers de l’Europe, ils les auraient encore
plus divisés […]. D’ailleurs, il existe encore
une trop grande différence entre les degrés de développement
industriel, politique, intellectuel et moral des masses ouvrières
dans les différents pays, pour qu’il soit possible
de les unir aujourd’hui par un seul et même programme
politique et antireligieux. Poser un tel programme comme celui de
l’Internationale, en faire une condition absolue d’entrée
dans cette Association, ce serait vouloir organiser une secte, non
une association universelle, ce serait tuer l’Internationale.
».
[21]Ibid., pp. 163-164.
[22]Ibid., pp. 164-165.
[23]M. Bakounine, Protestation de l’Alliance, p. 24. Le manuscrit
complet de ce texte ne se trouve que sur le CD-Rom édité
par l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam
: Bakounine, Œuvres complètes, Amsterdam, 2000 (la pagination
indiquée est celle du manuscrit). Un an plus tard, s’adressant
aux marxistes, Bakounine lance : « Entre votre politique et
la nôtre, il y a, en effet, un abîme. La vôtre
est une politique positive, la nôtre est toute négative
» (Œuvres complètes, op. cit., t. III, p 72 [120]
– Bakounine souligne).
[24]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. III,
p 173 [7] – Bakounine souligne
[25]Ibid., p. 174 [9-10].
[26]Ibid., p. 171 [4].
[27]Ibid., p. 177 [13-14].
[28]Ibid., p. 184 [24].
[29]L’Internationale « est sortie non de la tête
ou de la volonté d’un ou de quelques individus, mais
du sein même du prolétariat » (Œuvres complètes,
op. cit., t. II, p 129).
[30]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. II,
p 178 [15].
[31]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. III,
p 80 [135]: « Si c’est être mystique et rêveur
que de s’imaginer que l’Internationale contient en germe
toute l’organisation de la société humaine future,
nous nous avouons humblement et mystiques et rêveurs ».
[32]Lettre à Schweitzer du 13 octobre 1868 (souligné
par Marx).
[33]Voir la fin de la première section de la Critique du
programme de Gotha: « L'action internationale des classes
ouvrières ne dépend en aucune façon de l'existence
de l'Association internationale des travailleurs. Celle-ci fut seulement
la première tentative pour doter cette action d'un organe
central; tentative qui, par l'impulsion qu'elle a donnée,
a eu des suites durables, mais qui, sous sa première forme
historique, ne pouvait survivre longtemps à la chute de la
Commune de Paris ».
[34]Cité par Arthur Lehning, « Introduction »,
op. cit., pp. 341-342.
[35]Celui-ci tient en sept points : athéisme, égalité
politique, sociale et économique, égalité des
moyens de développement pour chaque individu (moyens d’entretien,
d’éducation et d’instruction identiques pour
tous), république sociale, disparition des États «
dans l’union universelle des libres associations, tant agricoles
qu’industrielles », solidarité internationale
des travailleurs comme base de toute politique, principe de fédération
libre pour que s’unissent les associations locales. On pourrait
comparer cette conception des rapports entre l’AIT et l’Alliance
à la situation qui prévaudra plus tard en Espagne
entre la CNT et la FAI.
[36]Voir les Statuts secrets de l’Alliance rédigés
à l’automne 1868 et Fraternité internationale.
Programme et objet (fin 1868).
[37]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. V,
p. 237 : « Mais si nous sommes des anarchistes, demanderez-vous,
de quel droit voulons-nous agir sur le peuple et par quels moyens
le ferons-nous ? Rejetant toute autorité, à l’aide
de quel pouvoir ou plutôt de quelle force dirigerons-nous
la révolution populaire ? Au moyen d’une force invisible
qui n’aura aucun caractère public et qui ne s’imposera
à personne; au moyen de la dictature collective de notre
organisation qui sera d’autant plus puissante qu’elle
restera invisible, non déclarée et sera privée
de tout droit et rôle officiels » (Bakounine souligne).
Il y a une évidente faiblesse politique de Bakounine sur
ce point : ce qui empêche cette force invisible de devenir
une nouvelle source de domination, c’est simplement…
sa moralité et son programme : « Ces groupes, ne désirant
rien pour eux-mêmes, ni profits, ni honneurs, ni autorité,
seront en mesure de diriger le mouvement populaire envers et contre
tous les ambitieux, désunis et dressés les uns contre
les autres, et de l’acheminer vers la réalisation aussi
intégrale que possible de l’idéal social et
économique, et vers l’organisation de la liberté
populaire la plus complète. Voilà ce que j’appelle
la dictature collective de l’organisation secrète »
(ibid., p. 238 – Bakounine souligne).
[38]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. I,
p. 28.
[39]D’où aussi l’insistance, dès 1869,
sur la coopération (voir l’article « De la coopération
» in Michel Bakounine, Le socialisme libertaire, op. cit.,
pp. 191-197) et sur les caisses de résistance, qui préfigurent
la solidarité au sein de la société post-révolution-naire.
Ces deux thèmes sont repris dans la Protestation de l’Alliance,
op. cit. pp. 32-33.
[40]Cette critique devient plus aiguisée dès lors
que Bakounine milite dans l’AIT : il ne s’agit plus
seulement d’attaquer le caractère artificiel de la
centralisation, opposée à la libre fédération
comme continuité du mouvement naturel, mais de reconnaître
le rôle à la fois administratif et répressif
de l’État dans l’exploitation. Parallèlement,
la vision politique de Bakounine s’infléchit, le fédéralisme
économique tendant à supplanter le fédéralisme
simplement politique.
[41]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. I,
p. 168 : « La soi-disant représentation populaire par
une Assemblée centraliste quelconque, même élue
par le suffrage universel et dans les circonstances en apparence
les plus favorables pour le rendre sincère, sera toujours
plus ou moins une fiction; et qui dit fiction, dit mensonge »
(Bakounine souligne).
[42]Ibid., p. 169.
[43]Hors de ce cadre, le suffrage universel lui-même est
sans valeur : « le suffrage universel, non organisé
par différentes et libres associations ouvrières,
mais exercé par l’agrégation mécanique
des millions d’individus qui forment la totalité d’une
nation, est un moyen excellent pour opprimer et ruiner le peuple
au nom même et sous le prétexte d’une soi-disant
volonté populaire. » (ibid., p. 189 [57-58]).
[44]Ibid., p. 170.
[45]Ibid., p. 174.
[46]Marx/Bakounine, Socialisme autoritaire ou libertaire, t. 2,
Paris, UGE, 1975, p. 379.
[47]Marx ajoute : « Avec la propriété collective,
disparaît la prétendue volonté du peuple, pour
faire place à la volonté réelle de la coopérative
» (id.).
[48]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. III,
pp. 162-163 [29]. On trouve déjà cette analyse dans
la suite inédite de la Protestation de l’Alliance datée
d’août 1871 (disponible uniquement sur le CD-Rom M.
Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., p. 7 du manuscrit).
[49]M. Bakounine, Œuvres complètes, op. cit., t. I,
pp. 220-226
[51]Il est cependant frappant que Bakounine délaisse l’objet
initial de son manuscrit (la défense de l’Alliance)
pour attaquer sur la question de la bureaucratisation, sans se poser
la question de l’éventuel embryon de bureaucratie que
pourraient constituer ses sociétés secrètes.
[52]Bakounine prolonge dans ces pages les enseignements que le
militant russe Serno-Solovievitch, décédé prématurément,
avait tirés des grèves du bâtiment à
Genève.
[53]Protestation de l’Alliance, op. cit., pp. 4-5 du manuscrit.
[54]On trouve une analyse de ce passage dans Marc Vuilleumier,
« Bakounine et le mouvement ouvrier de son temps »,
in Jacques Catteau (dir.), Bakounine – Combats et débats,
op. cit., p. 124.
[55]Sur l’éloge des assemblées générales
comme moyen par excellence de rétablir la démocratie
et sur la défense du principe de l’autonomie des sections,
Protestation de l’Alliance, op. cit., pp. 11-12.
[56]Ibid., pp. 70-78.
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