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Origine
http://www.fondation-besnard.org/IMG/pdf/Bakounine_Le_principe_de_commandement_et_ses_effets.pdf
[Absence de début…] comme des chefs permanents dont
le pouvoir est légitimé tant par les services qu’ils
ont rendus, que par le temps même que ce pouvoir a duré.
Les meilleurs hommes sont facilement corruptibles, surtout quand
le milieu lui-même provoque la corruption, des individus par
l’absence de contrôle sérieux et d’opposition
permanente. Dans l’Internationale il ne peut être question
de la corruption vénale, parce qu’elle est encore trop
pauvre pour donner des revenus ou même de justes rétributions
à aucun de ses chefs. Mais il existe une autre corruption
qui malheureusement ne lui est point étrangère, c’est
celle de la vanité et de l’ambition. Contrairement
à ce qui se passe dans le monde bourgeois, les calculs intéressés
et les malversations y sont donc fort rares et n’y apparaissent
qu’à titre d’exception. Mais il existe un autre
genre de corruption auquel malheureusement l’Association Internationale
n’est point étrangère ; c’est celle de
la vanité et de l’ambition.
Il est dans tous les hommes un instinct naturel de commandement
qui prend sa source première dans cette loi fondamentale
de la vie, qu’aucun individu ne peut assurer son existence
ni faire valoir ses droits qu’au moyen de la lutte. Cette
lutte entre les hommes a commencé par l’anthropophagie;
puis, continuant à travers les siècles sous différentes
bannières religieuses, elle a passé successivement,
s’humanisant très lentement, peu à peu, et semblant
même retomber quelquefois dans sa barbarie primitive, par
toutes les formes de l’esclavage et du servage. Aujourd’hui
elle se produit sous le double aspect de l’exploitation du
travail salarié par le Capital, et de l’oppression
politique, juridique, civile, militaire, policière de l’Etat
et des Eglises officielles des Etats, continuant de susciter toujours
dans tous les individus qui naissent dans la société
le désir, le besoin, parfois la nécessité de
commander aux autres et de les exploiter.
On voit que l’instinct du commandement est dans son essence
primitive est un instinct carnivore tout bestial, tout sauvage.
Sous l’influence du développement intellectuel des
hommes, il s’idéalise en quelque sorte, et ennoblit
ses formes, se présentant comme l’organe de l’intelligence
et comme le serviteur dévoué de cette abstraction,
ou de cette fiction politique, qu’on appelle le bien public;
mais au fond il reste tout aussi malfaisant, il le devient même
davantage, à mesure qu’à l’aide des applications
de la science il étend davantage et rend plus puissante son
action. S’il est un diable dans toute l’histoire humaine,
c’est ce principe du commandement. Lui seul, avec la stupidité
et l’ignorance des masses, sur lesquelles d’ailleurs
il se fonde toujours et sans lesquelles il ne saurait exister, lui
seul a produit tous les malheurs, tous les crimes et toutes les
hontes de l’histoire.
Et fatalement ce principe maudit se retrouve comme instinct naturel
en tout homme, sans en excepter les meilleurs. Chacun en porte le
germe en soit, et tout germe, on le sait, par une loi fondamentale
de la vie, doit nécessairement se développer et grandir,
pour peu qu’il trouve dans son milieu des conditions favorables
à son développement. Ces conditions dans la société
humaine sont la stupidité, l’ignorance, l’indifférence
apathique et les habitudes serviles dans les masses; de sorte qu’on
peut dire avec droit que ce sont les masses ellesmêmes qui
produisent les exploiteurs, ces oppresseurs, ces despotes, ces bourreaux
de l’humanité dont elles sont les victimes. Lorsqu’elles
sont endormies et lorsqu’elles supportent patiemment leur
abjection et leur esclavage, les meilleurs hommes qui naissent dans
leur sein, les plus intelligents, les plus énergiques, ceux
mêmes qui dans un milieu différent pourraient rendre
d’immenses services à l’humanité, deviennent
forcement des despotes. Ils le 2 deviennent souvent en se faisant
illusion sur eux mêmes et en croyant travailler pour le bien
de ceux qu’ils oppriment. Par contre, dans une société
intelligente, éveillée, jalouse de sa liberté
et disposée à défendre ses droits, les individus
les plus égoïstes, les plus malveillants, deviennent
nécessairement bons. Telle est la puissance de la société,
mille fois plus grande que celle des individus les plus forts.
Ainsi donc il est clair que l’absence d’opposition
et de contrôle continus deviennent inévitablement une
source de dépravation pour tous les individus qui se trouvent
investis d’un pouvoir social quelconque; et que ceux d’entre
eux qui ont à coeur de sauver leur moralité personnelle
devraient avoir à coeur de ne point garder trop longtemps
ce pouvoir, d’abord, et ensuite, aussi longtemps qu’ils
le gardent, de provoquer, contre eux-mêmes, cette opposition
et ce contrôle salutaires.
C’est ce que les membres des Comités de Genève,
sans doute par ignorance des dangers qu’ils couraient au point
de vue de leur moralité sociale, ont généralement
négligé de faire. A force de se sacrifier et de se
dévouer, ils se sont fait du commandement une douce habitude,
et, par une sorte d’hallucination naturelle et presque inévitable
chez tous les gens qui gardent trop longtemps en leurs mains le
pouvoir, ils ont fini par s’imaginer qu’ils étaient
des hommes indispensables. C’est ainsi qu’imperceptiblement
s’est formée, au sein même des sections si franchement
populaires des ouvriers en bâtiment, une sorte d’aristocratie
gouvernementale. Nous allons montrer tout à l’heure
quels en furent les conséquences désastreuses pour
l’organisation de l’Association Internationale à
Genève Est-il besoin de dire combien cet état de choses
est fâcheux pour les sections ellesmêmes? Il les réduit
de plus en plus au néant ou à l’état
d’êtres purement fictifs et qui, n’ont plus d’existence
que sur le papier. Avec l’autorité croissante des comités
se sont naturellement développées l’indifférence
et l’ignorance des sections dans toutes les questions autres
que celles des grèves et du payement des cotisations, payement
qui d’ailleurs s’effectue avec des difficultés
toujours plus grande et d’une manière très peu
régulière. C’est une conséquence naturelle
de l’apathie intellectuelle et morale des sections, et cette
apathie à son tour est le résultat tout aussi nécessaire
de la subordination automatique à laquelle l’autoritarisme
des Comités a réduit les sections.
Les questions de grève et de cotisations exceptées,
sur tous les autres points les sections des ouvriers en bâtiment
ont renoncé proprement à tout jugement, à toute
délibération, à toute intervention ; elles
s’en rapportent simplement aux décisions de leurs comités.
« Nous avons élu notre comité, c’est à
lui de décider. » Voilà ce que les ouvriers
en bâtiment répondent souvent à ceux qui s’efforcent
de connaître leur opinion sur une question quelconque […]
; pourvu que leurs comités ne leur demandent pas trop d’argent
et ne les pressent pas trop de payer ce qu’ils doivent, ceux-ci
peuvent, sans les consulter, décider et faire impunément
en leur nom ce qui leur paraît bon. C’est très
commode pour les comités, mais ce n’est nullement favorable
pour le développement social, intellectuel et moral des sections,
ni pour le développement réel de la puissance collective
de l’Association internationale. Car, de cette manière,
il n’y reste plus à la fin de réel que les n’ayant
derrière eux que des masses ignorantes et indifférentes,
ne sont plus capables de former qu’une puissance fictive,
non une puissance véritable. Cette puissance fictive, conséquence
détestable et inévitable de l’autoritarisme,
une fois introduite dans l’organisation des sections de l’Internationale,
est excessivement favorable au développement de toutes sortes
d’intrigues, 3 de vanités, d’ambitions et d’intérêts
personnels; elle est même excellente pour inspirer un contentement
puéril de soi-même et une sécurité aussi
ridicule que fatale au prolétariat1.
Protestation de l’Alliance, 1871, édition de 1906,
pp. 15-21 [parties soulignées par le compilateur] Conséquences
sur les relations avec Marx et ses partisans Mes amis et moi, nous
avons commis deux grands crimes: l’un personnel, et l’autre
principiel. Tout en rendant complète justice à l’intelligence,
à la science du citoyen Marx, aussi bien qu’aux services
qu’il a rendus à la cause du prolétariat 2,
nous n’avons jamais voulu courber nos têtes devant lui,
ni le reconnaître pour notre chef, ayant tous l’idolâtrie
en horreur, et une aversion profonde, instinctive et réfléchie
en même temps, pour tout ce qui s’appelle autorité,
gouvernement, tutelle, individualités dominantes ou des chefs.
Voilà notre crime personnel. C’est une révolte
contre celui que, dans son pieux enthousiasme, M. Liebknecht, l’un
des rabbins subalternes de la synagogue, appelle "son précepteur"3.
Notre crime principiel n’est pas moins grave. Nous avons
osé opposer à la théorie de Marx, théorie
essentiellement pangermanique4 et autoritaire, de l’émancipation
économique du prolétariat et de l’organisation
de l’égalité et de la justice par l’état,
le principe latinoslave, anarchique et rebelle de l’abolition
de tous les Etats. En conséquence de ce principe, nous combattons
les tendances, aujourd’hui par trop ostensibles de la coterie
marxienne à l’établissement d’une discipline
hiérarchique, d’un gouvernement et d’une dictature
masquée dans l’Internationale même, au profit
d’un conseil général quelconque. […] Lettre
de Michel Bakounine à Anselmo Lorenzo, 10 mai 1872. Locarno.
4 Conséquences sur les relations dans les groupes et organisations
anti capitalistes Les organisations autoritaires prétendument
révolutionnaires sont assimilables à la critique de
Bakounine du groupe de Netchaïev5: copiant les méthodes
jésuitiques, vous étouffez systématiquement
en eux [vos partisans] tout sentiment humain et tout sens personnel
de la justice (comme si le sentiment humain et le sens de la justice
pouvaient être impersonnels!), vous cultivez chez eux le mensonge,
la défiance, l’espionnage et la délation, et
vous comptez beaucoup plus sur les pressions extérieures,
au moyen desquelles vous les tenez, que sur leur force d’âme.
De sorte qu’il suffira que les circonstances changent pour
qu’ils s’aperçoivent que leur peur du gouvernement
est plus terrible que celle que vous leur inspirez, et pour qu’ils
deviennent, grâce à vos leçons, d’excellents
serviteurs et espions du pouvoir.
Au contraire, une organisation libertaire se fonde sur Franchise
absolue entre les membres. Tout jésuitisme est banni de leurs
rapports, de même que les méthodes perfides et déloyales
telles que l’odieuse méfiance, la surveillance mutuelle,
l’espionnage et les dénonciations réciproques,
toute critique derrière le dos étant rigoureusement
interdite. Si un affilié a quelque chose à reprocher
à un autre affilié, il doit le faire à l’assemblée
générale et en sa présence. Contrôle
fraternel et commun de chacun par tous, contrôle en aucun
cas tracassier, mesquin et surtout haineux, lequel remplacera votre
système de contrôle jésuitique, et deviendra
une éducation morale, un soutien de la force d’âme
de chaque membre et le fondement d’une confiance fraternelle
mutuelle, sur laquelle reposera toute la force intérieure
et partant extérieure de la Société; Bakounine
Lettre à Sergueï Guennadevitch Netchaïev, 2 juin
1870, Locarno.
1 On peut constater aujourd’hui même le même
sentiment d’arrogance fondée sur des bases fragiles
dans bien des organisations syndicales alternatives ou anti capitalistes,
en France et ailleurs.
2 Je connais Marx de longue date, et bien que je déplore
certains défauts, vraiment détestables de son caractère,
tels qu’une personnalité ombrageuse, jalouse, susceptible
et trop portée à l’admiration de soi-même,
et une haine implacable, se manifestant par les plus odieuses calomnies
et par une persécution féroce contre tous ceux qui,
en partageant généralement, les mêmes tendances
que les siennes, ont le malheur de ne pouvoir accepter ni son système
particulier, ni surtout sa direction personnelle et suprême,
que l’adoration, pour ainsi dire, idolâtre et la soumission
par trop aveugle de ses amis et disciples, l’ont habitué
à considérer comme la seule rationnelle et comme la
seule salutaire, tout en constatant ces défauts qui gâtent
souvent le bien qu’il est capable de faire et qu’il
fait, j’ai toujours hautement apprécié -et de
nombreux amis pourrons l’attester au besoin- j’ai toujours
rendu une complète justice à l’intelligence
et à la science vraiment supérieure de Marx; et à
son dévouement inaltérable, actif, entreprenant énergique
à la grande cause de l’émancipation du prolétariat.
Bakounine, dans cette même lettre.
3 Comme Marx et Engels rabaissant les Hongrois et les slaves, Bakounine
divisaient les peuples à partir de préjugés
culturels sur de prétendus instincts révolutionnaires.
L’aveuglement poussa Bakounine à un antisémitisme
vulgaire de réduction des marxistes à un conglomérat
majoritairement allemand et juif. Néanmoins, Bakounine avait
des proches juifs russes.
4 Cette vision de la culture allemande –que Kropotkine partageait
au point d’appuyer les francobritanniques en 1916-, fut contredite
en 1917-1919 par les grèves et les insurrections prolétaires
(abandonnant les illusions des marxistes sociaux démocrates)
dialectiquement écrasées par la bourgeoisie et les
marxistes sociaux démocrates, puis la politique marxiste
léniniste.
5 Un révolutionnaire sans aucun scrupule et justifiant bien
des bassesses au nom de la Révolution incarnée par
lui-même. On peut penser qu’à bien des égards
Lénine, Trotski et Staline, etc., lui ressemblent. Mais l’usage
de l’étiquette anarchiste par Ravachol, Fontenis, Germinal
Esgleas, etc., les rapprochent aussi de Netchaïev.
Source : http://www.fondation-besnard.org/IMG/pdf/Bakounine_Le_principe_de_commandement_et_ses_effets.pdf
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