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Origine http://ciepfc.rhapsodyk.net/article.php3?id_article=44
1. L'élément propre de l'universel est la
pensée.
On appelle « pensée » le Sujet, en tant qu'il
est constitué dans un processus transversal à la totalité
des savoirs disponibles. ou, comme le dit Lacan, en trouée
des savoirs.
Remarques adjacentes :
a) Que l'élément propre de l'universel soit la pensée
signifie que rien n'est universel dans la forme de l'objet ou de
la légalité objective. L'universel est essentiellement
inobjectif. Il n'est expérimentable que dans la production,
ou la reproduction, d'un trajet de pensée, et ce trajet constitue,
ou reconstitue, une disposition subjective.
Exemple-type : l'universalité d'une proposition mathématique
n'est expérimentable que dans l'invention ou la reproduction
effective de sa démonstration. L'universalité située
d'un énoncé politique n'est expérimentable
que dans la pratique militante qui l'effectue.
b) Que la pensée, comme pensée-sujet, soit constituée
dans un processus signifie que l'universel n'est nullement l'effet
d'une constitution transcendantale, qui supposerait un sujet constituant.
C'est à l'inverse de ce qu'est ouverte la possibilité
d'un universel que dépend qu'il y ait, localement, de la
pensée-sujet. Le sujet est à chaque fois convoqué
comme pensée en un point de la procédure où
l'universel se constitue. L'universel est ce qui détermine
ses propres points comme sujets-pensée, en même temps
qu'il est la récollection virtuelle de ces points. La dialectique
centrale de l'universel est donc celle du local, comme sujet, et
du global, comme procédure infinie. Cette dialectique est
la pensée elle-même.
Ainsi : l'universalité de la proposition « la suite
des nombres premiers est illimitée » réside
simultanément dans la convocation en pensée à
en refaire, ou retrouver, la démonstration singulière,
et dans la procédure globale ou se déplie, des Grecs
à aujourd'hui, la théorie des nombres avec ses axiomatiques
sous-jacentes. Ou encore : l'universalité de l'énoncé-pratique
: il est exigible que les ouvriers sans papiers d'un pays s'y voient
reconnaître des droits, réside simultanément
dans les effectuations militantes de tous ordres, où du sujet
politique se constitue activement, et dans le processus global d'une
politique au regard de ce qu'elle prescrit concernant l'État,
ses décisions, ses règles et ses lois.
c) Que le processus de l'universel, ou d'une vérité
- c'est la même chose -, soit transversal à tous les
savoirs disponibles signifie que l'universel est toujours un surgissement
incalculable, et non une structure offerte à la description.
On dira aussi bien qu'une vérité est intransitive
au savoir, et même qu'elle est essentiellement insue. Ce qui
est un des sens possibles de son caractère inconscient.
On appellera particulier ce qui est repérable dans le savoir
par des prédicats descriptifs. Ce qui, identifiable comme
procédure à l'œuvre dans une situation, est cependant
soustrait à toute description prédicative, on le dira
singulier. Ainsi, les traits culturels d'une population quelconque
sont particuliers. Mais ce qui, en traversée de ces traits,
en déposition de toute description répertoriée,
convoque universellement un sujet-pensée, est singulier.
D'où la thèse 2.
2. Tout universel est singulier, ou est une singularité.
Remarque adjacente. Il n'y a aucune relève universelle possible
de la particularité comme telle. Une thèse aujourd'hui
courante est que la seule prescription vraiment universelle est
le respect des particularités. Cette thèse est à
mon avis inconsistante. On voit du reste dans les faits que son
application bute toujours sur des particularités que le tenant
de l'universalité formelle considère comme intolérables.
En réalité, pour tenir que le respect des particularités
est une valeur universelle, il faut préalablement distinguer
les bonnes particularités et les mauvaises. Autrement dit,
il faut hiérarchises les prédicats descriptifs. On
dira, par exemple, qu'une particularité culturelle ou religieuse
est mauvaise si elle n'inclut pas en elle-même le respect
des autres particularités. Qui ne voit que c'est exiger en
fait que l'universel formel soit déjà présent
dans la particularité ? En définitive, l'universalité
du respect des particularités n'est que l'universalité
de l'universalité. C'est une tautologie mortifère.
Elle accompagne nécessairement un protocole, le plus souvent
violent, d'éradication des particularités réellement
particulières, soit celles qui sont immanentes, en ce sens
qu'elles immobilisent leurs prédicats dans des combinaisons
identitaires auto-suffisantes.
Il faut donc soutenir que tout universel se présente, non
comme réglementation du particulier ou des différences,
mais comme singularité soustraite aux prédicats identitaires,
quoique, bien entendu, elle procède dans et à travers
ces prédicats. A l'assomption des particularités il
faut opposer leur soustraction. Mais si une singularité peut
prétendre soustractivement à l'universel, c'est que
le jeu des prédicats identitaires, ou la logique des savoirs
descriptifs de la particularité, ne permet d'aucune façon
de la prévoir ou de la penser.
Il en résulte qu'une singularité universelle n'est
pas de l'ordre de l'être, mais de l'ordre du surgissement.
D'où la thèse 3.
3. Tout universel s'origine d'un événement,
et l'événement est intransitif aux particularités
de la situation.
La corrélation entre universel et événement
est fondamentale. De façon élémentaire, on
voit bien que la question de l'universalisme politique est entièrement
suspendue au régime de fidélité ou d'infidélité
qu'on soutient, non à telle ou telle doctrine, mais à
la Révolution française, ou à la Commune de
Paris, ou à Octobre 17, ou aux luttes de libération
nationale, ou à Mai 68. A contrario, la négation de
l'universalisme politique, la négation du motif même
de l'émancipation, exige plus qu'une simple propagande réactionnaire.
Elle exige ce qu'on doit appeler un révisionnisme événementiel.
Soit, par exemple, le travail de Furet pour établir que la
Révolution française était entièrement
inutile et inféconde ; ou les innombrables déclarations
qui réduisent Mai 68 à une galopade d'étudiants
pour la liberté sexuelle. Ce qui est visé dans le
révisionnisme événementiel est la connexion
entre universalité et singularité. Rien n'a eu lieu
que le lieu, les descriptions prédicatives sont suffisantes,
et ce qui a valeur générale est strictement objectif,
ou dans la forme de l'objet. C'est-à-dire, in fine, réside
dans les mécanismes et la puissance du capital et ses accommodements
étatiques.
Dans ce cas, le destin animal de l'humanité est enclos dans
le rapport entre particularités prédicatives, et généralité
législative.
Qu'un événement vienne initier une procédure
singulière d'universalisation, et y constituer son sujet,
est antinomique au couple positiviste de la particularité
et de la généralité.
Le cas de la différence des sexes est ici significatif.
On peut concevoir de façon abstraite les particularités
prédicatives qui identifient, dans une société
donnée, les positions « homme » et « femme
». Et on peut poser comme principe général que
les droits, statuts, repérages et hiérarchies de ces
positions doivent être réglés par la loi dans
un sens égalitaire. Tout cela est excellent, mais n'enracine
aucune espèce d'universalité dans la distribution
prédicative des rôles. Pour que ce soit le cas, il
faut que surgisse la singularité d'une rencontre, ou d'une
déclaration, où se noue un sujet dont l'avatar est
justement qu'il expérimente soustractivement la différence
des sexes. Un tel sujet résulte en effet, dans la rencontre
amoureuse, de la synthèse disjonctive des positions sexuées.
La scène véritable où quelque universalité
singulière se prononce sur le Deux des sexes, et finalement
sur la différence comme telle, est donc la scène amoureuse,
et elle seule. Là est l'expérimentation subjective
indivise de la différence absolue. On sait bien d'ailleurs
que partout et toujours ce sont les histoires d'amour qui passionnent,
pour ce qui concerne le jeu des sexes. Et qui passionnent à
partir des obstacles différenciés et particularisés
que telle ou telle formation sociale leur oppose. Ici est fortement
visible que l'attrait exercé par l'universel est justement
qu'il se soustrait, ou tente de se soustraire, comme singularité
a-sociale, aux prédicats du savoir.
Il faut donc dire que l'universel advient comme singularité,
et que nous n'avons au départ que la précarité
d'un supplément, dont l'unique force est qu'aucun prédicat
disponible ne le plie à la soumission savante.
La question qui se pose est alors de savoir sur quelle matérialité,sur
quel effet de présence inclassable, s'appuie, dans la situation,
la procédure subjectivante dont un universel est le motif
global.
4. Un universel se présente initialement comme décision
d'un indécidable.
Il faut élucider soigneusement ce point.
Appelons « encyclopédie » le système
général des savoirs prédicatifs internes à
une situation, soit ce que nous savons tous sur la politique, sur
les sexes, sur la culture ou l'art, sur les techniques, et ainsi
de suite. Certaines choses, énoncés, configurations,
fragments discursifs ne sont pas décidables, quant à
leur valeur, à partir de l'encyclopédie. Ils ont une
valeur incertaine, flottante, anonyme ; ils constituent la marge
de l'encyclopédie. C'est tout ce qui est au régime
normand du peut-être oui, peut-être non. C'est ce dont
on peut parler interminablement, sous la règle, elle-même
encyclopédique, de la non-décision. La contrainte
du savoir est sur ce point de ne pas décider. Comme aujourd'hui
sur Dieu, par exemple. On soutient volontiers qu'existe peut-être
"quelquechose", ou peut-être non. Dieu est, dans
nos sociétés, une valeur d'existence inassignable
: spiritualité vague. Ou sur l'existence possible d'une «
autre politique ». On en parle, mais on ne voit rien venir.
Ou encore : les ouvriers sans papiers qui travaillent ici, en France,
composent-ils ce pays, la France ? Sont-ils d'ici ? Oui, sans doute,
puisqu'ils vivient et travaillent ici. Non, puisqu'ils n'ont pas
les papiers qui attestent qu'ils sont français, ou réguliers.
Le mot "clandestin" désigne l'incertitude de la
valeur, ou la non-valeur de la valeur. Genc qui sont ici, mais pas
vraiment d'ici. Et donc : expulsables, ce qui veut dire exposés
possiblement à la non-valeur de la valeur (ouvrière)
de leur présence.
Fondamentalement, un événement est ce qui décide
sur une zone d'indécidabilité encyclopédique.
Plus précisément, il y a une forme implicative de
type : E -> d(epsilon), qui se lit : toute subjectivation réelle
de l'événement tel qu'il disparaît dans son
apparaître, implique que epsilon, qui est indécidable
dans la situation, a été décidé. Ainsi
par exemple de l'occupation de l'église Saint-Bernard par
les sans-papiers, qui proclame publiquement l'existence et la valeur
du sans-valeur, qui tranchent que ceux qui sont ici sont d'ici,
et qui fait donc choir le mot "clandestin".
On appellera epsilon l'énoncé événementiel.
En vertu de la règle logique du détachement, on voit
que l'abolition de l'événement, dont tout l'être
est de disparaître, laisse subsister l'énoncé
événementiel epsilon, que l'événement
implique, comme étant à la fois :
un réel de la situation (car il était déjà
là)
mais pris dans un changement radical de valeur, puisqu'il était
indécidable et a été décidé.
Ou encore : il n'avait pas de valeur et en a une.
On dira alors que la matérialité inaugurale d'une
singularité universelle est l'énoncé événementiel.
Il fixe le présent du sujet-pensée dont l'universel
se tisse.
Ainsi de la rencontre amoureuse, dont sous une forme ou une autre
l'énoncé « je t'aime » fixe le présent
subjectif, alors même que de la rencontre elle-même
la circonstance est effacée. Par quoi une synthèse
disjonctive indécidable est décidée, et épinglée
quant à l'inauguration de son sujet aux conséquences
de l'énoncé événementiel.
On remarquera que tout énoncé événementiel
est, quelle que soit sa forme, proposition, œuvre, configuration
ou axiome, de structure déclarative. Impliqué par
l'apparaître-disparaître de l'événement,
il déclare que de l'indécidable a été
décidé, ou que du sans-valeur a pris une valeur. C'est
à cette déclaration que s'enchaîne le sujet
constitué, et c'est elle qui ouvre l'espace possible d'un
universel.
Dès lors il ne s'agit plus, pour que l'universel se déplie,
que d'être conséquent avec l'énoncé événementiel.
C'est-à-dire, d'en tirer les conséquences dans la
situation.
5. L'universel est de structure implicative.
Une objection souvent faite à l'idée d'universalité
est que tout ce qui existe, ou tout ce qui est représenté,
se rapporte à des conditions particulières et à
des interprétations gouvernées par des intérêts
ou des forces disparates. Ainsi, il ne pourrait y avoir de saisie
universelle de la différence, eu égard à l'irréductibilité
de la saisie sexuelle selon qu'on occupe la position « homme
» ou la position « femme ». Ou encore, des groupes
culturels divers nommeraient « activité artistique
» des productions sans dénominateur commun. Ou même,
une proposition mathématique ne serait pas intrinsèquement
universelle, puisqu'elle dépend, quant à sa validité,
des axiomes qui la soutiennent.
Ce perspectivisme herméneutique oublie que toute singularité
universelle se présente comme réseau de conséquences
d'une décision événementielle. Ce qui est universel
est toujours de la forme epsilon -> pi, où epsilon est
l'énoncé événementiel et pi une conséquence,
ou une fidélité. Il va de soi que, pour qui récuse
la décision portant sur epsilon, pour qui renvoie réactivement
epsilon à son statut d'indécidabilité, pour
qui ce qui a pris valeur doit rester sans valeur, pour celui-là,
la forme implicative n'impose nullement que la conséquence
pi soit bonne. Il devra cependant lui-même confesser qu'il
y a universalité de l'implication elle-même. Autrement
dit, que si vous subjectivez l'événement à
partir de son énoncé, les conséquences inventées
sont nécessaires.
Sur ce point, l'apologue du Ménon de Platon reste imparable.
Si un esclave ignore tout de ce qu'est la fondation événementielle
de la géométrie, il ne peut valider la construction
du carré de surface double d'un carré donné.
Si toutefois on lui transmet les données primordiales, et
qu'il accepte de subjectiver la transmission, il subjectivera aussi
la construction considérée. L'implication qui inscrit
cette construction dans le présent qu'instaure le surgissement
géométrique grec est donc universellement valide.
On dira : vous vous faites la partie belle avec l'inférence
mathématique. Mais non. Toute procédure universalisante
est implicative. Elle avère les conséquences au regard
de l'énoncé événementiel qui épingle
l'événement disparu. Le protocole de subjectivation,
s'il s'initie sous cet énoncé, est par là-même
capable d'inventer des conséquences et de les détacher
comme universellement reconnaissables.
La dénégation réactive de l'événement
lui-même, la maxime « rien n'a lieu que le lieu »,
est sans doute le seul moyen de porter atteinte à une singularité
universelle. Elle disqualifie les conséquences, et annule
le présent de la procédure.
Mais elle est incapable d'annuler l'universalité de l'implication
elle-même. Si par exemple la Révolution française
à partir de 1792 est un événement radical,
épinglé par la déclaration immanente de ce
que la révolution est comme telle une catégorie politique,
alors il est vrai que le citoyen n'est constitué que selon
la dialectique de la Vertu et de la Terreur. Cette implication est
hors d'atteinte, et elle est universellement transmissible, par
exemple dans les écrits de Saint- Just. Évidemment,
si la révolution n'est rien, la vertu comme disposition subjective
n'existe pas non plus, et il ne reste que la terreur comme fait
insensé, sur lequel s'impose de porter un jugement moral.
La politique a disparu. Mais non pas l'universalité de l'implication
qui la dispose.
Et il n'y a nullement lieu d'évoquer, sur ce point, un conflit
des interprétations. C'est notre thèse 6.
6. L'universel est univoque.
Pour autant que la subjectivation est celle des conséquences,
il y a une logique univoque de la fidélité, qui constitue
une singularité universelle.
Il faut ici remonter jusqu'à l'énoncé événementiel.
Rappelons qu'au titre d'entité indécidable, il circule
dans la situation. Il y a consensus à la fois sur son existence
et sur son indécidabilité. Ontologiquement, il est
une des multiplicités qui composent la situation. Logiquement,
il est de valeur intermédiaire, non décidée.
Ce qui se passe événementiellement ne concerne ni
l'être en jeu dans l'événement, ni le sens de
cet énoncé, mais uniquement ceci qu'il aura été
décidé, ou décidé vrai, alors qu'il
était indécidable. Ou que, sans valeur significative,
il aura pris une valeur exceptionnelle. Ainsi du clandestin qui
montre, à Saint-Bernard, son existence.
Autrement dit, ce qui affecte l'énoncé, tel que pris
implicativement par la disparition événementielle,
est de l'ordre de l'acte, et non de l'ordre de l'être ou du
sens. Et c'est précisément ce registre de l'acte qui
est univoque. Il est arrivé que l'énoncé soit
décidé, et ceci est soustrait à toute interprétation.
Il relève du oui ou du non, mais nullement de la pluralité
équivoque des sens.
En réalité, il s'agit d'un acte logique, on peut
presque dire, avec Rimbaud, d'une révolte logique. Ce que
la logique antérieure tenait dans l'indécidable ou
la non-valeur, l'événement tranche en faveur de sa
vérité ou de sa valeur éminente. Ce n'est évidemment
possible que si, de proche en proche, toute la logique de la situation
est transformée, à partir de l'acte univoque qui modifie
la valeur d'une des composantes de la situation. L'être-multiple
de la situation n'est pas, lui, transformé. mais son apparaître
logique, le système d'évaluation et de liaison des
multiplicités, peut l'être de façon très
profonde. Et c'est la trajectoire de cette mutation qui compose
la diagonale universalisante de l'encyclopédie.
La thèse de l'équivocité de l'universel renvoie
en fait la singularité universelle aux généralités
qui légifèrent sur les particularités. Elle
ne saisit que l'acte logique qui instaure universellement et univoquement
une transformation de tout l'apparaître.
Car toute singularité universelle peut être ainsi
définie : l'acte qui, enchaînant un sujet-pensée,
s'avère capable d'ouvrir une procédure de modification
radicale de la logique, et donc de ce qui apparaît en tant
qu'il apparaît.
Cette modification, évidemment, n'est jamais achevée.
Car l'acte univoque initial, toujours localisé, engage une
fidélité, c'est-à-dire une invention des conséquences,
qui est tout aussi infinie que la situation elle-même. D'où
la thèse 7.
7. Toute singularité universelle est inachevable,
ou ouverte.
Le seul commentaire qu'appelle cette thèse concernerait
le nouage du sujet, comme localisation d'une singularité
universelle, et de l'infini, comme loi ontologique de l'être-multiple.
On montrerait sur ce point qu'entre les philosophies de la finitude
d'un côté, et de l'autre la négation de l'universel,
le relativisme, le discrédit de la notion de vérité,
il y a une essentielle complicité. Disons-le en une seule
maxime : la sourde violence, l'arrogante ingérence de la
conception dominante des droits de l'homme proviennent de ce que
ces droits sont en réalité les droits de la finitude
et, finalement, comme le montre le thème insistant de l'euthanasie
démocratique, les droits de la mort. La conception événementielle
des singularités universelles impose que les droits de l'homme
soient ceux de l'infini, comme l'avait remarqué Jean-François
Lyotard dans le Différend. Ou encore, les droits de l'affirmation
infinie. Je dirai, plus exactement encore : les droits du générique.
8. L'universalité n'est rien d'autre que la construction
fidèle d'un multiple générique infini.
Que faut-il entendre par multiplicité générique
? Tout simplement un sous-ensemble de la situation qui n'est déterminé
par aucun prédicat du savoir encyclopédique, soit
un multiple tel que lui appartenir, en être un élément,
n'est le résultat d'aucune identité, d'aucune propriété
particulière. Si l'universel est pour tous, c'est au sens
précis où s'y inscrire ne dépend d'aucune détermination
particulière. Ainsi du rassemblement politique, qui n'est
universel que par son indifférence à la provenance
sociale, nationale, sexuelle, ou de génération. Ainsi
du couple amoureux, qui n'est universel que de produire une vérité
indivise sur la différence des positions sexuées.
Ainsi de la théorie scientifique, qui n'est universelle que
d'absenter dans son déploiement tout marquage de sa provenance.
Ainsi des configurations artistiques, dont les sujets sont les œuvres,
et où, comme le constatait Mallarmé, l'auteur est
une particularité abolie. Au point que les configurations
inaugurales exemplaires, comme l'Iliade et l'Odyssée, sont
telles que le nom propre qui les soutient, Homère, ne renvoie
en définitive qu'au vide de tout sujet.
Ainsi l'universel surgit selon le hasard d'un supplément,
laisse comme trace de la disparition de l'événement
qui le fonde un simple énoncé détaché,
initie sa procédure dans l'acte univoque par quoi est décidée
la valeur de ce qui n'avait nulle valeur, enchaîne à
cet acte un sujet-pensée qui en invente les conséquences,
construit fidèlement une multiplicité infinie générique,
laquelle, dans son ouverture même, est ce que Thucydide déclarait
que serait, à la différence de la particularité
historique de la guerre du Péloponèse, son histoire
écrite de cette guerre : une « acquisition pour toujours
».
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