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Capital et libido : rencontre avec Bernard Stiegler
repenser le capitalisme à l’âge de la prolétarisation généralisée

Origine : http://www.espaces-marx.eu.org/article.php3?id_article=43

Rencontre avec Bernard Stiegler, le 27 janvier 2005
Capital et libido : repenser le capitalisme à l’âge de la prolétarisation généralisée

Même les concepts sont périssables, car l’essence qu’ils expriment est toujours historique. C’est pourquoi ceux qui les produisent ne sont les disciples de personne. Élaborer un concept nécessite néanmoins de « se mettre dans la discipline des philosophes ». C’est en ces termes que le philosophe Bernard Stiegler, actuellement directeur de l’IRCAM, posait il y a quelques jours à Espaces Marx la question de savoir si, en tant qu’économiste, l’auteur du Capital n’avait pas trop mis l’accent sur la reconstitution de la force de travail et la baisse tendancielle du taux de profit, aux dépens de ce qu’Herbert Marcuse et Jean-François Lyotard ont appelé « l’économie libidinale ». Cette dimension de l’économie humaine est indispensable, dans la mesure où aucune activité ne s’accomplit durablement sans « motivation », sans désir, sans « sublimation ». Bernard Stiegler a donc questionné la position du marxisme : peut-on s’en tenir à ce que recouvre le « fétichisme de la marchandise » ? Dès lors que le client devient un « consommateur » au sens moderne du terme, il importe, comme l’avait découvert Max Weber, de substituer à la croyance la confiance qui est de l’ordre du calculable. Le conférencier de cette soirée d’Espaces Marx a notamment donné en exemple la souffrance et la satisfaction que peut apporter le travail : dès lors que quelque chose de singulier est trouvé dans un métier, alors c’est le « bonheur » qui, comme l’amour du métier, l’amour tout court, l’amitié, la fraternité, le militantisme, est une « sublimation ». Chaque fois, l’autre devient le miroir de « ma singularité ». On ne peut pas « standardiser » ce qui relève de la personne humaine. Le marketing est donc considéré par Bernard Stiegler, dans le cadre de la « décadence des démocraties industrielles » [1], comme une perte de savoir-vivre. C’est là l’un des nouveaux thèmes qu’aborde l’auteur des trois tomes sur la Technique et le temps : la « misère symbolique » provoque une « prolétarisation généralisée », dans laquelle le capitalisme met le désir en même temps qu’il l’uniformise. C’est en retravaillant le désir du plus grand nombre que le capitalisme a trouvé jusqu’ici la possibilité de surmonter ses crises pourtant nombreuses et de plus en plus graves. Faut-il souligner qu’on ne trouve guère d’opposition, chez Bernard Stiegler, entre Marx et Nietzsche ?

Arnaud Spire

[1] Mécréance et discrédit, Galilée, 224 pages, 28 euros.