|
Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=1165
Outils :
Expression écrite : décrire, exprimer son opinion.
Thèmes abordés : Les jeunes, la vision de la société,
l’injustice, les difficultés d’intégration.
Lisez ci-dessous la partie du résumé des Misérables
consacrée à Cosette : « Ayant retrouvé
la liberté, Jean Valjean souhaite honorer la promesse qu’il
avait faite à Fantine : libérer Cosette. Il arrive
à Montfermeil la veille de Noël. Cosette est toujours
en haillons. Alors que la petite servante se fait réprimander
par La Thénardier, Jean Valjean prend sa défense.
Puis la terrible mégère envoie Cosette, à la
nuit tombée, chercher de l’eau à la fontaine,
là-bas dans la forêt. Corvée que Cosette redoutait,
d’autant que la nuit est glaciale et le seau plus grand qu’elle.
Cosette part seule dans cette nuit de Noël. Elle jette un regard
devant une somptueuse poupée, exposée dans l’une
des baraques dressées pour Noël. Puis elle s’enfonce
dans la nuit noire. Le sceau rempli, il lui faut vaincre la fatigue,
la peur et se dépêcher car sa patronne a horreur d’attendre.
Soudain, elle sent que le seau devient de plus en plus léger.
Une grosse main s’est saisie de l’anse. Cosette se sent
protégée par cet homme très fort qu’elle
ne connaît pas et qui pourtant la rassure... »
Il y a près d’un demi siècle, quand ce Clichy
perdu était à l’ombre de ses bois, sa petite
chapelle de Notre Dame des Anges, au lieu dit du Chêne-pointu,
était entourée d’arbres et son pèlerinage
encore fréquenté, souvenir d’anges libérateurs
de voyageurs victimes des brigands (racailles des temps jadis).
A deux pas, les habitants des pavillons, pas toujours bâtis
avec des permis de construire conformes, allaient guincher au bal
musette de l’étang des sept îles. De l’autre
coté de la colline, près de l’hôpital
de Montfermeil on montrait la fontaine où Cosette, l’héroïne
de Victor Hugo, allait chercher de l’eau au siècle
précédent.
Il y a bien longtemps que l’étang a été
comblé, le musette remplacé par un supermarché,
bon nombre de fidèles de la chapelle sont d’origine
africaine, et la cité des Bosquets ne garde dans son nom
que le souvenir du bois qui fut. Dans cette périphérie
lointaine de la ville lumière, Victor Hugo retrouverait aujourd’hui
ses Misérables, là où ce n’est plus seulement
la petite Cosette qui est reléguée, mais une population
entière.
Sur les écrans de télévision du monde, ces
nouveaux Gavroches, les anges de Montfermeil et d’ailleurs,
se sont transformés en démons, les flammes oranges
des voitures embrasées ont évoqué un nouvel
enfer. Et les fidèles de la mosquée de Clichy-sous-bois
ont versé, sur le vallon, les larmes provoquées par
les grenades lacrymogènes lancées par des policiers
qui ne sont plus les anges bienveillants, ou les argousins de Javert,
mais les sombres gardiens de Sarkozy venus rétablir l’ordre
dans cette géhenne.
Cette mosquée s’appelle Bilal. Bilal Ibn Rabah, compagnon
du prophète, fut le premier muezzin de l’islam et la
tradition précise que sa peau était noire, car sa
mère venait de l’actuelle Ethiopie. Une famille «
issue de l’immigration » déjà ? Il fut
aussi, plus tard, le conseiller écouté du Khalife
Omar. Mais qui conseille aujourd’hui Nicolas Sarkozy, celui
qui veut être Khalife à la place du Khalife, et qui
à l’évidence se moque des conseils d’Azouz
Begag, le malheureux ministre sans pouvoir, « délégué
à la promotion de l’égalité des chances
» ?
Les conseillers d’aujourd’hui, docteurs en banliologie,
experts en classes dangereuses et autres spécialistes des
fractures sociales, n’ont pas l’air d’inciter
ce gouvernement à modifier une politique calamiteuse, qui,
si l’on en croit les premières mesures prise, risque
d’aggraver encore les choses. Mais les « forces progressistes
» qui s’opposent théoriquement à ces politiques,
semblent avoir le plus grand mal à proposer d’autres
réponses que celles qui ont contribuées à l’actuelle
crise. Pire, tout semble ce conjuguer pour que la fracture s’approfondisse
progressivement en apartheid, pour que le malaise se constitue en
une idéologie de combat, de ces idées noires qui construisent
les images de l’ennemi, en l’occurrence notre ennemi
supposé de la prétendue guerre des civilisations.
La crise des banlieues de novembre 2005 est à l’évidence
le symptôme d’un problème social très
ancien. Mais, par son ampleur et son écho mondial elle constitue
un événement politique et historique nouveau. Il est
encore tôt pour en mesurer toute la portée. Il est
fort probable que ses effets à court terme seront surtout
négatifs.
A plus long terme, l’ébranlement pourrait avoir des
conséquences positives, mais dans quelles conditions ? Pour
savoir identifier ce qui peut permettre une reconstruction, il faut
comprendre quelles sont les forces destructrices à l’œuvre.
A commencer par celles que déchaîne une politique gouvernementale
fondée sur la xénophobie et la répression,
mais aussi par celles que laissent libres les inhibitions et les
blocages de ceux qui sont censés résister à
cette politique. Et plus encore, il faut comprendre ce qui se passe
vraiment dans les quartiers pauvres de notre pays, comment les anges
deviennent démons. Alors, seulement, nous pourrons esquisser
quelques réponses et faire front face aux fauteurs de la
guerre sociale.
I - Le pogrom antirépublicain
Mme Alima Boumediene-Thiery. (Verts) : En effet, pour beaucoup
de citoyens, cette loi n’est, ni plus ni moins, que la réminiscence
d’un passé colonial qui ne passe pas, auquel s’ajoute,
d’ailleurs, une diversité ethnique que l’on refuse
de reconnaître. (Protestations sur les travées de l’UMP)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF) : Cessez de hurler ! Laissez-la
parler ! Mme Alima Boumediene-Thiery. : Vous pouvez râler.
D’ailleurs, il n’y a que la vérité qui
blesse ! (...) Bref, après les Arabes, les Kanaks et les
Noirs, aujourd’hui, ce sont les étrangers de l’intérieur.
(Oh ! sur les travées de l’UMP) Eh oui, aux indigènes
de la colonie se substituent officiellement les indigènes
des banlieues, comme l’ont rappelé récemment
plusieurs personnes issues de cette histoire et ardents défenseurs
du devoir de mémoire. M. Josselin de Rohan (UMP) : Grotesque
! M. Patrice Gélard (UMP), vice-président de la commission
des lois : C’est du racisme ! Mme Alima Boumediene-Thiery.
: Alors que certains responsables osent appeler les habitants des
banlieues « fils et filles de la République »,
je suis désolée de constater qu’avec cette loi
se confirme le fait que l’on nous traite, encore et encore,
en enfants illégitimes de la République. (Rires sur
plusieurs travées de l’UMP) Mme Nicole Borvo Cohen-Seat
: Et cela vous fait rire !
Depuis déjà longtemps, la violence est endémique
dans de nombreux quartiers pauvres du paisible pays de France. Une
violence qui peut avoir une certaine rationalité, comme moyen
de survie face à la pauvreté, au chômage et
aux humiliations quotidiennes, avec ses de vols et ses trafics.
Une violence qui est aussi domestique, intime, écho en dedans
de la violence du dehors, entre maris et femmes, garçons
et filles, grands et petits, de la dispute familiale quotidienne
jusqu’à l’amoureux éconduit, meurtrier
de la fille qu’il convoite. Une violence irrationnelle enfin,
qui embrase régulièrement les voitures en bas des
immeubles, comme un cri de colère contre ces misères.
Bien entendu la violence n’existe pas que dans ces quartiers
là, et la vie de ces quartiers n’est pas faite que
de violence. Et depuis maintenant une génération les
« décideurs » nous expliquent que ces «
zones sensibles » et autres « quartiers défavorisés
» font l’objet de toute la sollicitude de la nation
et que de « dispositifs » en « plans d’urgence
», de « nouveaux départs » en « zones
franches », les quartiers vont redevenir les « cités
radieuses » que leurs promoteurs imaginaient, parait-il. Des
« décideurs » qui n’ont jamais cherché
vraiment à répondre à la question que se posait,
comme tant d’autres enfant des cités, Mehdi Lallaoui,
il y a plus d’une décennie : « à quel
moment a eu lieu la rupture qui a favorisé le rendement et
le béton au détriment des habitants ? Comment sont
apparus ces ghettos de misère, cette relégation sociale
qui subsiste encore aujourd’hui... ? » . Des «
décideurs » qui n’ont jamais voulu s’attaquer
au poison qui se diffusait dans le corps social au fil des ans,
ce mépris, cette hogra ... Un empoisonnement, qui a fait
système, annulé les progrès accomplis ici ou
là, vidé de sens les discours humanistes, engendré
le racisme, le repli sur soi, la haine.
De ce dernier point de vue, dans leur manière de faire face
à la crise, Dominique de Villepin, comme son rival Nicolas
Sarkozy, ont fait un grand pas en avant dans la pire des directions.
Chacun a pu constater que les émeutiers de novembre étaient
de jeunes gens (parfois très jeunes) agissant presque toujours
de manière similaire (et à l’évidence
mimétique). Toutefois, dans la mise en scène d’un
combat quasi ritualisé avec les policiers, la violence est
demeurée relativement limitée, malgré les milliers
de voitures et des dizaines de lieux publics ou commerciaux brûlés.
Contrairement à d’autres émeutes urbaines de
ce genre, il n’y a eu que peu de violence visant des personnes,
et, plus significativement encore, pas de pillages. Cette violence
était donc essentiellement « symbolique », porteuse
de message ; ce qui ne signifie évidemment pas qu’elle
était bénigne. A cette manifestation les pouvoirs
publics ont répondu à leur manière, qui n’avait
rien de bénigne non plus, avec leurs techniques du «
maintien de l’ordre » par le quadrillage du terrain
ou l’expédition punitive par des corps expéditionnaires,
et surtout leur symbolique juridique et politique aussi claire que
redoutable.
Ce message est résumé de manière dramatique
dans la décision de recourir à la loi d’état
d’urgence du 3 avril 1955, celle de la guerre d’Algérie.
L’invocation d’un texte prévoyant que «
l’état d’urgence peut être déclaré
sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l’Algérie
ou des départements d’outre-mer, soit en cas de péril
imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre
public, soit en cas d’événements présentant,
par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité
publique » ne correspond évidemment pas à une
obligation juridiquement nécessaire aujourd’hui. Ce
que permet cette loi, les perquisitions de jour comme de nuit, sans
contrôles judiciaires, ayant notamment pour but de «
rechercher les armes », la possibilité d’interdire
toutes réunions sans autre motivation que celle de l’état
d’urgence lui-même, voire de recourir à la justice
militaire , est totalement disproportionnée par rapport à
la réalité. Cela n’avait pas été
jugé nécessaire, ni en mai-juin 68, ni au plus fort
des troubles corses ou lors des plus violentes manifestations paysannes.
Là où de simples arrêtés préfectoraux
auraient suffit, Villepin et Sarkozy ont préféré
une affirmation idéologique, confirmant symboliquement l’hypothèse
de la « gestion coloniale » des banlieues, et non d’une
disposition de maintien de l’ordre « au nom de l’efficacité
dans la restauration de la paix publique » dont fait mine
de se réclamer le ministre de l’intérieur.
Au delà des fantasmagories guerrières, le discours
de Sarkozy s’appuie sur deux thèmes récurrents
aux effets bien concrets.
Le premier est celui, bien connu, de la « sécurité
», qui fait toujours recette, malgré cette politique
de gribouille qui a provoqué une extension des violences
en tache d’huile. En période de troubles, le «
parti de l’ordre » rallie toujours de nombreux adeptes
rassurés par un discours « ferme et direct »,
qui donne l’impression de ramener le calme par la magie des
mâles déclarations quand bien même il a contribué
au désordre. Il faut donc présenter les émeutes
comme fomentées par des malfaiteurs d’où le
mensonge sur le fait que 80% des personnes arrêtés
aurait été des délinquants .
Le second, tout aussi classique, est celui de la xénophobie,
en ciblant l’immigration d’aujourd’hui, par rapport
à un problème qui, s’il a un rapport avec une
immigration, concerne indirectement celle d’il y a trente
ou cinquante ans ! D’où l’insistance sur les
expulsions de quelques jeunes raflés sur le terrain porteurs
de la mauvaise carte d’identité. « Le condensé
des problèmes que connaissent nos quartiers, c’est
aussi une politique d’immigration subie, alors que nombreux
sont ceux qui veulent une politique d’immigration choisie
» ajoute doctement le ministre de l’intérieur.
Son objectif est surtout de promouvoir une future « immigration
de travail » sans droits civils (notamment celui de vivre
en famille) . Il oublie bien sur que la majorité des jeunes
émeutiers sont les enfants d’une immigration de travail
et sans droits, « choisie » justement par les entreprises,
il y a plus de trente ans.
Dominique de Villepin et plus encore Jacques Chirac, semblent s’appliquer
à ne pas tenir un discours aussi exclusivement xénophobe-sécuritaire
et se veulent ouvert aux « enfants de la République
». Mais cette démarcation n’en est pas une. Plus
grave peut être, le paternalisme compassionnel, sensé
compenser le discours sarkozien, n’a fait que flatter les
pires dérives idéologiques réactionnaires.
Car les « partisans de l’ordre » vont idéologiquement
au-delà des positions xénophobes et sécuritaires
de Nicolas Sarkozy, développant sans retenue des arguments
culturalistes et colonialistes qui s’inscrivent dans l’air
du temps actuel de la guerre des civilisations, et que le recours
par le gouvernement Villepin à la loi d’état
d’urgence de 1955 vient valider.
Les propos tenus lors du débat parlementaire sur la prorogation
de l’état d’urgence ne font d’ailleurs
que le confirmer. Pour les orateurs de la majorité, il s’agit
bien de mater ces « indigènes » en révolte
qui de surcroît ne parlent pas français ! « Or,
quand on est citoyen d’un quartier, on a des droits et des
devoirs, dont celui de parler français », précise
finement le député Nicolas Perruchot (UDF) pour justifier
l’état d’urgence. Des quartiers où il
est incompréhensible « que les familles qui posent
problème aient les mêmes droits que les honnêtes
gens » et donc, pour Gérard Hamel (UMP), il faut instaurer
des punitions collectives. Tandis qu’Hervé Mariton
(UMP) sait lui, que les problèmes viennent de ceux qui, «
au fil des dernières années et des derniers mois,
ont semé dans notre société les graines du
refus de la fraternité », précisant «
Qu’on me permette de dire que, dans une certaine mesure, la
crise que nous avons vécue, c’est la faute à
Dieudonné ! » - et voila ce nouveau diable qui vient
terroriser nos braves parlementaires blancs, non pour ses propos
antisémites mais comme fantasme du boutefeu nègre
!
Faisant abstraction du fait que, dans leur immense majorité,
les jeunes émeutiers sont français, nés ou
ayant grandi dans ce pays et censés être représentés
par ces honorables parlementaires et gouvernés par ces ministres,
les uns et les autres se sont efforcés d’en souligner
le caractère « étranger ». C’est
le sens des explications données au Financial Times par le
ministre des relations du travail, Gerard Larcher (qui s’y
connaît en banlieue en tant que maire de Rambouillet), sur
le rôle de la polygamie (étrangère) comme facteur
incendiaire. Il s’y connaît d’ailleurs aussi en
polygamie, ignorant juste qu’il vit dans le seul pays de l’Union
européenne dans lequel celle-ci a été légale
jusqu’au... 1er janvier 2005 !
Le passé mal digéré vient gonfler les voiles
du plus mauvais des vents du présent. Les débats sur
la loi du 23 février 2005 de « réparation »
pour les Harkis avaient déjà démontré
la puissance de ce retour du colonial dans la tendance actuelle
à la guerre des civilisations. Cette loi n’est guère
convaincante en terme de réparation pour le crime qu’a
été la politique de la République à
l’égard des Algériens (et leurs familles) engagés
contractuels de l’Armée de la République. En
compensation ( ?), un groupe de pression comportant l’actuel
ministre des affaires étrangères Douste-Blazy avait
imposé qu’y figure l’obligation que « les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle
positif de la présence française outre-mer, notamment
en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux
sacrifices des combattants de l’armée française
issus de ces territoires la place éminente à laquelle
ils ont droit. »
Comme toujours en pareil cas, des intellectuels haineux ajoutent
leurs souffles puissants. L’académicienne Hélène
Carrère d’Encausse est allée expliquer à
la chaîne Russe NTV que les xénophobes de Russie ont
bien raison de voir dans la crise des banlieues l’affrontement
entre la civilisation chrétienne et la barbarie islamiste
arabo-africaine. L’inénarrable professeur de philosophie
de nos chers polytechniciens, Alain Finkelkraut, « honneur
de l’intelligence française » pour Nicolas Sarkozy
, pense que « la violence actuelle n’est pas une réaction
à l’injustice de la République, mais un gigantesque
pogrome antirépublicain » , et explique aux journalistes
israéliens d’Haaretz : « en France on voudrait
bien réduire les émeutes à leur niveau social.
Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur
situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage.
Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou
arabes et s’identifient à l’Islam. Il y a en
effet en France d’autres émigrants en situation difficile,
chinois, vietnamiens, portugais, et ils ne participent pas aux émeutes.
Il est donc clair qu’il s’agit d’une révolte
à caractère ethnico-religieux ». Le nom moins
inénarrable André Gluskmann, soucieux de ne pas être
en reste, ajoute sa confusion à la sainte colère de
son rival « Finky » en parlant de « haine généralisée
» en France .
Ces intellectuels, plus ou moins néo-libéraux et
néo-conservateurs sont rejoint dans leurs analyses comme
dans leurs imprécations par d’autres conservateurs,
ceux-là antilibéraux ou farouches adversaires des
politiques néolibérales, comme l’Union des familles
laïques (UFAL) qui voit dans les événements «
l’alliance de fait du ministre de l’Intérieur
avec les délinquants maffieux et les caïds de l’islam
politique dans les banlieues » et appelle le gouvernement
à sévir contre « ces caïds des quartiers
et de l’islam politique qui ont semé dans toutes les
banlieues, les graines d’une guerre organisée contre
les couches populaires et le modèle social républicain
» , position partagée par l’éditorialiste
de Charlie Hebdo, Philippe Val, qui voit dans toutes ces émeutes
un mouvement inspiré par les redoutables « Indigènes
de la République » qui sont, à ses yeux, forcément
des méchants antisémites puisqu’ils n’avaient
d’autres buts que de « relativiser la Shoah »,
et organisé par les féroces « émeutiers
de nos banlieues », qui sont, à ses yeux, forcément
des épouvantables islamistes puisqu’ils n’avaient
d’autres buts que de rendre « les filles voilées
inaccessibles à qui n’est pas coreligionnaire »
.
Ces déclarations colonialistes et xénophobes, n’ont
pas commencé avec le drame de Clichy-sous-Bois, elles sont
permanentes depuis quelques années. Tant de la part de certains
responsables politiques que de certains intellectuels.
Colonialistes ? Souvenons nous par exemple de Lionnel Luca expliquant
à l’assemblée nationale lors du débat
sur la loi de promotion du colonialisme à l’école
du 23 février 2005 : « Sans la France, l’Algérie
d’aujourd’hui n’existerait pas. C’est la
France qui lui a donné son territoire et son identité,
qui l’a organisée et développée. L’œuvre
de la France outre-mer est méconnue et déformée,
voire calomniée, sous le vocable de colonialisme. Nous n’avons
pas à rougir de la colonisation, engagée par la gauche
à la fin du XIXe siècle au nom des grands principes
républicains. Elle doit être réhabilitée,
car c’est elle qui a donné naissance à la francophonie.
Les quelque cinquante Etats qui y participent, sous la houlette
bienveillante de la France, sont tous issus de notre empire. »
Xénophobes ? Que penser par exemple du rapport présenté
par Malek Boutih, rédigé au printemps 2005 pour le
secrétariat national du Parti Socialiste, dont le Front National
saluait le « bon sens » félicitant l’ancien
dirigeant de SOS Racisme et ajoutant et que ce texte prouvait «
que la lepénisation des esprits est en marche, sachant que
nos compatriotes ne manqueront pas de préférer l’original
à la copie ». Un rapport regrettant la régularisation
des sans papiers, préconisant le « livret sanitaire
» pour les travailleurs immigrés, la fin du droit du
sol, du droit au regroupement familial, la précarisation
des résidents étrangers par la suppression de l’actuelle
carte de séjour de dix ans, etc.
Face aux banlieues en feu, tout ce beau monde s’est donc
peu ou prou retrouvé dans un nouveau « parti de l’ordre
» comme il s’en constitue toujours en pareil cas. Il
est disparate. Il va d’Hélène Carrère
d’Encausse (de l’Académie française) à
Philippe Val (de Charlie Hebdo), du néo-bonapartiste Max
Gallo au néo-chouan Philippe de Villiers, de la féministe
moderne Caroline Fourest et de l’antiraciste moderne Dominique
Sopo à la postfasciste moderne Marine Le Pen... Mais les
déclarations des uns et des autres ont toujours deux points
communs : la défense « des principes républicains
» et la résistance, au nom de ces principes, à
l’offensive des « barbares » (sauvageons des quartiers
plus ou moins islamisés), bref une nouvelle Union sacrée
qui n’est plus celle de la guerre contre les boches mais celle
de la guerre contre les nouveaux barbares.
II- L’assistance sociale ?
Je récuse l’accusation absurde d’une France
qui reproduirait aujourd’hui dans ses quartiers la fracture
coloniale. Si nous ne sommes comptables des fautes ni de nos pères
ni de nos ancêtres, nous serions coupables de les répéter.
Quel pays plus que la France depuis cinquante ans a marié
tant de populations diverses et a reconnu toutes ces personnes comme
citoyens à part entière ? Les difficultés que
connaît notre modèle d’intégration ne
peuvent faire oublier les vertus de ses principes. Jean-Marc Ayrault
Président du groupe socialiste à l’assemblée
nationale
« Voilà plus de trois ans que les mots servent de
lances et d’obus » a écrit Christiane Taubira
. La député de Guyane sait combien ces armes rhétoriques,
utilisées par ces politiciens et ces penseurs néoconservateurs
de droite et de gauche, ont fait mal. Elle fait partie de ceux qui
veulent faire front. Mais existe-t-il aujourd’hui, comme souvent
dans notre histoire, un « parti du progrès »
face au « parti de l’ordre » ? Qui sont les progressistes
dans ce pays, qui ne se considèrent pas comme des vociférateurs
de la sécurité et des croisés de la guerre
des civilisations ? Ceux là, s’ils existent et quelles
que soient leur position sur l’échiquier politique
ou au sein du mouvement social, ont été dépassés
devant l’incendie des quartiers.
Au gouvernement, Jean Louis Borloo a pu s’échiner
à répéter qu’il s’agissait d’un
problème d’enfants de la France à résoudre
entre Français, et Azouz Begag s’efforcer de faire
bonne figure face aux humiliations répétées
de la part de certains de ses collègues, ils sont apparus
non seulement sans prises sur les événements, mais
aussi sans influences sur les meutes xénophobes et colonialistes
de leur majorité gouvernementale.
L’opposition socialiste n’a pas plus brillé.
Certes, elle a, rituellement, dénoncé la politique
de la droite, en particulier le démantèlement des
mesures qu’avait pris le gouvernement Jospin (police de proximité
ou emploi jeunes) sans convaincre que ces mesures aient contribué
significativement à renverser la tendance à la désintégration
d’une partie de la société française.
Et elle s’est abstenue de déférer le texte de
recours à la loi de 1955 devant le Conseil constitutionnel,
rendant sans effet ses protestations verbeuses.
Comment le Parti Socialiste, réuni en son instance suprême
(son congrès), a-t-il, collectivement interprété
les événements ? Il « a pris la mesure de la
crise que traduit la montée des inégalités
et de la violence », qui, a ses yeux, ne s’est pas réduit
seulement au « problème des banlieues qui resurgit
brutalement » (resurgit brutalement ? !), mais est l’expression
du mal de « toute la société française
qui souffre des dégâts du chômage, de la précarité,
des inégalités, de l’accumulation durable, de
la misère sociale et des discriminations ». Bien entendu,
c’est la droite libérale qui a « créé
les conditions du désordre social » et « d’une
crise majeure, porteuse de tous les dangers pour notre pacte républicain
». Si l’on suit bien la résolution des socialistes,
l’aspect spécifique d’un mouvement affectant
les habitants particuliers de certains quartiers précis n’est
pas un élément tellement important de cette crise
là. Il ne s’agit, pour l’essentiel, que de l’une
des conséquences parmi d’autres de la politique négative
de la droite. Et, comme c’est d’un problème social
qu’il s’agit, les solutions doivent être sociales.
Lesquelles ? « Une loi de programmation pour les quartiers
» - une de plus -, avec des moyens supplémentaires.
Une politique ou « les élus locaux, des services publics
forts, des associations confortées doivent être les
maîtres d’œuvre d’une véritable mobilisation
générale sur le terrain. Priorité doit être
donnée à l’accompagnement humain des familles,
à l’éducation, à l’animation culturelle
et sportive ». Outre qu’il s’agit là de
l’exposé des motifs de toute les politiques menées
par les gouvernements depuis trente ans, on remarque que les habitants
des quartiers sont une fois de plus ignorés, sinon pour être
« accompagnés » et « animés »
et qu’« unanimes, dès à présent
à répondre à l’urgence sociale »,
les socialistes qui se veulent le parti populaire par excellence,
n’envisagent pourtant pas leur action comme partant des quartiers
mais comme s’appliquant aux quartiers, à travers les
politiques publiques ou parapubliques. Les situationnistes il y
a quarante ans constataient qu’un prolétaire moderne
était quelqu’un exclu de l’emploi de sa vie et
qui le savait ; les socialistes d’aujourd’hui qui parlent
de « porter la parole de ceux qui souffrent et répondre
à leurs aspirations » ne semblent pas vouloir être
là pour représenter les prolétaires qui reprennent
pouvoir sur leur vie, mais pour les « traiter socialement
».
Les premières mesures que préconise la résolution
sont, outre le rétablissement des emplois jeunes et la «
sanction » des discriminations, « un volontarisme républicain
fondé sur des critères sociaux, et en aucun cas ethniques,
pour assurer la promotion sociale de jeunes des quartiers populaires
» et « la promotion de la laïcité qui est
au coeur du pacte républicain à travers l’adoption
d’une charte solennelle des principes laïcs dans les
services publics ». En d’autres termes, si la question
est sociale, elle n’est pas « ethnique ». Il n’y
donc pas particulièrement urgence de s’interroger sur
les racines historiques et sur les formes de reproduction du racisme
telle qu’il est enraciné dans la société
française. D’ailleurs, la nature des discriminations
à sanctionner n’est jamais détaillée.
Y aurait-il cependant d’autres urgences que purement économico-sociale
? Assurément ; des urgences « laïques ».
Pourquoi « laïques » et pas par exemple «
antiracistes » ? Jean-Marc Ayrault, président du groupe
socialiste à l’Assemblée nationale nous l’explique
: « Les crédits des associations ont été
réduits de manière telle que des groupes religieux
ont parfois pris en charge, par défaut, le travail de médiation
sociale. S’il est temps de reconnaître à l’islam
sa place de deuxième religion dans notre pays, dans le respect
et la dignité, arrêtons de lui demander de régir
la vie des cités à la place de la République.
La laïcité doit retrouver tous ses droits. La médiation
sociale est l’affaire des municipalités et des associations,
pas des prédicateurs » . La réduction des subventions
aux associations par la droite est évidente, mais les «
groupes religieux » de terrain dont parle Ayrault n’ont
jamais été subventionnés, du moins par la puissance
publique. Seulement ces groupes sont constitués d’habitants
des quartiers sensibles, ce qui leur donne évidemment plus
de poids social que les constructions médiatiques de type
Ni Putes Ni Soumises avec des cadres formés à la remarquable
école de professeurs en banliologie aussi compétents
que le sénateur Michel Charasse ! Et surtout, la question
n’est pas, de « régir les cités »
(et bien entendu pas de demander à « l’Islam
» de le faire), mais de permettre à celles-ci de se
régir. Elle est moins de faire de la « médiation
» que de construire une société démocratique,
y compris dans les quartiers pauvres ! Si les socialistes ont, à
l’évidence, peur des musulmans de France, qu’ils
connaissent en général (il y a des exceptions) fort
mal, ils appréhendent bien la vie de ces quartiers pauvres
sur le mode du paternalisme.
Ce paternalisme qui s’accompagne d’une certaine suffisance
« républicaine », empêche ceux qui y succombent
de voir l’évidence : le moteur de la crise des banlieue
n’est pas seulement social et économique (il l’est
bien sur), il est aussi idéologique. Les discriminations
que subissent les jeunes des quartiers ne sont pas seulement dues
au fait qu’ils sont pauvres et qu’ils sont jeunes (ce
pays n’aime ni ses pauvres ni ses jeunes), elles sont aussi
ethniques, elles frappent les Noirs et les Arabes en tant que tels,
ces discriminations sont le symptôme d’un mal profond,
le racisme à la française.
Cet aveuglement n’est pas propre aux socialistes. Il est
sans doute dominant à gauche, même à la «
gauche de la gauche ». Au delà des évidentes
divergences qui existent par ailleurs, on retrouve, avec plus ou
moins de fréquences selon les couleurs politiques, les mêmes
invariants, les mêmes analyses, les mêmes argumentaires,
et dans une certaine mesure les mêmes propositions, dans les
déclarations de personnes se réclamant du PCF ou des
Verts, de la LCR ou des courants libertaires, de la FSU ou d’ATTAC...
Le premier invariant est l’insistance à souligner
le caractère économico-social de la crise. Répétons
encore une fois que cette dimension est fondamentale : le chômage
et la précarité prolongés, avec tous leurs
effets désagrégateurs, ont profondément marqué
les quartiers pauvres. Ce qui est troublant n’est pas l’insistance
sur cette évidence, mais la manière d’insister,
comme pour exorciser les autres dimensions.
Invariance aussi dans l’insistance sur la responsabilité
quasi exclusive des politiques néolibérales. Là
encore, il est bien clair que les politiques menées ces dernières
années, favorisant la rentabilité à court terme,
dénigrant et démantelant les services publics et substituant
la privatisation à l’engagement collectif, ont contribué
largement à la rupture du tissu social, surtout là
où il était le plus fragile. Mais tout s’explique-t-il
par le néolibéralisme ?
Ainsi, par exemple, pour le PCF « la situation actuelle,
rendue explosive par les provocations ministérielles, est
le produit de très longues années de sous-estimation
de la gravité des problèmes posés par ce qu’on
a appelé la « crise urbaine », à laquelle
les gouvernements successifs se sont refusés à répondre,
favorisant les logiques libérales qui cassent les droits
et les solidarités » . Et pour la LCR : « la
mobilisation populaire contre le gouvernement est indispensable
pour faire toute la lumière sur le drame de Clichy, faire
cesser les provocations policières, exiger le départ
de Sarkozy, stopper les réformes libérales et revendiquer
que la priorité soit donnée à la satisfaction
des besoins sociaux. » On retrouve dans la plupart des déclarations
des partis ou associations et syndicats la même approche principale,
fort bien développée par Bernard Cassen, président
d’honneur d’ATTAC-France : « sans évidemment
le formuler ni même le penser en ces termes, les jeunes révoltés
des banlieues françaises, avec la spécificité
des circonstances aggravantes qu’ils subissent, sont en train
d’instruire le procès des politiques libérales
mises en oeuvre depuis plusieurs décennies aux niveaux européen
et national par tous les gouvernements, qu’ils se réclament
de la gauche ou de la droite » .
Or, placer avant toute autre considération ce procès
des politiques libérales a l’inconvénient de
passer un peu vite, d’une part sur des responsabilités
qui sont antérieures au déploiement contemporain de
ces politiques, et d’autre part sur les politiques effectivement
menées.
L’urbanisme fonctionnaliste qui a présidé à
la construction des grands ensembles est le résultat d’un
volontarisme de l’Etat, de ses instruments comme la Caisse
des dépôts, des collectivités locales, de gauche
en particulier, qu’on ne peut pas qualifier de néolibéral.
Ce modèle urbain « moderne », dévoyé
en encasernement, a été particulièrement développé
en France (même s’il a eu des précurseurs en
Grande Bretagne et de nombreux imitateurs en Europe de l’Est).
Il n’a commencé à être remis en cause
qu’une fois l’essentiel des constructions achevées,
quand les architectes et urbanistes formés dans le courant
de 68 ont commencé à pouvoir se faire entendre . Les
promoteurs des « grands ensembles » ne désiraient
sans doute pas la ségrégation sociale, mais avec leur
« zoning » ils en ont pourtant établi un cadre,
bien plus efficace encore que celui du baron Hausmann au siècle
précédent.
De plus, si la logique néolibérale a dominé
ces dernières années, creusant les inégalités,
des politiques volontaristes « correctives » au néolibéralisme
n’ont cessé d’être mises en œuvre
: politique de la ville, etc. Que faut-il en penser ?
La gauche réformiste répond en critiquant le manque
de moyens ou la suppression des moyens affectés à
ces politiques. La gauche radicale en niant l’effectivité
de ces politiques, simples caches misères du néolibéralisme.
Et voilà Nicolas Sarkozy qui reprend à son compte
sans vergogne ces deux critiques en dévoilant « la
faillite des Zep », politique mise en œuvre par l’éducation
nationale depuis 1982 ! Que dit-il en substance : cette politique
n’a jamais eu les moyens qu’on prétendait lui
donner, ni fonctionné dans le sens des objectifs qu’on
prétendait lui assigner.
Si le volubile Nicolas peut faire facilement ce procès,
c’est parce qu’il occupe un vide. Le vide que la majorité
des courants progressistes de ce pays ont laissé béant
en ne faisant ni l’évaluation sérieuse, ni la
critique concrète, de politiques menées pendant une
génération entière. Au delà des grandes
proclamations idéologiques, qui s’est intéressé,
à gauche ou à l’extrême gauche, au bilan
des missions locales, à l’effet des politiques de contrats
aidés, au devenir des exclus du système scolaire ou
à l’évaluation de la formation professionnelle
et des mesures d’insertion prévue dans le RMI, bref
à l’effet de ces politiques sur l’organisation
de la société civile ? Faute d’avoir exploité
les multiples analyses, enquêtes, propositions des acteurs,
existant pourtant à ce sujet, presque personne n’a
fait l’examen qualitatif de la politique réellement
menée par la « République réellement
existante ». Presque tout le monde a préféré
soit soutenir cette politique « républicaine »
virtuelle (en réclamant plus de sous) soit se contenter de
la dénoncer abstraitement (en dénonçant le
capitalisme), laissant tragiquement seuls les « travailleurs
du front » chargés de l’appliquer (enseignants,
éducateurs, etc.) et plus seules encore les populations à
qui elle s’appliquait. Faute d’alternative progressiste
concrète, en se contentant de dénoncer le néolibéralisme,
on laisse ce même néolibéralisme occuper le
terrain, et l’entreprenant. Nicolas libre de proposer ses
« solutions novatrices » !
Il y a donc un premier invariant qui consiste à toujours
présenter comme essentielle la dimension socio-économique
des problèmes (avec en complément la dénonciation
des seules politiques néolibérales). Le second invariant
consiste à présenter comme subordonnée la dimension
idéologique et culturelle des problèmes, voire à
l’occulter. Il a lui aussi son complément obligé
: la dénonciation du « communautarisme » (ou
plus prosaïquement de l’islam).
La majorité des organisations progressistes de ce pays semble
avoir d’extrêmes difficultés à caractériser
les discriminations dont souffrent les gens des quartiers pauvres,
à accepter de tirer les conséquences du fait qu’elles
s’exercent plus particulièrement sur certaines catégories
(les jeunes), et plus particulièrement encore sur certaines
origines ethniques (les Arabes et les Noirs) ou religieuses (les
Musulmans). Bref à tout simplement faire face, au nom d’une
société française rêvée, au racisme
réellement existant. Car ceux qui pratiquent peu ou prou
sa dénégation ont, nolens volens, tendance à
stigmatiser toute expression en tant que telles des victimes de
ce racisme comme un racisme à son tour, au nom d’un
sophisme : puisque les discriminations sont sociales et non ethniques
ou religieuses, toute expression plus ou moins ethnique ou religieuse
de résistance à ce racisme là est donc elle
même tendanciellement raciste ou obscurantiste... ou en français
politiquement correct « communautariste ». Et tout «
communautarisme » est mortel pour la « République
».
Comment fonctionne cette occultation du racisme ? Car bien entendu
personne ne nie que le racisme existe. C’est le cas par exemple
de militants altermondialistes comme Alain Lecourieux et Christophe
Ramaux dans un article intéressant publié par Libération
. Dans ce texte ils critiquent des sociologues bon connaisseurs
des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchielli parce que
ceux-ci ont le tort de considérer que « la gauche a,
en bloc, « abandonné le monde populaire et les immigrés
», en mettant l’accent sur la « défense
du "modèle social français" », le
« repli national autour des "services publics" et
des "petits fonctionnaires" » et les vertus d’«
une République égalitaire pourtant en faillite ».
Envisager pareille critique revient à abonder dans le sens
du néolibéralisme et ne pas comprendre le complot
qui se trame, surtout depuis le vote Non au référendum
européen, ajoutent-ils : « La France, après
le 29 mai et avec ces émeutes, est à un carrefour.
Les provocations de Nicolas Sarkozy ne sont pas le fruit du hasard.
Elles participent d’un projet cohérent : attiser la
violence communautaire pour mieux justifier, libéralisme
oblige, le recentrage de l’Etat sur sa police ». Certes
la république rêvée avec un grand « R
» n’est pas la République réelle, mais
laisser entendre que d’une manière ou d’une autre
certains aspects du « projet républicain » pourrait
avoir à voir avec l’état des choses est, sinon
un blasphème, du moins une redoutable erreur, la chute dans
le piège tendu par le rusé Nicolas !
Ce raisonnement, partagé par beaucoup de militants de gauche,
fait penser à celui tenu il y a une vingtaine d’année
par beaucoup d’autres, ou par les mêmes, sur la relation
entre le socialisme « réellement existant » et
les principes éternels du socialisme, raisonnement qui empêchait
de comprendre la réalité au nom de l’idéal.
Comment cela fonctionne-t-il ? Prenons l’exemple de la question
« coloniale ». L’un des facteurs qui explique
la forme de l’actuelle crise est la persistance, et même
l’augmentation, des discriminations racistes. Ces discriminations
racistes qui ne touchent pas seulement les « jeunes de banlieue
», viennent, pour la majorité de ces jeunes s’additionner
aux discriminations sociales et générationnelles.
Nous avons vu qu’en faisant des discriminations « raciales
» un simple sous-produit des discriminations sociales, une
partie de la gauche se condamnait à l’impuissance.
Une autre partie a compris qu’il fallait affronter ce problème
du racisme en tant que tel (tout comme le problème du sexisme
ne se réduit pas à une question sociale), sans pour
autant s’attacher à élucider l’histoire
particulière du racisme dans notre pays. Un observateur comparant
la société française aux sociétés
européennes voisines pourrait la trouver « moins raciste
» (s’il prend en compte le nombre de mariages intercommunautaires,
ou la législation sur les naturalisations), ou « plus
raciste » (s’il prend en compte le nombre de représentants
des minorités dans les assemblées politiques et les
médias, ou la situation de l’emploi). Mais il sera
frappé par la difficulté des Français de comprendre
que leur racisme est « bien de chez eux », ancré
dans l’histoire du pays. Et d’abord dans son histoire
coloniale. C’est ce que constate un journaliste attentif à
l’état du monde comme l’indien Praful Bidwai
qui déplore qu’en France, qui n’est pourtant
pas un pays plus discriminant que d’autres, persiste «
l’existence d’une forme de nationalisme obsessionnelle,
arrogante et paternaliste, enracinée dans le colonialisme
» . Ce racisme à la française visant tout particulièrement
les originaires des ex-colonies.
Cette difficulté a été bien révélée
par l’hystérie qui a accueilli - et qui accompagne
toujours - l’appel « des indigènes de la république
». Rappelons les faits : un groupe de militants de diverses
origines natales et diverses caractéristiques patronymiques,
laïques, de gauche, engagés dans les luttes sociales,
a lancé un appel pour dénoncer des politiques discriminatoires
toujours marquées d’idéologie coloniale et a
appelé à réagir : symboliquement (en commençant
par manifester pour l’anniversaire des massacres de Sétif
le 8 mai 1945), intellectuellement (en lançant le débat
d’assises de l’anticolonialisme) et concrètement
(en renforçant la lutte contre les discriminations). Le contenu
de cet appel a été critiqué : certains y ont
vu une exaltation gauchiste pouvant provoquer sectarisme et repli
sur soi, d’autres en ont dénoncé des tendances
« victimaires », d’autres enfin ont critiqué
des approximation historiques, ou jugé que la forme répondait
mal à la juste question posée. Tout cela était
normal et raisonnable. Mais la majorité des critiques étaient
- et demeurent - anormales et hystériques. Passons sur les
multiples membres du « parti de l’ordre », comme
l’éditorialiste de Marianne qui voit dans cet appel
un “ monstre ”, “ l’émergence et
l’affirmation (...) d’une gauche réac, antirépublicaine,
cléricale, antilaïque, communautariste et ethniciste
” . Les partisans de l’ordre d’aujourd’hui
rejoignent ceux d’hier en matière d’irrationnel
dans le mode colonialiste de pensée français.
Il est plus intéressant de réfléchir sur les
réactions de militants progressistes pour qui l’anticolonialisme
est une valeur. Pourquoi cette gène par rapport à
un passé qui ne passe pas ? Pourquoi ce phénomène
est-il si difficile à admettre pour des militants de gauche
qui ne se vivent pas comme les héritiers des colonialistes
de gauche genre Guy Mollet ou Max Lejeune ? Alors qu’il n’a
pas échappé à la lucidité d’un
analyste de la droite libérale, Alain-Gérard Slama
que la crise actuelle est un « retour du refoulé colonial,
le traumatisme de la guerre d’Algérie, (...) qui exerce
des ravages de plus en plus insidieux dans la conscience nationale
française » ! Et pourquoi, alors que, de la loi du
23 mars 2005 à la réanimation de l’état
d’urgence algérien, sans parler de toutes ces déclarations
d’intellectuels et de parlementaires, il apparaît évident
que la mentalité coloniale est toujours profondément
ancrée dans les élites françaises, c’est-à-dire
précisément ce que l’Appel des Indigènes
voulait dévoiler ? Parce que la situation des citées
n’est pas la même que celle des colonies, que les discriminations
d’aujourd’hui ne sont pas l’esclavagisme d’hier
? Non, car tout le monde est d’accord là-dessus. Parce
que les dérapages de Dieudonné et de quelques autres
indiquent qu’il y a des manières bien perverses de
s’emparer des drapeaux du passé ? Mais qu’est
ce qui produit ce type de dérives sinon le fruit amer du
silence des progressistes sur ces questions !
Un tel brouillage, une telle diabolisation de tout cri un peu discordant
pour dénoncer l’insupportable, un tel effroi qui fait
que le bureau politique de la LCR a vu dans cet appel la «
criminalisation des divergences existant au sein des forces progressistes
», tout cela est lié à l’air du temps.
C’est que derrière cette remise en cause de l’idéologie
post-coloniale, cette révélation en pleine lumière
des ghettos existants, une partie de la gauche, donnant des signes
de paranoïa, voit partout le spectre du communautarisme, et
l’évidence de la montée en puissance de l’Ennemi
global : « l’islamiste ».
III - L’impasse
De l’autre côté de la fameuse " fracture
sociale ", les forces de l’ordre, flashballs à
la main, hurlent et insultent les familles qui sont aux fenêtres
; humilient et interpellent à tout va mères, enfants
et vieillards... Le ministre de l’Intérieur fait preuve
de politesse racailleuse, et le gouvernement est frappé de
myopie politique, frappant du poing sur une table vide, où
il a jusqu’ici toujours refusé de s’asseoir.
La meute. La crise économique, sociale et politique de la
société française est à son comble,
et la violence prend de l’ampleur dans bon nombre de quartiers
populaires de France. Meute et émeute se font face.
« La part des islamistes radicaux dans les violences a été
nulle ». Pascal Mailhos, directeur central des Renseignement
généraux est catégorique . Les membres du Tabligh,
le plus influent des mouvements islamistes en France , se sont efforcés
d’empêcher les jeunes qu’ils influencent de participer
aux troubles . Les mouvements musulmans conservateurs n’ont
pas été en reste à commencer par le plus présent
d’entre eux sur le terrain, l’Union des organisations
islamiques de France (UOIF) qui a tout de suite dénoncé,
dans une fatwa solennelle, les participants aux événements
comme se mettant hors de l’Islam .
Pourtant, nous l’avons vu, sans même parler des «
partisans de l’ordre », la majorité des responsables
politiques et associatifs et des observateurs ont cru bon d’invoquer
obstinément le péril islamiste. Alain Lecourieux et
Christophe Ramaux que nous citions tout à l’heure parlent
par exemple « d’une révolte sociale, parfaitement
légitime à de multiples égards (qui) n’en
prend pas moins parfois, à l’instar de l’exaltation
religieuse de certains, une forme foncièrement réactionnaire
» . Et si la religion musulmane n’est pas explicitement
visée, elle l’est implicitement à travers les
références répétées à
la « laïcité » et quasi obsessionnelle au
« communautarisme ». Avant d’aller plus loin,
et d’examiner ensemble ce qui se passe dans les quartiers
relégués, arrêtons nous un peu sur ce concept
« trendy » de communautarisme.
Le regroupement des êtres humains en communautés est
naturel, et c’est une des conditions pour vivre en société.
A fortiori dans une société démocratique, où
les affrontements des passions devraient être régulés
par la confrontation pacifique des intérêts collectivement
exprimés, par les uns et les autres, au sein de la Polis,
l’espace politique de la cité. Le fait de construire
des lieux pour vivre en commun certaines particularités communes
(des communautés) n’est pas en soi un problème,
dès lors que ces communautés n’affrontent pas
les autres (retour de la guerre), ni ne se vivent en sécession
d’avec les autres (refus de faire société commune).
Un véritable « communautarisme » (les ignares
ajoutent « anglo-saxon ») serait une philosophie politique
qui préconiserait, contre la société commune,
la juxtaposition de sociétés différentes, comme
seul moyen de garantir la paix civile. Dans cette conception chacun
est assigné à une communauté qui régit
tout l’espace civil pour ces assujettis, sauf les domaines
considérés comme commun (par exemple le devoir de
service militaire, le paiement de l’impôt).
La France a pratiqué massivement le communautarisme jusqu’en
1958 en distinguant une communauté de citoyen égaux
en droits (les citoyennes, on le sait, n’ont eu accès
à cette égalité totale qu’au début
des années 1970), régis notamment par le code civil,
et des communautés « indigènes », définies
par des considérations ethniques ou religieuses, et ne disposant
pas des mêmes droits, y compris ceux du code civil, mais ayant
des devoirs vis-à-vis de la communauté des Français
(par exemple le devoir de service militaire). Dans cette conception
française du communautarisme, les « indigènes
» n’avaient pas le libre choix de leur communauté.
Une partie du pouvoir civil les concernant était affectée
aux juges religieux . Il en reste encore dans notre pays des traces
mentales, et même juridiques, de ce communautarisme colonial.
Par ailleurs, d’autres formes de communautarismes existent
dans certains milieux et professions, comme par exemple le rôle
officiel de certains ordres professionnels, etc.
Le Communautarisme a pris d’autres figures dans l’histoire,
de l’Autriche-Hongrie au Royaume Uni), de l’empire Ottoman
d’hier (avec les milliet, communautés minoritaires)
jusqu’à l’Israël, l’Egypte ou au Liban
d’aujourd’hui, etc. Certains, dans la France actuelle,
prônent diverses formes de communautarismes « de libre
adhésion », permettant par exemple à ceux qui
le désirent de se soustraire à la loi commune en matière
civile pour dépendre du jugement de leur propre autorité
communautaire. C’est le cas de certains islamistes, c’est
le sens de la proposition récente du grand rabbinat de France
d’une reconnaissance officielle d’un rôle médiateur
des tribunaux religieux . C’est aussi par exemple au Canada,
l’objet de la polémique qui a eu lieu en Ontario, sur
le rôle officiel des tribunaux religieux, et qui a fort heureusement
aboutit au rejet d’un ordre civil particulier qui aurait été
propre à chaque confession .
Ce communautarisme est heureusement très minoritaire dans
notre pays. Il demeure relativement épargné par nos
« républicains » anti-communautaristes inquiets,
ceux-ci ayant tendance à critiquer toute forme d’organisation
se réclamant d’un vécu commun ethnique ou religieux,
qu’ils jugent « communautariste », moins en fonction
de sa composition ou de ses pratiques, que de sa relation avec les
« classes dangereuses » des cités !
Les cités sont-elles communautarisées ? Si l’on
écoute certains excités du « parti de l’ordre
» et certains engourdis du « parti du progrès
», la vie des cités se résumerait à l’addition
des communautaristes (musulmans) et des trafiquants (mafieux). Résultat
pitoyable de la « lepénisation des esprits »
! La relégation sociale a été organisée
sur une génération ; les ghettos sociaux, territoriaux
et mentaux se sont édifiés et ont été
conservés parfois par ceux là même qui prétendaient
les combattre. Le paternalisme et le clientélisme ont contribué
à l’atomisation des formes d’organisation (et
de défense) de la société civile dans les cités,
ce qui a pu favoriser de véritables replis communautaires
sur les seules structures de solidarité disponibles (générationnelle,
ethnique ou religieuse). Mais la vie de ces quartiers s’y
résume-t-elle ? L’histoire politique de ces populations
s’y est-elle enfermée ?
Abdellali Hajjat souligne que les quartiers populaires français
ne sont pas un « désert politique », et que «
le soulèvement des banlieues a une histoire, riche de plus
de vingt ans d’expériences politiques ». Une
histoire mainte fois écrite et décrite, y compris
par certains de ses acteurs et qui pourtant ne semble guère
préoccuper la majorité des observateurs. Cette histoire
est celle d’un échec, après les espérances
qu’avait fait naître en 1984 la Marche pour l’égalité
; elle est celle de divers dévoiements, éparpillements,
éclatements des mouvements associatifs qui ont tenté
de se structurer au milieu des années 80. Les jeunes militants
d’origine maghrébine, liés ou non aux citées,
actifs dans les mouvements des années 80 et encore au début
des années 90, avançaient des revendications intégrant
totalement la dimension pluriethnique « sans en faire un étendard
», comme le remarquaient Pierre Bauby et Thierry Gerber .
Leurs revendications, leurs discours, leurs écrits, leurs
pratiques, n’étaient pas marqués de spécificités
identitaires. Cette génération militante a été
« prise en étau entre d’un côté
les possibilités d’ascension sociale et les opportunités
politiques offertes par le gouvernement socialiste et, de l’autre
côté, la volonté d’autonomie qui passe
par un refus des compromissions avec le pouvoir en place et de la
« folklorisation » des luttes de l’immigration
» (Abdellali Hajjat) . L’échec qui va résulter
de la construction de cette impasse a des conséquences dramatiques.
Car la société française, ou du moins ses
dirigeants, n’ont jamais eu, sinon l’intention, du moins
la volonté de réaliser une véritable égalité
des citoyens de toutes origines. Au fil des années, les mêmes
attitudes et les mêmes actions se sont reproduites, celles
qu’un Saïd Bouamama décrivait en 1998 comme la
répétition lancinante des mêmes bavures policières,
des mêmes violences urbaines, occasions chaque fois d’une
demande supplémentaire de sécuritaire et d’une
même tendance à vouloir à la fois faire disparaître
les symptômes et demeurer incapable de se saisir des causes.
« Ceux qui ne comprennent pas aujourd’hui les causes
des émeutes sont amnésiques, aveugles ou les deux
» déclarait le Mouvement de l’immigration et
des banlieues (MIB) au plus fort la crise actuelle , ajoutant :
« En effet cela fait 30 ans que les banlieues réclament
justice. 25 années que des révoltes, des émeutes,
des manifestations, des Marches, des réunions publiques,
des cris de colère avec des revendications précises
ont été formulés. 15 ans déjà
que le Ministère de la Ville a été créé
pour répondre à l’exclusion et à la misère
sociale des quartiers dits défavorisés. Les Ministres
passent avec leurs lots de promesses : Plan Marshall, Zones franches,
DSQ, ZEP, ZUP, Emploi-Jeunes, Cohésion Sociale, etc.. La
banlieue sert de défouloir pour des ministres, élus
et médias en mal de petites phrases assassines sur les «
zones de non-droit », « les parents irresponsables »,
la mafiatisation et autres « dérives islamistes ».
Un aveuglant échec politique qu’Abdelaziz Chaambi,
l’animateur du mouvement DiverCité de Lyon, décrit
crûment : « Depuis plus de 20 ans, ils passent, certains
repassent et la plupart grimpent sur notre dos, se font les dents
sur nos côtelettes comme disent les jeunes, et obtiennent
célébrité, promotion sociale et réussite
professionnelle, pendant que nous restons enfermés dans nos
ghettos avec une chape de plomb sur le chaudron, sans qu’une
solidarité ou un soutien ne se manifestent concrètement
sur le terrain et au moment où nous en avons le plus besoin
». Ce résultat était déjà évident
il y a dix ans, quand mourait Khaled Kelkal, jeune lyonnais perdu
dans les méandres du terrorisme algérien , abattu
un soir d’automne. Alors, nous rappelle Chaambi, « qu’en
tant qu’acteurs associatifs dans les banlieues lyonnaises,
nous avions alors alerté les institutions et autres journalistes,
politiques, sociologues, psychologues, travailleurs sociaux, religieux
et bien d’autres, pour entamer une réflexion sur ces
phénomènes de radicalisation et sur le fait que ces
jeunes ne s’identifiaient pas à la France ni à
des hommes et des femmes de leur connaissance, mais à un
dictateur arabe (Saddam Hussein) ou aujourd’hui à un
« illuminé » musulman qui veut précipiter
la guerre des civilisations. C’est ainsi, dans l’ignorance
et la diabolisation de faits sociaux et culturels importants que
nous cheminons en France depuis une vingtaine d’années,
laissant ainsi la place à l’émergence de la
violence et du salafisme d’un côté et à
la déchéance et l’économie parallèle
d’un autre » .
Les militants du MIB, de DiverCité, les jeunes musulmans
et d’autres groupes actifs sur le terrain, mais indépendants
des pouvoirs subventionneurs, ont, comme tous les autres, été
dépassés par la révolte de jeunes qui ne se
reconnaissent dans aucune organisation sinon celle des bandes et
groupes d’affinités qu’ils constituent. Ces militants
sont cependant parmi les rares personnes ayant un peu de prise sur
l’événement, de compréhension des mécanismes,
et sont donc porteurs de reconstruction sociale. Malheureusement,
comme Antigone, ce sont eux, ceux qui sonnent l’alarme, qui
ont été vilipendés comme « communautaristes
».
L’étonnant dans de pareilles conditions n’est
pas que la crise généralisée ait éclaté
en ces jours d’automne 2005, c’est qu’elle n’ait
pas éclaté plus tôt et plus fort. La manière
dont elle a été déjà traitée
par le « parti de l’ordre », non traitée
par le « parti du progrès », peut laisser augurer
de bien plus sinistres lendemains.
Or ce n’est pas seulement des cités pauvres qu’il
s’agit, ni même des « minorités visibles
issue de l’immigration ». D’ailleurs il n’y
a pas que des immigrés ou leurs enfants dans ces cités,
pas que des Arabes et des Noirs parmi les jeunes incendiaires, ni
des garçons en échec scolaire. C’est une crise
concernant des habitants de ce pays confrontés à l’échec
d’une société toute entière.
Quarante ans plus tôt, Guy Debord écrivait à
propos des émeutiers noirs du quartier de Watts à
Los Angeles : « Ainsi, ils ne sont pas le secteur arriéré
de la société américaine, mais son secteur
le plus avancé. Ils sont le négatif en œuvre,
« le mauvais côté qui produit le mouvement qui
fait l’histoire en constituant la lutte » ». Faute
de comprendre qu’il en est, en France et des décennies
plus tard, de même, dans les formes particulières propres
à notre société et à son histoire, nous
risquons d’être confrontés à la prophétie
que faisait alors James Baldwin à propos des Etats Unis :
« la prochaine fois, le feu » . Et pas seulement cette
fois-ci des automobiles peu cotées à l’argus.
IV - La politique
Alors, cela ne doit pas nous empêcher de comprendre qu’il
y a un problème et que ce problème s’analyse
en terme simple qui est celui de l’égalité des
chances, du respect de la personne, de toute personne dans la République.
Et il faudra, bien entendu, tirer, le moment venu et l’ordre
rétabli, toutes les conséquences de cette crise et
le faire avec beaucoup de courage et de lucidité. L’exigence,
c’est de répondre de manière forte et rapide
aux problèmes indiscutables qui se posent à beaucoup
d’habitants des quartiers déshérités
dans l’environnement de nos villes Je voudrais tout de même
rappeler qu’une action importante, je dirais, considérable,
notamment sur le plan financier et sur le plan de l’intelligence
des principes mis en œuvre, a été engagée
pour répondre à ces problèmes. Jacques Chirac,
Paris, France, automne 2005
Je viens d’apprendre que dans mon établissement et
dans beaucoup d’autres les fonds sociaux étaient complètement
supprimés. Dans notre cas, une centaine d’élèves
sont concernés, ils doivent, avant lundi 21 novembre, s’acquitter
des 141€ de cantine pour les mois de septembre à décembre.
Dans le cas où les familles ne peuvent payer ils doivent
être démissionnaires de la cantine. A ce jour une cinquantaine
de familles a pu payer (sûrement en grattant les fonds de
tiroirs et en plusieurs fois), 16 élèves ont quitté
la cantine car les familles ne peuvent payer et une cinquantaine
d’autres n’ont pas donné de nouvelles à
l’intendance. Une enseignante de Seine Saint Denis, France,
automne 2005
L’atonie des gauches donne des raisons de craindre que cette
crise d’automne ne soit que l’avant goût de ce
qui nous attend, surtout si l’on examine les premières
mesures gouvernementales pour « résoudre le problème
».
Il est possible que Nicolas Sarkozy, qui s’intéresse
toujours aux exemples américains, s’inspire de la politique
suivie aux Etats-Unis après les grandes émeutes noires
des années 60. Cette politique avait consisté à
favoriser le développement d’une classe moyenne noire,
dont la réussite est aujourd’hui symbolisée
par une Condoleezaa Rice ; en France cela vise aussi les nouveaux
notables musulmans car remarque Abdellali Hajjat : « le phénomène
de « classe-moyennisation » touche aussi les cadres
des associations musulmanes revendicatives, surnommés avec
ironie « bo-bar » (bourgeois barbus...) » . Elle
avait consisté aussi à contrôler la masse au
travers de mouvements communautaires ne gênant pas trop les
autorités, dont la très réactionnaire et raciste
Nation of Islam ; dans la France des années 2000, nul besoin
d’un groupe aussi sectaire, et l’UOIF ou la FNMF ne
sont pas des Farakhanistes. Enfin elle avait consisté à
liquider, y compris physiquement, les leaders noirs indépendants
(Blacks Panthers) : en France, on se contente (pour le moment ?)
de les marginaliser, les discréditer ou les acheter.
Bien entendu, indépendamment de toute stratégie politicienne,
une classe moyenne « issue de l’immigration »
cherche à émerger naturellement dans la société
française, mais son développement est entravé
par les discriminations sociales et racistes, beaucoup d’aspirants
à la « beurgeoisie » des années Mitterrand
l’ont appris à leurs dépends. Surtout rien n’indique
qu’un espace d’embourgeoisement suffisant va se dégager
dans les années qui viennent, d’autant que les premières
mesures annoncées ne constituent pas un changement d’orientation
par rapport aux politiques suivies antérieurement, sinon
dans le sens d’une accentuation des tendances les plus négatives.
« L’apprentissage junior » à 14 ans en
fournit une très bonne illustration. L’échec
scolaire est évidemment un fléau qui frappe les enfants
des pauvres et plus particulièrement ceux des minorités.
Bien que la colère de la jeunesse des cités soit autant
celle des exclus de l’école que celles des lauréats
de la même école qui sont ensuite exclus de l’emploi
! La diversification des cursus pédagogiques et des manières
d’acquérir des connaissances - y compris en situation
de travail - est évidemment une des réponses à
ce fléau. Ce qui est proposé n’est pas du tout
de cet ordre. L’apprentissage à 14 ans est présenté
comme une manière de dressage de jeunes trublions, ce qui
d’ailleurs dénote le mépris de nos élites
pour ces filières de formation roturières et «
manuelles ». Leur méconnaissance aussi, car cet apprentissage
pour les moins de seize ans existe déjà depuis belle
lurette (préapprentissage et classes d’initiation préprofessionnelle
en alternance) sous statut scolaire. Au travers de ce projet gouvernemental,
certains aimeraient faire justement sauter la règle de l’obligation
scolaire jusqu’à 16 ans, (en mettant ces jeunes sous
statut de salariés), ou contribuer à écorner
le droit du travail (en profitant de la minorité de ces jeunes
salariés), et cela n’a rien à voir avec des
orientations fécondes pour les adolescents en échec
au collège. Comme le remarque Xavier Cornu de la Chambre
de commerce et d’industrie de Paris (qui n’est pas un
syndicat enseignant gauchiste !) : « un jeune de 14 ans, quel
que soit le milieu dont il est issu, n’a ni les aptitudes
physiques ou comportementales, ni la maturité psychologique
pour endosser la responsabilité d’un contrat de travail.
A fortiori les 15 000 jeunes en situation de déscolarisation
clairement visés par le dispositif » . C’est,
encore une fois, la logique de la voie de garage et/ou du tri social,
qui prévaut, au risque de déstabiliser un peu plus
élèves et enseignants. Mais comme Dominique de Villepin
nous annonce la création d’un « délégué
interministériel à l’orientation et à
l’insertion professionnelle des jeunes qui pourra s’appuyer
à l’échelle régionale sur des comités
régionaux de l’orientation et de la formation pilotés
par les recteurs avec l’aide des services de l’État
» , tout va sûrement aller très bien !
Plus généralement, les mesures pour que l’éducation
soit « au cœur de l’égalité des chances
» comme dit Villepin se révèlent identiques
aux divers vœux pieux répétés depuis des
années, assorties cette fois de mesures coercitives à
l’encontre des mauvais parents, joliment appelé «
contrat de responsabilité parentale », et s’inscrivant
dans la tendance globale à la criminalisation des familles
pauvres qui sévit ces derniers temps . Une illustration éloquente
de ce mélange de d’assistance paternaliste et d’autoritarisme
répressif qui sévit déjà depuis quelques
temps et s’est déjà révélé
être l’un des accélérateurs de la relégation
de territoires entiers ! Et le député du Val-de-Marne,
Jacques-Alain Bénisti, a remis son rapport sur la prévention
de la délinquance, qu¹il peaufinait depuis huit mois.
Selon lui, les comportements déviants sont détectables
dès la maternelle et la pratique du bilinguisme, facteur
de déscolarisation et de délinquance, doit être
interdite. Tout cela sur fond de pression sur les chômeurs,
de réduction des prestations sociales, jusqu’à
la taxation des caravanes (sans donner à celles-ci le statut
de domicile) frappant les boucs émissaires des boucs émissaires
(les tziganes), etc. toutes mesures qui frappent plus particulièrement
les populations déjà précarisées des
quartiers pauvres.
Bien entendu, une fois encore, tout en insistant sur leur singularité
(leur contenu ou leur effet discriminant) il est nécessaire
de rappeler que ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une
politique générale d’inspiration néolibérale.
Et bien entendu aussi la résistance à ces mesures,
frappant singulièrement les jeunes ou les étrangers,
ne peut être efficace que si elle s’organise en liaison
avec les autres formes de résistance à cette politique
globale.
De ce point de vue malheureusement, les événements
de ces dernières années n’incitent pas à
trop d’optimisme. Par exemple la longue lutte des enseignants
de Seine Saint Denis, qui portait, en 2003, sur des sujets en relation
directe avec la crise actuelle, est restée isolée
et s’est globalement achevée sur un échec. La
lutte des lycéens du printemps 2005, a donné lieu
à une répression contre des jeunes d’un niveau
inconnu depuis des années, alors même que ces jeunes
n’étaient ni spécialement blacks ni spécialement
beurs, sans susciter beaucoup de solidarité. La solidarité
avec la lutte de populations continuellement stigmatisées
jusque par une partie de la gauche risque d’être difficile
à mettre en œuvre.
Le fait que les jeunes acteurs de ce mouvement apparaissent insaisissables
et incontrôlables et ne constituent sous aucune forme aujourd’hui
une organisation ou un réseau collectif ne signifie pas qu’ils
seraient éternellement et congénitalement insensibles
à toute forme d’organisation et de politisation par
rapport à leur milieu de vie et à leur place dans
la société toute entière ! Le succès
(relatif) des islamistes le démontre d’ailleurs.
Encore faut-il commencer par concevoir que la crise actuelle ne
se résume pas à une dynamique mortifère et
suicidaire de jeunes détruisant leur cadre de vie. Signe
de ces temps étranges, c’est Lutte ouvrière
qui parle d’un mouvement « d’asociaux »
et les renseignements généraux de « mouvement
de révolte populaire » ! Si l’on confond la forme
violente de la révolte et son sens, on se retrouve fort dépourvu
pour transformer cette révolte en énergie sociale
constructive. Comme le souligne Françoise Blum : «
Ces émeutes, révoltes, flambées de colère,
violences, la gamme sémantique est large, sont un mouvement
social. (...) Les buts ? Au moins le respect, et au plus l’intégration.
Le projet politique ? La lutte contre le chômage, contre la
précarité » .
La très grande difficulté des organisations traditionnelles,
et plus généralement de l’opinion publique progressiste,
de s’emparer du thème de la répression, d’assurer
une défense juste des jeunes incriminés ou de résister
au bannissement de certains, laisse pourtant mal augurer de la suite
concernant ces jeunes eux-mêmes. Puisqu’il s’agit
d’un mouvement social, il devrait être considéré
comme légitime - et urgent - de demander une amnistie des
condamnés, comme on le fait pour d’autres mouvements
sociaux plus ou moins violents ! Ne pas mener campagne sur ce thème,
c’est conforter l’idée qu’il s’agissait
seulement de la fureur de bandes d’asociaux louches et délinquants
et non de la protestation sociale légitime d’enfants
de la classe ouvrière, même si les moyens utilisés
ne pouvaient être cautionnés. Même s’il
ne sera pas facile de traduire cette colère en organisation
progressiste, il ne faut pas détourner pudiquement les yeux
des jeunes en colère.
De plus, la crise a révélé l’existence
de forces positives qui devrait nous permettre de poser en des termes
renouvelés la question de la résistance au racisme
et à la précarité et de la reconstruction de
la solidarité sociale. D’abord, comme nous l’avons
déjà dit, il n’y a pas de désert politique
dans les banlieues. Aussi faut-il s’appuyer clairement sur
les forces qui existent dans les cités et plus généralement
dans les populations discriminées. Ces organisations sont
très diverses, associations et groupes locaux (comme DiverCité
à Lyon, Véto a Sarcelles, Bouge qui Bouge à
Dammary les Lys, etc.), groupes de jeunes ou mouvements d’habitants,
organisations anciennes de l’immigration (comme l’Association
des travailleurs maghrébins en France, la Fédération
des Tunisiens citoyens des deux rives, la Fédération
des travailleurs africains en France, l’Association des citoyens
originaires de Turquie, etc.), organisations liées au quartiers
depuis des années comme le Mouvement de l’immigration
et des banlieues, organisations se référant aux valeurs
de l’Islam comme le Collectif des musulmans de France ou Participation
et spiritualité musulmane, mouvements d’action politique
locale comme les Motivé-e-s de Toulouse, militants et réseaux
s’exprimant au sein des Indigènes de la république,
du Collectif des féministes pour l’égalité
ou du Collectif une école pour toutes et tous, mouvements
artistiques et culturels issus notamment (mais pas seulement) du
rap et de la culture hip-hop comme La Rumeur en Ile de France ou
La Rage du peuple à Marseille, etc. Il faut prendre en compte
également la capacité de réactions qu’ont
démontrée, au niveau local, des centaines d’hommes
et de femmes qui se sont mobilisés, jours et nuits, en pleine
crise, pour protéger les équipements collectifs des
jeunes en colère et protéger les jeunes des provocations
incessantes de certaines forces de « l’ordre »,
à Grigny comme à Blanc Mesnil ou sur la dalle d’Argenteuil,
sans jamais céder à la logique de « vigiles
» et autre « groupes d’autodéfense anti-jeunes
» que certains auraient bien aimé leur voir jouer.
Il ne faut pas négliger non plus le réveil des mouvements
d’éducation populaire qui peut jouer un rôle
fondamental. Nombreux sont ceux qui, au sein de tels mouvements,
comme Peuple et Culture, les Centres d’entraînement
aux méthodes d’éducation active (CEMEA), les
Francas ou d’autres, se sont sentis profondément interpellé
par la crise actuelle. « L’éducation populaire
traverse depuis plusieurs années une crise majeure et n’arrive
plus à faire face à sa mission d’émancipation
et de transformation sociale » écrivent à ce
sujet les animateurs du Réseau des écoles de citoyens
(RECIT) « et la situation actuelle nous met devant une terrible
responsabilité (...). Les évènements dramatiques
auxquels nous assistons nous renforcent dans notre conviction qu’il
y a urgence (...) à construire collectivement des alternatives
porteuses d’éducation citoyenne, compréhensives
et mobilisatrices ». Ces mouvements, d’inspiration socialiste,
laïque, chrétienne de gauche ou autre, doivent également
comprendre qu’émergent aussi des quartiers et des populations
discriminées eux même, de nouvelles formes d’éducation
populaire y compris au travers de certains groupes musulmans progressistes.
Et les nouvelles formes de l’éducation populaire, dont
ATTAC, doivent aussi prendre leurs responsabilités.
Il faut aussi assurer les nécessaires convergences et synergies
avec les associations de « sans », mouvements de chômeurs,
de sans-logis, de sans-papiers, de sans-droits, tous ces mouvement
qui luttent pour que « la société du précariat
» ne remplace pas « celle du salariat » , comme
le dit fort bien l’APEIS (Association pour l’emploi,
l’information, la solidarité), autant de mouvements
qui comme Droit au logement, sont naturellement parties prenantes
des luttes des quartiers pauvres et se sont mobilisés contre
les provocations et la répression dès le début
de la crise . Et bien entendu conforter les liens avec les mouvements
de sans-papiers et notamment avec les jeunes scolarisés et
le réseau de solidarité Education sans frontières.
Il faut enfin évidemment s’appuyer sur la disponibilité
des forces politiques , syndicales et associatives sur le terrain,
de militants et élus, membres des Verts, du parti communiste,
de la LCR, d’autres partis, de réseau comme Alternative
Citoyenne d’Ile de France ou Motivé-e-s de Toulouse
et d’ailleurs, et certainement s’appuyer sur les acteurs
locaux comme le soulignaient par exemple les Verts , notamment lors
de leur rencontre de l’Ile Saint Denis du 13 novembre ou les
élus régionaux franciliens communistes et d’Alternative
citoyenne s’interrogeant sur les politiques régionales
et les quartiers populaires, le 9 décembre. Et bien sûr
des militants actifs du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié
entre les peuples, de la Ligue des droits de l’homme et d’autres
organisations.
Mais toutes ces initiatives, tous ces groupes et collectifs de
femmes et d’hommes, dans les banlieues comme dans toute la
société, se sentent isolés, morcelés,
dispersés, fatigués. La scène politique politicienne
ne leur donne guère de raison d’espérer une
convergence impulsée par une dynamique venant d’en
haut, de candidature présidentielle ou d’autre initiative
politique unifiante. Le « mouvement social », qui avait
été capable de réussites symboliques spectaculaires
comme le rassemblement du Larzac en août 2003 ou le Forum
social européen de Paris, Saint Denis, etc., en novembre
2003, ne s’est pas traduit par une capacité d’actions
et de solidarités concrètes sur les luttes, et a fortiori
hélas sur l’actuelle crise des banlieues.
La constitution d’une force sociale, capable de mettre en
échec les politiques mortifères actuelles, prendra
du temps. Elle demande de sortir des ornières de ces derniers
mois. Rien n’est possible si l’on ne rompt pas avec
les injonctions racistes de certains tenants du « parti de
l’ordre ». Si l’on rajoute l’ostracisme
à la discrimination - comme le faisaient par exemple ces
militantes et ces militants qui expulsaient d’autres militantes
des mobilisations pour le droit des femmes à disposer de
leur corps et la défense de la législation sur l’avortement
au seul motif qu’elles étaient musulmanes pratiquantes
ou ces militants et militantes qui récusaient l’antiracisme
de mouvements au seul motif qu’ils se réclamait de
l’Islam ou qu’ils dénonçaient le continuum
colonial ! Si l’on accepte l’interdiction d’un
colloque sur « La raison dans l’islam » «
en raison de la présence de Tariq Ramadan parmi les intervenants
» . Sans doute les membres du « parti de l’ordre
» qui veulent ériger le militant suisse en djihadiste
incendiaire lui reprochent-ils d’avoir écrit en pleine
période de crise : « Les musulmans, qu’ils vivent
en Occident ou dans les pays majoritairement musulmans ne doivent
en aucune manière endosser l’idéologie de la
peur ou tomber dans le piège des lectures binaires, simplistes
et caricaturales du monde. En entretenant l’idée, devenue
obsessionnelle, qu’ils sont dominés (ou minoritaires),
mal aimés, stigmatisés ou marginalisés, ils
font inconsciemment le jeu des propagateurs de cette idéologie
de l’émotif qui cherchent à construire des murs,
à creuser des tranchées, à propager les préjugés,
à nourrir l’insécurité et à créer
les conflits » . L’ostracisme ne doit pas non plus frapper
des militants au seul motif qu’ils auraient l’impudent
culot de rappeler l’existence du crime de l’esclavage
au temps des lumières, ou le servage colonial au temps de
la république !
Puisqu’il s’agit d’une lutte contre les discriminations,
il faut respecter la parole et l’action des victimes de ces
discriminations. C’est un des grands apports des mouvements
civiques de la deuxième moitié du XXe siècle,
féministes en particulier, mais aussi antiracistes, anticolonialistes,
anti-homophobes, etc. d’avoir mis en lumière cette
évidence : la résistance à l’oppression
doit, pour être efficace, être construite autour de
l’expression des victimes de cette oppression. Il est donc
nécessaire qu’existe un mouvement autonome des populations
et groupes discriminés. Cette autonomie d’expression
et d’initiative ne signifie pas forcément organisations
séparées ni a fortiori concurrentes. Les « issus
de l’immigration » n’ont pas à rechercher
la même indépendance organisationnelle que leurs ancêtres
dans les luttes de libération nationale contre l’occupation
coloniale. Mais leurs voix ne doivent pas être couvertes par
celle d’un mouvement social uniformément dominé
par une problématique « blanche », d’autant
que celui-ci n’a guère su répondre au défi
du racisme. N’oublions pas que nous vivons tous l’héritage
de la faillite des années 80, analysé par beaucoup
comme le résultat d’une opération consciente
d’étouffement de l’autonomie des « beurs
» à travers une « opération SOS Racisme
» . Cette question de l’autonomie nécessaire,
posée par exemple par les « Indigènes de la
république » ne se résout pas par des schémas
abstraits mais dans la réalité des mouvements, le
débat, les expériences d’organisation, les ouvertures
réciproques.
Mais si la question de l’autonomie n’est pas posée,
si la parole est refusée, si les problèmes sont éludés,
alors ce sont les forces qui ne cherchent pas à construire
le front social unifié et progressiste qui tiendront le haut
du pavé. Les islamistes radicaux engrangent déjà
les bénéfices des anathèmes « laïques
» contre les musulmans progressistes. D’autres groupes
communautaristes ont tenté de développer leur organisations
populistes à l’occasion du conflit sur le rejet des
filles voilés de l’école ; heureusement, l’existence
d’une mobilisation non communautariste sur cette question
(Collectif une école pour toutes et tous) a restreint leur
marge de manœuvre, mais ils repartent aujourd’hui à
l’offensive. Le racisme anti-noir constitue un cas exemplaire
des effets de déni ou de non écoute. Ce racisme a
été nié au nom de l’universalisme français,
et cela a déjà causé bien des ravages. Bien
entendu, il n’y a pas de « communauté noire »,
d’immenses différences entre le travailleur malien
vivant dans un foyer de Montreuil, le bourgeois ivoirien en exil,
l’étudiant camerounais et le postier guadeloupéen.
Mais la communauté imaginée existe bien puisqu’on
devient « noir » dans le regard de l’autre, un
regard nourri du racisme et des préjugés ancrés
dans l’histoire du colonialisme et de l’esclavage. Il
est normal que ceux qui subissent les effets de ce racisme cherchent
à s’exprimer collectivement. Il est problématique
que certains d’entre eux pensent résoudre le problème
en essayant de construire un « lobby » à l’image
du conseil représentatif des institutions juives de France
(CRIF) qui est lui même devenu ces dernières années
une sorte de caricature communautariste. Il est inquiétant
que certains d’entre eux construisent autour de Dieudonné
un espace « en rupture » - qui ne regroupe d’ailleurs
pas que des noirs - qui pourrait, toute proportion gardée,
se terminer sinon en une sorte de Farrakhanisme à la française,
du moins en un de ces populismes fascisants comme la France en a
déjà connus, compte tenu de l’influence en son
sein d’antisémites et « radicaux » notoires.
La lutte contre les discriminations dans ce pays ne peut pas être
la simple addition des activités de groupes de pression et
lobbys juxtaposés. C’est une lutte pour toute la société
française, dans la continuité des combats sociaux
de ce pays. Ainsi, par exemple, en commémorant les massacres
de Sétif du 8 mai 1945, les Indigènes de la République
n’appelaient pas à la « repentance » de
certains vis-à-vis d’autres, mais en défilant
derrière les portraits mêlés de Malcom X, de
Patrice Lumumba, de Kateb Yacine, de Frantz Fanon... et aussi d’Olympe
de Gouges, de Louise Michel, d’André Breton, de Daniel
Guérin, de Claude Bourdet..., ils signifiaient que la lutte
contre l’esclavagisme, le colonialisme, le racisme ont toujours
été des luttes menées dans la société
française par des membres de cette société
! Pourquoi, dès lors, certains se lamentent-ils, refusant
de se « couvrir de cendre », d’assumer le «
sanglot de l’homme blanc » ? Parce qu’ils ne veulent
pas assumer les crimes du passé ? Personne ne leur demande
à eux en tant qu’individus. Parce qu’ils ne veulent
pas se réclamer de la lucidité antiraciste et anticoloniale
d’un Claude Bourdet ou même d’un François
Mauriac ? C’est probable. Parce qu’ils refusent de considérer
le présent ? C’est certain.
Fin des ostracismes, respect de la nécessité d’autonomie,
inscription dans l’histoire et dans le mouvement de la société
française, ce sont là des conditions indispensables
pour construire un front de résistance au désordre
établi et à l’injustice que construit le «
parti de l’ordre ». Il ne faut cependant pas se cacher
qu’il sera difficile de le faire sans un minimum de cohérence
politique et que cette cohérence fait défaut aujourd’hui.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, ici ou là,
des groupes divers cherchent leurs voies. Ainsi, par exemple, à
travers l’idée de Forums sociaux des banlieues ; ainsi
également du collectif Banlieue 69 qui vient de se créer
sur l’agglomération lyonnaise pour présenter
des listes aux prochaines élections municipales, seul moyen,
affirme Saïd Kebboucha , pour que les « exigences d’égalité
soient entendues et respectées, Tant que nous ne serons pas
présents dans les représentations, nous n’existerons
pas ». De telles propositions vont fleurir. Il faut construire
les lieux d’échanges et de confrontations où
elles pourront être discutées, renforcées, amendées.
Ces lieux n’existent pas dans la dispersion actuelle.
En attendant que ce travail de maillage, de partage d’expériences
et de débat porte ses fruits, il devrait être possible
que des forces politiques, syndicales, associatives convergent dès
maintenant sur quelques objectifs précis. Ce devrait être
le refus des expulsions, puis l’amnistie pour les embastillés
de novembre. C’est et ce devrait être la lutte contre
« l’Etat d’urgence », qui a commencé
à être concrétisée avec la « Saisine
citoyenne du Conseil constitutionnel » contre la loi par 5175
citoyens et plus de 70 associations syndicats ou collectifs.
Ce sont aussi les combats pour le désenclavement des quartiers
les plus relégués, contre les tramways interrompus,
les lignes de bus aléatoires et les RER négligés,
parce qu’ils desservent les pauvres, et contre les manipulations
qui consistent sur ces lignes là, à dresser les usagers
contre les employés. C’est l’exigence de solidarité
que contient le respect de la loi SRU, pour une meilleure répartition
des logements sociaux, au grand dam de l’ex-maire de Neuilly
le grincheux Nicolas ou de son petit lieutenant Eric Raoult, maire
du Raincy ! C’est une fiscalité plus juste, une autre
politique scolaire, etc., qui sur de nombreux aspects, peut commencer
à être mise en œuvre au niveau des collectivités
locales !
La démonisation des classes dangereuses bat son plein. Le
vertueux Nicolas a compris que c’est le cannabis qui est une
« catastrophe nationale de très grande ampleur »
et concours aux désordres . Et qui consomme du Cannabis ?
Pas les accros au Ricard sans doute. Le talentueux Gilles de Robien
lui, a découvert que nos ennuis venaient de cette épouvantable
« méthode globale », d’apprentissage de
la lecture. Salauds de profs ! Il est pourtant assez vieux pour
savoir que cette méthode (non utilisée) avait déjà
été incriminée lors du phénomène
des Blousons noirs des années 60 ! La loi antiterroriste,
qui fait un peu plus reculer les libertés sans faire avancer
la lutte contre les fous terroristes, a été votée
avec l’abstention gênée des socialistes. Et qui
sont les graines de terroristes ? Suivez mon regard vers le nord
est parisien ou l’est lyonnais... Raison de plus pour maintenir
l’Etat d’urgence en cadeau de Noël. « Ce
n¹est pas un cauchemar : nous vivons bien dans la France du
XXIe siècle », constate le journaliste Ivan Du Roy
.
Bien entendu, ceux qui protestent contre cette démonisation
systématique et continue se verront taxés «
d’angélisme » par les bien-pensant comme Jean-Pierre
Le Goff : « Dans les années 30, même si l’on
était pauvre et victime du chômage, on était
inséré dans des collectifs et capable de canaliser
sa révolte. Ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui
pour ces bandes de jeunes qui détruisent les écoles
de leur quartier, les bus, les voitures de leurs voisins... Avant
de s’interroger sur les conditions qui ont rendu possible
ce phénomène, il faut le regarder en face, à
l’instar des animateurs sociaux qui sont en première
ligne depuis des années. Il est temps que la gauche rompe
avec le déni de la réalité et l’angélisme
» .
Pendant ce temps là, les anges de Clichy-sous-bois et d’ailleurs,
les gamins de la république, qui, pour leur malheur, ne peuvent
nier la réalité, verront s’évanouir les
belles promesses, comme cette part des anges qui disparaît
des tonneaux de Cognac pendant le vieillissement, mais sans pouvoir
profiter de l’ivresse.
Peut être, heureusement, auront-ils entendu l’écho
de ces paroles d’espoir venu d’outre atlantique, par
deux de leurs anges tutélaires, deux grands écrivains
de la langue française : « Il n’est pas concevable
qu’une Nation se renferme aujourd’hui dans des étroitesses
identitaires telles que cette Nation en soit amenée à
ignorer ce qui fait la communauté actuelle du monde : la
volonté sereine de partager les vérités de
tout passé commun et la détermination à partager
aussi les responsabilités à venir » .
Et peut être apprendront-ils aussi que l’histoire racontée
par Victor Hugo n’est pas seulement celle de la petite Cosette
à Montfermeil, de l’autre coté de la colline
de Clichy sous bois, mais cette histoire là, un jour de grande
colère :
« Fichtre ! dit Gavroche. Voilà qu’on me tue
mes morts. Une deuxième balle fit étinceler le pavé
à côté de lui. Une troisième renversa
son panier. Gavroche regarda et vit que cela venait de la banlieue.
Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains
sur les hanches, l’oeil fixé sur les gardes nationaux
qui tiraient, et il chanta : On est laid à Nanterre, C’est
la faute à Voltaire, Et bête à Palaiseau, C’est
la faute à Rousseau. Puis il ramassa son panier, y remit,
sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées
et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une
autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore.
Gavroche chanta : Je ne suis pas notaire, C’est la faute à
Voltaire, Je suis un oiseau, C’est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer
de lui un troisième couplet : Joie est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire, Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau. Cela continua ainsi quelque
temps. Le spectacle était épouvantable et charmant.
Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air
de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant
les chasseurs. Il répondait à chaque décharge
par un couplet ».
Bernard Dreano, Président du Cedetim, co-président
du réseau Helsinki Citizens’Assembly, Paris, le 12
décembre 2005
Notes :
Extrait d’une fiche pédagogique TV5, Des Clips pour
apprendre, sur la chanson de Calogéro « Face à
la mer » (www.tv5.org/TV5Site/pédagogie) Sénat
: débats du 16 novembre 2005 sur l’état d’urgence
Mehdi Lallaoui, Du bidonville au HLM, éd Syros - Au nom de
la mémoire, 1993. 4 Le terme Hogra utilisé par les
Algériens signifie le mépris ; il s’est répandu
depuis longtemps en France. Le sociologue Abdelmadjid Merdaci de
l’université de Constantine a noté au sujet
de son utilisation en Algérie (ce qui semble aussi fort bien
s’appliquer en France) : « d’une certaine manière,
c’est l’usage politique de la notion de « marché
» qui, par le biais de la notion d’accessibilité
- aux marchandises comme aux biens symboliques - réactive
l’idée de discrimination qui informera, peu ou prou,
l’extension du domaine de « hogra ». L’exclusion
sociale - de l’emploi, du logement, de la consommation, des
loisirs notamment - constitue l’une des trames du nouveau
discours de la victimisation et appelle, de manière concomitante,
le recours au langage de l’émeute, signe probant de
la rupture du consensus acquis par les médiations institutionnelles
du politique, du syndical ou du religieux ». Dans «
La hogra en Algérie, Essai de lecture », La Tribune,
6 mai 2004. Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état
d’urgence, article premier. Rapport au Premier ministre relatif
au décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif à
l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 Débats
parlementaires, Assemblée nationale, 15 novembre 2005 «
Il n’est pas indifférent que 75 à 80 % des personnes
interpellées durant cette crise pour des faits de violence
urbaine étaient connues pour de nombreux méfaits.
C’étaient déjà des délinquants
! » N. Sarkozy, débats parlementaires, id. Débats
parlementaires, id. Ce que propose le sarkozyste de droite extrême
Thierry Mariani, débats parlementaires, id. Débats
parlementaires, id. Précisons toutefois : critiquer la diabolisation
(et la surestimation du rôle) de Dieudonné ne signifie
pas cautionner son discours antisémite fort bien dénoncé
dans « Démons français », texte collectif
signé notamment par Salah Amokrane, Esther Benbassa, Hamida
Bensadia, Pascal Blanchard, François Gèze, Nacira
Guénif-Souilamas, Gilles Manceron, Christiane Taubira, Françoise
Vergès, Pierre Vidal-Naquet, Michel Wieviorka, etc., Le Monde,
5 décembre 2005. “France’s employment minister
on Tuesday fingered polygamy as one reason for the rioting in the
country” Financial Times 15 novembre 2005. En vertu des textes
applicables dans les département français d’Algérie,
et jamais abrogés, la polygamie est légale dans la
collectivité départementale de Mayotte, son exercice
ayant été interrompu à partir du 1er janvier
2005 par la loi du 21 juillet 2003, pour permettre à l’île
de bénéficier des fonds structurels européens
qui lui étaient refusés par le Parlement européen,
faute d’égalité juridique entre les hommes et
les femmes. Grand jury RTL-LCI-Le Figaro, 4 décembre 2005.
Alain Finkelkraut : « L’illégitimité de
la haine », propos recueillis par Alexis Lacroix, Le Figaro,
15 novembre 2005 Alain Finkelkraut : « Ils ne sont pas malheureux,
ils sont musulmans », entretien avec Dror Mishani et Aurélia
Samothraiz , Haaretz 18 novembre2005 Quelques jours plus tard «
Finky » a déclaré à Europe 1 «
Je présente des excuses à ceux que ce personnage que
je ne suis pas a blessé (...). La leçon, c’est
qu’en effet je ne dois plus donner d’interview, notamment
à des journaux dont je ne contrôle pas ou je ne peux
pas contrôler le destin ou la traduction ». Il est plus
facile au professeur Finkelkraut de mettre en cause la qualité
professionnelle du quotidien Haaretz (réputé pour
son sérieux) que de réfléchir au sens de ses
propre propos. André Glucksmann : « Les feux de la
haine. Non, les incendiaires nihilistes ne sont pas des damnés
de la terre malgré ce que leur répète le discours
raciste compassionnel », Le Monde, 22 novembre 2005 Communiqué
de l’Union des Familles Laïques (Ufal) du 7 novembre
2005. Cf Respublica n°395 Charlie Hebdo, 9 novembre 2005 Lionnel
Luca, député (UMP) de la 6e circonscription des Alpes-Maritimes,
Assemblé nationale, 3 décembre 2004. M. Luca, qui
légifère sur la manière d’enseigner l’histoire
de France aux enfants, ignore visiblement l’absence de l’Algérie
dans l’organisation de la francophonie et la présence
de pays qui, pour le meilleur ou pour le pire, n’ont jamais
fait partie « de l’empire colonial de la République
», comme la Bulgarie, la Roumanie, la Macédoine, la
Moldavie... , tout au plus des colonies du Roi, comme le Canada,
les Seychelles, Haïti..., des colonies des autres, comme la
RD du Congo, la Guinée Bissau, le Burundi..., ou des conquêtes
napoléoniennes, comme l’Egypte, la Suisse, le Luxembourg
ou la Belgique... Bref les 2/5e des Etats membres ! « Quand
Boutih copie Jean-Marie. Le Pen », Français d’abord,
13 mai 2005, http://www.frontnational.com Cf. à ce sujet
les deux ouvrages de nos nouveaux croisés, le président
de SOS racisme Dominique Sopo SOS antiracisme (Denoël), et
la rédactrice de Prochoix, Caroline Fourest La Tentation
obscurantiste (Grasset), qui contribuent à obscurcir le débat
et à faire reculer l’antiracisme à travers leurs
lots habituels d’approximations et d’amalgames, de calomnies
et de cornichonneries.
Assemblée Nationale, débats du 29 novembre 2005 Christiane
Taubira : « Le rêve, possible encore, dans le poing
qui se lève (sans s’abattre) », déclaration
du 4 novembre 2005, http://www.damnes-delaterre.org « Répondre
à la crise sociale et urbaine », Résolution
du Congrès du parti Socialiste, Le Mans, 20 novembre 2005.
Débats à l’Assemblée Nationale, le 8
novembre 2005 « Assez de provocations et d’irresponsabilité
! », Comité exécutif national du PCF, 4 novembre
2005. « Jeunes et habitants des quartiers, ensemble contre
le gouvernement », LCR 7 novembre 2005. Bernard Cassen : «
Un Katrina à la française » novembre 2005. Cf.
à ce sujet notamment, Roland Castro, Civilisation urbaine
ou barbarie, Editions Plon, 1994. Pour reprendre la formule employée
par Monique Crinon, coprésidente du Cedetim. Alain Lecourieux
et Christophe Ramaux, « République inachevée
ou à jeter ? » Libération, 15 novembre 2005.
Il s’agit de l’article de Didier Lapeyronie et Laurent
Mucchielli publié dans Libération du 9 novembre 2005,
Praful Bidwai : “France Explodes the Uniformity Myth”,
Frontline, 5 November 2005. P. Bidwai est un éditorialiste
réputé en Inde, et un militant altermondialiste réputé
notamment pour son engagement contre l’arme nucléaire
et dans le dialogue indo-pakistanais. Il a reçu le prix Sean
Mac Bride du Bureau international de la paix en 2000 Edito de Marianne,
26 février 2005 : “ Et Maintenant les nouveaux racistes
” par François Darras. Jean François Kahn a-t-il
utilisé ce pseudonyme pour pouvoir dire plus de bêtises
? Le Figaro 14 novembre 2005 « La meute, l’émeute
et l’impasse », communiqué du mercredi 9 novembre
2005 par DiverCité, Ici et Là-bas et le Mouvement
de l’immigration et des banlieues (MIB) Entretien avec Piotr
Smolar, Le Monde, 25 novembre 2005 Bernard Dreano : « Regard
sur le "P.I.F". Notes sur l’islam politique en France
», Cedetim, http://www.reseau-ipam.org Les grands médias
français n’ont guère prêté attention
à leur action, par contre, John Carreyrou, journaliste du
Wall Street Journal les a suivi dans les cages d’escalier.
Cf. « Les islamistes médiateurs de la République
», Courrier International n°785, 17 novembre 2005. Fatwa
édictée le 6 novembre 2005 par « Dar el Fatwa
» de l’UOIF : « Il est formellement interdit à
tout musulman recherchant la satisfaction et la grâce divines
de participer à quelque action qui frappe de façon
aveugle des biens privés ou publics ou qui peuvent attenter
à la vie d’autrui. Contribuer à ces exactions
est un acte illicite. Tout musulman vivant en France, qu’il
soit citoyen français ou hôte de la France est en droit
de réclamer le respect scrupuleux de sa personne, de sa dignité
et de ses convictions et d’agir pour plus d’égalité
et de justice sociale. Mais cette action qu’elle soit entreprise
de façon concertée ou spontanée ne doit en
aucun cas se faire en contradiction avec les enseignements rappelés
et le droit qui gère la vie commune ».. Libération,
15 novembre 2005, op. cit. Date ou pour la première fois
le suffrage devient universel pour les plus de vingt et un ans avec
l’abolition du second collège dans les départements
d’Algérie. Dans la collectivité départementale
de Mayotte, en vertu du statut personnel de 95% des habitants les
Cadis (juges musulmans) sont toujours fonctionnaires contractuels
de la République. « Le grand rabbin de France Joseph
Sitruk projette de créer un tribunal rabbinique d’arbitrage
», Tribune Juive, novembre 2005. L’Etat de l’Ontario
a abrogé, en novembre 2005, une législation qui permettait
depuis 1991 aux familles de se tourner vers les tribunaux religieux
pour résoudre des problèmes relatifs au divorce ou
à la garde des enfants, et donnait aux jugements de ces tribunaux
force de loi. Les organisations communautaires sans relations avec
ces milieux sociaux « à problèmes », des
Arméniens aux Chinois, ne sont d’ailleurs jamais évoquées.
Très bien analysé dans l’ouvrage de Pierre Tévanian
et Sylvie Tissot, La lepénisation des esprits, L’esprit
frappeur, nouvelle édition 2002. « Le soulèvement
des banlieues a une histoire », Oumma.com, 30 novembre 2005.
Abdellali Hajjat est l’auteur de Immigration postcoloniale
et mémoire aux éditions L’Harmattan. Cf. entre
autres : Catherine Whitol de Wenden, « Les associations "beur"
et immigrées, leurs leaders, leurs stratégies »,
Regards sur l’actualité, n° 178, fév. 1992
; Azil Jazouli, Les années banlieue, Seuil, 1992 ; Ahmed
Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France, la saga du mouvement
beur, Quo Vadis, automne 1993, éd. Im’média.
; Saïd Bouamama, Vingt ans de marche des beurs, Desclée
de Brouwer, 1994 et (avec Mokthar Djerdoubi), Contribution à
la mémoire des banlieues, éditions de la Volga, 1994
et De la galère à la citoyenneté, Desclée
de Brouwer, 1996, etc. Jusqu’au tout récent livre de
Yann Moulier Boutang, La Révolte des banlieues ou les habits
nus de la République, éd. d’Amsterdam, 2005
et Banlieues : enjeux et perspectives, Le Passant Ordinaire, n°44,
Revue internationale de création et de pensée critique,
2005. Pierre Bauby, Thierry Gerber, Singulière jeunesse plurielle,
Publisud, 1996. A. Hajjat, op. cit. Saïd Bouamama, «
Jeunesse, autorité et conflit », dans la revue Ville
École Intégration, 1998, reproduit sur lmsi.net en
mars 2004. Communiqué du Mouvement de l’Immigration
et des Banlieues : « Crevez en Paix mes frères, mais
crevez en silence, qu’on ne perçoive que l’écho
lointain de vos souffrances ... », 9 novembre 2005 Abdelaziz
Chaambi : « Halte à la surenchère sur le dos
de la banlieue » 10 novembre 2005. A. Chaambi est Membre fondateur
de l’Union des jeunes musulmans et de l’association
lyonnaise DiverCité, membre du Collectif des musulmans de
France. Sur ces méandres, et les sordides manipulations autour
des assassins djihadistes algériens, cf. Jean-Baptiste Rivoire
et Lounis Aggoun : Françalgérie, crimes et mensonges
d’Etats, Editions La Découverte, 2005. Abdelaziz Chaambi
: « Affaire Kelkal, il y a dix ans déjà »,
Octobre 2005. Guy Debord : « Le déclin et la chute
de l’économie spectaculaire-marchande », Internationale
Situationniste n° 10 mars 1966. James Baldwin, Next time fire,
Penguin 1964, en français La prochaine fois le feu est disponible
en édition de poche. Déclaration de M. Jacques CHIRAC,
Président de la République, sur les violences urbaines,
faite lors de la conférence de presse du 18e Sommet franco-espagnol,
Paris, 10 novembre 2005. A. Hajjat, op.cit. Son leader Louis Farrakhan
est considéré comme l’un des complices de l’assassinat
de Malcom X. Rappelons que ces deux organisations (Union des organisations
islamiques de France et Fédération nationale des musulmans
de France) domine le Conseil français du culte musulman.
Pour plus de détails, lire Bernard Dreano, « Regards
sur le « P.I.F. ». Notes sur l’islam politique
en France », décembre 2004, www.reseau-ipam.org/cedetim.
Le problème des chômeurs et précaires diplômés
concerne une fraction de la jeunesse bien au-delà des «
jeunes issus de l’immigration », même si ceux-ci
sont plus particulièrement touchés. L’automne
2005 est aussi le moment de la première manif de «
stagiaires ». Xavier Cornu, directeur général
adjoint de l’enseignement à la Chambre de commerce
et d’industrie de Paris, Libération, 28 novembre 2005
Dominique de Villepin, conférence de presse mensuelle, 1er
décembre 2005. Cf. les travaux du groupe « Contre la
criminalisation des familles » animé par Fabienne Messica,
sur le site du Cedetim : http://www.reseau-ipam.org/cedetim. Cité
par Sylvia Zappy, Le Monde, 7 décembre 2005. Rapport confidentiel
de la direction centrale des renseignements généraux
(DCRG) du 23 novembre cité par Le Parisien, 7 décembre
2005. Françoise Blum, « Ils sont entrés en politique
», Le Monde, 10 novembre 2005. Conseil exécutif du
RECIT, 10 novembre 2005 :« Comment allons nous aider les jeunes
à penser qu’un “autre monde” est possible,
et à participer à sa construction ? ». Le RECIT
rassemble 190 organisations et 150 expériences porteuses
d’une éducation émancipatrice dont : les Éclaireurs
éclaireuses unionistes de France, ICEM pédagogie Freinet,
La Vie Nouvelle, les CEMEA, le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne,
ATTAC France, Echanges et partenariats, l’AITEC, l’Association
Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs, etc. Texte
du 5ème Congrès de l’APEIS, 6 décembre
2005. « Qui sème la misère, récolte la
tempête », appel lancé par APEIS, CDSL, DAL,
Droits Devant, No-vox, le 9 novembre 2005 qui déclarait notamment
« Il est donc hautement souhaitable que nous allions partout
où ont lieu les comparutions immédiates des prétendus
« émeutiers », et où se trouvent aussi
leurs soutiens, familles et copains, afin d’attirer leur attention
sur le sort des élèves et des parents sans papiers,
à leur présenter les organisations luttant pour leur
régularisation ». « Violences : il faut faire
confiance aux acteurs locaux », point presse des Verts, 8
novembre 2005 Cf. le témoignage de Michel Bourgain, Maire
de l’Ile-Saint-Denis : « Tous responsables, Tous capables
! », 18 novembre 2005 Colloque de philosophie qui devait se
tenir à la Maison de la Recherche à Clermont-Ferrand
le 9 décembre 2005. Tariq Ramadan : « L’idéologie
globale de la peur et la globalisation du syndrome israélien
», 22 novembre 2005, http//www tariqramadan.com. Bien entendu
la réalité de cette période des années
83 et suivantes, des marches « pour l’égalité
» et de « convergence », de l’évolution
de SOS racisme, de l’échec de « Mémoire
fertile », etc., est bien plus complexe que celle d’un
complot. Il n’empêche que cette théorie du complot
s’est d’autant plus facilement répandue dans
les citées qu’aucun examen critique et croisé
de cette période n’a été fait par les
organisations de gauche. Il s’agit de mouvements comme le
Comité français de cohésion nationale, le Parti
des musulmans de France, etc. Cf. Bernard Dreano : Regard sur le
« P.I.F », op. cit. Avec la Création du Conseil
représentatif des associations noires (CRAN) par une soixantaine
de groupes pour lutter contre « les discriminations ethno-raciales
», fin novembre 2005. Sur Farrakhan et le Nation of Islam
voir supra page 22. Saïd Kebboucha, membre de Convergences
citoyennes, cité dans « Des militants associatifs veulent
créer une force politique », Le Monde, 21 novembre
2005. Symbolique puisque seul le PS a le nombre de parlementaires
nécessaires pour cette saisine. AFP, 9. décembre 2005
Ivan du Roy : « État d’urgence », éditorial
de Témoignage chrétien du 8 décembre 2005.
« Quelle crise des banlieues ? » Débat entre
Pierre Rosanvallon, Jean Pierre Le Goff, Emmanuel Todd et Eric Maurin,
Libération 21 novembre 2005. Edouard Glissant et Patrick
Chamoiseau « De loin, Lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur
de la République Française, à l’occasion
de sa visite en Martinique ».
|
|