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La part des anges
La crise de l’automne 2005 dans les quartiers pauvres en France et la démonologie des banlieues
Par Bernard Dreano le 12 décembre 2005

Origine : http://www.reseau-ipam.org/article.php3?id_article=1165

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Expression écrite : décrire, exprimer son opinion.

Thèmes abordés : Les jeunes, la vision de la société, l’injustice, les difficultés d’intégration.

Lisez ci-dessous la partie du résumé des Misérables consacrée à Cosette : « Ayant retrouvé la liberté, Jean Valjean souhaite honorer la promesse qu’il avait faite à Fantine : libérer Cosette. Il arrive à Montfermeil la veille de Noël. Cosette est toujours en haillons. Alors que la petite servante se fait réprimander par La Thénardier, Jean Valjean prend sa défense. Puis la terrible mégère envoie Cosette, à la nuit tombée, chercher de l’eau à la fontaine, là-bas dans la forêt. Corvée que Cosette redoutait, d’autant que la nuit est glaciale et le seau plus grand qu’elle. Cosette part seule dans cette nuit de Noël. Elle jette un regard devant une somptueuse poupée, exposée dans l’une des baraques dressées pour Noël. Puis elle s’enfonce dans la nuit noire. Le sceau rempli, il lui faut vaincre la fatigue, la peur et se dépêcher car sa patronne a horreur d’attendre. Soudain, elle sent que le seau devient de plus en plus léger. Une grosse main s’est saisie de l’anse. Cosette se sent protégée par cet homme très fort qu’elle ne connaît pas et qui pourtant la rassure... »

Il y a près d’un demi siècle, quand ce Clichy perdu était à l’ombre de ses bois, sa petite chapelle de Notre Dame des Anges, au lieu dit du Chêne-pointu, était entourée d’arbres et son pèlerinage encore fréquenté, souvenir d’anges libérateurs de voyageurs victimes des brigands (racailles des temps jadis). A deux pas, les habitants des pavillons, pas toujours bâtis avec des permis de construire conformes, allaient guincher au bal musette de l’étang des sept îles. De l’autre coté de la colline, près de l’hôpital de Montfermeil on montrait la fontaine où Cosette, l’héroïne de Victor Hugo, allait chercher de l’eau au siècle précédent.

Il y a bien longtemps que l’étang a été comblé, le musette remplacé par un supermarché, bon nombre de fidèles de la chapelle sont d’origine africaine, et la cité des Bosquets ne garde dans son nom que le souvenir du bois qui fut. Dans cette périphérie lointaine de la ville lumière, Victor Hugo retrouverait aujourd’hui ses Misérables, là où ce n’est plus seulement la petite Cosette qui est reléguée, mais une population entière.

Sur les écrans de télévision du monde, ces nouveaux Gavroches, les anges de Montfermeil et d’ailleurs, se sont transformés en démons, les flammes oranges des voitures embrasées ont évoqué un nouvel enfer. Et les fidèles de la mosquée de Clichy-sous-bois ont versé, sur le vallon, les larmes provoquées par les grenades lacrymogènes lancées par des policiers qui ne sont plus les anges bienveillants, ou les argousins de Javert, mais les sombres gardiens de Sarkozy venus rétablir l’ordre dans cette géhenne.

Cette mosquée s’appelle Bilal. Bilal Ibn Rabah, compagnon du prophète, fut le premier muezzin de l’islam et la tradition précise que sa peau était noire, car sa mère venait de l’actuelle Ethiopie. Une famille « issue de l’immigration » déjà ? Il fut aussi, plus tard, le conseiller écouté du Khalife Omar. Mais qui conseille aujourd’hui Nicolas Sarkozy, celui qui veut être Khalife à la place du Khalife, et qui à l’évidence se moque des conseils d’Azouz Begag, le malheureux ministre sans pouvoir, « délégué à la promotion de l’égalité des chances » ?

Les conseillers d’aujourd’hui, docteurs en banliologie, experts en classes dangereuses et autres spécialistes des fractures sociales, n’ont pas l’air d’inciter ce gouvernement à modifier une politique calamiteuse, qui, si l’on en croit les premières mesures prise, risque d’aggraver encore les choses. Mais les « forces progressistes » qui s’opposent théoriquement à ces politiques, semblent avoir le plus grand mal à proposer d’autres réponses que celles qui ont contribuées à l’actuelle crise. Pire, tout semble ce conjuguer pour que la fracture s’approfondisse progressivement en apartheid, pour que le malaise se constitue en une idéologie de combat, de ces idées noires qui construisent les images de l’ennemi, en l’occurrence notre ennemi supposé de la prétendue guerre des civilisations.

La crise des banlieues de novembre 2005 est à l’évidence le symptôme d’un problème social très ancien. Mais, par son ampleur et son écho mondial elle constitue un événement politique et historique nouveau. Il est encore tôt pour en mesurer toute la portée. Il est fort probable que ses effets à court terme seront surtout négatifs.

A plus long terme, l’ébranlement pourrait avoir des conséquences positives, mais dans quelles conditions ? Pour savoir identifier ce qui peut permettre une reconstruction, il faut comprendre quelles sont les forces destructrices à l’œuvre. A commencer par celles que déchaîne une politique gouvernementale fondée sur la xénophobie et la répression, mais aussi par celles que laissent libres les inhibitions et les blocages de ceux qui sont censés résister à cette politique. Et plus encore, il faut comprendre ce qui se passe vraiment dans les quartiers pauvres de notre pays, comment les anges deviennent démons. Alors, seulement, nous pourrons esquisser quelques réponses et faire front face aux fauteurs de la guerre sociale.

I - Le pogrom antirépublicain

Mme Alima Boumediene-Thiery. (Verts) : En effet, pour beaucoup de citoyens, cette loi n’est, ni plus ni moins, que la réminiscence d’un passé colonial qui ne passe pas, auquel s’ajoute, d’ailleurs, une diversité ethnique que l’on refuse de reconnaître. (Protestations sur les travées de l’UMP) Mme Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF) : Cessez de hurler ! Laissez-la parler ! Mme Alima Boumediene-Thiery. : Vous pouvez râler. D’ailleurs, il n’y a que la vérité qui blesse ! (...) Bref, après les Arabes, les Kanaks et les Noirs, aujourd’hui, ce sont les étrangers de l’intérieur. (Oh ! sur les travées de l’UMP) Eh oui, aux indigènes de la colonie se substituent officiellement les indigènes des banlieues, comme l’ont rappelé récemment plusieurs personnes issues de cette histoire et ardents défenseurs du devoir de mémoire. M. Josselin de Rohan (UMP) : Grotesque ! M. Patrice Gélard (UMP), vice-président de la commission des lois : C’est du racisme ! Mme Alima Boumediene-Thiery. : Alors que certains responsables osent appeler les habitants des banlieues « fils et filles de la République », je suis désolée de constater qu’avec cette loi se confirme le fait que l’on nous traite, encore et encore, en enfants illégitimes de la République. (Rires sur plusieurs travées de l’UMP) Mme Nicole Borvo Cohen-Seat : Et cela vous fait rire !

Depuis déjà longtemps, la violence est endémique dans de nombreux quartiers pauvres du paisible pays de France. Une violence qui peut avoir une certaine rationalité, comme moyen de survie face à la pauvreté, au chômage et aux humiliations quotidiennes, avec ses de vols et ses trafics. Une violence qui est aussi domestique, intime, écho en dedans de la violence du dehors, entre maris et femmes, garçons et filles, grands et petits, de la dispute familiale quotidienne jusqu’à l’amoureux éconduit, meurtrier de la fille qu’il convoite. Une violence irrationnelle enfin, qui embrase régulièrement les voitures en bas des immeubles, comme un cri de colère contre ces misères.

Bien entendu la violence n’existe pas que dans ces quartiers là, et la vie de ces quartiers n’est pas faite que de violence. Et depuis maintenant une génération les « décideurs » nous expliquent que ces « zones sensibles » et autres « quartiers défavorisés » font l’objet de toute la sollicitude de la nation et que de « dispositifs » en « plans d’urgence », de « nouveaux départs » en « zones franches », les quartiers vont redevenir les « cités radieuses » que leurs promoteurs imaginaient, parait-il. Des « décideurs » qui n’ont jamais cherché vraiment à répondre à la question que se posait, comme tant d’autres enfant des cités, Mehdi Lallaoui, il y a plus d’une décennie : « à quel moment a eu lieu la rupture qui a favorisé le rendement et le béton au détriment des habitants ? Comment sont apparus ces ghettos de misère, cette relégation sociale qui subsiste encore aujourd’hui... ? » . Des « décideurs » qui n’ont jamais voulu s’attaquer au poison qui se diffusait dans le corps social au fil des ans, ce mépris, cette hogra ... Un empoisonnement, qui a fait système, annulé les progrès accomplis ici ou là, vidé de sens les discours humanistes, engendré le racisme, le repli sur soi, la haine.

De ce dernier point de vue, dans leur manière de faire face à la crise, Dominique de Villepin, comme son rival Nicolas Sarkozy, ont fait un grand pas en avant dans la pire des directions.

Chacun a pu constater que les émeutiers de novembre étaient de jeunes gens (parfois très jeunes) agissant presque toujours de manière similaire (et à l’évidence mimétique). Toutefois, dans la mise en scène d’un combat quasi ritualisé avec les policiers, la violence est demeurée relativement limitée, malgré les milliers de voitures et des dizaines de lieux publics ou commerciaux brûlés. Contrairement à d’autres émeutes urbaines de ce genre, il n’y a eu que peu de violence visant des personnes, et, plus significativement encore, pas de pillages. Cette violence était donc essentiellement « symbolique », porteuse de message ; ce qui ne signifie évidemment pas qu’elle était bénigne. A cette manifestation les pouvoirs publics ont répondu à leur manière, qui n’avait rien de bénigne non plus, avec leurs techniques du « maintien de l’ordre » par le quadrillage du terrain ou l’expédition punitive par des corps expéditionnaires, et surtout leur symbolique juridique et politique aussi claire que redoutable.

Ce message est résumé de manière dramatique dans la décision de recourir à la loi d’état d’urgence du 3 avril 1955, celle de la guerre d’Algérie. L’invocation d’un texte prévoyant que « l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l’Algérie ou des départements d’outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ne correspond évidemment pas à une obligation juridiquement nécessaire aujourd’hui. Ce que permet cette loi, les perquisitions de jour comme de nuit, sans contrôles judiciaires, ayant notamment pour but de « rechercher les armes », la possibilité d’interdire toutes réunions sans autre motivation que celle de l’état d’urgence lui-même, voire de recourir à la justice militaire , est totalement disproportionnée par rapport à la réalité. Cela n’avait pas été jugé nécessaire, ni en mai-juin 68, ni au plus fort des troubles corses ou lors des plus violentes manifestations paysannes. Là où de simples arrêtés préfectoraux auraient suffit, Villepin et Sarkozy ont préféré une affirmation idéologique, confirmant symboliquement l’hypothèse de la « gestion coloniale » des banlieues, et non d’une disposition de maintien de l’ordre « au nom de l’efficacité dans la restauration de la paix publique » dont fait mine de se réclamer le ministre de l’intérieur.

Au delà des fantasmagories guerrières, le discours de Sarkozy s’appuie sur deux thèmes récurrents aux effets bien concrets.

Le premier est celui, bien connu, de la « sécurité », qui fait toujours recette, malgré cette politique de gribouille qui a provoqué une extension des violences en tache d’huile. En période de troubles, le « parti de l’ordre » rallie toujours de nombreux adeptes rassurés par un discours « ferme et direct », qui donne l’impression de ramener le calme par la magie des mâles déclarations quand bien même il a contribué au désordre. Il faut donc présenter les émeutes comme fomentées par des malfaiteurs d’où le mensonge sur le fait que 80% des personnes arrêtés aurait été des délinquants .

Le second, tout aussi classique, est celui de la xénophobie, en ciblant l’immigration d’aujourd’hui, par rapport à un problème qui, s’il a un rapport avec une immigration, concerne indirectement celle d’il y a trente ou cinquante ans ! D’où l’insistance sur les expulsions de quelques jeunes raflés sur le terrain porteurs de la mauvaise carte d’identité. « Le condensé des problèmes que connaissent nos quartiers, c’est aussi une politique d’immigration subie, alors que nombreux sont ceux qui veulent une politique d’immigration choisie » ajoute doctement le ministre de l’intérieur. Son objectif est surtout de promouvoir une future « immigration de travail » sans droits civils (notamment celui de vivre en famille) . Il oublie bien sur que la majorité des jeunes émeutiers sont les enfants d’une immigration de travail et sans droits, « choisie » justement par les entreprises, il y a plus de trente ans.

Dominique de Villepin et plus encore Jacques Chirac, semblent s’appliquer à ne pas tenir un discours aussi exclusivement xénophobe-sécuritaire et se veulent ouvert aux « enfants de la République ». Mais cette démarcation n’en est pas une. Plus grave peut être, le paternalisme compassionnel, sensé compenser le discours sarkozien, n’a fait que flatter les pires dérives idéologiques réactionnaires. Car les « partisans de l’ordre » vont idéologiquement au-delà des positions xénophobes et sécuritaires de Nicolas Sarkozy, développant sans retenue des arguments culturalistes et colonialistes qui s’inscrivent dans l’air du temps actuel de la guerre des civilisations, et que le recours par le gouvernement Villepin à la loi d’état d’urgence de 1955 vient valider.

Les propos tenus lors du débat parlementaire sur la prorogation de l’état d’urgence ne font d’ailleurs que le confirmer. Pour les orateurs de la majorité, il s’agit bien de mater ces « indigènes » en révolte qui de surcroît ne parlent pas français ! « Or, quand on est citoyen d’un quartier, on a des droits et des devoirs, dont celui de parler français », précise finement le député Nicolas Perruchot (UDF) pour justifier l’état d’urgence. Des quartiers où il est incompréhensible « que les familles qui posent problème aient les mêmes droits que les honnêtes gens » et donc, pour Gérard Hamel (UMP), il faut instaurer des punitions collectives. Tandis qu’Hervé Mariton (UMP) sait lui, que les problèmes viennent de ceux qui, « au fil des dernières années et des derniers mois, ont semé dans notre société les graines du refus de la fraternité », précisant « Qu’on me permette de dire que, dans une certaine mesure, la crise que nous avons vécue, c’est la faute à Dieudonné ! » - et voila ce nouveau diable qui vient terroriser nos braves parlementaires blancs, non pour ses propos antisémites mais comme fantasme du boutefeu nègre !

Faisant abstraction du fait que, dans leur immense majorité, les jeunes émeutiers sont français, nés ou ayant grandi dans ce pays et censés être représentés par ces honorables parlementaires et gouvernés par ces ministres, les uns et les autres se sont efforcés d’en souligner le caractère « étranger ». C’est le sens des explications données au Financial Times par le ministre des relations du travail, Gerard Larcher (qui s’y connaît en banlieue en tant que maire de Rambouillet), sur le rôle de la polygamie (étrangère) comme facteur incendiaire. Il s’y connaît d’ailleurs aussi en polygamie, ignorant juste qu’il vit dans le seul pays de l’Union européenne dans lequel celle-ci a été légale jusqu’au... 1er janvier 2005 !

Le passé mal digéré vient gonfler les voiles du plus mauvais des vents du présent. Les débats sur la loi du 23 février 2005 de « réparation » pour les Harkis avaient déjà démontré la puissance de ce retour du colonial dans la tendance actuelle à la guerre des civilisations. Cette loi n’est guère convaincante en terme de réparation pour le crime qu’a été la politique de la République à l’égard des Algériens (et leurs familles) engagés contractuels de l’Armée de la République. En compensation ( ?), un groupe de pression comportant l’actuel ministre des affaires étrangères Douste-Blazy avait imposé qu’y figure l’obligation que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Comme toujours en pareil cas, des intellectuels haineux ajoutent leurs souffles puissants. L’académicienne Hélène Carrère d’Encausse est allée expliquer à la chaîne Russe NTV que les xénophobes de Russie ont bien raison de voir dans la crise des banlieues l’affrontement entre la civilisation chrétienne et la barbarie islamiste arabo-africaine. L’inénarrable professeur de philosophie de nos chers polytechniciens, Alain Finkelkraut, « honneur de l’intelligence française » pour Nicolas Sarkozy , pense que « la violence actuelle n’est pas une réaction à l’injustice de la République, mais un gigantesque pogrome antirépublicain » , et explique aux journalistes israéliens d’Haaretz : « en France on voudrait bien réduire les émeutes à leur niveau social. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient à l’Islam. Il y a en effet en France d’autres émigrants en situation difficile, chinois, vietnamiens, portugais, et ils ne participent pas aux émeutes. Il est donc clair qu’il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux ». Le nom moins inénarrable André Gluskmann, soucieux de ne pas être en reste, ajoute sa confusion à la sainte colère de son rival « Finky » en parlant de « haine généralisée » en France .

Ces intellectuels, plus ou moins néo-libéraux et néo-conservateurs sont rejoint dans leurs analyses comme dans leurs imprécations par d’autres conservateurs, ceux-là antilibéraux ou farouches adversaires des politiques néolibérales, comme l’Union des familles laïques (UFAL) qui voit dans les événements « l’alliance de fait du ministre de l’Intérieur avec les délinquants maffieux et les caïds de l’islam politique dans les banlieues » et appelle le gouvernement à sévir contre « ces caïds des quartiers et de l’islam politique qui ont semé dans toutes les banlieues, les graines d’une guerre organisée contre les couches populaires et le modèle social républicain » , position partagée par l’éditorialiste de Charlie Hebdo, Philippe Val, qui voit dans toutes ces émeutes un mouvement inspiré par les redoutables « Indigènes de la République » qui sont, à ses yeux, forcément des méchants antisémites puisqu’ils n’avaient d’autres buts que de « relativiser la Shoah », et organisé par les féroces « émeutiers de nos banlieues », qui sont, à ses yeux, forcément des épouvantables islamistes puisqu’ils n’avaient d’autres buts que de rendre « les filles voilées inaccessibles à qui n’est pas coreligionnaire » .

Ces déclarations colonialistes et xénophobes, n’ont pas commencé avec le drame de Clichy-sous-Bois, elles sont permanentes depuis quelques années. Tant de la part de certains responsables politiques que de certains intellectuels.

Colonialistes ? Souvenons nous par exemple de Lionnel Luca expliquant à l’assemblée nationale lors du débat sur la loi de promotion du colonialisme à l’école du 23 février 2005 : « Sans la France, l’Algérie d’aujourd’hui n’existerait pas. C’est la France qui lui a donné son territoire et son identité, qui l’a organisée et développée. L’œuvre de la France outre-mer est méconnue et déformée, voire calomniée, sous le vocable de colonialisme. Nous n’avons pas à rougir de la colonisation, engagée par la gauche à la fin du XIXe siècle au nom des grands principes républicains. Elle doit être réhabilitée, car c’est elle qui a donné naissance à la francophonie. Les quelque cinquante Etats qui y participent, sous la houlette bienveillante de la France, sont tous issus de notre empire. »

Xénophobes ? Que penser par exemple du rapport présenté par Malek Boutih, rédigé au printemps 2005 pour le secrétariat national du Parti Socialiste, dont le Front National saluait le « bon sens » félicitant l’ancien dirigeant de SOS Racisme et ajoutant et que ce texte prouvait « que la lepénisation des esprits est en marche, sachant que nos compatriotes ne manqueront pas de préférer l’original à la copie ». Un rapport regrettant la régularisation des sans papiers, préconisant le « livret sanitaire » pour les travailleurs immigrés, la fin du droit du sol, du droit au regroupement familial, la précarisation des résidents étrangers par la suppression de l’actuelle carte de séjour de dix ans, etc.

Face aux banlieues en feu, tout ce beau monde s’est donc peu ou prou retrouvé dans un nouveau « parti de l’ordre » comme il s’en constitue toujours en pareil cas. Il est disparate. Il va d’Hélène Carrère d’Encausse (de l’Académie française) à Philippe Val (de Charlie Hebdo), du néo-bonapartiste Max Gallo au néo-chouan Philippe de Villiers, de la féministe moderne Caroline Fourest et de l’antiraciste moderne Dominique Sopo à la postfasciste moderne Marine Le Pen... Mais les déclarations des uns et des autres ont toujours deux points communs : la défense « des principes républicains » et la résistance, au nom de ces principes, à l’offensive des « barbares » (sauvageons des quartiers plus ou moins islamisés), bref une nouvelle Union sacrée qui n’est plus celle de la guerre contre les boches mais celle de la guerre contre les nouveaux barbares.

II- L’assistance sociale ?

Je récuse l’accusation absurde d’une France qui reproduirait aujourd’hui dans ses quartiers la fracture coloniale. Si nous ne sommes comptables des fautes ni de nos pères ni de nos ancêtres, nous serions coupables de les répéter. Quel pays plus que la France depuis cinquante ans a marié tant de populations diverses et a reconnu toutes ces personnes comme citoyens à part entière ? Les difficultés que connaît notre modèle d’intégration ne peuvent faire oublier les vertus de ses principes. Jean-Marc Ayrault Président du groupe socialiste à l’assemblée nationale

« Voilà plus de trois ans que les mots servent de lances et d’obus » a écrit Christiane Taubira . La député de Guyane sait combien ces armes rhétoriques, utilisées par ces politiciens et ces penseurs néoconservateurs de droite et de gauche, ont fait mal. Elle fait partie de ceux qui veulent faire front. Mais existe-t-il aujourd’hui, comme souvent dans notre histoire, un « parti du progrès » face au « parti de l’ordre » ? Qui sont les progressistes dans ce pays, qui ne se considèrent pas comme des vociférateurs de la sécurité et des croisés de la guerre des civilisations ? Ceux là, s’ils existent et quelles que soient leur position sur l’échiquier politique ou au sein du mouvement social, ont été dépassés devant l’incendie des quartiers.

Au gouvernement, Jean Louis Borloo a pu s’échiner à répéter qu’il s’agissait d’un problème d’enfants de la France à résoudre entre Français, et Azouz Begag s’efforcer de faire bonne figure face aux humiliations répétées de la part de certains de ses collègues, ils sont apparus non seulement sans prises sur les événements, mais aussi sans influences sur les meutes xénophobes et colonialistes de leur majorité gouvernementale.

L’opposition socialiste n’a pas plus brillé. Certes, elle a, rituellement, dénoncé la politique de la droite, en particulier le démantèlement des mesures qu’avait pris le gouvernement Jospin (police de proximité ou emploi jeunes) sans convaincre que ces mesures aient contribué significativement à renverser la tendance à la désintégration d’une partie de la société française. Et elle s’est abstenue de déférer le texte de recours à la loi de 1955 devant le Conseil constitutionnel, rendant sans effet ses protestations verbeuses.

Comment le Parti Socialiste, réuni en son instance suprême (son congrès), a-t-il, collectivement interprété les événements ? Il « a pris la mesure de la crise que traduit la montée des inégalités et de la violence », qui, a ses yeux, ne s’est pas réduit seulement au « problème des banlieues qui resurgit brutalement » (resurgit brutalement ? !), mais est l’expression du mal de « toute la société française qui souffre des dégâts du chômage, de la précarité, des inégalités, de l’accumulation durable, de la misère sociale et des discriminations ». Bien entendu, c’est la droite libérale qui a « créé les conditions du désordre social » et « d’une crise majeure, porteuse de tous les dangers pour notre pacte républicain ». Si l’on suit bien la résolution des socialistes, l’aspect spécifique d’un mouvement affectant les habitants particuliers de certains quartiers précis n’est pas un élément tellement important de cette crise là. Il ne s’agit, pour l’essentiel, que de l’une des conséquences parmi d’autres de la politique négative de la droite. Et, comme c’est d’un problème social qu’il s’agit, les solutions doivent être sociales.

Lesquelles ? « Une loi de programmation pour les quartiers » - une de plus -, avec des moyens supplémentaires. Une politique ou « les élus locaux, des services publics forts, des associations confortées doivent être les maîtres d’œuvre d’une véritable mobilisation générale sur le terrain. Priorité doit être donnée à l’accompagnement humain des familles, à l’éducation, à l’animation culturelle et sportive ». Outre qu’il s’agit là de l’exposé des motifs de toute les politiques menées par les gouvernements depuis trente ans, on remarque que les habitants des quartiers sont une fois de plus ignorés, sinon pour être « accompagnés » et « animés » et qu’« unanimes, dès à présent à répondre à l’urgence sociale », les socialistes qui se veulent le parti populaire par excellence, n’envisagent pourtant pas leur action comme partant des quartiers mais comme s’appliquant aux quartiers, à travers les politiques publiques ou parapubliques. Les situationnistes il y a quarante ans constataient qu’un prolétaire moderne était quelqu’un exclu de l’emploi de sa vie et qui le savait ; les socialistes d’aujourd’hui qui parlent de « porter la parole de ceux qui souffrent et répondre à leurs aspirations » ne semblent pas vouloir être là pour représenter les prolétaires qui reprennent pouvoir sur leur vie, mais pour les « traiter socialement ».

Les premières mesures que préconise la résolution sont, outre le rétablissement des emplois jeunes et la « sanction » des discriminations, « un volontarisme républicain fondé sur des critères sociaux, et en aucun cas ethniques, pour assurer la promotion sociale de jeunes des quartiers populaires » et « la promotion de la laïcité qui est au coeur du pacte républicain à travers l’adoption d’une charte solennelle des principes laïcs dans les services publics ». En d’autres termes, si la question est sociale, elle n’est pas « ethnique ». Il n’y donc pas particulièrement urgence de s’interroger sur les racines historiques et sur les formes de reproduction du racisme telle qu’il est enraciné dans la société française. D’ailleurs, la nature des discriminations à sanctionner n’est jamais détaillée.

Y aurait-il cependant d’autres urgences que purement économico-sociale ? Assurément ; des urgences « laïques ». Pourquoi « laïques » et pas par exemple « antiracistes » ? Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale nous l’explique : « Les crédits des associations ont été réduits de manière telle que des groupes religieux ont parfois pris en charge, par défaut, le travail de médiation sociale. S’il est temps de reconnaître à l’islam sa place de deuxième religion dans notre pays, dans le respect et la dignité, arrêtons de lui demander de régir la vie des cités à la place de la République. La laïcité doit retrouver tous ses droits. La médiation sociale est l’affaire des municipalités et des associations, pas des prédicateurs » . La réduction des subventions aux associations par la droite est évidente, mais les « groupes religieux » de terrain dont parle Ayrault n’ont jamais été subventionnés, du moins par la puissance publique. Seulement ces groupes sont constitués d’habitants des quartiers sensibles, ce qui leur donne évidemment plus de poids social que les constructions médiatiques de type Ni Putes Ni Soumises avec des cadres formés à la remarquable école de professeurs en banliologie aussi compétents que le sénateur Michel Charasse ! Et surtout, la question n’est pas, de « régir les cités » (et bien entendu pas de demander à « l’Islam » de le faire), mais de permettre à celles-ci de se régir. Elle est moins de faire de la « médiation » que de construire une société démocratique, y compris dans les quartiers pauvres ! Si les socialistes ont, à l’évidence, peur des musulmans de France, qu’ils connaissent en général (il y a des exceptions) fort mal, ils appréhendent bien la vie de ces quartiers pauvres sur le mode du paternalisme.

Ce paternalisme qui s’accompagne d’une certaine suffisance « républicaine », empêche ceux qui y succombent de voir l’évidence : le moteur de la crise des banlieue n’est pas seulement social et économique (il l’est bien sur), il est aussi idéologique. Les discriminations que subissent les jeunes des quartiers ne sont pas seulement dues au fait qu’ils sont pauvres et qu’ils sont jeunes (ce pays n’aime ni ses pauvres ni ses jeunes), elles sont aussi ethniques, elles frappent les Noirs et les Arabes en tant que tels, ces discriminations sont le symptôme d’un mal profond, le racisme à la française.

Cet aveuglement n’est pas propre aux socialistes. Il est sans doute dominant à gauche, même à la « gauche de la gauche ». Au delà des évidentes divergences qui existent par ailleurs, on retrouve, avec plus ou moins de fréquences selon les couleurs politiques, les mêmes invariants, les mêmes analyses, les mêmes argumentaires, et dans une certaine mesure les mêmes propositions, dans les déclarations de personnes se réclamant du PCF ou des Verts, de la LCR ou des courants libertaires, de la FSU ou d’ATTAC...

Le premier invariant est l’insistance à souligner le caractère économico-social de la crise. Répétons encore une fois que cette dimension est fondamentale : le chômage et la précarité prolongés, avec tous leurs effets désagrégateurs, ont profondément marqué les quartiers pauvres. Ce qui est troublant n’est pas l’insistance sur cette évidence, mais la manière d’insister, comme pour exorciser les autres dimensions.

Invariance aussi dans l’insistance sur la responsabilité quasi exclusive des politiques néolibérales. Là encore, il est bien clair que les politiques menées ces dernières années, favorisant la rentabilité à court terme, dénigrant et démantelant les services publics et substituant la privatisation à l’engagement collectif, ont contribué largement à la rupture du tissu social, surtout là où il était le plus fragile. Mais tout s’explique-t-il par le néolibéralisme ?

Ainsi, par exemple, pour le PCF « la situation actuelle, rendue explosive par les provocations ministérielles, est le produit de très longues années de sous-estimation de la gravité des problèmes posés par ce qu’on a appelé la « crise urbaine », à laquelle les gouvernements successifs se sont refusés à répondre, favorisant les logiques libérales qui cassent les droits et les solidarités » . Et pour la LCR : « la mobilisation populaire contre le gouvernement est indispensable pour faire toute la lumière sur le drame de Clichy, faire cesser les provocations policières, exiger le départ de Sarkozy, stopper les réformes libérales et revendiquer que la priorité soit donnée à la satisfaction des besoins sociaux. » On retrouve dans la plupart des déclarations des partis ou associations et syndicats la même approche principale, fort bien développée par Bernard Cassen, président d’honneur d’ATTAC-France : « sans évidemment le formuler ni même le penser en ces termes, les jeunes révoltés des banlieues françaises, avec la spécificité des circonstances aggravantes qu’ils subissent, sont en train d’instruire le procès des politiques libérales mises en oeuvre depuis plusieurs décennies aux niveaux européen et national par tous les gouvernements, qu’ils se réclament de la gauche ou de la droite » .

Or, placer avant toute autre considération ce procès des politiques libérales a l’inconvénient de passer un peu vite, d’une part sur des responsabilités qui sont antérieures au déploiement contemporain de ces politiques, et d’autre part sur les politiques effectivement menées.

L’urbanisme fonctionnaliste qui a présidé à la construction des grands ensembles est le résultat d’un volontarisme de l’Etat, de ses instruments comme la Caisse des dépôts, des collectivités locales, de gauche en particulier, qu’on ne peut pas qualifier de néolibéral. Ce modèle urbain « moderne », dévoyé en encasernement, a été particulièrement développé en France (même s’il a eu des précurseurs en Grande Bretagne et de nombreux imitateurs en Europe de l’Est). Il n’a commencé à être remis en cause qu’une fois l’essentiel des constructions achevées, quand les architectes et urbanistes formés dans le courant de 68 ont commencé à pouvoir se faire entendre . Les promoteurs des « grands ensembles » ne désiraient sans doute pas la ségrégation sociale, mais avec leur « zoning » ils en ont pourtant établi un cadre, bien plus efficace encore que celui du baron Hausmann au siècle précédent.

De plus, si la logique néolibérale a dominé ces dernières années, creusant les inégalités, des politiques volontaristes « correctives » au néolibéralisme n’ont cessé d’être mises en œuvre : politique de la ville, etc. Que faut-il en penser ?

La gauche réformiste répond en critiquant le manque de moyens ou la suppression des moyens affectés à ces politiques. La gauche radicale en niant l’effectivité de ces politiques, simples caches misères du néolibéralisme. Et voilà Nicolas Sarkozy qui reprend à son compte sans vergogne ces deux critiques en dévoilant « la faillite des Zep », politique mise en œuvre par l’éducation nationale depuis 1982 ! Que dit-il en substance : cette politique n’a jamais eu les moyens qu’on prétendait lui donner, ni fonctionné dans le sens des objectifs qu’on prétendait lui assigner.

Si le volubile Nicolas peut faire facilement ce procès, c’est parce qu’il occupe un vide. Le vide que la majorité des courants progressistes de ce pays ont laissé béant en ne faisant ni l’évaluation sérieuse, ni la critique concrète, de politiques menées pendant une génération entière. Au delà des grandes proclamations idéologiques, qui s’est intéressé, à gauche ou à l’extrême gauche, au bilan des missions locales, à l’effet des politiques de contrats aidés, au devenir des exclus du système scolaire ou à l’évaluation de la formation professionnelle et des mesures d’insertion prévue dans le RMI, bref à l’effet de ces politiques sur l’organisation de la société civile ? Faute d’avoir exploité les multiples analyses, enquêtes, propositions des acteurs, existant pourtant à ce sujet, presque personne n’a fait l’examen qualitatif de la politique réellement menée par la « République réellement existante ». Presque tout le monde a préféré soit soutenir cette politique « républicaine » virtuelle (en réclamant plus de sous) soit se contenter de la dénoncer abstraitement (en dénonçant le capitalisme), laissant tragiquement seuls les « travailleurs du front » chargés de l’appliquer (enseignants, éducateurs, etc.) et plus seules encore les populations à qui elle s’appliquait. Faute d’alternative progressiste concrète, en se contentant de dénoncer le néolibéralisme, on laisse ce même néolibéralisme occuper le terrain, et l’entreprenant. Nicolas libre de proposer ses « solutions novatrices » !

Il y a donc un premier invariant qui consiste à toujours présenter comme essentielle la dimension socio-économique des problèmes (avec en complément la dénonciation des seules politiques néolibérales). Le second invariant consiste à présenter comme subordonnée la dimension idéologique et culturelle des problèmes, voire à l’occulter. Il a lui aussi son complément obligé : la dénonciation du « communautarisme » (ou plus prosaïquement de l’islam).

La majorité des organisations progressistes de ce pays semble avoir d’extrêmes difficultés à caractériser les discriminations dont souffrent les gens des quartiers pauvres, à accepter de tirer les conséquences du fait qu’elles s’exercent plus particulièrement sur certaines catégories (les jeunes), et plus particulièrement encore sur certaines origines ethniques (les Arabes et les Noirs) ou religieuses (les Musulmans). Bref à tout simplement faire face, au nom d’une société française rêvée, au racisme réellement existant. Car ceux qui pratiquent peu ou prou sa dénégation ont, nolens volens, tendance à stigmatiser toute expression en tant que telles des victimes de ce racisme comme un racisme à son tour, au nom d’un sophisme : puisque les discriminations sont sociales et non ethniques ou religieuses, toute expression plus ou moins ethnique ou religieuse de résistance à ce racisme là est donc elle même tendanciellement raciste ou obscurantiste... ou en français politiquement correct « communautariste ». Et tout « communautarisme » est mortel pour la « République ».

Comment fonctionne cette occultation du racisme ? Car bien entendu personne ne nie que le racisme existe. C’est le cas par exemple de militants altermondialistes comme Alain Lecourieux et Christophe Ramaux dans un article intéressant publié par Libération . Dans ce texte ils critiquent des sociologues bon connaisseurs des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchielli parce que ceux-ci ont le tort de considérer que « la gauche a, en bloc, « abandonné le monde populaire et les immigrés », en mettant l’accent sur la « défense du "modèle social français" », le « repli national autour des "services publics" et des "petits fonctionnaires" » et les vertus d’« une République égalitaire pourtant en faillite ». Envisager pareille critique revient à abonder dans le sens du néolibéralisme et ne pas comprendre le complot qui se trame, surtout depuis le vote Non au référendum européen, ajoutent-ils : « La France, après le 29 mai et avec ces émeutes, est à un carrefour. Les provocations de Nicolas Sarkozy ne sont pas le fruit du hasard. Elles participent d’un projet cohérent : attiser la violence communautaire pour mieux justifier, libéralisme oblige, le recentrage de l’Etat sur sa police ». Certes la république rêvée avec un grand « R » n’est pas la République réelle, mais laisser entendre que d’une manière ou d’une autre certains aspects du « projet républicain » pourrait avoir à voir avec l’état des choses est, sinon un blasphème, du moins une redoutable erreur, la chute dans le piège tendu par le rusé Nicolas !

Ce raisonnement, partagé par beaucoup de militants de gauche, fait penser à celui tenu il y a une vingtaine d’année par beaucoup d’autres, ou par les mêmes, sur la relation entre le socialisme « réellement existant » et les principes éternels du socialisme, raisonnement qui empêchait de comprendre la réalité au nom de l’idéal.

Comment cela fonctionne-t-il ? Prenons l’exemple de la question « coloniale ». L’un des facteurs qui explique la forme de l’actuelle crise est la persistance, et même l’augmentation, des discriminations racistes. Ces discriminations racistes qui ne touchent pas seulement les « jeunes de banlieue », viennent, pour la majorité de ces jeunes s’additionner aux discriminations sociales et générationnelles. Nous avons vu qu’en faisant des discriminations « raciales » un simple sous-produit des discriminations sociales, une partie de la gauche se condamnait à l’impuissance. Une autre partie a compris qu’il fallait affronter ce problème du racisme en tant que tel (tout comme le problème du sexisme ne se réduit pas à une question sociale), sans pour autant s’attacher à élucider l’histoire particulière du racisme dans notre pays. Un observateur comparant la société française aux sociétés européennes voisines pourrait la trouver « moins raciste » (s’il prend en compte le nombre de mariages intercommunautaires, ou la législation sur les naturalisations), ou « plus raciste » (s’il prend en compte le nombre de représentants des minorités dans les assemblées politiques et les médias, ou la situation de l’emploi). Mais il sera frappé par la difficulté des Français de comprendre que leur racisme est « bien de chez eux », ancré dans l’histoire du pays. Et d’abord dans son histoire coloniale. C’est ce que constate un journaliste attentif à l’état du monde comme l’indien Praful Bidwai qui déplore qu’en France, qui n’est pourtant pas un pays plus discriminant que d’autres, persiste « l’existence d’une forme de nationalisme obsessionnelle, arrogante et paternaliste, enracinée dans le colonialisme » . Ce racisme à la française visant tout particulièrement les originaires des ex-colonies.

Cette difficulté a été bien révélée par l’hystérie qui a accueilli - et qui accompagne toujours - l’appel « des indigènes de la république ». Rappelons les faits : un groupe de militants de diverses origines natales et diverses caractéristiques patronymiques, laïques, de gauche, engagés dans les luttes sociales, a lancé un appel pour dénoncer des politiques discriminatoires toujours marquées d’idéologie coloniale et a appelé à réagir : symboliquement (en commençant par manifester pour l’anniversaire des massacres de Sétif le 8 mai 1945), intellectuellement (en lançant le débat d’assises de l’anticolonialisme) et concrètement (en renforçant la lutte contre les discriminations). Le contenu de cet appel a été critiqué : certains y ont vu une exaltation gauchiste pouvant provoquer sectarisme et repli sur soi, d’autres en ont dénoncé des tendances « victimaires », d’autres enfin ont critiqué des approximation historiques, ou jugé que la forme répondait mal à la juste question posée. Tout cela était normal et raisonnable. Mais la majorité des critiques étaient - et demeurent - anormales et hystériques. Passons sur les multiples membres du « parti de l’ordre », comme l’éditorialiste de Marianne qui voit dans cet appel un “ monstre ”, “ l’émergence et l’affirmation (...) d’une gauche réac, antirépublicaine, cléricale, antilaïque, communautariste et ethniciste ” . Les partisans de l’ordre d’aujourd’hui rejoignent ceux d’hier en matière d’irrationnel dans le mode colonialiste de pensée français.

Il est plus intéressant de réfléchir sur les réactions de militants progressistes pour qui l’anticolonialisme est une valeur. Pourquoi cette gène par rapport à un passé qui ne passe pas ? Pourquoi ce phénomène est-il si difficile à admettre pour des militants de gauche qui ne se vivent pas comme les héritiers des colonialistes de gauche genre Guy Mollet ou Max Lejeune ? Alors qu’il n’a pas échappé à la lucidité d’un analyste de la droite libérale, Alain-Gérard Slama que la crise actuelle est un « retour du refoulé colonial, le traumatisme de la guerre d’Algérie, (...) qui exerce des ravages de plus en plus insidieux dans la conscience nationale française » ! Et pourquoi, alors que, de la loi du 23 mars 2005 à la réanimation de l’état d’urgence algérien, sans parler de toutes ces déclarations d’intellectuels et de parlementaires, il apparaît évident que la mentalité coloniale est toujours profondément ancrée dans les élites françaises, c’est-à-dire précisément ce que l’Appel des Indigènes voulait dévoiler ? Parce que la situation des citées n’est pas la même que celle des colonies, que les discriminations d’aujourd’hui ne sont pas l’esclavagisme d’hier ? Non, car tout le monde est d’accord là-dessus. Parce que les dérapages de Dieudonné et de quelques autres indiquent qu’il y a des manières bien perverses de s’emparer des drapeaux du passé ? Mais qu’est ce qui produit ce type de dérives sinon le fruit amer du silence des progressistes sur ces questions !

Un tel brouillage, une telle diabolisation de tout cri un peu discordant pour dénoncer l’insupportable, un tel effroi qui fait que le bureau politique de la LCR a vu dans cet appel la « criminalisation des divergences existant au sein des forces progressistes », tout cela est lié à l’air du temps. C’est que derrière cette remise en cause de l’idéologie post-coloniale, cette révélation en pleine lumière des ghettos existants, une partie de la gauche, donnant des signes de paranoïa, voit partout le spectre du communautarisme, et l’évidence de la montée en puissance de l’Ennemi global : « l’islamiste ».

III - L’impasse

De l’autre côté de la fameuse " fracture sociale ", les forces de l’ordre, flashballs à la main, hurlent et insultent les familles qui sont aux fenêtres ; humilient et interpellent à tout va mères, enfants et vieillards... Le ministre de l’Intérieur fait preuve de politesse racailleuse, et le gouvernement est frappé de myopie politique, frappant du poing sur une table vide, où il a jusqu’ici toujours refusé de s’asseoir. La meute. La crise économique, sociale et politique de la société française est à son comble, et la violence prend de l’ampleur dans bon nombre de quartiers populaires de France. Meute et émeute se font face.

« La part des islamistes radicaux dans les violences a été nulle ». Pascal Mailhos, directeur central des Renseignement généraux est catégorique . Les membres du Tabligh, le plus influent des mouvements islamistes en France , se sont efforcés d’empêcher les jeunes qu’ils influencent de participer aux troubles . Les mouvements musulmans conservateurs n’ont pas été en reste à commencer par le plus présent d’entre eux sur le terrain, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui a tout de suite dénoncé, dans une fatwa solennelle, les participants aux événements comme se mettant hors de l’Islam .

Pourtant, nous l’avons vu, sans même parler des « partisans de l’ordre », la majorité des responsables politiques et associatifs et des observateurs ont cru bon d’invoquer obstinément le péril islamiste. Alain Lecourieux et Christophe Ramaux que nous citions tout à l’heure parlent par exemple « d’une révolte sociale, parfaitement légitime à de multiples égards (qui) n’en prend pas moins parfois, à l’instar de l’exaltation religieuse de certains, une forme foncièrement réactionnaire » . Et si la religion musulmane n’est pas explicitement visée, elle l’est implicitement à travers les références répétées à la « laïcité » et quasi obsessionnelle au « communautarisme ». Avant d’aller plus loin, et d’examiner ensemble ce qui se passe dans les quartiers relégués, arrêtons nous un peu sur ce concept « trendy » de communautarisme.

Le regroupement des êtres humains en communautés est naturel, et c’est une des conditions pour vivre en société. A fortiori dans une société démocratique, où les affrontements des passions devraient être régulés par la confrontation pacifique des intérêts collectivement exprimés, par les uns et les autres, au sein de la Polis, l’espace politique de la cité. Le fait de construire des lieux pour vivre en commun certaines particularités communes (des communautés) n’est pas en soi un problème, dès lors que ces communautés n’affrontent pas les autres (retour de la guerre), ni ne se vivent en sécession d’avec les autres (refus de faire société commune). Un véritable « communautarisme » (les ignares ajoutent « anglo-saxon ») serait une philosophie politique qui préconiserait, contre la société commune, la juxtaposition de sociétés différentes, comme seul moyen de garantir la paix civile. Dans cette conception chacun est assigné à une communauté qui régit tout l’espace civil pour ces assujettis, sauf les domaines considérés comme commun (par exemple le devoir de service militaire, le paiement de l’impôt).

La France a pratiqué massivement le communautarisme jusqu’en 1958 en distinguant une communauté de citoyen égaux en droits (les citoyennes, on le sait, n’ont eu accès à cette égalité totale qu’au début des années 1970), régis notamment par le code civil, et des communautés « indigènes », définies par des considérations ethniques ou religieuses, et ne disposant pas des mêmes droits, y compris ceux du code civil, mais ayant des devoirs vis-à-vis de la communauté des Français (par exemple le devoir de service militaire). Dans cette conception française du communautarisme, les « indigènes » n’avaient pas le libre choix de leur communauté. Une partie du pouvoir civil les concernant était affectée aux juges religieux . Il en reste encore dans notre pays des traces mentales, et même juridiques, de ce communautarisme colonial. Par ailleurs, d’autres formes de communautarismes existent dans certains milieux et professions, comme par exemple le rôle officiel de certains ordres professionnels, etc.

Le Communautarisme a pris d’autres figures dans l’histoire, de l’Autriche-Hongrie au Royaume Uni), de l’empire Ottoman d’hier (avec les milliet, communautés minoritaires) jusqu’à l’Israël, l’Egypte ou au Liban d’aujourd’hui, etc. Certains, dans la France actuelle, prônent diverses formes de communautarismes « de libre adhésion », permettant par exemple à ceux qui le désirent de se soustraire à la loi commune en matière civile pour dépendre du jugement de leur propre autorité communautaire. C’est le cas de certains islamistes, c’est le sens de la proposition récente du grand rabbinat de France d’une reconnaissance officielle d’un rôle médiateur des tribunaux religieux . C’est aussi par exemple au Canada, l’objet de la polémique qui a eu lieu en Ontario, sur le rôle officiel des tribunaux religieux, et qui a fort heureusement aboutit au rejet d’un ordre civil particulier qui aurait été propre à chaque confession .

Ce communautarisme est heureusement très minoritaire dans notre pays. Il demeure relativement épargné par nos « républicains » anti-communautaristes inquiets, ceux-ci ayant tendance à critiquer toute forme d’organisation se réclamant d’un vécu commun ethnique ou religieux, qu’ils jugent « communautariste », moins en fonction de sa composition ou de ses pratiques, que de sa relation avec les « classes dangereuses » des cités !

Les cités sont-elles communautarisées ? Si l’on écoute certains excités du « parti de l’ordre » et certains engourdis du « parti du progrès », la vie des cités se résumerait à l’addition des communautaristes (musulmans) et des trafiquants (mafieux). Résultat pitoyable de la « lepénisation des esprits » ! La relégation sociale a été organisée sur une génération ; les ghettos sociaux, territoriaux et mentaux se sont édifiés et ont été conservés parfois par ceux là même qui prétendaient les combattre. Le paternalisme et le clientélisme ont contribué à l’atomisation des formes d’organisation (et de défense) de la société civile dans les cités, ce qui a pu favoriser de véritables replis communautaires sur les seules structures de solidarité disponibles (générationnelle, ethnique ou religieuse). Mais la vie de ces quartiers s’y résume-t-elle ? L’histoire politique de ces populations s’y est-elle enfermée ?

Abdellali Hajjat souligne que les quartiers populaires français ne sont pas un « désert politique », et que « le soulèvement des banlieues a une histoire, riche de plus de vingt ans d’expériences politiques ». Une histoire mainte fois écrite et décrite, y compris par certains de ses acteurs et qui pourtant ne semble guère préoccuper la majorité des observateurs. Cette histoire est celle d’un échec, après les espérances qu’avait fait naître en 1984 la Marche pour l’égalité ; elle est celle de divers dévoiements, éparpillements, éclatements des mouvements associatifs qui ont tenté de se structurer au milieu des années 80. Les jeunes militants d’origine maghrébine, liés ou non aux citées, actifs dans les mouvements des années 80 et encore au début des années 90, avançaient des revendications intégrant totalement la dimension pluriethnique « sans en faire un étendard », comme le remarquaient Pierre Bauby et Thierry Gerber . Leurs revendications, leurs discours, leurs écrits, leurs pratiques, n’étaient pas marqués de spécificités identitaires. Cette génération militante a été « prise en étau entre d’un côté les possibilités d’ascension sociale et les opportunités politiques offertes par le gouvernement socialiste et, de l’autre côté, la volonté d’autonomie qui passe par un refus des compromissions avec le pouvoir en place et de la « folklorisation » des luttes de l’immigration » (Abdellali Hajjat) . L’échec qui va résulter de la construction de cette impasse a des conséquences dramatiques.

Car la société française, ou du moins ses dirigeants, n’ont jamais eu, sinon l’intention, du moins la volonté de réaliser une véritable égalité des citoyens de toutes origines. Au fil des années, les mêmes attitudes et les mêmes actions se sont reproduites, celles qu’un Saïd Bouamama décrivait en 1998 comme la répétition lancinante des mêmes bavures policières, des mêmes violences urbaines, occasions chaque fois d’une demande supplémentaire de sécuritaire et d’une même tendance à vouloir à la fois faire disparaître les symptômes et demeurer incapable de se saisir des causes. « Ceux qui ne comprennent pas aujourd’hui les causes des émeutes sont amnésiques, aveugles ou les deux » déclarait le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) au plus fort la crise actuelle , ajoutant : « En effet cela fait 30 ans que les banlieues réclament justice. 25 années que des révoltes, des émeutes, des manifestations, des Marches, des réunions publiques, des cris de colère avec des revendications précises ont été formulés. 15 ans déjà que le Ministère de la Ville a été créé pour répondre à l’exclusion et à la misère sociale des quartiers dits défavorisés. Les Ministres passent avec leurs lots de promesses : Plan Marshall, Zones franches, DSQ, ZEP, ZUP, Emploi-Jeunes, Cohésion Sociale, etc.. La banlieue sert de défouloir pour des ministres, élus et médias en mal de petites phrases assassines sur les « zones de non-droit », « les parents irresponsables », la mafiatisation et autres « dérives islamistes ».

Un aveuglant échec politique qu’Abdelaziz Chaambi, l’animateur du mouvement DiverCité de Lyon, décrit crûment : « Depuis plus de 20 ans, ils passent, certains repassent et la plupart grimpent sur notre dos, se font les dents sur nos côtelettes comme disent les jeunes, et obtiennent célébrité, promotion sociale et réussite professionnelle, pendant que nous restons enfermés dans nos ghettos avec une chape de plomb sur le chaudron, sans qu’une solidarité ou un soutien ne se manifestent concrètement sur le terrain et au moment où nous en avons le plus besoin ». Ce résultat était déjà évident il y a dix ans, quand mourait Khaled Kelkal, jeune lyonnais perdu dans les méandres du terrorisme algérien , abattu un soir d’automne. Alors, nous rappelle Chaambi, « qu’en tant qu’acteurs associatifs dans les banlieues lyonnaises, nous avions alors alerté les institutions et autres journalistes, politiques, sociologues, psychologues, travailleurs sociaux, religieux et bien d’autres, pour entamer une réflexion sur ces phénomènes de radicalisation et sur le fait que ces jeunes ne s’identifiaient pas à la France ni à des hommes et des femmes de leur connaissance, mais à un dictateur arabe (Saddam Hussein) ou aujourd’hui à un « illuminé » musulman qui veut précipiter la guerre des civilisations. C’est ainsi, dans l’ignorance et la diabolisation de faits sociaux et culturels importants que nous cheminons en France depuis une vingtaine d’années, laissant ainsi la place à l’émergence de la violence et du salafisme d’un côté et à la déchéance et l’économie parallèle d’un autre » .

Les militants du MIB, de DiverCité, les jeunes musulmans et d’autres groupes actifs sur le terrain, mais indépendants des pouvoirs subventionneurs, ont, comme tous les autres, été dépassés par la révolte de jeunes qui ne se reconnaissent dans aucune organisation sinon celle des bandes et groupes d’affinités qu’ils constituent. Ces militants sont cependant parmi les rares personnes ayant un peu de prise sur l’événement, de compréhension des mécanismes, et sont donc porteurs de reconstruction sociale. Malheureusement, comme Antigone, ce sont eux, ceux qui sonnent l’alarme, qui ont été vilipendés comme « communautaristes ».

L’étonnant dans de pareilles conditions n’est pas que la crise généralisée ait éclaté en ces jours d’automne 2005, c’est qu’elle n’ait pas éclaté plus tôt et plus fort. La manière dont elle a été déjà traitée par le « parti de l’ordre », non traitée par le « parti du progrès », peut laisser augurer de bien plus sinistres lendemains.

Or ce n’est pas seulement des cités pauvres qu’il s’agit, ni même des « minorités visibles issue de l’immigration ». D’ailleurs il n’y a pas que des immigrés ou leurs enfants dans ces cités, pas que des Arabes et des Noirs parmi les jeunes incendiaires, ni des garçons en échec scolaire. C’est une crise concernant des habitants de ce pays confrontés à l’échec d’une société toute entière.

Quarante ans plus tôt, Guy Debord écrivait à propos des émeutiers noirs du quartier de Watts à Los Angeles : « Ainsi, ils ne sont pas le secteur arriéré de la société américaine, mais son secteur le plus avancé. Ils sont le négatif en œuvre, « le mauvais côté qui produit le mouvement qui fait l’histoire en constituant la lutte » ». Faute de comprendre qu’il en est, en France et des décennies plus tard, de même, dans les formes particulières propres à notre société et à son histoire, nous risquons d’être confrontés à la prophétie que faisait alors James Baldwin à propos des Etats Unis : « la prochaine fois, le feu » . Et pas seulement cette fois-ci des automobiles peu cotées à l’argus.

IV - La politique

Alors, cela ne doit pas nous empêcher de comprendre qu’il y a un problème et que ce problème s’analyse en terme simple qui est celui de l’égalité des chances, du respect de la personne, de toute personne dans la République. Et il faudra, bien entendu, tirer, le moment venu et l’ordre rétabli, toutes les conséquences de cette crise et le faire avec beaucoup de courage et de lucidité. L’exigence, c’est de répondre de manière forte et rapide aux problèmes indiscutables qui se posent à beaucoup d’habitants des quartiers déshérités dans l’environnement de nos villes Je voudrais tout de même rappeler qu’une action importante, je dirais, considérable, notamment sur le plan financier et sur le plan de l’intelligence des principes mis en œuvre, a été engagée pour répondre à ces problèmes. Jacques Chirac, Paris, France, automne 2005

Je viens d’apprendre que dans mon établissement et dans beaucoup d’autres les fonds sociaux étaient complètement supprimés. Dans notre cas, une centaine d’élèves sont concernés, ils doivent, avant lundi 21 novembre, s’acquitter des 141€ de cantine pour les mois de septembre à décembre. Dans le cas où les familles ne peuvent payer ils doivent être démissionnaires de la cantine. A ce jour une cinquantaine de familles a pu payer (sûrement en grattant les fonds de tiroirs et en plusieurs fois), 16 élèves ont quitté la cantine car les familles ne peuvent payer et une cinquantaine d’autres n’ont pas donné de nouvelles à l’intendance. Une enseignante de Seine Saint Denis, France, automne 2005

L’atonie des gauches donne des raisons de craindre que cette crise d’automne ne soit que l’avant goût de ce qui nous attend, surtout si l’on examine les premières mesures gouvernementales pour « résoudre le problème ».

Il est possible que Nicolas Sarkozy, qui s’intéresse toujours aux exemples américains, s’inspire de la politique suivie aux Etats-Unis après les grandes émeutes noires des années 60. Cette politique avait consisté à favoriser le développement d’une classe moyenne noire, dont la réussite est aujourd’hui symbolisée par une Condoleezaa Rice ; en France cela vise aussi les nouveaux notables musulmans car remarque Abdellali Hajjat : « le phénomène de « classe-moyennisation » touche aussi les cadres des associations musulmanes revendicatives, surnommés avec ironie « bo-bar » (bourgeois barbus...) » . Elle avait consisté aussi à contrôler la masse au travers de mouvements communautaires ne gênant pas trop les autorités, dont la très réactionnaire et raciste Nation of Islam ; dans la France des années 2000, nul besoin d’un groupe aussi sectaire, et l’UOIF ou la FNMF ne sont pas des Farakhanistes. Enfin elle avait consisté à liquider, y compris physiquement, les leaders noirs indépendants (Blacks Panthers) : en France, on se contente (pour le moment ?) de les marginaliser, les discréditer ou les acheter.

Bien entendu, indépendamment de toute stratégie politicienne, une classe moyenne « issue de l’immigration » cherche à émerger naturellement dans la société française, mais son développement est entravé par les discriminations sociales et racistes, beaucoup d’aspirants à la « beurgeoisie » des années Mitterrand l’ont appris à leurs dépends. Surtout rien n’indique qu’un espace d’embourgeoisement suffisant va se dégager dans les années qui viennent, d’autant que les premières mesures annoncées ne constituent pas un changement d’orientation par rapport aux politiques suivies antérieurement, sinon dans le sens d’une accentuation des tendances les plus négatives.

« L’apprentissage junior » à 14 ans en fournit une très bonne illustration. L’échec scolaire est évidemment un fléau qui frappe les enfants des pauvres et plus particulièrement ceux des minorités. Bien que la colère de la jeunesse des cités soit autant celle des exclus de l’école que celles des lauréats de la même école qui sont ensuite exclus de l’emploi ! La diversification des cursus pédagogiques et des manières d’acquérir des connaissances - y compris en situation de travail - est évidemment une des réponses à ce fléau. Ce qui est proposé n’est pas du tout de cet ordre. L’apprentissage à 14 ans est présenté comme une manière de dressage de jeunes trublions, ce qui d’ailleurs dénote le mépris de nos élites pour ces filières de formation roturières et « manuelles ». Leur méconnaissance aussi, car cet apprentissage pour les moins de seize ans existe déjà depuis belle lurette (préapprentissage et classes d’initiation préprofessionnelle en alternance) sous statut scolaire. Au travers de ce projet gouvernemental, certains aimeraient faire justement sauter la règle de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans, (en mettant ces jeunes sous statut de salariés), ou contribuer à écorner le droit du travail (en profitant de la minorité de ces jeunes salariés), et cela n’a rien à voir avec des orientations fécondes pour les adolescents en échec au collège. Comme le remarque Xavier Cornu de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (qui n’est pas un syndicat enseignant gauchiste !) : « un jeune de 14 ans, quel que soit le milieu dont il est issu, n’a ni les aptitudes physiques ou comportementales, ni la maturité psychologique pour endosser la responsabilité d’un contrat de travail. A fortiori les 15 000 jeunes en situation de déscolarisation clairement visés par le dispositif » . C’est, encore une fois, la logique de la voie de garage et/ou du tri social, qui prévaut, au risque de déstabiliser un peu plus élèves et enseignants. Mais comme Dominique de Villepin nous annonce la création d’un « délégué interministériel à l’orientation et à l’insertion professionnelle des jeunes qui pourra s’appuyer à l’échelle régionale sur des comités régionaux de l’orientation et de la formation pilotés par les recteurs avec l’aide des services de l’État » , tout va sûrement aller très bien !

Plus généralement, les mesures pour que l’éducation soit « au cœur de l’égalité des chances » comme dit Villepin se révèlent identiques aux divers vœux pieux répétés depuis des années, assorties cette fois de mesures coercitives à l’encontre des mauvais parents, joliment appelé « contrat de responsabilité parentale », et s’inscrivant dans la tendance globale à la criminalisation des familles pauvres qui sévit ces derniers temps . Une illustration éloquente de ce mélange de d’assistance paternaliste et d’autoritarisme répressif qui sévit déjà depuis quelques temps et s’est déjà révélé être l’un des accélérateurs de la relégation de territoires entiers ! Et le député du Val-de-Marne, Jacques-Alain Bénisti, a remis son rapport sur la prévention de la délinquance, qu¹il peaufinait depuis huit mois. Selon lui, les comportements déviants sont détectables dès la maternelle et la pratique du bilinguisme, facteur de déscolarisation et de délinquance, doit être interdite. Tout cela sur fond de pression sur les chômeurs, de réduction des prestations sociales, jusqu’à la taxation des caravanes (sans donner à celles-ci le statut de domicile) frappant les boucs émissaires des boucs émissaires (les tziganes), etc. toutes mesures qui frappent plus particulièrement les populations déjà précarisées des quartiers pauvres.

Bien entendu, une fois encore, tout en insistant sur leur singularité (leur contenu ou leur effet discriminant) il est nécessaire de rappeler que ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une politique générale d’inspiration néolibérale. Et bien entendu aussi la résistance à ces mesures, frappant singulièrement les jeunes ou les étrangers, ne peut être efficace que si elle s’organise en liaison avec les autres formes de résistance à cette politique globale.

De ce point de vue malheureusement, les événements de ces dernières années n’incitent pas à trop d’optimisme. Par exemple la longue lutte des enseignants de Seine Saint Denis, qui portait, en 2003, sur des sujets en relation directe avec la crise actuelle, est restée isolée et s’est globalement achevée sur un échec. La lutte des lycéens du printemps 2005, a donné lieu à une répression contre des jeunes d’un niveau inconnu depuis des années, alors même que ces jeunes n’étaient ni spécialement blacks ni spécialement beurs, sans susciter beaucoup de solidarité. La solidarité avec la lutte de populations continuellement stigmatisées jusque par une partie de la gauche risque d’être difficile à mettre en œuvre.

Le fait que les jeunes acteurs de ce mouvement apparaissent insaisissables et incontrôlables et ne constituent sous aucune forme aujourd’hui une organisation ou un réseau collectif ne signifie pas qu’ils seraient éternellement et congénitalement insensibles à toute forme d’organisation et de politisation par rapport à leur milieu de vie et à leur place dans la société toute entière ! Le succès (relatif) des islamistes le démontre d’ailleurs.

Encore faut-il commencer par concevoir que la crise actuelle ne se résume pas à une dynamique mortifère et suicidaire de jeunes détruisant leur cadre de vie. Signe de ces temps étranges, c’est Lutte ouvrière qui parle d’un mouvement « d’asociaux » et les renseignements généraux de « mouvement de révolte populaire » ! Si l’on confond la forme violente de la révolte et son sens, on se retrouve fort dépourvu pour transformer cette révolte en énergie sociale constructive. Comme le souligne Françoise Blum : « Ces émeutes, révoltes, flambées de colère, violences, la gamme sémantique est large, sont un mouvement social. (...) Les buts ? Au moins le respect, et au plus l’intégration. Le projet politique ? La lutte contre le chômage, contre la précarité » .

La très grande difficulté des organisations traditionnelles, et plus généralement de l’opinion publique progressiste, de s’emparer du thème de la répression, d’assurer une défense juste des jeunes incriminés ou de résister au bannissement de certains, laisse pourtant mal augurer de la suite concernant ces jeunes eux-mêmes. Puisqu’il s’agit d’un mouvement social, il devrait être considéré comme légitime - et urgent - de demander une amnistie des condamnés, comme on le fait pour d’autres mouvements sociaux plus ou moins violents ! Ne pas mener campagne sur ce thème, c’est conforter l’idée qu’il s’agissait seulement de la fureur de bandes d’asociaux louches et délinquants et non de la protestation sociale légitime d’enfants de la classe ouvrière, même si les moyens utilisés ne pouvaient être cautionnés. Même s’il ne sera pas facile de traduire cette colère en organisation progressiste, il ne faut pas détourner pudiquement les yeux des jeunes en colère.

De plus, la crise a révélé l’existence de forces positives qui devrait nous permettre de poser en des termes renouvelés la question de la résistance au racisme et à la précarité et de la reconstruction de la solidarité sociale. D’abord, comme nous l’avons déjà dit, il n’y a pas de désert politique dans les banlieues. Aussi faut-il s’appuyer clairement sur les forces qui existent dans les cités et plus généralement dans les populations discriminées. Ces organisations sont très diverses, associations et groupes locaux (comme DiverCité à Lyon, Véto a Sarcelles, Bouge qui Bouge à Dammary les Lys, etc.), groupes de jeunes ou mouvements d’habitants, organisations anciennes de l’immigration (comme l’Association des travailleurs maghrébins en France, la Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives, la Fédération des travailleurs africains en France, l’Association des citoyens originaires de Turquie, etc.), organisations liées au quartiers depuis des années comme le Mouvement de l’immigration et des banlieues, organisations se référant aux valeurs de l’Islam comme le Collectif des musulmans de France ou Participation et spiritualité musulmane, mouvements d’action politique locale comme les Motivé-e-s de Toulouse, militants et réseaux s’exprimant au sein des Indigènes de la république, du Collectif des féministes pour l’égalité ou du Collectif une école pour toutes et tous, mouvements artistiques et culturels issus notamment (mais pas seulement) du rap et de la culture hip-hop comme La Rumeur en Ile de France ou La Rage du peuple à Marseille, etc. Il faut prendre en compte également la capacité de réactions qu’ont démontrée, au niveau local, des centaines d’hommes et de femmes qui se sont mobilisés, jours et nuits, en pleine crise, pour protéger les équipements collectifs des jeunes en colère et protéger les jeunes des provocations incessantes de certaines forces de « l’ordre », à Grigny comme à Blanc Mesnil ou sur la dalle d’Argenteuil, sans jamais céder à la logique de « vigiles » et autre « groupes d’autodéfense anti-jeunes » que certains auraient bien aimé leur voir jouer.

Il ne faut pas négliger non plus le réveil des mouvements d’éducation populaire qui peut jouer un rôle fondamental. Nombreux sont ceux qui, au sein de tels mouvements, comme Peuple et Culture, les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), les Francas ou d’autres, se sont sentis profondément interpellé par la crise actuelle. « L’éducation populaire traverse depuis plusieurs années une crise majeure et n’arrive plus à faire face à sa mission d’émancipation et de transformation sociale » écrivent à ce sujet les animateurs du Réseau des écoles de citoyens (RECIT) « et la situation actuelle nous met devant une terrible responsabilité (...). Les évènements dramatiques auxquels nous assistons nous renforcent dans notre conviction qu’il y a urgence (...) à construire collectivement des alternatives porteuses d’éducation citoyenne, compréhensives et mobilisatrices ». Ces mouvements, d’inspiration socialiste, laïque, chrétienne de gauche ou autre, doivent également comprendre qu’émergent aussi des quartiers et des populations discriminées eux même, de nouvelles formes d’éducation populaire y compris au travers de certains groupes musulmans progressistes. Et les nouvelles formes de l’éducation populaire, dont ATTAC, doivent aussi prendre leurs responsabilités.

Il faut aussi assurer les nécessaires convergences et synergies avec les associations de « sans », mouvements de chômeurs, de sans-logis, de sans-papiers, de sans-droits, tous ces mouvement qui luttent pour que « la société du précariat » ne remplace pas « celle du salariat » , comme le dit fort bien l’APEIS (Association pour l’emploi, l’information, la solidarité), autant de mouvements qui comme Droit au logement, sont naturellement parties prenantes des luttes des quartiers pauvres et se sont mobilisés contre les provocations et la répression dès le début de la crise . Et bien entendu conforter les liens avec les mouvements de sans-papiers et notamment avec les jeunes scolarisés et le réseau de solidarité Education sans frontières.

Il faut enfin évidemment s’appuyer sur la disponibilité des forces politiques , syndicales et associatives sur le terrain, de militants et élus, membres des Verts, du parti communiste, de la LCR, d’autres partis, de réseau comme Alternative Citoyenne d’Ile de France ou Motivé-e-s de Toulouse et d’ailleurs, et certainement s’appuyer sur les acteurs locaux comme le soulignaient par exemple les Verts , notamment lors de leur rencontre de l’Ile Saint Denis du 13 novembre ou les élus régionaux franciliens communistes et d’Alternative citoyenne s’interrogeant sur les politiques régionales et les quartiers populaires, le 9 décembre. Et bien sûr des militants actifs du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, de la Ligue des droits de l’homme et d’autres organisations.

Mais toutes ces initiatives, tous ces groupes et collectifs de femmes et d’hommes, dans les banlieues comme dans toute la société, se sentent isolés, morcelés, dispersés, fatigués. La scène politique politicienne ne leur donne guère de raison d’espérer une convergence impulsée par une dynamique venant d’en haut, de candidature présidentielle ou d’autre initiative politique unifiante. Le « mouvement social », qui avait été capable de réussites symboliques spectaculaires comme le rassemblement du Larzac en août 2003 ou le Forum social européen de Paris, Saint Denis, etc., en novembre 2003, ne s’est pas traduit par une capacité d’actions et de solidarités concrètes sur les luttes, et a fortiori hélas sur l’actuelle crise des banlieues.

La constitution d’une force sociale, capable de mettre en échec les politiques mortifères actuelles, prendra du temps. Elle demande de sortir des ornières de ces derniers mois. Rien n’est possible si l’on ne rompt pas avec les injonctions racistes de certains tenants du « parti de l’ordre ». Si l’on rajoute l’ostracisme à la discrimination - comme le faisaient par exemple ces militantes et ces militants qui expulsaient d’autres militantes des mobilisations pour le droit des femmes à disposer de leur corps et la défense de la législation sur l’avortement au seul motif qu’elles étaient musulmanes pratiquantes ou ces militants et militantes qui récusaient l’antiracisme de mouvements au seul motif qu’ils se réclamait de l’Islam ou qu’ils dénonçaient le continuum colonial ! Si l’on accepte l’interdiction d’un colloque sur « La raison dans l’islam » « en raison de la présence de Tariq Ramadan parmi les intervenants » . Sans doute les membres du « parti de l’ordre » qui veulent ériger le militant suisse en djihadiste incendiaire lui reprochent-ils d’avoir écrit en pleine période de crise : « Les musulmans, qu’ils vivent en Occident ou dans les pays majoritairement musulmans ne doivent en aucune manière endosser l’idéologie de la peur ou tomber dans le piège des lectures binaires, simplistes et caricaturales du monde. En entretenant l’idée, devenue obsessionnelle, qu’ils sont dominés (ou minoritaires), mal aimés, stigmatisés ou marginalisés, ils font inconsciemment le jeu des propagateurs de cette idéologie de l’émotif qui cherchent à construire des murs, à creuser des tranchées, à propager les préjugés, à nourrir l’insécurité et à créer les conflits » . L’ostracisme ne doit pas non plus frapper des militants au seul motif qu’ils auraient l’impudent culot de rappeler l’existence du crime de l’esclavage au temps des lumières, ou le servage colonial au temps de la république !

Puisqu’il s’agit d’une lutte contre les discriminations, il faut respecter la parole et l’action des victimes de ces discriminations. C’est un des grands apports des mouvements civiques de la deuxième moitié du XXe siècle, féministes en particulier, mais aussi antiracistes, anticolonialistes, anti-homophobes, etc. d’avoir mis en lumière cette évidence : la résistance à l’oppression doit, pour être efficace, être construite autour de l’expression des victimes de cette oppression. Il est donc nécessaire qu’existe un mouvement autonome des populations et groupes discriminés. Cette autonomie d’expression et d’initiative ne signifie pas forcément organisations séparées ni a fortiori concurrentes. Les « issus de l’immigration » n’ont pas à rechercher la même indépendance organisationnelle que leurs ancêtres dans les luttes de libération nationale contre l’occupation coloniale. Mais leurs voix ne doivent pas être couvertes par celle d’un mouvement social uniformément dominé par une problématique « blanche », d’autant que celui-ci n’a guère su répondre au défi du racisme. N’oublions pas que nous vivons tous l’héritage de la faillite des années 80, analysé par beaucoup comme le résultat d’une opération consciente d’étouffement de l’autonomie des « beurs » à travers une « opération SOS Racisme » . Cette question de l’autonomie nécessaire, posée par exemple par les « Indigènes de la république » ne se résout pas par des schémas abstraits mais dans la réalité des mouvements, le débat, les expériences d’organisation, les ouvertures réciproques.

Mais si la question de l’autonomie n’est pas posée, si la parole est refusée, si les problèmes sont éludés, alors ce sont les forces qui ne cherchent pas à construire le front social unifié et progressiste qui tiendront le haut du pavé. Les islamistes radicaux engrangent déjà les bénéfices des anathèmes « laïques » contre les musulmans progressistes. D’autres groupes communautaristes ont tenté de développer leur organisations populistes à l’occasion du conflit sur le rejet des filles voilés de l’école ; heureusement, l’existence d’une mobilisation non communautariste sur cette question (Collectif une école pour toutes et tous) a restreint leur marge de manœuvre, mais ils repartent aujourd’hui à l’offensive. Le racisme anti-noir constitue un cas exemplaire des effets de déni ou de non écoute. Ce racisme a été nié au nom de l’universalisme français, et cela a déjà causé bien des ravages. Bien entendu, il n’y a pas de « communauté noire », d’immenses différences entre le travailleur malien vivant dans un foyer de Montreuil, le bourgeois ivoirien en exil, l’étudiant camerounais et le postier guadeloupéen. Mais la communauté imaginée existe bien puisqu’on devient « noir » dans le regard de l’autre, un regard nourri du racisme et des préjugés ancrés dans l’histoire du colonialisme et de l’esclavage. Il est normal que ceux qui subissent les effets de ce racisme cherchent à s’exprimer collectivement. Il est problématique que certains d’entre eux pensent résoudre le problème en essayant de construire un « lobby » à l’image du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui est lui même devenu ces dernières années une sorte de caricature communautariste. Il est inquiétant que certains d’entre eux construisent autour de Dieudonné un espace « en rupture » - qui ne regroupe d’ailleurs pas que des noirs - qui pourrait, toute proportion gardée, se terminer sinon en une sorte de Farrakhanisme à la française, du moins en un de ces populismes fascisants comme la France en a déjà connus, compte tenu de l’influence en son sein d’antisémites et « radicaux » notoires.

La lutte contre les discriminations dans ce pays ne peut pas être la simple addition des activités de groupes de pression et lobbys juxtaposés. C’est une lutte pour toute la société française, dans la continuité des combats sociaux de ce pays. Ainsi, par exemple, en commémorant les massacres de Sétif du 8 mai 1945, les Indigènes de la République n’appelaient pas à la « repentance » de certains vis-à-vis d’autres, mais en défilant derrière les portraits mêlés de Malcom X, de Patrice Lumumba, de Kateb Yacine, de Frantz Fanon... et aussi d’Olympe de Gouges, de Louise Michel, d’André Breton, de Daniel Guérin, de Claude Bourdet..., ils signifiaient que la lutte contre l’esclavagisme, le colonialisme, le racisme ont toujours été des luttes menées dans la société française par des membres de cette société ! Pourquoi, dès lors, certains se lamentent-ils, refusant de se « couvrir de cendre », d’assumer le « sanglot de l’homme blanc » ? Parce qu’ils ne veulent pas assumer les crimes du passé ? Personne ne leur demande à eux en tant qu’individus. Parce qu’ils ne veulent pas se réclamer de la lucidité antiraciste et anticoloniale d’un Claude Bourdet ou même d’un François Mauriac ? C’est probable. Parce qu’ils refusent de considérer le présent ? C’est certain.

Fin des ostracismes, respect de la nécessité d’autonomie, inscription dans l’histoire et dans le mouvement de la société française, ce sont là des conditions indispensables pour construire un front de résistance au désordre établi et à l’injustice que construit le « parti de l’ordre ». Il ne faut cependant pas se cacher qu’il sera difficile de le faire sans un minimum de cohérence politique et que cette cohérence fait défaut aujourd’hui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, ici ou là, des groupes divers cherchent leurs voies. Ainsi, par exemple, à travers l’idée de Forums sociaux des banlieues ; ainsi également du collectif Banlieue 69 qui vient de se créer sur l’agglomération lyonnaise pour présenter des listes aux prochaines élections municipales, seul moyen, affirme Saïd Kebboucha , pour que les « exigences d’égalité soient entendues et respectées, Tant que nous ne serons pas présents dans les représentations, nous n’existerons pas ». De telles propositions vont fleurir. Il faut construire les lieux d’échanges et de confrontations où elles pourront être discutées, renforcées, amendées. Ces lieux n’existent pas dans la dispersion actuelle.

En attendant que ce travail de maillage, de partage d’expériences et de débat porte ses fruits, il devrait être possible que des forces politiques, syndicales, associatives convergent dès maintenant sur quelques objectifs précis. Ce devrait être le refus des expulsions, puis l’amnistie pour les embastillés de novembre. C’est et ce devrait être la lutte contre « l’Etat d’urgence », qui a commencé à être concrétisée avec la « Saisine citoyenne du Conseil constitutionnel » contre la loi par 5175 citoyens et plus de 70 associations syndicats ou collectifs.

Ce sont aussi les combats pour le désenclavement des quartiers les plus relégués, contre les tramways interrompus, les lignes de bus aléatoires et les RER négligés, parce qu’ils desservent les pauvres, et contre les manipulations qui consistent sur ces lignes là, à dresser les usagers contre les employés. C’est l’exigence de solidarité que contient le respect de la loi SRU, pour une meilleure répartition des logements sociaux, au grand dam de l’ex-maire de Neuilly le grincheux Nicolas ou de son petit lieutenant Eric Raoult, maire du Raincy ! C’est une fiscalité plus juste, une autre politique scolaire, etc., qui sur de nombreux aspects, peut commencer à être mise en œuvre au niveau des collectivités locales !

La démonisation des classes dangereuses bat son plein. Le vertueux Nicolas a compris que c’est le cannabis qui est une « catastrophe nationale de très grande ampleur » et concours aux désordres . Et qui consomme du Cannabis ? Pas les accros au Ricard sans doute. Le talentueux Gilles de Robien lui, a découvert que nos ennuis venaient de cette épouvantable « méthode globale », d’apprentissage de la lecture. Salauds de profs ! Il est pourtant assez vieux pour savoir que cette méthode (non utilisée) avait déjà été incriminée lors du phénomène des Blousons noirs des années 60 ! La loi antiterroriste, qui fait un peu plus reculer les libertés sans faire avancer la lutte contre les fous terroristes, a été votée avec l’abstention gênée des socialistes. Et qui sont les graines de terroristes ? Suivez mon regard vers le nord est parisien ou l’est lyonnais... Raison de plus pour maintenir l’Etat d’urgence en cadeau de Noël. « Ce n¹est pas un cauchemar : nous vivons bien dans la France du XXIe siècle », constate le journaliste Ivan Du Roy .

Bien entendu, ceux qui protestent contre cette démonisation systématique et continue se verront taxés « d’angélisme » par les bien-pensant comme Jean-Pierre Le Goff : « Dans les années 30, même si l’on était pauvre et victime du chômage, on était inséré dans des collectifs et capable de canaliser sa révolte. Ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui pour ces bandes de jeunes qui détruisent les écoles de leur quartier, les bus, les voitures de leurs voisins... Avant de s’interroger sur les conditions qui ont rendu possible ce phénomène, il faut le regarder en face, à l’instar des animateurs sociaux qui sont en première ligne depuis des années. Il est temps que la gauche rompe avec le déni de la réalité et l’angélisme » .

Pendant ce temps là, les anges de Clichy-sous-bois et d’ailleurs, les gamins de la république, qui, pour leur malheur, ne peuvent nier la réalité, verront s’évanouir les belles promesses, comme cette part des anges qui disparaît des tonneaux de Cognac pendant le vieillissement, mais sans pouvoir profiter de l’ivresse.

Peut être, heureusement, auront-ils entendu l’écho de ces paroles d’espoir venu d’outre atlantique, par deux de leurs anges tutélaires, deux grands écrivains de la langue française : « Il n’est pas concevable qu’une Nation se renferme aujourd’hui dans des étroitesses identitaires telles que cette Nation en soit amenée à ignorer ce qui fait la communauté actuelle du monde : la volonté sereine de partager les vérités de tout passé commun et la détermination à partager aussi les responsabilités à venir » .

Et peut être apprendront-ils aussi que l’histoire racontée par Victor Hugo n’est pas seulement celle de la petite Cosette à Montfermeil, de l’autre coté de la colline de Clichy sous bois, mais cette histoire là, un jour de grande colère :

« Fichtre ! dit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier. Gavroche regarda et vit que cela venait de la banlieue. Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’oeil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta : On est laid à Nanterre, C’est la faute à Voltaire, Et bête à Palaiseau, C’est la faute à Rousseau. Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta : Je ne suis pas notaire, C’est la faute à Voltaire, Je suis un oiseau, C’est la faute à Rousseau. Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un troisième couplet : Joie est mon caractère, C’est la faute à Voltaire, Misère est mon trousseau, C’est la faute à Rousseau. Cela continua ainsi quelque temps. Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet ».

Bernard Dreano, Président du Cedetim, co-président du réseau Helsinki Citizens’Assembly, Paris, le 12 décembre 2005


Notes :

Extrait d’une fiche pédagogique TV5, Des Clips pour apprendre, sur la chanson de Calogéro « Face à la mer » (www.tv5.org/TV5Site/pédagogie) Sénat : débats du 16 novembre 2005 sur l’état d’urgence Mehdi Lallaoui, Du bidonville au HLM, éd Syros - Au nom de la mémoire, 1993. 4 Le terme Hogra utilisé par les Algériens signifie le mépris ; il s’est répandu depuis longtemps en France. Le sociologue Abdelmadjid Merdaci de l’université de Constantine a noté au sujet de son utilisation en Algérie (ce qui semble aussi fort bien s’appliquer en France) : « d’une certaine manière, c’est l’usage politique de la notion de « marché » qui, par le biais de la notion d’accessibilité - aux marchandises comme aux biens symboliques - réactive l’idée de discrimination qui informera, peu ou prou, l’extension du domaine de « hogra ». L’exclusion sociale - de l’emploi, du logement, de la consommation, des loisirs notamment - constitue l’une des trames du nouveau discours de la victimisation et appelle, de manière concomitante, le recours au langage de l’émeute, signe probant de la rupture du consensus acquis par les médiations institutionnelles du politique, du syndical ou du religieux ». Dans « La hogra en Algérie, Essai de lecture », La Tribune, 6 mai 2004. Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence, article premier. Rapport au Premier ministre relatif au décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 relatif à l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 Débats parlementaires, Assemblée nationale, 15 novembre 2005 « Il n’est pas indifférent que 75 à 80 % des personnes interpellées durant cette crise pour des faits de violence urbaine étaient connues pour de nombreux méfaits. C’étaient déjà des délinquants ! » N. Sarkozy, débats parlementaires, id. Débats parlementaires, id. Ce que propose le sarkozyste de droite extrême Thierry Mariani, débats parlementaires, id. Débats parlementaires, id. Précisons toutefois : critiquer la diabolisation (et la surestimation du rôle) de Dieudonné ne signifie pas cautionner son discours antisémite fort bien dénoncé dans « Démons français », texte collectif signé notamment par Salah Amokrane, Esther Benbassa, Hamida Bensadia, Pascal Blanchard, François Gèze, Nacira Guénif-Souilamas, Gilles Manceron, Christiane Taubira, Françoise Vergès, Pierre Vidal-Naquet, Michel Wieviorka, etc., Le Monde, 5 décembre 2005. “France’s employment minister on Tuesday fingered polygamy as one reason for the rioting in the country” Financial Times 15 novembre 2005. En vertu des textes applicables dans les département français d’Algérie, et jamais abrogés, la polygamie est légale dans la collectivité départementale de Mayotte, son exercice ayant été interrompu à partir du 1er janvier 2005 par la loi du 21 juillet 2003, pour permettre à l’île de bénéficier des fonds structurels européens qui lui étaient refusés par le Parlement européen, faute d’égalité juridique entre les hommes et les femmes. Grand jury RTL-LCI-Le Figaro, 4 décembre 2005. Alain Finkelkraut : « L’illégitimité de la haine », propos recueillis par Alexis Lacroix, Le Figaro, 15 novembre 2005 Alain Finkelkraut : « Ils ne sont pas malheureux, ils sont musulmans », entretien avec Dror Mishani et Aurélia Samothraiz , Haaretz 18 novembre2005 Quelques jours plus tard « Finky » a déclaré à Europe 1 « Je présente des excuses à ceux que ce personnage que je ne suis pas a blessé (...). La leçon, c’est qu’en effet je ne dois plus donner d’interview, notamment à des journaux dont je ne contrôle pas ou je ne peux pas contrôler le destin ou la traduction ». Il est plus facile au professeur Finkelkraut de mettre en cause la qualité professionnelle du quotidien Haaretz (réputé pour son sérieux) que de réfléchir au sens de ses propre propos. André Glucksmann : « Les feux de la haine. Non, les incendiaires nihilistes ne sont pas des damnés de la terre malgré ce que leur répète le discours raciste compassionnel », Le Monde, 22 novembre 2005 Communiqué de l’Union des Familles Laïques (Ufal) du 7 novembre 2005. Cf Respublica n°395 Charlie Hebdo, 9 novembre 2005 Lionnel Luca, député (UMP) de la 6e circonscription des Alpes-Maritimes, Assemblé nationale, 3 décembre 2004. M. Luca, qui légifère sur la manière d’enseigner l’histoire de France aux enfants, ignore visiblement l’absence de l’Algérie dans l’organisation de la francophonie et la présence de pays qui, pour le meilleur ou pour le pire, n’ont jamais fait partie « de l’empire colonial de la République », comme la Bulgarie, la Roumanie, la Macédoine, la Moldavie... , tout au plus des colonies du Roi, comme le Canada, les Seychelles, Haïti..., des colonies des autres, comme la RD du Congo, la Guinée Bissau, le Burundi..., ou des conquêtes napoléoniennes, comme l’Egypte, la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique... Bref les 2/5e des Etats membres ! « Quand Boutih copie Jean-Marie. Le Pen », Français d’abord, 13 mai 2005, http://www.frontnational.com Cf. à ce sujet les deux ouvrages de nos nouveaux croisés, le président de SOS racisme Dominique Sopo SOS antiracisme (Denoël), et la rédactrice de Prochoix, Caroline Fourest La Tentation obscurantiste (Grasset), qui contribuent à obscurcir le débat et à faire reculer l’antiracisme à travers leurs lots habituels d’approximations et d’amalgames, de calomnies et de cornichonneries.

Assemblée Nationale, débats du 29 novembre 2005 Christiane Taubira : « Le rêve, possible encore, dans le poing qui se lève (sans s’abattre) », déclaration du 4 novembre 2005, http://www.damnes-delaterre.org « Répondre à la crise sociale et urbaine », Résolution du Congrès du parti Socialiste, Le Mans, 20 novembre 2005. Débats à l’Assemblée Nationale, le 8 novembre 2005 « Assez de provocations et d’irresponsabilité ! », Comité exécutif national du PCF, 4 novembre 2005. « Jeunes et habitants des quartiers, ensemble contre le gouvernement », LCR 7 novembre 2005. Bernard Cassen : « Un Katrina à la française » novembre 2005. Cf. à ce sujet notamment, Roland Castro, Civilisation urbaine ou barbarie, Editions Plon, 1994. Pour reprendre la formule employée par Monique Crinon, coprésidente du Cedetim. Alain Lecourieux et Christophe Ramaux, « République inachevée ou à jeter ? » Libération, 15 novembre 2005. Il s’agit de l’article de Didier Lapeyronie et Laurent Mucchielli publié dans Libération du 9 novembre 2005, Praful Bidwai : “France Explodes the Uniformity Myth”, Frontline, 5 November 2005. P. Bidwai est un éditorialiste réputé en Inde, et un militant altermondialiste réputé notamment pour son engagement contre l’arme nucléaire et dans le dialogue indo-pakistanais. Il a reçu le prix Sean Mac Bride du Bureau international de la paix en 2000 Edito de Marianne, 26 février 2005 : “ Et Maintenant les nouveaux racistes ” par François Darras. Jean François Kahn a-t-il utilisé ce pseudonyme pour pouvoir dire plus de bêtises ? Le Figaro 14 novembre 2005 « La meute, l’émeute et l’impasse », communiqué du mercredi 9 novembre 2005 par DiverCité, Ici et Là-bas et le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) Entretien avec Piotr Smolar, Le Monde, 25 novembre 2005 Bernard Dreano : « Regard sur le "P.I.F". Notes sur l’islam politique en France », Cedetim, http://www.reseau-ipam.org Les grands médias français n’ont guère prêté attention à leur action, par contre, John Carreyrou, journaliste du Wall Street Journal les a suivi dans les cages d’escalier. Cf. « Les islamistes médiateurs de la République », Courrier International n°785, 17 novembre 2005. Fatwa édictée le 6 novembre 2005 par « Dar el Fatwa » de l’UOIF : « Il est formellement interdit à tout musulman recherchant la satisfaction et la grâce divines de participer à quelque action qui frappe de façon aveugle des biens privés ou publics ou qui peuvent attenter à la vie d’autrui. Contribuer à ces exactions est un acte illicite. Tout musulman vivant en France, qu’il soit citoyen français ou hôte de la France est en droit de réclamer le respect scrupuleux de sa personne, de sa dignité et de ses convictions et d’agir pour plus d’égalité et de justice sociale. Mais cette action qu’elle soit entreprise de façon concertée ou spontanée ne doit en aucun cas se faire en contradiction avec les enseignements rappelés et le droit qui gère la vie commune ».. Libération, 15 novembre 2005, op. cit. Date ou pour la première fois le suffrage devient universel pour les plus de vingt et un ans avec l’abolition du second collège dans les départements d’Algérie. Dans la collectivité départementale de Mayotte, en vertu du statut personnel de 95% des habitants les Cadis (juges musulmans) sont toujours fonctionnaires contractuels de la République. « Le grand rabbin de France Joseph Sitruk projette de créer un tribunal rabbinique d’arbitrage », Tribune Juive, novembre 2005. L’Etat de l’Ontario a abrogé, en novembre 2005, une législation qui permettait depuis 1991 aux familles de se tourner vers les tribunaux religieux pour résoudre des problèmes relatifs au divorce ou à la garde des enfants, et donnait aux jugements de ces tribunaux force de loi. Les organisations communautaires sans relations avec ces milieux sociaux « à problèmes », des Arméniens aux Chinois, ne sont d’ailleurs jamais évoquées. Très bien analysé dans l’ouvrage de Pierre Tévanian et Sylvie Tissot, La lepénisation des esprits, L’esprit frappeur, nouvelle édition 2002. « Le soulèvement des banlieues a une histoire », Oumma.com, 30 novembre 2005. Abdellali Hajjat est l’auteur de Immigration postcoloniale et mémoire aux éditions L’Harmattan. Cf. entre autres : Catherine Whitol de Wenden, « Les associations "beur" et immigrées, leurs leaders, leurs stratégies », Regards sur l’actualité, n° 178, fév. 1992 ; Azil Jazouli, Les années banlieue, Seuil, 1992 ; Ahmed Boubeker et Mogniss H. Abdallah, Douce France, la saga du mouvement beur, Quo Vadis, automne 1993, éd. Im’média. ; Saïd Bouamama, Vingt ans de marche des beurs, Desclée de Brouwer, 1994 et (avec Mokthar Djerdoubi), Contribution à la mémoire des banlieues, éditions de la Volga, 1994 et De la galère à la citoyenneté, Desclée de Brouwer, 1996, etc. Jusqu’au tout récent livre de Yann Moulier Boutang, La Révolte des banlieues ou les habits nus de la République, éd. d’Amsterdam, 2005 et Banlieues : enjeux et perspectives, Le Passant Ordinaire, n°44, Revue internationale de création et de pensée critique, 2005. Pierre Bauby, Thierry Gerber, Singulière jeunesse plurielle, Publisud, 1996. A. Hajjat, op. cit. Saïd Bouamama, « Jeunesse, autorité et conflit », dans la revue Ville École Intégration, 1998, reproduit sur lmsi.net en mars 2004. Communiqué du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues : « Crevez en Paix mes frères, mais crevez en silence, qu’on ne perçoive que l’écho lointain de vos souffrances ... », 9 novembre 2005 Abdelaziz Chaambi : « Halte à la surenchère sur le dos de la banlieue » 10 novembre 2005. A. Chaambi est Membre fondateur de l’Union des jeunes musulmans et de l’association lyonnaise DiverCité, membre du Collectif des musulmans de France. Sur ces méandres, et les sordides manipulations autour des assassins djihadistes algériens, cf. Jean-Baptiste Rivoire et Lounis Aggoun : Françalgérie, crimes et mensonges d’Etats, Editions La Découverte, 2005. Abdelaziz Chaambi : « Affaire Kelkal, il y a dix ans déjà », Octobre 2005. Guy Debord : « Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande », Internationale Situationniste n° 10 mars 1966. James Baldwin, Next time fire, Penguin 1964, en français La prochaine fois le feu est disponible en édition de poche. Déclaration de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, sur les violences urbaines, faite lors de la conférence de presse du 18e Sommet franco-espagnol, Paris, 10 novembre 2005. A. Hajjat, op.cit. Son leader Louis Farrakhan est considéré comme l’un des complices de l’assassinat de Malcom X. Rappelons que ces deux organisations (Union des organisations islamiques de France et Fédération nationale des musulmans de France) domine le Conseil français du culte musulman. Pour plus de détails, lire Bernard Dreano, « Regards sur le « P.I.F. ». Notes sur l’islam politique en France », décembre 2004, www.reseau-ipam.org/cedetim. Le problème des chômeurs et précaires diplômés concerne une fraction de la jeunesse bien au-delà des « jeunes issus de l’immigration », même si ceux-ci sont plus particulièrement touchés. L’automne 2005 est aussi le moment de la première manif de « stagiaires ». Xavier Cornu, directeur général adjoint de l’enseignement à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Libération, 28 novembre 2005 Dominique de Villepin, conférence de presse mensuelle, 1er décembre 2005. Cf. les travaux du groupe « Contre la criminalisation des familles » animé par Fabienne Messica, sur le site du Cedetim : http://www.reseau-ipam.org/cedetim. Cité par Sylvia Zappy, Le Monde, 7 décembre 2005. Rapport confidentiel de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG) du 23 novembre cité par Le Parisien, 7 décembre 2005. Françoise Blum, « Ils sont entrés en politique », Le Monde, 10 novembre 2005. Conseil exécutif du RECIT, 10 novembre 2005 :« Comment allons nous aider les jeunes à penser qu’un “autre monde” est possible, et à participer à sa construction ? ». Le RECIT rassemble 190 organisations et 150 expériences porteuses d’une éducation émancipatrice dont : les Éclaireurs éclaireuses unionistes de France, ICEM pédagogie Freinet, La Vie Nouvelle, les CEMEA, le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne, ATTAC France, Echanges et partenariats, l’AITEC, l’Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs, etc. Texte du 5ème Congrès de l’APEIS, 6 décembre 2005. « Qui sème la misère, récolte la tempête », appel lancé par APEIS, CDSL, DAL, Droits Devant, No-vox, le 9 novembre 2005 qui déclarait notamment « Il est donc hautement souhaitable que nous allions partout où ont lieu les comparutions immédiates des prétendus « émeutiers », et où se trouvent aussi leurs soutiens, familles et copains, afin d’attirer leur attention sur le sort des élèves et des parents sans papiers, à leur présenter les organisations luttant pour leur régularisation ». « Violences : il faut faire confiance aux acteurs locaux », point presse des Verts, 8 novembre 2005 Cf. le témoignage de Michel Bourgain, Maire de l’Ile-Saint-Denis : « Tous responsables, Tous capables ! », 18 novembre 2005 Colloque de philosophie qui devait se tenir à la Maison de la Recherche à Clermont-Ferrand le 9 décembre 2005. Tariq Ramadan : « L’idéologie globale de la peur et la globalisation du syndrome israélien », 22 novembre 2005, http//www tariqramadan.com. Bien entendu la réalité de cette période des années 83 et suivantes, des marches « pour l’égalité » et de « convergence », de l’évolution de SOS racisme, de l’échec de « Mémoire fertile », etc., est bien plus complexe que celle d’un complot. Il n’empêche que cette théorie du complot s’est d’autant plus facilement répandue dans les citées qu’aucun examen critique et croisé de cette période n’a été fait par les organisations de gauche. Il s’agit de mouvements comme le Comité français de cohésion nationale, le Parti des musulmans de France, etc. Cf. Bernard Dreano : Regard sur le « P.I.F », op. cit. Avec la Création du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) par une soixantaine de groupes pour lutter contre « les discriminations ethno-raciales », fin novembre 2005. Sur Farrakhan et le Nation of Islam voir supra page 22. Saïd Kebboucha, membre de Convergences citoyennes, cité dans « Des militants associatifs veulent créer une force politique », Le Monde, 21 novembre 2005. Symbolique puisque seul le PS a le nombre de parlementaires nécessaires pour cette saisine. AFP, 9. décembre 2005 Ivan du Roy : « État d’urgence », éditorial de Témoignage chrétien du 8 décembre 2005. « Quelle crise des banlieues ? » Débat entre Pierre Rosanvallon, Jean Pierre Le Goff, Emmanuel Todd et Eric Maurin, Libération 21 novembre 2005. Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau « De loin, Lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur de la République Française, à l’occasion de sa visite en Martinique ».