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Origine : envoi mail
Un article paru dans La Gueule ouverte en juillet 1974, repris et
mis en forme (retapé) par Clement Homs
Chacun connaît maintenant par cœur car les ayant déjà
longuement visitées, les différentes chapelles du catéchisme
primaire des origines supposées de la décroissance elle
même organisée en une fine propagande bien packagée
de produits de révolte désormais à consommer-sur-place,
sans temps morts et sans entraves (du style... « Mais ma bonne
dame, ne savez vous donc pas encore que 20% des pingouins de la planète
consomment 80% de la banquise ? », et autres poncifs moralistes
du poujadisme écologiste ambiant, etc.). Certains aubergistes
nous ont ainsi mis en demeure de nous agenouiller en des courbettes
obligatoires devant les références au plan Mansholt,
à la Conférence de Stockholm de 1972, au rapport du
club de Rome faussement intitulé « Halte à la
croissance ! », au saint-patron René Dumont ou au petit-père
de la cybernétique Georgescu-Roegen, comme à la régression
qu’a pu constituer toute l’écologie politique des
partis républicains, dans lesquels on a entassé inlassablement
les écologistes de caserne depuis 1974 a n’en plus savoir
aujourd’hui quoi faire (des bruits courent dans les milieux
autorisés sur la possible ouverture d’un nouveau centre
de stockage sur le site pourtant déjà bien encombré
de Bure). Cette écologie là, qui par ruse singe et simule
l’utopie pour mieux adopter un discours sérieux afin
d’avoir l’oreille attentive des politiciens « responsables
», ne fait que reprendre le flambeau du « socialisme scientifique
» en se réclamant d’une écologie scientifique
qui sous le masque des valeurs chrétiennes et républicaines,
est plus froid que tous les monstres froids.
Voici qu’en 1974, alors que d’aucun ne savait encore que
l’élan de la sainte candidature de l’ex-technocrate
René Dumont allait fossilisé 20 ans plus tard celui-ci
en une icône trois fois très sainte de l’hagiographie
écologiste et des références indiscutables de
Nicolas Hulot à Vincent Cheynet en passant par Alain Lipietz
ou Dominique Voynet ; le penseur libertaire Bernard Charbonneau, qui
depuis les années 30 a passé sa vie à dénoncer
la grande imposture que constitue encore et encore la croissance économique
et industrielle, nous donnait son avis sur l’écologie
politicienne marchande sortant cette année là tout juste
de son œuf encore chaud. Et ce n’est pas le moindre mérite
de l’article qui suit (paru dans La Gueule Ouverte en juillet
1974), que d’avoir dénoncé si tôt et par
avance ce que devait nécessairement devenir le « tournant
fâcheux » de la candidature Dumont et de la naissance
de l’écologie politique de partis, entraînant en
effet le mouvement écologiste politicien à l’aube
du XXIe siècle vers ce qu’il a appelé être,
« la grande poubelle ».
« La protection de la nature suppose un minimum d’organisation,
mais celle-ci étant l’antithèse de la nature,
l’organiser équivaut le plus souvent à la détruire
» écrivait Charbonneau. C’est ainsi que nécessairement,
« réaction contre l’organisation, le sentiment
de la nature aboutit à l’organisation » [1]. Moins
c’est pas mieux ! C’est pire ! La décroissance
n’est donc pas réductible à des arguties sur la
sur-consommation ou sur une machine qu’il faudrait simplement
ralentir. Il faut sortir de l’écologisme pour sortir
de l’économie, et se donner les moyens d’entrer
véritablement dans le nouveau paradigme, tout autre, de la
décroissance.
Clément Homs (avril 2007).
[1] B. Charbonneau, dans le sous-chapitre « Comment, réaction
contre l’organisation, le sentiment de la nature ramène
à l’organisation », in Le Jardin de Babylone, Editions
de l’Encyclopédie des nuisances, 2002 (1965), p. 205-208.
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1.) Ambiguïté du mouvement écologique.
Bien des mouvements d’opposition et même des révolutions
sont ambigus. Autant ils détruisent une société,
autant ils régénèrent le gouvernement, l’économie,
la morale, l’armée et la police. L’histoire de
l’U.R.S.S. en est un bon exemple. Elle a réussi un
renforcement de l’Etat et de la société russes
que le régime tsariste était impuissant à réaliser.
Le mouvement d’opposition à la société
industrielle occidentale que l’on qualifie de « mouvement
écologique » n’échappe pas à cette
ambiguïté, surtout en France où il s’est
manifesté tardivement à la suite des U.S.A.
D’une part, il s’agit bien d’une critique et
d’une opposition au monde que nous vivons. Ses thèmes
(critique de la croissance, de la production, etc.) sont neufs par
rapport aux thèmes traditionnels de la droite et de la vieille
gauche (n’étaient-ce les œuvres de quelques isolés
sans audience qui ont mis en cause la société industrielle
dès avant la guerre). A ses débuts, surtout après
mai 68, ce mouvement a été le fait de personnes marginales,
comme Fournier, de groupes de jeunes et de quelques sociétés
(Maisons paysannes de France, Nature et progrès, etc.), réagissant
spontanément à la pression grandissante de la croissance
industrielle. Nouveauté des thèmes, marginalité,
spontanéité du mouvement, ce sont là les signes
d’une véritable révolution (rupture dans l’évolution)
en gestation.
Mais très vite, ce mouvement est devenu l’expression
de cette même société qu’il critique et
entend changer. Tout intellectuel ou militant français engagé
dans cette lutte ne devrait jamais oublier à quel point l’éveil
de l’opinion a été une entreprise préfabriquée.
C’est en 1970, année de la protection de la nature
que tout a été brusquement mis en train par la caste
dirigeante. On peut parler d’un véritable « feu
vert » donné cette année-là à
la critique de la pollution et de la destruction de la nature. Jusque-là,
aveugles au ravage qui s’étendait depuis au moins dix
ans devant leurs yeux, les Français le découvrent
sur l’écran de « La France défigurée
». La presse prend le relais, du Figaro au Monde, qui inaugurent
la rubrique « Environnement », que confirme la création
d’un ministère. Chaque grande maison d’édition
ou revue a son secteur écologique.
L’ « environnement » devient subitement source
de notoriété et de places. Les intellectuels (qui
sont de gauche comme la banque et l’industrie sont de droite),
à la suite de l’Amérique représentée
par Ivan Illich, découvrent les problèmes de la société
industrielle qu’ils s’étaient obstinément
refusés à se poser. Et Morin, Domenach, Dumont, etc,
se convertissent à l’écologie. Les technocrates,
les industriels, les politiciens avec quelques retard, se montrent
depuis aussi souples. En 1971, dans « Le Monde », ou
un tel discours eût été impensable deux ans
plu tôt, l’auteur du plan Mansholt, qui a liquidé
l’agriculture et généralisé l’agrochimie
en Europe, dénonce la destruction de la nature et de la qualité
de la vie par la croissance. Il part en guerre contre les méfaits
des pesticides et de la chimie sans se demander si son plan n’y
est pas pour quelque chose. Le Club de Rome, dirigé par d’éminents
industriels ou technocrates, publie son fameux rapport, et MM. J.
Monod et P. Massé laissent mentionner sans protester leur
appartenance à ce club de Rome. Le feed back a fonctionné,
les thèmes ont changé, mais les notabilités
intellectuelles ou industrielles restent en place ; l’auteur
du plan Manscholt est devenu le prophète de l’écologie.
Mais la multiplication des comités de défense et la
crise de l’énergie n’empêchent pas la croissance
de s’accélérer, et avec elle, le ravage, en
dépit et à cause de l’inflation.
La rapidité avec laquelle la société industrielle
a récupéré le mouvement écologique s’explique
par des raisons que l’on peut ramener à deux :
1.) Elle ne peut continuer quelque temps de plus à détruire
la nature que si elle contrôle un peu mieux ses propres nuisances.
Il est évident que si l’on ne dépollue pas les
rivières, les usines s’arrêteront de tourner
parce que l’eau deviendra inutilisable. Et cette dépollution
est appelée à devenir la grande affaire de demain.
2.) Dans la mesure où le matériel humain, notamment
la jeunesse, réagit au monde invivable que lui fait la croissance,
il importe de contrôler ses réactions en lui fournissant
les divers placebos intellectuels qui les détourneront dans
l’imaginaire. C’est là que les intellectuels
seront utiles.
D’où la nécessité pour le « mouvement
écologique » de se méfier de son succès.
Jusqu’à présent il ne participe au pouvoir que
dans un domaine : le domaine intellectuel, celui de la culture,
c’est-à-dire de la mode. C’est donc dans ce domaine
qu’il devra se montrer le plus méfiant et le plus exigeant.
Va-t-il se laisser récupérer par les divers récupérateurs
industriels ou intellectuels ? L’intérêt du mouvement
écologique, c’est la nouveauté de ses critiques.
Il part, non d’une idée mais d’une expérience.
A partir de vieilles valeurs instinctivement vécues chez
les jeunes : la liberté pour tous, inséparable de
la nature, il fait la critique d’une situation concrète.
C’est, nous l’avons vu, un mouvement marginal, désintéressé,
animé par des non-professionnels, des provinciaux qui défendent
leur terre contre les entreprises du centre, des inconnus qui, en
dehors de la pesante machine des mass media s’efforcent de
constituer des groupes de copains. Ces caractères, le mouvement
écologique ne saurait les perdre sans disparaître dans
la grande poubelle.
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2.) Inconvénients de la candidature Dumont.
Or la candidature Dumont, si elle a eu quelque intérêt
du point de vue de la propagande auprès de la masse encore
indifférente, risque de marquer un tournant fâcheux.
En présentant un candidat à la présidentielle
(d’ailleurs sans que les Parisiens aient consulté les
provinciaux, cueillis à froid), on plaçait à
la tête du mouvement écologique un président
qui devenait un symbole. Or ce choix d’un candidat présidentiel
imposait (d’ailleurs peut-être moins que l’on
a cru), le choix d’une notabilité. Or les notables
ne sont pas par hasard à ce rang. Certes, M. Dumont est un
homme de gauche qui sur le tard a découvert les méfaits
d’une certaine agriculture moderne dans les pays sous-developpés,
mais par ailleurs les problèmes de la croissance l’ont
laissé indifférent ; le moins que l’on puisse
dire, c’est qu’il n’y en a aucune trace avant
« L’Afrique Noire est mal partie ». Professeur
à l’Institut Agronomique, citadelle où s’élabore
la théologie de l’agrochimie qui est en train de détruire
la nature et la campagne en France, considéré au «
Monde », journal officiel de la bourgeoisie intellectuelle,
il était particulièrement bien placé pour ouvrir
la bouche sur ce chapitre. Il s’est contenté de le
faire pour les « pays sous-développés »,
ce qui est autrement mieux reçu et plus payant. Comme M.
Mansholt qui se proclame lui aussi socialiste, il est caractéristique
de cette génération de notables intellectuels qui
avaient l’autorité et qui n’en ont pas usé
en leur temps. Ce n’est donc pas à nous de la lui donner.
Certes, le choix d’un notable comme symbole du mouvement comporte
quelques avantages de propagande, mais aussi des inconvénients.
L’on sent que M. Dumont est un converti de fraîche date
; il répète des slogans qu’il n’a pas
inventés en les accommodant à la sauce gauchiste pour
plaire à son public. Par ses déclarations, il réintègre
auprès de l’opinion le mouvement écologique
dans les catégories politiques traditionnelles, il le ramène
à une écologie Mitterand - donc Giscard. Et puis,
autre inconvénient dans un mouvement démocratique
: le vedettariat.
Le mouvement écologique doit revenir à ses sources.
Pas d’idéologie, de slogans, de vedettes. MM. Dumont
ou Mansholt peuvent adhérer, à la condition de faire
leur autocritique et de rentrer dans le rang. Tant qu’à
choisir un porte-drapeau, une image de marque qui déjà
devient celle du mouvement écologique, partout mieux vaut
en choisir qui ne prête pas à la discussion. Mais le
mieux, c’est qu’il n’y ait pas de porte-drapeau,
même si la télé en exige un. Pas de culte de
la personnalité, une direction collégiale. Pas de
centralisme parisien, mais une libre fédération des
comités locaux. Pour s’unir, le mouvement écologique
n’a pas besoin de se chercher un prête-nom à
l’institut agronomique.
Bernard Charbonneau.
Juillet 1974, La Gueule Ouverte, p. 24
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