Origine http://www.jacques-ellul.org/ecologiste.php
Ce n’est pas sans raison que l’on a pu souligner le
caractère polymorphe de l’écologie politique
et la dimension syncrétique de son idéologie[1]. Il
est en effet difficile de la circonscrire tout en respectant sa
diversité et la définition universelle, conciliant
précision et pertinence, attend toujours son découvreur[2].
Néanmoins, il est pourtant nécessaire de commencer
par recenser quelques idées forces, certains invariants du
discours écologiste, si l’on veut en chercher la trace
dans l’œuvre de tel ou tel auteur, en l’occurrence
ici de Jacques Ellul[3].
On peut donc citer parmi les principales composantes de l’écologisme
et sans souci de les hiérarchiser : la critique de l’Etat
et de la bureaucratie technicienne ; une préférence
pour la démocratie directe ou du moins pour la démocratie
participative allant de pair avec la défense de l’échelon
local ou régional face au centralisme jacobin ; la volonté
de substituer à l’Etat-Nation un cadre fédéral,
l’internationalisme, la défense des concepts d’autogestion
et d’autonomie au plan économique et politique ; une
critique des partis traditionnels allant jusqu’au refus du
clivage central (le « ni droite ni gauche » d’Antoine
Waechter) ; une critique du productivisme, de la société
industrielle, de l’organisation capitaliste du travail et
plus généralement une critique de la primauté
de la logique économique dans les sociétés
modernes ; une critique du « progrès » à
partir de l’idée selon laquelle l’expansion de
la science et de la technique ne signifie pas automatiquement progrès
de la Raison et progrès de l’homme[4] ; une critique
de la consommation pouvant aller jusqu'à l’éloge
de la frugalité et d’un certain ascétisme, et
enfin, bien sûr, une défense de l’environnement
passant par un souci de protection/conservation de la Nature...
Cette liste n’est pas exhaustive, mais déjà
pour l’essentiel on constate que l’on peut pointer ces
thèmes dans l’œuvre de Jacques Ellul. Si l’on
veut tester la dimension prophétique de ses thèses,
se pose alors la question de savoir à partir de quelle date
?
Mériter l’épithète de précurseur
- littéralement « celui qui annonce et prépare
la venue de » - suppose pour le moins une antériorité
aux années soixante-dix, marquées entre autres signes
par la création des Amis de la Terre (1971), la publication
du rapport Meadows commandé par le Club de Rome au M.I.T.
(1972), la candidature de René Dumont à l’élection
présidentielle (1974).
Or cette antériorité existe, dans la pensée
et dans l’action. La prise de conscience « écologiste
» de Jacques Ellul est antérieure à son engagement
militant au sein du Comité de Défense de la Côte
Aquitaine, - présidé par son ami Bernard Charbonneau
de 1973 à 1977 et par lui-même de 1977 à 1979
- destiné à contrer l’action de la M.I.A.C.A.
et de son président Emile Biasini.
Elle précède également son « Plaidoyer
contre ‘la défense de l’environnement’
» publié en 1972 par l’hebdomadaire La France
Catholique[5] . Cette prise de conscience est antérieure
même à la publication (1954) et à la rédaction
(1948 à 1950) de son œuvre maîtresse : La Technique
ou l’enjeu du siècle[6].
En effet, si l’on se réfère aux textes publiés
par Ellul et Charbonneau[7] dans les années trente, on est
frappé de constater qu’ils contiennent l’essentiel
de leurs thèses à venir.
Si de nombreux auteurs ont clairement établi la filiation
rattachant l’écologisme au personnalisme[8], l’originalité
de l’apport ellulo-charbonniste au sein de la nébuleuse
non-conformiste n’a pas encore été suffisamment
soulignée[9].
L’approche biographique permet, selon nous, d’éclairer
les traits les plus spécifiques d’un personnalisme
gascon faisant déjà de la critique de la science et
de la technique le cœur de sa doctrine. On peut également
y déceler la présence d’un certain nombre d’autres
thèmes que l’on retrouvera, une trentaine d’années
plus tard, lors des événements de Mai 68 et au sein
de la mouvance écologiste.
La valeur centrale commune unissant Ellul et Charbonneau n’est
pas la défense de la Nature - en tant que telle - mais celle
de la Liberté. « Rien de ce que j’ai fait, vécu,
pensé ne se comprend si on ne le réfère pas
à la liberté » affirmait le premier[10]. «
Ma passion, ma raison, ce qui donnait un sens à ma vie, c’était
la recherche à la fois douloureuse et joyeuse de la liberté
» confirmera le second.[11].
Conception chrétienne et barthienne de la liberté
chez Ellul, agnostique et personnelle chez Charbonneau, mais dans
les deux cas, cette liberté est tout le contraire d’une
idée abstraite définie en termes philosophiques.
Formé à la rude école des éclaireurs
unionistes, Bernard Charbonneau persuade Jacques Ellul que le meilleur
moyen d’éprouver concrètement le sentiment de
liberté est de se confronter directement à la nature.
Les deux amis quitteront donc leur ville de Bordeaux pour des randonnées
en montagne, si possible en plein hiver, « pour que la rencontre
soit plus vivante ». A partir du tout début des années
trente, ils organiseront ainsi plusieurs expéditions en Galice,
dans les Pyrénées ou les Landes...
Subsiste aujourd’hui encore une imprécision sur les
conditions exactes de leur première rencontre. Selon Charbonneau,
il aurait fait connaissance de Jacques Ellul au sein de la fédération
des étudiants protestants, après 1929. Selon Ellul,
ils se connaissaient de loin déjà au lycée
et ils ont commencé à se fréquenter à
la faculté lors de l’année universitaire 1928-1929.
Quoiqu’il en soit, ils n’ont pas encore vingt ans qu’ils
essaient de se convertir mutuellement, à ce qu’ils
considèrent comme le point essentiel. L’existence de
Dieu pour l’un, la « Grande Mue » pour l’autre,
c’est à dire le changement radical de la condition
humaine provoquée par la montée des sciences et des
techniques.
Si la croyance est de même intensité, elle n’est
pas de même nature et n’a pas emprunté les mêmes
voies. A l’origine de la foi du premier l’on retrouve
une expérience mystique, une révélation au
sens strict, alors que la prise de conscience du second provient
du constat très prosaïque de l’augmentation de
la circulation automobile dans sa rue. Non pas résultat d’une
quête philosophique mais bien d’une découverte
empirique et personnelle : la « bagnole » menace ma
liberté dans ma ville et dans ma propre rue[12].
A la même époque, Jacques Ellul, observant un autobus
bondé de passagers à la suite d’un camion transportant
des vaches, s’avoue frappé par la ressemblance d’odeur
et d’intelligence se dégageant des deux véhicules[13].
Il est âgé de 21 ans et se fixe un plan de travail
en trois parties : critique de la morale, critique du progrès
et critique du Nombre.
Les camps d’étudiants dans la nature constituent le
prolongement du petit groupe de discussion fondé par Bernard
Charbonneau réunissant notamment le mathématicien
Claude Chevalley - ami d’Arnaud Dandieu, le principal théoricien
de la revue personnaliste l’Ordre nouveau - Marcel Boiteux
qui deviendra plus tard directeur d’EDF, ou encore Alfred
Kastler, futur prix Nobel de physique.
Les deux girondins se défendent d’avoir voulu imiter
en quoi que ce soit les jeunes Allemands des Wandervögel et
des mouvements de la Jugendbewegung même s’ils partageaient
avec eux le goût de la nature et la critique de l’ordre
bourgeois.
En outre, il faut signaler que leur discours diffère complètement
de l’idéologie völkisch de nombreux essayistes
allemands de l’entre deux guerres. Il ne contient aucune trace
d’idéalisation du monde paysan, d’apologie de
l’enracinement, d’absolutisation de la nature, et encore
moins d’irrationalisme et d’anti - intellectualisme.
En matière de filiations intellectuelles, Jacques Ellul
s’inspire dès le début des années 30
de trois auteurs qui continueront par la suite à guider sa
pensée : Karl Marx, Sören Kierkegaard et Karl Barth.
Il découvre Marx en seconde année de Faculté
par le truchement d’un cours d’économie politique.
Il trouve dans sa critique du capitalisme une explication au chômage
de son père, fondé de pouvoir d’une importante
maison de négoce. Ses parents étant tous deux issus
de grandes familles totalement ruinées, il doit très
tôt donner des leçons particulières pour améliorer
l’ordinaire.
Il devient dès cette époque un grand lecteur de
Marx et deviendra d’ailleurs par la suite l’un des premiers
à enseigner la philosophie marxiste dans une université
française. S’il noue des contacts avec des militants
socialistes et communistes bordelais, il ne s’inscrira jamais
au PCF contrairement à ce que l’on a pu écrire
çà et là[14].
Jacques Ellul commence à lire l’œuvre de Kierkegaard
à l’âge de dix-huit ans dont il deviendra au
fil des ans un grand connaisseur, comme en témoigne sa préface
au livre de Nelly Viallaneix[15], l’une des meilleures spécialistes
de Kierkegaard . L’existence considérée et vécue
comme une tension permanente entre deux pôles irréductibles,
le principe de non conformité au monde, la défense
de la personne face au Pouvoir, sont quelques - uns des thèmes
abordés par le théologien français à
la suite du philosophe danois[16].
Enfin, le théologien protestant Karl Barth, (1886-1968)
ayant lui aussi une pensée dialectique, l’aidera à
concilier sa foi et sa sensibilité libertaire, à penser
de concert l’obéissance de l’homme libre à
l’égard du Dieu libre, c’est à dire la
libre détermination de l’homme dans la libre décision
de Dieu.
Ces trois auteurs constituent donc l’essentiel de son bagage
intellectuel lorsqu’il s’embarque dans l’aventure
personnaliste.
On peut à présent se demander, dans une perspective
wébérienne et sous forme idéale-typique, si
certains aspects de l’œuvre du jeune Ellul ne peuvent
pas être considérés comme les prémices
d’une certaine écologie politique ?
A cette question l’on peut d’ores et déjà
répondre qu’avec son ami Bernard Charbonneau, Jacques
Ellul est bien à l’origine de la fraction la plus individualiste,
la plus anti-autoritaire, la plus girondine / régionaliste
mais surtout de la tendance la plus « écologiste »
du mouvement personnaliste.
Loin de constituer des clones provinciaux ou de simples répétiteurs
des intellectuels non conformistes de la capitale, nos deux gascons
ont affirmé leur originalité au sein de ce courant,
précisément en réfléchissant sur des
thèmes que l’on retrouvera quarante ans plus tard au
cœur de la problématique écologiste.
En outre, leur simple existence montre qu’il est pour le
moins abusif de réduire, de façon indifférencié,
la mouvance personnaliste des années 30 à une sorte
de bouillon de culture pré ou pro - fasciste[17].
La suite du parcours d’Ellul est sans ambiguïté
et viendra confirmer ce point, si besoin était. Rappelons
seulement qu’il sera révoqué dès l’été
1940 de son poste de chargé de cours à l’université
de Strasbourg, n’entretiendra aucun contact avec l’école
des cadres d’Urriage et qu’il s’engagera clairement
dans la Résistance.
Mais l’analyse textuelle est à cet égard plus
pertinente. Si l’on examine le contenu idéologique
des textes et conférences du « groupe de Bordeaux »,
on peut y lire explicitement une inspiration libertaire, humaniste
et (post) chrétienne aux antipodes du nazisme bien sûr,
mais également de l’idéologie pétainiste.
« Le christianisme n’est pas une révolution
mais la source de toute révolution » affirme Alexandre
Marc dans Esprit, en mars 1933. Jacques Ellul partage à l’évidence
le point de vue du fondateur de l’Ordre nouveau qui deviendra
par la suite un militant actif de la cause fédéraliste.
C’est du moins à cette époque, qu’en compagnie
de Bernard Charbonneau, il monte à Paris pour rencontrer
Emmanuel Mounier. En mars 1933, la revue a six mois seulement et
ne compte pas plus de 600 abonnés[18]. Ces jeunes bourgeois
en révolte contre le désordre établi ne sont
donc pas légion et Jean-Louis Loubet del Bayle[19] a raison
de les décrire comme des « minoritaires à l’intérieur
d’une société vieillie ».
Pour leur part, les deux bordelais peuvent être considérés
comme deux marginaux au sein de ce mouvement minoritaire.
Quel est le contexte de cet engagement personnaliste ? Une société
traumatisée par la guerre et la dépression économique
( la « crise de 29 » atteindra la France seulement en
1932 mais elle s’installera durablement jusqu'à la
seconde guerre mondiale), un mouvement ouvrier divisé par
la révolution d’Octobre, une communauté chrétienne
éclatée au plan idéologico - politique et ralliée
encore partiellement à la République, un environnement
international menaçant où les démocraties libérales
semblent dépassées par la montée des régimes
autoritaires.
« Nous sommes dans une époque de transition, de destruction
et de création » résume Henri Lefebvre dans
la NRF en décembre 1932. Ellul et Charbonneau sont donc «
conscients de vivre une époque sans précédent[20]
» et s’inscrivent parfaitement dans cette génération
du refus[21] dont ils sont à la fois les témoins et
les acteurs.
Ces Années tournantes[22] ont également été
précédées de la résurgence des ligues
nationalistes et des partis d’extrême droite - notamment
à travers les Jeunesses patriotes[23], qui inquiétaient
déjà Ellul au lycée. L’antisémitisme
bat son plein et l’antiparlementarisme atteint des sommets
lors du scandale Oustric et surtout lors de l’affaire Stavisky.
Les voix sont de plus en plus nombreuses à dénoncer
les incapables et les voleurs du Palais-Bourbon.
Les émeutes du 6 février 1934 renforcent les sentiments
antifascistes d’Ellul et son ancrage à gauche[24].
Son allergie aux mouvements nationalistes, hégémoniques
à Bordeaux comme dans la plupart des facultés de droit,
est constante[25] et s’explique peut-être par ses origines
familiales cosmopolites[26].
Ni individualistes, ni collectivistes, ne se reconnaissant ni dans
la figure de l’individu des libéraux ni dans celle
du « soldat politique[27] » des totalitaires ; à
la recherche d’un mouvement anticapitaliste, antifasciste
mais non communiste, les deux Bordelais trouvent dans le personnalisme
une doctrine répondant globalement à leurs aspirations,
d’autant plus qu’elle s’élabore sous leurs
yeux et qu’ils entendent bien y apporter leur contribution.
Au début de l’année 1934, le groupe de discussion
fondé à l’origine par Charbonneau prend officiellement
le label « Groupe de Bordeaux des amis d’Esprit »[28].
A travers les chroniques publiées par Esprit, et les bulletins
internes des personnalistes bordelais[29] , on peut tenter de cerner
ce qui, dans la pratique et dans le discours, pourrait passer aujourd’hui
pour signe précurseur de l’écologie politique,
telle que nous en avions fixé les contours au préalable.
Au mois de juin, la revue de Mounier publie dans sa « Chronique
des amis d’Esprit » un premier compte rendu d’activités,
rédigé en style télégraphique mais fort
instructif néanmoins[30]. On y apprend que le groupe de Bordeaux
a longuement travaillé sur le problème fédéral,
dans l’esprit suivant : « Maintenir l’homme en
contact avec ses voisins, avec une terre dont la vie concrète
est la seule créatrice, sans pour cela oublier l’existence
de réalités supérieures communes, qui doivent
être le principe même du respect de toute diversité,
et également la nécessité de maintenir entre
ces foyers de vie autonome des échanges suffisants pour les
alimenter[31]. »
Le groupe de Bordeaux suggère aux autres membres d’Esprit
d’organiser des rencontres régionales, pendant les
vacances, « au hasard de la vie quotidienne ».
La chronique du mois de décembre 1934 signale que «
le groupe de Bordeaux » a adressé à la rédaction
parisienne ses travaux de l’année portant sur le fédéralisme
et le droit nouveau. On y découvre par ailleurs que les Bordelais
proposent aux autres groupes de s’associer pour acheter une
presse d’imprimerie et qu’ils recommandent aux militants
d’une même région de se rencontrer en faisant
du camping au lieu des congrès habituels.
Ellul et Charbonneau organisent des camps d’études
en montagne et insistent, au cours de numéros suivants, sur
la nécessité d’instaurer des rencontres régionales
et des « liaisons horizontales » entre les groupes.
A travers cette revendication d’apparence anodine transparaît
pourtant leur défiance envers toute forme de centralisme
parisien et leur souci d’incarner un véritable mouvement
au lieu d’une simple revue intellectuelle.
Jacques Ellul inaugure le premier numéro du « Journal
du groupe de Bordeaux des amis d’’Esprit’’
» par le texte d’une conférence intitulée
« Le personnalisme, révolution immédiate »[32].
Il y affirme son refus de choisir entre le Front populaire et le
Front national, « car ni l’un ni l’autre ne peut
changer grand chose ». Il ajoute que « ce n’est
ni à droite, ni à gauche,[33] que l’on retrouvera
l’essentiel » et que « ce n’est pas en changeant
un régime que l’on peut changer la vie ». Pour
faire une révolution authentique, il faut d’abord «
commencer par changer la vie des gens », et cette révolution
« immédiate » doit « commencer à
l’intérieur de chaque individu ».
« Le christianisme s’attaque à l’avarice,
poursuit Ellul, mais nous, nous attaquons une forme actuelle de
cette avarice : le capital. » Il cite ensuite Emmanuel Lévy
: « Il faut que chacun compte - qu’on compte sur, pour,
avec - qu’on puisse aimer son prochain comme soi-même
parce que le moi ne sera plus haïssable ». Il en appelle
au respect de toute la « valeur humaine » et en donne
comme exemple de condition : « un habitat sain ».
Ellul comme Lévy plaide pour une « société
associée », fondée sur l’homme et non
sur le profit. A défaut de « Grand soir », il
est possible, selon lui, de créer au sein de la société
globale des petits « groupes de personnes » vivant cette
révolution authentique.
Groupes composés d’individus doués de jugement
personnel, échappant aux moules de la propagande qui transforme
la « communauté » en foule, des êtres capables
d’une « vie autonome, d’une recherche personnelle,
d’une action basée sur des raisons obtenues par soi-même
d’une fondation de principes particuliers ; et le tout fait,
non avec un a priori d’individualisme ou de particularisme,
mais avec une simple bonne foi clairvoyante. Or, actuellement, il
ne peut plus être question de telles personnes[34]. »
Les deux bordelais n’en pensent pas moins que « c’est
lorsque la révolution est impossible qu’elle devient
nécessaire. »
Pour accomplir cette révolution nécessaire [35],
selon eux, il ne suffit pas de partager les mêmes idées,
il faut être capable de les vivre en commun, au quotidien,
et si possible au contact de la nature.
Ellul et Charbonneau, qui prônent toujours un réalisme
« à ras de terre », insistent sur la nécessité
de constituer, au niveau local , des petits groupes autogérés
et fédérés entre eux. Fonctionnant comme des
contre - sociétés, ces groupes exemplaires - incarnation
concrète de l’ordre à construire - n’auraient
pas pour but de renverser le régime mais de témoigner,
ici et maintenant, de la révolution immédiate.
De proche en proche, par un phénomène de contagion,
ce réseau parti de la base pourrait s’étendre
au-delà même des frontières nationales vouées
elles aussi à disparaître[36].
Cette conception de la révolution anime le texte essentiel
cosigné par Jacques Ellul et Bernard Charbonneau : «
Directives pour un manifeste personnaliste »[37].
Ce document en 83 points est divisé en deux parties : un
diagnostic intitulé : « Origine de notre révolte
», suivi d’un projet : « Direction pour la construction
d’une société personnaliste ».
Ce manifeste affirme explicitement - et en ces termes - la thèse
qui fera connaître Ellul vingt ans plus tard[38], celle de
l’impuissance de la politique face à la suprématie
technicienne qui affecte de la même manière les régimes
capitalistes, fascistes et communistes.
La société moderne est caractérisée
par ses « fatalités » et son « gigantisme
». Fatalité de la guerre (la technique banalise la
mort), du fascisme (fruit du mariage du libéralisme et de
la technique[39]), du déséquilibre entre les divers
ordres de production. (en raison du progrès technique et
de l’urbanisation).
« Gigantisme », c’est à dire concentration
de la production, du capital, de l’Etat et de la population.
Dans la ville moderne, les exigences initiales de la nature sont
remplacées par des contraintes (in -) humaines encore plus
pesantes[40]. « Lorsque l’homme se résigne à
ne plus être la mesure de son monde, il se dépossède
de toute mesure. »
A l’origine de ce gigantisme, de ce mouvement de concentration,
l’on retrouve le facteur technicien. Dès cette époque,
Ellul pense la Technique comme « un procédé
général » et non pas comme un simple moyen industriel
illustré par le recours à la mécanisation.
Déjà le concept ellulien de la technique dépasse
la simple critique du machinisme[41] même s’il ne repose
pas encore sur une définition rigoureuse[42].
Le progrès technique engendre également un phénomène
de prolétarisation généralisée, qui
dépasse la seule dimension économique analysée
par Marx, et concerne tous les hommes ainsi que tous les aspects
de leur vie
Seule une « révolution » peut donc mettre un
terme à cette dégradation, car toute tentative réformiste
n’aboutirait qu’au renforcement des structures aliénantes.
Révolution tournée contre la grande usine, la grande
ville, l'état totalitaire, l’agence Havas (la publicité
étant créatrice de besoins factices), le profit, les
industries d’armement, la nation...
Après une critique des partis traditionnels, Ellul en appelle
à une « révolution de civilisation » qui
passe par l’établissement d’une « société
personnaliste » à l’intérieur de la société
globale.
Dans l’attente de l’autodestruction de la société
actuelle, cette contre - société préparera
les cadres de demain. Ses membres, qui devront limiter au maximum
leur participation à la société technicienne,
seront guidés par une mentalité neuve inspirant un
autre style de vie. Ce style de vie, véritable incarnation
de la doctrine, sera le seul signe extérieur de cet engagement
vécu.
Des communautés électives devront remplacer les grandes
concentrations urbaines. Au sein de ces petits groupes volontaires,
l’individu pourra se sentir enraciné quelque part,
et dans cette « cité à hauteur d’homme
», une politique authentique, fondée sur une communication
directe entre gouvernants et gouvernés, sera menée
dans la transparence. Seul le fédéralisme permettra
de lutter contre le « gigantisme » et « l’universalisme[43]
».
Les « grands pays » seront divisés en «
régions autonomes » disposant de tous les attributs
de la souveraineté, au détriment d’un Etat central
réduit à de simples fonctions de conseil ou d’arbitrage.
L’organisation fédérale permettra à la
fois une plus grande participation des citoyens au niveau interne,
et en réduisant la puissance des Etats, elle diminuera les
risques de conflits armés.
Par ailleurs, « le principe du Fédéralisme
est le seul qui permette de restreindre l’importance des crises
économiques » en contrôlant la technique.
Les directives 60 à 63 du manifeste sont essentielles car
elles permettent de repérer les premiers jalons de l’analyses
ellulienne du phénomène technicien et de tester leur
dimension prophétique. Loin d’être le technophobe
ennemi systématique du progrès caricaturé par
certains[44], Jacques Ellul a toujours affirmé qu’il
n’était pas opposé à la Technique , en
soi, mais à son autonomie. Ce texte de jeunesse permet de
vérifier que tel était son point de vue dès
l’origine.
Le manifeste préconise en effet une « réorientation
de la technique » au profit de certaines branches, pour les
travaux pénibles et indifférenciés qui devront
être effectués dans le « secteur collectif »,
sous forme de « service civil »[45]. Autrement dit,
dans des secteurs où généralement la technique
n’est pas rentable d’un point de vue capitaliste.
En outre, cette réorientation de la technique permettrait
« la réduction du temps de travail de l’ouvrier
»[46].
Si le thème de la réduction de la durée du
travail figure désormais dans le programme de tous les partis
écologistes, il appartient plus généralement
à l’univers idéologique de la gauche. Plus significative
est, dans une perspective écologiste, l’attitude à
l’égard de la production et de la croissance.
La directive 61 prévoit un contrôle de la technique
destiné à entraver certaines productions dont «
l’accroissement serait inutile au point de vue humain ».
« La technique n’est pas une fin en soi. (...) toute
surproduction n’est pas utile à l’homme. »
On trouve donc dans ce texte du milieu des années 30 l’idée
selon laquelle la croissance économique n’est pas synonyme
de développement humain. Idée reprise dans le dernier
paragraphe[47] de conclusion intitulé : « Une cité
ascétique pour que l’homme vive... »
Alors que la directive 66 prévoyait d’assurer «
à tous les individus » de la nation un « minimum
vital gratuit », la directive 82 évoque un «
minimum de vie équilibré », à la fois
matériel et spirituel. « Fût - ce un minimum
de vie pour tous, mais que ce minimum de vie soit équilibré.
» On peut donc pointer ici deux éléments classiques
de la thématique écologiste : la défense de
la qualité de la vie et le principe de solidarité
sociale.
« L’homme crève d’un désir exalté
de jouissance matérielle, et pour certains de ne pas avoir
cette jouissance. » Comment ne pas songer ici à ce
que l’on désignera plus tard sous le nom de société
de consommation et de société duale ?
Que ce manifeste ait été rédigé en
1935 ou en 1937, peu importe en l’occurrence, dans les deux
cas, la France n’est pas encore sortie de la crise mondiale
où elle est entrée au début de l’année
1932.
Les personnalistes gascons font donc le procès du productivisme
alors qu’en 1938 la production industrielle est encore inférieure
de 17% à celle de 1928. Ils critiquent la croissance alors
que de 1935 à 1939 le nombre de chômeurs secourus officiellement
n’est jamais descendu au-dessous de la barre des 350.000.
Ce souci de limitation volontaire de la croissance anticipe donc
de trente cinq ans au minimum le fameux rapport Meadows.
On touche ici à la spécificité des thèses
ellulo-charbonistes au sein d’un mouvement personnaliste qui,
dans son ensemble, adhère au mythe d’une technique
machiniste créatrice de loisirs et d’abondance généralisée[48].
Ce projet de « cité ascétique », centré
sur le qualitatif, préfigure les thèses de l’écologie
politique et radicale des années 70 (Illich, Castoriadis,
Schumacher, Gorz, Dumont) axées autour du principe «
d’austérité volontaire ».
« Ramener l’économie à hauteur d’homme
» préconisait Jacques Ellul dès le milieu des
années 30. « Il s’agit non pas de pousser à
la consommation, mais de la restreindre » écrira-t-il
en pleine période de pénurie (1946-1947) après
avoir affirmé, à contre-courant du discours productiviste
dominant en ces temps de Reconstruction, qu’il fallait se
débarrasser de la mystique du travail[49]. « Consommer
moins pour vivre mieux » diront en substance ses héritiers[50].
« Les hommes devaient se libérer de l’emprise
économique et culturelle de l’Etat et du marché,
se défaire du besoin fabriqué (...). Ils devaient,
au sein de structures conviviales, en mettant en œuvre des
techniques à échelle humaine (...) retrouver la faculté
de décider, ensemble et de manière autonome (...)
les modes de satisfaction et le sens de leurs besoins, et recouvrer
en même temps les moyens politiques de préserver leur
choix. »
« Faire le choix de l’austérité volontaire,
expliquent les auteurs de L’équivoque écologique[51],
c’était engager un double processus, de rupture avec
la civilisation industrielle et de construction de la société
écologique future ». Dans la perspective ellulienne,
le choix de la cité ascétique signifiait rompre avec
la société technicienne et construire la société
personnaliste de demain.
Pour conclure, et sans recenser l’intégralité
des points de convergence entre le Ellul des années 30 et
les principaux paradigmes de l’écologisme, l’on
se contentera d’en rappeler deux :
n la critique de la consommation et de la publicité qui
« crée un faux idéal de vie chez les gens »
(« En proposant de nouveaux objets, en nous avertissant par
la publicité qu’il faudra les jeter avant de les avoir
pleinement utilisé, on nous prive de la satisfaction qu’ils
entraînent (...) malgré son abondance relative, notre
société est une société frustrée[52].
»)
n la critique du gigantisme. Les auteurs de L’équivoque
écologique[53] ont trouvé chez Théodore Roszak[54]
une actualisation d’un thème déjà formulé
par Jean Dorst[55] en 1965 : le gigantisme des choses, c’est
à dire des villes, des industries, des finances et des institutions,
menacerait pareillement l’homme et la planète. Ellul
ne disait pas autre chose, trente ans plus tôt !
Il n’est donc pas abusif de parler de congruence ou d’affinités
électives entre l’œuvre de Jacques Ellul et l’écologie
politique.
* Patrick TROUDE-CHASTENET est Professeur de science politique à
l’Université de Poitiers et à Sciences Po Bordeaux,
président de l’Association Internationale Jacques Ellul,
directeur des Cahiers Jacques-Ellul et membre du comité de
rédaction de The Ellul Forum.
Il a publié notamment :
Lire Ellul. Introduction à l’œuvre socio-politique
de Jacques Ellul, PUB, 1992 ;
Sur Jacques Ellul, L’esprit du temps/Puf ; Entretiens avec Jacques
Ellul, La Table Ronde, 1994,
Jacques Ellul on Religion, Technology, and Politics, Atlanta, Scholars
Press, 1998.
Notes
[1] Cf. par exemple D. Trom, « Le parler Vert. Réflexions
sur les structures discursives de l’idéologie écologiste
», Politix, n°9, 1er trimestre 1990, et C. Journès,
« Les écologistes, l’Etat et les partis »
in P. Bacot et C. Journès, Les nouvelles idéologies,
Lyon, Pul, 1982.
[2] D. Simonnet , L’écologisme, Paris, Que sais-je
?, Puf, 1979, p.8. la définit prudemment comme « une
synthèse évolutive de l’expression des sensibilités
écologiques ».
[3] Agrégé de droit romain, historien, théologien
et sociologue, Jacques Ellul a publié une cinquantaine de
livres traduits dans le monde entier. Pour plus de précisions,
je me permets de renvoyer à J. Hanks, Jacques Ellul : a comprehensive
bibliography, Research in philosophy and technology, Greenwich,
Connecticut, Jai Press inc., 1984, update, 1985-1993, Research in
Philosophy and Technology, volume 15, Social and Philosophical Constructions
of Technology, pp 287-413, Jai Press inc., 1995 et à P. Troude-Chastenet,
Lire Ellul. Introduction à l’œuvre socio-politique
de Jacques Ellul, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1992
; Sur Jacques Ellul, Bordeaux, L’esprit du temps/Puf, 1994
et à P. Chastenet, Entretiens avec Jacques Ellul, Paris,
La Table Ronde, 1994.
[4] A contrario on peut souligner la confiance parfois excessive
placée par certains écologistes envers la Technique
comme ce fût la cas lors de l’apparition des micro-ordinateurs.
Il est vrai que dans ce cas précis, Jacques Ellul lui-même
avait succombé à la tentation, comme en témoigne
son Changer de révolution, Paris, Seuil, 1982.
[5] Les bonnes résolutions et leurs limites, 14/1/1972 ;
Les contradictions, 21/1/1972 ; Le mensonge, 28/1/1972.
[6] Paris, Armand Colin, 1954 ; Paris, Economica, 1990, pour la
réédition.
[7] Malgré la publication d’une quinzaine de livres
parmi lesquels Le jardin de Babylonne, Paris, Gallimard, 1969 ;
Le système et le chaos, Paris, Anthropos, 1973, rééd.
Paris, Economica, 1990 ; Le feu vert, Paris, Karthala, 1980, Bernard
Charbonneau s’est signalé essentiellement au cercle
trop restreint des lecteurs de Réforme et de Combat Nature
après avoir collaboré longtemps à la Gueule
Ouverte. Agrégé d’histoire et de géographie,
ce bordelais d’origine a préféré la solitude
des Pyrénées à l’agitation urbaine. Sa
mort, le 28 avril 1996, a suscité peu de commentaires dans
les médias nationaux, pour user d’euphémisme.
[8] P. Alphandéry, P. Bitoun, Y. Dupont, L’équivoque
écologique, Paris, La Découverte, 1991. G. Sainteny,
Les Verts, Paris, Que sais-je ?, Puf, 1991. J. Jacob, Les sources
de l’écologie politique, Paris, Arléa-Corlet,
1995.
[9] A l’exception toutefois de l’article pionnier de
C. Roy, « Aux sources de l’écologie politique
: Le personnalisme ‘gascon’ de Bernard Charbonneau et
Jacques Ellul », Canadian Journal of History/Annales canadiennes
d’histoire, XXVII, april/avril 1992, pp.67-100.
[10] J. Ellul, A temps et à contretemps, Enretiens avec
Madeleine Garrigou-Lagrange, Paris, Le Centurion, 1981, p.162.
[11] Entretiens avec l’auteur, 24/7/1993.
[12] Bernard Charbonneau a d’ailleurs consacré un
pamphlet à cette nouvelle religion de l’automobile
intitulé L’hommauto, Paris, Denoël, 1967.
[13]Notes manuscrites de mars 1933 aimablement communiquées
par son fils Jean Ellul.
[14] Notamment dans Le Figaro du 6/8/1992, Le Monde du 20/5/1994
et Réforme du 28/5/1994.
[15] N. Viallaneix, Ecoute, Kierkegaard : Essai sur la communication
et la parole, Paris, Cerf, 1979.
[16] V. Eller, « Ellul and Kierkegaard : closer than brothers
», in Jacques Ellul : Interpretive Essays, Christians and
Van Hook, University of Illinois Press, Chicago, 1981, pp.52-66.
[17] Comme l’ont fait à des degrés divers P.
de Senarclens, Le Mouvement « Esprit » 1932-1941, Lausanne,
L’Age d’homme, 1974 ; B-H. Lévy, L’idéologie
française, Paris, Grasset, 1981 ; Z. Sternhell, Ni droite
ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Paris, Seuil,
1983 et J. Hellman, Emmanuel Mounier and the Catholic Left. 1930-1950,
Toronto University Press, 1981. Pour une mise au point cf M. Winock,
Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Paris,
Seuil, 1990.
[18] Cf sur ce point M. Winock, Histoire politique de la revue
« Esprit ». 1930-1950, Paris, Seuil, 1975, p.161.
[19] Les non-conformistes des années 30. Une tentative de
renouvellement de la pensée politique française, Paris,
Seuil, 1969, p.28.
[20] Entretien avec Bernard Charbonneau du 24/7/1993.
[21] Le bandeau publicitaire entourant le premier numéro
d’Esprit indiquait : « La revue de la génération
nouvelle. » A l’intérieur, page 129, on pouvait
également lire ceci : « L’origine de notre accord
est une commune impossibilité de vivre. »
[22] Titre d’un ouvrage de Henri Daniel-Rops (1901-1965)
publié en décembre 1932. Historien et romancier personnaliste
proche de l’Ordre nouveau.
[23] Cette organisation paramilitaire, fondée par Pierre
Taittinger en 1924, qui faisait défiler ses troupes en imperméables
bleus et bérets basques, prendra une part active aux émeutes
du 6 février 1934. Robert Soucy la range dans la famille
du « fascisme centriste » in « Centrist Fascism
: The Jeunesses patriotes », Journal of Contemporary History,
n°2, avril 1981, p.349-368.
[24] Il votera pour les candidats du Front populaire aux législatives
de 1936, bien qu’il ait varié sur ce point en déclarant
n’avoir jamais voté de sa vie. Cf P. Chastenet, Entretiens
avec Jacques Ellul, Paris, La Table ronde, 1994, p.130.
[25] On retrouve, par exemple, dans ses tous premiers textes une
forte hostilité à l’égard des Croix de
feu du colonel de La Rocque dont il dénonce le « vide
intégral de sa pensée ».
[26] Sa grand-mère paternelle était serbe, descendante
des Obrenovic, son grand-père était italien mais originaire
de Malte, et son père, natif de Trieste, était à
la fois citoyen autrichien et sujet britannique. Quant à
sa mère, elle était la fille d’une Française
et d’un Portugais du nom de Mendès.
[27] La formule est de Denis de Rougemont (1906-1985), protestant
suisse de tendance barthienne, l’un des principaux fondateurs
d’Esprit et de l’Ordre nouveau, auteur notamment de
Politique de la personne (1934), Penser avec les mains (1936), L’Amour
et l’Occident (1939). Partisan inlassable de la construction
européenne et militant fédéraliste convaincu,
en 1976 il fondera également l’association écologique
européenne ECOROPA, en compagnie de divers personnalités
comme Jean-Marie Pelt, René Dumont, Edward Goldsmith, Edouard
Kressmann et Jacques Ellul.
[28] Il faut toutefois souligner que si Ellul publiera dans Esprit
et non dans l’Ordre nouveau, il rencontrera Alexandre Marc
et Denis de Rougemont dont il partagera les conceptions fédéralistes.
En outre, il sera nettement influencé par le tandem Aron/Dandieu,
les deux principaux théoriciens de la revue concurrente de
celle de Mounier.
[29] A l’exception de deux d’entre eux transmis directement
par Jacques Ellul, l’universitaire américaine Joyce
Main Hanks m’a aimablement communiqué une copie de
ces textes à tirage très limité.
[30] Esprit, 1er juin 1934, n°21, pp. 518-519.
[31] Souligné par nous.
[32] Composé de 16 feuillets dactylographiés, tiré
sur une pierre à polycopier par Jacques Ellul lui-même,
et vendu 1 franc 50, ce journal n’est pas daté. Dans
A temps et à contretemps, Entretiens avec Madeleine Garrigou-Lagrange,
Paris, Le Centurion, 1981, p.36, il situe cette parution «
vers 1934 ». Ce texte de près de quinze feuillets faisant
référence à une « course à l’adhésion
entre Front populaire et Front national », on rappellera que
la première manifestation en France de ce Rassemblement populaire
a eu lieu le 14 juillet 1935.
[33] Souligné par nous.
[34] Ces personnes nous évoquent la figure énigmatique
des « quelques uns » du Discours de la servitude volontaire,
qui malgré l’existence d’une tyrannie généralisée
ont su garder le goût de la liberté. Cette minorité
d’hommes, précise Etienne de la Boétie, a «
l’entendement net et l’esprit clairvoyant ». Oeuvres
complètes d’Etienne de la Boétie, présentées
par Louis Desgraves, Bordeaux, William Blake and Co, 1991 ; Discours
de la servitude volontaire, Miguel Abensour et Marcel Gauchet, Paris,
Payot, 1976.
[35] Le terme de « révolution nécessaire »
figure déjà dans R. Aron et A. Dandieu, Décadence
de la nation française, Paris, Rieder, 1931, avant de devenir
le titre de leur maître livre (Paris, Grasset, 1933) et semble
constituer un des lieux communs de la littérature personnaliste
des années 30.
[36] Tout ceci étant revendiqué en pleine période
d’exaltation nationaliste, puisqu’au fascisme italien
et au nazisme allemand répondent, en France, toute une gamme
de partis et ligues débordant largement le cadre du simple
patriotisme.
[37] Jacques Ellul datait de 1935 ce texte de quinze feuillets
et prétendait l’avoir rédigé avant Le
manifeste au service du personnalisme publié par Mounier
en 1936. Pour sa part, le chercheur canadien Christian Roy situe
sa parution durant l’hiver 1937. Par ailleurs, après
la mort de leur père, les enfants en ont retrouvé
le manuscrit original faisant apparaître que ce texte est
entièrement de la main d’Ellul avec des corrections
de Charbonneau.
[38] En France, car aux Etats-Unis son livre majeur The Technological
Society ne sera publié qu’en 1964 par le grand éditeur
new-yorkais Alfred A. Knopf.
[39] Cette thèse sera développée ultérieurement
dans « Le fascisme, fils du libéralisme », Esprit,
vol.5, n°53, 1er février 1937, pp.761-797.
[40] Jacques Ellul a développé ce thème dans
un texte intitulé « La formation des villes modernes
» qu’il datait de 1935.
[41] Telle qu’on la retrouve chez G. Duhamel, Scènes
de la vie future, Paris, Le Mercure de France, 1930 et sous forme
moins caricaturale chez R. Aron et A. Dandieu, Le cancer américain,
Paris, Rieder, 1931.
[42] Ultérieurement, Ellul définira la technique
ainsi : « la recherche du meilleur moyen dans tous les domaines
» ou « l’ensemble des moyens absolument les plus
efficaces à un moment donné ». Dans sa note
au lecteur de The Technological Society, il en donnera la définition
suivante : « technique is the totality of methods rationally
arrived at and having absolute efficiency in every field of human
activity ».
[43] Par universalisme, les auteurs du manifeste entendent le triomphe
d’un modèle unique de civilisation, autrement dit l’américanisation
de la société.
[44] On doit à J. Jacob, Les sources de l’écologie
politique, Paris, Arléa-corlet, 1995, l’une des présentations
les plus superficielles et malveillantes de l’œuvre d’Ellul
encore jamais publiées à ce jour.
[45] La notion de service civil figurait déjà chez
Aron et Dandieu. Avant eux, Alexandre Marc évoquait la création
d’un « service social obligatoire » destiné
à absorber le résidu du travail prolétarien.
Cf La machine contre le prolétaire, « Esprit »,
10, 1er juillet 1933, p.602.
[46] Sur ce point, il faudrait pouvoir connaître non pas
la datation exacte du manifeste mais au moins déterminer
s’il est antérieur ou non aux accords Matignon et à
la loi du 21 juin 1936 instituant la semaine de quarante heures.
[47] Considéré par l’historien canadien Christian
Roy « comme la première proposition occidentale moderne
d’une limitation volontaire de la croissance économique.
», art.cit.p.83.
[48] Pour Aron et Dandieu y compris, le progrès technique
permettra la libération de l’homme après «
les erreurs et les vices de transition du machinisme ». Alexandre
Marc n’ira pas jusqu'à écrire que « la
technique moderne, bien employée, permet de supprimer le
prolétariat » in La révolution nécessaire,
op.cit.p.260 mais il insistera sur les vertus potentielles du machinisme.art.cit.pp598-603.
Quant à Mounier, il n’hésitera pas à
prophétiser que le machinisme « libérera l’homme
de tous les travaux automatiques » et suscitera une baisse
générale des prix qui « permettra à tous
ce minimum de bien-être nécessaire à une vie
spirituelle » in Quelques conclusions, « Esprit »,
10, 1er juillet 1933, p.635.
[49] L’économie, maîtresse ou servante de l’homme,
L. Maire, J. Ellul et al., Pour une économie à la
taille de l’homme, Genève, Roulet, 1947, pp.43-58.
[50] Ivan Illich est l’un des rares à avoir reconnu
publiquement et revendiqué expressément cette filiation.
[51] Op.cit.p.165.
[52] S. Moscovici in J-P. Ribes, Pourquoi les écologistes
font-ils de la politique ?, Paris, Seuil, 1978, p.67.
[53] op.cit. p.46.
[54] T. Roszack, L’Homme planète, Paris, Stock, 1980.
[55] J. Dorst, Avant que nature meure, Neuchâtel, Delachaux
et Niestlé, 1965.
Patrick Chastenet
Ce texte a été publié sous le titre de "
Jacques Ellul : précurseur de l'écologie politique
?", Ecologie et Politique, N°22, Printemps 1998, p.105-119.
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