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L'autre comme support illusoire de nos boues intérieures
Dr Bernard Auriol


Le lien d'origine : http://auriol.free.fr/psychanalyse/peur.htm

Étymologie

L'étymologie du mot "peur" nous renvoie à l'action qui l'engendre : battre. Ce renvoi du passif à l'actif est typique de notre sujet d'aujourd'hui.

Ayant supporté d'être battus, il arrive à certains parents de voir, parfois, en leur enfant l'incarnation du mal qu'ils veulent détester. Du coup ils se mettent, à leur tour, à battre. A leur corps défendant !

Gardons nous de limiter la portée de cette constatation ! Les peurs qui nous viennent d'autrefois, nous pouvons les expulser, les détruire : par exemple en voyant chez l'autre ce que nous réprouvons le plus. Ce que nous ne voulons surtout pas éprouver !

Dr. Jekyll And Mr. Hyde

Rappelons nous Dr. Jekyll et Mr Hyde ! Le savant et vertueux Dr Jekyll a acquis les connaissances biologiques qui lui permettent sa métamorphose en Mr Hyde, homme de l'ombre, lascif et sadique sans scrupule. Il s'agit bien d'un autre qui n'est toujours que lui-même ! L'incarnation de la nature inférieure du Dr Jekyll ! Du ça comme il est dit chez Freud. Lui donner du pouvoir aboutit à ce que ça prenne LE pouvoir, gagne et contrôle toute la personnalité fragmentée de son créateur !

L'Ombre de Jung

Le psychologue Carl Gustav JUNG [1] remarque " De deux choses l'une, nous connaissons notre ombre ou ne la connaissons pas; dans ce dernier cas nous avons fréquemment un ennemi personnel sur lequel nous projetons notre ombre, dont nous le chargeons gratuitement, qui la détient à nos yeux comme si c'était la sienne, et auquel en incombe l'entière responsabilité; c'est notre bête noire, que nous vilipendons et à laquelle nous reprochons tous les défauts, toutes les noirceurs et tous les vices qui sont en propre les nôtres! Nous devrions prendre une bonne part des reproches dont nous accablons autrui! Au lieu de cela, nous agissons comme s'il nous était possible ainsi de nous libérer de notre ombre; c'est l'éternelle histoire de la paille et de la poutre. [2]"

Méconnaissance de Soi : La Projection

Il nous arrive d'envoyer sur autrui, jouant le rôle d'écran, l'image de ce qui existe en nous de façon inconsciente, sur la base des indices que nous pouvons trouver chez l'autre de ce que nous tenons à méconnaitre en nous-même. Que nous tenons à méconnaitre ou même à expulser totalement, à rendre entièrement étranger à notre propre substance. Il s'agit de rejeter au-dehors ce qu'on refuse de reconnaître en soi-même ou dans son groupe d'appartenance. Ceci, peut-être, pour mieux s'identifier à quelque égrégore collective (ethnique, nationale, socio-politique, spirituelle, sportive, etc...).

Cette méconnaissance organisée a reçu de Freud, qui en a découvert le mécanisme, le nom de censure. La censure peut-être intérieure ou extérieure. Intérieur et extérieur peuvent se méler, échanger leur champ de réalité, gagner en confusion.

Le sujet se défend de ses propres désirs en les imputant à l'autre. Il détourne ainsi son attention de son propre inconscient, la déplace sur l'inconscient d'autrui, avec parfois une bonne perspicacité, d'autant plus aiguisée qu'est importante la méconnaissance de soi. De ce fait il est parfois impossible et généralemnt inefficace de chercher à lui montrer qu'il se trompe !...

Le paradigme d'étrangeté

Le bébé forme un attachement fort à une personne particulière qui se manifeste vers l'âge de sept mois sous la forme d'une peur des "étrangers [3]" ou des situations étranges.

Bowlby, Mary Ainsworth et d'autres chercheurs ont étudié ces phénomènes de manière expérimentale. Des enfants entre un et deux ans furent présentés à des "étrangers [4]" ou furent brièvement séparés de leur mère. On observa leurs réactions aussi bien à la séparation qu'à la réunion.

D'une façon générale,

* l'enfant confiant et en sécurité explore activement en présence de sa mère, réduit son exploration et cherche à se rapprocher d'elle en présence d'un "étranger [5]", abandonne ses explorations et manifeste de la détresse en l'absence de sa mère et recherche le contact avec elle si on les réunit à nouveau.
* l’enfant dans l'insécurité a plutôt tendance à éviter sa mère et agit de façon ambigüe ou coléreuse lors des retrouvailles...

Plus que tout autre figure de l'insolite et de l'étrange, nous redoutons le changement sans raison connue, magique et sournois... La peur du changement est universellement répandue : la mort, l'imprévu ou simplement le temps qui passe en sont les avatars.

Manges, tu ne sais pas qui te mangera !

Le bébé, déjà auparavant, dans sa passion dévoratrice pour le sein (ou le biberon ? ) n'a-t-il pas craint, qu'à côté de cette mère bienfaisante qu'il connaît, n'existe une épouvantable ogresse aussi dévoratrice que lui et prête à l'engloutir ?

Les psychanalystes anglais qui défendent cette idée sont de bons observateurs ! Leur théorie nous instruit sur le besoin que nous avons de catégoriser rigidement tel ou tel groupe d'individus. Nous nous mettons à les regarder comme des êtres dangereux qu'il devient "nécessaire" d'exterminer ! Il en va ainsi lorsque nous devenons foule et que nous créons la rumeur…

La phobie de l'autre est une peur de soi ! "Le moi se comporte comme si le danger de développer angoisse ne venait pas d'une motion pulsionnelle, mais d'une perception [6]".

Nos boues intérieures, notre caca, si vous me le permettez, nous voulons, nous avons besoin de les extérioriser. Non seulement de les extérioriser, mais aussi de nous en assurer, de les vérifier, de les considérer, de les étaler peut-être ! Si ce caca est trop nauséabond à notre goût, nous l'étalerons sur l'autre duquel une particularité simple nous permet de nous différencier nettement (par exemple : appartenance ethnique, politique ou religieuse, séro-positivité, homosexualité, handicap visible, nomadisme, etc...)

Collectivisation de la haine projective

Le sujet en arrive à attribuer à l'autre des pensées, des intentions ou même des paroles qui sont en réalité les siennes propres. Avant tout surgit le soupçon. Au besoin ce phénomène s'exacerbe pour transformer le voisin en image démoniaque, suppôt de Satan ou sale race... Pour peu que de tels phénomènes appartiennent à plusieurs individus au contact les uns des autres, l'aversion devient de la haine, la peur se change en panique, le soupçon devient rumeur, les souhaits méchants passent au crime collectif : lynchage, pogroms, camps de la mort...

L'identification au Collectif : ses conséquences [7]

Il se pourrait que cette collectivisation de la haine soit l'aboutissement d'une sorte de pente naturelle, celle de l'identification à un groupe massif ! Nous en voyons autour de nous les effets, même après que nous ayons laissé derrière nous le nazisme, les colonies et la guerre froide ...

En effet, lorsque se crée une identité collective compacte, on assiste à un estompage de l'individu que souligne fortement G. Devereux [8] : "l'acte de formuler et d'assumer une identité collective massive et dominante - et cela quelle que soit cette identité - constitue le premier pas vers une renonciation défensive à l'identité réelle. Si l'on n'est rien qu'un spartiate, un capitaliste, un prolétaire ou un bouddhiste, on est bien près de n'être rien du tout et donc de ne pas être du tout."

Une deuxième conséquence en est le narcissisme des petites différences que Freud [9] a stigmatisé en ces termes "il est toujours possible d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en reste d'autres, en dehors pour recevoir les coups".

Eugène Enriquez insiste sur une troisième conséquence "plus une culture s'unifie autour d'un mythe ou d'une idéologie non contestable, plus elle devient intolérante à toute autre culture".

Ambivalence de la Peur

C'est ce dont nous avons le plus besoin pour affronter les avenues incertaines du futur que nous rejetons avec le plus de vigueur, avec le plus de terreur : les gages impénétrables de ce et de ceux qui interdiraient notre stagnation cadavérique dans les avenues pétrifiées de notre passé. Peut-être ne l'ignorons-nous pas tout à fait : la peur est liée au désir, elle est pleine d'ambivalence [10].

Bernard AURIOL intervention au Grep le 16 septembre 1994


[1] dont il faut souligner qu'il n'a en aucune façon adhéré à l'infamie nazie, comme l'a maintes fois démontré son traducteur et ami le Dr Roland CAHEN (qui a lui même subi l'exil en raison de sa judéité)...

[2] C.G.Jung : L'homme à la découverte de son âme, Ed.Mont-Blanc, 4° éd., p.380

[3] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris au sens de "non familier".

[4] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris au sens de "non familier".

[5] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris au sens de "non familier".

[6] S. Freud : Das Unbewusste, 1915 in "Metapsychologie", Gallimard, 1952, pp.126. et in Oeuvres Complètes, XIII, PUF pp.205 sq.

[7] Cf. Le sujet humain : de la clôture identitaire à l'ouverture au monde par Eugène Enriquez in L'Inconscient et la Science (ouvrage collectif de Dorey, Castoriadis, Enriquez, Thom, Ménéchal, Fridman, Berquez, Green), Dunod, 1991.

[8] cf. Devereux "Essais d'ethnopsychiatrie générale", Gallimard, 1970 & "Ethnopsychanalyse complémentariste", Flammarion, 1985 (cités par Enriquez).

[9] S.Freud "Malaise dans la civilisation",PUF (1929, 1971).

[10] S. Kubrick : Fear and Desire - 1953


Le lien d'origine : http://auriol.free.fr/psychanalyse/peur.htm