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Étymologie
L'étymologie du mot "peur" nous renvoie à l'action
qui l'engendre : battre. Ce renvoi du passif à l'actif est typique
de notre sujet d'aujourd'hui.
Ayant supporté d'être battus, il arrive à certains
parents de voir, parfois, en leur enfant l'incarnation du mal qu'ils
veulent détester. Du coup ils se mettent, à leur tour,
à battre. A leur corps défendant !
Gardons nous de limiter la portée de cette constatation ! Les
peurs qui nous viennent d'autrefois, nous pouvons les expulser, les
détruire : par exemple en voyant chez l'autre ce que nous réprouvons
le plus. Ce que nous ne voulons surtout pas éprouver !
Dr. Jekyll And Mr. Hyde
Rappelons nous Dr. Jekyll et Mr Hyde ! Le savant et vertueux Dr Jekyll
a acquis les connaissances biologiques qui lui permettent sa métamorphose
en Mr Hyde, homme de l'ombre, lascif et sadique sans scrupule. Il s'agit
bien d'un autre qui n'est toujours que lui-même ! L'incarnation
de la nature inférieure du Dr Jekyll ! Du ça comme il
est dit chez Freud. Lui donner du pouvoir aboutit à ce que ça
prenne LE pouvoir, gagne et contrôle toute la personnalité
fragmentée de son créateur !
L'Ombre de Jung
Le psychologue Carl Gustav JUNG [1] remarque " De deux choses l'une,
nous connaissons notre ombre ou ne la connaissons pas; dans ce dernier
cas nous avons fréquemment un ennemi personnel sur lequel nous
projetons notre ombre, dont nous le chargeons gratuitement, qui la détient
à nos yeux comme si c'était la sienne, et auquel en incombe
l'entière responsabilité; c'est notre bête noire,
que nous vilipendons et à laquelle nous reprochons tous les défauts,
toutes les noirceurs et tous les vices qui sont en propre les nôtres!
Nous devrions prendre une bonne part des reproches dont nous accablons
autrui! Au lieu de cela, nous agissons comme s'il nous était
possible ainsi de nous libérer de notre ombre; c'est l'éternelle
histoire de la paille et de la poutre. [2]"
Méconnaissance de Soi : La Projection
Il nous arrive d'envoyer sur autrui, jouant le rôle d'écran,
l'image de ce qui existe en nous de façon inconsciente, sur la
base des indices que nous pouvons trouver chez l'autre de ce que nous
tenons à méconnaitre en nous-même. Que nous tenons
à méconnaitre ou même à expulser totalement,
à rendre entièrement étranger à notre propre
substance. Il s'agit de rejeter au-dehors ce qu'on refuse de reconnaître
en soi-même ou dans son groupe d'appartenance. Ceci, peut-être,
pour mieux s'identifier à quelque égrégore collective
(ethnique, nationale, socio-politique, spirituelle, sportive, etc...).
Cette méconnaissance organisée a reçu de Freud,
qui en a découvert le mécanisme, le nom de censure. La
censure peut-être intérieure ou extérieure. Intérieur
et extérieur peuvent se méler, échanger leur champ
de réalité, gagner en confusion.
Le sujet se défend de ses propres désirs en les imputant
à l'autre. Il détourne ainsi son attention de son propre
inconscient, la déplace sur l'inconscient d'autrui, avec parfois
une bonne perspicacité, d'autant plus aiguisée qu'est
importante la méconnaissance de soi. De ce fait il est parfois
impossible et généralemnt inefficace de chercher à
lui montrer qu'il se trompe !...
Le paradigme d'étrangeté
Le bébé forme un attachement fort à une personne
particulière qui se manifeste vers l'âge de sept mois sous
la forme d'une peur des "étrangers [3]" ou des situations
étranges.
Bowlby, Mary Ainsworth et d'autres chercheurs ont étudié
ces phénomènes de manière expérimentale.
Des enfants entre un et deux ans furent présentés à
des "étrangers [4]" ou furent brièvement séparés
de leur mère. On observa leurs réactions aussi bien à
la séparation qu'à la réunion.
D'une façon générale,
* l'enfant confiant et en sécurité explore activement
en présence de sa mère, réduit son exploration
et cherche à se rapprocher d'elle en présence d'un "étranger [5]",
abandonne ses explorations et manifeste de la détresse en l'absence
de sa mère et recherche le contact avec elle si on les réunit
à nouveau.
* l’enfant dans l'insécurité a plutôt tendance
à éviter sa mère et agit de façon ambigüe
ou coléreuse lors des retrouvailles...
Plus que tout autre figure de l'insolite et de l'étrange, nous
redoutons le changement sans raison connue, magique et sournois... La
peur du changement est universellement répandue : la mort, l'imprévu
ou simplement le temps qui passe en sont les avatars.
Manges, tu ne sais pas qui te mangera !
Le bébé, déjà auparavant, dans sa passion
dévoratrice pour le sein (ou le biberon ? ) n'a-t-il pas craint,
qu'à côté de cette mère bienfaisante qu'il
connaît, n'existe une épouvantable ogresse aussi dévoratrice
que lui et prête à l'engloutir ?
Les psychanalystes anglais qui défendent cette idée sont
de bons observateurs ! Leur théorie nous instruit sur le besoin
que nous avons de catégoriser rigidement tel ou tel groupe d'individus.
Nous nous mettons à les regarder comme des êtres dangereux
qu'il devient "nécessaire" d'exterminer ! Il en va
ainsi lorsque nous devenons foule et que nous créons la rumeur…
La phobie de l'autre est une peur de soi ! "Le moi se comporte
comme si le danger de développer angoisse ne venait pas d'une
motion pulsionnelle, mais d'une perception [6]".
Nos boues intérieures, notre caca, si vous me le permettez,
nous voulons, nous avons besoin de les extérioriser. Non seulement
de les extérioriser, mais aussi de nous en assurer, de les vérifier,
de les considérer, de les étaler peut-être ! Si
ce caca est trop nauséabond à notre goût, nous l'étalerons
sur l'autre duquel une particularité simple nous permet de nous
différencier nettement (par exemple : appartenance ethnique,
politique ou religieuse, séro-positivité, homosexualité,
handicap visible, nomadisme, etc...)
Collectivisation de la haine projective
Le sujet en arrive à attribuer à l'autre des pensées,
des intentions ou même des paroles qui sont en réalité
les siennes propres. Avant tout surgit le soupçon. Au besoin
ce phénomène s'exacerbe pour transformer le voisin en
image démoniaque, suppôt de Satan ou sale race... Pour
peu que de tels phénomènes appartiennent à plusieurs
individus au contact les uns des autres, l'aversion devient de la haine,
la peur se change en panique, le soupçon devient rumeur, les
souhaits méchants passent au crime collectif : lynchage, pogroms,
camps de la mort...
L'identification au Collectif : ses conséquences [7]
Il se pourrait que cette collectivisation de la haine soit l'aboutissement
d'une sorte de pente naturelle, celle de l'identification à un
groupe massif ! Nous en voyons autour de nous les effets, même
après que nous ayons laissé derrière nous le nazisme,
les colonies et la guerre froide ...
En effet, lorsque se crée une identité collective compacte,
on assiste à un estompage de l'individu que souligne fortement
G. Devereux [8] : "l'acte de formuler et d'assumer une identité
collective massive et dominante - et cela quelle que soit cette identité
- constitue le premier pas vers une renonciation défensive à
l'identité réelle. Si l'on n'est rien qu'un spartiate,
un capitaliste, un prolétaire ou un bouddhiste, on est bien près
de n'être rien du tout et donc de ne pas être du tout."
Une deuxième conséquence en est le narcissisme des petites
différences que Freud [9] a stigmatisé en ces termes "il
est toujours possible d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour
une plus grande masse d'hommes, à la seule condition qu'il en
reste d'autres, en dehors pour recevoir les coups".
Eugène Enriquez insiste sur une troisième conséquence
"plus une culture s'unifie autour d'un mythe ou d'une idéologie
non contestable, plus elle devient intolérante à toute
autre culture".
Ambivalence de la Peur
C'est ce dont nous avons le plus besoin pour affronter les avenues
incertaines du futur que nous rejetons avec le plus de vigueur, avec
le plus de terreur : les gages impénétrables de ce et
de ceux qui interdiraient notre stagnation cadavérique dans les
avenues pétrifiées de notre passé. Peut-être
ne l'ignorons-nous pas tout à fait : la peur est liée
au désir, elle est pleine d'ambivalence [10].
Bernard AURIOL intervention au Grep le 16 septembre 1994
[1] dont il faut souligner qu'il n'a en aucune façon adhéré
à l'infamie nazie, comme l'a maintes fois démontré
son traducteur et ami le Dr Roland CAHEN (qui a lui même subi
l'exil en raison de sa judéité)...
[2] C.G.Jung : L'homme à la découverte de son âme,
Ed.Mont-Blanc, 4° éd., p.380
[3] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris
au sens de "non familier".
[4] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris
au sens de "non familier".
[5] Le terme d'étranger doit bien sûr être compris
au sens de "non familier".
[6] S. Freud : Das Unbewusste, 1915 in "Metapsychologie",
Gallimard, 1952, pp.126. et in Oeuvres Complètes, XIII, PUF pp.205
sq.
[7] Cf. Le sujet humain : de la clôture identitaire à
l'ouverture au monde par Eugène Enriquez in L'Inconscient et
la Science (ouvrage collectif de Dorey, Castoriadis, Enriquez, Thom,
Ménéchal, Fridman, Berquez, Green), Dunod, 1991.
[8] cf. Devereux "Essais d'ethnopsychiatrie générale",
Gallimard, 1970 & "Ethnopsychanalyse complémentariste",
Flammarion, 1985 (cités par Enriquez).
[9] S.Freud "Malaise dans la civilisation",PUF (1929, 1971).
[10] S. Kubrick : Fear and Desire - 1953
Le lien d'origine :
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