Origine : http://www.la-presse-anarchiste.net/spip/spip.php?article1671
La réflexion sur l’autogestion est plus que jamais
d’actualité. Depuis quelque temps, nombre de groupes
ou organisations ouvrières se sont penchés sur ce
problème et, dans certains cas, ont même porté
la gestion directe de l’entreprise par les travailleurs au
nombre des points de leur programme. Le débat qui est en
cours à la CFDT, au PSU, aux Centres d’initiative communiste,
voire dans des organisations réformistes telles que le Parti
socialiste, a donc largement dépassé le cadre restreint
des minorités ultra-gauche malgré les ambiguïtés
que peut recouvrir le terme d’autogestion. De la discussion
naîtra une plus juste intelligence des problèmes posés
actuellement par la gestion directe, compte tenu des expériences
révolutionnaires passées.
À la suite du travail sur les collectivités espagnoles
que nous présentons dans ce numéro, nous avons choisi
de reproduire un texte émanant de camarades espagnols qui
publient la revue clandestine « Tribuna libertaria ».
Ce texte a été précédemment publié
dans le n°11 de « Solidarité ouvrière »
(mars 1972), BP 31, 78 -Saint-Cyr-l’Ecole.
Les structures de l’autogestion, contrairement aux
structures capitalistes et socialistes autoritaires, reposent sur
la prise en main de la totalité des mécanismes sociaux
par l’ensemble de la collectivité.
L’autogestion ne peut admettre une division hiérarchique
des tâches conduisant, dans un délai plus ou moins
long, à la formation d’une caste dirigeante. C’est
dans cet esprit qu’est appliquée la révocabilité
permanente : il n’y a pas de dirigeants sinon des responsables
désignés par l’ensemble des travailleurs et
révocables à tout moment. L’autogestion repose
donc sur le principe de la démocratie directe.
L’autogestion ne doit pas uniquement se réaliser dans
le secteur économique mais englober la totalité des
activités de la vie. Si les producteurs doivent se regrouper
en conseils ouvriers et paysans au niveau de l’entreprise,
de l’industrie et du secteur économique, la population
— qui représente l’ensemble des consommateurs
— doit parallèlement substituer ses organismes locaux,
régionaux, nationaux et internationaux aux fonctions directrices
de l’État.
Ce n’est qu’ainsi que peuvent être liquidées
les superstructures capitalistes ou bureaucratiques. Le désintérêt,
l’abandon des pouvoirs de décision, à l’égard
des mécanismes économiques et sociaux, par les producteurs,
font le jeu au premier chef de la classe dirigeante actuelle ou
à venir.
L’actuelle tendance de l’accroissement des différences
entre les salaires, tant en régime capitaliste qu’en
régime socialiste autoritaire, doit être renversée
afin de ne pas perpétuer ou créer des inégalités
sociales et éviter qu’une classe ou un secteur de la
population ne s’approprie une part démesurée
de l’ensemble des biens. Seule la disparition des classes
privilégiées peut nous conduire à la disparition
effective des classes sociales et être la voie vers une société
communiste libertaire. Le développement des techniques (cybernétique
et automatisation) nous permet actuellement d’entrevoir la
mise en pratique de l’autogestion.
Collectivisation sans étatisation
Cette autogestion et la planification fédéraliste
correspondante exigent la suppression de la propriété
privée des moyens de production, de distribution, d’information,
etc., et ne doivent pas se réaliser au profit de l’État.
Le passage de la propriété privée à
la propriété sociale doit s’effectuer directement
par la prise en main de la gestion de l’appareil économique
par les travailleurs — l’équipement social passant
sous le contrôle direct de l’ensemble des producteurs.
Les entreprises et la terre ne peuvent appartenir à des
individus particuliers, à une couche de la population, mais
à tous. Elles doivent être placées sous la responsabilité
et la gestion de la collectivité qui y travaille. La collectivisation
au nom de la société se voit ainsi accompagnée
de la remise de tout l’appareil économique aux conseils
ouvriers et paysans, aux collectivités locales. Le but est
de liquider le rôle moteur et stimulant de l’intérêt
privé et du profit (même sous forme coopérativiste)
et d’y substituer l’émulation socialiste.
Cela suppose une éducation révolutionnaire d’un
niveau élevé et différente de celle prodiguée
par une société de classes ou par l’État.
Internationalisme
Une telle révolution, sous peine d’être asphyxiée,
doit reposer sur l’internationalisme.
La disparition des États nationaux ne peut s’effectuer,
d’une part, que par la création de services et d’institutions
révolutionnaires au niveau international et, d’autre
part et parallèlement, par la décentralisation des
structures nationales en se basant sur les cadres régionaux
et locaux les plus proches de l’individu.
Les travailleurs doivent coordonner leur action par-delà
les frontières et faire éclater les barrières
politiques et mentales qui sont de simples conséquences de
l’histoire.
Par-delà les patries moribondes, les travailleurs eux-mêmes
doivent édifier le monde socialiste. Il n’y a plus
de politiques nationales convenables à l’époque
des grandes unions continentales et d’une vie planétaire.
La disparition d’États nationaux voisins — par
exemple pour l’Europe — est un fait positif car leurs
populations vivent dans un même ensemble géographique.
Mais cela n’entraîne pas pour autant la fin des inégalités
économiques.
Le plus grand problème de l’humanité est celui
de la disparité extrêmement grande entre le niveau
de vie des sociétés « évoluées
» et celui des masses continentales sous-développées.
Cela ne pourra être résolu que par une redistribution
planétaire des biens des peuples ayant « bénéficié
» du développement économique au profit des
peuples qui ont été victimes de l’exploitation
impérialiste et coloniale.
Tout soulèvement populaire, en tout point du globe, doit
recevoir la solidarité active de tous les travailleurs —
et à plus forte raison quand un tel soulèvement mène
à une alternative réellement révolutionnaire.
La révolution ne peut être qu’internationaliste,
par le renfort et l’appui qu’elle reçoit et qu’elle
offre.
(In « Tribuna libertaria », n° 5, janvier-février
1972, revue clandestine éditée en Espagne.)
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