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origine http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/14791/1/HERMES_2000_26-27_345.pdf
René Lourau, né le 26 août 1933 à Gelos,
près de Pau, est mort entre Rambouillet et Paris, le mardi
11 janvier 2000, dans le train qui le conduisait à l'Université
de Paris 8 où il était professeur émérite
de sociologie et de sciences de l'éducation. Sa carrière
est liée, à la fois comme praticien et comme chercheur,
au mouvement dela pédagogie institutionnelle et de l'autogestion
pédagogique (il a été fondateur du Groupe de
pédagogie institutionnelle en 1964 avec Raymond Fonvieille,
Michel Lobrot et Georges Lapassade).
Théoricien de l'analyse institutionnelle
Alors que R. Lourau est encore professeur de français en
lycée, Georges Lapassade lui suggère de faire la théorie
de l'analyse institutionnelle qu'ils sont en train d'expérimenter
sur le terrain de l'intervention alors que Félix Guattari
etJean Oury l'élaborent au même moment sur le terrain
de la psychothérapie institutionnelle.... Inspiré
par les idées autogestionnaires qui viennent de Yougoslavie
dans les années 1960, par les idées non directives
de Carl Rogers, la recherche-action et la dynamique des groupes
de Kurt Lewin... en tant qu'assistant de sociologie à Nanterre
(où il est appelé en 1966 par Henri Lefebvre), René
Lourau devient un militant impliqué, mais distancié
du Mouvement de 1968. Il soutient sa thèse d'état
à Nanterre, L'analyse institutionnelle en 1969. Dans ce livre,
proche des perspectives de C. Castoriadis, il tente de dialectiser
le concept d'institution, le rendant dynamique, c'est-à-dire
lieu d'affrontement entre l'instituant et l'institué
1 .
Lecteur de Mühlmann, R. Lourau pense que le phénomène
d'institutionnalisation traverse toute la société
et opère une réification, une bureaucratisation de
toute prophétie. Il est fidèle à cette idée
jusqu'à sa mort puisqu'il coordonnait un numéro 4
des Cahiers de Vimplication (revue qu'il venait de créer)
sur le thème de L'institutionnalisation. Michel Authier,
ami de R. Lourau, discute avec passion cette théorie dans
un ouvrage récent : Pays de connaissances (Paris, Éd.
du Rocher, 1998).
Dans l'un de ses derniers livres, La clé deschamps, introduction
à l'analyse institutionnelle, R. Lourau renouvelle beaucoup
sa manière de Contextualiser l'analyse institutionnelle qu'il
inscrit.
Un socianalyste pédagogue
R. Lourau n'est pas un pur théoricien. Il pratique la socianalyse,
analyse institutionnelle en situation d'intervention, qui met en
présence un collectif institutionnel en crise et des interve-
nants qui travaillent à partir de l'analyse de la transversalité
de cette situation d'analyse. On met à jour les implications
des uns et des autres dans le dispositif, en étant disponible
aux analyseurs qui surgissent. L'analyseur est ce qui fait parler
l'institution, la dévoile. L'originalité de cette
méthode est d'articuler les niveaux groupai, organisationnel
et institutionnel, en analysant l'imbrication de l'affectif, du
système idéologique et la base matérielle et
financière du fonctionnement d'un établissement.
Avec G. Lapassade, R. Lourau forme plusieurs générations
d'institutionnalistes, notamment à partir de 1974 à
Vincennes, puis à Saint-Denis, où R. Lourau est professeur
de sociologie. Pédagogue non directif, il devient un grand
directeur de thèses. Il accueille des étudiants du
monde entier. Lui-même est beaucoup invité dans les
pays latins où ses livres sont traduits systématiquement.
Beaucoup de ses anciens étudiants sont aujourd'hui des universitaires
présents dans de très nombreux pays aussi bien en
sociologie qu'en sciences politiques et surtout en sciences de l'éducation.
L'exploration du journal de recherche
A la suite des ethnologues ou des littéraires, R. Lourau
pratique le diarisme. Mais, comme le souligne Philippe Lejeune dans
le numéro de janvier 2000 de Sciences humaines, consacré
aux Récits de vie, R. Lourau ne se contente pas d'écrire
son propre journal, il en fait la théorie et la pédagogie.
Il invite ses étudiants àtenir leur propre journal
de recherche. Il pousse ses collègues à se lancer
dans cette aventure 2 .
Dans Lejournal de recherche, matériauxpour une théoriedel'implication,
R. Lourau montre l'importance du « hors texte » dans
les sciences humaines, thème qu'il reprend dans Actes manques
de la recherche. En fait, R. Lourau travaille la question de l'implication
: la relation que le chercheur entretient à son objet, le
praticien à son terrain, l'homme à sa vie. L'analyse
de cette relation rencontre des obstacles et des impossibilités
tant qu'elle s'appuie sur le logique instituée (celle de
la déduction et de l'induction), faite pour tenir à
distance le monde dans lequel nous sommes pourtant impliqués.
Il tente de réévaluer la démarche transductive
qui tente de dépasser cette contradiction par la prise en
compte de tous les éléments et événements
qui se propagent de proche en proche, dans la singularité
d'une situation (de recherche, d'intervention, mais aussi existentielle,
de tous les jours). Ces idées sont essentiellement développées
dans Implication/transduction (1997).
L'œuvre de R. Lourau compte 19 titres Chez Anthropos, il a
publié : L'instituant contre l'institué (1969, épuisé),
Les analyseurs de l'Église (1972, épuisé),Interventions
socianalytiques (1996), Implication et transduction (1997) et La
clé des champs, une introduction à l'analyse institutionnelle
(1997).
À l'Epi, il a publié : L'illusion pédagogique
(1969), Analyse institutionnelle et éducation (1971), Sociologue
à plein temps (1976).
Aux Presses universitaires de France : Les pédagogies institutionnelles
(1994, avec J.
Ardoino), Actes manques de la recherche (1994),Leprincipe desubsidiante
contre l'Europe (PUF, 1997).
Aux Editions de Minuit : L'analyse institutionnelle (1970), L'État
inconscient (1978).
En 10/18 : L'analyseur Lip (1974) et Le gai savoir des sociologues
(1977).
Il a encore publié: Clés pour la sociologie (Seghers,
1971 avec Georges Lapassade), L'autodissolution des avant-gardes
(Galilée, 1980), Le Lapsus des intellectuels (Privat, 1981),
Le journal de recherche. Matériaux d'une théorie de
l'implication (Méridiens Klincksieck, 1988).
Remi Hess
NOTES
1. Pour une présentation rapide de cette théorie :
M. AUTHIER et R. HESS, L'analyse institutionnelle, Paris, PUF, «
L'éducateur », 1994.
2. Sur ce terrain, comme sur beaucoup d'autres, je me suis senti
disciple de R. LOURAU. Cf. R. HESS, La pratique du journal, l'enquête
au quotidien, Paris, Anthropos, 1998.
HERMÈS 26-27, 2000
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