"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
RENÉ LOURAU
(1933-2000)
PÉDAGOGUE AUTOGESTIONNAIRE, SOCIOLOGUE ET PRATICIEN DUJOURNAL DE RECHERCHE

origine http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/14791/1/HERMES_2000_26-27_345.pdf

René Lourau, né le 26 août 1933 à Gelos, près de Pau, est mort entre Rambouillet et Paris, le mardi 11 janvier 2000, dans le train qui le conduisait à l'Université de Paris 8 où il était professeur émérite de sociologie et de sciences de l'éducation. Sa carrière est liée, à la fois comme praticien et comme chercheur, au mouvement dela pédagogie institutionnelle et de l'autogestion pédagogique (il a été fondateur du Groupe de pédagogie institutionnelle en 1964 avec Raymond Fonvieille, Michel Lobrot et Georges Lapassade).

Théoricien de l'analyse institutionnelle

Alors que R. Lourau est encore professeur de français en lycée, Georges Lapassade lui suggère de faire la théorie de l'analyse institutionnelle qu'ils sont en train d'expérimenter sur le terrain de l'intervention alors que Félix Guattari etJean Oury l'élaborent au même moment sur le terrain de la psychothérapie institutionnelle.... Inspiré par les idées autogestionnaires qui viennent de Yougoslavie dans les années 1960, par les idées non directives de Carl Rogers, la recherche-action et la dynamique des groupes de Kurt Lewin... en tant qu'assistant de sociologie à Nanterre (où il est appelé en 1966 par Henri Lefebvre), René Lourau devient un militant impliqué, mais distancié du Mouvement de 1968. Il soutient sa thèse d'état à Nanterre, L'analyse institutionnelle en 1969. Dans ce livre, proche des perspectives de C. Castoriadis, il tente de dialectiser le concept d'institution, le rendant dynamique, c'est-à-dire lieu d'affrontement entre l'instituant et l'institué
1 .

Lecteur de Mühlmann, R. Lourau pense que le phénomène d'institutionnalisation traverse toute la société et opère une réification, une bureaucratisation de toute prophétie. Il est fidèle à cette idée jusqu'à sa mort puisqu'il coordonnait un numéro 4 des Cahiers de Vimplication (revue qu'il venait de créer) sur le thème de L'institutionnalisation. Michel Authier, ami de R. Lourau, discute avec passion cette théorie dans un ouvrage récent : Pays de connaissances (Paris, Éd. du Rocher, 1998).

Dans l'un de ses derniers livres, La clé deschamps, introduction à l'analyse institutionnelle, R. Lourau renouvelle beaucoup sa manière de Contextualiser l'analyse institutionnelle qu'il inscrit.

Un socianalyste pédagogue

R. Lourau n'est pas un pur théoricien. Il pratique la socianalyse, analyse institutionnelle en situation d'intervention, qui met en présence un collectif institutionnel en crise et des interve- nants qui travaillent à partir de l'analyse de la transversalité de cette situation d'analyse. On met à jour les implications des uns et des autres dans le dispositif, en étant disponible aux analyseurs qui surgissent. L'analyseur est ce qui fait parler l'institution, la dévoile. L'originalité de cette méthode est d'articuler les niveaux groupai, organisationnel et institutionnel, en analysant l'imbrication de l'affectif, du système idéologique et la base matérielle et financière du fonctionnement d'un établissement. Avec G. Lapassade, R. Lourau forme plusieurs générations d'institutionnalistes, notamment à partir de 1974 à Vincennes, puis à Saint-Denis, où R. Lourau est professeur de sociologie. Pédagogue non directif, il devient un grand directeur de thèses. Il accueille des étudiants du monde entier. Lui-même est beaucoup invité dans les pays latins où ses livres sont traduits systématiquement. Beaucoup de ses anciens étudiants sont aujourd'hui des universitaires présents dans de très nombreux pays aussi bien en sociologie qu'en sciences politiques et surtout en sciences de l'éducation.

L'exploration du journal de recherche

A la suite des ethnologues ou des littéraires, R. Lourau pratique le diarisme. Mais, comme le souligne Philippe Lejeune dans le numéro de janvier 2000 de Sciences humaines, consacré aux Récits de vie, R. Lourau ne se contente pas d'écrire son propre journal, il en fait la théorie et la pédagogie. Il invite ses étudiants àtenir leur propre journal de recherche. Il pousse ses collègues à se lancer dans cette aventure 2 .

Dans Lejournal de recherche, matériauxpour une théoriedel'implication, R. Lourau montre l'importance du « hors texte » dans les sciences humaines, thème qu'il reprend dans Actes manques de la recherche. En fait, R. Lourau travaille la question de l'implication : la relation que le chercheur entretient à son objet, le praticien à son terrain, l'homme à sa vie. L'analyse de cette relation rencontre des obstacles et des impossibilités tant qu'elle s'appuie sur le logique instituée (celle de la déduction et de l'induction), faite pour tenir à distance le monde dans lequel nous sommes pourtant impliqués. Il tente de réévaluer la démarche transductive qui tente de dépasser cette contradiction par la prise en compte de tous les éléments et événements qui se propagent de proche en proche, dans la singularité d'une situation (de recherche, d'intervention, mais aussi existentielle, de tous les jours). Ces idées sont essentiellement développées dans Implication/transduction (1997).

L'œuvre de R. Lourau compte 19 titres Chez Anthropos, il a publié : L'instituant contre l'institué (1969, épuisé), Les analyseurs de l'Église (1972, épuisé),Interventions socianalytiques (1996), Implication et transduction (1997) et La clé des champs, une introduction à l'analyse institutionnelle (1997).

À l'Epi, il a publié : L'illusion pédagogique (1969), Analyse institutionnelle et éducation (1971), Sociologue à plein temps (1976).

Aux Presses universitaires de France : Les pédagogies institutionnelles (1994, avec J.

Ardoino), Actes manques de la recherche (1994),Leprincipe desubsidiante contre l'Europe (PUF, 1997).

Aux Editions de Minuit : L'analyse institutionnelle (1970), L'État inconscient (1978).

En 10/18 : L'analyseur Lip (1974) et Le gai savoir des sociologues (1977).

Il a encore publié: Clés pour la sociologie (Seghers, 1971 avec Georges Lapassade), L'autodissolution des avant-gardes (Galilée, 1980), Le Lapsus des intellectuels (Privat, 1981), Le journal de recherche. Matériaux d'une théorie de l'implication (Méridiens Klincksieck, 1988).

Remi Hess

NOTES

1. Pour une présentation rapide de cette théorie : M. AUTHIER et R. HESS, L'analyse institutionnelle, Paris, PUF, « L'éducateur », 1994.

2. Sur ce terrain, comme sur beaucoup d'autres, je me suis senti disciple de R. LOURAU. Cf. R. HESS, La pratique du journal, l'enquête au quotidien, Paris, Anthropos, 1998.

HERMÈS 26-27, 2000