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Apprentissage de l’autogestion
Éditions La Brèche Numérique
Ébauche d’une plateforme
par DENIS Romain, LAPASSADE Georges

Origine : http://www.preavis.net/breche-numerique/article912.html

I) Le problème de l’organisation

1. Le problème fondamental de toute société est celui de son organisation et, notamment, de l’organisation de sa production. Dans toute société de classe, l’organisation sépare la couche des dirigeants et celle des exécutants ; le pouvoir de diriger est assuré par la possession des instruments de production. L’organisation tion capitaliste de la production est celle dans laquelle l’organisation de cette relation est mise à nu, portée à l’extrême. Mais en même temps, le groupe dirigeant la classe dirigeante dispose de moyens idéologiques, — psychologiques, — permettant de masquer relativement les fondements réels de l’organisation sociale.

2. La propriété privée est une structure qui exprime en les masquant les rapports de production, l’organisation de la société. La suppression de la propriété privée, Marx l’a montré, est le moyen pour bouleverser l’organisation capitaliste de la production. Mais ce bouleversement n’est complet qu’au prix du bouleversement de l’État, et non pas par un passage de la propriété privée à la propriété étatique des instruments de production. Le socialisme abolit la séparation entre les dirigeants et les exécutants en tant que cette relation est un rapport d’exploitation. Il implique donc nécessairement le passage à l’autogestion de cette société.

3. Dans la société de classe se forment des organisations pour la lutte contre l’organisation sociale répressive. Le projet fondamental des organisations révolutionnaires est, non de remplacer les équipes de dirigeants, mais de bouleverser l’organisation sociale en supprimant la hiérarchisation du pouvoir. L’organisation révolutionnaire est nécessairement orientée, dans sa finalité, vers une démocratie directe. Sa finalité est non la révolution politique, qui est un simple remplacement dés équipes dirigeantes, mais la révolution sociale qui est un changement radical de la pratique sociale.

4. Mais l’importance de l’organisation révolutionnaire (parti ou syndicat) en une société de classe influence la dynamique des organisations de lutte et introduit, à l’intérieur de ces organisations (ou du moins, tend sans cesse à y introduire) des relations de pouvoir analogues à ceux qu’il s’agit précisément de détruire. Les organisations de lutte tendent à se bureaucratiser, puis de là à participer à l’organisation générale de la société (les syndicats rentrent dans les appareils de gestion, de co-gestion, etc.).

5. L’une des tâches de l’organisation révolutionnaire est donc de trouver les voies adéquates ; non seulement pour organiser la subversion de l’organisation sociale, mais encore pour organiser à l’intérieur d’elle-même, et en permanence, cette subversion, cette autocritique. Le parti doit lutter contre l’aliénation de sa propre organisation. Le parti ou le syndicat ne peut lutter contre l’organisation sociale bureaucratisée qu’en luttant en même temps contre sa propre bureaucratisation interne. Il faut donc trouver, des méthodes nouvelles et efficaces d’entraînement à l’autocritique qui ne serait, plus une cérémonie bureaucratique, mais au contraire une, débureaucratisation permanente des structures et des communications dans le Parti.

6. Toute agitation révolutionnaire est donc agitation contre l’organisation sociale. La lutte pour des objectifs spécifiques (tels que le progrès matériel, culturel, le développement des droits individuels), n’a de signification révolutionnaire que si elle est en même temps une lutte visant au bouleversement intégral de l’organisation sociale. À plus long terme, l’organisation révolutionnaire ne peut préparer, la destruction générale de la société d’exploitation qu’en préparant sa propre destruction.

7. Le travail politique est donc double. Il consiste d’une part à développer l’agitation contre l’organisation sociale, dans son ensemble ; et d’autre part à créer,dans, l’organisation révolutionnaire (parti ou syndicat) une agitation interne permanente. Il est en effet erroné de croire — que ces deux objectifs ne sont pas toujours conciliables et qu’il faut, selon la thèse stalinienne, « renforcer l’organisation révolutionnaire » pour affaiblir l’organisation générale de la société. Sans autocritique permanente le parti devient rapidement l’otage de la société qu’il conteste.

8. La création des partis et des syndicats a toujours correspondu à l’origine, à la nécessité reconnue, contre la « thèse spontanéité », d’organiser l’agitation, risque de conduire à la pédagogie, à la propagande, et non à l’organisation de la spontanéité révolutionnaire. Seule une agitation d’un type nouveau qui organise la prise de conscience, paraît susceptible d’éviter une bureaucratisation de l’agitation.

9. La formation de ces agitateurs ne sera pas une formation de spécialistes. Tout organisateur révolutionnaire doit être en même temps un agitateur dans la société et dans son esprit. L’entraînement à l’agitation doit aller jusqu’à la prise de conscience de la dimension organisationnelle de la lutte et jusqu’au refus de toute aliénation dans l’organisation, — y compris dans l’organisation révolutionnaire elle-même (fétichisation de l’organisation du Parti).

10. Pratiquement il s’agit de mettre en ceuvre le principe poursuivi par l’organisation révolutionnaire, l’autogestion sociale, dans l’organisation elle-même, comme autogestion politique…

11. Le parti, le syndicat subissent la subversion de la société globale dont ils font partie, la subversion de son idéologie et de ses pratiques : ainsi ces organisations deviennent le lieu privilégié de l’aliénation du projet révolutionnaire à travers l’appareil bureaucratique.

12. Ainsi la logique d’appareil constitue la distinction de nature et de fonction entre le « dirigeant » et la « base », étouffe au lieu de la promouvoir toute spontanéité d’expression, la remplace, selon le modèle bourgeois, par la formation d’initiés, c’est-à-dire de cadres, tout aussi coupés de leur base qu’ils l’ont été eux-mêmes de leurs dirigeants, quand ils étaient simples « exécutants ».

13. A cette subversion de sa nature et de sa pratique, subversion qui se reflète dans ses structures et ses méthodes d’action, l’organisation révolutionnaire devra faire face en contestant dans son sein même ce qu’elle combat dans la société et pour ce faire elle devra tout mettre en eeuvre pour garantir l’exercice interne de la démocratie. Cette optique commandera la mise en question des structures, des méthodes d’action et des habitudes de parti.

14. La mise en question de l’organisation par elle-même devra pour être réelle, englober les habitudes acquises et les techniques utilisées lors de la vie interne du parti, car il ne servirait à rien de changer de vocabulaire sans changer d’habitudes, et le changement de structures serait illusoire et superficiel s’il n’entraînait un changement des techniques de fonctionnement des organisations.

15. Dans ces perspectives, il faudra dénoncer les techniques de répression de l’expression démocratique qui se sont insidieusement introduites dans l’organisation ; il faudra également apprendre à reconnaître ces méthodes et ces techniques : seule une pratique consciente de la critique et de l’autocritique pourra mener à ce résultat et non la décision théorique de bannir la bureaucratie des organisations.

16. Après l’effondrement des vieux partis parlementaires, et dans la nouvelle France « gaulliste », il reste à la gauche à réinventer les techniques d’agitation pour le socialisme, c’est-à-dire pour l’autogestion.

II) Conséquences pratiques

Cette invention de nouvelles techniques ne peut être que collective. Voici une première possibilité : les organisations devraient susciter un entraînement pratique à l’autogestion par l’expérimentation de techniques appropriées, au cours de stages dont nous exposons ci-dessous les principes généraux.

Les principes de l’entraînement sont l’auto-analyse et l’autogestion assorties de l’autocritique.

— Pratiquement, les militants et les cadres réunis lors d’un stage ou d’une journée de formation, étudient sur leur propre groupe les processus de fonctionnement des groupes et des organisations. En d’autres termes, le stage prend pour objet d’étude son propre fonctionnement : il s’agit d’un « stage centré sur le stage ».

— Fonctionnant en autogestion, c’est l’Assemblée générale du stage qui décide de l’ordre du jour, de la réglementation de l’emploi du temps, des techniques de discussion, bref, du planning.

— Les problèmes d’organisation et de gestion financière du stage sont examinés dès le début des réunions par les stagiaires et soumis à la critique et à l’auto-critique.

En bref c’est à une critique de la gestion, à une autogestion de la critique et à une autocritique de l’autogestion que s’initieront les stagiaires. C’est cette pratique de critique et d’autocritique, de gestion et d’autogestion qu’ils seront aptes dès demain à introduire dans les organisations politiques et syndicales.

L’expérience de l’U.N.E.F. n’est pas une expérience sans lendemain : la question est de savoir si nous nous sentons concernés par ces lendemains ou si nous préférons sommeiller dans le confort du passé, la question est de savoir si nous croyons assez aux principes du socialisme pour commencer à les appliquer dans le parti, si nous croyons assez à la théorie pour être capables d’en tirer une pratique et si nous croyons assez à l’efficacité de la pratique pour ne pas nous arrêter aux principes théoriques.

C’est pourquoi nous réaffirmons l’importance qu’il y a à réaliser dans les organisations, parallèlement à une réforme des méthodes et des structures, un déconditionnement de la praxis bureaucratique.

III) La France et son moniteur

De plus en plus les « masses » voient leurs cadres de références se disloquer et leurs clivages traditionnels s’estomper. Hier on savait qu’on était pour l’Algérie libre et indépendante ou pour l’Algérie française ; et même celui qui ne prenait pas part à ce différend savait que c’était sur ce différend que le pays jouait son avenir, il savait que la question algérienne hypothéquait les solutions possibles de la société France. Aujourd’hui le Français est allé derrière le rideau ; il a écarté le voile algérien, mais à la place des solutions attendues, il trouve le vide, ou plutôt la confusion. Il avait l’habitude d’être « de gauche » ou « de droite », cela n’était pas compliqué, c’était aussi évident que les deux mains qui échoient à tout homme, et cette évidence le rassurait. Comme, par-dessus le marché, l’on pouvait être gaulliste quel que fût le parti d’appartenance, ceci même pour nombre d’électeurs communistes, rien n’était bouleversé des habitudes anciennes.

Mais aujourd’hui, non seulement il n’est plus permis d’être gaulliste et homme d’un parti classique, mais il est de surcroît impossible d’être de gauche ou de droite dans un contexte où les arguments de l’O.A.S. rejoignent les arguments du P.C.F. — et où Pinay et Mollet font front commun.

Ce désarroi des masses, provoqué par l’absence d’alternative claire à la démission collective que résume le pouvoir personnel, c’est-à-dire par la volonté du pays de ne pas revenir à la IVe République et par l’incapacité où se trouvent les forces vives du pays à s’engager décisivement dans la voie d’un socialisme démocratique, évoque l’angoisse de la population algérienne au lendemain de l’indépendance, lorsqu’elle a perdu ses chefs, lorsqu’elle a nié à ses anciens dirigeants la compétence technique et morale pour guider le pays. En coalisant les partis contre lui, l’aspirant au pouvoir suprême fait éclater les notions de « droite » et de « gauche » sur lesquelles reposait la fonction dirigeante des vieux états-majors. En faisant la démonstration au peuple que celui-ci n’a plus de leader, il répand l’inquiétude dans tous les foyers de la société, et, à la faveur de la confusion qu’il a semée dans les esprits, sa propre personne apparaît comme le résumé de l’autorité qui vient à manquer.

Voilà donc les Français centrés sur eux-mêmes, et leur problème n’est pas ailleurs. On savait quel était le problème algérien, on ne saurait formuler actuellement le problème de la France. Il y a bien des thèmes et des problèmes divers : parmi ceux-ci l’Europe, le Marché Commun, l’O.T.A.N., Berlin, la Communauté, le néo-capitalisme, le Front Socialiste, mais on n’aperçoit pas l’élément unificateur, ce qui ferait l’originalité d’une solution de ces problèmes pour le pays. Et comment l’apercevrait-on puisqu’il n’y a plus personne pour l’apercevoir, puisque le pays se sait sans tête ?

Car même les forces les plus dynamiques, celles qui ont conduit les luttes les plus avancées sur le plan revendicatif, celles qui ont été jusqu’alors à la pointe du combat pour la paix en Algérie, font actuellement retour sur elles-mêmes et connaissent une crise de transformation. Les méthodes d’action, les structures de ces organisations, leur type de rapports au pays, tout ce qui convient peut-être pour un combat réel centré sur l’objectif algérien, ou médié par lui, ne vaut plus dans la’ situation nouvelle où il s’agit d’opérer une transformation des structures du monde du travail et de l’État par la mobilisation des travailleurs sur la conquête progressive des centres de pouvoir, à tous les échelons de la société civile.

Il s’agit pour ces organisations, à travers leur caractère spécifique — de syndicat, de parti, etc. —, de préparer les formes et les contenus d’une voie vers la gestion en acte de la société par elle-même.

La libération de ces objectifs suppose une mise en question des structures et des méthodes qui ont été celles des organisations dans la période passée. C’est pourquoi, par exemple, le P.S.U. s’est proposé de définir, lors de son prochain congrès (janvier 1963), une plateforme politique et sociale nécessitant une transformation radicale de ses propres méthodes d’action et de ses propres structures. C’est pourquoi aussi l’U.N.E.F. s’est engagée dans une « année de réflexion » et s’occupe d’autocritique et d’organisation démocratique.

Le même phénomène qui se produit au niveau des individus, se reproduit au niveau des organisations. Ou plutôt, l’examen de la crise des organisations les plus en prise sur la dynamique sociale, nous révèle que, c’est au niveau de l’ensemble des cellules sociales que flotte l’interrogation et se produit le phénomène d’auto-analyse et de mise en question de ce qui a été.

Le marxiste, qui refuse l’image du socianalyste et qui conteste la réduction d’un corps social organisé au microcosme qu’est le « petit groupe », devra reconnaître, dans -le discours du socianalyste un moment de la vérité, et surtout il devra reconnaître que la situation politico-sociale française réalise actuellement ce moment. Une société n’est peut-être pas un « groupe d’auto-analyse », mais actuellement la France est un ensemble de groupes qui éprouvent leur isolement et la dissolution de l’ordre ancien qui en faisait un corps social organisé. Sans dirigeants, sans politique, sans but collectif, la société France se fragmente dans son interrogation et réalise le rêve du socianalyste qui voit ainsi l’histoire reproduire, à l’échelle d’un pays, le « climat » de son propre laboratoire social. Un marxiste conséquent dira que l’heure du psychosociologue ou du socianalyste est venue, puisque c’est la réalité qui est allée au psychosociologue impuissant auparavant à dominer l’objet politique. « Il ne suffit pas - disait Marx - que la pensée recherche la réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée. Et nous sommes au seuil d’une telle période. De cette constatation, le marxiste devra, en tant que militant, tirer les conséquences pratiques puisque l’heure consacre la vérité qui était, contenue dans le discours du psychosociologue, celui-ci, qui est l’homme d’une science particulière, c’est-à-dire aussi d’un ensemble de techniques, sera du même coup l’homme capable d’opérer techniquement sur le réel. La vérité d’une technique, c’est son efficience. La vérité théorique reconnue à la psychosociologie a sa manifestation pratique dans la validité des techniques de la psychosociologie. Le militant saura donc la vérité et l’efficacité des techniques psychosociales dans la situation actuelle. Mais ces techniques ont-elles un emploi social possible qui intéresse effectivement le militant ?

On a l’habitude de dire d’une technique qu’elle est neutre, et cela est juste, car une technique est essentiellement l’art de réaliser quelque chose, et l’élément normatif n’intervient qu’au moment de l’utilisation, qui peut être bonne ou mauvaise, médecine ou poison. Ou plus exactement il réside dans l’intention qui préside à la réalisation. Mais lorsque ce sur quoi il s’agit d’opérer est une collectivité humaine, alors l’intention ne peut être dissociéee de l’opération elle-même. C’est pourquoi les sciences humaines ont une normativité propre, En ce sens on peut parler d’une intentionnalité de la psychosociologie ou de la dynamique de groupe cachée sous la neutralité, apparente des techniques. La neutralité des techniques sociales recouvre en fait :

— une utilisation, aliénée et, aliénante de la science et de ses techniques,

— une essence profonde : sa fonction libératrice.

Ainsi l’essence profonde de la socianalyse est-elle la libération des relations inter-humaines, et au niveau du groupe l’épanouissement. profond l’individualité par l’auto gestion. Le projet profond de, la, dynamique de groupe est donc le dépérissement de l’état. En bref, ce que le, socianalyste peut mettre à la disposition du militant, c’est un ensemble de techniques scientifiques propres à assurer dans des groupes expérimentaux ou dans des groupes « volontaires » (syndicat, parti, association de base, etc.) une autogestion en acte - et au-delà un modèle « socratique » d’agitateur d’un type nouveau qui accouche des aspirations essentielles des collectivités.

Un tel modèle d’agitateur, propre à provoquer dans les groupes une prise de conscience des problèmes propres (matériels, culturels, etc.), sera nécessairement de type non-directif. Remplacer le mot d’ordre par la torpille socratique, par la prise de conscience collective, telle est déjà l’expérience que tente la F.G.E.L. dans ses groupes de travail. La F.G.E.L. ira-t-elle jusqu’au bout de sa logique en optant pour l’auto-formation de l’agitateur (qui n’est que la formule de l’autogestion appliquée à la formation laquelle, soit dit en passant, n’est, dans sa formule classique que de l’information), ou maintiendra-t-elle la formule traditionnelle de « formation » par des méthodes anciennes ou récentes de « l’agitateur » ?

L’auto-formation des agitateurs non directifs implique l’organisation de stages présentant trois caractères essentiels :

— auto-analyse et autocritique du stage au niveau institutionnel (afin d’éviter de retomber dans les ornières des human relations),

— autogestion intégrale instituée dès le début du stage,

— intégration à l’auto-formation idéologique des problèmes théoriques posés par les perspectives du passage au socialisme, du dépérissement de l’État, et de l’autogestion.

Si la formation d’un type nouveau d’agitateur prend tant d’importance en cette période et si nous insistons sur son auto-formation, c’est que cette période de mise en question des structures nous semble être l’arme circonstancielle par excellence au moment où le pays vit une période de repli sur l’hexagone. Parallèlement aux tentatives de mise en place de structures nouvelles démocratiques, parallèlement au progrès de l’idée-force de planification démocratique, il nous faut mener une critique et une autocritique révolutionnaires, une action permanente de contestation des habitudes et des processus bureaucratiques anciens, une action de mobilisation de la libre expression des collectivités, qui seule garantit une démocratie véritable et écarte là tentation du réformisme.

Mais revenons au problème du militant socialiste et interrogeons-nous sur ses besoins fondamentaux. La guerre d’Algérie terminée il met en question les structures et les habitudes traditionnellement bureaucratiques qui ont pu lui permettre de travailler avec efficacité dans une période d’urgence.

Il les remet en question, car la réactualisation de son objectif — l’autogestion de la société — l’oblige à dépasser, tout d’abord, la propre contradiction interne de l’organisation, entre son objectif et son être, et ses méthodes. Si la fin poursuivie est autre chose qu’un dérivatif à l’action, alors il faut la faire passer dans les faits. Les moyens ne sont que des tentatives de faire germer la fin comme réalité. Et c’est là la raison de la nécessaire homogénéité de la fin et des moyens que le marxisme oppose à toutes les idéologies bourgeoises, à la raison d’État, au stalinisme.

C’est pourquoi le problème fondamental d’une organisation qui vise à l’instauration d’une société sans classes, s’autogérant elle-même, c’est d’être à la hauteur de sa visée, c’est d’élaborer des moyens appropriés à la fin, c’est-à-dire homogènes à la fin. Le problème fondamental, pour une organisation de gauche aujourd’hui, c’est de se libérer de sa propre bureaucratisation. Viser à l’auto-expression des masses, c’est s’efforcer de libérer l’expression des masses, comme seule force capable de réaliser, dans les faits, cette fin. C’est une tâche qu’une bureaucratie ne peut réaliser puisqu’elle est de nature anti-démocratique. Le marxiste, qui vise à l’organisation de l’autogestion, rencontre, à une croisée de l’histoire, le socianalyste — qui s’efforce de mettre des groupes en autogestion ; cette rencontre n’est pas fortuite l’organisation de l’autogestion commence aujourd’hui à être viable dans les faits — c’est sur cette vérité que le voile algérien a été déchiré — c’est cette maturation qui avance aujourd’hui. Le mot d’ordre, dès lors, est clair et simple. L’organisation de l’autogestion passe aujourd’hui par l’autogestion de l’organisation.

Romain DENIS et Georges LAPASSADE.

P.-S.

Article paru dans la revue Arguments, volume 4 [Révolution/classe/parti], Éditions de Minuit collection « 10/18 », février 1978.