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Hommage à Georges Lapassade
Carole Roudy

Origine : http://193.54.168.65/docs/IMG/doc/Hommage_a_Georges_Lapassade_carole_Roudy_.doc

C’est au travers de la lecture L’Approche Transversale de René Barbier que j’ai découvert Georges Lapassade. Grâce à la découverte des concepts d’inachèvement de l’homme que j’ai mis en lien avec la théorie des moments de Rémi Hess. Les réflexions qui en ont découlées m’ont amenés à vivre une véritable réorganisation dans ma façon d’appréhender le temps et la vie. L’idée d’une vie organisée en stades ne m’ayant jamais satisfaite; j’ai compris que c’est à partir de la néoténie (la lecture des entretiens entre Boris cyrulnik et Edgar Morin m’a par ailleurs permis de cerner plus précisément cette idée) telle qu’elle est définie en biologie que Georges Lapassade a forgé son idée force selon laquelle il n’y a pas d’âge de la maturité pour l’homme. La vie intérieure est un travail d’exister comme dit Max Pagès. « Etre, c’est s’éduquer, toujours avec l’autre, et, par là même fonder ce que nous sommes dans le cours de ce qui advient ». A l’instar de Georges Lapassade dans L’entrée dans la vie, je me dis que toute histoire individuelle et collective « est entrée permanente et jamais aboutissement définitif … L’homme est à la fois ancré dans son enfance et toujours tourné dans son futur, anticipant son avenir ; qu’il ne coïncide pas avec lui-même et avec son présent ; qu’il entre dans le monde sans appartenir totalement à ce monde… » Lapassade propose donc de laisser de côté une éthique permettant de stabiliser la vie et de laisser la place à une stratégie de l’existence qu’il nomme l’entrisme soit le mouvement permanent par lequel l’homme s’efforce jusqu’à la fin de son existence d’entrée dans la vie.

Loin d’être « démoralisant », cet inachèvement doit au contraire, j’en suis persuadée, être ressenti en termes d’espoir, d’ouverture de perspectives intéressantes au niveau de l’évolution personnelle de chacun. Profiter de son temps terrestre pour s’améliorer. Il me semble même qu’il s’agit de la plus belle marque de respect et de considération (dans l’idée peut-être d’un contre-don) qu’un être humain puisse adresser au don de la vie qui lui a été fait.

Extrait de mon journal de lecture du 19 Février 2008

J’ai démarré la lecture de Groupes, organisations, Institutions de Georges Lapassade ainsi que celle du cours de Psychosociologie. Il me semble que les deux orphelinats créés par Korczak soient deux exemples de l’autogestion qui fait partie des grandes postures de la psychosociologie.

Qu’est-ce que l’autogestion, comment la définir?

Dans un article intitulé L’autogestion et l’Institutionnel, entre le Politique et le Pédagogique, Nouveau Millénaire, Défi libertaire, Gaby Cohn-Bendit et patrick Boumard s’appuient sur l’expérience menée au Lycée expérimental de Saint-Nazaire.

Serait-ce un effet de synchronicité cher à Jung, puisque j’écris depuis maintenant une semaine chez moi en Loire-Atlantique à 15 kilomètres de ce fameux lycée.

D’après les auteurs, il est essentiel de dissocier les notions d’Autogestion pédagogique et Pédagogie autogestionnaire. Effectivement, la notion d’autogestion pédagogique est marquée, et cela dès ses premières formulations en 1962, par une extrême polysémie. En effet, si on se réfère aux premières synthèses publiées par G. Lapassade en 1971, on constate que l’autogestion pédagogique est présentée à la fois comme l’instrument technique de la pédagogie institutionnelle, un dispositif analyseur des institutions, une contre-institution et même un système d’éducation correspondant à la forme actuelle de la pédagogie négative inspirée de Rousseau.

La notion de pédagogie autogestionnaire serait moins ambiguë du fait de son caractère pluriel : elle est d’abord politique (elle se confronte à l’institution globale, à l’Etat) et désigne différents niveaux de pratique.

Est-ce que les enfants sont vraiment éduqués à la démocratie ? Sont-ils éduqués à la prise de décision aux responsabilités, à la discussion collective ?

Ils sont en fait éduqués à beaucoup de choses sauf à cela. Même si des expériences, d’exercice à la citoyenneté sont menées et sont intéressantes, elles restent néanmoins superficielles car ne procède par d’n véritable engagement au jour le jour des enseignants et des élèves. J’ai en mémoire une expérience menée à l’Ecole Française d’Al Khobar en Arabie Saoudite dans une classe de CM1/CM2 où le fonctionnement de la classe pour certaines décisions était le fait d’un « conseil municipal ».

« La société démocratique, après avoir longtemps fabriqué des moutons, y ajoute aujourd’hui la fabrication de casseurs », société démocratique responsable de ce que Georges Lapassade nomme la formation de « l’individu hétéronome » muni selon Riesmann d’un radar pour s’ajuster à la société bureaucratisée et se conduire dans le champ social. Dans cette société, l’enfant doit d’abord apprendre à se comporter en bon membre du groupe-il apprend à l’école à prendre sa place dans une société dans laquelle la préoccupation du groupe concerne beaucoup moins ce qu’il produit que ses propres relations internes au groupe, son moral » (page 151). En ôtant aux gens la possibilité de prendre des décisions, de faire des choix sous prétexte qu’ils sont top ignorants, trop jeunes, qu’ils ne savent pas (où sont les responsabilités à ce niveau ?), cela revient à renforcer le pouvoir, l’autorité de ceux qui le détienne. Le bureaucrate est « votre volonté, votre connaissance, votre personnalité…Il est le Père, la puissance paternelle, ne disait-on pas de Staline qu’il était le Père des peuples ? » G. Lapassade (page 177).

Pourquoi ne pas généraliser les établissements autogérés ?

C’est le fait et la volonté d’expérimenter qui n’est pas généralisable : « Il faut à cette démarche des gens particuliers, formés, compétents, décidés et volontaires.

Parce que l’établissement expérimental pourrait être alors considéré comme laboratoire social, avec une dimension explicite de recherche qui n’est possible que dans ces conditions. Par ailleurs, et pour respecter les enjeux épistémologiques de cette logique de recherche qui ne serait pas seulement de l’innovation mais bien de la production de savoir praxéologique, de tels établissements ne pourraient pas garder le même personnel au-delà de quelques années. En effet, d’une part l’investissement dans la recherche, particulièrement dans le domaine éducatif, demande une très grosse dépense d’énergie individuelle. Mais surtout, si on reprend la notion d’obstacle épistémologique que représentent les théories constituées par rapport à la démarche de recherche, il est évident qu’on ne pourra envisager la continuité du travail d’institution que s’il est matériellement impossible à quiconque de se présenter en gardien du temple, au nom de l’expérience ou de la possession exclusive de la temporalité ».Le but recherché étant inverse à celui d’une bureaucratisation de l’autogestion, il faut donc éviter de constituer l’organisation autogestionnaire comme fin en soi et donc de refuser l’appropriation du pouvoir, du savoir sur le modèle bureaucratique mais aussi d’être en mesure que ce soit à titre individuel ou collectif de privilégier «les conduites d’accommodation supposant l’élaboration de nouveaux schèmes d’action, plus adéquats pour répondre à de nouvelles situations ». Groupes, Organisations, Institutions, Georges Lapassade, éditions Economica, 5ème édition, Anthropos, Paris 2006.

Eviter les écueils du conservatisme qui est assimilable à un refus du temps et le durcissement idéologique qui l’accompagne et refuser le carriérisme dont Georges Lapassade nous dit qu’il s’agit «non plus de servir les buts que poursuit l’organisation, mais de servir l’organisation et de s’en servir» (page 154)

Au niveau temporalité, il faut donc distinguer entre celle de l’institution elle-même qui est conçue pour durer et qui de se fait risque de se figer et celle des intervenants, acteurs impliqués dans le processus d’élaboration institutionnelle qui doivent à moment donner céder la place à d’autres intervenants dans un souci à la fois de cohérence et de toujours neuf.

C’est ce qui semble essentiel dans l’autogestion, c’est cette capacité à s’inventer, se renouveler dans «l’exaltation d’un perpétuel début»

Il s’agit de faire la part belle à l’instituant, au sein de l’institué en faisant en sorte que les acteurs intervenants se positionnent en tant qu’intervenants-militants, c'est-à-dire en cédant la place pour qu’un regard toujours neuf fasse jour de la confrontation de points de vue différents. A la fin de l’article, cette réflexion que je trouve essentielle et qui situe bien la philosophie de l’autogestion dans une conception de l’éducabilité à la fois tout au long de la vie cher à Lapassade mais aussi permettant une vraie préparation, formation, éducation et accompagnement des jeunes à la fois à être maîtres de leurs apprentissages et de leur devenir en faisant place à l’imprévu, au toujours neuf cher à Cornélius Castoriadis.

« La temporalité autogestionnaire s’appuie sur les trous dans les rationalités, sur l’imprévisibilité des élaborations sociales, et sur l’essentielle fécondité de l’inconnu. Prolongeant la notion lapassadienne d’inachèvement, la démarche autogestionnaire, étayée sur une perspective de radicale transversalité, se définirait alors comme une philosophie du début permanent ».

L’autogestion et l’Institutionnel, entre le Politique et le Pédagogique, Nouveau Millénaire, Défi libertaire, Gaby Cohn-Bendit et patrick Boumard

Carole Roudy