Origine : http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=1471
1. Tower Colliery : l’écueil de l’autogestion
capitaliste
En 1992, John Major poursuit la politique de fermeture des mines
britanniques initiée par Thatcher : Le site gallois de Tower
Colliery fait partie de la charrette. Les mineurs protestent, puis
en 1994, 174 d’entre eux décident de racheter la mine
avec leur prime de licenciement de 8.000 livres. Le 2 janvier 1995,
le site est désormais exploité par une SARL de 240
mineurs-actionnaires. Chacun apportant la même somme. Entreprise
récupérée et autogérée, Tower
Colliery, dont l’aventure est racontée par Jean-Michel
Carré [1], est un exemple révélateur des limites
d’une expérience autogestionnaire enkystée dans
une société capitaliste.
A la tête de l’entreprise autogérée se
trouve un conseil de 6 directeurs élus parmi les travailleurs.
Chaque année, 2 directeurs sont remplacés, mais les
sortants peuvent être réélus. Directeurs et
membres du conseil d’administration viennent de la mine. Le
poids du syndicat des mineurs est également énorme
: de fait, un mineur doit être syndiqué au NUM pour
être accepté. Le secrétaire du syndicat est
aussi élu par les mineurs et continue à travailler.
Il existe une véritable osmose entre les directeurs et le
syndicat qui encadrent le fonctionnement de la mine (tous les directeurs,
à l’exception de l’expert comptable, sont syndiqués).
Mais, c’est l’assemblée générale
des actionnaires, réunie 4 fois par an, qui est souveraine
: elle peut s’opposer aux propositions de l’exécutif
ou du syndicat (un projet de création d’un musée
fut rejeté) et chacun doit rendre des comptes. La base exerce
un contrôle reconnu sur ses représentants, directeurs
[2] ou syndicalistes [3] . En conséquence, le pouvoir des
cadres est également limité à un rôle
d’organisateur à l’écoute des autres travailleurs
[4]. La concertation est la clé de voûte du système
: les mineurs peuvent exprimer leurs remarques auprès d’un
directeur ou d’un représentant syndical et inversement
ceux-ci s’informent auprès des travailleurs [5].
Cependant, l’autogestion reste inachevée à
Tower Colliery car certains aspects capitalistes n’ont pas
disparu.
Il n’y a pas de structure horizontale et une hiérarchie
perdure. L’autorité des chefs est admise, tout comme
une certaine supériorité [6]. En outre, des inégalités
salariales sont instaurées (cadres, mineurs, travailleurs
en surface, femmes à la cantine...), ce qui occasionne quelques
frictions [7].
Le désir de produire plus pour accroître les profits
et s’enrichir est très présent au sein des mineurs.
Une légère cupidité qui conduit à un
projet d’exploitation d’un autre site en collaboration
avec une entreprise capitaliste, Celtic Energy. Les mineurs se justifient
en expliquant que les profits réalisés servent à
redynamiser une vallée économiquement sinistrée
[8]. Certains mineurs déplorent le développement d’un
certain arrivisme chez leurs collègues [9] ou des inégalités
en fonction du nombre d’actions possédées [10].
Ce productivisme est d’autant plus problématique que
les travailleurs retirent leurs richesses d’une énergie
particulièrement polluante et dont les quantités sont
limitées.
Des mineurs espèrent que les mentalités évolueront
grâce notamment à l’éducation et rêvent
d’un monde qui ne serait pas dirigé par le profit.
Un autre rappelle que « Si nous voulons quelque chose, nous
devons lutter pour l’obtenir » et que les travailleurs
ne doivent pas compter sur un gouvernement de gauche [11]. Mais
dans l’ensemble, les mineurs se contentent d’amasser
les profits de leur mine d’or et ne s’impliquent guère
dans le fonctionnement autogéré.
Cette expérience démontre que des travailleurs peuvent
parfaitement gérer leur entreprise, mais que l’autogestion
ne peut se réaliser pleinement qu’en dehors du carcan
capitaliste qui pervertit les mentalités (cupidité,
intériorisation de la hiérarchie et des inégalités...)
2. Pièges à éviter pour que l’autogestion
ne fonce pas dans un mur
L’autogestion anarchiste doit permettre l’émancipation
des travailleurs, c’est-à-dire leur libération
à l’égard de contraintes et pressions sociales
qui constituent des formes d’aliénation : soumission
à l’autorité de dirigeants, nécessité
de vendre sa force de travail pour subvenir à ses besoins,
tyrannie du consumérisme, dégradation de notre cadre
de vie à cause du productivisme et de la course folle à
la croissance... Ces agressions ne se limitent pas au monde du travail,
mais sont le produit et le fondement d’un système social
découlant d’un mode de production capitaliste. Par
conséquent, une entreprise autogérée ne peut
représenter qu’une émancipation partielle car
elle ne suffit pas à briser toutes les pressions, notamment
celles qui relèvent de l’organisation politique.
Ces expériences se limitent à une gestion d’entreprise
par les salariés au sein d’une économie capitaliste.
Ces sociétés, même si elles représentent
un mode d’organisation novateur, sont obligées de se
plier aux règles du marché et de la concurrence. En
conséquence, les entreprises autogérées risquent
de reproduire les mêmes travers et de sombrer dans l’«
auto-exploitation ». Beaucoup de ces expériences sont
même menées dans un contexte de crise qui oblige les
travailleurs à consentir à de lourds sacrifices, notamment
en temps consacré à la production (Lip, Marketube...).
Les salariés expliquent alors que ces efforts supplémentaires
sont plus faciles à accepter quand on sait que l’on
travaille pour soi et que le fonctionnement de l’entreprise
est un projet collectif dans lequel on s’inscrit. Les travailleurs
restent alors enchaînés à la nécessité
de la productivité et de la rentabilité. Dans ces
conditions, peut-on considérer qu’il y ait libération
des salariés quant à l’aliénation que
représente leur emploi ?
Ces impératifs financiers peuvent également pousser
le groupe à licencier du personnel ou à accepter une
dégradation des conditions de travail. On risque aussi de
négliger les principes de sécurité ou de respect
de l’environnement pour rester compétitif face à
la concurrence. Enfin, le souci d’efficacité peut inciter
à accepter que certains « spécialistes »
jugés plus compétents accaparent le pouvoir de décision
et la gestion de l’entreprise. Le maintien d’une hiérarchie
est aussi assez fréquent. Par ailleurs, bon nombre d’expériences
autogestionnaires ont sombré ou capoté faute de rentabilité.
Dans une perspective révolutionnaire libertaire, on ne peut
se contenter d’une entreprise sans patron. Il faut également
que celle-ci soit centrée sur le bien-être des populations
et des travailleurs, non pas sur la recherche insatiable de profits.
Certaines de ces expériences sortent ainsi du lot car elles
tournent le dos à l’essence de l’entreprise capitaliste
(le productivisme) autant qu’à son fonctionnement (la
hiérarchie patronale). On voit alors apparaître des
caractéristiques qui représentent une profonde remise
en cause du modèle capitaliste et un réel affranchissement
des travailleurs :
- La réduction volontaire du temps de travail et le choix
du travail partiel (Ambiance bois ou La Péniche). On débouche
parfois sur l’acceptation d’une limitation de ses revenus
qui traduit un affranchissement du consumérisme. L’épanouissement
individuel prend l’ascendant sur l’enrichissement matériel.
- Le souci de respecter l’environnement et de produire «
utile », non pas pour le simple plaisir d’amasser des
profits. C’est un principe clairement affirmé dans
le projet d’Ambiance bois, repris aussi par les Marketube
qui ont l’intention de fabriquer des tubes en plastique biodégradable,
à base de maïs, d’épluchures de pommes
de terre et de petits pois.
- La mise en œuvre d’une gestion véritablement
démocratique. C’est-à-dire sans hiérarchie,
ni privilèges. Tout le monde ayant le même poids, à
défaut d’avoir la même fonction. La rotation
des tâches, quand elle est consentie, favorise l’égalité
et l’épanouissement dans le travail.
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Les Sociétés COopératives de Production
(SCOP)
Préambule : les SCOP ne sont pas un SCOOP
« L’économie sociale doit être une voie
humaniste au sein de l’économie de marché ».
Cette citation du président de l’Union Régionale
(UR) SCOP Ile-de-France [12] est révélatrice de la
philosophie de la Confédération Générale
des SCOP et du Mouvement coopératif. L’objectif des
coopératives de production n’est pas d’abattre
le capitalisme, mais de développer une autre manière
de gérer des entreprises, sans forcément rompre avec
le libéralisme. Néanmoins, les SCOP méritent
l’attention car elles invitent à une remise en cause,
partielle, du capitalisme et parce qu’elles constituent une
expérience autogestionnaire. Sans être le Cheval de
Troie de l’autogestion anarchiste, elles offrent des pistes
intéressantes.
Présentation des SCOP [13]
En 2006, on compte 1.700 SCOP qui représentent 36.000 salariés
et un chiffre d’affaires de 3 milliards d’€. Leur
poids dans l’économie française s’accroît
: en 1996, elles n’étaient que 1.400 pour 29.000 salariés.
Une entreprise doit être reconnue par la Confédération
Générale (CG), qui contrôle son fonctionnement,
ainsi que par le Ministère du Travail pour bénéficier
du statut de SCOP. Inversement, toutes les coopératives ne
sont pas forcément des SCOP.
Ces entreprises sont surtout développées dans le
BTP (11.500 emplois en 2005) et les industries (textile, métallurgie,
carton...), mais les services commencent à prendre l’ascendant
(14.000 emplois en 2005).
La taille moyenne de ces entreprises est de 22 salariés.
En 2006, les SCOP de plus de 50 salariés (150 sociétés)
représentent 55% du total des emplois concernés, contre
11% pour les 964 coopératives de moins de 10 salariés.
Autrement dit, le système coopératif fonctionne avec
des entreprises assez importantes.
Les coopératives sont un modèle de gestion d’entreprise
tout à fait viable : en 2006, 74% des SCOP enregistrent des
bénéfices nets.
Le fonctionnement des SCOP [14]
Cette réussite a surtout comme intérêt de démontrer
la capacité des travailleurs à gérer leur propre
entreprise.
Dans une SCOP, les décisions importantes sont prises lors
d’assemblées générales dans lesquelles
chaque travailleur dispose d’une voix, quelle que soit la
part de capital possédée par celui-ci. En conséquence,
formation et information des travailleurs doivent être assurées
au sein de la coopérative.
Les salariés sont actionnaires majoritaires de l’entreprise
et détiennent au moins 51% de son capital et 65% des droits
de vote. Si des associés extérieurs peuvent intervenir,
avec un poids limité, tous les salariés ne sont pas
obligés d’être actionnaires. Cependant 80% des
travailleurs employés depuis 2 ans dans leur coopérative
en sont aussi associés. Ceux-ci ne peuvent revendre leurs
parts : elles sont remboursées si l’on veut quitter
la coopérative.
Les travailleurs élisent leurs représentants : conseil
d’administration et directeur qui change environ tous les
3 ans. Les mandataires doivent rendre des comptes lors des assemblées
et tenir les salariés informés de leurs décisions
et de la situation de l’entreprise. Le dirigeant (gérant
élu par les salariés en SARL ou désigné
par le conseil d’administration en SA) garde un statut de
salarié. La répartition des bénéfices
s’effectue en 3 parts : au minimum 25% pour les salariés
(la participation), 16% pour les réserves impartageables
(fonds commun de l’entreprise destiné à assurer
son indépendance et sa survie) et au maximum 33% pour les
actionnaires (les dividendes). Les SCOP développent entre
elles des liens de solidarité aux niveaux régional
(UR), national (CG) et sectoriel (fédérations professionnelles),
notamment pour financer des services communs ou de nouvelles entreprises.
Les principes coopératifs [15]
Les SCOP s’inscrivent dans le cadre plus large des coopératives
(agricoles, de production, banques coopératives, etc) et
de l’économie sociale ; 3e voie entre les secteurs
Privé et Public.
A cet égard, le réseau des SCOP s’appuient
sur un certain nombre de valeurs qui déterminent et encadrent
leur fonctionnement :
- adhésion volontaire et sans discrimination.
- démocratie directe suivant le principe « un membre
= une voix » et celui d’un contrôle exercé
par la base sur ses mandatés.
- contrôle des travailleurs sur le capital et la gestion
de leur entreprise.
- autonomie et indépendance de la coopérative vis-à-vis
d’autres organisations, notamment des pouvoirs publics.
- formation et information des salariés pour qu’ils
puissent exercer leurs responsabilités quant à la
gestion de l’entreprise.
- solidarité entre les coopératives, en particulier
à travers des structures géographiques (unions locales,
régionales, etc) ou professionnelles (fédérations).
- respect de l’individu, « mettre la personne au cœur
du développement coopératif5 ».
- développement durable, c’est-à-dire essayer
de concilier efficacité économique et respect de l’environnement.
Des principes qui se rapprochent des principes libertaires. Mais
qui sont difficilement applicables dans un système économique
libérale.
SCOP et autogestion
Un certain nombres de caractéristiques du fonctionnement
des SCOP posent cependant problème. On retombe sur la question
d’une autogestion adaptée au capitalisme qui amène
ces entreprises gérées directement par les travailleurs
à reproduire au moins en partie le modèle capitaliste.
L’intrusion de capitaux externes peut faire tiquer car ce
qui relève de la finance hérisse le poil des libertaires.
Mais, ces fonds peuvent être apportés en soutien à
des travailleurs ne disposant pas de la somme suffisante pour monter
leur coopérative. C’est aussi un des aspects de la
solidarité entre coopératives puisque celles-ci peuvent
investir dans la création d’autres entreprises autogérées.
En son temps, Proudhon a déjà souligné l’importance
du contrôle des moyens de crédit et de financement
par les travailleurs dans un système autogestionnaire.
Toutes ces sociétés cherchent à être
rentables, ce qui sous-entend qu’en cas de difficultés
on pourra voir les salariés se réunir pour désigner
ceux qui seront licenciés ou accroître le temps de
travail de chacun aux dépens des loisirs. L’autogestion
anarchiste aspire à libérer les masses de conditions
de travail aliénantes, ce qui n’est pas forcément
possible dans une coopérative soumise aux lois de la concurrence.
Rien n’empêche non plus de bousiller l’environnement
pour optimiser les profits des salariés-actionnaires. On
peut se demander s’il est raisonnable d’espérer
promouvoir « l’épanouissement professionnel des
personnes dans le respect de leur environnement [16] », qui
occasionne des coûts, dans un système basé sur
l’accumulation des profits et l’élimination des
moins compétitifs.
Autre zone d’ombre dans les relations au sein de l’entreprise
: le poids du contrôle des travailleurs face au maintien d’une
hiérarchie. Au-delà des déclarations de bonne
intention, il faut que les faits respectent les principes de prise
de décision collective, d’information de tous, de rotation
des mandatés et surtout de définition précise
du rôle de ces derniers par l’ensemble des travailleurs.
Si l’assemblée générale ne sert qu’à
entériner les initiatives personnelles d’une direction,
même élue, alors ce n’est là que l’illusion
de l’autogestion. La persistance des inégalités
de salaire pose également question dans une entreprise qui
tourne grâce aux efforts de chacun.
Les SCOP ne sont pas d’inspiration anarchiste, mais résolument
réformiste ; c’est peut-être pour cela que le
terme « autogestion » est absent de leur discours. Elles
font du lobbying au sein des syndicats, des partis et des pouvoirs
publics5 (élus issus du Mouvement coopératif, participation
à des instances paritaires...). Les coopératives remettent
essentiellement en cause le modèle de l’entreprise
patronale et démontrent la faisabilité de l’autogestion.
Sans aspirer à abattre le capitalisme, elles renforcent pourtant
le discours anarchiste. Mieux encore, elles contribuent à
la formation des travailleurs à la gestion directe et permettent
de tirer des enseignements pour l’avenir. A cet égard,
on peut espérer que le Mouvement coopératif prendra
progressivement conscience des entraves que l’économie
de marché fait peser sur la mise en œuvre des principes
coopératifs, notamment l’épanouissement individuel
et le respect de la planète.
[...]
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Mondragon : Quand l’autogestion flirte avec le capitalisme
Née en 1956, Mondragón Corporación Cooperativa
est aujourd’hui un groupe d’environ 220 entreprises
comptant plus de 80 000 salariés en 2006 1, mais la moitié
seulement en coopérative et sociétaires du groupe.
Mondragon, coopérative basque espagnole, illustre parfaitement
les limites des expériences de gestion directe des entreprises
dans un contexte capitaliste. Cet exemple est ambivalent : réussite
spectaculaire pour une coopérative (7e entreprise industrielle
de l’Espagne) ou dérive dangereuse vers un fonctionnement
capitaliste ?
Une des plus grandes coopératives du monde
Mondragon Corporacion Cooperativa a vu le jour en plein franquisme
dans un fief du nationalisme basque, opposé au régime
de Franco. Tout commence avec la société Ulgor, créée
par 5 amis : Luis Usatorre, Jesús Larrañaga, Alfonso
Gorroñogoitia, José María Ormaechea et Javier
Ortubay. Mais le véritable initiateur de l’Expérience
coopérative est le prêtre José María
Arizmendiarrieta, créateur de l’Ecole professionnelle
de Mondragon d’où sortiront les 5 fondateurs d’Ulgor.
Le statut particulier des employés embête l’Etat
qui décide en 1958 de les exclure du système de sécurité
sociale. En réponse, les salariés mettent en place
un fonds de prévision sociale, aujourd’hui nommé
Lagun-Aro. Dans le même esprit est créé en 1959
un organisme de crédit destiné à soutenir les
coopératives du groupe : Caja Laboral Popular. Cette super-structure
où les représentants des coopératives sont
majoritaires gèrent ainsi les finances de Lagun-Aro.
Progressivement le groupe s’étoffe, aux coopératives
de base (Ulgor, Arrasate/Fagor) s’en ajoutent de nouvelles
: Copreci, Ederlan, Lana en 1962, Eroski (fusion de 5 coopératives
de consommateurs) en 1970, etc. A cette date, le groupe compte 9
000 salariés et 100 000 épargnants pour Caja Laboral.
Le groupe s’organise donc autour de 3 branches : industrie
(métallurgie, fabrication de machines et d’outils,
électroménager, etc.), finance (Caja Laboral Popular)
et commerce (Eroski). Il possède aussi des centres de recherche
(un pôle d’innovation) et une université privée.
MCC est devenue une véritable multinationale implantée
dans une quinzaine de pays2 (Chili, Mexique, Argentine, Pays Bas,
Maroc, Chine...) et notamment en France.
Le groupe ne compte pas que des coopératives (elles sont
environ 130), il a par exemple racheté Brandt. Néanmoins,
il compte environ 32 000 salariés sociétaires (sur
un total de 70 000 travailleurs en 2004), soit environ l’équivalent
de toutes les Scop françaises.
Les effectifs du groupe sont essentiellement implantés dans
le Pays Basque (45%) et l’Espagne (18%). L’international
ne compte que pour 18% du total1. Selon les données du groupe,
MCC représente 82 000 salariés (en 2006) et un chiffre
d’affaires de près de 12 milliards d’€ (en
2005) [17].
Fonctionnement de MCC
Le groupe se compose de salariés actionnaires et propriétaires
qui perçoivent donc des dividendes en fonction du capital
qu’ils possèdent dans leur entreprise. C’est
l’assemblée générale qui fixe la part
qui pourra être redistribuée et celle qui sera réinvestie
dans la société pour assurer sa survie et son développement.
Cette assemblée fixe aussi les grandes orientations de l’entreprise
et élit des représentants selon le principe «
une personne, une voix ».
La direction du groupe est élue lors du congrès des
représentants de toutes les coopératives [18].
Les fonds mis en commun permettent un financement solidaire pouvant
être utilisé pour soutenir une coopérative en
difficulté ou qui aurait besoin d’investir. C’est
aussi ce « trésor de guerre » qui finance la
formation et la protection sociale des salariés.
Un risque de dérive capitaliste
Mondragon est partiellement composée d’entreprises
capitalistes (non coopératives) qui représentent la
moitié des salariés du groupe (données 2004).
Ceux-ci sont donc exclus de la gestion de leur entreprise. Dans
le Pays Basque, seuls 20% des travailleurs ne sont pas coopérateurs
: une formation à la gestion permet aux employés de
devenir coopérateurs au bout de 2 ou 3 ans [19]. Cette transformation
en coopérative n’est pas encore envisagée en
ce qui concerne les établissements à l’étranger.
Cette stratégie d’investissement capitaliste vire
au cocasse quand Mondragon délocalise en Chine ! Le groupe
tente de se justifier en arguant que les restructurations se font
sans casse sociale et qu’il essaie de développer les
droits des travailleurs chinois dans ses établissements,
promettant « plus de participation des travailleurs et une
meilleure répartition des bénéfices dans l’entourage
local. » [20]. Faut-il se réjouir de l’amélioration
de leurs conditions de travail et de la performance des coopératives
ou déplorer que des entreprises autogérées
acceptent de jouer le rôle d’exploiteur ? Jesus Catania,
président de MCC a expliqué : « Pourquoi le
fait d’être une coopérative devrait-il nous empêcher
de gagner des marchés ? Nous sommes une entreprise comme
les autres. La différence, chez nous, c’est que tous
les salariés sont capitalistes. » [21]
Autre compromission avec le système capitaliste : les coopératives
manquent parfois de capitaux et font appel à des investissements
privés. Si le fonds commun géré par Caja Laboral
permet de financer le développement des entreprises du groupe,
certaines ont besoin de capitaux supérieurs à ce que
l’on peut leur attribuer : c’est le cas d’Eroski,
qui en 2002 a émis des titres de participation2. Toutefois,
les investisseurs étrangers n’ont pas de pouvoir quant
à la gestion de l’entreprise. Enfin, les assemblées
générales n’hésitent pas à prendre
des décisions drastiques au nom de la réussite financière
: gel des salaires, préretraites, hausse de la productivité,
etc. Tous ces sacrifices sont étudiés par le conseil
social, composé de représentants élus, chargé
de défendre les intérêts des salariés
(sorte de Comité d’Entreprise) et de contrôler
l’action du conseil recteur (sorte de conseil d’administration)
[22]
Mondragon illustre la compétence des salariés à
pratiquer une gestion directe, mais aussi les risques de perversion
liés à l’inscription des entreprises autogérées
dans un contexte capitaliste.
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Quelques exemples d’entreprises récupérées
en France
Marketube
Hiver 1974, l’usine Isotube de Marquette (fabrication de
tubes plastiques), près de Lille, appartenant au groupe Nobel
Bozel, est condamnée à la fermeture. Sur les 50 ouvriers,
une quarantaine décident d’occuper l’usine pendant
un an. Pour survivre, ils fabriquent des lampadaires et des peluches.
En 1975, grâce à de nombreux soutiens financiers et
à leur prime de licenciement, 7 ouvriers récupèrent
l’établissement et fondent Marketube, qui deviendra
ensuite une SCOP.
Aujourd’hui, l’entreprise compte 13 salariés.
Elle appartient aux travailleurs qui en sont actionnaires (les nouveaux
le deviennent au bout d’un an). Une assemblée générale
des travailleurs se réunit chaque mois, celle des actionnaires
a lieu annuellement. Un salarié occupe le poste de PDG (sans
salaire mirobolant : 1.400€), mais le directeur commercial
se contente d’expliquer que le sien représente «
moins de quatre fois le salaire de base, comme le prévoit
le statut des Scop ». Quand tout va bien, les salariés
se partagent équitablement le gâteau, mais en cas de
coup dur, des licenciements ont lieu (3 en 1997 à cause de
difficultés financières).
En bref, un compromis bancal entre autogestion et capitalisme.
En tout cas, un fonctionnement qui satisfait les travailleurs prêts
à s’investir et à rester à tout prix.
« Trente ans que leur tube tient la route », Libération,
26 décembre 2005.
http://www.liberation.fr/page.php
?Article=347352
La Montagne vivra
En 1980, l’Institut Médico-Pédagogique «
la Montagne » de Cormeilles-en-Parisis (95) est fermé.
Les salariés décident d’occuper l’établissement
d’octobre 1980 à juillet 1981. Ils obtiennent alors
le droit de poursuivre leur activité : un centre d’accueil
d’urgence pour adolescents, déjà mis en place
lors de l’occupation. Le nouvel établissement, «
la Montagne vivra », « est une association loi 1901
qui fonctionne depuis 1981 en autogestion. Elle emploie aujourd’hui
33 personnes ».
Une assemblée générale mensuelle fixe les
orientations à venir et valide les décisions prises
par un secrétariat exécutif (la directrice et un employé
renouvelé tous les 6 mois) assisté de 2 autres travailleurs
pour gérer les affaires courantes. Les principes de fonctionnement
sont donc : « une personne, une voix », polyvalence
et rotation des tâches (un coordinateur est désigné
toutes les 7 semaines). Les bénévoles sont également
associés aux décisions au même titre que les
salariés.
http://www.la-montagne-vivra.org
/
http://www.autogestion.coop/article.php3
?id_article=17
La péniche
Fin 1995, 3 salariés licenciés et quelques connaissances
décident de créer une entreprise autogérée
« sans pouvoir, sans hiérarchie » et «
ayant pour objectif de travailler moins et plus agréablement.
» Ainsi est née La Péniche, SARL de 8 personnes
: rédacteurs, correcteurs et maquettistes travaillant pour
des publications d’économie sociale.
Chaque travailleur est actionnaire à part égale.
Pas de véritable spécialisation, mais les préférences
de chacun limitent la polyvalence. Un salaire horaire unique est
institué pour tous. Les décisions sont prises collectivement
à l’unanimité au cours d’une réunion
hebdomadaire, mais un gérant-potiche est tiré au sort
chaque année pour respecter les règles juridiques.
Temps partiel et plafonnement des salaires sont aussi des principes
choisis et acceptés par tous. Le statut de SARL a été
préféré à celui de SCOP pour échapper
à certaines contraintes de la coopérative, notamment
les contrôles réguliers du Mouvement coopératif
sur le fonctionnement de l’entreprise.
http://www.la-peniche.fr
http://www.autogestion.coop/article.php3 ?id_article=15.
Le site autogestion.coop, œuvre de La Péniche, présente
quelques exemples d’entreprises autogérées et
des réflexions sur le fonctionnement autogestionnaire.
http://www.groupe-sos.org/ecosol/peniche.php.
Notes
[1] Charbons ardents, Le Serpent à plumes (livre), Le Grain
de Sable (film)1999.
[2] « si les directeurs s’avisaient de ne plus nous
écouter, ils risqueraient de perdre leur siège aussi
vite qu’ils l’ont eu ! » p. 79.
[3] 3 « Eh Will, c’est nous qui t’avons mis là
! N’oublie pas, sinon on t’enlève de ta place
! » p. 78.
[4] 4 « ils ne peuvent plus abuser de leur autorité,
parce que sinon, on n’hésite pas à leur foutre
un bon coup de pied au cul ! » p. 79.
[5] 5 p. 81
[6] 6 « on leur donne du Monsieur », « ils nous
dirigent, ils nous donnent des ordres, ils peuvent même nous
renvoyer » p. 87. « Il faut garder une structure avec
des dirigeants », « si vous laissez trop de familiarité
entre les dirigeants et les hommes, c’est la discipline qui
en prend un coup. » p. 88. « on ne peut pas sans cesse
consulter l’ensemble des actionnaires » p. 93
[7] 7 p. 103 à 107, 140-141
[8] 8 p. 55, 99-100
[9] 9 p. 114, 147-148 : « Beaucoup se contentent d’être
actionnaires. », « ils n’ont plus qu’un
mot à la bouche : argent. », 184-185, 190 : «
ons’est aperçus que 5 millions de F étaient
partis en rémunération d’heures supplémentaires
sans véritable raison »
[10] 10 p. 113
[11] 11 p. 206
[12] 1 Actes du congrès régional 2004
[13] 2 Bilan 2005 : « Il n’y a jamais eu autant de
SCOP », Participer 616, mars-avril 2006.
[14] 3 « Qu’est-ce qu’une SCOP », http://www.scop.coop/p443_FR.htm.
[15] http://www.scop.coop/p412_FR.htm.
[16] Le livre blanc du développement coopératif.
[17]
http://www.mcc.es/fra/cooperativismo/experiencia.html. Site
en français du groupe.
[18] http://joel.martine.free.fr
[19] http://joel.martine.free.fr
[20]
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/basque/dossier.asp ?ida=434538
[21] http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/basque/dossier.asp
?ida=434538
[22] Y. Lebourdonnec, « Mondragon : la réussite par
l’autogestion », Enjeux-les Echos, janvier 1998
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