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Origine :
http://www.fondation-besnard.org/article.php3?id_article=10
Quand je lisais des descriptions de kolkhozes et de communes chinoises,
j’avais l’impression de lire des descriptions naïves
ou des mélanges de vérités et de mensonges.
Mais en lisant les évocations des collectifs libertaires
espagnoles chez Leval ou Peirats, j’éprouvais le même
sentiment. Ces auteurs sont tellement convaincus qu’ils oublient
de démontrer systématiquement les progrès économiques.
En 1963, j’ai choisi de commencer une étude universitaire
sur ce sujet, pour chercher la vérité, quelle qu’elle
soit, en insistant sur la formation (manipulée, commandée
ou volontaire) et sur la description économique (stagnation,
progrès ou baisse) des collectivités espagnoles durant
la guerre civile. Me situant dans une optique résolument
critique, j’ai écarté tout triomphalisme dans
les estimations chiffrées et les descriptions des contradictions
éventuelles entre la théorie et la pratique.
J’ai eu la chance de trouver assez de documents pour prouver
la viabilité de l’autogestion révolutionnaire
en Espagne, appliquée pas seulement par des anarcho-syndicalistes,
mais des syndicalistes socialistes et des personnes sans étiquettes
politiques. J’ai également interrogé un certain
nombre de camarades espagnols, qui participèrent concrètement
à l’expérience révolutionnaire, dont
les textes sont reproduits ici. Je n’ai jamais recherché
le contact avec les camarades ex ministres anarchistes, certain
que leur attitude prouvait un évident éloignement
des réalités théoriques et pratiques de l’autogestion
révolutionnaire.
Les historiens de la guerre civile, dans le domaine de l’autogestion
ou dans d’autres et de quelque bord qu’ils soient, n’ont
pas démontré d’erreurs importantes depuis que
j’ai publié (1969 et 1975 en France, et 1976 en Espagne).
D’un point de vue technique, le texte espagnol est le plus
complet. J’ai donc réduit au maximum les notes de cette
édition.
La transition espagnole, vu sa nature, a étouffé
l’intérêt pour le passé. Les études
monographiques et régionales, indispensables pour nuancer
ou corriger la vision d’ensemble que j’ai élaborée,
sont parues au compte-goutte. Je retrace brièvement cette
évolution du le franquisme et l’après-franquisme,
ou transition démocratique, ainsi que celle du mouvement
anarcho-syndicaliste espagnol, qui explique l’effacement en
Espagne de l’idée de l’autogestion révolutionnaire.
Soixante après le début de la guerre d’Espagne,
et face à l’arrogance du capitalisme, il me semble
utile de reprendre ces faits parce qu’on n’étudie
le passé que par rapport à un présent que l’on
voudrait meilleur, et surtout pour un futur constructif. Les tentatives
et les réalisations économiques autogérées
sont un apport indispensable pour établir une société
égalitaire..
Présentation du mouvement anarcho-syndicaliste CNT
Naissance et développement 1910-1923
La révolution russe, cette même révolution
qui constitue la première expérience historique de
la grève générale, non seulement ne réhabilite
pas l’anarchie, mais encore aboutit à une liquidation
historique de l’anarchisme 1. (1905)
Le paysan espagnol est plus individualiste encore que le paysans
français : il a plus de morgue, plus de fierté 2 .
(1927) Ces deux citations sont ridiculisées par les événements
historiques postérieurs, et, étant émises d’une
part par une marxiste et d’autre part par un coopérativiste
bourgeois, elles nous montrent les limites d’analyses qu’ils
prétendent scientifiques ou universelles.
Pour comprendre la force passée et actuelle de l’anarchisme
en Espagne, il est nécessaire d’évoquer brièvement
le passé, en insistant sur le mouvement syndical.
De 1900 à 1931, de nombreux événements marquent
l’histoire du mouvement espagnol. La guerre coloniale au Maroc
entraîne le soulèvement des appelés à
Barcelone en 1909, à la suite duquel Francisco Ferrer, le
pédagogue anarchiste, est fusillé. L’UGT se
développe rapidement : 57.000 militants en 1905, 148.000
en 1913. Les groupes anarcho-syndicalistes, présents depuis
l’introduction des idées socialistes de l’Association
Internationale des Travailleurs en 1868, se coordonnent. C’est
pourquoi dès sa fondation en 1911, la CNT (Confédération
National du Travail) compte 30.000 affiliés.
La Première Guerre mondiale a comme conséquence que
l’industrie espagnole ravitaille les belligérants,
et que donc l’exploitation des salariés redouble. En
1917, la CNT et l’UGT prennent contact et décident
la grève générale révolutionnaire. C’est
un échec à cause des manoeuvres des socialistes :
Certes nous avons donné des armes au peuple, mais il n’en
est pas moins certain qu’il n’y avait pas de munitions
(Indalecio Prieto)3 .
En 1919, l’usine électrique de Catalogne La Canadiense
fut paralysée par une grève de solidarité envers
les ouvriers de la comptabilité, puis la solidarité
s’étendit aux autres usines d’électricité,
puis aux usines textiles. Le gouvernement décréta
l’état d’urgence en Catalogne et mobilisa les
travailleurs, qui refusaient quand même de travailler. Les
revendications étaient passées à l’augmentation
des salaires, la journée de huit heures le paiement de la
moitié des jours de grève. La grève, commencée
en janvier à La Canadiense, avait touché la Catalogne
en fin février. En mars la grève continua, et, du
24 mars au 7 avril ce fut la grève générale.
Le 14 avril, le syndicat patronal acceptait toutes les revendications,
y compris la libération de 3 000 travailleurs.
Cette grève entièrement menée par la CNT est
un exemple d’efficacité de cette centrale qui groupait
la même année 755.000 membres, soit environ 10 % de
la population active. Seulement en Catalogne, la CNT avait 252.000
membres en 1920 et l’UGT, pour toute l’Espagne, 211.000.
En 1922, avec la formation de la III Internationale à Moscou
une délégation de la CNT fut envoyée qui décida
le refus d’adhésion, vu la situation des anarchistes
et des travailleurs russes. Deux marxistes qui se trouvaient dans
cette délégation quittèrent la CNT, ce sont
Andrés Nin et Maurín, qu’on retrouve plus tard
au POUM.
Mais des événements plus graves se déroulaient
: le patronat catalan, pour se venger de La Cana- diense, arma des
gangsters qui liquidèrent les responsables syndicaux, dont
celui qui avait inspiré la tactique à La Canadiense,
Salvador Seguí. C’est le pistolerismo (la lutte des
tueurs à gage du patronat contre les syndicalistes). Pour
y répondre, des groupes de défense se forment De 1919
à 1923, la lutte est féroce.
Le patronat espagnol a besoin d’un régime fort. C’est
l’époque de Mussolini et des dictatures militaires
en Europe (Hongrie, Bulgarie). Le général Primo de
Rivera prend le pouvoir en 1923, aucun groupe politique ne bouge.
La CNT préfère se dissoudre et conserver sa structure
dans la clandestinité, encore que localement les syndicats
continuent parfois sous une autre étiquette.
Causes de la persistance de la CNT
C’est une inexactitude manifeste que d’accuser l’anarchisme
de terribles erreurs de tactique. Mis à part le terrorisme
et l’action individuelle, qui sont une honte pour lui, quelle
autre tactique aurait été efficace en Andalousie ?
Quelle autre école sociale aurait pu mobiliser si rapidement,
les grandes masses de salariés, de cette race imaginative
et inculte, dont l’apathie ne cède qu’au ressort
de l’enthousiasme ? Les voix socialistes, sèches et
froides, à mille lieux du cœur des travailleurs, auraient
mis un siècle pour éveiller les endormis. Le républicanisme
avait vite usé ses mythes. Seule une doctrine de type religieux
et utopique, avec ses nombreux apôtres fervents, avec sa prédication
ardente et très abondante, avec son sectarisme impulsif,
avec son enthousiasme délirant, avec son enseignements naïf,
primitif, très simple, si proche, en cela, de la sensibilité
et de l’entendement des masses andalouses, si en accord leurs
textures psychiques et leurs désirs latents, avait assez
de qualité pour opérer ce miracle. 4
De cette façon, en Espagne, l’anarchisme ne se limita
pas à la propagande des utopies sociales et des actes terroristes.
Il lança des actions de masses et obtint quelques succès
pratiques. Après un développement d’un demi-siècle,
cette tradition du mouvement anarchiste devint une force matérielle
sérieuse, facteur du renforcement ultérieur de son
influence. 5
Les anarchistes espagnols comprirent le problème paysan
bien avant les socialistes, et prirent racine, dès le départ,
en Andalousie, qui est le creuset de la question agraire espagnole.(...)Les
anarchistes étaient des propagandistes formidables et infatigables
(...) Les anarchistes comprirent l’importance qu’a l’éducation
de la jeunesse pour former les combattants de demain, et ils créèrent
les écoles rationalistes (...) Les anarchistes, sans cesse
persécutés, acquirent la pratique d’agir dans
l’ombre, dans la clandestinité, tandis que les socialistes
cherchaient à ne pas enfreindre les lois établies
(...) Les anarcho-syndicalistes comprirent avant les socialistes
l’intérêt de transformer les sociétés
de métier en syndicat d’industrie. L’apparition
du syndicat unique (syndicat d’industrie) fut révolutionnaire
et donna aux anarcho-syndicalistes un tel élan que la majorité
de la classe des travailleurs espagnols gravitait autour de la Confédération
Nationale du Travail. (...) Et, dernier élément et
non des moindres, les anarchistes firent preuve d’une imagination
qui manquait aux socialistes. 6
L’efficacité de la CNT dans le temps et dans l’espace
est évidente dans ces citations d’un notaire républicain
certainement franc-maçon, d’un marxiste-léniniste
bolchévique, d’un marxiste-léniniste hétérodoxe.
Et c’est l’essentiel (au-delà d’appréciations
applicables à leurs conceptions dans le fond religieuses
et utopiques vu la réalité qu’elles entraînent).
Une question logique est de demander pourquoi l’anarchisme
était si fort en Espagne, alors qu’il avait disparu
des autres pays. En fait, poser la question c’est oublier
l’essentiel, à savoir que les idées socialistes,
autoritaires ou non, n’ont jamais pénétré
les pays industrialisés de pointe (à l’exception
de rares moments : IWW aux États-Unis jusqu’en 1914
environ ; anarcho-syndicalisme et spartakistes en Allemagne jusqu’en
1920 et 1933), comme le montrent bien les mouvements ouvriers actuels
des États-Unis, Grande-Bretagne, pays scandinaves, Allemagne.
De plus, sans la volonté et l’organisation, rien de
durable ne se construit
L’influence en Espagne s’explique par la composition
de la CNT, de l’origine politique et sociale de ses affiliés.
Si les objectifs de la CNT sont le communisme libertaire tel que
l’ont défini Bakounine et Kropotkine, entre autres,
le syndicat est cependant ouvert à tous les travailleurs
sans distinction politique et religieuse. On remarque que les travailleurs
espagnols ont effectué un choix dans l’éventail
tactique libertaire contre l’oligarchie. L’influence
sur les artistes et les écrivains est moins forte qu’en
France, le terrorisme également, l’individualisme et
les tentatives de communes sont peu courantes au contraire de la
Russie et de la Bulgarie.
En outre, les responsables, les cadres sont issus des travailleurs
eux-mêmes, par le moule anarcho-syndicaliste. Et ils apparaissent
dès le début de la présence de la Première
Internationale en Espagne : Anselmo Lorenzo, Morago à partir
de 1870. Avec les mouvements de la fin du siècle, Tarrida
del Mármol, Sánchez Rosa, à partir de 1890.
Avec la création de la CNT en 1911, on a Negre, Buenacasa.
Après la tentative de 1917, Salvador Seguí, Pestaña,
Peiró. Pendant la dictature de Primo de Rivera Durruti, García
Oliver, Ascaso, etc. Avec le début de la république
: Peirats, M.R.Vázquez, Cipriano Mera, David Antona. Pendant
la guerre, les frères Sabater, etc. Donc, sans interruption,
depuis 1870 jusqu’en 1936, se succèdent des couches,
des générations de syndicalistes, formés et
expérimentés.
Ces soixante années de militantisme, d’auto-didactisme
prolétaires dans les villes et les campagnes sont la force
de la CNT. Si l’on compare à la Russie où on
ne trouve que trois foyers d’agitation : -les dékabristes
au début du XIX siècle et les exilés convertis
au socialisme comme Herzen, Bakounine, les narodniki ; -populistes
qui allaient au peuple, mais qui étaient fils de la bourgeoisie
ou de la noblesse, toujours au XIX ; -au XX, où pratiquement
le mouvement des travailleurs ne forme ses cadres qu’en quinze
ans, entre 1905 et 1920. De plus, aucun travailleur n’a de
fonction importante, puisque seuls les intellectuels petits-bourgeois
comme Lénine, Trotsky, Boukharine, etc., sont au pouvoir,
pour finalement se dévorer entre eux. Rien de tel en Espagne,
les responsables issus de la petite bourgeoisie sont infimes : les
médecins Vallina et Puente dans les années 30.
Le deuxième élément qui explique la force
de la CNT est son organisation qui repose sur trois points : l’action
directe, le syndicat unique et le fédéralisme.
L’action directe, conformément à la tactique
énoncée par les anarcho-syndicalistes français,
consiste à refuser le plus possible les négociations
directes avec le patronat en exigeant la satisfaction du maximum
des revendications. Concrètement, deux attitudes s’offraient
aux patrons : céder, ou l’opposition, l’épreuve
de force ce qui en général provoquait dans les masses
ouvrières une réaction en chaîne. Nous en avons
déjà vu un exemple en 1919 avec la grève de
La Canadiense. I1 y avait une solidarité puissante entre
les travailleurs des entreprises, et également des différents
métiers. Ainsi, pendant la République, il y eut une
grève des employés de la compagnie des téléphones.
Dans une ville andalouse, à Ronda, le syndicat des paysans
décida d’appuyer cette grève, et tous les poteaux
télégraphiques de la région furent coupés.
C’est-à-dire que des paysans en grande partie analphabètes
avaient une action efficace et solidaire, car en effet ils avaient
une vision et une conscience politiques, même s’ils
étaient à l’écart de la culture bourgeoise.
Le syndicat unique, comme son nom l’indique regroupait les
travailleurs d’une même entreprise ou d’une même
localité, lorsqu’elle était petite. Son importance
fut qu’au lieu de séparer, d’opposer les salariés
en couches artificiellement créées par les patrons
: cadres, techniciens, ingénieurs, employés, ouvriers,
etc., il les unifiait, et par conséquent chaque revendication
était générale, ce qui donnait une solidarité
et une efficacité beaucoup plus grandes que dans l’UGT
organisée à l’européenne (c’est-à-dire
comme en France, en Allemagne, etc.). Il est aisé de comprendre
comment les grèves étaient victorieuses. Parfois,
quand la pression des masses n’était pas suffisante,
des individus ou des groupes se chargeaient de l’augmenter.
Les grèves victorieuses amenaient un afflux de militants
et les grèves suivantes devenaient plus importantes à
cause des succès passés et du plus grand nombre de
participants.
Le fédéralisme donnait une grande souplesse d’action
à 1a CNT, puisque chaque région, ou fédération
locale et municipale pouvait prendre des initiatives sans avoir
à consulter des comités centraux plus ou moins au
courant des problèmes. Un exemple typique est celui de 1934
: la CNT et 1’UGT étaient en désaccord sur une
tactique commune. Cependant, aux Asturies les deux régionales
signèrent un accord d’alliance (ce qui montre l’influence
des tactiques anarchistes sur 1’UGT). Mais, au sein de la
régionale CNT, la fédération de La Felguera
refusa l’accord. Ce qui à première vue semble
contradictoire correspondait à des situations et des réalités
locales entre la CNT et l’UGT.
Un troisième aspect particulièrement différent
et particulier est celui que nous qualifierons de globalisme . La
CNT ne s’est jamais limitée au syndicalisme, et ses
locaux abritaient aussi bien des cours d’alphabétisation
que des écoles de type Ferrer pour les enfants. Car si Ferrer
fut fusillé en 1909, les écoles continuèrent
dans toutes les provinces d’Espagne, avec. l’aide économique
des différents syndicats et des instituteurs, qui étaient
des militants qui enseignaient après leurs heures de travail.
L’espéranto, le végétarianisme, la médecine
naturelle la propagande anticonceptionnelle, l’émancipation
de la femme, les rencontres de détente (las jiras) étaient
non seulement connus mais appuyés par de nombreuses revues
locales et nationales. Si nous prenons simplement 1932, en plus
des publications classiques comme Solidaridad Obrera (Barcelone,
quotidien), Tierra y Libertad (Barcelone, hebdomadaire), La Novela
Ideal (mensuel), La Revista Blanca (Barcelone, mensuel) Nosotros
(Valence, mensuel, Redención (Alcoy), Acción (Cadix)
etc., diverses publications apparaissent : CNT (Madrid, quotidien),
Orto (Valence), Solidaridad Proletaria (Séville), La Voz
del campesino (Jerez), etc 7
Cet aspect culturel multiple n’était nullement gratuit.
I1 s’opposait en tout à la culture catholique : au
début de la vie avec les prénoms Acracio, Floreal,
Germinal, Helios, etc., Luz, Libertaria, Alba, face à Jesús,
Salvador (Sauveur), Ignacio ou Iñaki (Ignace de Loloya fondateur
des jésuites) et pour les femmes, Covadonga (première
victoire contre les musulmans avec apparation de saint Jacques),
Amparo (protection de la vierge), Soledad, Dolores (solitude et
douleur de la vierge), sans compter les multiples lieux de révélation
de la vierge : Pilar, Begoña, Guadalupe , Monserrat, Nuria,
etc ; avec les auteurs littéraires : Multatuli, Panaït
Istrati, Zola ; dans la mort, les athées et mauvais chrétiens
étant exclus du cimetière catholique.
Et le marxisme tant théorique que pratique, était
combattu et présenté tel qu’il est, c’est-à-dire
l’idéologie nouvelle des classes possédantes
pour continuer à exploiter les travailleurs. Les enseignements
de Bakounine, Kropotkine, Rocker, Nettlau étaient publiés
en livres, en brochures, ainsi que les écrits des anarchistes
russes : Archinof, Makhno, Voline, et ceux des cénétistes
qui avaient vu la Russie : M. Prieto, Pérez Combina, Martín
Gudell, Pestaña.
I1 ne faudrait pas croire, pourtant, que la CNT n’avait pas
de défauts.
La première faiblesse est le refus, par peur de bureaucratisation,
des fédérations d’industrie que proposaient
certains camarades. I1 y aurait eu alors des branches comme la métallurgie,
les industries du bâtiment, l’industrie textile, etc.,
qui auraient certainement mieux préparé les militants
à avoir une vision claire de ce qu’il fallait collectiviser.
Le syndicat unique fut conservé et son action fut indéniable,
mais il manquait quelque chose de plus. Pourtant la propagande par
les brochures et les livres du communisme libertaire, c’est-à-dire
l’organisation de l’après-révolution,
sans période transitoire, par et pour les travailleurs, prévoyait
des fédérations d’industries reliées
entre elles, ainsi qu’avec les groupes et les communes agricoles.
Un autre facteur fut le suivisme, sans bureaucratisation. I1 faut
savoir en effet que la CNT de 1931 à 1936, avec environ un
million de syndiqués, n’avait officiellement qu’un
permanent rétribué : le secrétaire du comité
national. En fait, il y avait une vingtaine de permanents, un par
grand syndicat, à partir des 1931. Mais il reste que tous
ceux qui avaient une responsabilité syndicale au comité
national, régional, local l’assumaient après
leur travail, sur leurs heures de liberté, et souvent leur
argent. Cette pratique permettait d’écarter en principe
les principaux arrivistes et obligeait les responsables à
rester au contact du travail et de la base.
Le suivisme s’explique par la personnalité immense
de certains militants comme Peiró, M.R. Vázquez, etc.,
travailleurs qui avaient acquis une culture évidemment supérieure
et qui, donc, en imposaient plus à leurs camarades. La grande
erreur fut l’absence de rotation des tâches. Cela accentuait
le poids des militants capables qui parfois croyaient bien faire
prenant des décisions sans consulter la base. De ce suivisme,
apparaît un pouvoir assez semblable à la bureaucratisation.
Enfin il y avait le problème des alliances. Il est bien
entendu qu’un mouvement social, malgré sa force et
sa puissance, peut rarement mener une tactique révolutionnaire
seul, et la CNT était dans ce cas. Curieusement, après
la tentative de 1917, la CNT agissait comme si elle était
seule.
La CNT de 1923 à 1936
Durant la dictature de Primo de Rivera, l’UGT, non seulement
elle ne s’oppose pas au régime, mais elle y collabore.
Son secrétaire général, Largo Caballero, est
même conseiller d’État au ministère du
Travail. Mais la marge d’action est fort limitée et
l’UGT ne peut offrir grand chose. Les travailleurs ne sont
pas dupes, puisque l’UGT, entre 1920 et 1926, ne passe que
de 211.000 à 219.000 membres.
La position des anarchistes est une inconnue pour ses adversaires.
En fait, depuis 1927, en plus de la CNT, il s’est créée
une fédération anarchiste, la FAI (Fédération
Anarchiste Ibérique, dans l’espoir d’inclure
le Portugal, ce qui ne se fit pas à cause de la répression
de la dictature de Salazar), dont le but est d’aider au développement
des idées anarchistes dans la CNT, et dans le pays.
La dictature ne satisfait pas le patronat espagnol, qui accepte
mal le dirigisme économique sur le modèle de Mussolini,
les partis politiques bougent et les conflits sur le plan du travail
augmentent. La période 1930-1931 est un moment clé
car le régime permet une certaine réorganisation syndicale,
sans doute à cause de possible remous dus à la crise
de 29. L’UGT passe à 277.000 membres en 1930. La CNT
est en contact avec les éléments politiques, non pour
implanter la république, mais pour abattre le régime
d’ignominie qui nous étouffe 8 . De plus, la CNT, après
des démarches de Pestaña, obtient du ministre de l’Intérieur,
le général Mola- futur organisateur du coup d’État
de 1936 et en particulier des ordres d’exécutions immédiates
sans procès des responsables de gauche, le droit de s’organiser.
Certains cenetistes soupçonnaient des marchandages occultes
entre un groupe accusé de réformisme (Peiró
et Pestaña) et l’État, la FAI devint la base
d’attaques contre le réformisme. En fait une troisième
tendance se positionna, le groupe de Durruti, Ascaso, García
Oliver, etc., qui voulait la révolution sociale, en profitant
de la popularité de la FAI.
C’est dans ce climat qu’ont lieu les élections
municipales d’avril qui donnent une nette victoire aux républicains,
et, le 14 avril 1931, la République est proclamée.
Le roi Alphonse XIII ne désire pas, ainsi que le patronat,
d’épreuve de force directe. Il abdique et quitte le
pays. Comme une tentative de coup d’État militaire
de gauche avait été reprimée durement en décembre
1930, il est permis de penser que la droite préférait
que, vu la crise de 1929 dont les effets commençaient à
se faire sentir dans le pays, la gauche en subissent les contrecoups
et se discrédite. Comme ce ne fut pas le cas, ces mêmes
forces firent usage de la violence.
Au-delà des problèmes dans les États-majors
syndicaux, les travailleurs se syndiquent en masse : l’UGT
monte jusqu’à 1.200.000 et la CNT a au moins 800.000
adhérents.
Mais la CNT était divisée profondément en
deux secteurs. L’un préconisait de profiter de la république
pour se lancer dans l’insurrection sociale, c’étaient
les faistes, avec Durruti et ses camarades. L’autre insistait
d’abord sur une préparation, c’est-à-dire
une politique de neutralité et de respect envers la république.
Les faistes lancèrent trois insurrections, qui échouèrent
après des tentatives de communisme libertaire dans des villages
et des petites villes aragonaises, valenciennes, andalouses et castillanes.
Les militants de l’autre tendance, appelés trentistes,
parce qu’ils étaient partisans de la position énoncée
par trente responsables de la CNT comme Peiró, Pestaña,
etc., n’avaient pas participé à ces mouvements.
Début 1934, on avait la CNT pratiquement divisée
en deux et fortement amoindrie par les arrestations consécutives
aux tentatives insurrectionnelles de 1932, janvier et décembre
1933. De plus, les députés étaient en majorité
de droite, car les faistes avaient lancé un mot d’ordre
d’abstention : Face aux urnes, la révolution sociale
!
Les autres secteurs politiques n’avaient pas bougé,
notamment l’UGT, qui à aucun moment n’avait lancé
de grèves de solidarité, par exemple, lors des tentatives
insurrectionnelles d’une partie de la CNT. Le parti socialiste
se lança alors dans une propagande révolutionnaire
et l’ex-conseiller d’État au ministère
du Travail de la dictature, Largo Caballero, se faisait appeler
le Lénine espagnol (ce qui, du point de vue démagogique,
était exact). En fait, il s’agissait uniquement d’une
manœuvre politique à partir d’un bastion armé
pour faire pression sur la droite. € aucun moment il ne fut
prévu une tentative insurrectionnelle dans toute l’Espagne,
comme avait tenté de le faire une partie de la CNT.
Ainsi eut lieu l’accord CNT-UGT des Asturies, et des dépôts
d’armes uniquement dans cette province. En octobre 1934, simultanément
aux Asturies et en Catalogne, deux insurrections éclatèrent.
Dans la première, la CNT prenait part, dans la deuxième,
elle n’était pas consultée. Le déroulement
fut rapide : le gouvernement de droite refusa de traiter avec les
socialistes et les catalanistes et les attaqua. L’insurrection
de Catalogne, menée par des indépendantistes socialisants,
céda presque aussitôt, parce que aucun achat d’armes
lourdes n’avait été fait. Une des premières
mesures des catalanistes fut d’interdire la CNT. Quant aux
Asturies. où il y avait des dizaines de milliers d’ouvriers
armés par suite de l’occupation des usines d’armement,
la province fut isolée, puis quadrillée et réduite.
L’animosité UGT, socialistes d’une part, CNT-FAI
de l’autre augmenta, bien que, paradoxalement, aux Asturies,
cénétistes, ugétistes et même communistes
(une minorité) du PC officiel et du futur POUM aient combattu
ensemble, avec le symbole UHP (Unión de Hermanos Proletarios
= Union des Frères Prolétaires).
Ce slogan est significatif parce qu’il représente
le désir profond des travailleurs espagnols. Au-delà
des querelles de partis, de tendances et de chapelles dans chaque
tendances, une réalité symbolise la soif de changement
social : Dans de nombreux villages, l’organisation locale
des braceros [ouvriers agricoles journaliers] était naïvement
affiliée à l’UGT, à la CNT et au parti
communiste. Ailleurs, le fait que les journaliers agricoles illettrés
s’engage dans la FNTT [Federación Nacional de Trabajadores
de la Tierra, membre de l’UGT] ne faisait pas d’eux
des marxistes formés du jour au lendemain. Il y avait peu
de différences dans la maturité ou les aspirations
politiques entre eux et les membres de la CNT 9 .
L’UGT, même en pure théorie, représentait
le socialisme, la CNT avait le communisme libertaire, et le PC -jusqu’à
1933- prônait les soviets de paysans, d’ouvriers et
de soldats. Et l’expérience asturienne de bataillons
ouvriers armés, de réquisition et d’organisation
syndicale de la société, avec des bons équivalant
à l’argent, entraînait l’idée et
l’exemple de la prise en mains immédiates des moyens
de production par les travailleurs eux-mêmes, selon un schéma
tout à fait semblable au communisme libertaire, popularisée
par le PSOE, l’UGT, et les deux PC.
Les travailleurs espagnols n’avaient pas connu de changement
profond de la structure féodale de la propriété
des terres (absence de révolution bourgeoise de l’ampleur
de 1789 en France) ni de la société toujours soumise
au catholicisme. L’absence d’une politique réformiste
-qu’elle vienne de la droite ou de la gauche- et les actes
timorés, timides et maladroits des gouvernements républicains
depuis 1931 accentuait l’impatience. La II république
de 1931 s’autoproclamait république démocratique
des travailleurs de toute classe s’organisant en un régime
de liberté et de justice (article I). C’était
soit une formule creuse qui incitait à la créer, soit
une réalité à accomplir.
Dans ce climat d’attente et de revendications de changement
social, les échecs apparents du communisme libertaire en
1932, en janvier et en décembre 1933, celui des Asturies
en 1934, s’avéraient en fait des lumières d’espoir,
des tentatives avant de nouveaux essais révolutionnaires.
En 1936, pour les élections, la gauche s’unit pour
vaincre. La CNT recommanda discrètement le vote, et les chiffres
indiquent bien son influence : 1933, la gauche avait 3.200.000 voix,
20% ; en 1936 : 4.800.000, 35%, soit un gain de 1.600.000. Bien
entendu, l’influence cénétiste et l’augmentation
des électeurs -due au retour de certains exilés économiques
et à la participation des jeunes- sont mélangées
; le chiffre de 1.000.000 - 1.300.000 pour l’influence de
la CNT, est acceptable.
La gauche obtient une légère majorité d’ensemble,
1,1 % 10 , mais grâce à la forme du scrutin elle avait
une majorité de 53 sièges . Le grand vainqueur fut
le parti communiste : 14 sièges contre 1 en 1933. Comment
? La réponse est paradoxale. Examinons d’abord les
chiffres. Malaga : 12.900 voix en 1933, 52.750 en 1936 ; Cadix :
3. 000, puis 97.000 ; Oviedo : 16.830, puis 170.500. Or le parti,
selon ses propres sources , n’avait que de 17.000 à
30.000 militants11 ; sa propagande fut limitée à cause
de cela. Et cependant, il totalisa 1.800.000 voix environ. La seule
explication est qu’il bénéficia des voix cénétistes,
et en effet, sur les 14 députés, 13 viennent des régions
à majorité anarchiste.
Cette erreur politique des cénétistes (le renforcement
de l’ennemi idéologique le plus acharné) peut
s’expliquer par les rancœurs contre 1’UGT. De toute
façon, le Front populaire ne fut qu’une mascarade :
la police continua à tirer sur les travailleurs, le gouvernement
ne prenait aucune mesure, contre la droite, et en outre les forces
de gauche ne faisaient que polémiquer, comme le montrent
les grands titres de Solidaridad Obrera du ler au 18 juillet :
Si l’UGT ne décide pas de répondre rapidement
à l’appel cordial du Congrès extraordinaire
de la CNT, la responsabilité de ce qui arrivera retombera
exclusivement sur les socialistes12.
L’entreprise est puissante, et plus encore avec l’aide
des trapézistes du POUM Mais votre enthousiasme et la pression
confédérale vous mèneront à la victoire13.
Caricature de Gallo : des mains qui tirent les ficelles d’un
pantin portant le sigle UGT14.
Caricature de Gallo : une femme bâillonnée-la presse
révolutionnaire-un homme avec la faucille et le marteau qui
lui dit de se taire ; derrière lui un monstre marqué
de la svastika15.
Ça suffit ! Seuls les fous et les agents provocateurs peuvent
établir des points de contacts entre le fascisme et l’anarchisme
[...]. Que les messieurs du Front populaire fassent attention 16
.
Le manque de vision dans les moments de crise et la conduite contre-révolutionnaire
du marxisme espagnol ouvrent les portes au fascisme 17 .
Caricature de Gallo : deux revolvers-UGT et CNT- sont pointés
l’un vers l’autre. Légende : Non ! 18(au sujet
de la grève du bâtiment CNT à Madrid, fief de
l’UGT).
Le coup d’État militaire fut le résultat logique
de la passivité du gouvernement républicain, alors
que la CNT avait prévu quelques mois plus tôt le tour
qu’allaient prendre les événements 19 .
[...] Les éléments de droite sont prêts à
provoquer un putsch militaire[...] Le Maroc semble être le
foyer principal et l’épicentre de la conjuration [...]
Si les conjurés ouvrent le feu, il faut prendre une attitude
d’opposition contre ces mesures extrêmes, sans tolérer
que la bourgeoisie libérale et ses alliés marxistes
manifestent le désir d’arrêter le cours des événements,
en supposant que la rebellion fasciste soit vaincue dans l’œuf.
[...] Ou le fascisme ou la révolution sociale. [...] Aux
aguets, camarades ! (Manifeste du Comité national de la CNT,
le 14 février 1936)
Le 18 juillet a réuni contre l’ennemi commun (l’extrême
droite), les ennemis de toujours (bourgeoise et gauche autoritaires
contre les libertaires).
La prudence extrême aurait dû être la règle
des anarcho-syndicalistes. Mais elle fut remplacée par la
collaboration, voire la capitulation, des responsables de la CNT
et de la FAI.
Organisation nationale de l’autogestion
La CNT-FAI avait prévu une application immédiate
de son programme économique et social. Malgré le changement
d’orientation des hautes sphères, la base resta fidèle
au critère anarchiste : Nous croyons qu’un projet de
collectivisation doit contenir un sentiment totalitaire dans son
programme, mais, dans son exécution, il doit suivre un processus
d’échelonnements pour réaliser par étapes
une solution de continuité 20 .
Malheureusement, les efforts locaux ne purent être coordonnés
qu’à partir de janvier 1937 (voir la chronologie en
annexe), et cela bien après que les dirigeants de la CNT-FAI
aient mis les militants devant les faits accomplis de la collaboration,
c’est-à-dire offrir l’économie à
la bourgeoisie républicaine, en échange d’une
pseudo efficacité.
Les organismes nationaux se formèrent tard, comme en juin
1937 pour l’agriculture, et seulement en janvier 1938 un congrès
économique élargi posa les problèmes de la
nouvelle économie : Cette année et demie de retard
eut des conséquences fatales pour une des plus belles expériences
de l’histoire révolutionnaire 21 .
Quelle fut la base économique de l’autogestion ? Très
mauvaise dans l’ensemble, car le pays connaissait déjà
un chômage très important. Il ne semble pas que les
gouvernements de Madrid et Barcelone y aient prêté
beaucoup d’attention. La conscription militaire résolut
le problème, tout en posant un problème de main-d’œuvre
déficitaire dans certaines industries, en particulier celles
liées aux armements. En effet la coupure de l’Espagne
en deux zones détruisit le réseau d’échange
traditionnel. Avec les bombardements, I’énergie électrique
fut réservée aux usines de guerre. Les citations qui
suivent se font l’écho de ces problèmes pressants
: Les trois cinquièmes des marchés intérieurs
sont aux mains des factieux [...]. Presque les deux tiers de nos
travailleurs [en Catalogne] vivent d’un régime de subsides
plus ou moins officiel (1936) [En Catalogne] il y a une quantité
extraordinaire d’entreprises collectivisées et privées
dont les ouvriers passent la plus grande partie de la journée
sans rien faire (1937) [Plénum de l’industrie textile
d’Espagne.] Le délégué catalan : Il n’est
pas possible d’éviter la catastrophe à cause
du manque d’électricité, de colorants et de
laines. Mais en définissant le problème, il affirme
que la vérité est qu’il faut s’adresser
au gouvernement. Nous n’avons pas de travail. Le gouvernement
n’a pas de devises, et s’il en a, c’est pour du
matériel de guerre. Voilà la réalité
incontestable (1938).
En plus de la lutte militaire, des antagonismes politiques, l’autogestion
se heurta tout de suite à certains abus, rapidement excités
et appuyés par le PC. Plusieurs gros titres de la presse
confédérale permettent de suivre cette réalité
: Soit à cause du manque de denrées, soit à
cause de l’esprit égoïste des commerçants,
le prix des articles de consommation courante a augmenté
notablement depuis le début de la lutte contre le fascisme22.
Le prix scandaleux des produits 23 .
L’article d’Augustin Souchy, Problemas económicos
de la revolución24, peut nous servir de synthèse,
et les grandes lignes en sont : Il y a des phénomènes
qui nous rappellent la désorganisation capitaliste et qui
sont les suivants : [...] 1) Les paysans et les collectivités
agraires ne reçoivent pour leur production pas plus que ce
qu’ils touchaient avant le 18 juillet 1936 [...]. Les prix
des produits industriels montent à une allure vertigineuse.
2) Les différences injustifiées entre les revenus
des travailleurs. Les entreprises collectivisées payent 120,
au maximum 140 pesetas par semaine, et les collectivités
rurales 70 en moyenne. Les ouvriers de l’industrie de guerre
touchent 200, plus même, par semaine. Il ne serait donc pas
étonnant que les collectivités perdent leur pouvoir
d’attraction sur les travailleurs. 3) Beaucoup de marchandises
ne peuvent être obtenues dans le commerce public [...]. Notre
économie, en outre, n’est pas aussi homogène
et complète que la russe25, parce que nos collectivités,
nos coopératives, etc., dans les villes et les campagnes,
n’englobent à peine que la moitié de l’économie
du pays. Une partie considérable est encore aux mains de
la petite bourgeoisie. Il est évident que sa situation, dans
bien des cas, n’est pas meilleure aujourd’hui que celle
des travailleurs ; mais leur ensemble commercial échappe
au contrôle des organisations prolétaires. Le panneau
contrôlé par I’UGT et la CNT est dans la plupart
des cas plus fictif qu’effectif.
Malgré une certaine exagération à la fin,
le jugement de Souchy est juste et les contradictions économiques
qu’il dénonce sont le résultat logique des reculs
continuels.
Un problème vital fut celui des salaires. La I Internationale
avait déjà connu le débat entre les collectivistes
et les communistes, ces derniers étaient partisans de la
formule à chacun selon ses besoins pour éviter radicalement
l’inégalité économique qui resurgirait
avec le collectivisme, fondé sur à chacun selon son
travail.
Kropotkine a expliqué très clairement la position
de Bakounine dans La Conquête du pain en dénonçant
Marx comme partisan de la hiérarchie des salaires (dans la
Critique du programme de Gotha). Avec les salaires de l’autogestion
en Espagne, le débat marxisme-anarchisme se posa à
nouveau. Les anarchistes défendaient en partie la position
de Kropotkine, en abolissant l’argent dans beaucoup de villages
d’Aragon. Mais, en fait, ils défendaient le maintien
du salaire en lui enlevant son caractère de stimulant et
de différenciation entre les travailleurs, car il ne faut
pas chercher à inciter les travailleurs dans la production
par le système d’une rétribution plus forte
selon la sorte de travail à faire ; il y a d’autres
moyens pour obtenir du producteur un rendement normal, selon ses
forces et ses capacités, totalement séparés
de nécessités du type organisation en hiérarchies
de rétribution de l’échelle des salaires. Et
nous disons type, car dans le cas de la spécialisation qui
se généralise de plus en plus, la presque totalité
des ouvriers serait en droit d’exiger de telles rémunérations26
.
C’est à cette conception kropotkinienne qu’appartiennent
les essais de salaire unique dans plusieurs entreprises de Barcelone,
essais qui ne convainquirent pas tous les cénétistes,
comme on peut le déduire du compte rendu du congrès
de la fédération régionale catalane en février-mars
1937 : Certains ne peuvent abandonner leurs préjugés
et ne peuvent accepter qu’un architecte et un maçon
puissent gagner autant qu’un paysan. Tant que nous n’abandonnerons
pas ces idées égoïstes, nous n’aurons en
définitive rien fait de pratique .
À côté de cas extrêmes d’antibureaucratisme
(Les membres du conseil administratif touchent chaque quinzaine
22 pesetas de moins que les autres collectivistes), d’anti-hiérarchisation
(Badalona demande que la catégorie des manœuvres soit
abolie. Cela n’est pas pris en considérations -janvier
37-), une application généralisée du salaire
familial se fit place : Le salaire juste est le familial, parce
que c’est la manière d’arriver à la justice.
Le salaire familial sera toujours un avantage pour tous ceux qui
sont vraiment dans le besoin (janvier 37). Le miracle si espéré
et compris par tous, le salaire familial (octobre 37).
La grande critique contre ce système -d’un point de
vue anarchiste- est que les femmes ne furent presque jamais considérées
égales aux hommes, en dépit de quelques reproches
de Mujeres Libres (voir le livre édité par Mary Nash).
Les communistes protestaient également en vain. Dans presque
aucun collectif de la CNT ou de l’UGT nous n’avons trouvé
d’égalité. de salaires. De toute façon,
même cette mesure aurait été injuste, car la
journée de travail de la femme comprend aussi les tâches
ménagères. Jusqu’à présent, aucun
pays n’a dépassé ce niveau .
L’opposition la plus forte provint de certains travailleurs
de la CNT soit par différence théorique, soit à
cause de la pression du niveau de vie. Ainsi à Paret del
Vallés -Barcelone-, deux ouvriers agricoles de la CNT quittèrent
l’organisation et la collectivité pour adhérer
à 1’UGT parce qu’ils ne voulaient pas travailler
pour six pesetas par jour. À Carabaña - Madrid -,
la collectivité augmenta le salaire jusqu’à
15 pesetas, alors que dans les autres il était de 6 ou 8
; après intervention de la fédération régionale,
il fut réduit à 10 pour éviter un déséquilibre.
Mais le problème le plus grave fut celui des techniciens
: un double mouvement se forma. D’une part, il y eut un certain
ressentiment des travailleurs manuels, qui se manifesta sous la
forme de reproches contre les techniciens à cause des hauts
salaires perçus avant le 19 juillet et, par conséquent,
de refus de nouvelles augmentations pour les techniciens : Un autre
délégué de Catalogne regrette qu’une
fois de plus -et il y en eut beaucoup- les techniciens vont être
plus touchés que tout le monde, puisque depuis le l9 juillet
1936, ils sont les seuls auxquels on a baissé le salaire
. D’autre part, vu la politique de l’UGT d’augmentation
des salaires, il y avait une manœuvre, pour les inciter à
partir et abandonner les ouvriers manuels.
Une solution mixte fut adoptée dans les chemins de fer de
Catalogne : a) rémunération unique de 5 000 pesetas
annuelles b) pour préserver un intérêt pour
le personnel technique, il recevra un supplément de 2000
pesetas annuelles.
La CNT suivit et justifia cette tendance durant le congrès
économique élargi de janvier 1938 à Valence
: reconnaissant des besoins complémentaires entre les différentes
catégories professionnelles, nous proposons également
de les reconnaître dans la circonstance 27 , mais dans l’avenir
il faudra tendre à effacer les différences de rétribution
entre les travailleurs. Donc après ces considérations
élémentaires, nous proposons au plénum : [...].
- Catégorie de base. Manœuvre X.
- Première catégorie supérieure. Ouvrier :
20 % d’augmentation.
- Seconde catégorie supérieure. Ouvrier spécialisé
: 40 % d’augmentation.
- Troisième catégorie supérieure. Technicien
auxiliaire : 70 % d’augmentation.
- Quatrième catégorie supérieure. Technicien
directeur 100 % d’augmentation .
Cette décision fut bien dépassée dans la réalité.
Dans le bâtiment à Barcelone, I’échelle
des salaires était en mars 1938 : manœuvre, 150 pesetas
par semaine ; ouvrier qualifié, 180 (20 % d’augmentation)
; dessinateur, 675 (350 %) ; chef de chantier, aide-chef de chantier,
900 (500 %) ; architecte, ingénieurs, 1.500 (900 %) .
On observe la même tendance dans l’autogestion agricole.
Si le salaire journalier dans le Levant oscillait entre 1,50 et
4 pesetas en avril 1937 (ce qui donne un salaire mensuel maximum
de 39 et 104) les membres du comité régional de la
FAI recevaient 400 (925 et 284 % d’augmentation).
Comme élément de comparaison, dans un congrès
de la F.E.T.T.-UGT de février 1938 à Alicante, les
secrétaires touchaient 750 pesetas ; étant donné
que le salaire journalier devait être alors de 6 ou 8, nous
aurions par mois 156 et 208 pesetas, ce qui fait 380 % et 260 %
d’augmentation pour la hiérarchie.
Il est juste de remarquer que, dans le Centre, la fédération
paysanne n’atteint pas ces pourcentages, puisque le secrétaire
général percevait 560, contre 933 pour un agronome
en février 1939.
L’UGT ne pouvait avoir les mêmes contradictions que
la CNT, puisque le marxisme accepte l’échelonnement
des salaires. Ainsi, en Catalogne, avant son troisième congrès,
l’UGT écrivait : Le congrès doit se prononcer
catégoriquement contre le salaire unique et contre le salaire
appelé familial, parce qu’il les considère antiéconomiques
et en contradiction absolue avec les besoins de la vie quotidienne
des travailleurs (septembre 37).
Le retard tactique de cette orientation -absente en 1936- est caractéristique.
Une critique plus claire encore : Le salaire unique enlève
le stimulant de la spécialisation aux ouvriers, puisqu’ils
ne voient pas de compensation. À Lérida, nous avons
l’exemple du bâtiment. La collectivité a établi
le salaire égalitaire entre tous les travailleurs, mais au
bout de quelques jours les ouvriers qualifiés ne voulaient
plus faire leur travail spécifique. [Le salaire familial]
ne nie pas seulement la récompense et la rétribution
de l’ouvrier mieux formé et la possibilité de
se spécialiser, mais ceux qui n’ont pas de culture
moyenne ne se soucieraient que d’avoir un grand nombre d’enfants
pour gagner plus, sans s’occuper des conséquences que
cela pourrait avoir, non seulement pour leur famille, mais pour
l’économie en général (août 37).
Si la critique du manque de stimulant peut se comprendre, curieuse
est l’appréciation sur les ouvriers de culture moyenne
qui se mettraient à multiplier leurs enfants pour avoir plus
d’argent, parce qu’elle suppose un primitivisme mental
totalement séparé de la conscience politique qui avait
permis juillet 1936 et l’appropriation des moyens de production,
de la part d’ouvriers, même et surtout ceux de culture
moyenne . Les affiliés à 1’UGT furent sans doute
assez contraires à cette propagande, puisque dans une brochure
du premier congrès de la Federació sidero-metalúrgica
de Catalunya de 1938 le même thème était repris.
On expliquait comment améliorer la production, avec les primes
d’abord et ensuite d’autres moyens de stimulation comme
les championnats, les paris d’émulation, les brigades
de chocs, les avancements, la promotion à des postes de plus
grande responsabilité, mieux rétribués, des
mentions dans la presse, des autorisations, des voyages, etc. C’est
la description banale de l’arsenal du marxisme-léninisme,
perfectionné par Staline : On ne peut tolérer qu’un
ouvrier de laminoir gagne autant qu’un balayeur. On ne peut
tolérer qu’un chauffeur de locomotive reçoive
le même salaire qu’un copiste. Marx et Lénine
disent que la différence entre le travail qualifié
et non qualifié persistera encore dans le système
socialiste, et même après la suppression des classes,
et que seulement avec le communisme cette différence devra
disparaître. C’est pourquoi, même sous le socialisme,
le salaire doit être selon le travail fourni et non selon
les besoins28.
L’existence de l’autogestion espagnole, c’est-à-dire
de la maturité des travailleurs dément la nécessité
d’un contrôle, de stimulants aussi stricts, surtout
lorsque nous constatons que, pour presque chaque décision
économique et politique, les dirigeants, tout aussi bien
les anarchistes que les marxistes, commirent des erreurs grossières
et incompréhensibles.
Le véritable problème n’est pas le stimulant,
mais le pouvoir du travailleur. Si la base contrôle, elle
sait alors se sacrifier. Si elle n’a pas le pouvoir, la base
n’admet pas d’être sacrifiée. Aussi passe-t-elle
à l’insurrection quand elle n’en peut plus, comme
à Berlin-Est en Pologne, Hongrie, etc. À la propagande
léniniste de l’Est, de Cuba et d’Asie, on peut
répondre avec Nelson P. Valdés : La basse productivité,
l’absentéisme dans le travail et ce qu’on appelle
l’indiscipline ne sont pas le résultat de la conscience
insuffisante des hommes et des femmes qui travaillent chaque jour,
mais la conséquence directe d’un gouvernement révolutionnaire
qui a distribué des bénéfices sociaux, mais
n’a pas distribué le pouvoir. Comme les travailleurs
ne prennent pas de décision, ils ne se sentent pas responsables.
Comme avant, ils reçoivent des ordres d’en haut et
ils vendent leur travail à ceux qui contrôlent les
moyens de production29 .
Le mouvement libertaire chercha très tôt à
définir sa position sur un plan global d’économie
privée et autogestionnaire. Les organisations ouvrières,
en particulier la CNT et le mouvement anarchiste, doivent se préparer
à réaliser toute une œuvre de reconstruction
économique, qui devra aller de la collectivisation à
la socialisation des terres, des mines et des industries30.
Peiró définit mieux cette conception : Si la socialisation
est opérée par l’État, alors dans ce
cas ce n’est qu’une nationalisation ; si ce sont les
syndicats qui procèdent à la nationalisation de la
richesse, c’est-à-dire de ses sources de création,
indubitablement c’est une socialisation. La différence,
en tout cas, consiste en ce que ce soit l’État ou les
syndicats qui le fassent, le seul problème est que les syndicats
soient en mesure de le faire [...]. Les syndicats sont-ils prêts
pour cette grande action socialiste ? [...] Je dis résolument
que non. Et ils ne le sont pas parce que l’économie
des industries, étroitement liée à celle de
l’agriculture, est un tout dans toute l’extension de
l’Espagne. Nous en avons une bonne preuve dans les phénomènes
économiques que la guerre produit en désarticulant
l’économie du pays [...] ;ils sont dus, plus qu’à
la guerre, au fait que la moitié de l’Espagne est économiquement
isolée de l’autre moitié. [...] Les fédérations
nationales d’industrie. conçues et si souvent mises
en place dans les milieux confédéraux, ont été
adoptées par l’UGT, ce qui veut dire qu’en admettant
que cette centrale arrive à se séparer du Parti socialiste
ouvrier espagnol les syndicats ugétistes, s’ils désirent
la socialisation en marge de l’État seront mieux placés
pour mener à bien cette œuvre de transformation. [...]
Lorsque nous parlons de socialiser, seules quelques industries locales
peuvent échapper à la nécessité de le
faire nationalement. Pour ce faire, il faut penser d’abord
aux organes adéquats à la socialisation : les fédérations
nationales d’industrie sans aller plus avant dans 1’économie31.
Jusqu’à cette période la CNT se fondait sur
les syndicats uniques par branche, ce qui n’englobait pas
toutes les activités économiques : Par exemple, la
branche du transport, qui était plutôt une activité
solidaire des différentes industries qu’elle servait,
subsistait comme un corps syndical autonome.
Avec la préparation des fédérations d’industrie,
il y eut des problèmes de rivalités, de querelles,
plus ou moins profondes entre différentes corporations :
J’ai déjà dit que lorsque nous avons structuré
les syndicats uniques nous nous sommes heurtés à la
même chose. Chacun défendait sa petite chapelle, pourrait-on
dire. Maintenant, les difficultés surgissent avec la structuration
des syndicats d’industrie (mars 37).
Mais le problème le plus profond et le plus inquiétant
fut celui de la déviation de l’économie au seul
niveau de l’entreprise : Nombreuses sont les entreprises collectivisées
qui ont eu comme souci primordial d’augmenter les salaires
et même de baisser les heures de travail, en percevant des
salaires correspondant à des journées chômées.
On agissait comme si la lutte contre l’entreprise bourgeoise
continuait 32 .
La réaction vint de la base elle-même : Nous, membres
du syndicat du bois [de Barcelone], avec un vaste sens des responsabilités,
nous rendant compte du moment, nous avons voulu ne pas suivre seulement
la marche de la révolution ; nous avons voulu la canaliser
en tenant compte de notre économie, I’économie
du peuple. C’est pourquoi nous avons recueilli tous les petits
propriétaires, les patrons insolvables, sans moyens de vie,
nous nous sommes chargés des ateliers microscopiques, composés
d’un nombre insignifiant d’ouvriers, sans leur demander
à quelle centrale syndicale ils appartenaient, en ne voyant
en eux que des ouvriers qui étaient inactifs et lésaient
l’économie. [...] Nous avons monté des ateliers
confédéraux de deux cents travailleurs et plus, comme
il n’y en avait jamais eu à Barcelone et très
peu dans le reste de l’Espagne. [...] Nous avons accepté
la collectivisation de toutes les industries, mais avec une seule
caisse, et en obtenant la répartition équitable. Ce
que nous n’acceptons pas, c’est qu’il y ait des
collectivités pauvres et d’autres riches (décembre
36).
Nous trouvons la même ardeur dans la concentration des ateliers
et des centres de travail (des chemins de fer aux coiffeurs de Barcelone)
dans les villes et les campagnes (usage de machines, création
ou extension de l’irrigation, exportation unifiée des
agrumes), dans la solidarité et l’entraide à
l’intérieur d’une fédération et
entre les fédérations (le conseil d’Aragon,
surtout) et dans la coordination pour résoudre les conflits
et unir les efforts.
D’un point de vue global, nous ne savons pas pour le moment
quelle tendance -l’égoïsme ou la solidarité
- fut la plus importante. Les anarchistes sont parfois très
sévères, et nous donnons ce qui suit comme un témoignage,
non comme une vérité : À Barcelone et dans
presque toutes les villes de Catalogne, chaque usine travaille et
vend ses produits pour son propre compte ; chacune cherche des clients
et concurrence les usines rivales. Un néocapitalisme ouvrier
est né. L’usine qui avait trouvé dans les magasins
du capitaliste ou du patron réquisitionné ou assimilé
comme technicien par le comité de gestion, d’abondantes
matières premières, produit à plein rendement.
D’autres, moins heureuses, diminuent leur production et le
standard de vie des travailleurs. D’autres, enfin, doivent
fermer, et le gouvernement catalan paie les travailleurs à
ne rien faire.
Dans le commerce, ce même néocapitalisme apparaît,
à une moindre échelle. Les comités naissent
dans tous les commerces, toutes les maisons. L’ex-propriétaire,
même, en fait partie. Et employés et propriétaires
réunis se mettent d’accord pour exploiter le client.
Le comité apparaît donc avec tous ses défauts,
qu’il ne faut pas cacher. Mais, dans cette première
période, c’est cependant la seule manifestation de
continuité de la vie, puisque les patrons, d’un côté,
les syndicats, de l’autre, n’entreprennent rien. Et
la vie ne peut s’arrêter. [...]
Nous connaissons des cas, à Barcelone, où les représentants
du syndicat qui essayait de prendre les comités d’usines
déficitaires -et qui ne devaient pas l’être-
furent reçus les armes à la main. Dans d’autres
cas, où l’intervention était justifiée
par un excèdent de bénéfices qui aurait pu
être utilisé pour aider des entreprises involontairement
déficitaires, la même chose se passa. [...]
La grande leçon de cette expérience, qui s’étend
sur trois ans, est que dans l’ensemble (en admettant cependant
qu’il y eut des cas d’exception dont nous n’avons
pas eu connaissance) les comités nés de la révolution
[...] eurent donc des résultats absolument négatifs
qui menèrent l’économie à la ruine et
donnaient naissance à de nouvelles formes d’égoïsme
et d’exploitation. En ce qui concerne les syndicats, quand
ils osèrent socialiser, à Madrid, dans le Levant ou
en Catalogne, on constate des succès satisfaisants dans l’économie,
la liberté, la justice 33 .
Il est évident que ce jugement est imprégné
d’anarcho-syndicalisme opposé aux comités sans
étiquettes et il porte en soi le germe de la déviation
marxiste ou autoritaire de croire que la masse se trompe toujours,
si elle n’est pas dirigée par le comité de tel
ou tel groupe. C’est ce qui se passa avec la CNT au niveau
des collectifs -qui se défendirent comme on le verra- et
au niveau des militants (voir en conclusion l’opinion de Pouget).
Le livret d’ouvrier ou livret professionnel est un système
de contrôle de la capacité, de la morale et des lieux
où la personne a travaillé. La création semble
correspondre au Second Empire français et son application
fut policière jusqu’à son abolition en 1890.
Mais, à partir des années trente, les fascistes italiens
et allemands appliquèrent de nouveau ce système. M.R.
Vázquez le jugeait ainsi : Le carnet professionnel facilite
le contrôle par l’État de tous les ouvriers et
lui donne un fichier abondant pour en faire usage au moment opportun
en éliminant de l’état social ceux qui le gêneront34.
Subitement au début de 1937, les deux centrales UGT et CNT
commencèrent à se décider pour le livret professionnel.
I1 y eut d’abord le carnet d’identité confédérale
avec l’industrie où il travaille, lieu de naissance,
date où il a commencé à travailler dans l’industrie
mentionnée. Ensuite, Madrid et Barcelone imposèrent
le certificat de travail à tous les citoyens . Et, fin 1937,
une propagande commença dans la CNT en faveur d’un
certificat de travail confédéral, avec le slogan et
le prétexte que : Aucun véritable travailleur ne peut
être gêné qu’on exige de lui tous les rapports
nécessaires pour vérifier son adhésion à
la cause du peuple.
Lénine avait écrit presque la même chose :
Chaque ouvrier a un livret de travail. I1 n’est pas humilié
par ce document, encore qu’aujourd’hui, à n’en
pas douter, c’est un document qui démontre l’esclavage
salarial capitaliste35, ce qui cadrait avec sa théorie du
syndicat unique et obligatoire, ce qui explique l’application
du livret professionnel dans tous les pays qui se réclament
du marxisme.
Le dernier pas fut fait lors du congrès économique
élargi de 1938 à Valence : en cas de licenciements
successifs -des usines confédérales !-, les antécédents
[de l’ouvrier] seront enregistrés sur les livrets de
travail et syndical, en laissant à la discrétion du
syndicat affecté les sanctions de suspension temporaire de
travail qu’il faudra lui imposer, mesure que l’on ne
propose qu’en dernier recours .
Tant de créations de fédérations d’industrie
et tant de contrôles de militants cenetistes par leurs dirigeants
furent menés à bien sans que personne ne contrôle
ces derniers, et qu’ils prévoient de l’être.
L’UGT, plus qu’à des polémiques comme
dans la CNT et dans la FAI, était en proie à une scission
(ce qui était déjà le cas dans le PSOE entre
Caballero et Prieto) entre la branche caballériste et collectiviste,
et la branche communiste en faveur de l’industrie privée.
La commission exécutive de l’UGT décrétait,
cependant, qu’il fallait prendre des mesures énergiques
contre les syndicats qui ne font pas ce qui a été
convenu par le gouvernement (octobre 38). De son côté,
M.R. Vázquez-critique, puis fanatique du livret de travail-annonçait
aux fédérations régionales la militarisation
de l’électricité et la restitution des compagnies
à l’étranger (mai 38).
La preuve que la base n’avait aucun contrôle apparaît
dans ce jugement de M.R. Vázquez : En Espagne, il y avait
deux puissances économiques : celle des Juifs et celle des
jésuites. Celle des Juifs consistait presque entièrement
en capitaux étrangers. Celle des jésuites apparaissait
dans la plupart des cas en tant que capital national. Tout militant
aurait dit que les capitaux étrangers en Espagne n’étaient
pas forcément synonymes de présence juive et qu’une
telle pensée répondait en tout point aux mots d’ordre
fascistes. De plus, la généralisation était
absurde étant donné que la femme de Kropotkine était
juive, que beaucoup de Juifs formaient des groupes anarchistes aux
États-Unis, qu’il y en eut dans les guérillas
de Makhno... L’erreur personnelle devint une erreur collective,
lorsque M.R. Vázquez repoussa au nom de la CNT des possibilités
de se gagner les Juifs : Il faut préciser que nous ne pouvons
faire de concessions ni œuvrer pour déroger le vieil
édit qui détermine l’expulsion des Juifs d’Espagne
et ouvrir les portes à tous les Juifs qui voudront venir
s’établir ici. Ce n’est pas possible, parce que
ce serait, à n’en pas douter, une des décisions
les plus antirévolutionnaires que nous pourrions adopter.
Nous savons parfaitement qu’immédiatement un capitalisme
d’énorme importance s’établirait ici,
ressuscitant par là même les vieux systèmes
d’exploitation [...]. En marge de cette question de principe,
on peut faire tout le travail de captation, propagande et divulgation
qu’on voudra dans les milieux séphardis, tout en admettant
qu’aucun Juif n’est fasciste (mai 38).
Nous en terminerons avec ce point en soulignant qu’un certain
nombre de Séphardis étaient revenus en Espagne durant
la Seconde République et certains luttèrent avec les
républicains, et la CNT, comme Alkalay de Bulgarie. On constate
les effets pervers des dirigeants lorsque personne ne les contrôle.
L’autogestion organisée à la base se forma
spontanément, ou plus exactement, appliqua aussitôt
la propagande anarcho-syndicaliste et anarchiste, c’est-à-dire
trois orientations : les statistiques (pour dominer l’économie),
les nouvelles techniques (pour restructurer l’économie)
et la culture (pour avoir une nouvelle vision du monde).
Cullera dit qu’il faut créer une commission de statistiques
qui doit être divisée en groupes, qui seront réunis
selon des fédérations communales, provinciales et
régionales (septembre 36). I1 s’agissait ni plus ni
moins que de l’idée du rapport sur les statistiques
au congrès d’avril 1872 à Saragosse, tel que
le cite Anselmo Lorenzo dans El Proletariado militante. . À
cette évidence, le comité national répondit
par l’indifférence, et lorsqu’il changea d’idées
la coupure était trop forte.
Les nouvelles techniques consistèrent d’abord à
transformer l’industrie de production des biens de consommation
en industrie de guerre, ce qui ne se fit pas seulement en Catalogne,
mais aussi à Madrid (le périodique Ferrobellum du
PC la décrit en partie), dans le Levant et en Andalousie
. Dans le même temps, l’industrie du transport était
concentrée et l’exportation des agrumes était
unifiée, et de nombreuses industries suivaient cette évolution.
Plusieurs techniques totalement inconnues en Espagne furent appliquées
comme dans les automobiles le gaz à haute pression dans des
bouteilles transportables. L’industrie de guerre en particulier
profita d’importantes nouveautés.
L’œuvre culturelle est inséparable de la guerre
dans la mesure où c’est à cause de l’autogestion
et du combat contre le capital qu’elle a pu être accomplie.
Ainsi, dans l’esprit du collectiviste, il y avait un même
niveau : pour autogérer le village ou une entreprise, s’enrôler
dans les milices, créer une école de type Ferrer,
donner des explications anticonceptionnelles.
Castelseras signale qu’une des premières choses qui
ont été prises en considération dans ce village
fut la mise en marche des écoles, étant donné
que les enfants d’aujourd’hui, qui seront les hommes
de demain, doivent être orientés et éduqués
comme il faut (Aragon, septembre 36).
[...] Adapter l’école à l’enfant et non
le contraire, comme on l’a fait jusqu’à présent
[...]. Notre école n’a pas besoin de faire du prosélytisme
pour tel ou tel doctrine ou credo ; il lui suffit de faire des hommes
dans les conditions indiquées et avec un fort sentiment de
liberté, car nous sommes sûrs qu’ainsi ils seront
nécessairement à nos côtés et entreront
dans nos rangs (Asturies, mai 37).
Le travail de l’École nouvelle, dans le Centre et
en Catalogne -C.E.N.U.- est encore à faire, de même
que la lutte contre la prostitution et l’œuvre de Mujeres
libres. Mais on remarque la répugnance à imposer la
même limitation mentale dont on accuse les autoritaires capitalistes
et marxistes. Parfois, on tomba dans le puritanisme, comme Erhenburg
et Kaminsky s’en firent l’écho ironique, mais
ils oubliaient que l’élément le plus important
du mouvement anarchiste fut la terrible dignité qu’il
donna à l’homme. L’anarchisme arriva à
croire complètement en l’homme- n ne voulut pas aider,
mais faire. Un exemple. Il y avait les dames qui aidaient le pauvre
ivrogne ; l’anarchiste déclencha une campagne contre
l’alcoolisme. Voilà comment on attaque le mal à
la racine .
C’est pourquoi un autre forfait du P.C. fut d’attaquer
les écoles rationalistes comme cela arriva avec la 82e brigade
de montagne qui interdit l’école de la collectivité
d’Ademuz pour 115 enfants (juillet 37).
L’organisation et l’orientation données par
les centrales se heurtaient fortement à la mentalité
des collectivistes. En outre, la guerre était le grand prétexte
qui permettait d’exiger et de faire taire : Et que personne
ne pense maintenant à des augmentations de salaires ou à
des réductions d’horaires. Le devoir de tous les travailleurs,
surtout de ceux de la CNT, est de se sacrifier, de travailler tant
qu’il le faudra (novembre 37).
La première grande critique fut celle des paysans : Les
ouvriers de l’industrie ont été favorisés
économiquement, même lorsqu’ils ne font rien,
en revanche les paysans n’ont pas été aidés
le moins du monde, alors que ce sont eux qui en réalité
ont travaillé toutes les heures possibles (mars 37). Ni le
comité régional ni personne n’a expliqué
ce qu’est la municipalisation ; et comme personne ne l’a
expliqué, les paysans ne savent pas à quoi s’en
tenir. [...] Il s’est passé la même chose lorsqu’il
fut question de la constitution des conseils municipaux, on ne nous
avait pas dit leur " rôle " ; même chose avec
les syndicats agricoles .
Le néocapitalisme dénoncé au niveau des entreprises
apparut également dans les collectifs agricoles et les comités
: [Le groupe de la FAI de la collectivité de Villena :] Nous
voyons que le commerçant individuel a disparu et que nous
avons donné naissance au commerçant collectif. Nous
voyons qu’un village essaie d’en tromper un autre sur
la marchandise, et c’est lamentable (avril 37). Esteban, du
comité régional du Levant, rejoint les déclarations
de Gadea et dit qu’il s’est créé dans
les villages un esprit égoïste très regrettable.
Les villages amènent leurs produits à la fédération
lorsqu’ils ne peuvent les vendre à la bourgeoisie ou
à l’État. Ils doivent quatre millions à
la fédération. Si l’on n’y porte pas remède,
on va à la débâcle et à la désorganisation
(septembre 37).
Cette déviation n’explique cependant pas l’autoritarisme
économique qui se fit jour avec la création de la
Fédération nationale paysanne : ses accords sont obligatoires
pour tous ses membres et affiliés (article 14). [Les collectivités
et organismes paysans] seront subordonnés aux accords nationaux
de la Fédération nationale paysanne et de son secrétariat
général pour ce qui a trait à un meilleur rendement
des cultures, à éviter la propagation ou l’apparition
de maladies dans les campagnes, et à la transformation ou
le remplacement des cultures qu’il ne faut pas continuer d’un
point de vue économique .
A partir de fin 1937, une campagne anti-col1ectifs se développe
dans le sens que la collectivité ne doit pas et ne peut être
autre chose que l’organe économique de la révolution
et de la nouvelle société qui en découle, dont
l’organe économique est né dans le syndicat
; le syndicat, issu de la collectivité, a le devoir de veiller
sur elle, afin que les principes révolutionnaires qui la
soutendent ne soient pas transgressés (Andalousie, octobre
37). Avec ou sans violence, les collectivités doivent dépendre
du syndicat, qui donne la véritable conception du régime
de propriété qui doit prévaloir (Juan López
1938).
Bien entendu, il y eut des cas où la grève -l’arme
naturelle des exploités- fut la solution : Les charpentiers
se sont déclaré en grève parce qu’ils
ne sont pas d’accord avec l’administration de la collectivité.
Le comité de la branche du bois CNT-UGT dit que, face au
fait répugnant de cessation du travail par tous les ouvriers
de cette branche sans raison valable ni préavis d’aucune
sorte, outre qu’il condamne l’acte en soi, elle pense
que cette manœuvre ne peut qu’avoir été
concoctée par des éléments embusqués,
fascistes et inconscients . Le lendemain, Comorera publia le décret
de confiscation [des spectacles] et notre réponse fut la
grève générale de la catégorie des travailleurs
intéressés. [...] La grande majorité des camarades
était d’accord pour refuser la confiscation [...et
propoaient] de consulter le comité exécutif créé
par l’organisation de Catalogne. Cet organisme, présidé
par García Oliver, nous répondit que, étant
donné les circonstances, nous devions accepter la confiscation
. Tant d’autorité faisait contraste avec la passivité
vis-à-vis du sabotage et l’interdiction du CLUEA et
la destruction par la force du conseil d’Aragon. C’est
sans doute la raison pour laquelle il n’y eut pas de véritables
sanctions, puisqu’un an après on débattait encore
des mesures à adopter envers les syndicats et les collectivités
qui ne suivaient pas les accords nationaux (octobre 38). Même
si les comités se trompaient ou prenaient des décrets
trop tard (ainsi le conseil d’Aragon s’occupait de statistiques
en juin 1937, selon son bulletin), ils prenaient des mesures indispensables
comme l’unification de la comptabilité au Levant. Mais
il semble que, sauf quelques exceptions comme Alcora, Graus, etc.,
les collectifs s’enfermaient dans leur activité, sans
répondre aux circulaires officielles : La révolution
triomphera par la statistique (novembre 36). I1 faut que les paysans
comprennent la portée des statistiques, car on ne peut conseiller
de faire des ventes, des achats et des échanges sans contrôle
(avril 37). La valeur des statistiques dans l’agriculture
(octobre 38). Section de statistiques : circulaire [les collectivités
ne répondent pas comme il faut] (janvier 39).
Il semble que 1’UGT connut autant de problèmes que
la CNT, comme il ressort d’une circulaire de Bajo Llobregat,
sans doute vers février-mars 1938 : Chers camarades, comme
cela avait été annoncé, le plénum des
syndicats de notre région a eu lieu. Il fallut le suspendre
le 26 du mois dernier vu l’absence d’assistance de la
majorité des syndicats qui composent cette fédération
communale et il fut reporté au 2 de ce mois, et un bon nombre
de syndicats manquèrent également [...]. Il est honteux
de constater que, vu le temps écoulé, 80 % de la région
n’ait pas encore rempli une obligation aussi nécessaire
pour la bonne marche du comité.
De toute façon, la difficulté pour recueillir des
statistiques n’explique pas l’incapacité de chaque
centrale et du gouvernement républicain lui-même de
donner des chiffres globaux sur le nombre de collectifs dans les
différents secteurs de l’économie et des collectivistes
et leur famille. Et cependant, il y eut des enquêtes, mais
il semble que personne n’en publia les résultats. Quels
problèmes se posaient aux collectifs ? Nous commencerons
par un problème mineur : celui des voyages, des sorties des
collectivités, parce qu’il fut falsifié par
un journaliste catholique belge très influencé par
la propagande du PC (comme c’est le cas généralement
des intellectuels limités. Emile Hambresin écrit à
propos d’une femme malade qu’elle n’avait pas
reçu d’autorisation de partir de la collectivité
de Membrilla pour aller à Ciudad Real. On peut, par cet exemple,
se rendre compte de l’intolérable dictature exercée
par les comités. Les moindres actes de la vie étaient
soumis à leur contrôle. Beaucoup de paysans estimèrent
que la nouvelle dictature anarchiste était aussi insupportable
que l’ancienne dictature féodale .
Remarques : Hambresin a pris ce fait dans des sources anarchistes-mais
sans les citer-et en se trompant de collectivité ! En effet,
Souchy relate que, dans la collectivité d’Albalate
de Cinca, une femme voulait se rendre à Lérida pour
consulter un médecin spécialiste et que le comité
exigeait qu’elle ait un certificat du médecin du collectif,
en alléguant que les gens abusaient généralement
des permissions de sortie. Souchy concluait en écrivant que
l’opinion du médecin aurait tranché le problème.
Or, à Membrilla, il arriva précisément le
contraire, le narrateur écrit qu’une femme demanda
la permission de consulter un spécialiste en ville, et sans
tergiversations bureaucratiques elle toucha immédiatement
le prix de son voyage .
De plus, Kaminsky rapporte, pour Alcora, qu’on pouvait voyager
sans difficultés. En avril 1937, il y eut une circulaire
de a fédération régionale d’Aragon demandant
que chaque collectiviste qui change de collectif ait une autorisation,
pour éviter es conflits. Campo Libre, décrivant la
collectivité de Villas Viejas, précisait que les voyages
considérés comme utiles étaient rembourrés
et les autres devaient être payés.
Ce détail falsifié démontre une fois de plus
l’opposition délibérée à l’autogestion.
Le problème fondamental, pierre de touche, de tous les incidents,
fut celui des petits propriétaires. I1 est entendu que le
PC provoqua des conflits, mais l’autogestion, comme forme
économique, se proposait et se propose d’éliminer
la petite propriété. Il est par conséquent
important d’éviter les généralisations
qui compliqueraient ou simplifieraient le problème, déjà
par trop faussé par le léninisme, avec sa théorie
selon laquelle les paysans veulent d’abord la terre individuellement,
puis accepteraient la coopération.
Une première constatation est que, bien souvent, les collectivistes
étaient des petits propriétaires qui réunissaient
leurs terres. Mais ils formaient une minorité que les autres
paysans suivirent d’abord, soit par enthousiasme, soit par
pression et opportunisme. C’est une première étape,
qui va grosso modo jusqu’à 1937.
À partir de 1937, vu l’attitude des républicains
et du PC, vu les lois également, il n’est plus obligatoire
de suivre la minorité collectiviste. Nous constatons que
des conflits surgissent (Vilanesa, la Fatarella, Cullera), mais
non seulement les collectifs se maintiennent, mais ils se multiplient
en Castille, à Santander et dans le Levant.
Donc, I’autogestion fut une réalité acceptée
et adaptée. Le fait même que le gouvernement de Madrid
et le PC aient eu recours à un général pour
détruire la collectivisation en Aragon est démonstratif
de la racine profonde de la collectivisation. Une autre preuve est
constituée par les livres de séance des collectivités
: parmi ceux consultés à Salamanque, nous avons des
entrées tardives, progressives, ce qui démontre qu’avec
la réflexion, l’expérience, les paysans étaient
convaincus : La Torre - Valence-, formée le 17 septembre
1937 reçut des nouveaux membres le 14 octobre, les 2 et 22
décembre 1937, les 20 et 27 janvier 1938 ; Villacanas -Tolède,
formée par la CNT et l’UGT le 25 avril 1937, eut une
entrée le 26 décembre 1938 ; Campo Leal -Ciudad Real-
eut une entrée le 26 janvier 1939.
On a accusé les collectifs de ne pas céder les terres
des ex-collectivistes qui voulaient revenir à la vie individuelle.
D’après les documents consultés, il semble qu’au
contraire il y eut une liberté vaste et totale . Cependant,
1’UGT d’Alicante, dans son congrès de février
1938, prit la décision de ne céder rien des terres
collectivisées aux mécontents qui veulent s’en
aller pour une raison non reconnue par la collectivité .
En fait, selon la documentation du PC d’Aragon, il s’avère
que ce furent ceux qui partaient des collectifs qui abusaient, en
emportant plus qu’ils n’avaient amené. Un autre
problème grave fut celui des conflits entre les collectifs,
surtout indirectement. Les conflits directs furent ceux d’Albalate
del Luchador, déjà cité, et un autre, inventé
en exil semble-t’il : Si Balsareny et Ascó avaient
entièrement réalisé leurs projets hydrauliques
[...], cela pouvait amener un conflit énorme pour se disputer
le liquide blanc. Les conflits indirects furent -à notre
avis- l’opposition de l’Aragon à la Catalogne
sur l’électricité et l’organisation économique
: nous n’avons pas reçu ni de la Catalogne ni d’autres
la chaleur dont nous avions besoin (février 37). Et finalement,
plusieurs collectivités conservaient avec l’État
des liens commerciaux au lieu de passer par la commercialisation
syndicale (comme nous l’avons vu). La même constatation
fut faite dans un plénum national de l’industrie textile
(novembre 38).
Enfin, les abus économiques entre collectivités et
les conflits de pouvoir dans le collectif eurent leur importance.
Il faut d’abord ne pas oublier que tous les collectifs ne
sont pas parfaits -comme à Liria. Il y a du confusionnisme
à Teresa de Cofrentes , une caricature de collectivité
à Corral de Almaguer -Tolède-, mais dans l’ensemble
la critique est rare.
Le problème de l’abus de pouvoir de la part du comité
de la collectivité se serait posé à la longue
et il apparaît dans les statuts eux-mêmes : Les accords
adoptés par le conseil d’administration seront obligatoires
pour les coopérateurs ; Le conseil sera élu pour quatre
ans et sera renouvelé (pour moitié en décembre
1939 et l’autre en décembre 1944) (imprimé et
répandu dans la province de Castellón, A.S.). En Castille,
Andalousie ou en Aragon, ces droits dictatoriaux du comité
n’existaient pas. Les sanctions qui apparaissent dans les
livres de séance sont compréhensibles (alcoolisme,
imprudence envers une camarade) ou franchement inquiétantes
: Il est approuvé de sanctionner d’une peseta [le salaire
journalier devait être de 5 ou 6] tout collectiviste qui manquera
aux assemblées hebdomadaires ; pour sa façon de se
comporter vis-à-vis du conseil dans cette réunion
[...], expulsé comme indésirable. Mais il faudrait
avoir un échantillonnage plus grand.
Défauts provisoires à cause de la guerre ? Comitécratie
inévitable ? On ne peut trancher, ils existèrent et
furent combattus, dans un cadre économique indiscutablement
plus juste, plus riche.
Résultats de la collectivisation : conclusions et estimations
générales
Il faut d’abord remarquer que presque tous les renseignements
viennent de la CNT, encore que 1’UGT ait eu également
autant ou plus d’importance dans de nombreuses provinces.
Nos calculs sont par conséquent provisoires et minimaux.
Ensuite, nous devons souligner la grande absence de chiffres sur
l’ensemble de l’autogestion industrielle, notamment
l’industrie de guerre.
Malgré tout, nous pouvons ordonner nos données :
Andalousie. Le chiffre minimum de collectivités est de 120
et le maximum de 300, en prenant une moyenne de 210 avec 300 personnes
dans chacune, nous aurions 63 000 personnes.
Aragon. Le chiffre de 450 collectivités avec 300 000 habitants
est acceptable. En outre, 1’UGT avait une certaine force,
avec 31 collectifs à Huesca.
Santander. Les chiffres cités, bien que minimaux, peuvent
être retenus : une centaine de collectifs et 13.000 personnes.
Pour les Asturies, nous n’avons rien.
Catalogne. Il y eut au minimum 297 collectivités agricoles
et au maximum 400. Si nous prenons 350 avec 200 personnes en moyenne,
nous avons 70.000 membres. Pour l’autogestion industrielle,
vu la loi, l’ensemble des ouvriers était concerné,
mais le chômage était important. En prenant 80 % des
700.000 ouvriers qu’il y avait dans la province, nous aurions
560.000 personnes, c’est-à-dire avec la famille, un
minimum de 1.020.000.
Centre. 240 collectifs agricoles avec 22.664 familles, soit un
minimum de 67.992 personnes ; et sans doute autant de collectifs
ugétistes avec autant de membres. I1 y aurait donc environ
176.000 personnes impliquées dans l’autogestion agricole.
De nombreuses collectivités industrielles existaient dans
la capitale et certaines villes ; un minimum de 30 000 personnes
paraît logique.
Estrémadure. Le chiffre de 30 collectifs avec 200 personnes,
soit 6.000, doit être un maximum pour la CNT et aussi 1 UGT.
Levant. Notre estimation actuelle est de 503 collectifs au minimum
dans l’agriculture, touchant 130.000 personnes. Dans l’industrie,
le chiffre minimum et hypothétique de 30.000, comme dans
le Centre, semble raisonnable.
Total. 758.000 dans l’agriculture et 1.080.000 dans l’industrie,
ce qui nous donne, par conséquent, l.838.000, chiffre minimum.
Cette estimation corrige ce que nous avons publié en 1970
(2.440.000 et 3.200. 000), mais s’oppose radicalement à
celles de G. Leval trois millions (1952) et dernièrement
six, sept, huit millions .
I. Apparition de l’autogestion à Barcelone et premiers
paradoxes
Á l’heure grave que nous traversons, il s’impose
que chacun observe exclusivement les consignes générales
de ce comité.
Il y a un ennemi commun très [illisible], le fascisme. C’est
contre lui que nous opposons ; c’est contre lui que nous luttons
; c’est lui que nous devons écraser. C’est cela
ni plus ni moins. En même temps, conscients de notre responsabilité,
nous avons décidé que tous les services indispensables
de ravitaillement fonctionnent, de même que les communications,
afin que le peuple ne manque pas de la nourriture nécessaire
et que les relations communications, commerce, ravitaillement indispensables
ne soient pas interrompues.
Comité régional de Barcelone, 20 juillet 1936.
Note : ce matin, nous avons donné par radio l’ordre
de reprendre le travail aux boulangers, laitiers, employés
des marchés, etc., afin que les denrées les plus indispensables
ne manquent pas.[...] Ce document affirmait donc le retour à
une économie presque normale, ce qui différait des
consignes du communisme libertaire à tout prix des tentatives
antérieures. Du reste, un an plus tard, le même porte-parole
déclarait :
[La CNT-FAI] ne se laissa pas impressionner par l’ambiance
et ne s’enivra pas de la victoire rapide, absolue, décisive,
qu’elle avait obtenue. Et au milieu de cette domination totale
de la situation, les militants examinaient le panorama et proclamaient
: Conquête des localités occupés par le fascisme.
Il n’y a pas de communisme libertaire. D’abord, vaincre
l’ennemi, où il se trouve.43
Cela signifiait peut-être que la tendance anti-trentiste
avait été éliminée, après la
réunification du congrès de Saragosse, au profit d’une
tendance qui se proposait les mêmes buts à long terme
: alliance et consolidation des conquêtes libertaires, mais
en suivant une ligne tactique avec les forces politiques dans le
moment présent.
Deux consignes se dessinèrent aussitôt : -retour au
travail 44 -contre les pillages 45
Au même moment deux campagnes commencèrent :
Alliances avec les autres tendances politiques contre les militaires,
malgré les rancœurs que nous avons mentionnées
et qui duraient encore.
Respect des biens étrangers et danger d’intervention
au cas où ce respect ne serait pas observé46 . .
Après cet exposé de l’attitude du comité
régional, voyons quelle en fut l’application. La CNT-FAI,
aussitôt après avoir vaincu les militaires à
Barcelone, décida d’organiser des milices pour libérer
Saragosse. Dans ce but, les syndicats s’emparèrent
de tous les secteurs vitaux de l’économie : métallurgie,
transports, sources d’énergie, communication, commerce,
ravitaillement.
Métallurgie. Solidaridad Obrera du 22 juillet annonçait
en page 2 que le syndicat unique de la métallurgie invitait
les militants des sections de chaudronniers et soudeurs à
s’emparer des centres de production pour le blindage des camions
et autres travaux nécessaires .
Un journaliste du Boletín de información CNT-FAI
constatait le 12 août : Dans les entreprises métallurgiques,
et comme résultat des événements de juillet,
deux nouvelles formes d’administration ont surgi. L’une
implique la direction ouvrière sans aucune sorte de restrictions,
par la saisie. L’autre représente une forme d’administration
bourgeoise très atténuée, par le contrôle
des comités ouvriers d’usines .
Comme exemple de saisie, nous avons la Casa Torras qui employait
500 travailleurs et qui, en quinze jours à partir du retour
au travail, 20 juillet blinda six camions ; comme exemple de contrôle
ouvrier, il y a plusieurs usines, ce qui laisse à penser
que c’était la forme la plus répandue.
La S.A. Barret, avec 2.000 ouvriers, ne fut pas saisie parce que
Le consulat belge nous fit valoir que l’entreprise est constituée
par 80 % du capital du pays qu’il représente. On déduit
de sa description qu’elle n’était pas utilisable
pour le blindage.
Dans la Casa Girona - 1.500 travailleurs-, de fin juillet tau 6
août, quatre camions blindés furent fabriqués
; dans la Casa Vulcano, 520 ouvriers, avec un comité mixte
CNT-UGT, on blindait des camions et on faisait la journée
ininterrompue.
Il faut expliquer que la Généralité, dans
des buts démagogiques évidents, avait décrété
la semaine de quarante heures et une augmentation de 15 % des salaires.
La CNT protesta contre cette diminution des heures de travail en
temps de guerre et l’augmentation des salaires à un
moment de difficultés économiques. Il est évident
qu’entre ces deux tendances, un certain nombre de travailleurs
et de collectifs choisirent le moindre effort, renforcés
par l’impression très logique que la guerre n’était
qu’une question de semaines, puisqu’en eux jours le
coup d’État de droite avait échoué dans
la moitié de l’Espagne.
Cependant, dans les usines mentionnées, on appliquait généralement
les mesures de la Généralité.
Dans la Casa Vulcano, comme dans la Maquinaria Terrestre y Marítima,
1’UGT participait au comité. De la documentation consultée
il ressort que la CNT prenait les initiatives, et que 1’UGT
aidait après un certain temps.
Transport. En Catalogne, il y avait trois compagnies de chemins
de fer : le réseau Madrid-Saragosse-Alicante (M.Z.A.), le
réseau du Nord et les chemins de fer catalans.
Compagnie M.Z.A. L’entreprise était déficitaire
en 1936, mais la cause en était surtout les salaires très
élevés des directeurs. Elle fut saisie par 1’UGT
et la CNT. Avec la division de l’Espagne par la guerre, le
trafic diminua de 70 %. Il y eut un nivellement des salaires et
une réduction des tarifs voyageurs.
Chemins de fer catalans. I1 y avait des bénéfices
et le même phénomène des salaires élevés
pour les directeurs. Chemins de fer du Nord. Un sous-directeur touchait
au moins 41000 pesetas par an, et un cheminot, 5,5 pesetas par jour
(environ 1650 par an) ; un ouvrier de l’industrie, selon diverses
sources, touchait de 10 à 12 pesetas par jour (3 000 à
3 200 par an).
Dans ces conditions, une unification interne des trois compagnies
était nécessaire, surtout en temps de guerre. Dans
un article de fin août 1936 de Solidaridad Obrera, La future
structure des chemins de fer, on projetait l’électrification
des chemins de fer espagnols, ce qui est en train de se faire lentement
aujourd’hui. Les transports de Barcelone présentaient
des caractéristiques semblables. On instaura l’égalisation
des salaires. La réduction des horaires afin de donner du
travail aux chômeurs, l’octroi de pensions aux retraités.
Sources d’énergie. Les premiers jours, l’essence
était distribuée gratuitement. Ce ne fut qu’à
partir de la mi-août quelle fut vendue et rationnée.
I1 nous semble extraordinaire que l’on puisse unifier les
chemins de fer tout en laissant gaspiller l’essence. Une explication
plausible nous semble être les différences de capacités
entre syndicalistes.
Les compagnies des eaux, gaz, électricité furent
saisies par les syndicats fin juillet .
Communications. La centrale téléphonique, entreprise
nord-américaine Bell, était contrôlée
par la CNT-UGT. Ce fait devint un prétexte politique en mai
1937 pour l’intervention armée de la police catalanistes,
avec l’appui du parti communiste.
Commerce. De grands magasins comme E1 Siglo et El Aguilar furent
saisis. Des salons de coiffure furent collectivisés à
la mi-août.
Ravitaillement. La brasserie Damm, 610 ouvriers, réorganisa
son échelle de salaires en abaissant les plus élevés
et en versant 70 pesetas de retraite au lieu de 35.
Un comité ouvrier procéda à la réouverture
d’une fabrique de pâtes alimentaires fermée pour
cause de faillite.
le point névralgique de Barcelone, et en même temps
une des meilleures réalisations fut celle du marché
couvert de Borne .
Spectacles publics. Juste après le putsch, les travailleurs
de cette branche se réunirent : musiciens, acteurs, machinistes,
etc., et décidèrent d’entrer dans la CNT. Ils
créèrent le syndicat du spectacle et résolurent
le problème du chômage (500 musiciens sur 1500), du
favoritisme, des salaires. Rodolfo González Pacheco fit jouer
des œuvres, et de nombreux documentaires cinématographiques
furent faits sur la guerre et l’autogestion.
Ces brèves descriptions ne permettent pas de trancher le
problème de la spontanéité ou non de l’ensemble
de l’autogestion. La chronologie est une possibilité
de jugement, car si de nombreuses entreprises de la branche apparaissent
à des dates proches on peut en déduire qu’il
y eut un ordre d’en haut et son application à la base.
Si au contraire nous n’avons pas de vision ordonnée,
c’est que, dans chaque usine ou atelier, on discuta, on attendit,
on hésita pour arriver à un accord.
La chronologie présente deux étapes : la période
d’absence de pouvoir légal jusqu’au 8 août,
qui ouvre le rétablissement de la Généralité
avec une série de décrets de saisies d’entreprises,
ce qui, par conséquent, confirmait l’action des comités
à la base.
Jours et mois Entreprises
19 juillet Tramways, meubles
20 Casa Torras, Casa Girona, Metales y Platerías Ribera,Hispano-Suiza,
Maquinaria terrestre y Marítima, Casa Vulcano, Chemin de
fer du nord, magasin El Siglo, 21 MZA 22 Métro. 23 Spectacles
publics. 24 Chemins de fer catalans 25 Transatlántica , eaux
. 27 Casa Xalmet 28-31 Luz y Fuerza , organisation sanitaire ler
août Chaudronnerie industrielle García García
2 Luz y Fuerza , organisation sanitaire 3 Publicité Gaberbet
6 Société générale espagnole de librairie,
Editorial Escampa-unió 7 Publicitas, Construcciones metálicas
Field .
26 entreprises apparaissent : 9 pour la métallurgie, 6 pour
le transport et 11 pour les services, dans des secteurs très
différents et à des moments très échelonnés.
Pour la maison García, le patron offrit son entreprise aux
travailleurs.
Pour la période ultérieure, on aurait pu penser que
les saisies allaient se multiplier. En réalité. elles
furent progressives, même lentes.
Secteur métallurgique et de l’automobile . Du 11 au
31 août, 11 cas avec l’acte du comité de contrôle
: 6 pour la CNT, 1 pour l’UGT, 3 pour la CNT-UGT, 1 indéterminé.
En septembre, 23 cas : 8 pour la CNT, 8 CNT-UGT, 7 indéterminés.
Sur ces 34 cas, nous avons 14 comités CNT, 1 UGT, l1 CNT-UGT,
8 indéterminés. Dans 9 cas, la raison évoquée
est l’absence du patron, ce qui correspond à 6 comités
CNT et 3 CNT-UGT. Dans 8 cas, le patron fait une donation volontaire
à ses ouvriers (2 comités CNT et 6 sans filiation
politique).
Dans plusieurs cas, les entreprises étaient dans la même
rue, mais les attitudes ne furent pas semblables. Rue Pedro IV aux
numéros 6, 172 et 295 : saisie le 27 juillet CNT, le ler
septembre CNT-UGT, le 15 septembre indéterminé. Même
phénomène dans la rue Corts aux numéros 419,
533, 570 et 674, nous avons 28 août CNT, août UGT, 10
septembre CNT-UGT, et 28 septembre CNT-UGT.
Secteur de l’industrie de l’habillement. Actes sans
date, 15 cas qui se répartissent ainsi : 3 CNT, 11 CNT-UGT,
1 CNT-UGT et une autre organisation. Mois d’août 11
cas à partir du 12 : 5 CNT, 3 CNT-UGT, 1 CNT et une autre
organisation, 2 indéterminés. Septembre : 19 cas :
2 CNT, 17 CNT-UGT. Ainsi, sur 45 actes, il y a 31 comités
CNT-UGT et 10 CNT.
Dans 3 cas, les patrons offrent leurs entreprises ou participent
à la collectivisation. On remarque comme dans l’industrie,
des différences dans une même rue Ronda de San Pedro
: 5 cas CNT-UGT ; en août, le 20 septembre, les 8 et 13 octobre
; Trafalgar, N° 6,15, 36 et 80, un comité CNT et 3 CNT-UGT,
les 31 août, 7, 9 et 14 septembre.
Secteur des éditions et des papeteries. Août, 29 cas
à partir du 13 : 21 UGT, 7 CNT-UGT, 1 CNT-UGT-POUM. Septembre,
39 cas, la majorité dans la première quinzaine : 32
UGT, 7 CNT-UGT. Par conséquent, sur 68 cas, I’UGT domine
avec 53 comités, contre 14 CNT-UGT et 1 avec la :CNT et le
POUM.
La domination de l’UGT n’efface pas les tendances précédentes.
Pour les patrons, il y a un cas où il devient directeur technique
; pour les rues : Ronda Universidad, 2 cas le 21 août, 1 le
26, 1 le ler septembre -tous trois UGT-, et le 22 un CNT-UGT.
Si l’absence de fil directeur est évidente, en revanche
la qualification de donation volontaire du patronat ne laisse pas
d’être suspecte. La peur et l’opportunisme durent
jouer un grand rôle. Cependant, il faut souligner l’attitude
de la Fédération des patrons coiffeurs et barbiers
de Barcelone et des villes limitrophes, qui contacta le syndicat
unique des ouvriers coiffeurs CNT le 9 août pour discuter
de la collectivisation. Ensuite, le 11, il y eut une assemblée
spéciale des patrons sur la collectivisation : Après
un bref débat et quelques explications, il fut procédé
au vote, l’intégralité du document étant
approuvée à l’unanimité sans aucune réserve
et par acclamation. En même temps, il fut décidé
qu’à l’entrée en vigueur de la collectivisation
les associations patronales seront dissoutes et leurs membres passeront
ipso facto au syndicat unique des coiffeurs de Barcelone et des
environs, avec tous les droits et les devoirs y afférant.
Le 14 septembre, la collectivisation de cette industrie était
officiellement décrétée, et les biens de la
fédération patronale et d’une mutuelle d’accidents
y entraient.
Nous déduisons de cette énumération que la
CNT, avec 1’UGT47 s’emparèrent des points névralgiques
de l’économie barcelonaise, ce qui confirme les décisions
prises par le comité régional.
Quel fut l’effet politique de ces mesures ? À peu
près nul selon les déclarations ultérieures
de membres de l’UGT et de la CNT48. Et dans la pratique, il
n’y eut pas d’approfondissement économique entre
les différents organismes autogestionnaires et entre ceux-ci
et la Généralité de Catalogne.
II. LE CLUEA
Les oranges. Le marché d’exportation d’agrumes
subissait comme les autres branches, les effets de la crise mondiale.
De plus, les oranges de Palestine et d’Afrique du Nord et
du Sud, achetées par l’Angleterre et la France, constituaient
déjà une menace pour le marché espagnol. C’est
pourquoi il y eut une diminution graduelle des ventes et de la production
des oranges (en milliers de quintaux) : 1930 : 11.963 ; 1931 : 12.042
; 1932 : 11.710 ; 1933 : 9.672 ; 1934 : 9.098.
La presque totalité de la production était exportée
et donnait une quantité importante de devises : 90 % d’une
récolte était exportée et rapportait 320 millions
de pesetas-or. Durant la campagne 1933-34, le même taux d’exportation
rapporta 180 millions. Selon la Direction générale
des douanes, la moyenne des rentrées en millions de pesetas-or
pour la période 1931-35 fut de 150, ce qui représentait
21,07 % des exportations totales
Les principaux acheteurs pour la période 1931-35 étaient
: l’Angleterre 30%, la France 25%, et l’Allemagne 20
%, le total des exportations se montant à 75% . Les exportations
se faisaient par l’intermédiaire de négociants
locaux qui versaient des avances aux propriétaires d’orangers
et les payaient par la suite selon les prix internationaux. En fait,
ils agissaient comme des caciques, exploitant les propriétaires.
Au début de la campagne d’oranges 1936-37 (approximativement
d’octobre 36 à mai 37), du fait que la guerre continuait
et se présentait comme devant être longue, les républicains
et les syndicalistes pensèrent à cette source de devises.
Ainsi, en septembre, le plénum régional de paysans
CNT décida d’organiser des commissions d’exportation.
Le même mois, 1’UGT et la CNT constituaient les : CLUEF
(Comités Locales Unificados de la Exportación de Frutas)
et surtout le CLUEA (Comité Levantino Unificado de Exportación
de Agrios). Ces organismes se proposaient de supprimer les intermédiaires
et de mettre au point les expéditions afin d’améliorer
la situation des producteurs. Le CLUEA signalait au gouvernement
la nécessité d’exportations unifiées
pour résister à la concurrence et pour rechercher
de nouveaux marchés remplaçant ceux d’Allemagne.
Le CLUEA espérait obtenir l’exclusivité des
exportations et l’appui financier du gouvernement, mais cela
lui fut refusé en octobre.
Madrid ne négligeait cependant pas le problème et,
les 2, 20 et 25 novembre, prenait des mesures pour limiter les avances
données aux paysans par les organismes d’exportation,
et pour autoriser la formation de coopératives ayant les
mêmes privilèges que les syndicats agricoles.
Cette dernière mesure était destinée à
la Fédération provinciale de paysans, fondée
récemment, et qui réunissait les ex-membres des syndicats
agricoles catholiques et les adversaires du CLUEA. Elle était
l’œuvre du Parti communiste et du ministre de l’Agriculture,
Vicente Uribe, membre du comité central du PC.
Les chocs et la confusion étaient inévitables, comme
cela arrive chaque fois qu’il y a des organismes différents
pour une même fonction. Une fois de plus, l’antagonisme
politique tournait au désavantage du secteur républicain.
Il y eut des accusations réciproques d’escroquerie
et de sabotage, et il apparut clairement que le CLUEA était
abandonné par le gouvernement pour la campagne 1937-38 et
remplacé par une Centrale d’exportation d’agrumes,
qui était la même organisation mais sous contrôle
gouvernemental et communiste.
L’expérience du CLUEA n’aurait pas beaucoup
d’intérêt si les problèmes que voulurent
résoudre les syndicats ne se posaient pas avec la même
acuité aujourd’hui.
En effet, Liniger Goumaz , décrivant l’état
actuel du marché espagnol, note : un isolement des producteurs
agricoles face aux intermédiaires qui fixent les prix à
leur avantage ; le manque de possibilités économiques
des producteurs, qui les oblige à vendre les fruits le plus
tôt possible ; les difficultés de conservation, autre
raison de vente rapide sans attente de meilleurs prix ; L’individualisme,
du fait de la méfiance congénitale du Méditerranéen
devant les diverses formes d’associations coopératives
. Cette situation livre presque totalement le producteur à
l’exportateur et au négociant.
Liniger Goumaz propose comme solution une industrialisation, une
prise en main de l’exportation par les associations de producteurs
: Refuser ce truisme que nous impose tout simplement l’évolution
de la société humaine, qu’elle soit capitaliste
ou socialiste (et les coopératives des États-Unis
d’Amérique ne peuvent pas être soupçonnées
de sympathies communistes), est impossible à longue échéance.
Cet exemple montre qu’en voulant unifier l’exportation,
la collectiviser, les syndicats apportaient une solution économique
plus adéquate que la réalité du moment. En
même temps, cette conception avantageait autant les producteurs
que les consommateurs . Mais une prétendue union politique
fut échouer cette œuvre.
III Les insurrections révolutionnaires en Espagne 1932-34
Le syndicalisme espagnol était marqué par la rivalité
entre socialiste et la CNT anarcho-syndicaliste. Et si pendant le
début de la dictature fascisante de 1923-30 le PS et l’UGT
ont participé officiellement au régime (pour pouvoir
éliminer la CNT). Par contre fin 19-10,le PS et l’UGT
étaient embarqués dans un coup d’État
militaire contre la monarchie, qui échoua en décembre
par manque de synchronisation. Un des paradoxes de cet épisode
c’est que l’armée ait pu penché à
gauche, et que quelques semaines plus taird, le régime monarchiste
ait accepté le résultat défavorable des élections
sans imposer par le sang la continuité de la monarchie. C’était
sans aucun doute le résultat d’une réflexion
intelligente : la crise mondiale allait toucher durement l’Espagne
et la gauche ferait tant d’erreurs, qu’avec une agitation
à la Mussolini, la droite monarchiste pourrait revenir légalement.
Ce projet de la droite fut en fait assez bien réalisé
en 1931 par la gauche. Entraînant un espoir immense de réformes
profondes et rapides, le gouvernement socialiste et républicain
allait très lentement sans oser toucher à l’armée
et à la garde civile. Cette dernière multipliait les
cas de répression aveugle, surtout contre les paysans assoiffés
de terres. L’Espagne avait alors 50% d’agriculteurs
dans la population active, et ils se politisaient vite, puisque
le syndicat paysan de l’UGT (FNTT : Fédération
Nationale des Travailleurs de la Terre) passait de sa fondation
en avril l930 de 27.340 affiliés à 445.414 en juin
1932, soit environ 40% de l’UGT, qui comptait 1.041.539 membres
ce même mois. Et à Castilblanco, en Extrémadure,
le 30 décembre 1931, la garde civile -quatre hommes- tira
sur des paysans du village, tous membres de la FNTT, en tuant un
et en blessant deux autres. La réaction spontanée
des villageois, hommes et femmes, fut de se ruer sur les gardes
civiles et de les massacrer à coup de couteaux et de pierres.
Ce climat de revendication existait partout, et la base de l’UGT
faisait grève, malgré toutes les tentatives de freinage
de la direction syndicale et du PS. Le chef du gouvernement, Azaña,
notait dans son journal intime : Si la présence de trois
ministres socialistes dans le gouvernement ne peut empêcher
une grève, à quoi sert-elle ?
Les anarcho-syndicalistes avaient dévoilé aussitôt
le réformisme des socialistes et des républicains,
en lançant la grève des ouvriers des téléphones
qui fut perdue par la faute du gouvernement pendant l’été
1931,et qui montra que les socialistes et les républicains
étaient du côté patronale. Des sections de l’UGT
avaient manifesté leur solidarité aux grévistes
de la CNT.
Malheureusement, la tactique unitaire anarcho-syndicaliste fut
brisée par une dissension entre partisans d’une préparation
de la révolution et ceux de 1a révolution immédiate,
c’est-à-dire les trentistes (vu qu’au départ
il s’agissait d’une prise de position de trente militants)
et les faistes (partisans de la -FAI, très modifiée
par l’influence du groupe de Durruti, Ascaso, García
Oliver , etc.)
En janvier1932, la FAI fit une tentative insurrectionnelle de communisme
libertaire dans un bassin minier au nord de Barcelone. Elle échoua
au bout de quelques jours vu son isolement. En janvier 1933, la
même tentative est répétée à plus
grande échelle Au Levant, en Aragon et en Andalousie. L’UGT
ne bouge pas, et les syndicats des villes de la CNT ne font pas
tous la grève de solidarité. L’UGT et le PS
parlent de provocation anarchiste anti-républicaine, de 1’usage
insensé de la grève. Mais un village andalous est
frappé par la répression de la garde civile.
C’est l’affaire de Casas Viejas (aujourd’hui
Benalup de Sidonia, province de Cadix), là la garde civile
assiège la maison d’une famille, celle de Francisco
Cruz Gutiérrez, dit seis dedos .La gare civile finit par
y mettre le feu tuant 8 personnes. De plus, les gardes arrêtent
de nombreuses personnes et comme certaines se moquent d’elles,
12 sont abattues. La droite utilise ce scandale, ainsi que la CNT,
contre le gouvernement d’Azaña. Azaña répond
d’abord : Si la rébellion de Casas Viejas avait duré
un jour de plus, toute la province de Cadix se serait embrasée(2-Il-1933)
La rumeur publique affirme qu’il aurait ordonné aux
gardes de tirer au ventre, ce qui n’est est confirmé.
L’UGT et le PS sont ébranlés en profondeur
: en 1932 le siège de la CNT à Séville a été
attaquée par l’artillerie, une tentative de coup d’État
militaire du général Sanjurjo arrêté
par les réactions des syndicalistes (de la CNT) et de la
gauche n’a entraîné que des mesures punitives
douces.Le gouver- nement républicain et socialiste ne semble
que servir la droite.
En décembre 1933 la FAI lance le mot d’ordre d’abstention
aux élections pour faire passer la droite et déclancher
la révolution socialiste. Mais il ne s’agit pas de
la droite machiavélique de 1931 : l’exemple de Mussolini
est complété par celui de mars 1933 et de l’accession
d’Hitler au pouvoir et de la liquidation de toute la gauche.
En décembre 1933, un nouveau mouvement insurrectionnel de
communisme libertaire échoue parce que limité à
l’Aragon, l’Andalousie et 1’Extremadure.
Mais la base de l’UGT et les paysans réclament de
plus en plus des mesures révolutionnaires. Les idées
de 1’ugétiste asturien Bueno sur la nécessité
d’abandonner la république bourgeoise et de faire la
révolution, dédaignées en 1931, refont surface.
Le gouvernement de la droite se montre très dur : les.modestes
mesures de réformes sont annulées. Les propriétaires
terriens réduisent volontairement les travaux agricoles répondent
aux chômeurs et aux revendications de salaires : ¡Comed
república ! (mangez la république, c’est-à-dire,
allez vous faire nourrir par elle).
En mars 1934, aux Asturies, l’UGT, la CNT, et communistes
du futur POUM, ceux du PC apparaîtront vers octobre, signent
une alliance révolutionnaire. Les deux tendances du PS :
le réformisme social-démocrate d’Indalecio Prieto,
l’ex réformiste syndical devenu révolutionnaire
extremiste de Largo Caballero, sont de plus en plus contestés
par les sections de 1a base de l’UGT. Pour se dédiouaner
d’une part, pour effrayer la droite de l’autre, la direction
du PS commence à faire passer des armes aux Asturies. El
Socialista, le périodique du Parti, allait jusqu’à
annoncer en septembre 1934 que la révolution était
proche, que l’armée des travailleurs se formaient.
Le 4 octobre 1934, Gil Robles, se considérant comme le Mussolini
espagnol, entre au gouvernement de droite. Le 6 octobre une insurection
éclate simultanément aux Asturies et en Catalogne.
Les catalanistes ont rejoint le PS au dernier moment , leur préparation
est sommaire, de plus une de leurs premières mesures est
de mettre hors la loi la CNT. Dès que les forces de l’ordre
réagissent leurs vél- léités de résistance
disparaissent. Mais aux Asturies, non seulement le soulèvement
triompha dans les petites localités, mais les mineurs et
les ouvriers s’emparent des deux grandes villes Oviedo et
Gijón, et d’une usine d’armement.
La caractéristique du mouvement es Asturies fut que, pour
la première fois dans l’histoire de l’Espagne,
les socialistes, les communistes et les anarcho-syndicalistes appliquèrent
ensemble leurs théories sur la révolution. Le mouvement
fut assez unitaire pour que naisse le slogan UHP, Unión de
Hermanos Proletarios (Union des Frères Prolétaires).
Des descriptions d’auteurs procommunistes ou socialistes,
il ressort une ceertaine similitude avec les essais anarcho-syndicalistes
de 1932 et 1933 :
La monnaie est abolie, il règne un communisme de guerre
complet. La distribution des marchandises est dirigée par
les comités ouvriers qui impriment des feuilles de papier
valables pour un kilo de pain, etc. La vente des boissons alcoolisées
est interdite .
Au milieu du vacarme de la lutte, les comités révolutionnaires
veillaient aussi aux oeuvres de type social. Dès que le contrôle
des villages était obtenu, on créait des institutions
d’aide et de soutien aux enfants et aux vieillards. [...]
On combattait et on créait simultanément .
L’ordre révolutionnaire s’élabore sur
tous les terrains, l’argent est supprimé. Chaque famille
pourra acquérir une certaine quantité d’aliments
selon le nombre d’individus qui la composent .
Le style de ces trois auteurs marxistes, admirant et couvrant d’éloges
cette nouvelle Commune de Paris, est typique et : On combattait
et on créait simultanément. Comment comprendre dans
ce cas que, trois ans plus tard (à peine), les critiques
du P.C. et du P.O.U.M. s’accordaient pour affirmer qu’il
fallait combattre et remettre la révolution à plus
tard ?
Cécité mentale, crétinisme ? Non, léninisme
(ou mussolinisme), car dans cette idéologie seuls les militants
du Parti peuvent avoir des initiatives révolutionnaires,
les autres sont le lumpen , les incontrôlés...Ce ne
fut pas un hasard si aux Asturies des tribunaux populaires apparurent
dans les secteurs communistes et qu’il y eut de la tolérance
et des bons traitements dans les localités anarcho-syndicalistes
(comme le montre Diaz Nosty). Des antagonismes surgirent.
À Mieres, il y eut des cas où des manifestes, approuvés
par le comité révolutionnaire, se révélèrent,
une fois imprimés, complètement défigurés
[...]José Maria Martinez, âme du mouvement révolutionnaire
de Gijón, mourut pendant la lutte de façon mystérieuse
.
Du soulèvement de 1934, Federica Montseny tirait ces conclusions
:
La première des suggestions ressortant de cet essai de révolution
populaire est l’action des communistes étatistes, profitant
du moment du combat et de l’absence des libertaires, toujours
en première ligne, pour structurer à leur manière
-étatiquement- la nouvelle société qui aurait
surgi du triomphe révolutionnaire. Les Asturies, avec leur
échec, doivent aussi nous servir de leçon. [...]Il
faut que nous, anarchistes, nous rendions compte de la nécessité
de ne pas nous engager corps et âme, avec une confiance aveugle,
dans ce courant de l’unité ouvrière qui, fécondée
par le sang des ouvriers socialistes, communistes et anarchistes
qui moururent dans les Asturies, a fini par être la volonté
populaire .
Belles paroles bien mal appliqués quelques mois après
leur rédaction !
IV Exemple de réforme monétaire et schéma
de la circultation fiduciaire dans une économie sociale
[Ce projet fut rédigé, fin 1936, par des ingénieurs
et des ouvriers cénétistes de l’industrie textile
de Catalogne.]
La première étape de la révolution actuelle
sera une révolution économique et monétaire,
ou ne sera pas la révolution. La modification du système
monétaire est aussi importante que la mise en ordre de l’économie
si nous voulons une transformation biologique et viable de la société.
Le système monétaire est un système de mesure
et de comparaison de la valeur des choses, exactement comme le système
métrique est un système de mesure et de comparaison
des dimensions des choses.
La suppression de la monnaie n’est donc pas possible dans
une société organisée, puisque la nécessité
de comparer les choses et de les échanger est évidente
pour l’homme y compris le solitaire.
Comme tous les systèmes de mesure et de comparaison, le
système monétaire repose sur une base arbitraire.
C’est ce fondement arbitraire du système monétaire
qu’il est possible de changer ou de réformer radicalement,
exactement comme la base arbitraire du système métrique
a remplacé, dans certains pays, la base arbitraire des systèmes
de mesure et de comparaison des dimensions des objets en vigueur
avant la Révolution Française.
I1 faut comprendre que remplacer le système monétaire
actuel par un système de bons n’est pas supprimer la
monnaie ; c’est simplement en remplacer la base arbitraire
actuelle par une autre base arbitraire d’échange. Peut-on
croire sérieusement que des bons -forcément différents
pour chacun des usages auxquels ils sont destinés- peuvent
remplacer avec succès le système monétaire
et financier actuel, presque parfait, considéré comme
une science de la mesure de la valeur des choses, si l’intervention
des passions humaines ne jouait pas continuellement ?
I1 est nécessaire de comprendre que le système monétaire
et financier actuel doit être réformé dans un
sens qui lui conserve tous ses avantages, résultant des expériences
économiques de nombreuses générations humaines,
et qui fasse disparaître autant que possible ses défauts
que le machinisme a mis clairement en évidence.
Le système monétaire actuel ne peut tenir compte
de la production chaque jour plus grande de la technique moderne,
premièrement parce qu’il manque de réserves
d’or, et ensuite à cause de l’accaparement individuel
-et durant de longues périodes- de réserves importantes
d’or et de devises.
I1 faut, avec les mêmes réserves d’or existant
actuellement construire un système monétaire plus
souple. La révolution économique et sociale que nous
impose le machinisme ne sera pas un fait humainement possible tant
qu’on ne comprendra pas que, pour la première fois
dans l’histoire de l’humanité, la production
dépasse tellement la consommation permise par nos finances
actuelles, que le déséquilibre économique et
social naît du fait de vouloir conserver un système
monétaire tel que, pour permettre la consommation normale
des richesses produites et accumulées, il faudrait des réserves
d’or, ou d’autres métaux précieux, en
quantité si grande qu’il est impossible de penser à
leur existence.
Il faut un système monétaire qui, par la rapidité
du signe monétaire et par l’automatisme quasi instantané
des compensations bancaires, permette la garantie financière
minimum nécessaire, et cela avec les seules réserves
actuelles d’or et de métaux précieux.
La réforme monétaire radicale -qui permettrait donc
à la fois de détruire la cause principale du capitalisme
et de construire une économie saine et forte dans ses bases-
doit être fondée sur la séparation pratique
et effective de ces deux conceptions : moyens de consommation et
moyens de production.
La destruction du pouvoir fétiche de l’argent ne sera
pas un fait tant que le système monétaire en vigueur
ne nous obligera pas tous à comprendre cette distinction
des conceptions que nous imposent les instincts primitifs de l’homme
et la complexité de l’économie moderne. L’instinct
de propriété chez l’homme est lié à
sa nature : il est nécessaire de favoriser la satisfaction
de cet instinct par les moyens de consommation qui lui sont indispensable
pour réaliser pleinement sa liberté humaine ; et renforcer
la tendance, innée en lui, de mettre en commun les moyens
de production afin d’obtenir un rendement plus élevé.
Toutes les réserves d’or et de métaux précieux
existantes étant mises à la disposition de la Nouvelle
Économie sociale, elles représenteront la garantie
internationale du système fiduciaire qu’impose la séparation
pratique et effective, signalée plus haut, des causes et
des effets sociaux de la production et de la consommation.
Sur la réserve d’or et de métaux précieux
que les contingences de la guerre et de la révolution laissent
aux mains des peuples ibériques, il faut créer le
système fiduciaire suivant : différent en ce qui concerne
la manipulation des moyens et des instruments de production et en
ce qui concerne l’achat et l’usufruit de la propriété
et des moyens de consommation, mais unique en ce qui concerne sa
valeur relative d’échange.
1. Monnaie de consommation. Elle facilitera la libre manipulation,
l’achat, le paiement et l’usufruit de la propriété
et des moyens de consommation, et elle sera l’instrument de
la conquête du pouvoir économique minimum pour tous
et chacun des individus libres, le salaire familial et les primes
à la production données éventuellement étant
payés en monnaie de consommation.
La monnaie de consommation aura une circulation monétaire
visible et uniforme sous la forme de papier-monnaie de valeur variable
selon le temps dans le but de stimuler la consommation et d’éviter
la thésaurisation sans détruire l’épargne
personnelle et familiale. Le papier-monnaie de consommation sera
diminué, par périodes, d’un pourcentage annuel
ou trimestriel à fixer selon que les émissions de
billets seront annuelles ou trimestrielles .
Le papier-monnaie de consommation permettra seulement l’échange
de la production et des moyens de consommation, à l’exclusion
absolue des moyens et instruments de production.
La valeur réelle du papier-monnaie de consommation sera
fixée et convertie immédiatement en monnaie de production
à son retour dans le cycle de la production : industries
de consommation, services sanitaires et culturels, caisses de sécurité
personnelles, commerce de détail, transport de personnel
et de matériel. Le signe monétaire sera radicalement
neutralisé et détruit une fois exécutées
les diverses compensations bancaires en monnaie de production.
Chaque année, selon l’indice de richesse collective
du pays et les possibilités de la production, la quantité
totale et maximum de la propriété personnelle et familiale
de consommation sera fixée, et il sera dressé une
liste des moyens de consommation qui pourront être normalement
et librement manipulés et utilisés avec le papier-monnaie
de consommation.
La manipulation des capitaux de consommation sera libre, leur possession
permettra seulement la consommation dans la Nouvelle Économie
sociale.
2. Monnaie de production. Ce sera l’unité d’échange
pour toutes les transactions industrielles, commerciales, financières
et bancaires des moyens de production, sans absolument aucune exception.
La monnaie-unité de production n’aura pas de circulation
monétaire visible et uniforme, mais sa valeur sera constante
et fixe et elle ne sera sujette à aucune spéculation.
L’usage de la monnaie de production sera obligatoire pour
toutes les transactions des moyens de production, au moyen d’estimations
écrites (chèques, lettres, etc.) signées par
les syndicats professionnels, vendeur et acheteur, et contrôlées
par leur service bancaire, selon les normes bancaires générales.
Toutes les compensations bancaires se feront normalement et par
les procédés les plus rapides, selon la loi de comptabilité
bancaire de la Nouvelle Économie sociale.
La manipulation des capitaux de production sera nécessairement
et totalement aux mains des syndicats professionnels, et on n’en
permettra l’utilisation à aucune autre personne naturelle
ou juridique, si ce n’est aux services économiques
des organismes politiques, sociaux et judiciaires strictement nécessaires
à la nouvelle société.
3. Sur le marché international, la base du commerce extérieur
sera l’échange, et l’or et les autres métaux
précieux seront dans tous les cas considérés
comme marchandise d’échange, jusqu’à la
création d’une monnaie internationale.
V. La collectivité de paysans de Madrid
Elle commença le 9 mai 1936 avec l’expulsion par un
patron de quatre camarades horticulteurs appartenant au syndicat
unique de professions diverses (Oficios Varios). [...] le syndicat
prit la décision de prendre en charge la propriété
en la donnant aux paysans [...]. Au bout de huit jours, vu son développement,
il fallut y placer douze camarades .
Je fus membre de la collectivité de Madrid. Nous étions
mille environ : des moitiés d’hommes, beaucoup d’analphabètes,
car il y avait de nombreux invalides de la guerre et des vieux.
Et cependant un travail admirable fut réalisé.
€ l’origine il y avait une ferme ex terrain de sport
réquisitionnée à La Elipa (Est de Madrid) qui
fut échangée contre des terrains en friche. Ensuite
la collectivité eut un prêt de 15000 pesetas du comité
régional du Centre. Et, à la fin de la guerre on peut
dire qu’il y avait en caisse plus de cent millions de pesetas.
La collectivité avait plusieurs parcs de lapins et d’autres
de poulets et de poules avec à peu près autant, ils
étaient classé ; selon les castes.
Ces aliments étaient destinés aux blessés
du front, aux femmes enceintes, aux femmes venant d’accoucher.
Pas un collectiviste ne mangeait d’œufs ou de poulet.
Pour pouvoir bénéficier d’un surcroît
de nourriture, il fallait une autorisation d’un médecin,
avec l’accord d’une inspection de médecins du
service de rationnement et, parfois, d’une seconde inspection.
C‘était pour éviter les faveurs que les collectivistes
pouvaient faire entre eux ou à leurs amis et aux membres
de leur famille.
Roque Provencio, Murcien de Mula, fut l’initiateur et l’âme
de la collectivité par ses initiatives et son travail formidable,
bien qu’il fût analphabète. Après une
journée de douze ou quatorze heures, il dormait le mousqueton
entre les jambes parce qu’il fallait protéger les produits
des forces de la destruction.
Cette collectivité de mille travailleurs fonctionnait avec
trois charges rétribuées : le secrétaire Roque
Provencio, le comptable (Salomón Vázquez ?) et une
dactylo, qui était indispensable pour rédiger ce que
dictait Roque Provencio qui signait avec son tampon.
Les nombreuses délégations étrangères
qui rendaient visite s’étonnaient de l’aspect
et du langage âpres de Roque Provencio si différents
des chefs politiques et des patrons. C’est qu’il était
un diamant brut, né de la révolution.
Le travail se faisait sans chef d’équipe, car cette
fonction fut supprimée à la demande d’un collectiviste
. Lorsque la collectivité avait besoin de quelque chose,
on l’évaluait en argent et on l’échangeait
contre une autre, par exemple Ocaña.
Je ne sais pas ce que sont devenues les propriétés
de la collectivité lorsque Madrid tomba aux mains des nacionales.
Trente ans après ces faits, il semble incroyable qu’une
œuvre d’une telle nature ait pu être faite par
des analphabètes. Et cela alors qu’on proclame aujourd’hui
sur tous les tons que le peuple espagnol n’est pas mur pour
la démocratie. Tel que tu me vois, invalide et plus, je n’aurais
pas pu vivre si je n’avais pas eu ce sentiment de dépassement.
VI La collectivité des pécheurs d’Adra
En août 1936, une assemblée célébrée
dans le cinéma Capitole d’Adra, à laquelle participaient
environ un millier de pécheurs et quelques patrons de bateaux,
décida à l’unanimité de réquisitionner
toutes les embarcations de pèche et de les collectiviser
immédiatement.
Les organisations représentées à cette assemblée
étaient 1’UGT et la CNT. La première regroupait
10 % des pécheurs et la seconde les 90 % restant, mais il
faut souligner qu’il n’y eut pas de divergences ni de
désaccord entre les deux centrales syndicales au sujet de
la mise en marche de la collectivité et de son fonctionnement.
Chacun était libre d’abandonner l’embarcation
collectivisée et d’y entrer selon les besoins, c’est-à-dire
que si une embarcation de 25 hommes, n’en avait que 24, le
premier arrivé pouvait occuper la place.
L’argent existait-il ? Oui, nous ne pouvions nous en passer.
Le syndicat tout comme le comité de l’industrie de
la pèche, qui contrôlait toute l’industrie, devaient
œuvrer intelligemment afin que ce fait révolutionnaire
mis en marche par les pécheurs eux-mêmes, ne soit pas
un échec.
Le produit de la pèche, de chaque bateau, était réparti
entre les membres de l’équipage, après avoir
laissé au comité une petite quantité, qui était
destinée à remplacer les outils abîmés
ou les filets déchirés. Une partie était donnée,
avec l’accord des pécheurs, à celui qui avait
été propriétaire de l’embarcation.
Je ne me souviens pas de problèmes importants qui se soient
posés entre les pécheurs. Les seuls obstacles que
nous rencontrâmes étaient que nous ne pouvions recevoir
assez de matériel, à cause de la guerre, pour la pèche
qui était alors abondante.
Les améliorations furent considérables dans tous
les domaines. Le pécheur commença à retrouver
sa dignité, il n’était plus un esclave. Avant
la guerre, le patron prenait 50 % du produit de la pèche,
plus les 3/5 du reste. Un des plus grands parasites était
le vendeur qui, une fois le poisson débarqué, le vend
aux enchères et qui, pour ce travail, prend 12,5 % de la
vente. Nous avons supprimé toutes ces injustices. Durant
le fonctionnement de la collectivité, le “ vendeur
” touchait 2,5 % et c’était bien suffisant. La
collectivité fut un grand succès dans tous les aspects.
Ce succès fut obtenu par le dynamisme et l’enthousiasme
que, nous, tous les jeunes libertaires, inspirés par les
idées de l’anarcho-syndicalisme, avons montrés
dans ce moment crucial et glorieux, plein de promesses.
La collectivité ne dura que jusqu’en mars 1937. Le
philocommuniste Gabriel Morón Díaz, gouverneur civil
d’Almeria, à l’époque (il était
socialiste, mais en exil au Mexique il devint communiste), envoya
un ordre à la compagnie de gardes d’assaut stationnée
à Adra. I1 profitait de ce qu’à cause de la
perte de Malaga la plupart des gens du village s’étaient
réfugiés ailleurs, pour considérer comme “
disparu ” le syndicat de l’industrie de la pêche
d’Adra et ordonnait de rendre immédiatement les embarcations
aux anciens patrons.
Il y avait alors à Adra la 6e brigade mixte formée
de communistes et commandée par Luigi Gallo, actuellement
secrétaire du Parti communiste italien. Les camarades les
plus en vue durent partir et s’enfuir, car on les recherchait
pour les fusiller.
Ensuite la situation se normalisa un peu, et nous pûmes récupérer
l’influence que la CNT exerçait. Mais la majorité
des pécheurs avaient été mobilisés et
envoyés au front. Il nous fut impossible de reprendre cette
grande œuvre révolutionnaire et humaine.
VII. La collectivité d’Artesa de Lérida
[...] Ce que tu dis est certain : jusqu’à maintenant
il n’y a pas eu dans nos milieux une exposition, une présentation
des limites qu’atteignit la collectivisation en Espagne. Comme
mouvement économique dans un système d’économie
socialisé, nous nous trouvions au fond des fondations que
nous voulions établir. I1 n’y eut donc pas un ensemble
collectiviste, mais des essais de collectivisation. À ce
sujet, nous devons reconnaître (moi le premier) que, pour
les faits que nous nous proposons de narrer, il faut tenir compte
de ce que -comme en toute chose- le temps étend son voile
et efface peu à peu de notre souvenir de nombreux détails
qui seraient très intéressants si nous pouvions les
conter tous, mais il faut nous rendre à cette évidence.
À ta première question sur la collectivité
d’Artesa de Lérida et à son comité révolutionnaire,
il faut expliquer pour éviter toute confusion que le comité
qui remplaça le comité municipal fut le premier formé
qui se forma dès le soulèvement factieux et le conseil
municipal remplacé représentait le régime républicain
légalement constitué après les élections
de février 1936.
Disons également au passage pour que cela soit bien clair,
que dès les premiers moments où le peuple triompha
de l’attaque des factieux, il n’y avait que le peuple,
puisque le peuple était dans la rue, maître de son
destin et sans autorité représentative : même
la plus haute autorité du peuple -le gouvernement- avait
abandonné la direction qui lui avait été confiée.
Le peuple était donc maître de lui-même, et comme
il n’y avait pas de formation politique, sociale ou économique
qui prenne la direction de ce qui avait été conquis,
des comités de défense et de toute sorte commencèrent
à se créer avec la représentation de tous les
organismes qui s’étaient opposés au soulèvement
réactionnaire. À Artesa, donc, comme dans tous les
villages, le premier comité était composé d’hommes
du village, nommés librement par celui-ci. I1 n’y eut
de pourcentage représentatif que lorsqu’on voulut donner
un caractère légal au chaos produit par le soulèvement
criminel.
-Lorsque la collectivité se forma, étais-tu dans
la localité ?
-Non. Le soulèvement me surprit à Barcelone en pleine
discussion avec l’entreprise dans laquelle je travaillais
et dont le personnel était en grève. Le 19 juillet,
considérant que mon devoir était de me trouver dans
la province de Lérida, je cherchai à rejoindre mon
domicile où je passai la nuit, puis à gagner Lérida.
Le matin, je fus surpris d’apprendre que les fascistes étaient
maîtres de la situation. Quand ils furent attaqués,
la résistance fut brève, car les soldats passèrent
du côté du peuple.
-Y eut-il des statuts écrits ou simplement des règles
orales ?
-Oui, il y eut dans la collectivité d’Artesa des statuts
comme dans toutes les collectivités. Les statuts étaient
le plus simple possible et ils reflétaient souvent les accords
pris librement dans les réunions où, parfois, tous
n’étaient pas collectivistes. Tel était le cas
là où il y avait un syndicat de la CNT, car l’organisme
confédéral représentait le contrôleur
et le conseiller de l’œuvre révolutionnaire. Le
secrétaire provincial de Lérida mit sur pied un modèle
de statuts que nous pouvons qualifier de standard, auquel il suffisait
d’ajouter le nom de la localité, et si les intéressés
le trouvaient insuffisant, ils ajoutaient des articles supplémentaires
exprimant leur désir.
-Quelle était la proportion de collectivistes et de leur
famille par rapport au total de la population ?
-I1 faut tenir compte de ce que dans la province de Lérida,
le minifundium, ou petite propriété, est extrêmement
étendu. Il y a peu de journaliers qui vivent seulement de
leur salaire. Si la proportion des déshérités
est considérable, il n’en est pas moins vrai que la
plupart travaillent indépendamment dans une exploitation
familiale, utilisant le procédé de métayage,
affermage, et les différents contrats qui diffèrent
selon les régions. L’essai de collectivisme fut rendu
possible par le soulèvement de la réaction et il n’était
pas total. Cependant on profitait de l’occasion offerte au
peuple pour mettre en pratique ce système, et le minifundium
n’offrait aucun avantage à l’assimilation, à
l’adhésion au collectivisme. Malgré tout, le
pourcentage des collectivistes de la localité qui nous occupe
a dû être de 20 à 25, et les partisans de ce
système au départ de 50 à 60, ce qui donnerait
donc un pourcentage de 25 % d’opposants ou d’indifférents.
Ajoutons qu’à mesure que la contre-révolution
étendait ses tentacules le baromètre baissait, mais
il resta un bon pourcentage de collectivistes qui ne perdirent pas
la foi et étaient aussi enthousiastes qu’aux premiers
moments.
-Quelle était la proportion des collectivistes et de leur
famille par rapport à la population active de la localité
?
-Le village avait environ 6 000 habitants, soit 400 familles, et
la proportion des collectivistes n’était pas très
différente du pourcentage déjà donné.
- Y eut-il la retraite pour les vieux, une école pour les
enfants, la création d’une bibliothèque,ou bien
encore des cours d’alphabétisation ou d’autres
mesures culturelles ?
-Dans le premier cas, non. Les vieux étaient complètement
libres et s’occupaient comme ils le voulaient de travaux secondaires,
qui étaient dans le fond aussi importants que le reste. Leur
travail comprenait l’élagage de l’olivier à
l’époque favorable, ainsi que celui des autres arbres
fruitiers. Je signale que, pour ce travail, les vieux, vu leur expérience,
sont des artistes, car il ne faut pas seulement savoir couper les
branches, mais il faut savoir quelles sont celles qu’il ne
faut pas couper pour le bon développement de l’arbre
et faciliter la production et la qualité du produit. Quant
aux autres activités, ils se consacraient à des travaux
plus faciles et moins fatigants.
Sur le plan éducatif, une école municipale fonctionna
comme auparavant, et si on ne peut pas dire qu’elle était
rationaliste, du moins on imposa à l’instituteur d’employer
un système de pédagogie rationnelle. Oui, on créa
une bibliothèque : la mienne, que j’offris au syndicat
(le syndicat et la collectivité furent créés
en même temps et dans le même esprit). Ensuite on y
ajouta un bon nombre d’ouvrages donnés volontairement
et qui étaient à la disposition de tous les lecteurs.
À propos de la bibliothèque, il y a une anecdote que
je veux rapporter. A un moment (mars 1937), les éléments
réactionnaires, camouflés dans l’UGT et qui
répondaient aux consignes du P.S.U.C., appuyés par
la Légion rouge, stationnés dans le village, poussèrent
les femmes à attaquer le syndicat de la CNT Elles envahirent
le local et tous les livres furent jetés par la fenêtre
et finirent dans un autodafé. Seuls exemplaires qui échappèrent
au bûcher : L’Homme et la Terre, La Nouvelle Géographie
universelle de Reclus et de Zaraceda. Ce furent les seuls cours
d’alphabétisation que reçurent les enfants d’Artesa
de Lérida.
-Du point de vue économique, y eut-il des échanges
avec des villages proches d’Artesa de Lérida, ou bien
avec le village qui payait le plus, tout en n’ayant pas de
collectif ?
-Aucune des collectivités ne pouvait subvenir seule à
tous ses besoins, aussi les échanges étaient-ils nécessaires.
On peut supposer qu’au sujet des échanges, vu qu’elles
sont liées par un même esprit, il n’y avait aucune
sorte de préférence et plus d’une fois l’organisme
provincial ou communal intervenait pour coordonner. L’estimation
de la valeur des produits entre les collectivités ne se faisait
pas non plus en tenant compte de la valeur commerciale. Par exemple,
la collectivité d’Artesa qui était déficitaire
dans la production du vin se mettait en rapport avec une autre qui
en avait trop, et l’échange se faisait librement :
telle quantité de vin contre tant de céréales
pour l’engrais ou le pain, et ainsi de suite pour tous les
produits.
On ne peut aucunement considérer la collectivité
comme un groupement commercial, et pour cette raison elle n’était
pas intéressée par la commercialisation de ses produits
avec d’autres villages ou collectivités qui payaient
plus. Tous les produits élaborés, manufacturés,
naturels ou d’importation étaient distribués
par le conseil d’Approvisionnement du gouvernement autonome
de Catalogne, ainsi que les produits nationaux reçus du gouvernement
central de Madrid, aux conseils de Ravitaillement communaux (les
provinces de Catalogne avaient été supprimées)
qui les fournissaient aux consommateurs. La différence résidait
dans le fait que, comme par le passé, les non-collectivistes
continuaient à se servir dans les boutiques en payant en
argent, mais que les collectivistes se servaient à la coopérative
-considérée comme centre de distribution pour la répartition-
en présentant le carnet familial de collectiviste, et on
enregistrait les produits délivrés, la nourriture
étant payée en argent ou en coupons propres à
la collectivité. La monnaie d’Etat était abolie
par la collectivité et n’avait aucune valeur d’échange.
À mesure que les combats sur le front s’intensifiaient
-tous les jours- et que de nouveaux producteurs étaient appelés
au front, il est certain que la production s’affaiblissait,
que l‘enthousiasme tombait, que les difficultés augmentaient
et que la situation devenait plus étouffante. Situation dont
profitait la contre révolution, la rouge et la noire, parfois
réfugiées dans la même tanière. Aussi
la nécessité d’un contrôle plus sévère
se faisait sentir chaque jour plus, et les collectivités
furent obligées de donner les surplus de leur production
à l’organisme régional de ravitaillement.
-L’échange entre les collectivités se faisait-il
théoriquement avec des coupons et sans argent ? Est-ce que
ce fut le cas pour Artesa et les autres collectivités que
tu as pu connaître ?
-J’ai déjà dit que l’on réalisait
des essais de collectivisme. Si dans d’autres régions
la fédération des collectivités agricoles s’était
déjà constituée, par contre, en Catalogne,
il n’y eut pas d’orientation uniforme basée sur
le fédéralisme. Chaque collectivité, donc,
vu sa production, sa position géographique, son climat (qui
détermine les cultures), son agriculture, son cheptel, ses
habitudes, le caractère de ses habitants, était un
organisme indépendant -elle n’était pas liée
par un organisme coordinateur géographique- qui conservait
le principe de faire ses transactions en se passant de l’argent.
Elle ne l’employait que lorsqu’elle ne pouvait pas faire
autrement, les marchés, etc.
À Artesa, comme dans la plupart des collectivités
que j’ai pu connaître, on partait du principe de se
passer de la monnaie fiduciaire, raison pour laquelle la plupart
des collectivités avaient fait imprimer un coupon spécial
pour proposer dans la coopérative collective tout ce que
la collectivité ne pouvait acquérir par l’échange.
Évidemment, cela aurait été inutile si le système
en cours avait été intégral, puisque la valeur
des produits aurait dépendu du travail et de la production.
-Quel type d’aide y eut-il pour ou de la part de la collectivité
d’Artesa ?
-La collectivité d’Artesa n’eut besoin d’aucune
aide. Quand la décision de constituer la collectivité
fut prise pour exploiter les propriétés qui avaient
été abandonnées par ceux qui étaient
impliqués dans le soulèvement, pour réunir
les terres des petits propriétaires qui avaient accepté
l’exploitation en commun, c’était l’époque
de la moisson, de la récolte des céréales.
La collectivité trouva ainsi un moyen de vie propre et naturel.
Par la suite, on récolta les autres denrées : les
fourrages, le raisin et l’olive. On procéda en même
temps à la préparation des terres pour les prochaines
récoltes, qui devaient être supérieures. I1
en fut de même en 1938, bien que les collectivistes le plus
jeunes et les plus enthousiastes aient été appelés
à l’armée.
Remarquons que l’exploitation en commun, bien dirigée
et divisée en zones de culture adaptée à la
qualité des terres, est plus rentable.
Il y eut, à n’en pas douter, des collectivités
qui eurent besoin d’appui. Cette aide solidaire fut donnée
par le comité de la fédération régionale
et jamais par des organismes officiels. Le comité avait un
fonds monétaire, qui lui fut remis par les syndicats industriels,
pour aider et développer le collectivisme agricole. La remise
des fonds demandés se faisait, après un rapport de
la direction de la collectivité, avec comme seule formalité
un accusé de réception, et sans aucun intérêt.
Quant aux engrais, les collectivités et les individualistes
les recevaient du conseil d’Approvisionnement de la Généralité,
et non pas en tant qu’aide, car on demandait parfois jusqu’à
75 % de taxes aux collectivités et aux cénétistes.
Cette sorte d’abus, dénoncé par des plaintes
de plusieurs collectivités et cénétistes, fut
constatée par la fédération régionale
lors d’un voyage à travers la région en recueillant
dans les quatre provinces, et canton par canton, une bonne quantité
de factures et de reçus qui étaient autant de preuves
de sanctions dont étaient victimes nos camarades. Toutes
ces données furent réunies en un rapport présenté
au sous-secrétariat à l’Agriculture du gouvernement
central, en conseil des ministres.
Le résultat fut que, devant cette irrégularité,
un accord ministériel décida, malgré l’opposition
des ministres communistes, de séparer du contrôle de
la Généralité, en en faisant la statistique,
les terres des 94. 000 affiliés à la CNT, afin de
leur distribuer la quantité d’engrais, de fourrages,
de semailles, etc., qui leur revenait.
-Y-eut-il à Artesa, comme dans d’autres villages,
la création contre la collectivité d’un prétendu
syndicat UGT qui réunissait en fait les ennemis du collectivisme
?
-J’ai déjà répondu à propos des
mesures d’alphabétisation. Mais je veux signaler que,
bien que ceux qui commirent ce forfait se disaient ugétistes.
il y avait dans la collectivité d’Artesa une famille
qui était ugétiste, mais de l’UGT d’Espagne,
pas de Catalogne.
-La colonne Lister passa-t-elle dans le village ? -Non. Mais il
y eut la Légion rouge tristement célèbre pour
les habitants d’Artesa, tout comme la colonne en Aragon, puisque
l’une et l’autre appartenaient à la même
racaille.
Malgré les attaques par des éléments réactionnaires
dont fut victime la collectivité, avec l’appui de la
Légion et incités par elle pour détruire l’œuvre
collectiviste, le syndicat et la collectivité continuèrent
leur œuvre jusqu’à la défaite.
-D’où provenaient la fabrique d’extraction hydraulique
d’huile d’olive, la batteuse et les outils de labour
: d’expropriations, d’achats ou de prêts d’autres
collectivités ?
-À dire vrai ce ne fut aucun de ces cas, ils furent recueillis
parce qu’ils avaient été abandonnés par
leurs propriétaires. À Artesa, il y avait plusieurs
fabriques d’huile et plusieurs batteuses. La collectivité
- avec l’accord de la majorité de la localité-
mit en exploitation, en plus des propriétés abandonnées,
une fabrique hydraulique et une autre, au moyen d’acide sulfurique,
d’huile qui reste dans le marc des olives.
-Combien de temps as-tu été secrétaire de
la fédération de Catalogne ?
-I1 ne m’est pas possible d’en préciser la date.
Je me rappelle que j’ai été nommé représentant
de la province de Lérida au premier congrès régional
célébré en septembre 1936, mais à cause
de mes occupations dans la province, je ne pus m’intégrer
à la régionale qu’en juin 1937. Une fois au
comité régional, il fut décidé en réunion
que je devrais m’occuper du contrôle des collectivités
de la région pour faire appliquer les accords du congrès.
Je mis en listes, par ordre d’importance économique,
celles qui fonctionnaient jusqu’en novembre 1937 où
je dus prendre la charge de remplaçant du secrétaire
régional titulaire qui, par incompétence selon lui,
avait démissionné. Donc, j’ai occupé
la charge de secrétaire de la fédération régionale
catalane des paysans de novembre 1937 à novembre 1938, date
à laquelle on procéda à la constitution de
la fédération régionale des industries agricoles,
d’élevages et de l’alimentation.
-Es-tu au courant de l’enquête statistique de mai 1937
?
-Bien que j’ai été nommé au plénum
régional célébré en février 1937
pour représenter la régionale catalane au sein de
la fédération régionale de paysans, il ne me
fut pas possible de prendre le poste qui m’avait été
confié, à cause des raisons organisationnelles de
ma région et des contre-temps dus à la guerre. Aussi,
je ne peux répondre objectivement à cette question.
-Que sont devenues les archives des collectivités et des
fédérations paysannes ? Sont-elles en Espagne ou bien
dans les archives CNT-FAI à Amsterdam ?
-Sur le plan régional, j’ignore complètement
cette question, et sur le plan national aussi. Pour ce qui est de
la Catalogne, après la constitution de la fédération
régionale, comme c’était normal pour une nouvelle
administration, toutes les archives de la première période
furent gardées à part et classées pour en réduire
le volume.
Peu avant l’entrée des troupes fascistes, comme il
n’était pas possible de transporter un tel poids et
que rien n’était prévu de sûr pour les
garder et que nous avions peu de moyens de transport pour évacuer
le personnel, elles furent complètement détruites
afin qu’elles ne tombent pas aux mains de l’ennemi pour
éviter les représailles, tant dans notre région
que dans les autres.
-Connais-tu d’autres collectivités dans la province
de Lérida que celles-ci : Albaterreche, Albesa, Alcarraz,
Alguaire, Bellpuig de Urgell, Castellsea, Granadella, Guimera, Isona,
losa de Cadi, Lardecans, Mayals, Omells de Nogaya, Os de Balaguer,
Peramola, Poal, Pobla de Ciérvoles, Seros, Tremp, Vallfogona,
Verdu ?
-Oui, on peut ajouter : Lérida, Arbeca, Puigvert de Lérida,
La Portella, Linola, Soleras, Torres de Segre, Cervia, Cervera,
Montoliu de Lérida et Vinaixa.
VIII. La fédération régionale des collectivités
de Barbastro.
Dès que le mouvement éclata et que les fronts furent
stabilisés, les collectivités furent créées,
mais une partie étaient des collectifs de guerre. Autrement
dit la pression, l’atmosphère de la guerre entraînèrent
la création de collectivités dans presque tous les
villages, mais cela tenait beaucoup plus à la peur qu’à
la conviction. Car comme en toutes choses, les gens convaincus étaient
une minorité. C’est toujours une minorité qui
constitue le terrain, la masse reste en arrière.
Évidemment au début il y eut des collectivités
partout, mais il fallut en dissoudre beaucoup parce qu’elles
ne répondaient pas à l’esprit, à la conscience
libre d’une collectivité.
- Lorsque tu dis beaucoup tu penses à la région de
Barbastro ou tu parles en général ?
- Oui je parle en général pour Barbastro, et d’autres
régions, comme Monzón. Quant à Huesca, elle
était aux mains des fascistes, mais on créa la fédération
d’Angües (...)
Et je parle des gens qui spéculaient sur les collectivités.
Il y avait des petits propriétaires qui étaient entrés
dans la collectivité et. par exemple en admettant que la
richesse du coin était le vin, si cette année là
il allait y avoir une bonne vendange, ils s’en allaient de
la collectivité en récupérant leurs terres.
Et après la vendange, ils revenaient.
Nous nous sommes bien sûr rendus compte de tout cela. Comme
en toutes choses, la collectivité est un organe dont la façon
de fonctionner est déterminée par la pratique, qui
se perfectionne comme quand on apprend un métier. Lorsqu’on
saisit un outil, on ne sait pas s’en servir, mais à
force on acquiert du doigté. Voilà notre secret :
nous comprenons que le monde doit vivre une époque de liberté,
oui permette une liberté de choix dans le travail et dans
la vie. C’est seulement en marchant qu’on trouvera la
solution : si telle ou telle chose est bonne ou pas, si on la garde
ou pas. C’est dans la vie qu’on voit comment vivre le
mieux.
Ainsi par exemple nous avions comme but le communisme libertaire.
Mais supposons qu’en Espagne, nous, la CNT, nous disions à
partir d’aujourd’hui c’est le communisme libertaire,
il faudrait prendre les gens par la main et leur dire tout ce qu’il
faut faire. Ce serait un régime imposé. Autrement
dit le communisme libertaire est un exercice de la liberté,
de politique libre, et le communisme veut dire que tout ce qui existe
dans l’air, sur la terre est la propriété de
tout le monde et de personne. Personne n’a le droit de l’exploiter
à lui seul parce que c’est à tous. Voilà
le communisme libertaire et c’est pourquoi nous sommes contre
la politique de ceux qui disent : Nous avons un programme pour aller
au gouvernement... Lorsqu’ils sont au gouvernement, leur gouvernement
ne peut rien faire parce que sur le plan économique l’argent
s’en va à l’étranger, comme cela se passe
en Espagne. (...)
- Quels changements ou quelles améliorations y-a-t-il eu
pour l’achat de matériel ou la culture de plus de terre
?
- Par exemple, il y a à Barbastro un terrain qui était
entièrement formé de petits vergers et 25% du sol
était occupé par des chemins par ci par là.
La collectivité le fit labourer et cultiver. C’est
alors qu’on a commencé à exploiter la betterave
à sucre, car il y a avait une raffinerie à Monzón.
La fédération régionale de Barbastro acheta
3 ou 4 moissonneuses pour le blé. Étant donné
que le blé ne mûrit pas au même moment dans les
villages de la vallée et de la montagne, la machine allait
de village en village. Elle était au service de la région.
Nous avions le projet d’établir le téléphone
dans tous les villages, mais nous n’eûmes pas le temps
de le réaliser. Nous étions en !liaison avec les camarades
des téléphones qui nous avaient fait un devis, parce
que nous voulions qu’il y eût un téléphone
dans tous les villages. Car en cas de malheur, sans téléphone,
les gens venaient des villages à pied ou à bicyclette
(il n’y avait pas de voitures alors). Nous voulions apporter
cet avantage. Nous n’y sommes pas arrivés, mais on
était sur le point de le faire. Il faut tenir compte des
conditions de fonctionnement des collectivités. La jeunesse
était sur le front. Les vieux faisaient le plus gros des
travaux. Et malgré tout, la production augmenta. Et elle
augmenta partout.
Il y eut dans la région beaucoup d’olives, et pour
les cueillir, il faut beaucoup de main d’œuvre manuelle.
Comme la jeunesse n’était pas là, nous fîmes
appel aux filles des riches qui ne travaillaient pas, car ils vivaient
de leur argent. Beaucoup d’entre eux étaient dans les
collectivités, parce que là au moins ils pouvaient
manger. En dehors de la collectivité, tout manquait dans
les commerces : les riches avaient l’argent et ils ne pouvaient
pas manger. (...)
Comme je le disais auparavant, vouloir transformer une société
en 48 heures est ridicule, inutile, c’est un rêve. Pour
transformer une société, il faut le faire en avançant,
par l’intermédiaire de la pratique et de l’évolution,
et non pas par la force, parce que par la force on n’obtient
rien. Nous savions ce qu’on nous avait fait : plus nous étions
persécutés, plus nous étions emprisonnés,
et plus les gens sympathisaient avec nous et nous aidaient. J’avais
été incarcéré quatre ou cinq fois, et
les gens demandaient pourquoi. C’est-à-dire qu’étant
donné que nous savions que plus une idée, plus une
personne est accusée, plus elle prend de l’importance,
nous étions opposés à toute oppression et tout
acte violent pour appliquer quelque chose.
- Quels problèmes se sont posés, par exemple entre
les collectivités ou les collectivistes, pendant ta gestion
de responsable des collectivités ?
- Je me souviens qu’un village avait dissout trois ou quatre
fois la collectivité : El Grado (qui a sans doute disparu
avec la construction d’un barrage).
- Et à El Grado, d’où venait le problème
? Y avait-il des oppositions de personnes ?
- C’était cela. Certains ne se sentaient pas bien
dans la collectivité. D’autres avaient par exemple
un fils au front, et recevaient la solde. C’était un
revenu. Peut-être qu’au départ ils étaient
tous les deux, le père et le fils, dans la collectivité,
mais si le fils était au front, il était évident
qu’il fallait écarter le père, qui était
rémunéré. Il y avait beaucoup de détails
dont l’application permettait de voir les défauts.
Nous sommes nés dans un régime autoritaire et tout
en nous disant libertaires, nous avons hérité du milieu
ambiant certains préjugés. Les vrais libertaires seront
ceux qui naîtront dans un régime de liberté,
où il n’y aura pas de symptômes de tyrannie ni
aucune trace d’autorité, car celui qui se dit libre
adopte peu ou prou certains des préjuges de la société
qui l’entoure, comme l’argent, etc.
- Justement à propos de l’argent, toutes ces collectivités
fonctionnaient sans argent ou fallut-il à un moment le rétablir
?
-Oui il y avait des collectivités où l’argent
n’existait pas à l’intérieur du village,
de la collectivité. C’était le comité
qui l’avait pour faire des échanges avec l’extérieur.
Quant aux médecins, ils étaient payés. Si un
malade devait être conduit à l’hôpital,
il ne payait rien. Le médecin était aussi au service
de l’armée. Le comité donnait de l’argent
au collectiviste qui pour une raison ou une autre devait aller,
par exemple, en Catalogne ou ailleurs.
Il y avait d’autres collectivités où l’on
répartissait tout selon une carte familiale. Mais les vieux
étaient habitués à aller au café pour
prendre un café, un litre de vin, jouer aux cartes. C’était
leurs habitudes. Lorsqu’on disait à un vieux que les
temps étaient changes, il répondait qu’il voulait
suivre son rythme. Les vieux étaient heureux de leur genre
de vie. Alors on leur donnait un peu d’argent de poche.
- Chaque village était donc différent ?
- Dans la même région, les collectivités présentaient
des différences. Il y avait une fédération
de collectivités, mais chaque collectivité avait établi
en assemblée générale, librement, une forme
particulière. Certaines collectivités étaient
arrivées à avoir un camion. C’étaient
des villages plus riches que d’autres. Il y avait des villages
qui vivaient du blé, d’autres de l’huile d’olive
et du vin, et ils avaient plus de ressources. Mais une gelée
pouvait détruire la récolte de l’année,
et il fallait tenir bon. Dans ce cas la fédération
régionale était là parce que c’était
une réserve, avec sa comptabilité. Chaque collectivité
avait sa place et lorsque des produits arrivaient, nous faisions
la répartition. Nous avions le nombre de fumeurs dans chaque
collectivité et nous distribuions le tabac en conséquence.
Et on faisait comme cela pour tout. Si un village avait eu une mauvaise
récolte et ne pouvait pas payer ce qu’il avait consommé,
il continuait à recevoir parce que la fédération
régionale faisait le nécessaire. Ensuite quand le
village en avait les moyens. il remboursait ; s’il ne le pouvait
pas, cela n’avait pas d’importance, du moment qu’il
était collectivisé. Au niveau de chaque localité
il y avait distribution des bénéfices. Mais au niveau
de la région, on ne pouvait pas accepter qu’un village
ne pût vivre et manger parce qu’il n’en avait
pas les moyens.
- Autrement dit l’entraide s’appliquait aussi bien
entre les collectivistes que les collectivités ?
- Comme je l’ai dit il y avait une ou deux collectivités
qui avaient un camion. La collectivité de Naval possédait
un gisement de sel .
Grâce à son camion, cette collectivité envoyait
une certaine quantité de sel en Catalogne. Elle avait des
rapports commerciaux et on la laissait libre d’utiliser son
camion et de vendre où bon lui semblait. Nous avions un camion
par région, mais deux villages de la fédération
régionale avaient leur camion. C’étaient Naval
et Salas Altas.
- Sur un plan anecdotique, tu as dû voir Gaston Leval ou
peut être Agustin Souchy passer à Barbastro ?
- Ma fille a un livre de Gaston Leval où tout ce qui est
sur Barbastro a été indiqué par moi. Il passa
dans la région et je lui donnai tous les détails sur
les collectivités. Je connaissais Leval avant la révolution
parce qu’il avait écrit un ou deux livres qui m’avaient
tout de suite intéressé parce qu’ils traitaient
des problèmes économiques. (...)
- Que se passa-t-il à Barbastro lorsque Lister a dissout
le Conseil d’Aragon ?
- Lister est passé ailleurs. Une autre force est venue à
Barbastro. Elle commença à dissoudre les collectivités,
à attaquer les bureaux de la CNT, que nous avions installés
dans une maison abandonnée d’un riche. Heureusement
nous n’avons pas résisté. Si nous l’avions
fait, je ne sais pas ce qui se serait passé. Il y avait trois
divisions de la CNT sur le front de Huesca et s’il s’était
produit un affrontement entre nous, pour détendre notre local,
et les forces du gouvernement qui avaient attaqué, il y aurait
eu une explosion comme en Catalogne. [Le camarade avait été
témoin lors d’un voyage à Barcelone du commencement
des événements de mai 19371 J’avais vu comment
on nous avait dit de cesser le feu en Catalogne, et on le disait
à Madrid, et les gens se tenaient tranquilles : D’abord
gagner la guerre . Lorsque des troupes vinrent dans notre région
défaire les collectivités et attaquer notre siège,
je fus évidemment un de ceux à dire qu’il ne
fallait pas résister. Il y avait beaucoup de jeunes en armes,
qui avaient été au front deux ou trois fois et étaient
à Barbastro pendant quinze jours dans leurs famille. Nous
n’avons pas tiré un seul coup de feu, bien au contraire.
Je suis descendu et l’ai dit au concierge d’ouvrir la
porte. Lorsqu’ils sont entrés, un garde d’assaut
me poussa en me traitant de fils de pute.
Nous fûmes donc tous arrêtés et conduits en
prison. Il n’y eut pas de combat. Il y avait une chose significative
: pendant la république j’avais été arrêté
cinq fois. (...) Et voilà qu’un garde d’assaut
me traitait de fils. dans le sens de fasciste. Moi un fasciste,
alors qu’avant la révolution j’avais lutté
ouvertement contre le fascisme. Mais je dus me taire parce que si
on avait polémiqué les revolvers auraient parlé
et cela aurait été pire pour nous que pour lui, parce
que les gardes d’assaut sont entraînés et que
nous pensions que cela ne valait pas la peine de perdre la vie pour
défendre une maison.
- Comment cette affaire s’est-elle terminée ? On dit
que dans de nombreux villages les collectivités se reformèrent.
- Nous avons passé trois mois en prison. (...) Et au bout
de trois mois on nous a tous libérés parce qu’on
s’est rendu compte que sans nous ça marchait mal. Il
y avait eu un bombardement à Barbastro, et les volontaires
qui évacuèrent la plupart des morts avaient utilisé
les chariots de nos collectivités. Avec le bombardement tous
s’étaient échappés, il n’y avait
plus de responsables, ils se cachaient. Mais nos camarades, bien
que nous soyons en prison, avaient évacué les morts.
Les gens de l’UGT et les communistes se rendirent compte qu’ils
avaient besoin de nous, que sans nous ils ne pouvaient y arriver.
- Et les collectivités, pendant ce temps-là, quand
vous les responsables vous étiez en prison, est-ce qu’elles
continuaient leurs activités ?
- Oui, il y eut quelques villages où les collectivités
furent dissoutes, mais elles se reformèrent. Il n’y
avait pas matière au conflit parce que dans la région
j’avais une tactique : il y avait un village ou deux où
les communistes étaient majoritaires, bien qu’il n’y
en ait pas en Aragon. Estadilla était dans ce cas. Lorsque
la fédération régionale fut créée,
nous fûmes appel à tous les habitants en leur disant
: nous sommes des collectivistes, il n’y a ni communistes
ni cenetistes. Nous travaillons en collectivités et ce qui
prime est la collectivité. Le libre accord doit exister pour
les échanges et le commerce.
Cela a évidemment joué en notre faveur, parce que
même les collectivistes communistes étaient opposés
à ce qu’on nous emprisonne.
- Mais les collectivités ont-elles continué ?
- Oui, la majorité a continué avec plus ou moins
de collectivistes, mais les collectivités ont continué.
- Même la collectivité communiste d’Estadilla
?
- Elle a continué, oui. Je peux assurer que pour la région
de Barbastro, lorsque l’Aragon a été perdu,
les collectivités continuaient à l’exception
de deux ou trois.
- Je posais cette question pour mettre les points sur les i, parce
que jusqu’à maintenant j’ai rencontré
une douzaine de cas, et je me suis toujours demandé si l’affirmation
que les collectivités s’étaient formées
à nouveau n’était pas démagogique.
- Ce que tu dis me fait penser à ce qui est arrivé
ailleurs. A Binéfar le syndicat, comme à Barbastro,
est apparu en 1931. Il était puissant, avec de bons militants.
Mais pendant la période des collectivités il y eut
des erreur, des impositions autoritaires de la part de la CNT. Lorsque
les forces communistes de Catalogne sont passées, des militants
et même des collectivistes furent chassés. Ces camarades
de Binéfar s’échappèrent et vinrent se
réfugier à Barbastro. Nous avons dû les cacher
parce qu’ils étaient recherchés et ils étaient
également de la CNT. Dans la région de Barbastro quand
je savais que dans un village la collectivité ne marchait
pas bien, j’y allais. Je réunissais toute la collectivité
en assemblée générale libre et les collectivistes
devaient dire ce qui se passait. Je me rendais alors compte des
raisons du mauvais fonctionnement. Il n’y avait pas d’autre
solution que de dissoudre la collectivité et la recommencer.
Si une, trois ou quatre personnes voulaient s’en aller, elles
le faisaient. Je disais en effet qu’un ver lorsqu’il
veut abîmer une plante c’est à l’intérieur
qu’il se place et il la ronge et la mange. Et il finit par
la tuer. Si quelqu’un est dans la collectivité sans
avoir de conscience collective, il ne fait que du mal.
Les critiques extérieures aux collectivités par les
partis politiques ne nous faisaient pas peur. Je leur disais : pourquoi
ne faites-vous pas des collectivités ? Si les vôtres
sont meilleures que les nôtres, vous me le prouvez par des
faits en montrant ce que doit être une collectivité.
C’est très facile de critiquer ce que fait quelqu’un
quand on est incapable de rien faire. (...)
- Si dans une telle assemblée libre de la collectivité
les gens commençaient à critiquer un camarade de la
CNT, comment réagissais-tu ?
- Je ne jugeais pas les individus. Les individus et les actes,
c’est la collectivité qui les jugeait. Quand il y avait
un problème qui entraînait un déséquilibre,
obligeant à dissoudre la collectivité, alors j’intervenais
dans la discussion, sans faire de différence entre un argument
ou un autre, car je n’étais pas seul. J’étais
avec un comité, et puis il y avait les habitants du village,
dont certains étaient aussi compétents que moi. Dans
le comité, j’étais le seul représentant
de la fédération régionale, et il y avait aussi
responsable du transport du village de Las Cellas, un de l’agriculture
de Ponzán, un de l’économie de Luganarrota.
- Au congrès de Caspe, en février 1937, la région
de Barbastro a 31 collectivités et 7963 affiliés,
et pour Barbastro 113. S’agissait-il uniquement des chefs
de famille ou de tous les membres de la collectivité ?
- Pour Barbastro il y avait 113 chefs de famille et je suis persuadé
que dans les autres cas on comptait les chefs de famille. Mais pour
Peralta, tous les membres étaient inclus dans le nombre.
Extraits de l’interview inédite en espagnol et en
traduction d’Eugenio Sopena à Chevry-Cossigny, en juin
et décembre 1976 (reproduite dans Explosions de liberté
Espagne 36, Hongrie 56 Acratie, Atelier de création libertaire,
1986)
IX. Le problème de l’argent pendant l’autogestion
espagnole (1979)
Plongés comme nous le sommes dans la société
de consommation et ses facettes multiples dans le monde occidental
et en voie de développement, nous avons du mal à saisir
et à faire comprendre le système organisationnel du
signe monétaire pendant la guerre civile espagnole.
Il importe d’abord de connaître brièvement les
idées qui pouvaient être proposées aux militants
anarcho-syndicalistes et d’autres idéologies avant
le 19 juillet 1936. Du côté marxiste, il n’y
a pas de problèmes : de même que la disparition, le
dépérissement de l’État est renvoyé
à une date imprécise, l’argent et des différences
de salaire, sont maintenus chez Marx ( indirectement dans La production
de la plus-value absolue, Chapitre du travail et sa mise en valeur,
à la fin, dans la traduction intégrale du Capital
: Cette force de travail qui se matérialise, donc, pendant
les mêmes périodes de temps, en valeurs relativement
plus élevées. Cette valeur supérieure à
la normale se traduit, logiquement, par un travail supérieur
). Comme les marxistes léninistes l’ont appliqué
: on ne peut tolérer qu’un chauffeur de locomotive
reçoive le même salaire un copiste. Marx et Lénine
disent que la différence entre le travail qualifié
et non qualifié existera encore dans le système socialiste
et même après la suppression des classes. (Staline)
Du côté libertaire, on remarque deux positions très
différentes. La première est celle de Kropotkine dans
La conquête du pain où la prise au tas est préconisée
et la mise en commun des richesses ainsi que le refus de toute possibilité
de différenciation de salaire. La deuxième maintient
la monnaie, en même temps que des bons de consommation, afin
de supprimer le caractère spéculatif de l’épargne,
du prêt, etc. Pierre Besnard est celui qui élabore
le mieux cette partie en pensant à un système de salaire
national à partir de bons et des échanges internationaux
éventuellement fondés sur l’or.
La pratique révolutionnaire de 1933 et 1934 clarifia ces
conceptions. Par exemple, lors de la tentative insurrectionnelle
de communisme libertaire en Aragon en décembre 1933, l’argent
fut parfois aboli . Et cela est tout à la fois imputable
aux articles d’Isaac Puente sur le communisme libertaire,
qu’à l’influence de Kropotkine (très lu
en Espagne), voire une tradition communale et un refus viscéral
de la politique bourgeoise (à relier sans doute à
la tradition religieuse de l’argent source de perversion).
En 1934, lors de l’insurrection volontairement limitée
aux Asturies, en vue d’obscures tractations politiques, on
constata que spontanément tant dans les zones anarchosyndicalistes
que socialistes et communistes du Bloque Obrero y Campesino (par
la suite inclus dans le POUM, conglomérat de groupes marxistes
dissidents avant les élection de 1936) et ceux du PC, les
comités avaient créé des bons pour que la population
puisse s’approvisionner et que les commerçants acceptaient.
Ces deux expériences furent très commentées
dans toute l’Espagne. Et même les socialistes et les
communistes du BOC et du PC s’extasièrent (en dépit
de Marx et Lénine-Staline) devant la capacité des
travailleurs asturiens en matière monétaire. Ainsi,
du côté anarchiste, la vision de Besnard (et Leval)
d’un salaire et d’une monnaie purgés de leurs
aspects spéculatifs cotoyait celle de Kropotkine - Isaac
Puente qui implique la suppression de l’argent. Le congrès
de la CNT de mai 1936 en adoptant une motion sur le communisme libertaire
ne trancha pas en donnant une formule ambiguë fondée
sur le carnet de producteur. Du reste, les autres motions, du moins
celles que cite Antonio Elorza dans Revista del trabajo N°32,
vont du refus déclaré au refus voilé. On peut
juger de la maturité de la réflexion pré-révolutionnaire
d’après le Projet de reforme monétaire et schéma
de la circulation fiduciaire dans une économie sociale (reproduit
en I) et qui -d’après Valerio Mas qui me le fit connaître-,
fut commencé début 1936 à Granollers.
La guerre amena trois sortes de réactions au problème
de l’argent.
La première chronologiquement est celle qui eut lieu à
Barcelone dès le commencement des combats, puisque les services
publiques (eau, gaz, électricité) continuèrent
à fonctionner et que l’approvisionnement élémentaire
(pain, lait, etc.) continua à se faire, ce qui implique la
préparation des anarcho-syndicalistes et la prévision
des besoins du pain, il faut du pain A la révolution ! (
... ) notre tâche à nous, sera de faire en sorte que
dès les premiers jours de la révolution, et tant qu’elle
durera, il n’y ait pas un seul homme sur le territoire insurgé
qui manque de pain comme l’écrivait Kropotkine, (La
conquête du Pain).
Pendant ces premiers jours de fièvre, il n’y a pas
vraiment de revendications globales : chaque collectif fait l’inventaire
de ses ressources et en même temps pense à contribuer
à la révolution. Il me semble qu’on peut distinguer
deux tendances partant d’une attitude identique de réorganisation
de l’éventail des salaires (les hauts salaires des
directeurs, sous-directeurs et emplois honorifiques sont supprimés
, les salaires des ingénieurs et des cadres sont maintenus
et ceux des manœuvres sont très augmentés). La
première tendance est de travailler moins et gagner plus,
ce que la Généralitat stimule par son décret
-24 juillet 1936- il est symptomatique que, réduits à
l’état de fantômes juridiques les catalanistes
aient décrété la semaine de quarante heures
et 15 % d ’augmentation des salaires bien que les besoins
révolutionnaires aient été grands et que la
Généralité n’ait eu aucun pouvoir sur
la Banque d’Espagne. La deuxième est d’appliquer
le salaire unique (comme dans les transports), ce qui suppose que
globalement il ne puisse y avoir d’inflation ni de marché
noir, or ce fut bien vite le cas, non seulement en Catalogne, mais
dans toute l’Espagne républicaine. Évidemment,
un salaire unique n’est pas forcément fixe, mais il
était conçu en pensant que le les prix étaient
fixes.
La deuxième fut celle des collectifs agraires qui se place
dès l’annonce de la victoire à Barcelone et
dans ce qui se dessine comme l’Espagne républicaine.
Il y a là aussi deux tendances : le refus de l’argent
(brûlé dans certains cas) et l’instauration de
la prise au tas, l’établissement d’une monnaie
locale. Les variations locales et les discussions en assemblée
générale pour modifier le système sont résumées
par ce témoignage de l’époque : tout ce qui
a été fait l’a été immédiatement
et à titre d’essai. Durant les premiers jours on donnait
des bons permettant d’acquérir ce dont on avait besoin.
Plus tard, on fit ce papier-monnaie et maintenant nous avons adopté
le système du carnet de producteur. Jusqu’à
présent, c’est le meilleur de ceux que nous ayons mis
en pratique .
Il n’y a pas là seulement une évolution des
ressources qui permettaient d’aborder le communisme par l’abondance,
puis qui sont rationnées également pour tous. Il y
a aussi le maintien de la hiérarchie machiste. Dans une économie
non rationnée l’égalité s’instaure
de fait entre les personnes et les sexes. En établissant
le carnet de producteur, les collectifs rabaissaient la femme, puisqu’elle
gagnait toujours moins que l’homme. Gaston Leval dit dans
l’édition italienne de son livre (1952) : dans la moitié
environ des collectivités agraires, le salaire qu’on
leur [aux femmes] attribuait était inférieur à
celui de l’homme, dans l’autre moitié, il était
équivalent : ces différences peuvent s’expliquer
par le fait que rarement une femme jeune vit seule. Pour ma part,
et sans avoir en fiches tous les salaires selon les collectifs,
je ne vois pas quels collectifs agraires appliquaient l’égalité
de salaires.
Et ce fait permet de réunir les deux situations des collectifs
des villes et des campagnes par l’adoption dans les deux du
salaire familial (selon le nombre de membres de 1a famille) qui
sous-entend le bloc, le clan de la famille dont l’évolution
est sanctionnée par le mariage, le départ des enfants.
Et, naturellement, l’échelle des salaires était
différente pour les hommes mariés, les homme célibataires,
les femmes célibataires, les enfants et les vieux ( parfois
séparés ).
Un autre point qui réunit les deux collectifs est le problème
des échanges, des acquisition de biens en dehors du collectif.
Dans tous les cas, la base, l’estimation était fait
en pesetas et l’accord se faisait soit en argent de collectivité
à particuliers ou en troc de collectivité à
collectivité, lorsque cela était possible. On achoppait
sur le manque de données statistiques des produits disponibles
tant sur le marché (bouleversé) que les collectifs
de la région et des autre branches en autogestion.
Et on arrive tout naturellement au troisième aspect : la
banque, qui resta entre les mains des capitalistes bourgeois républicains,
malgré les désirs de la saisir et l’exemple
de la réquisition de la banque d’Oviedo en 1934. Federica
Montseny le souligna en montrant la grande conscience révolutionnaire
par rapport à la Commune de Paris, dans l’introduction
de La revolucion de octubre. Quince días de comunismo libertario
en Asturias de Solano Palacio. On peut ajouter qu’il y eut
des désirs et peut-être des tentatives anarcho-syndicalistes
de s’emparer de l’or de la Banque d’Espagne à
Madrid (voir Santillán, García Oliver et le Durruti
de Paz), mais la collaboration politique imposée par les
dirigeants syndicalistes CNT-UGT rendit bancale l’autogestion.
Dans cette situation de double pouvoir, mortelle et meurtrière
pour l’autogestion comme les exemples historiques précédents
l’avaient montré (Allemagne et Italie des années
1918-20 et l’URSS des années 1917-21), on note cependant
une accentuation du processus de l’autogestion. En Catalogne,
une loi d’octobre 1936 chapote complètement l’expérience
du point de vue industriel, en faisant dépendre les collectifs
des crédits gouvernementaux octroyés selon la couleur
politique des ministres et des responsables et celle des collectifs.
En Aragon, une statistique régionale des stocks et des besoins
fut établie et fonctionna convenablement, mais au niveau
des échanges en dehors de la province et à l’étranger,
il y eut un flou de compétence entre l’organisme responsable
des achats à l’extérieur pour les collectivités
et certaines collectivités assez riches pour commercer directement,
cependant il existait une caisse de compensation pour les collectivités
pauvres Dans la province de Valence, la situation devint vite inextricable
“ grâce ” au PC qui proposait une organisation
d’exportation d’agrumes concurrentes, en sabotant celle
de la CNT-UGT, et on en arriva à des oppositions irréductibles
: le refus de commerce entre les organismes autogérés
et ceux dépendant du PC.
Pour pallier l’inertie des opposants et des ennemis armés
de l’autogestion, on assista à des relations économiques
fondées sur la politique et non la rentabilité : Ascó
(province de Tarragone) reçut une aide financière
du syndicat des coiffeurs de Barcelone, parce qu’un membre
de ce syndicat était en convalescence dans cette collectivité,
pour acheter une pompe électrique, et la même collectivité
employa des camarades du syndicat des briquetiers de Granollers
en collectivité pour la cueillette des olives. On comprend
que dans une atmosphère de méfiance, les rapports
personnels n’offrent pas la garantie nécessaire, mais
un minimum de coordination aurait pu se faire dans le cas d’Ascó
dans la province même. Il nous semble que ce cas dut se répéter,
car les rapports entre fédérations de collectifs n’apparaissent
pas clairement encore.
La CNT qui n’avait pas voulu autogérer la banque se
vit dans l’obligation d’en créer une pour financer
les organes économiques anarcho-syndicalistes. Tout en reconnaissant
que L’idéal... la suppression de l’argent [est]
indispensable , il était proposé une banque avec trois
fonctions - banque pour les syndicats ; - banque pour les producteurs
(analogue aux caisses d’épargne actuelles) ; - banque
pour le commerce extérieur . (selon Amezcua dans Soli 16/2/37,
p. 2). Ce projet fut finalement réalisé lors du plenum
économique élargi de janvier 1938 et il me semble
que dans la pratique il ne fut guère effectif.
Au niveau des collectifs tant industriels qu’agricoles, mon
impression est que la situation quotidienne du salaire interne par
le carnet de producteur et le troc ou l’emploi de la peseta
pour les achats extérieurs (peseta qui subit la hausse des
prix de toute la zone républicaine alors que les salaires
agricoles restèrent plus ou moins au niveau de fin 1936)
n’évolua pas sensiblement entre 1937 et 1938 (pour
l’Aragon et la Catalogne) et 1939 pour les autres régions.
C’était une situation bancale stationnaire qui bougeait
au sommet, mais pas à la base. Les collectifs géraient
leur production et participaient à l’effort de la guerre
en envoyant gratuitement au front une partie de leur production
et, parfois, en accueillant les réfugiés. Cet effort
n’était pas un investissement au sens économique
du terme. Il fallait gagner la guerre pour renforcer la révolution,
et pour les communistes c’était gagner la guerre pour
éventuellement commencer la révolution, et de fait,
les pertes économiques causées par 1e PC tant directement
(attaques de l’autogestion en Aragon, au moment de la récolte
du blé) qu’indirectement (sabotage de la campagne d’exportation
d’agrumes 1937-38) sont difficiles à estimer. Mais
il faudra le faire pour avoir une vision financière globale
de l’autogestion .
Ce tassement, cette continuité de la vie économique
avec ou sans signe monétaire, ou avec une monnaie dénuée
de pouvoir spéculatif, est la caractéristique la plus
importante de cette expérience. Mais de nombreux autres points
seraient importants : la transformation des riches et pauvres (par
exemple dans les villages collectivisés d’Aragon où
la monnaie locale et le carnet de producteur obligeaient les riches
soit à entrer dans la collectivité soit à végéter)
; la thésaurisation éventuelle (retour de la spéculation)
dans certains collectifs et à quel niveau ( les dirigeants
étaient-ils un embryon de nouvelle classe ?) Pour ma part,
je pense que si dans les collectifs agraires les riches subirent
un changement de leur condition, ce ne fut que lorsque la CNT et
I’UGT étaient unies ; car autrement le PC créait
une section de l’UGT (à la sauce PC) qui protégeait
les riches et les opposants à l’autogestion. Dans les
villes, les riches furent peu touchés
Pour le deuxième point, je pense que dans les collectifs
agraires, les dirigeants étaient dans leur majorité
conscients des déviations possibles et y prenaient garde
; par contre j’ai l’impression que les collectifs industriels
étaient moins bien protégés, sans qu’il
me soit possible de fournir aucun pourcentage. On peut remarquer
que les échanges fondés sur le troc étaient
en vigueur entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest
et du Tiers Monde, dans la plupart des cas. Si les anarcho-syndicalistes
avaient pu mettre au point leur système (l’exemple
de projet monétaire) il aurait pu fonctionner. Par contre,
le point obscur restait celui de l’étalon, de l’estimation
à partir de la peseta, forcément sujette à
l’inflation et dépendant de la banque ; je n’ai
pas connaissance d’une tentative d’établir les
échanges à partir d’un autre mode de calcul
(une heure de travail d’un collectif agraire de telle région
; des données fixes : pain, lait ou viande ). Le domaine
est encore à explorer.
X. La protection sociale et l’Espagne républicaine
de 1936-1939 (1988)
Apparemment les mesures prises en Espagne durant 1a guerre civile
(retraite à 60 ans, lieux de travail plus hygiéniques,
etc.) ne présentent aucune originalité par rapport
à ce qui existe actuellement dans 1’Europe du Marché
Commun. Mais cette vision est erronée pour deux raisons.
Il faut d’abord être conscient que dans les années
30, mis à part dans une certaine mesure les pays totalitaires
fascistes et marxistes léninistes, la protection sociale
des salariés n’existait pas. Or dès les premières
semaines de la guerre civile (dans certain cas, en Catalogne principalement,
dès les premiers jours), les travailleurs établirent
une réglementation qui fut immédiatement appliquée
et dura jusqu’à la défaite.
Quelques mois avant la guerre civile, en mai 36, pendant le congrès
de Saragosse,1’organisation anarcho-syndicaliste espagnol
CNT demandait dans sa motion sur le chômage : -la semaine
de 36 heures, sans diminution de salaire ; -1a retraite obligatoire
à 60 ans pour les hommes et à 40 ans pour les femmes,
avec 70% du salaire.
Les mesures prises par les travailleurs pendant la guerre civile
furent différentes pour le nombre d’heures hebdomadaires.
Certains secteur, en effet, fournissaient des armes pour le front.
Les syndicats et les travailleurs transformèrent des entreprises
en usines d’armement ou de pièces pour l’industrie
de guerre, et on dépassait souvent les 46 h. Dans les autres
secteurs, au contraire, la guerre entraînait une paralysie,
comme pour le textile et le bâtiment. Les salariés
assuraient un minimum d’heures, bien inférieur au salaire
reçu.
Il va de soi que 1a grille des salaires fut totalement modifiée,
et de différences de 1 à 40, on passa à une
moyenne de 1 à 4. Le sa1aire le plus bas permettait de vivre
à 1a différence de ce passait dans le régime
établi à la fois par le patronat catholique et libéral
et le patronat franc-maçon républicain.
La différence entre les propositions de mai 1936 et la réalité
de 1’après juillet 36 et profonde pour les retraités
. La retraite fut généralisée dans les lieux
de travail de la zone républicaine, mais l’âge
variait entre 60 et 65 ans (en général sans différenciation
entre hommes et femmes). Dans le cas de 1’industrie textile
et autres industries de la ville d’Alcoy (province d’Alicante),
le syndicat CNT-AIT avait imposé en octobre l936 que la création
de 1’assurance-maladie soit appliquée rétroactivement
: c’est-à-dire depuis 1931, date à laquelle
la demande fut faite au patronat, afin que les malades puissent
jouir des mêmes droits que les autres . Dans 1’esprit
des travailleurs espagnols, les changements des salaires et des
retraites étaient automatiquement accompagnés de modification
des lieux de travail (puisqu’ils les géraient eux-mêmes)
et de la création de foyers culturels : bibliothèques
ou écoles. En Catalogne, la santé fut organisée
de façon particulièrement intéressante, une
loi sur 1’avortement fut édictée (plus en avance
que la vision française actuelle) et une réorganisation
de l’enseignement fut mise en place. * * * D’un point
de vue strictement économique, ces décisions ne reposaient
sur rien : il n y avait pas de réserves financières
ou très peu, la guerre était présente, les
sommes du chapitre retraite ne pouvait que grever les futurs bénéfices.
En imposant et en s’imposant une législation sociale,
les organisations ouvrières et les travailleurs démontraient
leur conscience, leur responsabilité de changer la vie, immédiatement,
sans attendre la création d’une hypothétique
infrastructure, comme ans l’ex URSS, selon les critères
d’une classe dirigeante de fait, en dépit de ses origines
plus ou moins prolétaires.
Appliquez aujourd’hui ces mesures entraîneraient une
désorganisation monétaire. En effet, il faudrait tout
d’abord relever les retraites, en les alignant, par exemple,
sur le SMIG (lui-même revu). Il serait ensuite logique d’attribuer
automatiquement la retraite aux personnes de 60 ans et plus, ayant
ou non été salariées (comme cela est du reste
le cas depuis des années en Hollande). Il s’en suit
inévitablement une inflation. Ce problème pourrait
être résolu, en suivant une analyse de la monnaie de
1936 en Espagne -reprenant Le Monde nouveau de Besnard- distinguant
1’argent à caractère spéculatif de celui
de la monnaie d’échange. Il faudrait, simplement en
restant dans une société de type capitaliste, et pour
satisfaire la législation officielle, attribuer aux retraités
un type de revenus différents (des bons) sous peine d’aboutir
à la banqueroute financière. Les analystes prévoient
ce moment dans les dix ans à venir suivant les pays, si le
taux de natalité continue à baisser et si la longévité
continue à augmenter.
On peut constater que les classes dirigeantes, face à ce
problème où la conception de 1’argent-source
de spéculation les accule à une impasse (une inflation
incessante), ne songent qu’au libéralisme-destruction
de 1’Etat providence.
On peut noter que la conception de la retraite était en
fait remise en cause, dès 1936-39 car il était prévu
dans certains collectifs -Barbastro, en Aragon- que les retraités,
pouvaient assurer certains travaux peu pénibles (tailler
des arbres fruitiers) en montrant comment faire aux jeunes. On peut
juger le gâchis économique qu’impose le capitalisme
qui considère les ingénieurs formés selon son
désir, comme incapables à partir de 40-45 ans, alors
que les entrepreneurs et hommes politiques capitalistes sont souvent
actifs, même après 65 ans.
La guerre civile et ses problèmes immédiats ne permirent
pas d’approfondir dans ce domaine.
Si on reprend certaines propositions paradoxales d’lvan Illitch
dans les années 60 à propos de l’enseignement,
on pourrait imaginer un système de chèques d’éducation,
de vacances et de retraites que chaque individu pourrait utiliser
à sa guise. Cela, ajouté aux horaires souples, qu’il
faudrait combiner avec un rythme souple, pourrait révolutionner
la retraite. Au lieu d’une évolution fondée
sur 1’éducation jusqu’à 16-24 ans suivant
les cas, et le salariat jusqu’à 60-65 ans, on pourrait
avoir, par exemple, des rythmes de 15 ans d’étude et
de travail suivis de 5 ans de vacances-retraite.
Ces mesures ne seraient que des illusions si elles se limitaient
aux seuls pays industrialisés. Une des grandes erreurs des
travailleurs espagnols et de leurs organisations syndicales fut
d’avoir oublié le problème de 1’indépendance
du Maroc, et d’avoir laissé 1’initiative politique
à Franco. Tant que les pays industrialisés et leurs
travailleurs ne supprimeront pas 1a dette du tiers monde (largement
remboursée depuis longtemps par la spéculation) et
n’œuvreront pas pour aboutir à une égalisation
des niveaux de vie sur la planète, les mesures de protection
sociale se heurteront à l’émigration sauvage,
et à la corruption qu’elle entraîne.
XI. La CNT et la FAI : pressions de groupes et groupes de pression
(1998)
Bien des imprécisions existent sur cette question aussi
bien chez les historiens professionnels que chez les militants anarcho-syndicalistes,
et les cenetistes espagnols.
La raison est simple, il faut démontrer que sur le plan
idéologique l’anarcho-syndicalisme est un mouvement
réduisible aux autres. Comme le syndicalisme qui devrait
suivre les partis politiques, la FAI était le parti et la
CNT la courroie de transmission. Cette position est non seulement
celle de la majorité des historiens, mais aussi celles des
cenetistes favorables à une intervention politique. Elle
est en partie celle de cenetistes estimant que le syndicalisme est
en soi réformiste et qu’il lui faut un garde-fou. L’exemple
de l’Alliance de Bakounine dans l’AIT est habituellement
avancé. L’exemple en question est absurde parce que
Bakounine voyait la révolution au bout de la rue et se méfiait
des tendances centralisatrices de Marx (pour une prétendue
révolution) et de Mazzini (pour l’État national).
Sans révolution en vue et dans la durée, je suis sûr
que Bakounine aurait modifié complètement sa vision.
La position visant à établir une complémentarité
entre la CNT et la FAI est historiquement inexacte. Elle est cependant
défendue par de nombreux cenetistes espagnols qui veulent
donner ainsi une vision triomphaliste de leur organisation.
Apparemment la FAI a été créée en mars
1927 à Valence en Espagne, avec le désir d’inclure
le Portugal (d’où le nom de Fédération
Anarchiste Ibérique). Et dès l’origine il y
a une ambiguïté, l’idée est suggérée
par les groupes anarcho-syndicalistes émigrés en France
et un point de l’ordre du jour concerne la Plateforme d’Archinov.
Sans tomber dans des hypothèses anachroniques, il me semble
clair qu’une partie des exilés cherchait à discuter,
voir approuver, une certaine discipline à instaurer dans
la CNT, sans doute par l’intermédiaire d’une
fédération extérieure à la CNT.
Or, les groupes représentés à Valence n’ont
pas une telle vision. Ils ne connaissent pas la Plateforme et se
contentent de coordonner les activités anarchistes des groupes,
sans s’occuper de la CNT.
Lorsque le climat politique évolue rapidement en Espagne
en 1929-1930, la FAI prend une toute autre envergure. Elle est prise
en main par une tendance visant une ligne de luttes dures qui veut
exclure des postes phares de la CNT les militants soucieux d’une
ligne purement revendicative. Paradoxalement, les militants jugés
représentants de la FAI n’en font pas partie, mais
Durruti, Ascaso, García Oliver parlent quand même au
nom de la FAI, dans le sens de la ligne qui veut la révolution.
Il est évident que le groupe Los Solidarios composé
d’Ascaso, Durruti, etc., exerçait des pressions pour
entraîner la CNT et la FAI vers un affrontement contre le
Capital. On peut constater que Malatesta, enfermé dans l’Italie
fasciste, mais bon connaisseur des problèmes de l’Espagne
et de la CNT, avait une position proche : À mon avis, il
faudrait profiter des premiers temps lorsque le gouvernement est
faible et désorganisé, pour arracher à l’État
et au capitalisme le plus qu’on pourra. Par la suite l’assemblée
constituante et le pouvoir exécutif chercheront à
reprendre au peuple les avantages obtenus, et ils ne respecteront
que les conquêtes populaires qu’ils trouveront trop
dangereuses à attaquer .
À l’opposé, Malatesta constatait : Il paraît
incroyable que Nettlau, homme posé et informé entre
tous, ait pu se fourvoyer autant par enthousiasme au point de croire
possible et utile une collaboration entre les anarchistes [espagnols]
et un gouvernement quelconque, pour faire durer un état de
liberté relative qui permette la propagande et l’organisation
des forces révolutionnaires. Il a oublié ce qu’en
étant qu’historien il doit mieux connaître que
les autres, à savoir que celui qui s’empare du pouvoir
-même nos révisionnistes- fait l’impossible pour
restreindre et supprimer toute liberté, et ne peut être
freiné et arrêté ans son œuvre liberticide
que par la crainte ou la réalité d’une insurrection
du peuple. La confusion apparaît au grand jour lors du congrès
de la CNT de 1931 où le problème de la FAI est violemment
soulevé. Une partie des cenetistes, en dépit des ingérences
manipulatoires de la FAI, l’appuie. La tendance des vieux
militants cenetistes aguerris, Pestaña, Peiró, etc.,
lance un manifeste signés par trente camarades connus, d’où
le nom de trentisme et de trentistes (un grand nombre participe
à l’autogestion pendant la guerre civile, mais Cortada
passe au PC catalan, Pestaña crée un parti syndicaliste
et il est élu député en 1936, et Fornells devient
falangiste en 1939).
Le trentisme n’avouait pas qu’il était favorable
à un accord avec les partis de gauche et désirait
échanger la modération de la CNT contre des avantages
sociaux. Il dénonçait -assez sincèrement- la
nécessité de la préparation révolutionnaire
face à l’irresponsabilité de certains. Les individus
non désignés constituaient la FAI et désiraient
profiter de ce qui semblait être l’agonie du capitalisme
(la crise de 1929) et des erreurs profondes (refus de changements
sociaux en profondeur) de la gauche espagnole, pour faire éclater
une crise révolutionnaire.
Le groupe de Los Solidarios - Nosotros était devenu un groupe
de pression. S’il ne le devint pas davantage, c’est
que d’une part un autre groupe domina la FAI dans un sens
plus proche des contacts politiques (Abad de Santillán) et
que, de l’autre, il existait des différences d’appréciations
notoires entre Durruti et García Oliver. La période
juillet - novembre 1936 l’illustre parfaitement.
Objectivement, la majorité des jeunes militants cenetistes
aragonais, et sans doute de la CNT, partageait complètement
la vision des Solidarios.
Curieusement, les trois tendances évoquées -trentistes,
faistes, et le groupe de Durruti- ne collaboraient pas . Il fallut
un certain nombre d’échecs (1932, janvier et décembre
1933, 1934) et la nouvelle donne des élections de 1936 pour
qu’un rapprochement ait lieu entre les mêmes acteurs
! Mais le mal était fait : tous cherchaient à se gagner
des appuis dans les hautes sphères des syndicats. La manipulation
était la règle et l’anarcho-syndicalisme le
paravent. Les crises violentes, précédents et suivants
mai 37, tirent leurs origines de ces pratiques.
XII. Les deux communismes libertaires, ou parti libertaire contre
anarcho-syndicalisme (1997-98)
Les écrits exposant la conception sociale révolutionnaire,
suivaient d’assez près, même s’ils ne le
connaissaient pas (grâce à la tradition reprise par
les différents propagandistes) la brochure de James Guillaume
de 1875 Idées sur l’organisation sociale (rééditée
en 1979 par la fédération anarchiste de France). Ils
insistaient, à partir de 1933, sur le communisme libertaire,
en donnant la priorité au collectif local ou à la
commune. Ensuite une libre fédération des collectifs
sur le plan régional, provincial et national, voire international,
organiserait la société.
La révolution s’adressait à tous, sans exclure
les ex partisans de l’exploitation. Kropotkine l’évoque
dans La conquête du pain : il nous semble que le peuple, toujours
ennemi des représailles et magnanime, partagera le pain avec
tous ceux qui seront restés dans son sein, qu’il soient
expropriateurs ou expropriés. En s’inspirant de cette
idée, la révolution n’aura rien perdu ; et lorsque
le travail aura repris, on verra les combattants de la veille, se
rencontrer dans le même atelier. Ainsi Macario Royo, évoquant
la tentative d’établissement du communisme libertaire
durant quelques heures dans un village aragonais en décembre
1933, décrit que les révolutionnaires avaient donné
du café aux gardes civiles arrêtés. Ceux-ci
voulurent payer, et on leur expliqua que l’argent était
aboli et que ni eux ni personne ne devaient rien. Espérons,
s’exclama leur chef, que le régime que vous avez implanté
aujourd’hui ici triomphe dans toute l’Espagne !
Le marxisme léninisme de l’époque, comme ensuite
et comme tous les mouvements religieux violents d’avant et
d’après les années 30, se construisait au nom
de la classe ouvrière rédemptrice sur la mise au pas
des éléments petits-bourgeois au moyen des camps de
rééducation et de concentration. Le pouvoir était
aux mains d’une minorité se réservant des privilèges
économiques (dès le départ) au milieu de la
misère des travailleurs. La terreur entraînait (comme
dans les dictatures nazi et franquiste) le fichage, l’espionnage,
la trahison, le carriérisme, l’arrivisme coûte
que coûte. La terreur c’était : nettoyer le sol
de la Russie de tous les insectes nocifs, les puces (voyous), les
cafards (riches),etc., etc. Dans un endroit, on emprisonnera une
douzaine de riches, une douzaines de voyous, une demi-douzaine d’ouvriers
fuyant le travail (comme de nombreux typographes, surtout dans les
imprimeries du Parti, le font à Petrograd de la même
façon digne de la pègre). Dans d’autre on les
obligera à nettoyer les latrines ; dans un troisième,
on leur donnera, en sortant de prison, des carnets jaunes pour que
tout le village les surveille comme être nuisibles, jusqu’à
ce qu’ils s’amendent. Dans d’autre, on fusillera
sur le champ un parasite sur dix. [etc.] Cette citation de Lenine
est tiré de la fin de l’article Comment doit-on organiser
l’émulation (25-28 décembre 1917 (= 7-10 janvier
1918). On peut remarquer que les ouvriers pas assez enthousiastes
selon Lenine étaient rabaissés au niveau des insectes
capitalistes. Les inquisiteurs traitaient de la sorte les catholiques
et les nouveaux convertis d’origine juive et musulmane manquant
de zèle.
La réflexion du chef des gardes civiles, pour revenir à
l’esprit anarchiste, démontrait l’emprise des
idées de transformation sociale du communisme libertaire.
Pourtant, à première vue, les remarques de Kropotkine
dans le livre précité (il y aura des tiraillements,
la révolution ne se fera pas avec [cette] simplicité)
et de Bakounine sur les difficultés d’applications
de l’organisation des collectifs et de leurs éventuelles
discordes étaient passées sous silence. Par contre,
une plus grande souplesse était présente. Isaac Puente,
auteur, d’une brochure tirée à des dizaines
de milliers d’exemplaires à partir de 1933, notait
: C’est en vivant le communisme libertaire que nous apprendrons
à le vivre. C’est en l’implantant qu’on
nous montrera ses points faibles et ses aspects erronés.
Si nous étions des politiciens nous décririons un
paradis plein de perfections. Et il insistait sur le plan économique
: La contrainte économique est la base social. Mais c’est
et ce doit être la seule contrainte que la collectivité
doit exercer sur l’individu. Toutes les autres activités,
culturelles, artistiques, scientifiques doivent rester en marge
du contrôle de la collectivité et être appliquées
par des groupements qui éprouvent l’envie de les cultiver
et de les stimuler.
Il en allait tout autrement chez des militants cénétistes
important, comme Horacio Prieto, secrétaire du comité
national de la CNT. Dans sa brochure de 1932 Anarco-sindicalismo.
Cómo afianzaremos la revolución [L’anarcho-syndicalisme.
Comment nous consoliderons la révolution], il ne laisse pas
de place aux nuances : dès que la grève révolutionnaire
n’aura plus de raison d’être, tous les producteurs
en général doivent réintégrer leurs
postes de travail et reconstituer ainsi la situation pré-révolutionnaire
jusqu’à ce que les statistiques, l’examen serein
des circonstances permettent d’établir des normes pratiques
pour entamer le transvasement des producteurs d’objets inutiles
et de contraintes, en les incorporant aux nouvelles demandes du
travail social. Horacio Prieto n’insistait guère sur
la fédération des collectifs de bas en haut, parce
qu’il était centralisateur. Le carnet d’identité
du producteur mentionnera la capacité de travail de l’individu,
sa morale, etc., pour que les ouvriers appliquent dans leurs assemblées
et réunions un régimes de critiques mutuelles, de
saines contraintes morales [...] Les plaisirs contre nature seront
sanctionnés comme dégradants et trouveront une juste
répression dans la réaction psychologique du peuple.
En revanche, Prieto, partisan du livret de travail cher à
l’époque aux dictatures catholico-mussoliniene et marxiste
léniniste et d’une morale apparemment similaire, était
plus tolérant envers la foi : Cependant, nous respecterons
autant que possible le sentiment religieux des peuples, et ils décideront
eux-mêmes si les cérémonies du culte seront
ou non maintenues ; mais ceci étant adopté, rien ne
pourra empêcher que nous arrêtions leurs rites actuels
et faisions de leurs lieux saints, des endroits de libres controverses.
La conclusion était prévisible : L’important
est d’abandonner la conception empiriste de l’improvisation
au moment de la révolte et d’effacer progressivement,
bientôt et bien, la confiance excessive dans l’initiative
populaire que nous ont inculquée les plus prestigieux propagandistes
de l’anarchisme traditionnel.
Gaston leval, inspirateur de nombreux camarades espagnols, écrivait
alors (Estructura y funciona- miento de la sociedad comunista libertaria
édité à Barcelone, en 1936, mais avant juillet)
: Ni économiquement ni humainement ni politiquement ni moralement
on ne peut considérer comme un progrès fédéraliste
ce qui est inscrit dans Champs, Usines et Ateliers [de Kropotkine]
en matière économique, ni ce qu’il expose à
ce sujet comme étant une heureuse évolution de la
société contemporaine. [Sur la liberté d’expérimentation]
Nous aurions la mosaïque la plus bigarrée qui soit.
Voici comment une revendication logique, dans le domaine de la théorie
abstraite, s’avère une utopie dès que l’on
creuse la réalité. Seule l’ignorance de l’histoire
de l’Europe centrale et slave, et une volonté de créer
une classe dirigeante peuvent expliquer cette suppression de toutes
les analyses de Bakounine et Kropotkine.
Joan Peiró, présentateur et traducteur de l’anarcho-syndicaliste
Pierre Besnard, ne pouvait avoir des idées très différentes
de son mentor, ainsi que de Christian Cornelissen. Peiró
expliquait dans La revolución social y el comunismo libertario
(articles entre le 14-IV-33 et le 29-IV-33) que dès le début
de la révolution les syndicats devaient réorganiser
la production et organiser la défense, en fermant les frontières
pour empêcher la fuite des techniciens, comme en URSS. Il
fallait, en attendant le moment révolutionnaire, se gagner
ces derniers. Il soulignait l’importance de la discipline,
décidée de bas en haut, par la collectivité
pour organiser la production économique. Il précisait
un point que le secrétaire régional de la CNT de Catalogne
commença par trahir dès juillet 1936 (et qui fut suivi
par la CNT dans son ensemble) : Et on ne peut admettre que lors
du déroulement de la révolution sociale de type libertaire,
le peuple puisse respecter la propriété des capitalistes
étrangers. Il évoquait la nécessité
de prévoir une réaction armée contre les agressions
du capitalisme international, ainsi que la formation de groupes
de guérilleros. Cet élément fut également
négligé militairement en 1936-39 “ grâce
” simultanément à la politique des partis de
gauche de mener des pourparlers avec les factieux et la politique
de brûlot de l’URSS pour créer une guerre entre
l’Allemagne et la France et/ou l’Angleterre, et donc
d’empêcher une victoire républicaine rapide.
Peiró prévoyait la libre organisation des communes
locales, qui supplanteront non seulement les fédérations
locales [= syndicats], comme nous l’avons dit, mais aussi
les municipalités actuelles. En fin, il insistait sur l’impossibilité
de supprimer l’argent dans les échanges.
Peiró était beaucoup moins net que Horacio Prieto.
On peut imaginer que le syndicalisme allait jouer un rôle
essentiel, mais il laissait franchement aux collectifs de base leur
autonomie. Le problème, jamais posé par Peiró,
était l’imbrication possible de l’autonomie dans
les directives syndicales. Ce qui permettait deux lectures : la
base ayant le pouvoir réel, ou la direction syndicale détenant
le pouvoir global.
Pestaña a abordé indirectement le communisme libertaire
en abandonnant la CNT pour créer un parti syndicaliste. Son
jugement (24-I-1933) sur la tentative de janvier 1933 est sans équivoque
: c’est une conception simpliste de la révolution,
qui dans le fond est semblable à celle des premiers chrétiens
pour le triomphe de leurs idées. [...] les révolutions
ne se font pas comme ça. Ceux qui pensent autrement sont
des malades. Malades de la tête ou du cœur, avec des
cerveaux trompés par des idées simplistes. Dans le
fond, ce sont des chrétiens, des croyants persuadés
de l’exemple du sacrifice. Que je me sacrifie -disent-ils-
et les autres suivront mon exemple.
Quant à Abad de Santillán, dans El organismo económico
de la revolución (publié en 1936 avant juillet, mais
en partie connu par des extraits dans la revue Tiempos Nuevos),
il s’opposait au localisme économique, au caprice de
la production, au improvisation économique qui peuvent s’avérer
ruineuse, aux Arcadies heureuses. Et ceux qui connaissent la vie
syndicale, les organismes des travailleurs, savent de combien de
moyens de contrainte peut disposer un syndicat, sans avoir besoin
de recourir à l’appareil policier, juridique ou militaire
nous ne voulons pas dire que, avec le nouvel organisme économique
que nous défendons, la contrainte ne sera pas possible, ainsi
que l’autoritarisme ; cette déviation est possible,
si les circonstances l’exigent mais il offre également
la plus grande liberté et l’autonomie de l’individu
dans son usine, de son usine à son secteur, de son secteur
au Conseil de branche, et ainsi de suite. Autrement dit, comme dans
le PC, les notables de la CNT guidaient les travailleurs vers des
solutions, choisies et imposées d’en haut.
Il est plus qu’évident que les armes et les justifications
idéologiques étaient disponibles pour casser toute
autonomie par rapport à une tactique décidée
par les notables anarcho-syndicalistes. Et c’est ce que nous
avons vu pour le déroulement de l’autogestion en Catalogne.
Il reste à comprendre si cet état de fait est consubstantiel
à l’anarchisme, à l’anarcho-syndicalisme
ou à des conditions particulières.
D’un point de vue historique, les analyses de José
Peirats, de Vernon Richards et César M. Lorenzo ne font que
démontrer le refus de la CNT-FAI d’appliquer la ligne
prônée jusqu’au 18 juillet, d’où
le décalage de plus en plus grand avec les affiliés
et les travailleurs suivant cette ligne.
Il faut donc partir des présupposés idéologiques,
voire psychologique, pour comprendre les leaders de la CNT-FAI.
Leur mentalité et leur façon d’agir correspondent
parfaitement à celles des dirigeants syndicalistes révolutionnaires
de la CGT française de la période 1900-1914. Après
avoir poussé à l’action directe révolutionnaire,
à force de manœuvres de coulisses et d’une politique
imposant les ordres de haut en bas, sans consulter la base, ils
tombèrent dans le chauvinisme et le réformisme, et
ceux qui s’opposaient à cette déviation étaient
incapables de toucher les militants de base.
La preuve est la fameuse rupture de 1930-31 entre partisans d’une
évolution lente et plutôt favorable à la II
république (le trentisme) et ceux de la révolution
violente proche, opposés à la II république.
Comme chez les marxistes léninistes, les polémiques
et les actions consistaient à s’emparer des axes importants
de l’organisation, à manipuler les réunions
et les congrès. € aucun moment, la base, les travailleurs
sans responsabilité syndicale ne purent disposer d’éléments
objectifs de réflexions, voire donner leur avis. Les insultes
et la calomnie étaient le lot quotidien. Mais avec le travail
de militants équilibrés, comme Orobón Fernández
partisan d’alliances avec les forces de gauche contre la droite
; avec l’alliance qui eut lieu assez spontanément entre
travailleurs en 1934 aux Asturies, les insultes cédèrent
la place à la réconciliation au congrès de
Saragosse de mai 1936. La rotation des tâches était
absente de la pratique cenetiste, ce qui entraîna une séparation
entre les responsables et les syndiqués de base.
Le dysfonctionnement entre la base et ses dirigeants n’y
fut pas abordé. La faute en incombe aux deux parties. Les
dirigeants polissaient un outil pour arriver au pouvoir par la création
d’un parti discipliné. Les militants de base ayant
une vision anarchiste se limitaient à leur lieu de travail
et leur cadre de vie, et à la confiance qu’ils avaient
en certains dirigeants idéologiquement sûrs. Ces dirigeants
sûrs, dont Peirats et bien d’autres furent incapables
de s’opposer à la tactique suicidaire -d’un point
de vue anarcho-syndicaliste et libertaire- des notables de la CNT-FAI.
Pour ces derniers et vu leur pratique, l’anarcho-syndicalisme
et l’anarchisme n’étaient qu’une façade
dans l’organisation profonde de la CNT-FAI. C’est pourquoi
l’entrée aux gouvernements de Catalogne puis de l’Espagne
se fit si facilement et dura si longtemps (novembre 36-mai 37, puis
avril 38-mars 39).
Il est significatif que l’analyse de la collaboration gouvernementale
n’ait toujours pas été faite, ni en exil ni
Espagne, de 1936 à maintenant. Mon interprétation
est qu’il y a toujours des groupes pour s’y opposer
au nom de tactiques “ circonstantielles ”, ou, plus
profondément, parce les positions de Pestaña (imitées
plus tard par García Oliver et Horacio Prieto, entre autres)
étaient en fait partagées par des tendances de la
CNT.
XIII. Franquisme, transition démocratique et idées
de gestion collective (1997-98)
Le franquisme ne se servit jamais de la conception du travail social
collectif. Pourtant certaines réalisations économiques
officielles sont intéressantes comme les coopératives
de Mondragón (Pays basque), créées et impulsées
par quelques catholiques, et comme le mouvement coopérativiste
dans tout le pays. Il s’agissait de solutions alternatives
limitées d’une minorité de la classe dirigeante.
Visiblement, les élites franquistes gardaient une sourde
méfiance vis à vis du collectivisme en soi, après
l’exemple de la capacité des travailleurs à
gérer eux-mêmes l’économie.
Des transformations économiques furent imposées par
l’Opus Dei (harmonieux mélange de franc-maçonnerie,
de secte et d’activités bancaires plus ou moins véreuses)
-avec le nihil obstat de Franco caudillo por la gracia de Dios formule
inscrite sur les pièces frappées à son effigie
(et jamais remise en cause par les papes, bien que Franco ne fût
ni roi ni envoyé divin). Elles consistaient à sortir
l’Espagne simultanément de l’autarcie mussolinienne
(moins les autoroutes et l’électrification des chemins
de fer) et de l’atrophie économique héritage
du catholicisme inquisitorial. Le pays s’ouvrit aux capitaux
étrangers, comme les autres pays en voie de développement.
Le même schéma économique était utilisé
: avantages fiscaux et sécurité des rapatriements
d’une grande partie des bénéfices, paix sociale
assurée et obligatoire. Cette politique commença en
1956. Curieusement, la même année, le parti communiste
d’Espagne annonça son abandon de la lutte armée
et son choix de la lutte démocratique au sein de Espagne
franquiste.
Auparavant, le rouleau compresseur de la terreur avait décimé
les organisations de gauche durant et après la guerre civile.
Une loi contre le communisme, englobant dans sa définition
les libres-penseurs, les francs-maçons, les socialistes,
les anarchistes, les anarcho-syndicalistes et les communistes, fut
appliquée dès 1938 contre les individus et les écrits.
Le divorce fut supprimé de façon rétroactive
en 1939, c’est-à-dire qu’il fallut revenir à
la situation de 1931 et le mariage civil fut aboli, étant
obligatoirement remplacé par la cérémonie religieuse.
La main de fer de la répression des rouges permit d’imposer
le souvenir et l’angoisse de la subir à nouveau. Les
idées liées à la gauche en général
furent enterrées par leurs propres détenteurs qui
préférèrent se taire plutôt que de souffrir
et de faire souffrir leur proches. Les quelques exceptions n’ont
pas modifié cette désertification idéologique
: l’acquis de générations de travailleurs disparut.
Il a été remplacé par un mélange de
catholicisme, d’individualisme arriviste et d’absence
de civisme, ce dernier étant assimilé au franquisme,
qui explique la facilité par laquelle d’anciens franquistes
sont devenus socialistes et comment les habitudes de corruption
persistent aujourd’hui.
La monopolisation du pouvoir par les familles riches et franquistes
et la reconnaissance offerte aux agioteurs et nouveaux riches issus
du marché noir des années 40 éclatait au grand
jour, [cela] entraîna une profonde dégradation de la
dignité sous la forme d’un abstentionnisme et d’une
tolérance vis à vis de la corruption. Cela peut être
une bonne définition de la société espagnole
dans son ensemble. C’est donc sûr de contrôler
les salariés et tout à fait consciemment que le régime
accepta un affrontement social pacifique, tout en maintenant la
législation militaire contre les grèves. Les euphémismes
de conflicto laboral (conflit professionnel) et paro laboral (débrayage)
devinrent officiels. Et même le monopole du syndicalisme obligatoire
pour les patrons, les cadres et les travailleurs (imitation du système
corporatiste catholico-mussolinien) fut rogné par les activités
plus ou moins de gauche des HOAC (Hermandades de Obreros de Accción
Católica-Confrérie des Ouvriers d’Action Catholique).
L’occasion vint en 1962 de la vétusté des charbonnages
asturiens et des protestations des chefs d’entreprises et
des travailleurs. Le conflit s’étendit à presque
toute l’Espagne, sous la forme de revendications d’augmentation
de salaires. Une grande partie fut satisfaite. La même année
deux ministres de l’Opus Dei signaient la demande de l’Espagne
d’entrée dans le Marché Commun.
€ partir de cette date, une série de tensions apparaissent
:
-naissance des Commissions Ouvrières illégales, mais
tolérées, y regroupant les opposants dans le milieu
des travailleurs ;
-accroissement du commerce avec les pays marxistes-léninistes,
notamment lors des grèves dans le charbonnage en 1963 (livraison
de charbon polonais) et signature secrète du premier contrat
avec l’URSS (durant le procès et l’exécution
du dirigeant communiste Julián Grimau, leader d’une
tendance qui gênait la direction du PC ; son exécution
arrangeait franquistes et communistes) ;
-publication d’écrits critiques d’opposants
intellectuels, d’abord en catalan, puis en castillan ;
-polémiques visibles entre les groupes dirigeants franquistes
opus-deistes, monarchistes, carlistes (branche royaliste rivale)
et phalangistes ;
-apparition progressive du terrorisme basque et affirmation prudente
de la catalanité ;
Tous ces éléments ignorent les économiques
collectives. Après 68, les carlistes et les phalangistes
revendiquent l’autogestion, avec quelques groupes anarchistes.
Les militants anarcho-syndicalistes de l’exil n’offrent
qu’un discours issu des années 30, qui ignorent les
nouvelles données économiques de l’Espagne.
Les structures collectives agricoles sont érodées
par l’exode rural et l’émigration à l’étranger,
voire le tourisme dans certaines régions (véritable
poule aux œufs d’or). Les usines dépendent en
grande partie de l’étranger et ont adopté un
management plus soft, polissée, fondé de plus en plus
sur la réduction du nombre des employés.
À partir de 1970-72, la tendance actuelle de l’organisation
des travailleurs sur le plan syndical se dessine. Si on comptait
une centaine de militants sûrs pour l’UGT et autant
pour la CNT, et près d’un millier pour le PC en 1970,
en 1972 on remarque un renversement. Le nombre des permanents syndicaux
de l’UGT rétribués par les fonds de la social-démocratie
européenne dépassait celui du PC, face à la
stagnation de la CNT.
Le régime franquiste avait choisi sa succession, en échange
-bien sûr- d’un corps de pompiers syndicaux aguerris,
soi-disant de gauche, mais prêts à museler les conflits,
contre une part du pouvoir et des réformes banales (en Europe,
et scandaleuses pour certaines têtes franquistes).
Une tentative précédente avait avortée, car
elle ne représentait que des sous-fifres. Il s’agissait
d’un accord CNT-CNS (Confédération Nationale
Syndicaliste), c’est-à-dire le syndicat franquiste
unique et obligatoire. Pour certains phalangistes, il s’agissait
d’évincer l’influence croissante du PC dans la
CNS et de la remplacer par celle d’un anarcho-syndicalisme
émasculé. Pour certains cénétistes,
l’anticommunisme justifiait la bassesse de s’allier
à l’extrême droite dans le but d’occuper
une direction syndicale. L’accord fut dénoncé
par l’ensemble des cénétistes et des phalangistes.
En 1975, le franquisme accorda le droit de grève (avec une
procédure longue et sinueuse) et rétablit officieusement
le premier mai comme fête du travail, et non plus celle de
saint Joseph l’artisan.
Et vint la transition démocratique (aimable euphémisme
pour désigner le retournement de veste des classes dirigeantes),
où il n’y eut même pas de tentatives de poursuites
judiciaires contre les policiers et les militaires assassins, ni
de rérécupération de biens illégalement
acquis par des individus de droite (en Argentine et au Chili, le
geste fut possible, sans résultat réel), tellement
il était clair qu’on risquait sa peau à le faire.
L’idée d’autogestion n’apparut que pour
gérer quelques entreprises en cessation de paiement. L’UGT
gomma tout son passé d’autogestion révolutionnaire
de 1936-39 pour rivaliser avec les Commissions Ouvrières
-semblables à la CGT française- en allié du
patronat et du gouvernement. Cela fut matérialisé
par le pacte d’octobre 1977 de la Moncloa sur des réformes
démocratiques de l’ensemble de la société
en échange du maintien de la production de la part des travailleurs
pour accélérer l’entrée dans le marché
Commun.
La CNT avait la carte de l’action directe à jouer.
Elle se perdit dans d’obscures lutte de chapelles, où
il est difficile de démêler l’influence de la
police politique (attentat de Scala à Barcelone organisé
par un indicateur, avec des excités incapables de déjouer
la manipulation), les cas de déséquilibres psychologiques
(la chasse aux cinq-pointistes, du nom des partisans de l’accord
CNT-CNS, inexistants dans les faits), la politique maçonnique
de la paix sociale (très certainement d’Esgleas et
de Montsenys), la violence physique contre les cénétistes
d’autres tendances (Edo, etc.).
Il est symptomatique qu’en 1976, l’année de
tous les réveils sociaux anti-franquistes, 40 ans après
le début de la guerre civile, la gestion collective ait été
la grande absente de tous les conflits et des revendications, dans
tous les mouvements de gauche et d’extrême gauche.
Certes, bien des villages autogérés aragonais, catalans
et castillans de 1936-39 n’étaient plus que des vestiges
après l’exode rural et l’émigration à
l’étranger de la période 1950-70. Il en restait,
néanmoins, relativement actif, en Castille et sur toute la
côte méditerranéenne. De plus, pour l’exportation
des agrumes ou les entreprises et les usines, les problèmes
économiques (moins sur le plan sanitaire et presque pas pour
la culture) se posaient comme en 1936. Par contre, les revendications
et la prise de conscience étaient beaucoup moins forte qu’en
1936.
L’absence de formation civique et l’angoisse de la
répression étaient plus forts que le désir
de changement social. On le constata encore mieux durant le putsch
du 23 février 1981 de Tejero et compagnie. Tentative apparemment
réussie (hausse de traitements et modernisation accordées
aux militaires professionnels), vu la limitation réelle des
peines d’incarcération (en prisons dorées) et
le refus de rechercher les instigateurs profonds. L’ensemble
des militants PS, des PC (eurocommuniste, moscoutaire, maoïste),
UGT, CNT, les groupuscules marxistes léninistes, eurent la
frousse de leur vie (destruction des archives, abandon des domiciles,
départ chez des amis non politisés ou à l’étranger),
brillante inactivité des terroristes de l’ETA. Des
jeunes eurent des crises de nerfs en pensant au nettoyage-liquidation
des membres de gauche de leur famille. Bref, le prolétariat
en arme de juillet 36 n’était qu’une image fugitive
chez quelques-uns uns, face au souvenir des charniers et des poteaux
d’exécution.
Pire, le roi, après des conciliabules de plusieurs heures
et une absence remarquable d’initiatives, put apparaître,
face à la trouille nationale, comme un sauveur. Par la suite,
des prisons dorées pour les comploteurs et des compensations
financières et en équipement pour l’armée
calmèrent les esprits de l’extrême droite qui
s’est presque complètement fondu dans la droite classique.
Quant aux anarcho-syndicalistes, les conditions sociales figées
depuis 1979 (pactes de la Moncloa), par des accords entre forces
politiques, nationalistes et syndicales monnayant des améliorations
progressives (salaires, démocratisation de l’éducation,
etc.) contre la modération des revendications, étaient
et sont privilégiées pour propager l’action
directe. Malheureusement les dissensions allèrent jusqu’à
la scission de la CNT sur la question de la participation active
à la vie syndicale (participation aux élections de
délégués). Le patrimoine syndical représentant
des décennies de cotisations des travailleurs, plus les biens
saisis en 1936-1939, a été distribué au compte-goutte
par les gouvernants. Les sigles CNT ont été attribués
par la voie juridique à la CNT-AIT (la moins présente
dans les luttes), qui en avait fait la demande, contre l’autre
CNT, qui est devenue la CGT.
Depuis la CNT-AIT s’est divisée en Catalogne, avec
deux S.O. Un groupe plutôt madrilène s’est formé
Solidaridad qui se veut différent de la CNT-AIT et de la
CGT. La CGT a continué son ancrage dans le réel et
compte environ 30.000 cotisants et un développement régulier.
Le rouleau compresseur de la répression, comme en URSS et
aux USA, a fait disparaître le militantisme majoritaire de
l’anarcho-syndicalisme et de l’anarchisme. C’est
d’un nouveau militantisme constant et sérieux accompagné
d’une prise de conscience créatrice, que peut renaître
la gestion collective révolutionnaire.
Hors de ces conditions, le collectivisme n’est qu’une
manipulation des classes dirigeantes pour susciter l’élan
des travailleurs pour économiser des salaires de gardes-chiourmes
(comme ce fut le cas dans l’Allemagne de la cogestion, le
début de l’autogestion yougoslave).
Conclusions
Réflexions sur la guerre civile
En dépit de ses faiblesses, dans de nombreux cas, le mouvement
ouvrier, presque toujours la CNT, opposa une résistance farouche.
et même l’emporta, comme en Catalogne et aux Asturies,
à Madrid. Le 21 juillet, deux Espagne se dessinaient sur
la carte, l’une de gauche, l’autre de droite, mais une
conséquence fâcheuse pour la gauche et en particulier
la CNT était que la Galice, une partie de l’Aragon
et de l’Andalousie était perdue. En outre, la gauche
se voyait obligée à taire ses conflits pour résister
à l’ennemi commun, et c’était une gauche
des plus hétéroclites : gardes civils (fidèles
les premiers temps à la République), centre-gauche,
socialistes, communistes et les syndicalistes ugétistes et
cénétistes
€ la base, au niveau des travailleurs ugétistes et
cénétistes, ces problèmes étaient moins
sensibles. I1 fallait faire tourner les machines pour assurer l’armement
et l’approvisionnement des travailleurs. Et cela fut fait,
ni le lait ni le pain ne manquèrent. A Barcelone, où
la CNT et la FAI indiquaient la marche à suivre, dès
le 24, juillet une colonne de miliciens volontaires partait en Aragon,
avec des camions blindés, les services de secours et d’intendance,
etc., pour 3 000 hommes. Pourtant, une semaine avant, la plupart
des travailleurs menaient leur vie habituelle et s’apprêtaient
à passer un dimanche de juillet normal .
D’où est venue cette capacité, alors qu’au
même moment en France, au mois de juin, on notait à
la fois chez les travailleurs le refus de l’autorité
syndicale et une trop grande passivité. Pour nous, c’est
indéniablement la structure de la CNT, la formation globale
qu’elle donnait aux militants qui expliquent cette rapidité
dans l’organisation. Même si le schéma qui expliquait
le communisme libertaire était simpliste, il était
suffisant et, de toute façon, s’il ne prétendait
pas tout résoudre, il convainquait les militants de leurs
possibilités d’initiatives et de créativité.
Cependant le climat n’encourageait guère la collectivisation
ou l’autogestion par les travailleurs. Les “ dirigeants
” de la FAI n’avaient pas fait d’appel véritable
à l’autogestion. Plus même, à la requête
du consul de Grande-Bretagne, les entreprises dépendantes
de capitaux anglais ne furent pas autogérées ou contrôlées
(26 juillet 1936) à Barcelone. C’est-à-dire
que, parmi les anarchistes, certains semblaient effarés par
l’audace des travailleurs.
Les républicains ne faisaient rien pour accélérer
la guerre en utilisant l’or de la Banque d’Espagne pour
acheter des armes et des machines permettant de les fabriquer. Mieux,
ils conservaient des armes à l’arrière pour
avoir une police forte. Quelques grands titres de Solidaridad Obrera
sont significatifs : Manque d’armes (25 août 1936) ;
Les armes, en ce moment chargé de danger, doivent servir
exclusivement pour se battre contre l’ennemi (28 août
1936) ; Toutes les armes embusquées et cachées, au
front ! (Durruti, 12 septembre 1936).
En Catalogne, les catalanistes pour se gagner démagogiquement
les masses trop contrôlées à leur goût
par la CNT, avaient décrété la semaine de 40
heures et une augmentation de 15 % des salaires (24 et 25 juillet
1936). € cela la CNT répondit en expliquant la nécessité
d’augmenter la production de guerre pour gagner la guerre,
d’où la suppression de la semaine anglaise (5 août
1936) et l’augmentation de la production et des heures de
travail dans les usines autogérées.
Les carences étaient publiquement dénoncées
par la CNT : Si nous devions dire clairement tout ce que nous pouvions
faire et qui n’a pas été fait depuis ces tragiques
deux mois, les possibilités qu’il y avait en éléments
offensif et défensif, tandis qu’à Madrid, à
la Banque d’Espagne, il y a des millions et des millions d’or
stagnants [...] et qu’on pouvait battre efficacement et définitivement
en une semaine ou deux, au plus, le fascisme et que cela ne put
se faire par l’incapacité, par l’incompréhension
des autres, j’en dirais trop et je préfère ne
rien dire .
Or le fameux or était livré le 25 octobre 1936 à
1’URSS en échange d’une aide minime (armes de
1905, armes modernes au compte-gouttes, manœuvrées par
les seuls Russes).
Concrètement à quoi servit l’autogestion ?
Durant toute la guerre (deux ans et demi), toute l’industrie
de guerre reposait sur les usines collectivisées par la CNT
et l’UGT. Dans bien des cas, des solutions originales furent
données pour fabriquer des armes et des explosifs.
Les seules devises obtenues par la République entre juillet
1936 et juillet 1937, le furent grâce à la campagne
d’exportation des agrumes collectivisés par la CNT-UGT
Pour la première fois dans l’histoire, les agrumes
espagnols étaient vendus sur les marchés étrangers,
d’un bloc et aux cours les plus favorables, alors qu’auparavant
et depuis les différentes maisons espagnoles se faisaient
-et se font- concurrence entre elles. Cette organisation fut sabotée
par le ministre de l’Agriculture, le communiste Uribe.
Les collectifs prirent des mesures pour augmenter la production
(soit par l’emploi des machines et des engrais dans l’agriculture
; soit par la rationalisation de la production). Cependant, il faut
noter que l’absence de certaines matières premières
comme le coton ralentit l’industrie textile. € partir
de 1938, les bombardements firent que la fourniture de courant électrique
pour les entreprises fut raréfiée.
En même temps les conditions de travail furent améliorées
(groupes collectifs dans l’agriculture ; cadences adaptées
dans l’industrie). Des mesures culturelles furent prises (création
d’écoles, de bibliothèques), car l’analphabétisme
était élevé. Sur le plan sanitaire, il y eut
de gros progrès, notamment dans l’agriculture, puisqu’en
Aragon la médecine était gratuite et que le médecin
vivait dans la collectivité. Les vieux travailleurs recevaient
une retraite (ce qui en Espagne et en France actuellement est loin
d’être réglé humainement).
Un point important est l’absence de haine : tant Kropotkine
que les écrits sur le communisme libertaire soulignaient
que la collectivisation était pour tous, y compris les ennemis
de la veille. Ce point fut respecté : dans les villages,
les veuves, la famille des gardes civils et des factieux tués
lors du putsch pouvaient s’approvisionner normalement dans
le magasin de la collectivité et y entrer si elles le désiraient
(comme à Esplús, à Teruel). Les marxistes agissent
bien différemment, puisque dans l’application de leur
système les familles des prisonniers politiques sont des
citoyens inférieurs. La liberté de rentrer et de sortir
des collectivités existait.
I1 y avait une fédération et une caisse commune de
compensation entre collectifs pauvres et collectifs riches, entre
les collectifs agricoles et les collectifs industriels et de services.
Ainsi la collectivité des coiffeurs de Barcelone finança
l’acquisition de machines et notamment un moteur pour installer
l’eau au village d’Ascó (Tarragone), moteur qui
servit après 1939.
Le dernier point est celui des défauts, des problèmes
que posaient les collectifs.
Le premier fut celui du rétrécissement psychologique
d’un certain nombre de collectifs tant agricoles qu’industriels,
qui avaient tendance à se répartir les bénéfices
en oubliant la situation de guerre et d’opposition à
la collectivisation. Ce fut le néocapitalisme des collectifs
qui fit dire qu’au lieu d’un patron on était
passé à une foule de patrons dans certaines entreprises.
Ce défaut fut combattu par la liaison des collectifs dans
les syndicats d’industrie, au besoin par la menace de sanction
comme la suppression des matières exploitées. Ce fut
une réalité et elle fut corrigée.
Il manquait des camarades qualifiés pour diriger la comptabilité
et des stages furent organisés. L’organisation et la
communication des statistiques indispensables aux liaisons horizontales
et verticales furent déficientes à cause du manque
de formation et de la propagande anti-autogestion qui occupait localement
beaucoup de collectivistes. Cependant la production fut maintenue
(lorsqu’elle ne dépendait pas de matières premières
venant de l’étranger) en dépit des réquisitions
des hommes pour combattre au front, grâce aux travail des
jeunes gens et jeunes filles et des adultes âgés.
L’orientation que prenait l’autogestion est difficile
à déterminer réellement vu la situation de
guerre. Cependant en janvier 1938 des mesures de différenciation
de salaires selon une norme nationale furent prises : manœuvre,
catégorie I (20 % d’augmentation), catégorie
II (40 %), technicien auxiliaire (70 %), technicien directeur (100
%). I1 est difficile de dire dans quelle mesure cette échelle
fut suivie, quoi qu’il en soit, elle est bien différente
de celles des pays capitalistes.
Un souci de planification existait en conservant les structures
libertaires de bas en haut : Que l’on ne procède pas
à la suspension ou à la fermeture d’aucune usine,
atelier, ferme, mines etc., sans que l’on soit parvenu préalablement
à assurer un nouveau travail aux producteurs.
Cette présentation, pour claire qu’elle soit, est
entièrement fausse si l’on ne la rattache pas à
trois grands faits (outre le sabotage quotidien des collectifs à
partir de novembre 1936) : l’abandon de l’autogestion
par la direction de la CNT-FAI et la loi de collectivisation d’octobre
1936 en Catalogne, qui subordonnait les collectivités industrielles
à des organismes de haut en bas dirigés par les catalanistes
et les politiciens ; les journées de Mai 1937 à Barcelone,
qui furent une tentative du parti communiste pour attaquer militairement
les anarchistes. Les communistes affirment le contraire, mais il
est facile de voir qui a tort si on remarque que les incidents n’eurent
lieu que dans les villes où les communistes avaient une certaine
force. Enfin troisième grande opposition, l’URSS et
son domestique le PC espagnol, et la division du général
communiste Lister, qui en août 1937 en Aragon, au moment d’une
offensive républicaine et au moment de la moisson du blé,
attaqua les collectivités (non armées !), en les dissolvant
et en donnant les machines aux petits propriétaires. Le résultat
fut que tous les travaux des champs furent paralysés et,
au moment des semences, le quart de la terre à semer n’était
pas préparé . Le fait important qui contredit encore
une fois les communistes est que bien des collectivités se
reformèrent après le passage de Lister, mais l’enthousiasme
avait disparu.
Actuellement l’autogestion espagnole a complètement
disparu. Mais il reste quelques réalisations, comme l’unification
des chemins de fer et des améliorations locales. L’autogestion
demeure dans les esprits, parfois à l’état de
mythe, comme les habitants de Santa Magdalena de Pulpis, province
de Castellón, surnommés les Russes, comme la collectivité
de verrerie de Peiró qui continuerait à Mataró,
ou les Yougoslaves qui auraient copié le décret de
collectivisation catalan...
Depuis 1975, on peut remarquer que si la conflictivité qui
existe dans toute l’Espagne apparaît dans un certain
nombre de villages ayant été collectivisés
: Ascó, Villamalea, Valderrobres, sans compter les villes,
les centaines de villages aragonais et de la côte méditerranéenne
qui vécurent en autogestion ignorent actuellement toute autre
organisation que le capitalisme.
Réflexions sur l’autogestion en soi
Plus concrètement, l’autogestion apparaît comme
exemple à réappliquer et à dépasser,
dans la propagande anarchiste. Elle est présentée,
avec juste raison, comme un jalon d’une prise de conscience
par les travailleurs de leurs capacités à s’organiser
socialement et économiquement, malgré les classes
dirigeantes .
Comme le disait un ex permanent du PC espagnol Fernando Claudín
: À mesure que s’éloignent davantage la guerre
civile et la révolution de 1936-1939, son legs historique
le plus important, ce qui conserve le plus d’actualité
et d’intérêt théorique dans la lutte actuelle
pour le communisme, c’est la tentative autogestionnaire réalisée
par le prolétariat espagnol, sous l’impulsion et l’initiative,
dans la plupart des cas des anarcho-syndicalistes. Kropotkine pouvait
dire, peu avant de mourir à Moscou (février 1921),
que l’expérience bolchevique montrait comment ne pas
faire une révolution. Mais, comment la faire pour que les
moyens mis en pratique pour liquider la vieille société
ne deviennent pas autant d’obstacles à l’évolution
vers la société communiste ? Tel est le grand problème
de notre époque, et en prendre conscience est la première
condition, le premier pas pour le résoudre .
On pourrait déduire de cette tentative d’autogestion
et de l’histoire de l’URSS, que le socialisme véritable
est impossible d’autant plus qu’en 1913, déjà,
R. Michels affirmait le caractère immuable des élites,
y compris dans le mouvement ouvrier : Le caractère oligarchique
du mouvement syndicaliste se manifeste dans ce fait qu’il
exige lui aussi des masses, bien que pour des raisons qui n’ont
rien à voir avec la démocratie, l’obéissance
absolue aux ordres de l’élite organisée. Les
indifférents, par le seul fait qu’ils ont négligé
de formuler leur volonté, n’ont qu’à acquiescer
aux décisions prises. (E. Pouget.) € l’exemple
des syndicats réformistes de l’Allemagne et de l’Angleterre,
les organisations ouvrières françaises affiliées
au syndicalisme révolutionnaire maintiennent donc intact
le principe, d’après lequel les organisés auraient
le droit de commander aux non-organisés .
Cette mise en accusation théorique de l’anarcho-syndicalisme,
dans sa version française, assimilé à l’autoritarisme
organisationnelle de la social-démocratie et du marxisme
léninisme, est très juste, car Pouget a aussi écrit
: Il est déjà assez regrettable que les inconscients
se refusent à user de leurs droits, sans encore leur reconnaître
l’étrange privilège d’entraver la proclamation
et la réalisation du droit des conscients . Il est indéniable
qu’il y a des traces de cette déviation de l’anarcho-syndicalisme
durant la guerre civile, nous en avons vu à foison. Sans
doute provient-elle de Bakounine lui-même, dont l’Alliance
-ou avant-garde révolutionnaire- a servi à justifier
la création de la FAI. Du moins, Bakounine avait-il l’excuse
d’imaginer la révolution comme proche et immédiate.
Mais s’ériger en gardien des valeurs, mettre les masses
en tutelle, c’est déjà être autoritaire,
comme Peiró l’avait écrit bien avant 1936, pour
bien l’oublier dans la pratique. L’expérience
constante dans tous les pays nous montre que le mouvement syndical,
qui commence toujours comme un mouvement de protestation et de révolte
et qui est animé au commencement par un grand esprit de progrès
et de fraternité humaine, tend bien vite à dégénérer.
Plus ce mouvement devient fort, plus il devient égoïste,
conservateur, occupé exclusivement des intérêts
immédiats et restreints et développe dans son sein
une bureaucratie qui, comme toujours, n’a d’autre but
que de se fortifier et de s’agrandir .
Admettons que la grève générale ait lieu en
Espagne et que les syndicats prennent les usines, les ateliers,
les mines, etc., et admettons, également, que ce soit eux
qui contrôlent non seulement l’organisation de la production,
mais aussi la distribution [...], nous trouverions une nouvelle
fois l’État sans restriction d’aucune sorte,
car l’État n’est rien d’autre qu’une
machine administrative incarnée dans notre hypothèse
par une indispensable bureaucratie syndicale .
On pourrait dire que l’application du marxisme réel
en URSS, ses colonies et ses émules et de l’anarchisme
réel en Espagne ont démontré que seul le dirigisme
est efficace. Or, les critiques internes au léninisme (Kollontay,
Rakovski, etc., et Pannekoek ) annoncent et démolissent le
carcan dictatorial pour aboutir à une vision anarchiste.
À l’opposé, on pourrait constater que des critiques
internes à l’anarchisme (Archinov, Makhno, Pestaña,
Horacio Prieto, etc.) reconstruisent le parti unique de type mussolinien
ou léniniste. L’important est que les anonymes, tardigrades
pour les uns, sans consciences révolutionnaires pour les
autres, en grande majorité ont su dire non à l’exploitation
de mai 37 à Barcelone, à Berlin Est 53 (puis Hongrie
56, Tchécoslovaquie 68, etc.) et à la France de mai-juin
68. Les systèmes dirigistes paternalistes, avec plus ou moins
d’aisance économique et de répression policière,
sont incapables d’épanouir leurs citoyens.
Au fur et à mesure que les informations circulent, la logique
économique (indispensable dans les conceptions capitalistes
et autoritaires avec ou sans Dieu, avec ou sans Lenine) se heurte
à la multiplicité et à la magnitude des cas
de déséquilibre et d’exploitation. Les progrès
scientifiques et les possibilités de la technique permettent
de prévoir et de résoudre une très grande part
des désordres. Mais tant que le capitalisme régnera,
il engendrera des révoltes et des réponses organisationnelles
opposées à son essence dirigiste. Les idées
anarchistes sont une nécessité qui découlent
de l’extravagance des sociétés exploitatrice
actuelles.
Il est certain que l’on parle beaucoup de critique de la
bureaucratie (la critique la plus caustique étant celle de
Lénine et de....Staline : tel Antée, le Parti est
invincible s’il garde le contact avec la terre, qui est constituée
par les masses . Mais on ne cite presque jamais le cas espagnol,
car il implique la suppression du profit capitaliste ou léniniste.
L’autogestion, dans le vocabulaire courant style CFDT-PSU-PS,
est synonyme d’une gestion du capitalisme, avec un contrôle
fictif par les travailleurs, c’est-à-dire une sociale
démocratie new-look, voire un Arbeit-Front à la Hitler.
Quant à la Chine, encore que certaines communes semblaient
intéressantes, il y avait tant de différences de salaires,
de coercition et de contradictions entre son idéologie et
sa politique extérieure (sans compter l’exploitation
décrite par S. Leys et Pasqualini) qu’elle nous faisait
penser à l’URSS avec une vingtaine d’années
de retard. La Chine actuelle suit le modèleindonésiendu
libéralisme appliqué à la trique.
Par contre, la complexité même de la science ouvre
des solutions anarchistes : l’utilisation des ordinateurs
permet la multiplication des terminaux et le contrôle et l’usage
par un nombre indéterminé de groupes, ou de collectifs.
Les différentes possibilités d’énergies
-soleil, vent, suivant les climats- permettent aussi l’autonomie
et une moindre pollution, comme le décrit M. Bookchin dans
Post scarcety Anarchism. € court terme, l’autogestion
peut pénétrer dans des groupes importants si elle
est exigée comme fonctionnement social et économique
: refus des permanents à temps complet et obligation du travail
salarié à mi-temps dans la branche d’origine,
rotation obligatoire tous les six mois, révocation par la
base, en cas de différence de critères. L’autogestion,
c’est aussi le retour à une constatation des socialistes
du XIX siècle, à savoir que chaque augmentation de
salaire est accompagnée d’une récupération
par le patronat sur les prix des biens de consommation. Donc, toute
augmentation de salaires doit être immédiatement suivie
d’une réduction des horaires et de la productivité
et une augmentation des retraites.
€ long terme, l’autogestion est le refus de l’absurdité
économique planétaire : quelque vingt mille et plus
médicaments pour une base de quelques centaines, des appareils
de durée mécanique courte à côté
de machines ultra-solides (dont les pièces ne disparaissent
pas des stocks) comme pour l’armée (qui se garde bien
de s’organiser selon les critères du libéralisme),
une alimentation artificiellement carnée à côté
de la famine chez les sous-développés, une centaine
de modèles de voitures individuelles et un manque de machines
agricoles dans le tiers monde, etc.
L’autogestion -outre la prise de conscience de la lutte contre
l’autoritarisme social et économique-c’est aussi
le refus du gaspillage, donc d’un niveau de vie démagogiquement
élevé en Occident et volontairement pauvre dans les
ex-colonies.
Quant apparaîtra l’autogestion ?
Maintenant la situation est différente de l’Espagne
de 1936 avec 50% de paysans férocement exploités,
et donc le besoin de collectivisme tend à disparaître.
Mais par ailleurs, dans le monde entier, l’urbanisation accentue
d’autres problèmes : On ne donne plus de valeur à
l’éthique du travail, aux coutumes puritaines, à
l’obéissance hiérarchique et à la sécurité
matérielle, mais on aspire au loisir pour soi-même,
à la libération sexuelle dans le sens le plus large,
au travail créateur et stimulant opposé au travail
insensé, et à un mépris presque libidinal pour
toute autorité En même temps : l’ascendant que
possède la machine sur le travailleur est immense : elle
lui donne la sensation tangible que la machine sur laquelle il passe
la plus grande partie de son existence, à laquelle il est
indissolublement uni, peut et doit lui appartenir .
Il y a ainsi une uniformisation du cadre de vie des salariés
dans la plupart des pays, dont la devise est métro, boulot,
dodo. Les formes superficielles de contestation sont identiques
(refus des cadences, absentéisme, absence d’initiatives,
petits sabotages) et se manifestent plus chez les jeunes (hippies
de l’Ouest, hooligans de l’Est devenus petits cadres
ou SDF dans le capitalisme).
La robotisation. soit à base de bombardement publicitaire,
soit à base de modèle occidental à assimiler
aboutit à des moments de saturation, à des explosions
subites et irrationnelles, parce qu’ils s’opposent à
tout le système (du travail aux loisirs qu’il offre,
en passant par le gouvernement et ses flics). Mai 1968 en France
; décembre 1970-janvier 1971 en Pologne sont deux exemples.
Et s’y ajoute la ribambelle de pillages des minorités
ethniques marginalisées aux États-Unis et en Europe
dans les années 80 et 90. Des attitudes semblables peuvent
naître aussi dans des situations de transition et de vide
de pouvoir : 1967-1969 en Chine, 1974 au Portugal, fin 80 en Iran,
fin 81 en Pologne. Un pouvoir efficace et bien lubrifié s’instaure,
puis s’enraye. La répétition des cassures et
la prise de conscience par les travailleurs est la réponse
constante aux différentes sortes d’États.
L’expérience espagnole est un exemple permanent en
situation de tension. Dans un des derniers textes de Solidarnosc
avant le coup d’État militaire de décembre 1981
en Pologne, un responsable syndical écrivait : Le doute quant
aux capacités de la classe ouvrière polonaise et de
la société civile de s’organiser cache la soumission
au pouvoir bureaucratique. En 1936, après que les masses
populaires eurent écrasé la rébellion franquiste,
et après la fuite des patrons qui lui étaient liés,
en Catalogne, et également dans d’autres régions
d’Espagne, les syndicats et les comités ouvriers ont
pris en main et socialisé la majorité des entreprises
industrielles, commerciales et de transport .
Les conditions passées d’apparition de l’autogestion
révolutionnaire et celles de demain
Deux pays ont connu des révolutions entraînant des
prises de conscience spontanées d’organisation de salariés
sur leurs lieux de travail et de vie. Ce sont la Russie et l’Espagne.
Il me semble que certaines caractéristiques relativement
semblables s’en dégagent.
Dans les deux cas un certain nombre de réformes étaient
présentes, mais la corruption générale des
classes dirigeantes et la conscience du retard des mœurs et
des institutions sur les autres pays d’Europe étaient
ressenties par la grande majorité des gens. Le désir
d’appliquer rapidement et profondément des changements
sociaux était partagé par de vastes couches de la
population. Bakounine et la plupart des révolutionnaires
russes s’adressaient directement aux jeunes diplômés
issus des classes dirigeantes corrompues pour leur demander de collaborer
à une révolution pour la justice sociale. Kropotkine
faisait de même, en offrant son message révolutionnaire
à tous les jeunes de tous les pays. En Espagne, si la coupure
entre les milieux intellectuels et les salariés révolutionnaires
fut plus profonde qu’en Russie, il y eut des rapprochements
tactiques entre les syndicalistes et les républicains de
la bourgeoisie de gauche.
Un second trait commun est le sentiment d’appartenir à
une famille étendue, à un milieu paysan proche et
encore assez perméable aux traditions d’entraide, et
simultanément de ressentir le choc d’un commencement
d’exode rural. Dans ces conditions, les grandes assemblées
collectives, la fidélité à un mouvement vu
comme émancipateur et porteur d’améliorations
immédiates et futures génèrent le dévouement
de très nombreux collectifs, dont l’efficacité
est rapidement imitée dans tout le pays. En Ukraine quelques
dizaines de militants anarchistes furent la base d’un mouvement
qui s’étendit à des millions de personnes. En
Espagne, de nombreux collectifs s’intégrèrent
dans l’anarcho-syndicalisme dans des régions où
il n’existait pas auparavant, et de nombreuses coopératives
socialistes et des deux partis communistes adoptaient bien des traits
anarcho-syndicalistes.
Ce sentiment de création individuelle dans l’immédiat
et dans la durée et de libération des chaînes
de l’exploitation sociale permet le dévouement, le
sacrifice pour la révolution. La guerre civile est acceptée
parce que nécessaire pour établir le lien définitif
avec une réalité auparavant rêvée, voire
jamais imaginée.
Ces trois conditions -le retard social, le sentiment collectif
de groupe, la persuasion sociale créatrice- sont rares. Au
Mexique entre 1910 et 1917, en Chine, en Yougoslavie, en Algérie,
il n’y eut pas de création autonome de collectifs.
En Hongrie en 56, il y eut des bribes d’autogestion.
Nous vivons à la fin du XX siècle dans un espace
socioculturel de pays industrialisés radicalement différent.
Il n’y a pas de sentiment de retard puisque nous jouissons
des applications des inventions les plus avancées, et la
corruption des classes dirigeantes est fortement contrôlée.
De plus le sentiment de groupe et de famille a été
cassé par des dizaines d’années d’urbanisation
et d’individualisme. Enfin, la création sociale collective
sur le plan économique brille par son absence ou par son
caractère d’îlot artificiel et protecteur.
Par contre, un sentiment de retard social des autres pays de la
planète est évident, et de plus en plus l’inégalité
quasi définitive entre les couches sociales d’un même
pays est déclarée, accusatrice, déchirante.
Par contre, face à la solitude, au vide affectif, à
l’angoisse de vivre heureux alors que d’autres crèvent
tous les jours, une envie de foutre en l’air tous ensemble
l’injustice est sous-jacente, avouée, évidente.
Par contre, le gaspillage des ressources et des efforts humains,
l’impossibilité de réaliser jusqu’au bout
les réformes qu’on estime banales et nécessaires
rendent disponibles de nombreux individus pour participer à
des tâches collectives.
Cette saturation collective est comme la solidification progressive
d’une explosion volcanique vers l’autogestion. L’anarcho-syndicalisme
répond aux conditions de mise en place future de cet élan.
Actuellement, et pour longtemps encore, la conscience et la connaissance
des capacités industrielles, scientifique et militaires existantes
pour aider à résoudre une grande partie des maux de
la planète est un grand malheur.
Le poids du malheur pour ceux qui savent et ne font rien pour transformer
le monde, en jouissant sur les cadavres de leurs semblables.
Le malheur pour ceux qui n’arrivent pas à déclencher
la libre disposition de tous des disponibilités offertes
par le progrès.
Le malheur comme horizon de l’humanité ne peut être
effacé que par l’obscurantisme ou l’autogestion
révolutionnaire.
(mars 1998)
Sommaire
Introduction p.1
Présentation du mouvement anarcho-syndicaliste p.3
Organisation nationale de l’autogestion p.11
Résultats de la collectivisation : conclusions et estimations
générales p.22
I Apparition de l’autogestion à Barcelone et premiers
paradoxes p.23
II Le CLUEA p.28
III. Les insurrections révolutionnaires de 1932-34 p.30
IV. Exemple de réforme monétaire et schéma
de la circulation fiduciaire dans une économie sociale p.33
V. La collectivité de paysans de Madrid p.36
VI. La collectivité de pécheurs d’Adra p.37
VII. La collectivité d’Artesa de Lérida p.38
VIII. La fédération régionale des collectivités
de Barbastro p.43
IX. Le problème de l’argent pendant l’autogestion
espagnole p.48
X. La protection sociale et l’Espagne républicaine
de 1936-1939 p.52
XI. La CNT et la FAI : pression de groupes et groupes de pression
p.54
XII. Les deux communismes libertaires, ou parti libertaire contre
anarcho-syndicalisme p.56 XIII. Franquisme, transition démocratique
et idées de gestion collective p.59 Conclusions p.63
Les conditions passées d’apparition de l’autogestion
révolutionnaires et celles de demain p.69
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