Origine :
http://11erencontres.wordpress.com/2009/01/10/compte-rendu-atelier-39-evolution-historique-des-idees-dautogestion-et-de-participation/
Au début de l’année 2008, la proximité
du 40ème anniversaire de mai 68 n’y étant pas
pour rien, des militants ex PSU ou CFDT se sont retrouvés
pour échanger de l’actualité politique. Un moment
l’un d’entre eux a posé cette question : “l’autogestion
a pratiquement disparu du discours politique, vous savez pourquoi
?” Silence abyssal de quelques instants… et jaillissement
de la parole genre brainstorming dont on retiendra :
• certains courants politiques évoquent encore l’autogestion,
comme “les Alternatifs Rouge et Vert” où l’on
retrouve des anciens du PSU, comme aussi différents mouvements
Libertaires
• la gauche de “gouvernance” a, semble-t-il,
abandonné le concept : le PS, les Verts n’en parlent
plus, le PCF l’évoque de temps en temps mais non comme
un projet de société
• il existe encore de nos jours des pratiques autogestionnaires,
par exemple dans des SCOP, des associations, des mouvements sociaux
…
• aujourd’hui, on parle de démocratie locale,
participative, de citoyenneté … Ces idées, ces
pratiques, s’inscrivent-elles dans les pas de l’autogestion
? Et si oui en quoi ?
De là est née l’idée d’approfondir
cette question :
“l’autogestion hier et aujourd’hui, que reste-t-il
de nos amours ?”
Mais comment faire ? De manière autogestionnaire bien sûr
… tout en faisant appel à quelques connaissances susceptibles
d’apporter leur appui “d’experts”. Parmi
celles-ci, l’ADELS, dont on connaissait quelques éminents
fondateurs autogestionnaires, a été sollicitée.
Cette association s’est dite intéressée par
le sujet et a bien voulu être considérée comme
partenaire facilitateur de contacts et de communication, celle-ci
pouvant aller éventuellement jusqu’à l’édition.
“D’un côté le débat et le combat
pour l’autogestion ont disparu de la scène publique
où le mot n’est pratiquement plus utilisé. D’un
autre, le débat civique s’ordonne depuis plusieurs
années autour des thèmes de la crise de la démocratie
représentative et de la nécessité, pour y faire
face, de développer une citoyenneté active, une démocratie
participative. (…) Comment rendre compte du paradoxe de cette
disparition apparente du thème autogestionnaire, mais d’une
vitalité souterraine qui continuerait de structurer notre
débat contemporain ?” Patrick Viveret dans Territoires
N°454, janv.05.
1. l’autogestion
1.1. définitions
il n’est pas aisé de donner une définition
claire de l’autogestion parce qu’on ne sait pas toujours
très bien si l’on parle d’un projet politique
de société ou bien de pratiques. Pour l’instant
on fait deux propositions :
• la plus simple qui soit : gérer soi-même
• une plus complexe : organisation sociale et économique
de la société favorable à la gestion directe
non hiérarchisée de structures de travail, d’habitat,
d’éducation, etc., par les hommes et les femmes impliqués
directement dans ces structures et en fonction de leurs besoins
fondamentaux.
Cette définition sera développée tout au long
de cette étude.
1.2. historique
Sans plonger dans la nuit des temps, sinon on pourrait alors remonter
à l’Agora de la Grèce antique, voire à
la révolte des esclaves romains conduite par Spartacus en
-73, on s’intéresse à des moments de l’histoire
des 19ème et 20ème S., où l’autogestion
a trouvé, nous semble-t-il, ses principaux fondements. Nos
propres histoires ont pu aussi croiser les évènements
du 20ème Siècle.
a. 19 siècle
*L’Association Internationale des Travailleurs (AIT) ou 1ère
Internationale (fondée en1864), dont les principaux leaders
sont Pierre-Joseph PROUDHON (originaire de Besançon), courant
“mutualiste” et Michel BAKOUNINE, courant “collectiviste”.
Les statuts de cette association, rédigés par Karl
MARX, précisent que “l’émancipation des
travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs
eux-mêmes“. Tout au long de sa relative courte existence
(fin en 1876), l’AIT a été traversée
par de longs débats à propos de :
• la suppression ou non du salariat, du droit d’héritage
• la place de l’État dans le socialisme
• la manière de conquérir le pouvoir par l’auto
organisation des forces prolétariennes ou par une avant-garde
révolutionnaire instituant temporairement la dictature du
prolétariat
Ces questions, parmi d’autres, seront reprises dans la pensée
autogestionnaire du 20ème siècle.
*la Commune de Paris 1871 , en 72 jours, a généré
des pratiques autogestionnaires tant dans la conquête du pouvoir
que dans son exercice par le peuple. On peut les caractériser
par :
• lutte armée pour s’opposer d’une part
à l’envahisseur prussien, d’autre part à
une partie de l’armée française restée
fidèle au gouvernement français (Thiers) réfugié
àcommune-de-paris Versailles. Deux figures marquantes de
cette lutte : Louis-Auguste BLANQUI qui, bien qu’étant
en prison à cette époque, a certainement eu une influence
idéologique prépondérante chez les communards
et Louis ROUSSEL, transfuge de l’armée française,
nommée ministre de la guerre et chargé d’organiser
la défense de Paris, non sans mal d’ailleurs, bon nombre
de communards refusant de prendre les armes
• mise en place de structures économiques et sociales
démocratiques, égalitaires et non discriminantes
• rôle important des femmes dans la lutte
• insistance mise sur l’entraide, l’éducation
et la formation avec Louise MICHEL comme figure emblématique.
L’association des Amis de la Commune de Paris perpétue
la mémoire de cet évènement.
*Charles Fourier (lui aussi originaire de Besançon) et “les
Phalanstères” , vie communautaire et de travail fondée
sur “l’attraction passionnée”, jonction
de l’intérêt individuel et de l’intérêt
collectif ; source de l’harmonie universelle et d’un
nouvel État .
“On commence par dire : cela est impossible pour se dispenser
de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu’on
ne le tente pas“, (C. Fourier, “Le nouveau monde industriel
et sociétaire”, Paris, 1829)
Fourier a inspiré des communautés de travail comme
Longo Maïl dans les Alpes de Hte Provence, Boimondau dans la
Drôme…
b. 20ème siècle
Le mot autogestion a eu une existence politique officielle dans
plusieurs pays bien avant qu’il n’apparaisse en France,
entre autres en Yougoslavie et en Algérie.
*En Yougoslavie (République fédérale composée
de 6 républiques jusqu’en janvier 1992)
le maréchal TITO apparaît à la fin de la 2ème
guerre mondiale comme un véritable sauveur. Il profite de
son aura de résistant au nazisme pour s’opposer au
stalinisme et rompre avec Moscou en 1948. Staline n’ose pas
toucher à ce personnage devenu une véritable figure
emblématique internationale.
Tito entreprend alors de grandes réformes et introduit officiellement
l’autogestion dans la constitution tout en gardant un Etat
très centralisé avec parti unique. En fait l’autogestion
concerne exclusivement le monde de l’entreprise dont à
l’époque les plus grosses unités de production,
ne dépassent pas 700 emplois. De 1950 à 1970, l’autogestion
s’est déroulée dans le cadre d’une économie
planifiée par l’État. Ce n’est pas une
grande réussite et l’économie de marché
internationale pousse le pays, à partir de 1970, à
s’adapter à cette réalité ; la plupart
des entreprises sont progressivement privatisées tout en
gardant parfois leur fonctionnement autogestionnaire. La mort de
Tito en 1980 amorce une crise très dure et longue conduisant
à l’éclatement de la Yougoslavie dans les années
90.
Selon Marie-Geneviève Dezès (”Autogestion,
la dernière utopie?”, sous la direction de Frank Georgi,
2003, publications de la Sorbonne), Tito, en choisissant l’autogestion,
voulait donner un signe fort au monde pour montrer que sa rupture
avec le stalinisme allait bien dans le sens d’un socialisme
libre, ce qui fut loin d’être le cas. Mais, pendant
un temps, cette représentation a fonctionné puisque,
à partir des années 60 une partie de la gauche française
(PSU, extrême gauche, CFDT…) fait de la Yougoslavie
une référence et se rend sur place pour y chercher
l’inspiration autogestionnaire. Des organismes de voyages
se spécialisent : par exemple “Découverte et
cultures” agence réservée aux militants révolutionnaires
et surtout ARVEL (Association de Rencontres, de Voyages, d’Études
et de Loisirs) créée à Lyon en 1968 par quelques
militants du PSU et de la CFDT et dont la première destination
(et unique au début) est la Yougoslavie dans une île
où cette association prend même la gestion d’un
centre de vacances.
En Yougoslavie un courant critique s’est rapidement développé
et s’exprime en particulier dans la revue PRAXIS (interdite
en 1975). En France cette critique est relayée par de nombreux
militants et intellectuels : Albert MEISTER, Henri LEFEBVRE …
Ce qui débouche sur la création du Centre International
de coordination des Recherches sur l’autogestion (CICRA) en
1976 dont le siège est fixé à Paris à
la Maison des sciences de l’Homme. Le CICRA n’existe
plus.
en Algérie, la guerre d’indépendance a été
un tournant pour la gauche française et pour l’autogestion
! Avant la création du PSU en 1960, due en grande partie
aux difficultés grandissantes de la SFIO (le PS actuel) et
du PCF à se positionner clairement dans ce conflit qui déchirait
le peuple français et le peuple algérien, c’est
l’extrême gauche trotskiste de la 4ème Internationale
qui, dès 1954, a été la plus active dans le
soutien à la révolte du peuple algérien . Selon
les courants politiques qui traversaient les trotskistes, le soutien
pouvait s’adresser plus au MNA par le PCI tendance Pierre
Lambert ou plus au FLN par le PCI tendance Pierre Frank. Dans le
soutien au FLN apparaît, dès 1954, une figure historique
de la 4ème Internationale : PABLO ou Michel RAPTIS. C’est
Yvan CRÉPEAU qui le met en relation avec le FLN dès
1954. Pablo devient alors l’un des principaux conseillers
du FLN. Il est à l’initiative de la création
d’une usine clandestine d’armement installée
au Maroc.
À l’indépendance en 1962, un certain nombre
de militants trotskistes décident de vivre en Algérie
comme enseignants, médecins, agriculteurs … Ils sont
surnommés “les pieds rouges”. Ils croient en
la révolution socialiste et aux capacités du peule
algérien à se libérer du poids des années
de colonisation ; les algériens ont simplement besoin de
leur aide pour se former au socialisme. Pablo en fait partie. Il
a une entrevue avec Ben Bella qui le convînt “que le
projet d’une Algérie socialiste est possible car «la
logique d’un développement socialiste de la Révolution
est inévitable ». Ben Bella prête d’ailleurs
une oreille attentive aux projets de Pablo concernant l’autogestion,
qui doit constituer un embryon de contrôle ouvrier et paysan
et l’amorce d’un véritable pouvoir prolétarien.
Pablo devient alors conseiller de Ben Bella, principalement en ce
qui concerne l’autogestion. Il crée l’Union nationale
d’animation socialiste, qui élabore les plans pour
une évolution vers le socialisme. Il parvient, avec Mohammed
Harbi et Hocine Zahouane, à faire adopter en octobre et novembre
1962, puis en mars 1963, des décrets sur l’administration
des biens vacants et l’autogestion des entreprises”
(Sylvain Pattieu, “Les camarades des frères. Guerre
d’Algérie et extrême gauche en France”,
2002, éd. Syllepse).
Le soutien, dès le début du conflit, des trotskistes
au FLN, puis celui de la Nouvelle Gauche et du PSU un peu plus tardivement,
ont certainement été efficaces dans des tâches
pratiques clandestines (par exemple “les porteurs de valises”)
jusqu’à l’indépendance. Ensuite, il semblerait
que ces organisations soient restées pendant un temps sur
l’idée que la conquête révolutionnaire
et armée de l’indépendance ne pouvait que déboucher
sur le socialisme. Les pratiques non démocratiques du FLN,
au nom de la sauvegarde de l’intégrité de la
révolution algérienne et du socialisme - avec, par
exemple, dissolution dès le début de l’indépendance
du Gouvernement provisoire de la République Algérienne
(GPRA), refus d’élections libres, interdiction de partis
politiques comme le Parti communiste algérien ou le Parti
de la Révolution Socialiste - démontraient pourtant
le contraire. Le désenchantement fut total en juin1965 avec
le coup d’état militaire qui installe Houari Boumediene
à la présidence. Les militants trotskistes, encore
présents en Algérie, sont alors tous expulsés.
En Algérie, comme en Yougoslavie, l’autogestion fut
décrétée par un pouvoir se disant socialiste
mais avec des pratiques totalitaires, ce qui paraît déjà
assez paradoxal en soi ! Peut-on en effet décréter
l’autogestion alors qu’elle devrait être aspiration,
mouvement ascendant venant du peuple ? Peut-on imaginer que cette
aspiration puisse apparaître et être acceptée
par un État imposant son total pouvoir y compris par la force
? Ces pratiques autogestionnaires, aux durées relativement
courtes, mais dont certaines semblent avoir correctement fonctionné,
auront au moins servi de terrains d’observation pour bon nombre
d’organisations politiques et syndicales en particulier françaises.
en France, on continue à chercher quand le mot “autogestion”
a fait son apparition explicitement dans le langage politique. En
1964 , le philosophe marxiste André GORZ en fait l’aboutissement
social des luttes d’émancipation conduisant à
l’autonomie individuelle. La pensée autogestionnaire
s’est construite à partir des années 60 en puisant
dans 3 courants de pensée :
• le marxisme, représenté par des communistes,
exclus du PCF pour certains, rejetant le stalinisme et le centralisme
démocratique : citons parmi les plus connus Pierre Naville,
Yvon Bourdet, Victor Leduc, Serge Depaquit, Yvan Crépeau,
André Gorz, Henri Lefebvre … Deux tendances traversent
les marxistes : les structuralistes (centralité de la structure
et rejet de la subjectivité) et les existentialistes (se
libérer de toute aliénation pour atteindre une totale
autonomie individuelle). Les élections sont reconnues comme
un moyen possible pour arriver au pouvoir, mais le mouvement révolutionnaire
n’est cependant pas exclu pour le prendre ; prendre le pouvoir
au plus haut niveau étant la première condition pour
mettre en place le socialisme autogestionnaire,
• le christianisme progressiste, humanisme éclairé
prônant la “révolution douce” (réformer
la vie quotidienne), l’influence du personnalisme d’Emmanuel
Mounier y est grande. Citons Claude Bourdet (fondateur de l’Observateur,
devenu “le Nouvel Observateur”), Gilles Martinet, Henri
Desroche (revue Esprit), Pierre Rosanvallon, Albert Meister …
C’est “l’autogestion goutte à goutte”
évoquée par Daniel Mothé (Paris, 1980, éd.
du Centurion)
• l’anarchisme, le communisme libertaire, militant
contre l’autorité sous toutes ses formes.
Plusieurs leaders des 2 premiers courants sont à l’origine
en 1966 de la revue AUTOGESTION, qui deviendra AUTOGESTIONS en 1980,
ce pluriel signifiant que l’autogestion est plurielle. Après
la chute du communisme c’est le courant “humaniste”
qui occupe le terrain idéologique, souvent sous l’étiquette
“2ème gauche”.voeux_capi
Il paraît nécessaire de souligner la grande influence
du philosophe marxiste Henri Lefebvre dans la construction du concept.
Pour lui c’est dans la quotidienneté qu’il faut
chercher à débusquer les rapports de domination du
capitalisme, sources d’habitudes “inauthentiques“,
obstacles majeurs à l’inventivité, à
la liberté …, nécessaires au développement
de l’autogestion. Celle-ci ne peut être un système
établi, elle est mouvement perpétuel. Sa “Critique
de la vie quotidienne” en 3 volumes demeure une référence.
“Impossible de saisir le quotidien comme tel en l’acceptant,
en le «vivant» passivement, sans prendre un recul. Distance
critique, contestation, comparaison vont ensemble” (1948,
1962, 1981, éd. de l’Arche) . Il était professeur
de sociologie à Nanterre depuis 1965 quand tout a commencé
en 1968 depuis cette Université…
Mai 1968 est la véritable plateforme de lancement
du socialisme autogestionnaire.
Ce mouvement, s’il n’a pas pu déboucher politiquement
pour différentes raisons qui seront développées,
a eu toutefois une influence sociale et culturelle que rien n’a
sans doute égalé depuis.
? La CFDT, très présente dans le mouvement et efficace
dans le rapprochement étudiants / travailleurs, adopte le
concept dès 1970.
? Le PSU fait écho à la CFDT et intègre peu
à peu l’autogestion dans son projet politique. Son
refus en 1972 de participer au Programme commun de la gauche, jugé
réformiste, centralisateur et trop gestionnaire , l’amène
à faire officiellement du socialisme autogestionnaire son
Manifeste, approuvée lors du 8ème congrès en
décembre 72 à Toulouse. “L’autogestion,
loin d’être pour nous une vague utopie, constitue, au
contraire, l’axe politique autour duquel se construira la
société socialiste” déclare Michel ROCARD,
alors secrétaire national du PSU, lors de ce congrès.
Basse manœuvre opportuniste de la part de celui-ci, diront
certains …
Le socialisme autogestionnaire existe désormais au plan
politique par la critique radicale de tous les modèles existants
: capitalisme bien sûr, mais aussi communisme, centralisme
démocratique, social-démocratie.
Années 70, l’amélioration de la qualité
du cadre de vie prend de l’ampleur. Devant l’urgence
à régler les problèmes du logement, les grands
ensembles se sont multipliés le plus souvent sans aucune
concertation. Toutefois certaines communes ont cherché à
associer habitants, associations, syndicats. Pour de nombreux militants
ce fut l’occasion de mettre en avant des pratiques se rapprochant
de l’autogestion. Plusieurs expériences seront présentées
dont la Ville Neuve à Grenoble et le quartier de la Boissière
dit le “quartier rouge” à Morlaix (Finistère).
On parlera également du mouvement de “l’Habitat
autogéré” qui s’est développé
ces années là. Bien qu’antérieur, le
mouvement des Castors des années 50-60 sera également
évoqué comme une pratique d’inspiration autogestionnaire.
octobre 1971 débute la longue lutte du LARZAC pour s’opposer
à l’extension (de 3.000 à 17.000 hectares) du
camp militaire décidée par le gouvernement français.
Ce mouvement a été innovant dans la manière
à la fois autogestionnaire et non violente dont il fut conduit.
Il débouche en 1981 par la décision rapide du nouveau
Président de la République François Mitterrand
de ne pas procéder à l’extension
1973, LIP est un évènement qui fait date et le célèbre
“on fabrique, on vend, on se paie !” parcourt le monde.
Cette longue lutte demeure un modèle dans la manière
autogestionnaire dont elle fut conduite . L’autogestion trouve
là son apogée.
LIP et le LARZAaffiche_lipC ont beaucoup de points communs et ces
deux mouvements se sont fréquemment rencontrés.
Mais 1973, c’est aussi le premier choc pétrolier,
et l’entrée dans une longue période de crise
où l’emploi devient la préoccupation numéro
1. Cette situation, qui perdure, ô combien, provoque bien
des replis, c’est-à-dire tout le contraire de ce qui
pourrait créer du mouvement vers l’autogestion.
C’est également la parution de “l’Archipel
du Goulag” de Soljenitsyne et la prise en compte, enfin, d’une
réalité insupportable du monde communiste qui ne s’en
remettra pas ; et le marxisme, identifié à la barbarie
par certains “nouveaux philosophes”, va en subir les
conséquences.
En 1974, les Assises du socialisme sont l’occasion pour les
rocardiens (la 2ème gauche) de quitter le PSU pour le PS
avec la ferme intention d’influer et de transformer celui-ci.
Mais ils se heurtent à la personnalité de François
Mitterrand qui a tout autant d’ambition et se dit “agacé”
par la référence constante des rocardiens à
l’autogestion. Ceux-ci réussissent malgré tout
à faire adopter par une convention nationale en 1975 “15
thèses sur l’autogestion”, mises en forme par
Gilles MARTINET. Notons toutefois que le PS ne fera jamais de l’autogestion
un concept de propagande.
Le Parti Communiste Français a longtemps considéré
l’autogestion comme un mot vide de sens. Il l’adopte
cependant du bout des lèvres à partir de 1978. Son
programme électoral de 2007 y fait encore allusion : “Fonder
une 6ème République solidaire, démocratique,
laïque et autogestionnaire. Le programme des communistes :
donner le pouvoir aux citoyens et aux salariés, dans la cité
et l’entreprise“.
L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 va, paradoxalement,
sonner le glas du socialisme autogestionnaire. F. Mitterrand estimr
que la conquêtmitterrand_02e rapide du pouvoir de l’État
passe par l’acceptation des institutions de la 5ème
République, pourtant décriées en d’autres
temps. Cela lui réussit et finalement il semble que ces institutions
lui conviennent et il n’est plus question de nouvelle Constitution,
considérant sans doute qu’il y a plus urgent à
faire. Il entreprend rapidement de grandes réformes, celles
qui concernent le plus le sujet de cette étude sont :
? les lois Auroux pour transformer les relations dans le monde
du travail ; les travailleurs doivent être acteurs du changement,
avec deux idées clés : l’extension de la citoyenneté
dans l’entreprise et le développement des initiatives
collectives : “promouvoir une démocratie économique
fondée sur de nouvelles relations du travail (…) et
sur l’élargissement du droits des travailleurs“,
(Jean AUROUX , dans son rapport introductif(.
? les lois sur la décentralisation pour rapprocher des citoyens
les lieux d’exercice des pouvoirs : loi Deferre en 1982, “véritable
coquille vide” (Georges Gontcharoff, entretien du 10 nov.
2008 ) en matière de participation des citoyens ; loi Joxe
en 92 sur l’information des habitants, loi Voynet en 99. Ces
différentes lois définissent des cadres institutionnels
pour renforcer le pouvoir des élus locaux dans les communes,
les départements et les régions. Mais qu’en
est-il exactement du pouvoir par le peuple ?
Aux yeux des autogestionnaires, ces lois de 82 sont loin d’être
satisfaisantes. Les lois Auroux ? “le droit de donner son
avis sur la couleur des moquettes à changer” ! dit
avec humour Victor FAY qui a intégré le PS avec l’espoir
d’exercer une influence de l’intérieur. Les lois
sur la décentralisation ? “s’intéressent
plus à donner du pouvoir aux élus qu’au peuple”
! (V. Faÿ, “L’autogestion une utopie réaliste”,
Paris, 1996, éd. Syllepse)
Victor FAY est à l’origine de la création du
“Collectif autogestion” en 1981 afin d’œuvrer
à “l’extension de la démocratisation”
Ce collectif lance un appel au gouvernement et aux parlementaires
de gauche et va même jusqu’à élaborer
2 propositions de lois portant sur “la création de
conseils d’atelier, de bureau et de service” et pour
“l’extension de la démocratie dans la commune“
1983 : la gauche de gouvernance, avec l’exercice du pouvoir,
prend conscience de la très difficile articulation de la
politique nationale avec l’économie de marché
qui se mondialise de plus en plus. Et la question récurrente
du chômage est loin d’être solutionnée
… La conjoncture n’est pas donc pas favorable au développement
d’idées autogestionnaires. L’entreprise de déconstruction
du concept continue inexorablement : la CFDT se recentre et le PSU
se prépare lentement à disparaître …
Après ce rapide survol historique, on peut se demander pourquoi
le socialisme autogestionnaire n’a pas réussi à
s’imposer comme projet politique crédible.
1.3. l’autogestion, utopie ou (et) mythe ?
Pour la clarté du propos, il est nécessaire de bien
distinguer deux approches : l’autogestion en tant que pratique
et l’autogestion attachée au socialisme en tant que
projet politique.
L’autogestion comme pratique est bien réelle. Il y
a eu, il y a et il y aura encore de multiples expériences
s’y référant. Boimondau, Longo Maï, LIP,
ont déjà été évoquées,
d’autres le seront, mais leur addition ne conduit pas pour
autant à une société autogestionnaire. Mai
68, sans doute l’un des plus grands évènements
d’émancipation populaire de l’histoire française,
a débouché sur une retentissante victoire de la droite
aux élections législatives qui ont suivi marquant
ainsi le retour à l’ordre, la liberté ferait-elle
peur ?
L’autogestion comme projet politique global n’a jamais
vraiment débouché. Dans les pays où il y a
eu des amorces voulues par le pouvoir en place et dans la dynamique
de luttes abouties : résistance au nazisme en Yougoslavie,
indépendance en Algérie, révolution des œillets
au Portugal … , l’expérience n’a pu être
pérenne. Et aujourd’hui qui ose vraiment encore en
parler comme projet de société possible ?
Robert CHAPUIS, en décembre 1971, déclarait “l’autogestion
ne peut être envisagée que dans un système cohérent
où l’on tient en main le problème de la production,
et c’est le rôle de l’organisation des producteurs
; mais il faut tenir aussi les problèmes de l’organisation
des citoyens et de la direction politique. Le fédéralisme
yougoslave a permis l’autogestion en fournissant une donnée
politique plus proche de la base. Mais il y a un troisième
niveau, celui de l’État qui, lui-même, s’il
n’est pas démocratique comme c’était le
cas en Yougoslavie, fait s’écrouler l’autogestion.
Parce que lorsqu’on chasse la démocratie à un
endroit, il ne faut pas croire qu’elle peut apparaître
à un autre. (…) C’est un système finalement
très délicat, et pour nous cela implique qu’il
y ait transformation du pouvoir au niveau de l’entreprise,
au niveau des régions et au niveau de l’État.”
(”Qu’est-ce que le PSU ?”, Chronique Sociale de
France, Lyon, déc. 1971, N° 4-5).
En fait, en se référant aux pays déjà
cités, on se rend compte que les trois niveaux évoqués
par Robert Chapuis, n’ont jamais vraiment pu fonctionner ensemble.
Ce serait peut-être la France qui, en 1981, aurait pu s’en
rapprocher le plus, avec les nationalisations, la régionalisation
et un État qui ne demandait qu’à se démocratiser.
Mais le contexte mondial a sans doute été un trop
gros obstacle. Et aux trois niveaux de R. Chapuis, on doit ajouter
celui de la mondialisation. Celle-ci ne permet plus d’imaginer,
aujourd’hui, qu’un pays seul puisse concevoir un fonctionnement
autogestionnaire.
Cette analyse structurelle conduit donc à constater l’impasse
à laquelle conduit le projet du socialisme autogestionnaire.
Il y aurait aussi à développer un autre type d’analyse
plus philosophique prenant en compte certains comportements humains
découlant du désir de la possession : avidité,
violence, domination, pouvoir, manipulation … Ces comportements
sont profondément inscrits dans l’humanité et
très difficilement contournables, du moins aucune politique,
aucune religion n’ont encore vraiment trouvé la solution
! Ils sont on ne peut plus incompatibles avec un système
autogestionnaire qui, par définition, exclut tout rapport
de domination et fait de la grande propriété l’origine
principale de l’aliénation.
Alors utopie ou mythe ?
Si l’on prend la définition de Théodore Monod
“L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore
été essayé!” (cité par Wikipédia)
, alors l’autogestion n’est plus dans l’utopie
; elle a, en effet, été essayée politiquement
dans plusieurs pays et elle continue à l’être
dans ce que nous nommons “l’autogestion pratique”.
Ce qui n’en fait plus un idéal puisqu’elle fonctionne
dans le réel et que des résultats sont observables.
En revanche le socialisme autogestionnaire comme projet politique
global, relèverait non seulement de l’utopie mais aussi
du mythe parce que fondé sur l’imaginaire d’une
société idéale, libre, harmonieuse, sans classe,
sans violence …, la recherche du paradis perdu pourrait-on
dire ! Mais dans ce projet, certains éléments du réel
ne figurent pas ou ne sont pas suffisamment pris en compte. On l’a
vu à propos de l’Algérie où, manifestement,
il y a eu une part d’aveuglement chez des militants enthousiasmés
par la conquête de l’indépendance et qui ont
cru qu’un pays se libérant d’un rapport de domination
combien aliénant, ne pouvait que déboucher vers le
socialisme autogestionnaire. En fait la réalité était
tout autre et le pouvoir qui se mettait en place n’avait rien
de démocratique.
Roland Barthes associe mythe et mystification. Le mythe, selon
lui, est une illusion qui altère les données de l’observation
du réel et va donc à l’encontre du raisonnement
et de la connaissance. ” La science va vite et droit en son
chemin ; mais les représentations collectives ne suivent
pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues
stagnantes dans l’erreur par le pouvoir…” (”Mythologies”,
1957, Paris, le Seuil). Le mythe relève donc, y compris en
politique, plus de la croyance que de la raison. Mais il peut avoir
une fonction hautement symbolique favorisant la mise en mouvement,
“groupons-nous et demain l’Internationale sera le genre
humain” ! Et ce mouvement peut alors jouer un rôle important
dans la transformation du réel sans pour autant le bouleverser
de fond en comble.
En politique le mythe naît souvent dans les périodes
de mutation, de crise identitaire. Il devient alors une planche
de salut. Il peut s’incarner dans un personnage présenté
comme le sauveur, ou bien dans une recherche d’unité
communautariste à l’encontre d’un phénomène
de société, ou bien encore dans une représentation
de “l’âge d’or” passé -retour
à la nature - ou à venir : abondance pour tous, harmonie
et fin de l’Histoire ! Le socialisme autogestionnaire a eu
cette fonction mobilisatrice dans une période où le
pouvoir était exercé de façon autoritaire par
un homme lui-même “sauveur” et qui avait institué
une République quasi monarchique, en tout cas à l’opposé
de l’esprit du socialisme démocratique. Il a permis
le rêve, une recherche moderne du “paradis perdu”
! Il a eu une période faste, mai 68, “sous les pavés,
la plage !”. Il a participé à la victoire de
la gauche en 81. Et là, paradoxalement, il commence à
se déconstruire. Libérée du communisme, la
2ème gauche (à laquelle on peut associer les Verts),
celle de la révolution douce, celle des “réformistes”,
occupe le terrain idéologique. Elle accepte l’économie
de marché comme quelque chose d’inéluctable
et s’oriente vers la social-démocratie.
Aujourd’hui, à l’exception des “ALTERNATIFS.
Rouge et Vert” , plus grand monde n’évoque le
socialisme autogestionnaire comme un projet possible. On peut certes
penser qu’une nouvelle délivrance de Prométhée
en rallumerait le feu ; mais on peut aussi estimer qu’il est
entré dans le domaine de l’histoire. Sans lui quand
est-il, aujourd’hui, du mouvement social ?
Ponctuellement certains évènements provoquent de
grandes mobilisations (altermondialistes par exemple). Mais on a
l’impression que peu à peu on s’éloigne
des grands projets politiques de société bouleversant
l’ordre des choses, comme si la mondialisation rendait difficile,
voire impossible, la compréhension de la politique globale
sur laquelle le citoyen que je suis ne voit pas comment il peut
agir pour en modifier le cours. On a là, sans doute, l’une
des raisons de la défiance à l’égard
du politique, avec des conséquences négatives pour
la démocratie représentative.
Cependant, des hommes et des femmes continuent à rechercher
un peu partout d’autres façons de vivre. Ils mettent
en œuvre des solidarités de proximité, des actions
de développement durable, d’autres façons de
concevoir les rapports économiques, de consommer …
Tout cela crée du mouvement mais peu visible, peu saisissable
dans l’opinion. Ces nouvelles forces conduiront-elles à
une alternative au système existant ? André GORZ en
était intiment convaincu : “l’expérimentation
avec de nouveaux modes de vie et d’autres formes sociales,
dans les failles d’une société en pleine désagrégation,
subvertira et délégitimera le contrôle que le
Capital exerce sur l’esprit et le corps des gens. [Ainsi]
les contraintes et les valeurs de la société capitaliste
cesseront d’être perçues comme naturelles et
libéreront finalement les puissances de l’imagination
et du désir” (”L’immatériell. Connaissance,
valeur et Capital”, Paris, 2003, éd. Galilée),
démarche qui amènerait, selon A. Gorz, à un
“éco-socialisme non capitaliste“. Nous n’en
sommes pas encore là et pour un mouvement plus global on
manque, peut-être, du rêve qui permettrait de sortir
de la façon strictement gestionnaire et sécuritaire
que la politique actuelle propose. Il y a, semble-t-il, un manque
d’ambition collective, à moins que la démocratie
participative en soit une source possible ?
2. la participation
2.1. définition et histoire
Lorsque des instances dirigeantes évoquent la participation,
cela signifie qu’elles cherchent à associer les salariés,
les habitants, les usagers … à la vie d’une entreprise,
d’un quartier, d’un service … À l’inverse
d’un système autogestionnaire où le pouvoir
est normalement non hiérarchisé et s’exerce
collectivement, le système participatif ne modifie en rien
les hiérarchies existantes.
Dans le monde du travail on peut considérer les comités
d’entreprise et surtout les comités d’hygiène
et de sécurité comme des instances participatives.
En politique, l’usage du mot n’est pas très
ancien. C’est le Général de Gaulle qui en 1967
fait de la participation des salariés aux résultats
de l’entreprise un objectif à atteindre rapidement.
Il l’impose par ordonnance pour les entreprises de plus de
50 salariés contre l’avis du CNPF et avec beaucoup
de réserves des partis de gauche et des syndicats de salariés.
Les Groupes d’Action Municipale (GAM) avaient, dans les années
60, fait ressortir la nécessité d’associer les
habitants à tout projet de rénovation urbaine. Il
faut toutefois attendre les années 80, à l’occasion
des premières mesures concernant la Politique de la ville
, pour que l’État introduise la notion de participation
comme “étant au cœur de la politique de la ville”
. Des militants, des élus, ont beaucoup oeuvré à
cette particiaption; comme par exemple, à la Roche-sur-Yon
(Vendée) : “permettre aux habitants d’être
la principale force motrice d’un projet de développement
économiqie et social d’un quartier“, Elie Gaborit
(”Quand la démocratie locale façonne un quartier”,
2008 )
Plusieurs lois ont jalonné ces années :
• loi du 12/7/83, dite loi Bouchardeau, relative à
la démocratisation des enquêtes publiques et la protection
de l’environnement
• loi du 13/2/2000, relative à la Solidarité
et au renouvellement urbain
• et enfin loi du 27/2/2002, dite loi Vaillant, relative
à la démocratie de proximité.
Dans la loi de 2002 la participation des habitants (chap.1er du
titre 1er) occupe en fait 2 pages sur les 48 du texte de loi (éd.
Légifrance.fr) ! Tout le reste évoque le statut des
élus, l’intercommunalité, les collectivités
territoriales et leurs compétences, les enquêtes publiques
…
Cette loi rend obligatoire les conseils de quartier (CQ) dans les
communes de plus de 80.000 habitants, “les conseils de quartier
peuvent être consultés par le maire et peuvent lui
faire des propositions sur toute question concernant le quartier
ou la ville. Le maire peut les associer à l’élaboration,
à la mise en œuvre et à l’élaboration
des actions intéressant le quartier, en particulier celles
menées au titre de la politique de la ville”(art.1.II).
On note que le CQ “PEUT être consulté …
associé…” et non pas DOIT. Les élus gardent
ainsi l’initiative de ce qu’ils veulent bien soumettre
aux habitants.
Le projet initial prévoyait l’obligation des CQ pour
les communes de plus de 20.000 habitants. On ne s’explique
pas très bien pourquoi on est passé à 80.000
dans les navettes entre le Parlement et le Sénat. Toutefois
beaucoup de communes de moins de 80.000 habitants ont créé
des CQ.
2.2. pourquoi une loi ?
Lors de la “rencontre nationale des conseils de quartiers
et de la démocratie locale”, tenue à Paris en
mai 2001, Claude BARTOLONE, alors ministre délégué
à la ville concluait ainsi la journée :
“La politique de la ville a été portée
il y a plus de 20 ans sur ses fonds baptismaux par Hubert DUBEDOUT
avec l’intime conviction que sa réussite était
conditionnée par la participation des habitants et par leur
réelle implication dans sa conception (…)
Pour la politique de la ville, la démocratie de proximité
est l’un des actes fondateurs de notre action autant qu’un
impératif de réussite. (…) La démocratie
participative est une condition de la réussite du renouveau
social (…). Les conseils de quartier sont des lieux de confrontation
essentiels à la démocratie, essentiels pour gouverner
une ville (…) Qu’il s’agisse de propreté,
d’éclairage public, de tranquillité publique,
d’implantation du mobilier urbain, des aménagements
de voirie …, il nous faut débattre et nous organiser
pour répondre à des demandes ascendantes et non pas
seulement discuter de propositions descendantes…”
Il annonçait à cette même rencontre la promulgation
prochaine de la loi.
Cette loi prend en compte une longue période d’expérimentations
de toutes sortes en matière de démocratie locale dans
de nombreuses communes françaises, le plus souvent de gauche,
avec en toile de fond LE modèle PORTO ALLEGRE au Brésil.
Mais alors pourquoi ce besoin de légiférer ? Il n’y
avait pas un mouvement social organisé poussant à
cela, sinon peut-être les mouvements spontanés de jeunes
dans certains quartiers, mais pour eux la réponse se trouve-t-elle
dans cette nouvelle gouvernance ?
En fait le principal motif est sans doute à rechercher dans
l’inquiétude éprouvée par la classe politique
devant un certain “désenchantement démocratique
” ; l’évolution négative des taux d’abstention
aux élections en étant le principal indicateur.
Mise à part l’élection présidentielle,
toutes les dernières élections de 2007 et 2008 ont
vu leur taux d’abstention augmenter. Entre 1970 et 2008 le
taux d’abstention aux législatives est passé
de 17,7 à 39,6% ; celui des municipales de 22,9 à
39,1%. Ce qui fait que des maires, des conseillers généraux,
des députés sont élus par 30 à 40% de
la population majeure, quelle légitimité réelle
leur donne alors leur élection ? L’abstention concernerait,
dit-on, surtout les milieux populaires. Ce qui nous approfondirons
car on suppose qu’elle existe aussi dans les classes moyennes
soit par désintérêt soit par désenchantement
à l’égard de la politique institutionnelle.
Il y a donc “crise de la représentation (…).
Les citoyens, notamment ceux appartenant aux couches populaires,
s’éloignent de plus en plus des mécanismes traditionnels
de la démocratie. Une fracture civique profonde s’est
aujourd’hui creusée entre la représentation
politique et une large fraction de ceux qu’elle est censée
représenter” (Serge Depaquit, Renouveler la démocratie
… oui, mais comment ?”, Paris, 2005, éd. de l’ADELS).
La démocratie est-elle en péril au point de devoir
la mettre sous perfusion, avec la participation comme sérum
vital ? Pourtant, par définition, la démocratie -pouvoir
par le peuple- est participative sur le principe même que
tout citoyen est en droit de participer à la décision
politique, si cela n’est pas, le mot démocratie se
vide de son sens premier. “Si parler de démocratie
participative ne traduisait rien d’autre que la volonté
d’exploiter et d’instrumentaliser la défiance
des citoyens envers leurs représentants -cette défiance
fut-elle, à bien des égards, compréhensible
et légitime - (…) ce qui fragilise leur attachement
et leur désir pour la démocratie, le risque alors
serait que l’appel d’une démocratie participative
ne finisse par effacer la démocratie elle-même (…)
Il n’y a de démocratie que participative“, (Bernard
STIEGLER, “De la démocratie participative”, 2007,
éd. Mille et une nuits).
Qualifier la démocratie de participative relève donc
quelque peu du pléonasme et de la méthode Coué
avec injonctions répétées à la citoyenneté
sur tous les modes : débat citoyen, démarche citoyenne,
café citoyen, conseil citoyen … Le citoyen du 21ème
S. est, semble-t-il, en train de détrôner le travailleur
du 20ème S. Le travail, de par les incertitudes qu’il
représente et le moindre temps qui lui est consacré,
perd de son importance dans la construction de l’identité
sociale au profit de la cité avec ses multiples lieux d’exercice
de la citoyenneté : associations, instances participatives
ou lieux moins formalisés que la loi de 2002 ne prend pas
vraiment en compte.
Les CQ ont tendance à polariser l’attention (la notre
en particulier !) alors qu’ils n’intéressent
qu’une infime partie de la population. Leurs membres sont
des habitants volontaires, ne représentant qu’eux-mêmes
; leur profil : cadres moyens ou supérieurs jeunes retraités,
propriétaires de leur logement, déjà actifs
dans la vie associative. On n’y trouve donc pas, ou fort peu,
certaines couches de la population et tout particulièrement
les jeunes et les milieux les plus populaires. Alors les CQ nouvelle
caste sociale défendant avant tout ses intérêts
? Si ce n’était que cela on aurait là le plus
bel effet NIMBY (touche pas à mon jardin) tout à fait
contraire à ce que l’on nomme “l’intérêt
général”. Mais comment définir cet intérêt
général, que la démocratie participative est
censée opposer à l’intérêt particulier
? Comment le représenter? Est-ce ramener l’individuel
dans le collectif ? C’est un point qui sera approfondi.
2.3. que fait-on dans les instances participatives ?
Tout n’est pas sombre dans les CQ. Certains s’investissent
dans l’urbanisme et participent à un réel travail
d’aménagement urbain, d’autres se préoccupent
de solidarités de proximité.
Par exemple dans le 18ème arrondissement de Paris, les CQ
“Clignancourt, Jules Joffrin” et “Amiraux, Simplon,
Poissonnières” se sont demandés début
2006 que faire face à l’accroissement des personnes
sans abri séjournant dans le quartier. Après étude
avec l’association “Un toit pour tous”, au fait
de cette question, les CQ ont émis unanimement un vœu
demandant l’ouverture d’une Maison Relais sur le quartier
avec accueil de jour et de nuit. Ce vœu a été
approuvé par le Conseil municipal d’arrondissement
en avril 2006 et transmis au Conseil de Paris qui décide
de donner suite avec la création de 2 maisons Relais. Les
CQ participent ensuite au comité de pilotage du projet :
implantation, fonctionnement etc. (Sources : entretein avec Hamou
BOUAKKAZ, adjoint chargé de la démocratie locale à
la Mairie de Paris. “Les actes du printemps de la démocratie
locale”, mars 2007, Mairie de Paris).
Dans cet exemple le schéma est ascendant et représente
sans doute un processus quasi idéal :
? repérage d’un problème
? étude avec une association qui joue dans le cas présent
un rôle d’expertise
? construction d’un argumentaire et transmission d’un
vœu
? présentation au conseil municipal, discussion
? décision du CM
? participation au comité de pilotage
Une réserve toutefois, puisque, aux dernières nouvelles,
dès que les sites d’implantation ont été
connus du grand public, des habitants , non participants des CQ,
ont manifesté leur opposition en faisant signer une pétition
à l’initiative de l’ancien chanteur des “Chats
Sauvages” Dick Rivers ! Comme quoi il n’est pas toujours
simple de participer !
Notre intention n’est pas de dresser ici un tableau exhaustif
des pratiques participatives, l’ADELS le fait très
bien sur son site. Voici cependant une brève typologie des
contenus que nous avons repérés :
• simple information descendante élus vers habitants,
avec questions / réponses
• demande ascendante d’informations auprès des
élus
• consultation sur un projet
• partenariat pour l’élaboration et la réalisation
d’un projet
• délégation de pouvoir, pour la gestion d’un
équipement de quartier.
2.4. la participation, ravalement de façade de la
démocratie ?
“Faire un état des lieux ensemble, c’est ça
la participation !”, Marylise LEBRANCHU, députée
du Finistère, manifeste au cours d’un entretien récent
(29 sept. 2008) un certain mécontentement à propos
de la démocratie participative telle qu’elle est en
train de s’instituer : “où sont les personnes
en souffrance des quartiers populaires dans ces instances ? Elles
n’y viennent pas ! Parce que le pouvoir y est pris par quelques
personnes, celles qui ont la culture des mots. C’est aux élus
à aller à pied dans les quartiers, de discuter en
direct avec les habitants, de parler des problèmes de leur
vie quotidienne… d’expliquer les projets avec des plans
… et leur donner la possibilité de critiquer”
.
“Les comités de quartier, c’est pas fait pour
jouer les cantonniers !” proclame Jean-René MARSAC,
député d’Ille-et-Vilaine (entretien 12 nov.
2008). “La démocratie participative, telle qu’elle
est souvent pratiquée encore, donne trop de place à
la parole. Il suffit de se réunir, de se parler, d’échanger
quelques idées, et on serait dans la démocratie participative
? C’est pas sérieux ! C’est la réduire
à l’état de forum réservé à
ceux qui savent s’exprimer. Et je ne vois pas comment émerge
la dedans l’intérêt général …
S’il n’y a pas de logique d’action, ce n’est
plus de la démocratie… La démocratie c’est
fait pour décider, donc faire des choix : où on met
l’argent ? pour quoi ? pour quelle population ? C’est
pas compliqué et on peut très bien associer le maximum
de personnes dans cette démarche de responsabilisation ;
c’est à mon avis la seule qui permettra de progresser
vers plus de démocratie, sinon on va rester dans un concept
mou, pas assez exigeant. L’autogestion avait une logique de
progression dans la prise de responsabilité, ce serait utile
de s’en inspirer” .
La démocratie ne peut s’accommoder de la misère
sous toutes ses formes , elle doit au contraire lutter contre. Si
la participation conduisait à y faire écran, parce
que réservée à une élite oligarchique
constituée d’élus associés à quelques
militants, et bien on obtiendra l’effet inverse de ce qui
est souhaité par bon nombre d’élus et d’associations
qui œuvrent quotidiennement pour que la démocratie retrouve
du sens. On cite trois exemples d’associations simplement
parce qu’on a eu l’occasion de discuter avec elles,
seulement trois !, mais il pourrait certainement y en avoir plusieurs
centaines tant il y a du mouvement dans ce domaine :
? à Lyon, l’association “Formation Action Citoyenne”
a réalisé une recherche-action dans plusieurs communes
du Grand Lyon sur les difficultés rencontrées par
des habitants pour se faire entendre. “Sortir l’exercice
de la démocratie locale du huis clos des institutions, casser
l’exclusivité des médias dans la représentation
et donner à voir, jusque dans la rue, une autre démocratie
qui suscitera l’implication progressive des personnes réputées
exclues des démarches de participation”. Un film vidéo
a été réalisé disponible en DVD ( la-fac@la-fac.org
)
? dans le Nord “Paroles d’habitants” pratique
la “Ballade citoyenne” ou le “Diagnostic en marchant”"
.
? dans l’Isère, l’association “Arpenteurs
“se consacre aux processus démocratiques et durables
de fabrication de la ville, à travers l’animation d’espaces
de débat entre ses acteurs, l’organisation d’évènements
de mobilisation, la programmation d’espaces et d’équipements
publics, des actions de formation, des études-actions et
des réseaux d’échanges d’expériences
.
Brève conclusion
En l’état actuel des travaux on peut dire que, entre
hier et aujourd’hui,
? l’autogestion comme pratique est bien vivante dans un grand
nombre de micro expériences dans des domaines variés
: économie sociale solidaire, services, action sociale, culture
… ; sous divers statuts juridiques : SCOP, SA, SARL et association.
Ces expériences font référence à des
valeurs communes : solidarité, égalité, protection
de l’environnement, développement durable, primat de
l’homme sur le profit, un homme une voix … Si leur présence
dans la société civile est bien réelle, cela
ne conduit pas, au moins pour l’instant, à un projet
politique d’ensemble pouvant modifier toute la société.
Comme si, en quelque sorte, le rêve du grand soir ne pouvait
plus exister et que seule l’action “ici et maintenant”
apportait la satisfaction de se réaliser.
? la démocratie participative, avec toutes les réserves
faites sur le sens de cette appellation , ne relève pas,
telle qu’elle est mise en place par les collectivités
territoriales, de l’autogestion (gérer soi-même),
mais plutôt, et au mieux, de la cogestion de projets entre
des élus détendeurs du pouvoir décisionnel
et une petite minorité d’habitants s’auto désignant.
? les associations, au demeurant toujours très actives bien
qu’ayant du mal à renouveler leurs cadres bénévoles,
les collectifs ou comités mis en place ponctuellement pour
traiter d’un problème spécifique, peuvent fonctionner
en autogestion.
Ces différents constats seront développés.
Des entretiens avec plusieurs élus et militants ayant traversé
le courant autogestionnaire, puis avec des élus et des militants
plus jeunes ne l’ayant pas rencontré directement, permettront
de préciser les éventuels ponts entre autogestion
et participation.
compte rendu rédigé par Pierre Thomé ( etudes3569
at orange.fr )
10 janvier 2009
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