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Origine : http://www.ababord.org/spip.php?article548
Le terme « autogestion » est relativement récent
dans la langue française, car il n’est apparu qu’à
partir de 1960. Il est la traduction littérale d’un
mot serbo-croate, samoupravlje, lui donnant ainsi, au départ,
une connotation historique précise, celle de l’expérience
autogestionnaire yougoslave instaurée à partir des
années 50. Par la suite, durant les années 70, il
sera largement repris par divers courant de gauche un peu partout
dans le monde, pas toujours d`une manière « désintéressée
», ni très précise. Si le mot est récent,
du moins en français, l’idée et la pratique
sont beaucoup plus vieilles, remontant au début du capitalisme
avec la formation des premières coopératives ouvrières
de production dans le cours du XIXe siècle.
L’idéal autogestionnaire embrasse un horizon beaucoup
plus large que la simple sphère économique ou gestionnaire,
car il propose la réalisation effective de la démocratie
en étendant la logique égalitaire et libertaire dans
le domaine du travail, lieu par excellence de la non-liberté.
Le passage de l’hétérogestion (où la
production est contrôlée par d’autres que ceux
et celles qui produisent) à l’autogestion (où
la production est contrôlée collectivement par les
producteurs-productrices) exprime ainsi une rupture radicale avec
le vieil ordre des choses. Toutes les grandes tentatives révolutionnaires
du XXe siècle ont d’ailleurs vu la création
d’organes d’autogestion : soviets et comités
d’usine, conseils ouvriers, communes, etc. Pourtant, nulle
part ces organismes n’ont réussi à survivre
ni même à se généraliser, écrasés
par la répression ou tout simplement « récupérés
». Il faut voir que l’autogestion, tout comme la démocratie,
n’est pas un état de fait que l’on peut décréter,
mais un processus. De l’autogestion des luttes à celle
de la production et de la société, la ligne n’est
pas évidente (« L’autogestion, c’est pas
de la tarte » affirmait Maurice Joyeux, théoricien
anarchiste français) et semée d’embûches.
Mais la généralisation du processus est une condition
nécessaire pour que les institutions autogestionnaires ne
soient pas détruites ou « absorbées ».
Cela pose alors la question du politique, c’est-à-dire
des mesures capables, nationalement et même internationalement,
de favoriser l’épanouissement des pratiques autogestionnaires.
Marx, au sujet des coopératives ouvrières, relevait
que celles-ci permettaient bien de passer du « despotisme
du capital » à un « régime républicain
de production », mais cela seulement dans le cadre limité
de telle ou telle entreprise. Or, « pour que les masses laborieuses
soient affranchies, la coopération devrait prendre une ampleur
nationale, et par conséquent, il faudrait la favoriser avec
des moyens nationaux ». Dans l’esprit de Marx, ces moyens
nationaux n’impliquaient nullement le contrôle étatique
des coopératives mais plutôt des mesures stimulant
l’autonomie ouvrière.
Par delà ces considérations assez théoriques,
il reste la pratique, car les salariéEs ont continué
et continuent de fonder des coopératives de production. Certaines
ont même acquis une taille impressionnante comme le complexe
coopératif de Mondragon au Pays basque. Fondé en 1956,
ce complexe comprenait, en 2003, 218 entreprises dont la moitié
opérait dans le cadre coopératif et il impliquait
68 260 salariéEs. Pourtant, malgré cette extension,
les coopérants de Mondragon ne perçoivent nullement
leur expérience comme une alternative à l’économie
dominante. Comme on peut le lire sur le site officiel de Mondragon
: « Ce n’est nullement notre intention. Nous croyons,
tout simplement, que nous avons développé une manière
de rendre l’entreprise plus humaine et participative. Une
démarche qui, de plus, cadre bien avec les modèles
de gestion les plus évolués et actuels, qui tiennent
de plus en plus compte de la personne-travailleur, comme premier
actif et principal différentiel de l’entreprise moderne
» (www.mondragon.mcc.es).
Au Québec, le mouvement coopératif a été
longtemps sous la tutelle idéologique du clergé qui
y voyait comme une « troisième voie » entre le
libéralisme et le communisme. Cependant, à partir
des années 60 et 70, en lien avec la montée des luttes
ouvrières et populaires, les coopératives ouvrières
de production se dégagent de cette tutelle et connaissent
une relative expansion. L’expérience la plus connue
au cours de cette période (en parallèle, il faut le
noter, avec une autre expérience qui se déroulait
en France et impliquant les salariés de l’usine horlogère
de LIP) est celle de Tricofil. La Société populaire
Tricofil Inc. était une usine autogérée se
spécialisant dans la fabrication de tissus et dans la confection
de vêtements. Elle est née de l’initiative de
travailleurs décidés à conserver leurs emplois
suite à la fermeture de la Regent Knitting Mills Ltd. de
St-Jérôme. Appuyés par leur syndicat et soutenus
en partie par le gouvernement du Québec, ces travailleurs
ont entrepris de relancer l’usine en 1975. Le projet a duré
sept années. Les difficultés financières, organisationnelles
et humaines, l’insécurité des travailleurs et
finalement la crise de l’industrie textile de même que
la récession des années 80 ont eu raison de Tricofil.
En février 1982, le collectif des travailleurs fermait le
projet sur recommandation du conseil d’administration.
On a là, en pleine lumière, les principaux obstacles
auquel se heurte l’autogestion pratiquée jusqu’à
maintenant : isolement et environnement économique et politique
défavorable. Outre ces considérations, il faut noter,
comme le soulignait Marcel Sévigny, un des initiateurs d’une
coopérative de solidarité dans le sud-ouest de Montréal,
que l’autogestion implique aussi de profonds changements culturels
et psychologiques face aux comportements acquis par rapport au travail.
Être autonome n’est pas donné, cela s’acquiert
péniblement. Par ailleurs, toujours selon Marcel Sévigny,
le vide théorique sur ce sujet au Québec, après
la floraison des années 70-80 (entre autres avec la revue
Possibles), ne favorise guère des avancées pratiques.
Pourtant, avec la montée du mouvement altermondialiste et
des enjeux auxquels celui-ci est confronté, la nécessité
de revenir sur ces thèmes est cruciale. Postuler qu’un
autre monde est possible amène, inéluctablement, à
proposer une autre production et une autre économie. C’est
en ce sens que l’autogestion, vieille idée, est promise
à un bel avenir.
Christian Brouillard
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