|
Origine :
http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7674.html
Zánon est l’usine de céramiques la plus importante
d’Argentine. Elle est située à Neuquén,
à 2 000 km de Buenos Aires. Elle a atteint aujourd’hui
une production de 400 000 m2 de céramiques par mois et exporte
depuis peu au Chili. Une usine parmi tant d’autres ? Certainement
pas. Son histoire, son mode de fonctionnement, son implantation
dans l’action communautaire et le fait qu’elle n’a
pas de patron font de cette entreprise à haute technologie
la preuve vivante qu’une autre relation au travail, un autre
mode de production, une autre vie en somme, sont possibles…
et ce malgré les nombreuses attaques auxquelles elle a dû
et doit encore faire face.
Quelques éléments historiques
L’Argentine a été secouée par une grave
crise financière, politique, économique et sociale
dans les années 1990 qui culmine en 2001 et qui est symbolisée
par le mouvement des piqueteros (les chômeurs bloquent les
routes pour manifester leur mécontentement) et les manifestations
spontanées de masse (les cazerolas (1)). La majorité
des Argentins cherchaient à survivre au jour le jour et,
à partir de ce drame, de vives critiques contre le système
économique capitaliste se sont fait entendre et des alternatives,
notamment dans le domaine de l’économie sociale et
solidaire, ont vu le jour. C’est ainsi que de nombreuses entreprises
menacées de fermer ont été récupérées
par leurs ouvriers. L’Argentine en compte aujourd’hui
plus de 200.
La spécificité de Zánon est que le syndicat
a aussi été récupéré par ses
propres travailleurs. En effet, en Argentine, certains syndicats
(et non des moindres) avaient plus tendance à défendre
les patrons que les ouvriers, les patrons n’hésitant
pas à soudoyer les dirigeants syndicaux pour s’assurer
de leur obédience. Dès 1998, alors que la répression
interne se renforce à l’intérieur de l’usine
Zánon qui compte quelque 300 employés, l’élection
de la nouvelle direction syndicale change la donne puisque les bureaucrates
traditionnels ont été écartés. Un bras
de fer s’amorce avec la direction de l’entreprise qui
n’hésite pas à intensifier les rythmes de travail,
jusqu’à ce qu’un employé de 22 ans meure
dans l’entreprise, sans avoir bénéficié
d’une assistance médicale. Suite à une grève
et l’accumulation de retards de paiement, la direction ferme
l’usine en septembre 2001. Mais les employés refusent
leur licenciement et occupent l’usine pendant cinq mois. En
mars 2002, la production des biens se fait « sous contrôle
ouvrier » et en juillet 2002 Zánon (transformée
en coopérative et renommée FaSinPat, acronyme de Fábrica
sin patrones, usine sans patron (2)) atteint la production de 120
000 m2 de céramiques, soit la moitié de ce qu’elle
produisait quelques années avant.
Un fonctionnement démocratique, participatif et
horizontal
Les salaires sont uniques, quelque soit le poste occupé
ou le degré de responsabilité. Il n’y a pas
de hiérarchie et le fonctionnement de l’entreprise
se base sur la responsabilité de chaque ouvrier et la confiance
mutuelle. L’usine s’organise autour de commissions de
ventes, d’administration, de sécurité, de production,
de planification, de sécurité et hygiène et
de presse. « Tout le processus et toutes les décisions
sont aux mains des travailleurs », peut-on lire dans la brochure
« Zánon sous contrôle ouvrier ».
Grâce aux universités de Comahue (Neuquén)
et de Buenos Aires, le processus de fabrication est modernisé
et les accidents du travail sont fortement réduits.
L’usine comporte 36 secteurs, qui font les trois huit, et
chacun d’entre eux élit un coordinateur, chargé
de résoudre les éventuels conflits. L’entreprise
fonctionne ainsi sur un mode démocratique, participatif et
horizontal. Une fois par mois est organisée une journée
de discussion sur le fonctionnement de l’usine, mais également
sur les questions politiques et sociales plus larges. Tous les travailleurs
doivent arriver 15 minutes avant le début de leur journée
de travail et repartir 15 minutes après la fin de leur temps
de travail, de façon à s’informer sur les dernières
nouveautés. La productivité a augmenté sous
ce mode d’organisation et chaque travailleur peut enfin donner
du sens à ce qu’il fait quotidiennement et en tirer
une fierté certaine. Comme le précise Carlos Saavedra,
« les heures ne veulent pas dire la même chose qu’avant.
Avant, je travaillais 12 heures et je rentrais à la maison
exploité, détruit. Aujourd’hui, si je rentre
fatigué, c’est un autre genre de fatigue. Parce qu’au
fond de toi, tu es traversé par un sentiment de satisfaction
qui est parfois difficile à expliquer. »
Un ancrage essentiel dans la communauté
Une autre originalité à souligner est l’ancrage
de Zánon et de ses travailleurs dans la communauté,
car les ouvriers considèrent que les bénéfices
de leur entreprise doivent être investis dans leur quartier.
Ils saluent ainsi également le soutien que leur communauté
leur a témoigné pendant leur lutte d’occupation
et de récupération. Les habitants du quartier n’ont
pas hésité à encercler l’usine en 2003
pour empêcher que la police ne vienne déloger les grévistes.
Les ouvriers de Zánon ont ainsi multiplié les dons
de céramiques à des hôpitaux, écoles,
centres de santé, divers foyers, aux indigènes et
autres groupes défavorisés. Le recrutement de nouveaux
travailleurs, quand l’opportunité se présente,
se fait également dans la communauté et vise en général
les jeunes en difficulté.
La solidarité avec les indigènes mapuches (traditionnellement
réprimés et exploités par les entreprises de
céramiques) est également devenue un élément
important pour les ouvriers de l’entreprise. En effet, dès
que ces derniers avaient occupé l’usine, la communauté
mapuche avait mis à leur disposition leurs carrières
d’argile.
Les ouvriers de Zánon ont ouvert un site internet (3), animent
une émission de radio et publient un journal mensuel, diffusé
sur tout le territoire (intitulé Nuestra lucha). Leur but
est de mutualiser les connaissances sur les entreprises récupérées
et de faire partager leurs expériences.
L’enjeu actuel est d’obtenir l’étatisation
de l’usine car l’exploitation commerciale par la coopérative
a été remise en cause en octobre 2007 par la Cour
d’appel du Tribunal commercial n°9 de Buenos Aires qui
accorde à cette coopérative une gestion jusqu’en
octobre 2008, suite à une plainte des créanciers de
Zánon. Le recours en appel devant la Cour suprême de
justice ayant échoué, les ouvriers de Zánon
continuent leur lutte pour l’autogestion ouvrière.
La solidarité internationale leur est plus que nécessaire.
(1) Suite au blocage de nombreux comptes bancaires à cette
époque, les manifestant-e-s tapaient sur des casseroles pour
exprimer leur colère devant la gestion calamiteuse des élites
politiques, toute tendance confondue, du pays, en criant «
Que se vayan todos » (« Qu’ils s’en aillent
tous ») et pour symboliser la grave crise alimentaire qui
les menaçait, alors que 54 % des Argentins vivaient sous
le seuil de pauvreté.
(2) Mais nous continuerons à l’appeler Zanón
pour simplifier.
(3) www.obrerosdezanon.com.ar
Cette fiche est un résumé de l’article de Raul
Zibechi, « Les céramiques Zánon : un autre monde
est possible », publié dans l’ouvrage collectif
Produire de la richesse autrement : usines récupérées,
coopératives, micro-finance,… les révolutions
silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions
du CETIM, Genève. ISBN 2-88053-059-5, 6 € - 10 CHF.
Raul Zibechi est un journaliste, commentateur et écrivain
uruguayen. Il est responsable de la section internationale au sein
de l’hebdomadaire Brecha, édité à Montevideo.
Il est l’auteur de plusieurs livres sur les mouvements sociaux,
dont Genealogía de la revuelta. Argentina : una sociedad
en movimiento et Dispersar el poder.
CETIM (Centre Europe - Tiers Monde) - 6 rue Amat, 1202 Genève,
SUISSE - Tél. +41 (0)22 731 59 63 - Fax +41 (0)22 731 91
52 - Suisse - www.cetim.ch - cetim (@) bluewin.ch
|
|