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Origine : http://endehors.org/news/9613.shtml
Modèle, d'organisation sociale, concept revendiqué
(et souvent déformé) par certains syndicats, l'autogestion,
pour le plus grand nombre, demeure une idée floue, voire
une pure utopie. Cependant, certaines expériences récentes
nous rappellent qu'elle demeure d'actualité. La parution,
ces jours derniers, de la brochure L'Autogestion anarchiste, nous
fournit l'occasion de revenir sur ces pratiques, tout en ébauchant
quelques pistes de réflexion. Un dossier réalisé
en collaboration avec les Éditions du Monde libertaire.
Quel es ton parcours syndical ?
Suite au concours de facteur, dès que j'ai été
nommé ( à Lyon RP ), j'ai adhéré à
une organisation syndicale qui me paraissant à l'époque
la plus combative et qui se réclamait de l'autogestion, à
savoir la CFDT. C'était en février 77.
Pourtant, quelques mois plus tard, mon syndicat, le syndicat PTT
du Rhône, connaîtra un conflit interne mené par
les bureaucrates. Le bureau syndical a suspendu la commission exécutive
de la section syndicale des centres de tri - qui était une
section syndicale parmi les plus importantes (plus de 100 adhérents)
et les plus combatives. Cette section se revendiquait de l'autogestion;
au bureau de section et à la commission exécutive,
siégeaient déjà des anarcho-syndicalistes.
Le prétexte invoqué était que celte-ci avait
appelé à manifester à Malville, contre le surgénérateur
nucléaire Superphénix, en juillet 1977. À cette
époque, le centre de tri de Lyon-Gare connaissait également
une restructuration (mise en place de l'automatisation du tri) et,
avec la décapitation de la section syndicale, c'était
un mauvais coup porté aux intérêts des travailleurs.
Après un an de luttes, les bureaucrates ont eu le dessus.
Des camarades ont alors pensé qu'il fallait créer
une nouvelle structure syndicale: le SAT, Syndicat autogestionnaire
des travailleurs, en 1978. Dès le départ, le SAT a
regroupé une cinquantaine de travailleurs des centres de
tri du Rhône. Bien que n'étant pas reconnu par la direction,
le SAT a mené des luttes dures. Nous avions de l'influence
et de la force, car nous étions à l'écoute
des travailleurs ; on organisait souvent des assemblées générales,
les cahiers de revendications étaient élaborés
après consultation de tout le monde... Ce sont des pratiques
autogestionnaires aussi. C'est l'outil syndical qui portait les
revendications, mais c'était la base qui exprimait ses souhaits.
Cette pratique du SAT a été menée jusqu'en
1985 où un débat a traversé l'organisation.
C'était un syndicat localiste qui n'avait pas d'équivalent
ailleurs, même si on avait des contacts avec le syndicat parisien
SDB (Syndicat démocratique des banques), ou un syndicat d'Usinor
Dunkerque et même la CNT, qui était groupusculaire
à l'époque. Le SAT a crevé de ce corporatisme,
de ce localisme, de ce manque de développement. Lorsqu'on
l'a fondé, on a pensé que d'autres SAT allaient se
créer partout, et qu'il aurait été possible
de les fédérer. D'autre part, beaucoup de militants
du SAT ont subi la répression de la direction: moi-même,
j'ai été rétrogradé, muté d'office...
mais quand on fait du syndicalisme, on en paye les conséquences,
on sait que c'est le prix de la liberté!
Donc, des camarades du SAT pensaient qu'il fallait retourner dans
les organisations réformistes, de masse... Ils étaient
prêts à retourner à la CFDT qui avait même
abandonné les références à l'autogestion!
D'autres pensaient qu'il fallait privilégier cette piste
du syndicalisme révolutionnaire et autogestionnaire, et les
contacts que l'on avait avec des camarades de la CNT qui avaient
envie de s'implanter sérieusement nous ont convaincus. Nous
fûmes une quinzaine à faire ce choix-là. C'était
en décembre 1985. Au fil du temps, l'implantation de la CNT
s'est élargie, malgré la répression syndicale
et les restructurations.
Selon toi, pourquoi les organisations syndicales ne pratiquent-elles
pas l'autogestion?
Aujourd'hui, les grandes confédérations, dans les
plus grosses boîtes du privé comme du public - leurs
bastions -, ont, pour fonctionner, les cotisations des adhérents,
mais aussi des permanents, et des agents détachés
par les administrations et directions des entreprises. C'est un
syndicalisme qui est de plus en plus intégré. Si le
syndicalisme dépend des permanents, le syndiqué ne
contrôle plus son organisation; le permanent, qui ne connaît
plus les problèmes des travailleurs, prend des décisions
en leur nom. Ce syndicalisme-là repose sur des gens qui sont
déconnectés de la réalité quotidienne
des salariés, côtoient souvent les directions car ils
siègent de commission en réunion où rien d'important
ne se décide. Leur rôle est consultatif, les décisions
ont déjà été prises, ailleurs. Comme
la création de la Banque postale, aujourd'hui.
Le côté massif de ces organisations syndicales n'amène
pas la nécessité des permanents?
Je ne crois pas. Qu'une organisation de taille importante embauche
des camarades uniquement pour des tâches techniques, sous
contrôle des syndiqués, même si cela ne va pas
sans poser des problèmes, de rapports de subordination par
exemple, je n'y suis pas opposé. Par contre, aujourd'hui,
les permanents sont politiques et prennent des décisions,
ce n'est pas compatible avec une organisation autogérée.
En même temps, s'il y a des permanents, c'est aussi parce
que lorsqu'ils travaillent à temps plein, les salariés,
les syndiqués n'ont pas toujours envie de s'occuper des affaires
qui les concernent et ils préfèrent souvent déléguer
leur représentation à des bureaucrates. Ils n'ont
plus alors qu'à obéir aux consignes, même si
souvent ils râlent. Il faudrait donc dégager du temps
de travail pour permettre à un maximum de personnes de prendre
en main ce qui les regarde. À la CNT, on utilise uniquement
les détachements syndicaux pour assurer et permettre de réunir
des congrès; toutes les autres réunions se font en
dehors du temps de travail, comme autrefois au SAT.
Comment concrétises-tu les pratiques autogestionnaires dans
ta pratique syndicale?
D'abord, je crois que, pour cela, il faut avoir envie de renverser
cette société qui repose sur l'exploitation de l'homme
par l'homme. On ne peut pas instaurer une société
autogestionnaire dans le cadre de ce système. Ce doit être
clair. C'est pour cela que les pratiques autogestionnaires développées
par la CFDT ont failli, et cette organisation est devenue ce que
lori sait. Or, c'est aux travailleurs qui font fonctionner la société,
chacun à leur niveau, qu'il revient de gérer cette
société. Il faut que le syndicalisme qui souhaite
avoir des pratiques autogestionnaires veuille une société
qui donnera aux producteurs le contrôle et la gestion de cette
société-là. Ça, ce sont les grands objectifs.
Maintenant, concrètement et au quotidien, il faut que les
décisions soient élaborées à la base,
que les gens soient syndiqués ou non, en tenant en compte
des intérêts de toutes les catégories de travailleurs,
il ne faut pas les opposer, exprimer des revendications unifiantes,
en demandant des mesures égalitaires. Aujourd'hui, la lutte
pour les augmentations de salaire est quelque chose d'indispensable;
plutôt que de se battre pour des pourcentages qui ne profitent
surtout qu'à ceux qui ont les salaires les plus élevés,
il fâut se battre pour des augmentations uniformes comme le
propose la CNT. Ou pour des augmentations inversement proportionnelles
aux salaires, c'est-à dire plus fortes pour les bas salaires
que pour les salaires élevés. Même si ça
heurte certaines personnes.
Tout doit être mis sur la table, discuté, avec tout
le monde, même si ce n'est pas facile de réunir les
salariés, en dehors du temps de travail, en dehors des périodes
de luttes, pour décider de tout cela. Mais c'est indispensable
aussi. Souvent, on me dit: «Toi, tu es compétent, on
te fait confiance. » C'est le piège à éviter.
Quel est le lien entre anarchosyndicalisme et autogestion?
L'anarchosyndicalisme est un outil pour changer cette société
inique. C'est aussi un outil pour défendre les revendications
immédiates, qui ne sont pas révolutionnaires en soi.
Mais c'est à partir de ces revendications que, dans la lutte,
se forgent des pratiques qui, le jour venu, dans vingt, trente ou
cinquante ans, permettront de gérer toute la société,
au travail, dans la commune, à tous les échelons,
car l'autogestion ne se résume pas à la gestion d'une
entreprise.
Qu'est-ce que l'autogestion amène à ta pratique syndicale?
je ne crois pas qu'il y ait des hommes ou des femmes qui soient
à l'abri de dérives, même les meilleurs d'entre
nous peuvent se comporter comme les pires des bureaucrates. C'est
Louise Michel qui disait: « Le pouvoir est maudit, c'est pour
cela que je suis anarchiste. » C'est donc une remise en cause
permanente, je suis délégué syndical dans la
boîte où je travaille, mais lorsque je prends la parole
au nom des travailleurs, il faut bien que cela soit en leur nom,
pas au mien. je dois donc consulter mes collègues de travail,
même si eux aussi peuvent se tromper: parfois, je suis en
total désaccord avec eux. je dois donc leur expliquer en
quoi telle ou telle proposition de la direction peut mettre en danger
des droits ou des statuts.
Mais, en permanence, il faut organiser des réunions pour
que tout le monde puisse prendre des décisions, être
mis au courant, prendre la parole. Et, parfois, on a de mauvais
réflexes en prenant une décision sans consultation.
D'où la nécessité d'une section syndicale,
qui est là aussi pour dire: « Eh dis donc camarade,
on aimerait être consulté un peu là! »
C'est pour cela qu'il faut former
maximum de personnes à cette pratique-là Une organisation
la plus révolutionnaire q soit peut prendre des décisions
sans consulter la base. La CNT en Espagne a dû faire de conneries
monumentales dans le feu de l'action, par manque de temps, etc.
Il faut de volonté! Si la rotation des tâches est dure
mettre en place, à la CNT, elle l'est certain ment plus fortement
ailleurs.
As-tu gagné dès gens à la cause autogestionnaire?
C'est difficile de répondre. Je crois beaucoup la valeur
de l'exemple, on ne peut pas av une conduite de bureaucrate et un
disco libertaire. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'adhésion
en masse vers les organisations se réclamant de l'autogestion,
mais il ne faut p désespérer, car je pense que c'est
uniquement par les luttes sociales et syndicales que no arriverons
à inverser la tendance actuelle certainement pas par les
luttes électorales politiciennes.
La tâche est immense et nous devons no y atteler sans relâche.
Le Monde libertaire #1424 du 2 au 8 février 2006
Mis en ligne par libertad, le Lundi 13 Février 2006, 21:17
dans la rubrique "Pour comprendre".
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