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Origine : http://infokiosques.net/spip.php?article=310
Le système social dont il est question ici pourrait être
appelé du nom de communisme si ce nom n’était
utilisé dans la propagande mondiale du « Parti communiste
» pour désigner son système de socialisme d’Etat,
sous une dictature du parti. Mais qu’est-ce qu’un nom
? On abuse toujours des noms pour tromper les masses : les sons
familiers les empêchant de penser d’une manière
critique et d’apprécier clairement la réalité.
Donc, au lieu de chercher le nom qui convient, il sera plus utile
d’examiner de plus près la caractéristique principale
du système : l’organisation des conseils.
Les conseils ouvriers sont la forme d’auto-gouvernement qui
remplacera, dans les temps à venir, les formes de gouvernement
de l’ancien monde. Bien entendu, pas pour toujours ; aucune
de ces formes n’est éternelle. Quand la vie et le travail
en communauté constituent une façon d’être
normale, quand l’humanité contrôle entièrement
sa propre vie, la nécessité fait place à la
liberté et les règles strictes de justice établies
auparavant se résolvent en un comportement spontané.
Les conseils ouvriers sont la forme d’organisation de la période
de transition pendant laquelle la classe ouvrière lutte pour
le pouvoir, détruit le capitalisme et organise la production
sociale. Pour connaître leur véritable caractère,
il sera utile de les comparer aux formes existantes d’organisation
et de gouvernement, que la coutume présente à l’esprit
public comme allant de soi.
Les communautés trop vastes pour se réunir en une
seule assemblée règlent toujours leurs affaires au
moyen de représentants, de délégués.
Ainsi, les citoyens des villes libres du Moyen Age se gouvernaient
par des conseils de villes et les bourgeoisies de tous les pays
modernes ont leurs parlements, à l’exemple de l’Angleterre.
Lorsque nous parlons de l’administration des affaires par
des délégués élus, c’est toujours
aux parlements que nous pensons ; c’est donc surtout aux parlements
que nous devons comparer les conseils ouvriers si nous voulons discerner
leurs traits essentiels. Il est évident qu’étant
donné les grandes différences qui existent tant entre
les classes qu’entre leurs objectifs, les corps représentatifs
correspondants doivent être eux aussi essentiellement différents.
Cette différence saute aux yeux dès l’abord
: les conseils ouvriers s’occupent du travail et doivent régler
la production, alors que les parlements sont des corps politiques
qui discutent et décident des lois et des affaires de l’Etat.
La politique et l’économie, cependant, ne sont pas
des domaines entièrement séparés. En régime
capitaliste, l’Etat et le parlement prennent les mesures et
font les lois nécessaires à la bonne marche de la
production ; ils pourvoient à la sécurité du
négoce et des affaires, à la protection du commerce,
de l’industrie, des échanges et des déplacements
à l’intérieur et à l’étranger
; à l’administration de la justice, à la monnaie
et à l’uniformité des poids et mesures. Et leurs
taches politiques, qui, à première vue, ne semblent
pas liées à l’activité économique,
sont en rapport avec les conditions générales de la
société, avec les relations entre les différentes
classes, qui constituent le fondement du système de production.
Ainsi, la politique, l’activité des parlements, peut,
au sens large, être considérée comme un auxiliaire
de la production.
Où est alors, en régime capitaliste, la distinction
entre la politique et l’économie ? Leurs rapports sont
les mêmes que ceux qui existent entre la réglementation
générale et la pratique concrète. La tache
de la politique est d’établir les conditions sociales
et légales dans lesquelles le travail productif peut s’effectuer
régulièrement, ce travail lui-même étant
la tâche des citoyens. Ainsi, il y a division du travail.
La réglementation générale, bien qu’elle
soit une base nécessaire, ne constitue qu’une part
mineure de l’activité sociale, un accessoire du travail
proprement dit, et peut être lassée à une minorité
de politiciens dirigeants. Le travail productif lui-même,
base et contenu de la vie sociale, est constitué des activités
séparées de nombreux acteurs et absorbe entièrement
leurs vies. La part essentielle de l’activité sociale
est la tâche personnelle. Si chacun s’occupe de son
propre travail, et s’acquitte de sa tâche, la société
dans son ensemble marche bien. De temps en temps, à intervalles
réguliers, au moment des élections législatives,
les citoyens doivent donner leur attention aux réglementations
générales. Ce n’est qu’aux époques
de crises sociales, de décisions fondamentales et de controverses
sévères, de guerre civile de révolution, que
la masse des citoyens a dû consacrer tout son temps et toutes
ses forces à ces réglementations générales.
Les questions fondamentales réglées, les citoyens
pouvaient retourner à leurs occupations particulières,
et laisser une fois de plus ces affaires générales
a la minorité d’experts, aux juristes et aux politiciens,
au parlement et au gouvernement.
Tout autre est l’organisation de la production commune par
les conseils ouvriers. La production sociale n’est pas divisée
en une quantité d’entreprises séparées
dont chacune est l’œuvre limitée d’une personne
ou d’un groupe ; elle constitue une totalité cohérente,
objet de l’attention de la totalité des travailleurs,
occupant leurs esprits en tant que tâche commune à
tous. La réglementation générale n’est
plus une affaire accessoire, abandonnée à un petit
groupe de spécialistes : c’est le problème principal,
qui exige l’attention conjuguée de tous. Il n’y
a plus séparation entre la politique et l’économie,
autrefois activités quotidiennes d’un corps de spécialistes,
d’une part, et de la masse des producteurs d’autre part.
Pour la communauté indivise des producteurs, politique et
économie ont fusionné ; il y a unité de la
réglementation générale et du travail pratique
de production. Cette totalité est l’objectif essentiel
de tous.
Ce caractère se reflète dans toute pratique. Les
conseils ne gouvernent pas, ils transmettent les opinions, les intentions,
la volonté des groupes de travail. Non pas, certes, comme
des commissionnaires indifférents qui portent passivement
lettres et messages dont ils ne connaissent rien. Ils ont pris part
aux discussions, ils se sont distingués comme porte-parole
ardents des opinions qui ont prévalu. De sorte que, comme
délégués d’un groupe, ils ne sont pas
seulement capables de défendre ses idées à
la réunion du conseil, mais encore ils sont suffisamment
impartiaux pour être ouverts à d’autres arguments,
et pour présenter à leur groupe des opinions ayant
une plus large audience. Les conseils sont donc les organes de discussions
et du communications sociales.
La pratique parlementaire est exactement à l’opposé.
Les délégués doivent prendre des décisions
sans consulter leurs électeurs, sans être liés
par un mandat. Le député, pour garder la fidélité
de ses mandants, peut daigner leur parler et leur exposer sa ligne
de conduite, mais il le fait en tant que maître de ses propres
actes. Il vote comme sa conscience et son honneur le lui imposent,
eu égard à ses propres opinions. C’est bien
naturel : il est expert en matière politique, le spécialiste
des questions législatives, et il ne peut se laisser guider
par les directives de gens ignorants. La tâche de ces derniers,
c’est la production, leurs occupations particulières
; la sienne, c’est la politique, les réglementations
générales. Il doit être guidé par de
grands principes politiques, et non se laisser influencer par l’égoïsme
étroit des intérêts privés de ses mandants.
C’est ainsi que, dans le capitalisme démocratique,
il est possible à des politiciens élus par une majorité
de travailleurs de servir les intérêts de la classe
capitaliste.
Les principes du parlementarisme ont aussi pris pied dans le mouvement
ouvrier. Dans les organisations syndicales de masse, ou dans des
organisations politiques géantes comme le parti social-démocrate
allemand, les dirigeants agissaient comme une sorte de gouvernement,
avec pouvoir sur les membres, et leurs congrès annuels prenaient
l’allure de parlements. Les dirigeants les appelaient avec
fierté des parlements du travail, pour souligner leur importance
; et les observateurs critiques faisaient remarquer que la lutte
des factions, la démagogie des dirigeants, les intrigues
de couloir étaient des signes de cette dégénérescence,
déjà apparue dans les véritables parlements.
Et de fait, c’étaient des parlements, de par leur caractère
fondamental. Pas au début, quand les syndicats étaient
petits et que des membres dévoués faisaient tout le
travail eux-mêmes, et presque toujours gratuitement. Mais
avec l’augmentation des effectifs apparut la même division
du travail que dans la société en générale.
Les masses travailleuses devaient donner toute leur attention à
leurs intérêts personnels particuliers, à la
façon de trouver et de garder un emploi. C’était
là le contenu principal de leur vie et de leur esprit ; ce
n’est que d’une manière très générale
qu’elles devaient en outre décider par vote de leurs
intérêts communs de classe et de groupe. Le détail
de la pratique était laissé aux experts, aux fonctionnaires
des syndicats et aux dirigeants des partis, qui savaient comment
s’y prendre avec les patrons capitalistes et les ministres.
Et seule une minorité de dirigeants locaux était suffisamment
au courant de ces intérêts généraux pour
être envoyée comme délégués aux
congrès où, malgré les mandats pouvant impératifs,
chacun votait en fait selon son propre jugement.
Dans l’organisation des conseils, la domination des délégués
sur leurs mandants disparaît, parce que la base de cette domination,
la division des tâches a disparu. Alors, l’organisation
sociale du travail oblige chaque ouvrier à accorder toute
son attention à la cause commune, à la totalité
de la production. Comme auparavant, la production de ce qui est
nécessaire à la vie comme fondement de la vie même,
occupe l’esprit autrement. Mais il ne s’agit plus de
la préoccupation de chacun pour sa propre entreprise, son
propre emploi, en concurrence avec les autres. Car la vie et la
production ne peuvent être assurées que par la collaboration,
par le travail collectif entre compagnons. Ce travail collectif
domine donc la pensée de chacun. La conscience de la communauté
forme le fond et la base de tout sentiment et de toute pensée.
Il s’agit là d’une révolution totale
dans la vie spirituelle de l’homme. Il apprend à voir
la société. Il sait ce qu’est la communauté
dans son essence. Auparavant, en régime capitaliste, sa vision
se limitait à ce qui concernait ses affaires, son travail,
sa famille et lui-même. Il ne pouvait en être autrement,
car de cela dépendait son existence. La société
n’était pour lui qu’un arrière-plan obscur
et inconnu, derrière son petit monde visible. Et certes,
il subissait ces forces puissantes, qui déterminaient l’issue
heureuse ou la faillite de son travail. Mais, guidé par la
religion, il voyait en ces forces l’œuvre de puissances
suprêmes surnaturelles. Dans le monde des conseils ouvriers,
au contraire, la société apparaît en pleine
lumière, transparente et connaissable ; la structure du processus
social du travail n’est plus dissimulée aux yeux de
l’homme ; son regard embrasse la production dans sa totalité
; c’est cela qui est nécessaire à sa vie, à
son existence. La production sociale est alors devenue l’objet
d’une organisation consciente. La société est
dans la main de l’homme ; il agit sur elle, il en comprend
donc la nature essentielle. Ainsi, le monde des conseils ouvriers
transforme l’esprit.
En régime parlementaire, qui est le système politique
des entreprises indépendantes, le peuple est constitué
d’une multitude de personnes séparées ; au mieux,
selon la théorie démocratique, chacun se proclama
investi des mêmes droits naturels. Pour l’élection
des délégués, les gens sont groupés
selon leur résidence, en circonscriptions. Aux premiers temps
du capitalisme, il pouvait y avoir une certaine communauté
d’intérêts entre voisins d’une même
ville ou d’un même village, ce qui devint de plus en
plus, à mesure que le capitalisme se développait,
une fiction dépourvue de sens. Les artisans, les commerçants,
les capitalistes, les ouvriers qui habitent le même quartier
ont des intérêts différents et opposés
; ils votent en général pour des partis différents,
et une majorité de hasard remporte la victoire. Bien que
la théorie parlementaire considère l’élu
comme le représentant d’une circonscription, il est
clair que tous ces électeurs ne forment pas un groupe qui
l’a délégué pour représenter ses
désirs.
Sur ce point, l’organisation des conseils est tout fait le
contraire du parlementarisme. Ce sont les groupes naturels, les
ouvriers qui travaillent ensemble, le personnel d’une entreprise
qui agissent en tant qu’unités et désignent
leurs délégués. Ils peuvent trouver parmi eux
des représentants réels et des porte-parole, parce
qu’ils ont des intérêts communs et font partie
d’un tout dans la « praxis » de la vie quotidienne.
La démocratie complète est réalisée
par l’égalité des droits de tous ceux qui participent
au travail. Evidemment, ceux qui restent an marge du travail n’ont
pas voix au chapitre en ce qui concerne son organisation. On ne
peut considérer comme un manque de démocratie que,
dans ce monde où les groupes à l’intérieur
desquels tous collaborent, se gouvernent eux-mêmes, ceux qui
ne s’intéressent pas au travail - et le capitalisme
an laissera beaucoup, exploiteurs, parasites, rentiers - n’aient
pas part aux décisions.
Il y a soixante-dix ans, Marx signalait qu’entre le règne
du capitalisme et l’organisation finale d’une humanité
libre, il y aurait une période de transition où la
classe ouvrière serait maîtresse de la société,
mais où la bourgeoisie n’aurait pas encore disparu.
Il appelait cet état de choses la dictature du prolétariat.
A son époque, ce mot n’avait pas encore la résonance
sinistre que lui ont donné les systèmes modernes de
despotisme, et on ne pouvait pas l’employer abusivement pour
la dictature d’un parti au pouvoir, comme plus tard en Russie.
Il signifiait seulement domination de la société passant
de la classe capitaliste à la classe ouvrière. Plus
tard, des gens entièrement acquis aux idées du parlementarisme
essayèrent de matérialiser cette conception en ôtant
aux classes possédantes la liberté de former des groupements
politiques. Il est évident que cette violation du sentiment
instinctif de l’égalité de droits était
contraire à la démocratie. Nous voyons aujourd’hui
que l’organisation des conseils met en pratique ce que Marx
avait anticipé en théorie, mais dont on ne pouvait
à l’époque concevoir la forme pratique. Quand
la production est organisée par les producteurs eux-mêmes,
la classe exploiteuse d’autrefois est automatiquement exclue
de la participation aux décisions, sans autre forme de procès.
La conception de Marx de la dictature du prolétariat apparaît
comme identique à la démocratie ouvrière de
l’organisation des conseils.
Cette démocratie ouvrière n’a rien de commun
avec la démocratie politique du système social précédent.
Ce qu’on a appelé démocratie politique du capitalisme
était un simulacre de démocratie, un système
habile conçu pour masquer la domination réelle du
peuple par une minorité dirigeante. L’organisation
des conseils est une démocratie réelle, la démocratie
des travailleurs, où les ouvriers sont maîtres de leur
travail. Dans l’organisation des conseils, la démocratie
politique disparaît parce que la politique elle-même
disparaît, cédant la place à l’économie
socialisée. La vie et le travail des conseils, formés
et animés par les ouvriers, organes de leur coopération,
consistent dans la gestion pratique de la société,
guidée par la connaissance, l’étude permanente
et une attention soutenue.
Toutes les mesures sont prises au cours d’échanges
constants, par délibération dans les conseils et discussion
dans les groupes et ateliers, par des actions dans les ateliers
et des décisions dans les conseils. Ce que l’on arrive
à faire dans de telles conditions ne pourrait jamais être
commandé d’en haut, ou ordonné par la volonté
d’un gouvernement. La source en est la volonté commune
de tous ceux qui sont en cause, car l’action est fondée
sur l’expérience et la connaissance du travail de tous,
et elle influence profondément la vie de chacun. Les décisions
ne peuvent être exécutées que si les masses
les considèrent comme l’émanation de leur propre
volonté ; une contrainte étrangère ne peut
pas les faire respecter, simplement parce qu’une telle force
n’existe pas. Les conseils ne sont pas un gouvernement ; même
les conseils les plus centralisés n’ont pas un caractère
gouvernemental, car ils n’ont aucun moyen d’imposer
leur volonté aux masses ; ils n’ont pas d’organes
de pouvoir. Tout le pouvoir social appartient aux travailleurs eux-mêmes.
Partout où l’exercice du pouvoir est nécessaire
- contre des troubles ou des attaques à l’ordre existant
- il émane des collectivités ouvrières dans
les ateliers et reste sous leur contrôle.
Pendant toute l’ère civilisée et jusqu’à
nos jours, les gouvernements ont été nécessaires
comme instruments permettant à la classe dirigeante de garder
sous sa coupe les masses exploitées. Ils assumaient aussi
des fonctions administratives de plus en plus importantes ; mais
leur caractère principal de forme organique du pouvoir était
déterminé par la nécessité de maintenir
une domination de classe. Quand cette nécessité disparaît,
son instrument disparaît aussi. Ce qui reste, c’est
l’administration, qui est une sorte de travail parmi beaucoup
d’autres, la tâche d’une espèce particulière
de travailleurs ; ce qui prend la place du gouvernement, c’est
l’esprit de vie de l’organisation, la discussion constante
des ouvriers, qui pensent en commun à leur cause commune.
Ce qui impose l’accomplissement des décisions des conseils,
c’est leur autorité morale. Et dans une telle société,
l’autorité morale a un pouvoir bien plus rigoureux
que les ordres ou la contrainte d’un gouvernement.
A l’époque des gouvernements au-dessus du peuple,
lorsque le pouvoir politique devait être concédé
aux peuples et à leurs parlements, il y avait séparation
du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif du gouvernement
; parfois même, le pouvoir judiciaire devenait un troisième
pouvoir indépendant. La tâche des parlements était
de légiférer, mais l’application, l’exécution
des lois, l’administration quotidienne étaient réservés
à un petit groupe privilégié de dirigeants.
Dans la communauté de travail de la nouvelle société,
cette distinction disparaît. Décision et exécution
sont intimement liées ; ceux qui font le travail décident,
et ce qu’ils décident en commun, ils l’exécutent
en commun. Lorsqu’il s’agit de grandes masses, les conseils
sont leurs organes de décision. Là où la tâche
exécutive était confiée à des organismes
centraux, ceux-ci devaient avoir le pouvoir de commander ; ils devaient
être des gouvernements ; là où la tâche
exécutive incombe aux masses elles-mêmes, cette nécessité
n’existe plus et les conseils n’ont pas ce caractère.
De plus, selon les problèmes qui se posent et les questions
qui doivent faire l’objet de décisions, ce sont des
personnes différentes qui sont déléguées
pour s’en occuper. Dans le domaine de la production elle-même,
chaque entreprise doit non seulement organiser avec soin son propre
champ d’activité, mais elle doit aussi créer
des liaisons horizontales avec les entreprises similaires, verticales
avec celles qui lui fournissent les matières premières
ou qui utilisent ses produits. Dans cette dépendance mutuelle
et cette liaison des entreprises, dans leur lien avec d’autres
branches de la production, les conseils, qui discutent et décident,
couvriront des domaines toujours lus étendus, jusqu’à
l’organisation centrale de la totalité de la production.
D’autre part, l’organisation et la consommation, la
distribution de tous les biens nécessaires, exigera ses propres
conseils de délégués de tous les intéressés
et aura un caractère plutôt local ou régional.
A côté de cette organisation de la vie matérielle
de l’humanité, il y a le vaste champ des activités
culturelles et de celles, non directement productives, qui ont pour
la société une nécessité primordiale,
telles que l’éducation des enfants et le soin de la
santé de uns. Ici, c’est encore le même principe
qui règne : celui de l’auto-organisation de ces domaines
de travail par ceux qui font le travail. Il semble tout à
fait naturel que tous ceux qui participent activement soit au soin
de la santé universelle, soit à l’organisation
de l’éducation, c’est-à-dire les soignants
et les enseignants, règlent et organisent l’ensemble
de ces services, par les moyens de leurs associations. En régime
capitaliste, où il leur fallait vivre des maladies qui affligent
les hommes ou du dressage des enfants, leur lien avec la société
en général prenait la forme, soit d’un métier
compétitif, soit d’une application des ordres du gouvernement.
Dans la nouvelle société, à cause du lien bien
plus intime de la santé et de l’éducation, avec
le travail, ils régleront leurs tâches de manière
que leurs conseils restent en contact étroit et collaborent
constamment entre eux et avec les autres conseils ouvriers.
Il faut noter ici que la vie culturelle, domaine des arts et des
sciences, est, par sa nature même, si étroitement liée
à l’inclinaison et à l’effort individuels,
que seule la libre initiative de gens qui ne sont pas étouffés
sous le poids d’un labeur incessant peut assurer sa floraison.
Cette vérité n’est pas réfutée
par le fait qu’au cours des siècles de société
de classes, les princes et les gouvernements ont protégé
les arts et la science, afin, évidemment, de les utiliser
pour leur gloire et le maintien de leur domination. D’une
manière générale, il y a, en ce qui concerne
les activités culturelles aussi bien que toute activité
non productive ou productive, une disparité fondamentale
entre une organisation imposée d’en haut par un corps
dirigeant, et une organisation faite de la libre collaboration de
collègues et de camarades. Une organisation dirigée
centralement implique une réglementation aussi uniforme que
possible : sans cela, elle ne pourrait être conçue
et dirigée par un organisme central. Dans la réglementation
autonome élaborée par tous les intéressés,
l’initiative de nombreux experts attentivement penchés
sur leur travail, le perfectionnement par l’émulation
et des rapports constants, l’initiation et les échanges
de vue doivent avoir pour résultats une riche diversité
de moyens et de possibilités. La vie spirituelle, si elle
dépend de l’autorité centrale d’un gouvernement,
tombe forcément dans une plate monotonie ; si elle est inspirée
par la libre spontanéité de l’impulsion humaine
des masses, elle doit se déployer en une diversité
éclatante. Le principe des conseils donne la possibilité
de trouver les formes appropriées d’organisation.
Ainsi l’organisation des conseils tisse à travers
la société un réseau de corps diversifiés,
travaillant en collaboration, et réglant sa vie et son progrès
selon leur libre initiative. Et tout ce qui est discuté et
décidé dans les conseils tire son véritable
pouvoir de la compréhension, la volonté, l’action
de l’humanité laborieuse.
Anton Pannekoek
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