Origine : http://www.la-peniche.fr/autogestion/article.php3?id_article=28
Les entreprises autogérées sont une dimension ultra
minoritaire de ce qu’il est convenu d’appeler l’«
économie sociale et solidaire ». Cette dernière
se laisse difficilement enfermée dans une définition.
Une possibilité est de la définir par opposition à
« l’économie classique », en ce que cela
suppose d’investissement sur des secteurs moins ou pas lucratifs
sinon de manières différentes de concevoir et l’organisation
du travail et le rapport qu’on y entretient (plus «
démocratique », plus grande redistribution des tâches
et des richesses etc.). En un mot vague, l’économie
sociale et solidaire est une économie non pas centrée
sur le profit, mais sur l’homme.
Le syndicalisme a joué et joue encore un rôle primordial
dans l’économie dominante. Qu’en est-il du rôle
du syndicalisme dans « l’économie sociale et
solidaire », et en l’espèce dans sa partie marginale,
les entreprises autogérées ? Présentation liminaire
d’une réflexion menée autour de cette question
par une entreprise autogérée, La Péniche.
Les syndicats comme institution sociale
Deux dimensions sont à distinguer. Un syndicat de salariés
est un regroupement des salariés au sein d’une entreprise
pour défendre leurs intérêts propres. Leur première
fonction est donc « interne » à l’entreprise.
Par ailleurs, ces syndicats se rassemblent en de vastes confédérations,
par branche d’activité et ces branches entre elles.
A ce titre, les syndicats ont une fonction dans l’organisation
de la société : gestion paritaire des organismes sociaux,
représentation quasi politique des salariés dans les
instances officielles, dans l’élaboration des droits
social et du travail etc. Cela est vrai au moins depuis la première
mondiale, a fortiori depuis la seconde. Dans ce cas, l’adhésion
à un syndicat a un rôle dans le fonctionnement de la
société globale. On l’appellera la fonction
« globale du syndicat ».
L’entreprise autogérée et la fonction
« interne » du syndicat
Une entreprise autogérée est une entreprise où
la hiérarchie du pouvoir, des salaires, des fonctions, est
au moins remise en question, sinon totalement supprimée.
Surtout, une entreprise autogérée appartient a priori
à ceux qui y travaillent ; ils sont donc à la fois
salariés et patrons. Si ce n’était pas le cas,
seule la question de la cogestion pourrait se poser et alors, bien
entendu, les syndicats ne pourraient qu’y avoir leur place.
Ainsi, on peut considérer que dans entreprise autogérée
il n’y a pas besoin d’un syndicat. Tout salarié
étant également patron, il y aurait une certaine schizophrénie
à vouloir séparer les intérêts propres
aux salariés et les intérêts propres aux patrons.
L’autogestion patronale et autogestion salariale
En réalité, l’autogestion est une construction,
un processus et toutes les entreprises autogérées
ne sont pas les mêmes. Entre élire ses dirigeants et
ne pas en avoir, il y a beaucoup de différence. Si l’on
suppose qu’il y a besoin de dirigeants (même élus),
c’est qu’on suppose qu’il peut y avoir des intérêts
radicalement contradictoires entre l’entreprise et ses salariés.
Si l’entreprise a besoin d’un “ chef ” pour
défendre ses intérêts, alors les salariés
ont besoin d’un syndicat pour défendre les leurs.
Par ailleurs, même dans le cadre d’une entreprise “
intégralement autogérée ”, une question
se pose : a-t-on autogéré dans le sens du patronat
ou dans le sens du salariat ? Cas limite : que penser d’une
entreprise autogérée qui paierait ses salariés
au minimum du point de vue des salaires et qui distribuerait à
ces mêmes personnes, en tant qu’actionnaires, un maximum
de dividendes ?
Cette interrogation vaut à tout moment de la vie de l’entreprise
autogérée. Faut-il privilégier la rentabilité
? au profit de qui ? Quelle protection sociale ? à quel prix
? quel choix collectif à tout moment ?
Sortir de la schizophrénie
L’entreprise autogérée se situe dans une société
qui ne l’est pas. Quand bien même elle le serait, cette
société succéderait à une autre qui
ne l’était pas. Il faut donc toujours penser les choses
en termes de processus. Tout n’est pas résolu sous
prétexte qu’on a répondu à une première
question (celle de la propriété des moyens de production).
Bien au contraire, c’est à partir de là qu’il
faut inventer de nouvelles manières de gérer en s’interrogeant
constamment sur le fait de savoir si l’on prend les bonnes
directions ou si l’on se fait piéger par nos idéologies
diverses.
Reste à savoir si la bonne méthode pour résoudre
ces difficiles questions est celle de reconstituer au sein des entreprises
autogérées des distinctions que, par définition,
le projet veut faire disparaître. Créer des syndicats,
c’est institutionnaliser des intérêts contradictoires.
Est-ce la meilleure manière de les amener à disparaître
? Peut-on inventer autre chose ?
Retour sur la fonction globale du syndicat
On peut se demander si les syndicats n’auraient pas un rôle
central à jouer dans une transformation autogestionnaire
de la société. Comme évoqué plus haut,
ils seraient peut-être chargés de veiller à
ce que l’évolution vers une société autogérée
se fasse vers une société de salariés autogérés
et non vers une société de patrons autogérés.
Ils pourraient être en quelque sorte les meilleurs garants
que ce sont toujours les intérêts collectifs, sociaux,
des personnes qui sont promus plus que leurs intérêts
personnels.
Dans ce cas, au sein d’une entreprise autogérée,
l’adhésion à un syndicat a un rôle dans
le fonctionnement de la société globale. Encore faudrait-il
que ce syndicat ne soit ni un syndicat patronal ni un syndicat de
salariés. Autrement dit que ce soit un syndicat d’entreprise
autogestionnaire. Et celui-ci reste à créer.
Un syndicat autogestionnaire ?
Que pourrait-être un syndicat autogestionnaire ? quelles
implications dans la vie de l’entreprise ? En interne, le
syndicat regrouperait tous les membres de la structure autogérée,
tant il est vrai que, par définition, ils ne s’opposent
pas en classes antagonistes. L’intérêt d’un
tel syndicat résiderait alors dans sa fonction sociale globale.
Comme les syndicats de salariés actuels, ces syndicats se
structureraient à une plus grande échelle, pour y
porter les intérêts et les valeurs de l’autogestion.
Ce seraient des lieux d’échanges, d’information,
d’entraide pour l’extension d’une autre forme
d’organisation du travail qui représente bien à
nos yeux une voie alternative, promesse d’une sortie émancipatrice
de la lutte de classe assassine.
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