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L’autogestion et le syndicalisme
Par Jordane Legleye / La Péniche - 30/08/2005

Origine : http://www.la-peniche.fr/autogestion/article.php3?id_article=28

Les entreprises autogérées sont une dimension ultra minoritaire de ce qu’il est convenu d’appeler l’« économie sociale et solidaire ». Cette dernière se laisse difficilement enfermée dans une définition. Une possibilité est de la définir par opposition à « l’économie classique », en ce que cela suppose d’investissement sur des secteurs moins ou pas lucratifs sinon de manières différentes de concevoir et l’organisation du travail et le rapport qu’on y entretient (plus « démocratique », plus grande redistribution des tâches et des richesses etc.). En un mot vague, l’économie sociale et solidaire est une économie non pas centrée sur le profit, mais sur l’homme.

Le syndicalisme a joué et joue encore un rôle primordial dans l’économie dominante. Qu’en est-il du rôle du syndicalisme dans « l’économie sociale et solidaire », et en l’espèce dans sa partie marginale, les entreprises autogérées ? Présentation liminaire d’une réflexion menée autour de cette question par une entreprise autogérée, La Péniche.

Les syndicats comme institution sociale

Deux dimensions sont à distinguer. Un syndicat de salariés est un regroupement des salariés au sein d’une entreprise pour défendre leurs intérêts propres. Leur première fonction est donc « interne » à l’entreprise.

Par ailleurs, ces syndicats se rassemblent en de vastes confédérations, par branche d’activité et ces branches entre elles. A ce titre, les syndicats ont une fonction dans l’organisation de la société : gestion paritaire des organismes sociaux, représentation quasi politique des salariés dans les instances officielles, dans l’élaboration des droits social et du travail etc. Cela est vrai au moins depuis la première mondiale, a fortiori depuis la seconde. Dans ce cas, l’adhésion à un syndicat a un rôle dans le fonctionnement de la société globale. On l’appellera la fonction « globale du syndicat ».

L’entreprise autogérée et la fonction « interne » du syndicat

Une entreprise autogérée est une entreprise où la hiérarchie du pouvoir, des salaires, des fonctions, est au moins remise en question, sinon totalement supprimée. Surtout, une entreprise autogérée appartient a priori à ceux qui y travaillent ; ils sont donc à la fois salariés et patrons. Si ce n’était pas le cas, seule la question de la cogestion pourrait se poser et alors, bien entendu, les syndicats ne pourraient qu’y avoir leur place.

Ainsi, on peut considérer que dans entreprise autogérée il n’y a pas besoin d’un syndicat. Tout salarié étant également patron, il y aurait une certaine schizophrénie à vouloir séparer les intérêts propres aux salariés et les intérêts propres aux patrons.
L’autogestion patronale et autogestion salariale

En réalité, l’autogestion est une construction, un processus et toutes les entreprises autogérées ne sont pas les mêmes. Entre élire ses dirigeants et ne pas en avoir, il y a beaucoup de différence. Si l’on suppose qu’il y a besoin de dirigeants (même élus), c’est qu’on suppose qu’il peut y avoir des intérêts radicalement contradictoires entre l’entreprise et ses salariés. Si l’entreprise a besoin d’un “ chef ” pour défendre ses intérêts, alors les salariés ont besoin d’un syndicat pour défendre les leurs.

Par ailleurs, même dans le cadre d’une entreprise “ intégralement autogérée ”, une question se pose : a-t-on autogéré dans le sens du patronat ou dans le sens du salariat ? Cas limite : que penser d’une entreprise autogérée qui paierait ses salariés au minimum du point de vue des salaires et qui distribuerait à ces mêmes personnes, en tant qu’actionnaires, un maximum de dividendes ?

Cette interrogation vaut à tout moment de la vie de l’entreprise autogérée. Faut-il privilégier la rentabilité ? au profit de qui ? Quelle protection sociale ? à quel prix ? quel choix collectif à tout moment ?

Sortir de la schizophrénie

L’entreprise autogérée se situe dans une société qui ne l’est pas. Quand bien même elle le serait, cette société succéderait à une autre qui ne l’était pas. Il faut donc toujours penser les choses en termes de processus. Tout n’est pas résolu sous prétexte qu’on a répondu à une première question (celle de la propriété des moyens de production). Bien au contraire, c’est à partir de là qu’il faut inventer de nouvelles manières de gérer en s’interrogeant constamment sur le fait de savoir si l’on prend les bonnes directions ou si l’on se fait piéger par nos idéologies diverses.

Reste à savoir si la bonne méthode pour résoudre ces difficiles questions est celle de reconstituer au sein des entreprises autogérées des distinctions que, par définition, le projet veut faire disparaître. Créer des syndicats, c’est institutionnaliser des intérêts contradictoires. Est-ce la meilleure manière de les amener à disparaître ? Peut-on inventer autre chose ?
Retour sur la fonction globale du syndicat

On peut se demander si les syndicats n’auraient pas un rôle central à jouer dans une transformation autogestionnaire de la société. Comme évoqué plus haut, ils seraient peut-être chargés de veiller à ce que l’évolution vers une société autogérée se fasse vers une société de salariés autogérés et non vers une société de patrons autogérés. Ils pourraient être en quelque sorte les meilleurs garants que ce sont toujours les intérêts collectifs, sociaux, des personnes qui sont promus plus que leurs intérêts personnels.

Dans ce cas, au sein d’une entreprise autogérée, l’adhésion à un syndicat a un rôle dans le fonctionnement de la société globale. Encore faudrait-il que ce syndicat ne soit ni un syndicat patronal ni un syndicat de salariés. Autrement dit que ce soit un syndicat d’entreprise autogestionnaire. Et celui-ci reste à créer.

Un syndicat autogestionnaire ?

Que pourrait-être un syndicat autogestionnaire ? quelles implications dans la vie de l’entreprise ? En interne, le syndicat regrouperait tous les membres de la structure autogérée, tant il est vrai que, par définition, ils ne s’opposent pas en classes antagonistes. L’intérêt d’un tel syndicat résiderait alors dans sa fonction sociale globale. Comme les syndicats de salariés actuels, ces syndicats se structureraient à une plus grande échelle, pour y porter les intérêts et les valeurs de l’autogestion. Ce seraient des lieux d’échanges, d’information, d’entraide pour l’extension d’une autre forme d’organisation du travail qui représente bien à nos yeux une voie alternative, promesse d’une sortie émancipatrice de la lutte de classe assassine.