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Origine : http://multitudes.samizdat.net/Du-communisme-a-la-mise-en-commun.html
La réforme politique et économique en cours en Union
soviétique vise notamment à transformer les mécanismes
de gestion territoriale. Il s’agit de permettre aux territoires
locaux d’avoir des relations économiques entre eux,
avec des entités d’échelles supérieures
et à l’inverse avec les différents groupes ou
entreprises existant en leur sein. Diverses formes d’autogestion
et d’autofinancement doivent être créées
à cet effet. La complexité de la situation économique
et sociale dans les grandes villes, et les retards accumulés
dans leur développement rendent cette réforme particulièrement
nécessaire. Les arrondissements périphériques
de Moscou par exemple ne sont pas pourvus des équipements
minimaux indispensables, des écoles, des centres de santé,
des centres culturels en particulier. Il en va de même des
quartiers anciens des villes de province.
Cette nouvelle gestion territoriale ne doit pas être comprise
comme une simple extension des droits des soviets locaux à
prélever des impôts sur les entreprises locales et
à affecter les fonds ainsi collectés ; le système
administratif de commandement territorial serait alors intégralement
maintenu sans création d’une économie territoriale
réelle. Tant que la gestion territoriale consistera à
répartir des ressources supposées données entre
les usagers du territoire, l’économie de pénurie
se maintiendra.
Un nouveau système de relations économiques doit
donc être institué qui se propose non plus la reproduction
simple de l’ensemble du potentiel territorial, mais sa reproduction
élargie, sa valorisation. Ce souci de la reproduction du
milieu dans la gestion locale doit concerner aussi bien la population
que l’environnement, l’habitat, les infrastructures
sociales et productives, les lieux de travail, la culture, les traditions,
etc. La création d’un complexe économique et
territorial de ce type implique que l’arrondissement qui en
forme la base ne soit plus considéré comme un simple
district géographique, issu d’un découpage administratif
arbitraire. Le territoire local doit être constitué
en municipalité, en ensemble de sujets d’action territoriale
ayant des relations et des dépendances réciproques,
des sujets capables de diriger le processus de reproduction.
Actuellement le territoire est géré de manière
sectorielle, en fonction des intérêts des établissements
de production. Sur un même territoire sont présents
des établissements dépendant de différents
ministères techniques. II est donc difficile d’obtenir
une cohérence dans la gestion locale. Le nouveau système
économique doit s’établir au contraire sur des
bases sociospatiales, qui fassent de l’autonomie locale, de
la « région », le principe de la politique économique
et sociale. A Moscou la gestion économique, la gestion urbaine
et la gestion sociale continuent à être hautement centralisées.
La restructuration actuelle du développement des techniciens
ne prend pas en compte l’aspiration à l’autonomie
locale caractéristique des politiques urbaines modernes.
Ces aspirations s’expriment à travers un mouvement
récent, en grande partie spontané, de création
de structures d’autogestion socio-territoriale de base, de
multiplication de groupes « informels », c’est-à-dire
externes au mode traditionnel de construction des organisations
sociales à partir du Parti communiste. Ce mouvement prend
des formes contradictoires, et ses objectifs, qui tendent à
se focaliser sur la préservation de l’environnement,
passent souvent par la destruction ou en tout cas la confrontation
avec le pouvoir central, dont tous les projets d’équipement
sont systématiquement contrecarrés, même quand
il s’agit de la construction d’une nouvelle boulangerie
industrielle, ou du transfert du zoo. L’absence de responsabilité
dans le développement urbain conduit en effet à se
contenter de celle de l’empêcher.
La préséance des branches industrielles dans le fonctionnement
urbain conduit à bloquer celui-ci au stade exigé par
l’état actuel des forces productives sans prise en
compte de leur renouvellement qui se produit par ailleurs. Les quartiers
deviennent obsolètes en même temps que les usines qui
les animent, aussi imperméables les uns que les autres aux
conditions écologiques exigées par une production
croissante. Dans les zones urbaines directement confrontées
à la concurrence internationale, par exemple celles fabriquant
des matériels militaires sophistiqués, c’est
la population elle-même qui se retrouve en partie inapte à
être employée localement, et donc exclue de l’usage
de services financés par les entreprises.
Le développement de l’autogestion socio-territoriale,
la mise en place des conditions permettant à la population
de participer largement à la solution des problèmes
de développement et de vie du territoire urbain semble actuellement
la seule alternative constructive aux formes de gestion qui ont
abouti à cette situation. Le développement d’une
telle alternative ne va pas de soi ; c’est pourquoi l’Académie
des sciences a décidé de constituer un Centre de recherches
régionales pour en expérimenter des formes dans des
conditions locales favorables, comme par exemple les quartiers où
sont logés de nombreux scientifiques, sensibilisés
à la nécessité de conditions de vie leur permettant
de développer une productivité sociale accrue. C’est
notamment le cas des arrondissements Tcheremouchkino et Vorochilov,
situés au sud-ouest et à l’ouest de Moscou.
L’objet de la recherche-action est d’analyser, à
travers une expérience concrète, les mécanismes
de création de nouveaux sujets sociaux d’activité
urbaine, capables de mettre en oeuvre les principes économiques
d’autogestion et d’autofinancement dans leurs relations
entre eux et avec leurs autres partenaires. La création de
ces sujets socio-économiques nouveaux doit se faire à
partir des sujets territoriaux existants, qu’ils soient déjà
institutionnellement reconnus ou qu’ils demandent à
l’être comme les groupes informels, à condition
qu’ils répondent aux exigences économiques précitées.
Sont concernés d’ores et déjà les centres
commerciaux, les MJK (coopératives de construction par les
jeunes dont l’une « Atom » possède une
entreprise de services audiovisuels et publicitaires, ainsi qu’une
école expérimentale vendant ses services au ministère
soviétique de l’Education nationale ! ). Une association
de développement économique et social territorial
favorisant la création d’entreprises par les habitants
pourrait être constituée. Les coopératives d’approvisionnement
par exemple, ainsi que les écoles parallèles, sont
des types d’entreprises susceptibles de se développer
rapidement. Un des points principaux de la recherche sera de déterminer
les formes de coopération sociale, et d’investissement
économique, qui pourront permettre aux projets des habitants
de naître et de se développer. Une maison de la culture
ne doit plus être considérée comme le énième
atelier d’un grand établissement dépendant lui
même de tel ou tel ministère lointain, mais doit devenir
une entreprise culturelle autonome, ayant son propre conseil d’administration,
son propre budget, son système d’évaluation
de son public, sa politique de recherche de spectacles et de développement
d’activités.
Des terrains vagues sont disponibles dans la plupart des quartiers
périphériques pour le développement de ces
nouveaux services. C’est ainsi que le quartier Iassenevo de
l’arrondissement Tcheremouchkino a l’intention de s’offrir
un complexe culturel et économique sur la friche au coeur
du quartier. La coopérative de construction MJK apportera
son savoir-faire dans le domaine du bâtiment, et le comité
d’autogestion du quartier inventera des formes de rémunération
en nature pour les constructeurs. L’économie de troc
atteint en effet dans ces quartiers périphériques
de Moscou des dimensions impressionnantes ; c’est elle qui
permet déjà d’atténuer fortement dans
les appartements la pénurie légendaire des magasins.
Toute une expérience sociale accumulée au fil des
années ne demande donc qu’à être valorisée.
C’est le pari sur lequel se fonde le projet d’autogestion.
Contrairement aux formes les plus immédiates d’opposition
à tout changement, ce projet de recherche et d’expérimentation
veut s’inscrire également dans les formes planifiées
de gestion de l’économie, et négocier avec elles
les modalités concrètes de cette inscription. Des
contacts existent entre l’Institut du Plan général
de Moscou, le Fonds pour la culture de Moscou, le ministère
du Plan et d’autres organisations. Les deux arrondissements
de Tcheremouchkino et de Vorochilov entendent être aussi terrains
d’expérience pour ces organismes, et notamment pour
les professionnels qui y sont chargés de suivre le développement
de ces deux territoires.
L’expérience se veut alternative de l’ordre
existant en ce que les principes de fonctionnement économique
territorial doivent devenir le libre choix des choses consommées,
des activités créées, et l’échange
social généralisé entre ces activités.
Chacun doit pouvoir apprécier ce qui convient et ce qui ne
convient pas, à quel niveau on estime la juste rémunération
des activités ou des objets échangés. Mais
il ne s’agit pas pour autant d’entrer dans une dissidence
institutionnelle irresponsable, de développer un tel projet
à l’écart des organes normaux de dévolution
du pouvoir local. Ce projet de recherche constitue donc le programme
avec lequel l’un de ses auteurs a été élu
au soviet local de l’arrondissement, dont ces mêmes
auteurs entendent bien qu’en tant qu’organe légitimé
par le suffrage universel il demeure le « maillon principal
de l’autogestion socialiste », l’organe dirigeant
du territoire local. Le projet n’entend pas non plus remettre
en question les relations entre les branches industrielles et leurs
établissements sur le territoire ; il soutient par contre
qu’une économie intensive peut se développer
en plus sur le territoire, avec toutes les ressources et les besoins
négligés par ces branches industrielles. Cependant
la réussite du projet demande un assainissement des relations
économiques entre l’arrondissement et le gouvernement
central afin que toute création de ressources nouvelles ne
soit pas immédiatement happée vers un centre qui ne
réaffecte qu’en fonction de principes qui n’ont
rien à voir avec l’effort fourni localement. C’est
d’ailleurs ce principe de capture budgétaire qui a
depuis longtemps retiré aux établissements des branches
industrielles eux-mêmes toute velléité d’innovation.
A quoi bon remplir le tonneau des Danaïdes central pour n’en
voir toujours revenir avec la même parcimonie que quelques
gouttes ?
La première mesure à prendre pour le passage à
cette nouvelle économie socialiste de marché est la
définition des conditions de location des emprises au sol
des entreprises et des activités sociales. La location collective
d’un territoire urbain n’a d’équivalent
ni en URSS, ni à l’étranger. Elle est pourtant
la première forme d’échange à créer
entre chaque activité et le territoire une forme vivante,
liée à la durée de l’activité,
mobile comme elle. C’est en louant le sol de leurs activités,
que les différents organismes participant à ce nouveau
projet de coopération sociale, pourront acquérir une
personnalité juridique autonome, au lieu de rester les usufruitiers
d’une propriété publique dont les gérants
sont toujours à même de les déloger, par rapport
auxquels ils n’ont pas le droit spatial à l’autonomie.
C’est ainsi d’ailleurs qu’ont été
définies les nouvelles conditions de la propriété
socialiste dans un arrêté du Congrès des députés
du peuple de l’URSS.
L’autogestion d’un arrondissement
Plusieurs organisations de l’arrondissement Vorochilov appliquent
déjà des principes d’autogestion dans leur fonctionnement
quotidien, notamment les comités de la campagne électorale
pour les candidatures aux élections des soviets locaux, l’union
des habitants du quartier de Strogino, le groupe d’initiative
Troïtsa-Lykova, et surtout le MJK Atome, coopérative
de construction par et pour les jeunes qui gère pratiquement
complètement un quartier de 4 000 habitants, pour lequel
l’habitat est de qualité nettement supérieure
à la moyenne (recherche d’harmonie dans les panneaux
de façades, vide-ordures, parkings souterrains, codes aux
entrées d’immeubles) et où ont déjà
été mis en place de nombreux services collectifs innovants
: coopérative de consommation et d’approvisionnement,
école expérimentale, centre de santé de quartier,
projet de centre culturel, projet d’aménagement d’une
zone de loisirs et de repos à la campagne.
Ce mouvement vers l’autogestion en grande partie spontané,
réaction à la pénurie et à la difficile
comparaison des standards de vie moscovite avec les standards de
vie occidentaux, a été légitimé par
le Soviet de Moscou dont la résolution n° 1216 du 22
juin 1989 autorise le contrôle de la population sur les activités
des soviets locaux et sur leurs services techniques, ainsi que sur
les entreprises fonctionnant sur le territoire local, et ouvre de
plus la voie à la possibilité d’activités
économiques à une très large échelle
par le droit donné de louer le sol pour de telles activités.
C’est donc à une sanction économique seulement
(être capable de trouver de quoi louer le sol de ses activités
et de quoi financer son fonctionnement) que sont désormais
soumises les activités initiées par la population.
Elles sont de ce fait éventuellement en concurrence directe
avec les activités publiques, à moins qu’elles
ne concernent des domaines que les activités publiques ne
couvraient pas.
En même temps qu’il adoptait ce décret, le Soviet
de Moscou chargeait l’un de ses membres M. Palkine, qui se
présente lui-même comme un « représentant
professionnel », et une responsable des services techniques,
de développer l’autogestion comme remède à
la crise. Leur démarche est double : être à
l’écoute des initiatives de la population, et contribuer
à légaliser les mouvements issus de la base, mais
aussi instituer des comités d’autogestion là
où il ne s’en forme pas spontanément, en poussant
les responsables du parti à prendre de telles initiatives
localement, et à adopter dans ces « comités
d’autogestion » qu’ils président, une attitude
d’écoute envers les organisations de masse traditionnelles
auxquelles il y a encore quelques mois ils se contentaient de transmettre
des ordres. La réunion d’un tel « comité
d’autogestion » ne manque pas de sel : les responsables
d’organisations populaires trop dubitatifs sur la possibilité
de faire entendre leur point de vue par le gouvernement sont invités
par le responsable du parti à prendre exemple sur les groupes
les plus autogestionnaires parce qu’ils n’hésitent
pas à présenter des solutions alternatives (pour un
tracé d’autoroute par exemple) ! Le risque de cette
démarche à double sens, au demeurant conforme à
la théorie des bienfaits du double pouvoir pour celui qui
se retrouve en position d’arbitre, c’est qu’elle
présuppose dans l’appareil et dans le parti un pouvoir
qu’il ne possède plus qu’au niveau rhétorique,
dans une dialectique qui ne semble avoir de prise que sur les mots,
même si les effets en restent redoutables dans une assemblée
générale.
L’hypothèse du Centre de Recherches régionales
de l’Académie des sciences est que l’inscription
de l’expérience soviétique en cours dans les
expériences autogestionnaires et participatives menées
dans d’autres pays du monde, peut aider à sortir de
l’opposition stérile entre l’autogestion par
le bas, et la démocratisation par le haut. Il s’agit
de proposer des concepts de référence qui placent
l’ensemble des acteurs en position de partenaires dans la
recherche d’un développement commun, alors qu’ils
sont concurrents dans la solution immédiate des problèmes
concrets. L’élargissement des références
doit permettre de constituer en espace de débat ce qui n’est
pour l’instant qu’un va-et-vient de demandes et réponses
dans l’autogestion descendante, ou qu’opposition systématique
dans tous les petits groupes, notamment écologiques, qui
pullulent aujourd’hui.
L’arrondissement Vorochilov où les expériences
autogestionnaires sont parmi les plus avancées, et les plus
concrètes, est habité pour l’essentiel par des
scientifiques qui travaillent dans les nombreux instituts de l’Académie
des sciences. Ils ont été amenés, dans le cadre
de leur travail, à prendre connaissance d’expériences
organisationnelles différentes, notamment étrangères.
Et c’est en référence à celles-ci, notamment
à tout ce qui relève de « l’analyse systémique
», qu’ils ont commencé à penser leurs
activités en termes d’entreprises, à s’échanger
des services, et à créer de nouvelles relations de
travail et de vie quotidienne, visant à mettre en oeuvre
l’ensemble des ressources locales, et non la seule ressource
dominante comme l’exige la démarche planifiée.
Une démarche logique, inventée par le Cercle méthodologique
de Moscou d’abord pour résister philosophiquement au
totalitarisme, s’est transformée en pratique de jeux,
utilisés à une vaste échelle pour résoudre
de nombreux problèmes concrets, en fanant prendre conscience
à chacun de ses potentialités d’action. C’est
par cette méthodologie des « jeux d’activité
organisée », qui reste encore bien énigmatique,
que s’opère la mise en évidence de l’ensemble
des partenaires concernés, l’élucidation de
leurs ressources respectives, l’élaboration d’un
intérêt commun, et la prise de conscience par chacun
de ses potentialités d’action dans la poursuite du
développement économique et social. Un « jeu
» de ce type a été organisé par le Centre
de Recherches régionales après une discussion avec
Boris Eltsine, alors premier secrétaire du parti de Moscou,
pour traiter du devenir de Moscou avec des élus du Mossoviet,
des membres des services techniques, des élus d’arrondissement,
des associations d’habitants.
Les comités d’autogestion qui se créent, que
ce soit par en haut ou par en bas, doivent s’appuyer sur les
entreprises économiques nouvelles, embryons les plus évidents
d’une subjectivité sociale autonome. Ils instituent
avec elles des rapports différents de ceux qui avaient été
institués entre soviets locaux et établissements territorialisés
sur leur sol. Si les entreprises se bornent à reverser une
part de leurs bénéfices aux comités d’autogestion,
cela ne changera guère de la situation présente. Il
faut que les entreprises créent des relations d’échanges
de services avec les comités d’autogestion, mettent
à leur disposition leurs capacités organisationnelles,
leurs ressources en savoir-faire, et contractent avec eux comme
entre elles sur des échanges de services précis.
Une coordination de ce travail semble nécessaire, ainsi
qu’un lieu où s’élabore la stratégie
économique et culturelle du territoire, avec le concours
de toutes les parties prenantes. Une association de développement
du territoire pourrait réunir à la fois les entreprises
et les comités qui fonctionnent sur le territoire, allier
dans un même ensemble partenaires économiques et culturels
du développement local. Cette association ne serait pas seulement
un lieu de débat. Elle devrait constituer aussi une agence
de moyens, notamment dans le domaine institutionnel, être
capable de mettre sur pied des moyens de financement (système
d’actionnariat par exemple) ; elle devrait être également
capable de mobiliser des dispositifs d’études temporaires,
alliant aux partenaires locaux des ressources humaines extérieures.
Le moment actuel en Union soviétique implique en effet que
soient coordonnées par rapport à des enjeux tangibles,
notamment territoriaux, l’ensemble des capacités d’expertise
qui se sont formées de manière dispersée. Le
processus d’autogestion fait émerger de nouveaux sujets
sociaux pour une telle valorisation, et donc une chance pour les
scientifiques de pouvoir articuler leur travail à une commande
sociale.
Le Conseil d’autogestion d’un quartier
Le Conseil d’autogestion du quartier, conformément
au règlement type de l’autogestion sociale élaboré
par le Soviet de Moscou, peut résoudre de manière
autonome les problèmes de développement économique
et social du quartier. Ce conseil représente les intérêts
de toute la population du quartier habitants, collectifs de travailleurs,
organisations sociales et autres intérêts collectifs
agissant sur le territoire du quartier ; le conseil associe ces
intérêts aux intérêts et besoins généraux
de l’arrondissement, de la ville, de l’Etat. Le territoire
du quartier est défini par le soviet de l’arrondissement,
sur proposition du Conseil d’autogestion. Il s’agit
de définir une entité quasi naturelle du point de
vue social, économique et écologique. Le Conseil d’autogestion
est propriétaire de biens et moyens financiers qui lui sont
dévolus par tous les organismes présents sur le quartier.
Il peut également gérer des chantiers d’aménagement
d’équipements collectifs, de logements ou d’espaces
verts. 1 peut enfin contribuer à l’installation d’entreprises
qui lui sont rattachées. Les assemblées de la population
du quartier contrôlent l’usage de ces diverses formes
de propriété.
Les ressources financières du Conseil d’autogestion
proviennent des entreprises qui y sont rattachées, des versements
des entreprises préexistantes ou de la population, des sommes
prélevées sur les loyers perçus par les organismes
de location pour les activités culturelles et sportives,
des fonds affectés par les soviets locaux ou par d’autres
organismes requis de les verser par la loi.
L’activité du Conseil d’autogestion tout en
étant indépendante de celle du soviet local, est soumise
à son bon-vouloir, tant pour l’obtention des ressources
financières, que pour la tolérance de son existence
: le soviet peut mettre fin à cette activité s’il
l’estime contraire à la constitution.
Ce Conseil d’autogestion est élu en assemblée
générale de la population, à main levée
ou par bulletin secret. Cette assemblée réunit à
la fois les habitants du quartier, les collectifs de travailleurs
des entreprises présentes dans le quartier, et les autres
organisations sociales qui peuvent être soit des délégations
locales d’organisations nationales, soit des groupes informels
surgis récemment. Personnes physiques et personnes morales
s’y côtoient selon des modalités juridiques encore
à définir.
Les dirigeants des entreprises travaillant dans le quartier ou
les responsables des services du quartier ne sont pas éligibles
au Conseil d’autogestion, alors qu’ils étaient
tout naturellement les dirigeants des soviets locaux, les personnes
présentées par le parti comme les plus compétentes
sur le quartier. A l’heure de l’autogestion la compétence
doit répondre à la demande sociale, et c’est
celle-ci, dans son aptitude à générer de nouvelles
formes d’organisation, qu’entend représenter
le Conseil d’autogestion. De manière un peu schématique
on pourrait dire que le soviet fonctionne selon une logique de l’offre,
et que le comité d’autogestion met en scène
une logique de la demande, avec l’espoir de lui faire faire
retour sur l’offre, alors que le soviet a déjà
démontré son incapacité à rencontrer
la demande.
Le Conseil d’autogestion, d’après ses statuts,
gère le développement du territoire du quartier, en
organisant la coopération de toutes les forces vives du quartier,
la mise en commun de leurs ressources. Un fonds d’initiative
locale est créé pour recueillir tous les versements
affectés à ce développement territorial, notamment
en provenance des entreprises. Ce fonds, comme celui qui a déjà
commencé à fonctionner à Zelenograd, est alimenté
principalement par les entreprises présentes sur le quartier,
et également par les habitants volontaires ; il affecte des
ressources aux projets qui lui sont présentés, après
délibération de son comité, formé de
représentants de l’ensemble des forces présentes
sur le quartier. Le fonds d’initiative locale vérifie
que les fonds qu’il distribue sont bien affectés aux
projets qui lui ont été présentés. Le
Conseil d’autogestion s’efforce de développer
la participation active de la population au développement
économique et social du quartier, en apportant son soutien
juridique, et son appui devant le fonds d’initiative sociale,
aux groupes initiateurs de projets divers comme le soutien à
l’enfance à Zelenograd, ou la défense de l’environnement,
etc. Le Conseil d’autogestion est consulté pour toutes
les affectations de la propriété publique à
de nouveaux usages sur le territoire du quartier.
Le Conseil d’autogestion du quartier intervient dans le fonctionnement
du soviet de l’arrondissement ; il peut mettre des questions
à l’ordre du jour de ses délibérations,
et participer à celles-ci quand elles concernent le développement
économique et social du quartier.
Le Conseil d’autogestion convoque au moins une fois par an
les habitants du quartier en assemblée générale,
mais entre-temps il dirige des enquêtes sociologiques ou des
sondages d’opinion pour mieux connaître les problèmes
du quartier ; avec l’aide du fonds d’initiative sociale
il réalise un journal du quartier, où les habitants
peuvent enfin trouver des informations les concernant directement.
Le Conseil d’autogestion est une personne morale qui dispose
d’un compte bancaire, et peut organiser des activités
économiques propres à lui procurer des ressources.
Les coopératives travaillant dans le quartier lui sont légalement
rattachées.
Comme le propose le règlement type édicté
par le Soviet de Moscou l’ensemble des activités culturelles
et sportives du quartier sont rattachées au comité
d’autogestion. Il perçoit donc les entrées des
différentes manifestations. Il reçoit aussi des subventions
de l’Etat pour les activités non économiques,
les sommes correspondant aux rémunérations des animateurs
sociaux et culturels. Du fait de la reconnaissance légale
de l’autogestion, le Conseil d’autogestion s’inscrit
d’emblée parmi les instances organisatrices de la vie
quotidienne dans le quartier, avec les ressources correspondantes
dans le système économique et social normal.
Grâce au fonds d’initiative créé auprès
de lui, il peut se voir transférer des crédits de
fonctionnement par le soviet local, par les coopératives
fonctionnant dans le quartier, ou par les entreprises traditionnelles.
Le Conseil d’autogestion dispose donc de moyens économiques
d’action non négligeables, qui lui donnent le pouvoir
de changer réellement le cours des choses au sein du quartier,
de construire par exemple un centre culturel innovant, comme le
quartier Ianessevo de l’arrondissement de Tcheremouchkino
ou le MJK Atom dans l’arrondissement Vorochilov en ont le
projet.
Le Conseil d’autogestion du quartier est libre de monter
des stands d’information, de diffuser sur le territoire du
quartier son matériel publicitaire (affiches, déclarations,
communiqués, décisions, journal). II peut même,
d’après le règlement type, diffuser ces informations
sur d’autres territoires si cela apparaît nécessaire.
La période actuelle a vu en effet fleurir une multitude de
bulletins, mais qui ne pouvaient être imprimés qu’à
partir des ressources existantes, c’est-à-dire pratiquement
dans les ateliers d’imprimerie des établissements dépendant
des ministères présents dans les quartiers. Tout groupe
non inscrit dans une entreprise existante se trouvait de fait exclu
de la capacité d’expression. L’intérêt
d’un journal produit par le Conseil d’autogestion et
le Fonds d’initiative serait de rassembler, transversalement
aux découpages administratifs entre entreprises, une multiplicité
de points de vue sur le territoire local. Un tel journal a déjà
vu le jour à Zelenograd.
L’autonomie économique locale
La crise urbaine soviétique remet en question le système
hiérarchique d’administration qui a exacerbé
les tensions sociales jusqu’à une complète impasse.
L’accord est général pour adopter de nouvelles
méthodes de gestion, économiques plutôt que
bureaucratiques, basées sur diverses formes d’autogestion
et d’autofinancement. Mais l’interprétation de
ces nouveaux principes diffère. Pour certains il s’agit
juste d’étendre les pouvoirs des soviets locaux en
matière de redistribution sans remettre en question la centralisation
des ressources, et la définition par le centre des bases
de répartition entre territoires. Dans ce type d’économie
déjà connu les surplus de production réalisés
localement sont captés par le centre, et noyés dans
la redistribution générale. La motivation à
un effort supplémentaire disparaît, puisqu’il
n’est pas rémunéré. Ce mode de gestion
ne peut mobiliser les citoyens pour une amélioration immédiate
en même temps que durable de leurs conditions de vie et de
travail. La centralisation des ressources entraîne celle de
la demande, et donc l’aggravation du déficit chronique
de l’ensemble des produits. L’introduction de mécanismes
de marché de manière centralisée ne peut conduire
qu’à une inflation galopante, et à l’aggravation
des tensions sociales.
L’introduction de rapports d’autonomie comptable dans
la gestion de la ville doit se faire au contraire en relation avec
le développement de l’autogestion politique et économique
au niveau local, en suivant un processus décentralisé.
Pourtant un système de relations inter-territoriales, entre
arrondissements urbains, et entre arrondissements urbains et districts
campagnards peut permettre d’assurer le développement
et la reproduction du territoire dans toute sa diversité,
à condition de rendre l’ensemble de ces relations économiques
inscrites dans une comptabilité réciproque, grâce
à une valeur commune, grâce à une relation de
marché.
Le passage de l’arrondissement à l’autonomie
comptable et économique, implique d’abord de le tenir
non plus pour le résultat d’un simple découpage
administratif, mais comme un sujet politique, historiquement constitué,
auquel les élections de mars 90 viennent de donner une première
représentation légitime. L’autonomie de l’arrondissement
dans le nouveau système politique et juridique soviétique
implique qu’il soit détenteur de l’ensemble de
la propriété publique sur son territoire, qu’il
ait la capacité de la louer pour les différents usages
sociaux qui lui seront présentés et recevront son
agrément, conformément aux nouvelles règles
qui définissent la propriété socialiste. Cette
propriété publique territoriale comporte les ressources
naturelles, les monuments architecturaux et historiques, le sol
utilisé pour les activités productives, les transports,
etc. Par contre l’habitat doit pouvoir faire l’objet
d’une appropriation privée individuelle ou coopérative.
L’autonomie économique de l’arrondissement va
lui permettre de se transformer en agent économique, capable,
et redevable devant les citoyens, d’une évaluation
des activités qui se déroulent en son sein, activités
d’approvisionnement notamment. La contrainte administrative
qui oblige les entreprises à maintenir des activités
non rentables doit cesser pour libérer les énergies
sociales que cette pratique très répandue maintient
captives. La formation de relations économiques internes
à l’arrondissement, la nécessité de trouver
les ressources des activités, va enfin le conduire à
définir publiquement ces priorités. Il n’est
pas sûr que le découpage géographique actuel
des arrondissements résiste à une telle transformation
des relations économiques et politiques. Les grandes artères,
qui sont souvent, sur leurs deux côtés, des centres
commerciaux utilisés par les mêmes consommateurs, servent
en effet de délimitations actuelles aux arrondissements.
Les arrondissements en autogestion souhaiteraient au contraire se
développer autour d’elles.
ll sera d’autant plus difficile de mettre en place des rapports
de marché qu’il faudra maîtriser les formes les
plus avancées de régulation de l’économie
de marché. Les organes de gestion économique de l’arrondissement
devront donc former de nouveaux sujets d’action économique,
en utilisant et en développant toutes les formes de propriétés
possibles, mais également en développant une infrastructure
de gestion économique telle que fonds d’investissement,
établissements de crédit, banques de dépôt,
etc. Si l’économie mixte signifie pour l’instant
en Union soviétique la coopération entre capitaux
étrangers et capitaux nationaux, elle devrait prendre dans
l’arrondissement un nouveau visage, avec l’organisation
de la coopération entre capitaux publics ou collectifs et
épargne individuelle. Toutes les institutions adéquates
à de tels développements sont aujourd’hui à
créer.
Les nouveaux sujets économiques formés sur l’arrondissement
se retrouveront en concurrence pour l’accès aux capitaux,
aux débouchés et aux ressources collectives disponibles
; le rôle des organes de gestion de l’arrondissement
sera de transformer cette concurrence en coopération, par
leur mise en perspective dans un élargissement des relations
économiques au sein de l’arrondissement et entre celui-ci
et d’autres territoires. Le développement des relations
économiques dans l’arrondissement nécessitera
la formation d’un réseau territorial de coopération,
constitué d’institutions économiques, financières,
commerciales communes.
Le développement des rapports marchands et monétaires
va accentuer les problèmes sociaux existants différenciation
sociale et économique entre les habitants, chômage,
qualification inadaptée, délinquance, etc. Il faut
donc développer un système de sécurité
sociale de type nouveau, non lié à l’appartenance
aux établissements locaux des ministères centraux,
un véritable système de solidarité. Ce système
passe notamment par une amélioration importante de l’infrastructure
sociale des quartiers : approvisionnement, services sociaux, utilisation
des friches urbaines, centres culturels, etc.
La mise en oeuvre de la location du territoire à tous les
organismes capables d’assurer économiquement cette
nouvelle relation va permettre de créer à côté
du soviet rénové par les récentes élections,
un tissu dynamique de structures et d’organes sociaux et économiques,
rassemblés dans le conseil d’autogestion local, possédant
une autonomie comptable et économique totale pour résoudre
les problèmes matériels locaux, en interaction constante
avec le soviet, centre du pouvoir politique. Plus que de formes
informelles de gestion territoriale, il conviendrait de parler de
formes multiformelles, issues de problèmes et de contextes
spécifiques, mais disposant toutes maintenant d’un
enregistrement légal de leur existence, qui leur a d’ailleurs
permis de concourir à la présentation des candidats
aux élections aux soviets locaux de mars 90. Ainsi la démocratie
représentative diversifie son visage, en épousant
celui des groupes présents dans l’arrondissement. On
peut d’ailleurs imaginer que dans un proche avenir le soviet
local intègre lui-même dans ces composantes ces nouvelles
organisations économiques et sociales, et fasse siens les
principes d’autonomie comptable définis ci-dessus.
Par l’autonomie économique et comptable il s’agit
d’affirmer que le processus de reproduction de chaque territoire
doit suivre un cours singulier, qui ne peut se former que de la
prise en compte de l’ensemble des activités économiques
et sociales présentes en son sein. Une autonomie comptable
complète exige que les établissements des diverses
branches industrielles présents sur le territoire conçoivent
également leur gestion selon des règles d’autonomie
comptable, et facturent normalement leurs relations avec les industries
dont ils dépendent. Ce n’est qu’alors que pourra
s’évaluer réellement l’apport de telle
ou telle implantation à l’économie de l’Union,
et qu’il pourra être mis en balance avec la pollution
infligée aux habitants les plus proches.
Les propositions développées ci-dessus vont être
mises en oeuvre expérimentalement dans l’arrondissement
de Tcheremouchkino, déjà représenté
au congrès des députés du peuple par un député
réformateur, le sociologue Stankiewitch, et où le
Centre de Recherches régionales de l’Académie
des sciences a établi ses quartiers. Le quartier de Ianessevo
pourrait servir au départ de l’expérimentation.
Tout semble prêt pour y construire un centre culturel sur
un espace libre, utilisant les compétences acquises dans
le MJK voisin, et les savoir-faire de nombreux habitants à
qui les autres assureraient le maintien de leur salaire par une
cotisation volontaire. Comme dans tous les quartiers de Moscou la
capacité de contribution personnelle à quelque chose
qui en vaudrait vraiment la peine semble suffisante pour qu’un
tel projet autonome puisse se réaliser. C’est ainsi
que dans le quartier Leninski une école expérimentale
s’est créée hors contrôle des entreprises
et du soviet local, d’abord pour les enfants qui ne pouvaient
fréquenter les écoles ordinaires car leurs parents,
ne travaillant pas dans les entreprises locales, n’y avaient
pas droit. Professeurs et psychologues ont afflué bénévolement
dans cette école « libre », se cotisant pour
lui acheter du matériel, écrivant à l’étranger
aux expériences de pointe pour obtenir des dons, etc., et
maintenant l’école « libre » est devenue
le fleuron du quartier, le principal objet d’investissement
de son comité d’autogestion.
Une utopie réalisable
Partout surgissent des initiatives de ce type, symptôme de
ce que la perestroïka n’est pas simplement la levée
de’ la répression, mais l’apparition au grand
jour d’un mouvement social de fond, capable de prendre l’initiative
en de multiples points sans concertation a priori. Il ne s’agit
pas seulement d’élargir la gestion actuelle à
la nécessaire prise en compte du marché, ou de la
compétence. Le constat est plutôt que les grands systèmes
de gestion sociale, aux principes simples, ne peuvent avoir raison
de la dimension du désir, toujours singulière, et
toujours capable de resurgir sous la chape de plomb. Dès
lors les projets d’autonomie comptable et économique
prennent des allures révolutionnaires ; l’association
des organes d’autogestion à la gestion politique locale,
la modification des rapports de représentation traditionnels,
semblent envisageables. Déjà ces nouvelles organisations
ont pu présenter des candidats aux élections, à
l’égal du parti qui il y a encore six mois, détenait
le monopole du pouvoir. Cette démarche peut avoir des allures
technocratiques, car les scientifiques qui y participent ont comme
partout tendance à croire que les réformes sont le
prolongement de leurs propres expérimentations, alors que
ces dernières accompagnent seulement le mouvement et permettent
de l’analyser. Cependant même au coeur de ces propos
d’experts se marque un cours nouveau : les expériences
ne sont pas proposées comme modèles, mais comme témoins,
indications de pistes à explorer, balises rapidement ancrées
au cours d’une première navigation à vue.
Cet article a été rédigé en trois étapes
successives : Victor Tischenko, directeur du Centre de Recherches
régionales de l’Académie des sciences d’URSS,
nous a laissé un ensemble de textes de travail qu’il
avait rédigés avec Boris Sazonov pour définir
son projet pour les arrondissements de Tcheremouchkino et de Vorochilov.
Dominique de Lapparent (IRCID-CNRS) a traduit ces textes en français.
Anne Querrien les a résumés dans cet article, qui
s’appuie également sur les deux missions qu’elle
a effectuées en 1989 pour la Maison des Sciences de l’Homme
et le Plan urbain au ministère de l’Equipement, dans
le cadre d’un accord de coopération avec l’Académie
des sciences d’Union soviétique.
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